1 Éth. Nic. IV, 1, 1119b25-26 : χρήματα δέ λέγομεν πάντα ὅσων ἡ ἀξία νομίσματι μετρεῖται.
2 Il convient de souligner le glissement de la terminologie aristotélicienne à propos du terme « chrématistique », qui sème la confusion dans l’interprétation des concepts. Aristote utilise le terme chrématistique dans trois contextes distincts, sans qu’il y ait pour autant trois types différents de chrématistique. Dans le premier, le terme possède un sens général et sert à différencier les formes bonnes et mauvaises d’acquisition de biens (Pol. I, 1256b22-30 ; 1257a14-15 ; 1257b2-41 ; 1258a6-37). Dans le second, la chrématistique a le sens d’un art d’acquisition par échange (ἡ μεταβλητική χρηματιστική), associé à l’échange monétaire (Pol. I, 1256a10-11 ; 1257a42) ; le troisième usage, plus rare, se rapporte à une forme d’acquisition selon la nature (χρηματιστική κατὰ Φύσιν), en rapport étroit avec la gestion domestique et celle de la cité (Pol. I, 1257b19-20 ; 1258b21). L’acquisition par échange est la même chose que la chrématistique. L’invention de la monnaie est la condition nécessaire de la transformation de la chrématistique selon la nature en chrématistique monétaire. Avec l’invention de la monnaie se produit une inversion des moyens et des fins. Le premier type d’acquisition par échange (Bien-Argent-Bien) ou chrématistique selon la nature (χρηματιστική κατὰ Φύσιν), qui a pour finalité le bien vivre, évolue vers le deuxième type d’acquisition par échange (Argent-Bien-Argent) ou chrématistique monétaire (ἡ μεταβλητική χρηματιστική) qui a pour finalité l’accumulation de l’argent. Quand se produit cette inversion des moyens et des fins, l’acquisition par échange ou chrématistique cesse d’être un art auxiliaire de l’économie et devient une science poïétique indépendante.
3 Skopos signifie : correspondance entre un ensemble de choses ou des événements et une fin ; avoir telle fin ; avoir l’intention de. Telos signifie : limite ; terminus ou perfection ; la raison ou la cause finale ; réalisation ; conséquence ; fin ; terme.
4 P.F. Koslowski, « Casa y dinero : Sobre la distinción aristotélica entre política, economía y crematística », Ethos 9, Buenos Aires, 1981, p. 17.
5 C. Natali observe qu’il y a une distinction entre l’art du commerce, fondé sur l’échange en vue du gain, et l’échange non commercial, qui vise uniquement l’autosuffisance. L’art du commerce (ἡ καπηλική) n’est pas conforme à la nature et fait partie de la chrématistique. L’échange non commercial (ἡ μεταβλητική) est conforme à la nature et ne fait pas partie de la chrématistique. Selon C. Natali, on pense souvent qu’Aristote admet uniquement l’échange qui sauvegarde l’autosuffisance comme moyen d’acquisition de biens conforme à la nature. Pour C. Natali, c’est le contraire, l’échange est cité parce qu’il est nécessaire pour expliquer la naissance de la chrématistique, mais il ne s’oppose pas à la chrématistique comme le bien s’oppose au mal. Selon C. Natali, telle est l’opposition qui existe pour Aristote entre deux types de chrématistiques. Ces deux types de chrématistiques ne peuvent être déterminés qu’après l’introduction de la notion de monnaie. Pour C. Natali, la monnaie chez Aristote est un objet utile de par sa nature, mais qui est employé pour un usage, fruit d’une convention, différent de son usage naturel. L’invention de la monnaie est la condition nécessaire de l’apparition de la chrématistique. La fonction de la monnaie dans la chrématistique est donc d’échanger des biens utiles contre de l’argent, de façon à en retirer le plus grand bénéfice possible. L’acquisition de cette quantité d’argent n’a pas pour but l’autosuffisance et elle ne connaît pas de limite. Ce processus conduit à la question essentielle de la définition de la richesse. Une telle question est fondamentale, car si la chrématistique est l’art d’acquérir des richesses, savoir ce qu’est la richesse c’est savoir quelle est la finalité de la chrématistique. À partir de la tendance à l’enrichissement illimité, propre à la chrématistique, les hommes en sont arrivés à une conception erronée de la richesse. C. Natali établit que les deux formes de chrématistique sont des arts d’acquérir, et visent l’acquisition de biens (κτῆσις). En réalité, les deux chrématistiques ont la même χρῆσις, l’acquisition, et c’est pour cela que, comme chrématistiques, elles diffèrent de l’économie. La différence entre elles réside dans la cause finale : 1) avoir pour finalité le bien vivre, contre 2) avoir pour finalité d’accumuler de l’argent. Pour C. Natali, l’art de gagner de l’argent, qu’Aristote limite ou critique, n’est pas une véritable technique. La chrématistique apparaît comme un ensemble de règles pratiques, sans vision générale des mécanismes du marché et du système économique. C. Natali, « Aristote et la chrématistique » dans G. Patzig (dir.), Aristoteles’Politik, Akten des XI Symposium Aristotelicum, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1990, p. 296-324. Nous partageons les conclusions de C. Natali quand il dit que l’invention de la monnaie est la condition nécessaire de la transformation de la chrématistique selon la nature en chrématistique monétaire, et que le problème réside dans la cause finale : 1) avoir pour finalité le bien vivre, contre 2) avoir pour finalité d’accumuler de l’argent.
6 F. Basañez, « El lugar epistemológico de “lo económico” en Aristóteles : La Filosofía de la Economía de Aristóteles », Thémata 12, Sevilla, 1994, p. 155-162.
7 A. Berthoud, Aristote et l’argent, Paris, Maspero, 19815, p. 100.
10 A. Berthoud, Aristote et l’argent, op. cit., p. 138.
12 Dire que la chrématistique est action n’est pas en faire une science ou un art pratique, par différence avec les sciences ou arts poétiques dont elle relève. Elle est action au sens où elle est déterminée par un désir irrationnel. Sur les sources de l’action, voir Éth. Nic. VI, 2, 1139b1 sq. et De Anima III, 1, 424b22 sq.