20. La Force mystérieuse de Rosny aîné : une fiction anarchiste ?
p. 267-281
Texte intégral
1Le nom de J. H. Rosny n’occupe pas une place trop encombrante dans les histoires de la littérature française. Lorsqu’il est évoqué c’est surtout comme père fondateur, à la suite de Jules Verne et de ses Voyages extraordinaires, de la science-fiction, genre fort peu pratiqué dans l’Hexagone. Il s’agit toutefois d’un auteur multiforme, très apprécié des lecteurs et qui a joué un rôle loin d’être négligeable dans les débats littéraires de son époque. De nos jours, Rosny aîné n’est pratiquement plus connu que pour une série de romans préhistoriques (premier d’entre eux La Guerre du feu), que le passage des années n’a su dépouiller de leur charme étrange et d’emblée, dirait-on, désuet. De ses romans sociaux, hantés par de nombreuses figures d’anarchistes, nous avons déjà parlé. Outre cela, cependant, cet auteur extrêmement versatile s’est essayé à des romans sentimentaux, qui mériteraient un discours à part. Surtout, c’est là ce qui va nous occuper maintenant, il a signé un petit nombre d’ouvrages qui relèvent indiscutablement de la science-fiction – ou alors de l’anticipation ou de l’extrapolation scientifique, si le premier terme semble trop contraignant. Parmi eux : Les Xipéhuz, La Force mystérieuse, La Fin de la terre, etc. Dans ces romans, Rosny est de fait le premier à mettre en scène de véritables êtres provenant d’autres mondes : non plus des lunaires dans le genre de ceux de Cyrano de Bergerac, mais des créatures à un tel point différentes de tout ce qu’il nous est permis de connaître par l’expérience, que la description de leur nature et de leur influence devient la préoccupation principale de l’écrivain, prétexte à un type de poésie d’un genre très particulier, visant à dire ce qui peut à peine être perçu et à expliquer des comportements totalement étrangers à notre espèce.
2« Petit » naturaliste à ses débuts, Rosny, dans la dernière décennie du xixe siècle, fait partie de ces quelques écrivains modernes, tels Lucien Descaves, Félix Fénéon ou Octave Mirbeau, qui ressentent l’attrait des théories anarchistes et qui mettent en scène dans leurs ouvrages le milieu équivoque ou, du moins, pour le lecteur moyen, étranger, dans lequel vivent ces adversaires irréconciliables de la société bourgeoise. Malgré sa curiosité, parfois aux limites de la fascination, pour ces cercles et pour ceux qui les animent, Rosny – nous avons eu l’occasion de le voir en discutant de ses romans Le Bilatéral et Les Âmes perdues – n’adhèrent pas ostensiblement aux théories libertaires. Il se limite à revenir dans plusieurs ouvrages sur la personnalité et les mœurs de ces révolutionnaires, gardiens de la mémoire des massacres de la Semaine sanglante lors de l’écrasement de la Commune de Paris, prêtres à leur manière d’un culte du souvenir et apôtres fervents d’un bouleversement universel qu’ils ne cessent d’appeler de leurs vœux et de préparer par la propagande, l’éducation et, le cas échéant, l’action violente. Observateur soigneusement détaché, refusant l’engagement en ce qu’il a de plus public, Rosny n’en restera pas moins pendant toute sa carrière proche de nombre d’intellectuels libertaires. Jean Grave ne tarit pas d’éloges à son égard, et Gérard de Lacaze-Duthiers, auteur lui aussi de romans préhistoriques engagés et polygraphe anarchiste à l’activité inlassable, le qualifie de « génie universel […] une des gloires les plus pures de ce temps [dont l’]œuvre magnifique, dans laquelle la science et l’art s’épousent étroitement, dégage une philosophie profondément humaine ». Surtout, au-delà même de la représentation d’une humanité jeune et sans préjugés, non encore gâtée par la civilisation, qui anime les romans préhistoriques de Rosny tout comme les siens, Lacaze-Duthiers souligne à quel point « l’œuvre monumentale de ce grand Européen est comme un bréviaire du pacifisme, qui porte dans ses flancs les germes d’une humanité meilleure, délivrée de toutes les laideurs1 ». Louis Dumont-Wilden, dans la « Chronique littéraire » de la revue anarchisante L’Humanité nouvelle, n’hésite pas à déclarer, parlant au pluriel des deux frères Rosny, que « leurs livres font naître de la pensée, et dès à présent, ils peuvent être comptés parmi les directeurs de la conscience contemporaine2 ». Même Zo d’Axa, le plus intellectuel peut-être, et sûrement le plus difficile à contenter des agitateurs de l’époque, publie dans son journal L’En dehors un compte rendu du roman préhistorique Vamireh, dû à la plume de Georges Lecomte, dans lequel cette épopée est qualifiée d’« œuvre […] puissamment suggestive par ses lointains psychiques et sociaux », et où l’auteur affirme : « […] nous devons remercier MM. Rosny de leur très ample évocation. C’est un spectacle bienfaisant comme le serait, pour un ouvrier des fumantes manufactures et des noirs taudis faubouriens, un aspect de verger en fleurs dans l’allégresse d’une aurore3. » L’admiration n’est pas à sens unique, et Rosny lui-même gardera pendant toute sa vie un rapport très cordial avec l’un des romanciers libertaires les plus en vue de l’époque, Han Ryner, l’auteur du Crime d’obéir et de L’Homme fourmi. Celui-ci avait une opinion très élevée des œuvres de Rosny, dans lesquelles il reconnaissait sûrement une approche philosophique et morale très proche de la sienne. Rosny lui-même n’était guère indifférent à la production abondante et variée de Ryner, manifestant un intérêt tout particulier pour les romans qui s’apparentaient à sa propre sensibilité, où celui-ci avait « parcouru le cycle des ères historiques ou protohistoriques », et signalant notamment à l’attention défaillante des contemporains « La Tour des peuples [qui] est quasi préhistorique [et] Le Fils du silence [qui] est aussi un grand livre4 ».
3La position de Rosny par rapport à l’anarchisme, de par ses fréquentations et de par le choix de ses sujets, pouvait paraître suffisamment ambiguë pour éveiller les inquiétudes de ceux de ses collègues, fort nombreux, qui mettaient sur le même plan la description des théories anarchistes et la foi en elles. De nombreuses références à Rosny dans le Journal d’Edmond de Goncourt montrent à l’envi la démarche de l’auteur et ce qu’il pouvait servir de trait d’union entre deux mondes – la haute bourgeoisie littéraire et les cercles des ouvriers révolutionnaires – qui n’avaient autrement pas le moindre point de contact. On ne peut s’empêcher de ressentir toute la profondeur de l’ignorance réciproque qui régnait entre ces milieux en lisant le naïf aveu suivant :
Rosny nous apprend cette chose amusante : c’est que les collectivistes répudient le vol, le repoussent comme une manifestation bourgeoise du sentiment de la propriété. Au fond le vol produit une propriété personnelle qui est contraire à la doctrine5.
4De fait, ce sont surtout les romans anarchistes de Rosny qui soulèvent l’enthousiasme des habitués du « grenier » des Goncourt, pour lesquels ils ouvrent une fenêtre sur une réalité infiniment lointaine de la leur. À la date du jeudi 21 décembre 1893, on lit encore :
Toute la soirée, la conversation est sur Rosny, dont on proclame la valeur littéraire, et l’on s’étonne que, dans ce temps de la bombe de Vaillant, aucun journal ne fasse allusion à son livre Marc Fane, qui est, pour ainsi dire, le compte rendu par avance du fait d’hier6.
5Rosny, qui avait su voyager par l’imagination dans le passé le plus reculé, jouissait ainsi d’une certaine renommée pour des voyages bien plus ordinaires, mais après tout non moins exotiques, dans des quartiers où ses pairs se gardaient soigneusement de mettre les pieds. Pont entre deux univers sociaux infiniment distants, on comprend qu’il ait pu faire l’objet de la méfiance de personnages qui, pour des raisons opposées mais complémentaires, estimaient toute curiosité pour ce qui se faisait sur « l’autre bord » une espèce de trahison. Ainsi, aux doutes de Gourmont7 fait écho la condamnation catégorique de Fernand Kolney8 qui, dans une démolition en bonne et due forme de l’Académie Goncourt, liquidait Rosny en déclarant qu’il « nous conte filandreusement des histoires à la Jules Verne ou à la Zola dans un style de maître d’hôtel9 ».
6Mais qu’en est-il de l’œuvre elle-même, indépendamment des réactions qu’elle a pu susciter ? L’anarchisme défraye largement la chronique de la fin du siècle et il ne devrait donc pas paraître particulièrement surprenant de voir ses partisans occuper une certaine place dans la production romanesque de l’époque. Mais le bruit qui se fait autour des théories et des actions anarchistes, qui est considérable, n’a toutefois en réalité aucune commune mesure avec leur présence dans le domaine de la fiction contemporaine, qui est en comparaison moindre. Il peut donc paraître d’autant plus remarquable de voir un auteur bourgeois, très bien introduit dans les milieux qui forment le jugement littéraire, consacrer deux romans entiers à la description des mœurs particulières d’une société peu susceptible de susciter la sympathie immédiate de ses lecteurs habituels : Les Âmes perdues, appelé « absolu chef-d’œuvre » par Han Ryner10, et ce Bilatéral dont Jean Grave affirme qu’il nous parle « des hommes nos frères, de leurs souffrances et de leurs espoirs, de l’oppression qu’ils subissent et des révoltes qu’ils préparent. […] l’auteur nous les montre en un beau relief ; il nous peint leur vie en un langage net, ferme et sonore […]11 ». Il s’agit donc de romans réalistes, solidement documentés, dans lesquels les modèles se reconnaissent, probablement non sans un certain plaisir. C’est ce réalisme, cette honnêteté, même brutale, dans la représentation, qui aide sans doute à susciter chez de nombreux anarchistes l’admiration pour les travaux de Rosny. Mais ce n’est pas que cela. Dans l’introduction aux Âmes perdues, l’auteur fait clairement l’éloge du roman comme instrument de critique sociale et de progrès, et il affirme :
Si du milieu naît le livre, quelle puérilité de nier que le livre, expression plus tangible des tendances, réagisse sur le milieu, comme si l’on niait que la loi physique ou la machine, nées de la science, à leur tour, aident à la genèse de la science future.
7Goncourt avait déjà remarqué et noté cette tendance : « […] Rosny déclare qu’il n’estime que les livres qui contiennent des idées, oui des idées, et que la fabrication d’un livre lui est bien égale, maintenant qu’à l’heure présente, les derniers des derniers savent très bien faire remuer des gens communs12. » On reconnaît dans ces prises de position, en tout opposées aux conceptions alors largement répandues de « l’art pour l’art », une vision du rôle de la littérature proche de celle des anarchistes, soucieux d’éduquer les masses et ouverts à tout moyen pouvant les aider à atteindre ce but.
8Croyance dans les vertus de la littérature engagée, ou du moins en contact étroit avec le réel ; portrait franc et jusqu’à un certain point amical des milieux anarchistes, que la presse bourgeoise dépeignait unanimement sous des traits ridicules et odieux ; et enfin un humanitarisme vague peut-être, mais profondément senti : voilà donc déjà de quoi rapprocher, sinon réunir, l’écrivain et les révolutionnaires. C’est cet humanitarisme, en particulier, proche d’une sorte de culte de l’amour mais sans implications chrétiennes, que certains militants trouvent particulièrement attrayant chez Rosny. Han Ryner souligne, dans une critique du roman L’Impérieuse Bonté, à quel point « [sa] conception de l’altruisme apparaît le centre de [sa] philosophie sociale13 ». Gérard de Lacaze-Duthiers va encore plus loin en affirmant : « Son œuvre est un enseignement. Elle est un réconfort. Apprenons d’elle à aimer la paix, à pratiquer la solidarité et la bonté14. » La sympathie indéniable que Rosny ressent pour les anarchistes et que ceux-ci lui rendent bien, cette sympathie qui le porte à donner d’eux une image nuancée, dans laquelle perce une certaine admiration dictée par leur honnêteté et leur désintéressement évidents, ne devrait toutefois pas faire oublier que les positions de l’auteur ne sont pas simplement réductibles à une espèce d’adhésion sentimentale, mais discrète, aux principes révolutionnaires. Tant dans Les Âmes perdues que dans Le Bilatéral apparaissent des personnages qui se font clairement le porte-parole de l’auteur et expriment sur les théories anarchistes des réserves claires, qui peuvent se résumer en une prise de position en faveur de l’évolution et contre la révolution. C’est là, d’ailleurs, la même conclusion à laquelle était parvenu son ancien maître Zola, qui déclarait : « Je suis, moi, un évolutionniste, croyant à un développement normal et continu que les coups de force ne peuvent ni hâter, ni arrêter15. » Le Bilatéral de Rosny, homme qui, comme son surnom l’indique, est incapable de ne voir qu’un seul côté d’une question, quelle qu’elle soit, se fait l’écho d’une pensée semblable, empreinte en plus d’un pessimisme qui est bien de Rosny seul : « “[…]… et ceux d’en haut sont stupides, et ceux d’en bas stupides… et tous de si mauvais vouloir… […] et rien ne peut contre la fatalité lente de l’évolution. » (B, p. 431) Ne perdons pas de vue le fait que les anarchistes, dans ces romans, apparaissent finalement presque attachants en dépit de leurs idées, ou de leurs illusions, et malgré leurs actions. Ils semblent représenter pour Rosny une tentative, vouée nécessairement à l’échec par les lois du progrès historique, de revenir en toute simplicité à un état « naturel » idéal, qu’il s’efforce en fait de représenter dans ses romans préhistoriques ; une tentative noble mais allant à contresens de la raison. Ils sont les nouveaux « sauvages », fascinants, émouvants, mais menant un combat d’arrière-garde et destinés à disparaître pour voir les plus nobles de leurs idées réalisées dans l’avenir, quand les temps seront mûrs, sans plus besoin d’âpres luttes sociales ni de marmites à retournement pour accélérer la venue des « temps nouveaux ».
9Le Bilatéral exprime sa philosophie de façon à empêcher toute confusion :
Votre colossale aberration, à vous révolutionnaires enfants, est de ne pas posséder la notion du temps et de dater les ères du jour où vous survenez… incapables de concevoir les immenses obstacles de la stupidité et de la tradition… (B, p. 460)
10Lui, et l’auteur qu’il représente, ne commettraient pas cette erreur. L’œuvre romanesque de Rosny tente justement de traverser les ères, de montrer, du passé le plus éloigné à l’avenir le plus improbable, les complexités de l’existence humaine, de la nature humaine surtout, dont la société apparaît comme une extension inévitable et organique. Les deux passions du Bilatéral sont l’astronomie et la préhistoire – dans un sens, l’avenir et le passé –, et il montre de bien connaître son public lorsqu’un soir dans la rue il se met à donner une leçon impromptue à un groupe de révolutionnaires :
Un coup de pioche net dans les strates de la Terre, les charma, et le spectacle était bizarre de ces quatre hanteurs de clubs, décideurs de révolutions, hardis solutionnistes de la destinée sociale, écoutant là, très naïfs, dans un charme infini, d’adolescence, une brève histoire des âges de pierre. (B, p. 142-143)
11Portrait touchant, celui du sauvage contemporain en train d’écouter, par la bouche du savant, l’histoire du sauvage antique. Mais l’anarchiste semblable aux Peaux-Rouges du Nouveau Monde, Shoshone, Arrapahoe ou Dacotah, peut aussi être rapproché d’une autre tribu indienne, typiquement métropolitaine et française celle-là : les apaches – dans le sens commun de délinquants. C’est là en effet ce qu’on trouve en lisant La Force mystérieuse, peut-être le plus fascinant des romans d’anticipation de Rosny.
12Jean-Baptiste Baronian, dans son introduction à ce texte, a justement relevé la cohérence éthique qui semble traverser l’œuvre de l’écrivain, et ce « curieux mélange de tendresse, de générosité et de pessimisme, une étrange conviction selon laquelle l’homme est essentiellement noble, essentiellement bon, et foncièrement mauvais, à la fois pur et corrompu16 ». L’anarchiste, naïf et rusé, ignorant et assoiffé de connaissances, amoureux de l’humanité entière et prêt à semer aveuglement la mort avec ses bombes, désintéressé et envieux, semble justement regrouper en lui les extrêmes de comportement que Rosny attribue à l’humanité en général. Voyant à quel point l’imaginaire social joue un rôle central dans sa création, on ne pourra être trop surpris lorsque, dans le futur imprécis de l’« anticipation scientifique », l’humanité de Rosny reprend les attitudes qu’il a décrites aussi bien dans ses romans préhistoriques que dans ses romans modernes. Les anarchistes de l’âge de pierre et les anarchistes contemporains laissent donc la place aux anarchistes de l’avenir. Et leur portrait, nuancé et complexe comme le sont toujours les portraits de Rosny, réserve maintes surprises et nous porte à réexaminer la relation de l’auteur à l’univers libertaire.
13La Force mystérieuse a été placée « dans la ligne du catastrophisme anti-utopique17 ». Le roman met en scène une menace extra-terrestre initialement mal définie : l’arrivée sur terre d’un organisme totalement nouveau, dont la présence se manifeste par une altération, un dédoublement et une dégradation des couleurs du spectre de la lumière. L’influence subtile de ces êtres que nul n’est d’abord capable d’identifier, suscite tout d’abord un état d’exaltation désordonnée sur la planète entière. L’électricité, ainsi que toutes les formes d’énergie, est aussi affectée et bientôt toute production s’arrête. Le monde revient à un état précédant la révolution industrielle. Gouvernements et nations s’effondrent. De plus, les sociétés se décomposent en petits groupes, chacun vivant séparément des autres tel des organismes autonomes.
14Jean-Marc Gouanvic a voulu expliquer ce roman, ainsi que les autres œuvres d’anticipation de Rosny, comme un exemple d’adaptation littéraire des théories socio-darwiniennes. Face à une altérité menaçante et énigmatique, la Raison seule, représentée par le savant Meyral, peut donner à l’humanité l’espoir de contrecarrer une agression d’une telle ampleur, et d’un genre tellement inconcevable, que le monde n’a même pas conscience d’être l’objet d’une attaque. La lutte entre les races se fait alors sous la direction d’une élite scientifique, qui parvient enfin à assurer la survie ultime de l’espèce humaine18.
15L’« ouragan interplanétaire » (FM, p. 19619) qui secoue si rudement la terre et risque de causer sa perte définitive, montre néanmoins dans son développement des ressemblances certaines avec d’autres orages beaucoup moins hypothétiques, qui ont fortement secoué la conscience de la France quelques années à peine avant l’écriture du roman. L’effet premier du déferlement sur la terre des forces astrales est de causer un état diffus de surexcitation, « l’hyperesthésie des multitudes » (FM, p. 52), qui déclenche une insurrection sanglante généralisée. C’est « La nuit rouge », titre du deuxième chapitre, emprunté au refrain d’une chanson révolutionnaire du genre de celles que l’on chantait à l’époque de la Commune :
C’est le grand soir, c’est le grand soir
C’est le grand soir des exploiteurs !
Les bourreaux mordront la poussière
Lève-toi, peuple aux mille bras,
Nous allons tuer la misère :
La nuit rouge monte là-bas20 !
16Cette maladie interstellaire inconnue, porteuse de désordre et de destruction, potentiellement fatale pour l’humanité entière, fonctionne de fait comme une représentation analogique de la menace anarchiste. Ce sont « les lumières » – la raison – qui sont ses premières victimes et qui s’éteignent graduellement. Et ce sera la Raison seule qui offrira aux survivants un espoir de survie, sous la direction bienveillante et paternelle, mais néanmoins autoritaire, d’un savant.
17Cette Commune future donne à Rosny l’occasion de s’étendre en une série de portraits qui semblent sortis tout droit de ses romans de mœurs, quand ils ne calquent pas tout simplement l’imagerie révolutionnaire telle que la diffusaient, dans les feuilles anarchistes, les gravures et les fusains de Luce, d’Hermann, de Steinlen ou de Vallotton, comme ce croquis rapide qui reprend en quelques mots efficaces les stéréotypes figuratifs de la misère et de la force ouvrière : « Un homme au torse de squelette, haut de six pieds, brandissait une loque écarlate ; une horde de terrassiers le suivait, bras entremêlés, barbes au vent […]21. » La tentative révolutionnaire est vouée d’avance à l’échec car dictée par une rage irraisonnée, par une remontée de l’irrationnel qui est en fait un retour en arrière, une plongée soudaine dans les abîmes de l’évolution, lors de laquelle l’homme moderne se retrouve face à face avec le spectre de ce qu’il a été jadis :
Ce spectacle terne ou blafard évoquait ensemble les démolitions, les réveils des lendemains d’ivresse, des fureurs cristallisées, des épouvantes évanouies, des bagarres mortes.
– Une fièvre humaine, songea Meyral… déjà dissipée dans la nuit des âges !… (FM, p. 48)
18C’est le retour du passé, de la violence et de la haine, qu’il s’agit d’exorciser. La révolution est écrasée impitoyablement par la force armée, après que les insurgés ont mis Paris à sac et tué le président de la République. Mais si « les anarchistes et les apaches » (FM, p. 49) opérant la reprise individuelle lors des émeutes ne semblent guère susciter l’adhésion inconditionnelle de l’auteur, on ne peut en dire autant des personnages de prolétaires qui animent ces scènes nocturnes, tel le chauffeur qui conduit les très bourgeois héros au travers de la ville en flammes, se dévouant pour eux malgré tout, qui exprime son enthousiasme pour les événements dans des termes simples mais touchants, empreints du ton apocalyptique et messianique commun à la propagande libertaire de l’époque, et en particulier au Père Peinard de Pouget :
La misère est morte ! hurla-t-il en montrant sa face de molosse à la portière. Le règne des exploiteurs est fini. Celui des pauvres bougres commence !… Ah ! Ah !… c’est fini de souffrir… c’est fini de crever. (FM 40)
19De même, la défaite ultime de la révolte n’offre pas le prétexte à des élans lyriques à la gloire de l’armée, qui s’occupe de la besogne. La violence de la répression, « la boucherie » (FM, p. 49) qui noie la ville dans une mer de sang22, rappelle plutôt d’autres descriptions loin d’être flatteuses de la brutalité militaire face aux manifestations ouvrières, ou aux pèlerinages annuels des anciens communards au mur des Fédérés23.
20L’échec de la révolution sociale, rendue à une vie factice par l’influence inconnue descendue des étoiles, ne marque pas cependant la fin, dans le roman, de l’utilisation de l’utopie anarchiste comme cadre discret, comme allusion constante servant de structure logique sous-jacente à la narration. La fin de la période d’exaltation ne mène pas, en effet, à un retour au statu quo social. Les insurrections et les guerres civiles qui ont éclaté partout de par le monde, ont comme résultat de débarrasser la planète d’environ un tiers de l’humanité qui l’occupe. Cette diminution draconienne du nombre des habitants, loin de représenter une perte de talents ou d’énergie, contribue à un renouveau radical, un rajeunissement global :
Les villes ayant plus souffert que les campagnes, la question sociale se trouva temporairement résolue ; il y eut du travail pour tous, et grassement rétribué ; il y eut des biens disponibles en abondance ; le fisc s’enrichit au point qu’on put réduire les impôts, entreprendre d’énormes travaux publics et secourir généreusement les miséreux. (FM, p. 104)
21En résumé, Rosny semble souscrire dans ce passage aux théories des néo-malthusiens, l’une des nombreuses branches du mouvement anarchiste. Ceux-ci prêchent justement la limitation des naissances comme la meilleure solution de tous les problèmes sociaux, menant à une redistribution équitable de biens en excès par rapport au nombre réduit d’habitants. Le monde postrévolutionnaire du roman se transforme de la sorte en un nouvel Éden, où la nature revigorée reprend le dessus. La vie humaine peut y suivre enfin un rythme que les exigences artificielles de l’industrie ne déforment plus. La description qu’en donne l’auteur évoque, par son vocabulaire et par son intensité, les anticipations des anarchistes naturiens, apôtres d’un retour à la vie simple :
Les jours suivants furent sans doute les plus beaux qu’ait connus l’espèce humaine. La vie, la vie la plus simple, s’emplit de grâces indicibles. Une immense floraison couvrit la terre jusqu’aux pôles : partout les plantes revivaient un nouveau printemps. L’air était lourd de baumes, une tendresse inlassable flottait dans les crépuscules et semblait couler des étoiles, la nature redevenait vierge : chaque prairie évoquait les savanes, un bois devenait une forêt, la folle croissance faisant renaître tous les mystères des genèses. (FM, p. 112)
22Le programme naturien, tel que présenté par Émile Gravelle sur les pages du journal L’Anarchie, pourrait en effet servir de représentation ultérieure du monde rajeuni du roman de Rosny :
Être naturien, c’est donner comme base aux aspirations de bien-être et de liberté, l’état naturel de la Terre, c’est-à-dire la terre couverte de forêts, condition qui préservait l’homme : des ardeurs du soleil, de la rigueur des froids, de l’inondation, de la sécheresse, des avalanches, des éboulements, des maladies dues à l’infection de l’air, et qui lui assurait une alimentation abondante en mammifères, volatiles et poissons variés, en fruits et plantes originaires, sans aucun souci d’élevage ni de culture. […] Pour reconquérir l’abondance et la liberté, il ne suffit pas de supprimer les gouvernements, les religions, l’armée, la magistrature et le capital, il faut supprimer la matérialité inutile et fausse qui leur a donné naissance.
Cette matérialité représente la majeure partie de ce que l’on nomme pompeusement : le progrès (industriel). Il faut simplifier l’existence, non dans le sens de privations, mais dans celui d’augmentation des réalités saines et heureuses. Nos meilleures sensations nous viennent de l’ordre purement naturel ; la civilisation ne parvient qu’à les appauvrir24.
23De plus, la société post-cataclysmique du roman change radicalement la vie sociale. Les êtres extraterrestres qui se sont attachés, tels des parasites, à l’espèce humaine, créent des liens très forts entre des groupes restreints d’individus, hommes ou animaux, en fonction uniquement de leur voisinage physique lors de l’ouragan cosmique. Le « groupisme » (FM, p. 131), ainsi que ce nouveau phénomène est baptisé, provoque donc le parcellement de la société en petites communautés hétéroclites, à l’intérieur desquelles les rapports de force classistes qui gouvernaient la vie sociale en temps normal s’estompent, et où les contraires se retrouvent en harmonie :
On vit s’établir des relations touchantes, bizarres et saugrenues entre les créatures. Rien n’était plus singulier que les processions de pauvres, de riches, de chiens, de chats, d’oiseaux, de chevaux, circulant par les villes […]. (FM, p. 127)
24La conséquence de ce nouvel état de fait est la désintégration des rapports de production et de consommation typiques de la société capitaliste :
Graduellement la vie sociale se métamorphosait. Les unités d’un même groupe ne pouvaient plus travailler à grande distance les unes des autres ; le personnel des fabriques, des usines, des maisons de commerce, se trouva réduit, la production ralentie et souvent arrêtée […]. (FM, p. 126) Cette vie collective forcée entre des gens n’ayant rien en commun, ni par leur origine ni par leur éducation, se révèle toutefois bien plus agréable qu’un lecteur bourgeois individualiste du xixe siècle n’aurait pu le présumer : Des joies inconnues […] balançaient les servitudes [de l’existence]. L’égoïsme était en partie remplacé par un altruisme restreint mais réel : chacun participant directement à la vie du groupe, il y avait un échange agréable d’impressions et d’énergies, sinon de pensées. (FM, p. 128)
25Cette refonte générale des liens individuels et sociaux conduit de fait à la mise en place obligatoire d’une société interclassiste (et même inter-espèces, puisque l’union avec les animaux fait de la plupart des végétariens), dans laquelle l’État nation et le gouvernement central perdent toute raison d’être, vu que « la solidarité des groupes domine fatalement […] la solidarité générale ! » (FM, p. 156). Les rapports entre les groupes se font et se défont exclusivement, comme dans la théorie sociale anarchiste, en fonction des besoins du moment. Des alliances se forment et s’abandonnent qui n’ont rien de sacré ni d’obligatoire, mais naissent exclusivement d’un besoin temporaire que l’union peut permettre d’assouvir plus sûrement que l’action du groupe seul. Mais l’étroitesse du rapport inter-individuel à l’intérieur des groupes et l’absence de l’hypocrisie sociale, rendent tout prolongement de ces associations superflu. Le savant Langre, dont les découvertes étonnantes, nous dit Rosny au début du roman, ont été ignorées par une société philistine, ou volées par des collègues envieux, collabore dans l’isolement du groupe avec son collègue Meyral, avec des résultats auparavant inimaginables : « Ils s’abandonnaient au plaisir d’une solidarité qui décuplait leurs facultés inventives. Leurs découvertes s’accroissaient en nombre et en profondeur. » (FM, p. 186) Cette situation, idéale à bien des égards, ne peut cependant pas durer. La crise, après d’autres vicissitudes, s’éteint tout doucement. L’être stellaire qui s’est superposé à l’homme n’y a pas trouvé le « terrain de culture » (FM, p. 194) idéal qu’il lui fallait et les liens invisibles qui réunissent les membres des groupes s’atténuent jusqu’à disparaître. La normalité reprend ses droits, et l’on peut présumer qu’avec elle va se réinstaurer également l’ordre social que la crise a désorganisé. Car l’exemple imposé par le « germe » spatial ne peut être conçu que comme suspension momentanée de lois que la fiction présente inévitablement comme naturelles, et donc prêtes automatiquement à se réimposer dès que le trouble aura été réabsorbé. La normalité se présente alors comme un équilibre social traditionnel, où chacun connaît sa place et s’y tient, et l’utopie révolutionnaire ne peut se concrétiser que sous la forme d’une aberration passagère. Douce aberration toutefois, sous certains aspects, comme en témoignent les regrets exprimés par Meyral une fois le retour à la normalité en bonne voie :
Faut-il avouer, Messieurs, que nous attendons ce dénouement sans impatience, et même que nous désirons le voir tarder pendant quelques jours encore ? À Roche-sur-Yonne, nous n’avons souffert – et faiblement – que pendant un temps très court ; des circonstances exceptionnelles nous préservaient des épreuves qui pesèrent sur l’immense majorité de nos semblables. Notre solidarité a fini par être si douce que nous la regretterons parfois, lorsqu’enfin nous aurons reconquis notre indépendance individuelle […]. (FM, p. 198)
26Cette clôture mélancolique ne doit cependant pas faire sous-estimer le soulagement des personnages – et l’on peut inférer, de l’auteur – en voyant reconstituée la hiérarchie qui leur tient le plus à cœur, et qui n’est pas celle de l’argent ni celle de l’autorité militaire ou religieuse, mais celle, naturelle, de l’intelligence. L’« autre vie » qui a saisi le monde est perçue malgré tout comme « un piège immense » (FM, p. 123), à l’intérieur duquel s’estompe la valeur individuelle, et des êtres qui sont naturellement séparés sont réunis de force en un aplatissement vers le bas qui est une critique de l’égalitarisme révolutionnaire :
Si je n’étais en proie au plus absurde optimisme, je serais saisi d’horreur. Car tout se passe comme si nous étions devenus une sorte d’être unique.
– Est-ce si effrayant ? chuchota Meyral.
– C’est affreux. Il suffirait que cela continuât pour que nous fissions partie de la même personnalité que notre jardinier… notre chien… notre âne… et les oiseaux de la basse-cour… (FM, p. 122)
27Pour Rosny, c’est la différence des intelligences qui crée inévitablement la hiérarchie sociale. L’erreur des anarchistes est donc double : c’est de confondre d’abord l’inégalité naturelle avec l’injustice sociale25, et de vouloir forcer le lent progrès évolutif de l’humanité, qui ne souffre pas d’accélération brusque26. Sensible, sentimentalement, aux aspirations des anarchistes, l’auteur marque néanmoins sa distance d’avec leurs rêves et sa foi inébranlable en la science qui mènera, sans heurts ni secousses, sur la longue durée, à une société plus juste. En attendant, il montre une compréhension profonde des mécanismes de pensée qui guident les libertaires, ce qui en fait un cas pratiquement unique au sein du monde littéraire de son époque27. L’utopie anarchiste, chargée d’une fascination étrange et irrésistible, lui sert de métaphore cachée formant l’ossature de ses romans, et se révèle l’inspiratrice insoupçonnée d’un des premiers textes de science-fiction française. La révolution se cache derrière l’invasion extraterrestre. Car, comme le disait Proudhon : « Les révolutions ne reconnaissent pas d’initiateurs ; elles viennent quand le signal des destinées les appelle ; elles s’arrêtent quand la force mystérieuse qui les fait éclore est épuisée28. »
Notes de bas de page
1 « Les livres. J. H. Rosny aîné : les plus belles pages », La Patrie humaine, no 34, 4 décembre 1936.
2 L’Humanité nouvelle, 3e année, 1899, t. 2, p. 377.
3 « Vamireh ».
4 J. H. Rosny aîné, « Hommage à Han Ryner ». On trouve dans cette série de publications la reproduction de nombreux articles de Rosny traitant de l’œuvre d’Han Ryner et de l’accueil qui lui a été fait. Une collection complète peut être consultée au Centre international de recherches sur l’anarchisme (CIRA) de Lausanne.
5 Journal, vol. 7, p. 184.
6 Ibid., vol. 9, p. 179.
7 Nous renvoyons au jugement déjà cité dans le chapitre 14 sur Rosny, où Gourmont le taxait de « dangereux anarchiste ».
8 Littérateur anarchiste, militant néo-malthusien, auteur entre autres du roman Le Salon de Mme Truphot ou le Moderne Satyricon : mœurs litteraires (Paris, Quignon, 1927), et de L’Amour dans cinq mille ans. Il a contribué à Génération consciente (1908-1914) et à La Revue anarchiste (1929-1936).
9 « Le cloaque Goncourt ».
10 « J. H. Rosny », Les Hommes du Jour, no 130, 16 juillet 1910, reproduit dans Les Cahiers des amis de Han Ryner, no 40, 1956, p. 5.
11 « Bibliographie. Le Bilatéral ». Ce roman a également suscité l’enthousiasme des collègues naturalistes de Rosny. Goncourt évoque un dîner chez Zola lors duquel Daudet et lui ont mis en lumière Le Bilatéral « au milieu d’une ardente et sympathique discussion. De très hautes et de très rares qualités. Une profonde observation de l’humanité-peuple. C’est un constructeur d’individus, un metteur en scène des foules, des multitudes : tout cela avec un peu de confusion, un peu de brouillard à travers les pages du bouquin ; mais ça ne fait rien, Le Bilatéral est un maître livre » (Journal, vol. 7, p. 185).
12 Ibid., vol. 8, p. 22.
13 Han Ryner, « J. H. Rosny », art. cité, p. 6.
14 . G. de Lacaze-Duthiers, « Les livres. J. H. Rosny aîné : les plus belles pages ».
15 « Lettres sur l’anarchie », La Plume, no 81, 1er septembre 1892. Il s’agit de la réponse de Zola à une enquête sur l’anarchie.
16 J.-B. Baronian, introduction à J. H. Rosny aîné, La Force mystérieuse, p. 7.
17 J.-M. Gouanvic, La Science-Fiction française au xxe siècle (1900-1968), p. 47.
18 Roger Bozzetto a justement nuancé cette affirmation en rappelant que « Rosny relève bien évidemment de la postérité littéraire de Lamarck […]. Ce qui explique ses textes d’entraide entre les races » (disponible sur : www.noosfere.org/Icarus/Livres/niourf.asp?numlivre=-323325 [consulté le 26 octobre 2013]).
19 Les citations extraites de La Force mystérieuse seront désormais suivies de FM et de la pagination de l’édition de 1972 citée en bibliographie finale.
20 FM, p. 38. Il m’a été impossible de déterminer si cette chanson a été inventée par Rosny ou s’il l’a simplement recueillie. Elle ne figure pas dans l’ouvrage de Gaetano Manfredonia, La Chanson anarchiste en France des origines à 1914, qui est le texte de référence en ce qui concerne la chanson anarchiste. Mais si elle sort de la plume de Rosny, elle est en tout représentative du ton des chansons révolutionnaires du temps.
21 FM, p. 39. Une chanson de Louise Michel, écrite après la défaite de la Commune, semble refléter ces images : « Nous reviendrons foule sans nombre, / Nous viendrons par tous les chemins, / Spectres vengeurs sortant de l’ombre, / Nous viendrons nous serrant les mains. » (cité par G. Manfredonia, La Chanson anarchiste en France des origines à 1914, p. 121)
22 « [Les agents]… sur les tronçons hagards de l’émeute, les dogues fondaient à l’aventure, fracassant les visages, foulant les corps terrassés à coups de bottes, enfonçant vertigineusement les ventres. Une fureur sans bornes exaltait les assaillants ; aux clameurs et aux blasphèmes des victimes répondaient des rauquements et des halètements de carnivores. » (FM, p. 39)
23 Voir Le Bilatéral, chap. vii : « […] une police considérable, d’agents, de municipaux, avait été disposée avec des instructions brutales et tracassières. » (B, p. 251) « Quoique la résistance des socialistes eût été toute passive, cependant les agents avaient frappé à plein poing, de préférence au visage, et des citoyens saignaient, d’autres montraient des ecchymoses. » (B, p. 253)
24 É. Gravelle, « Opinions. Pensées naturiennes ».
25 Dans Le Bilatéral, Ève, l’héroïne, illustre cette méprise généreuse dans sa réaction à la vue d’une fille anémique, passementière, qui travaille d’un air idiot : « C’était toujours un coup pour la révolutionnaire que ces injustices de la nature ; elle ne les admettait pas, les rejetant sur la société. » (B, p. 168)
26 Un vieux révolutionnaire communard explicite ce doute : « Et il commençait à concevoir avec épouvante, avec une pointe refoulée de rancune aussi, que l’Univers et la race humaine ne subissent pas l’impétueux élan des cœurs de flamme, et que (ce qu’il avait repoussé si furieusement jadis !) que la lutte durait depuis des millénaires, que sa génération n’y représentait qu’une infinitésimale pause, non le tout formidable qu’il avait conçu ! » (B, p. 242)
27 C’est cette pénétration particulière et inhabituelle qui nous a poussé à parler de Rosny dans les deux parties de ce livre concernant respectivement les visions « externes » et les visions « internes » de l’anarchisme. Sans être lui-même un libertaire, Rosny aîné est à notre avis l’auteur de son temps qui a le mieux compris la mentalité et les aspirations des anarchistes.
28 Cité par D. Guérin, L’Anarchisme. De la doctrine à l’action, p. 39, nos italiques.
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