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Nouvelles anarchistes

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Vittorio Frigerio

Tranches de vie

« Au bureau de bienfaisance », Le Libertaire, 6e année, no 11, du 14 au 20 janvier 1900

Ferdinand Castagné

Texte intégral

1À la cinquième mairie de Paris, la salle du « Bureau de bienfaisance » était pleine d’indigents… Presque tous tenaient une carte à la main ; c’était leur secours.

2Pour les abominables parasites de l’« Assistance publique », la pauvreté doit être un vice, puisqu’ils la mettent en secours.

3Ce jour-là, il y avait vraiment foule… C’était le deuxième du mois ; beaucoup venaient toucher leur secours mensuel. Pour toucher ce malheureux secours de trois francs, il fallait attendre son tour, c’est-à-dire des heures entières. Si ces pauvres gens avaient pu patienter et venir quelques jours plus tard, comme ils en avaient parfaitement le droit, ils auraient été payés de suite. Car, à ce moment-là, il n’y a presque personne. Mais ils ne pouvaient sans doute pas attendre si longtemps.

4Dans cette longue attente, le silence pesait lourdement sur ces malheureux. Aussi, quoique ce fût expressément défendu et qu’un homme armé d’un sabre veillât sur eux, ils essayaient parfois de le rompre.

5On entendait parmi les chuchotements la voix nasillarde de l’employé appelant les noms. Les appelés se levaient aussitôt et se dirigeaient vers la caisse, signaient leur carte, touchaient leur argent et s’en allaient. On entendait aussi des quintes de toux déchirantes, dans lesquelles on distinguait de tout : coqueluche, bronchite, asthme.

6Quelquefois, un nouveau-né, que la mère, les seins vides, essayait de calmer en le berçant, vagissait tellement qu’elle était obligée de sortir malgré le froid.

7S’il faisait froid dehors, il faisait vraiment trop chaud dedans. De plus, une odeur, véritablement infecte, exhalée par tout ce monde, viciait l’air. Une femme incommodée se trouva mal ; on s’empressa autour d’elle. Pour la remettre, le sergent la mit dehors ; il gelait.

8À l’appel de son nom, une vieille femme qui cuisait près du poële, depuis plus de trois heures, se leva difficilement. Soutenue, elle marcha péniblement vers la caisse. Elle était horriblement vieille, cette pauvre femme. Une de celles qui la soutenaient, qui demeurait dans la même maison qu’elle, avait dit qu’elle avait quatre-vingt-deux ans et qu’elle était toute seule, ses enfants étant morts. Dans ses mains tremblantes, elle tenait deux cartes que le caissier lui prit brutalement, sans égards pour son grand âge. C’était, l’une un « secours mensuel », l’autre un « secours de vieillesse » de dix francs.

9Comme elle ne savait pas écrire, elle avait pris l’habitude de faire signer ses cartes par la concierge de sa maison. Depuis des années qu’elle faisait comme cela, on ne lui avait jamais rien dit. D’ailleurs, elle n’était pas la seule… Autrement, il aurait fallu qu’elle fasse une croix et qu’elle trouve deux témoins.

10Le monstre à binocles qui remplissait les fonctions de caissier ce jour-là trouva à redire.

11– Qui donc a signé ces cartes-là ? dit-il.

12La vieille parut trembler davantage.

13– C’est sa concierge, dit la voisine, elle ne sait pas écrire… Elle ne peut pas parler, non plus… sa langue est paralysée…

14– En voilà des manières, s’écria le monstre en question. Je ne peux pas vous payer dans ces conditions-là ! Si encore il n’y avait que le « secours mensuel » je pourrais peut-être vous le payer, mais un secours aussi important que le « secours de vieillesse »… je ne le peux pas !… Ça vous apprendra… vieille bête.

15Il y eut quelques murmures d’indignation dans la salle, mais le « gardien de la paix », véritable brute, bouscula quelques vieillards inoffensifs et tremblants et le silence pesa de nouveau.

16C’était grand’pitié de voir cette pauvre vieille qui cherchait dans sa vieille tête des excuses qu’elle ne pouvait pas prononcer.

17Voici trois francs, dit la bête féroce derrière son grillage, foutez-moi la paix !

18Elle les prit, mais son désespoir fit peine à voir. Elle sanglotait…

19Le sergot la mit dehors.

Auteur

Auteur inconnu, a publié aussi dans l’Almanach de la chanson du peuple (1907).

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