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Émile Zola au pays de l'Anarchie

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Vittorio Frigerio

Articles consacrés à Zola

« Devant un cercueil », Les Temps nouveaux, no 24, du 1er au 17 octobre 1902

André Girard

Texte intégral

1Tout ce qui pense, tout ce qui vibre a tenu, dimanche, à manifester sa sympathie à l’honnête homme, au loyal écrivain qui vient si brusquement de nous être enlevé. Nous aussi, bien que peu portés vers les cabotinages et processionnels cortèges, nous fûmes heureux de nous joindre à cette foule dont Zola fut le chantre épique, car il sut la comprendre et l’aimer.

2Nous avons voulu l’accompagner jusqu’à la tombe parce qu’il fut vraiment un des nôtres. Non point qu’en ses œuvres il se soit efforcé de propager l’Anarchie et d’en hâter l’avènement, en en peignant spécialement la beauté ; même ses anarchistes sont quelque peu romanesques. Il fut des nôtres parce qu’il fut un sincère et un fervent de vérité. Sa scrupuleuse recherche du vrai, sa bonne foi consciencieuse firent de lui un des nôtres parce qu’elles l’amenèrent à agir en anarchiste.

3Comme nous, il fut aux prises avec cette foule qu’il voulait éclairer et qui répondait à ses efforts par des vociférations de cannibales. Il connut, comme nous, la calomnie, les avanies lâches, les huées abjectes. Comme tout apôtre populaire, il fut décrété ennemi du peuple.

4Toute sa vie fut, en effet, un apostolat pour la vérité, vérité qu’il conçut diversement au cours de son évolution intellectuelle, mais dont il fit toujours le but vers lequel s’orienta son effort.

5Il la conçut d’abord, cette vérité, dans la description exacte et scrupuleuse de l’activité humaine étudiée en son milieu. Son souci fut alors d’en faire « l’histoire naturelle » et de léguer à la postérité des documents humains sur son époque.

6On lui reprocha de rechercher l’ordure et on le taxa d’immoralité. Quelle erreur ! Un tel reproche dénote une méconnaissance totale de l’écrivain probe, consciencieux et intègre que fut Zola. Le romantisme, avec ses personnages tout d’imagination, ses sentiments tout de convention, lui répugnait comme un mensonge. Il voulut réagir et chanter la Vie, toute la Vie telle qu’elle se montre, estimant qu’il n’est en elle-même ni laideur, ni immoralité, et que si des vices la déparent ou l’enlaidissent, ceux-ci doivent être hardiment dénoncés et cloués au pilori pour l’édification de l’humanité. Les romans même les plus « orduriers » de Zola sont d’une moralité profonde ; c’est toujours sous les couleurs les plus noires, les plus répulsives qu’il nous décrit la déchéance humaine, conséquence fatale et méritée de la méconnaissance ou de la violation des lois sacrées de la Vie. Telle est la moralité fondamentale, essentielle qui se dégage de toutes les œuvres de Zola. Arracher publiquement, au vu de tous, le masque de l’hypocrisie dont s’affuble le vice, dénoncer sans peur le mensonge partout où il se glisse sous les apparences les plus honnêtes, voilà quel fut l’apostolat auquel il consacra sa vie entière. Le Zola de J’accuse est à cet égard le même que le Zola de Pot-Bouille et de Nana.

7Quelle preuve plus convaincante peut-on donner de cette sincérité que l’évolution même de son génie ? Chef d’école honoré, parvenu à la fortune, aux honneurs, il eût pu, comme tant d’autres, comme presque tous les autres, s’immobiliser dans sa formule, se cantonner dans l’exploitation du même terrain si productif.

8Non ! Des questions sociales, des questions humaines se posaient autour de lui. Des hommes s’agitaient, luttaient, sacrifiaient même leur vie pour en amener la solution. L’apôtre fervent de justice et de vérité ne pouvait demeurer indifférent à cette bataille. Il comprend qu’il ne suffit plus d’étudier l’homme dans le va-et-vient de ses occupations privées, mais qu’il importe désormais de le dépeindre en pleine lutte pour la vie, au milieu de la tourmente sociale. Et alors, il nous donne successivement les romans sociaux : Germinal, La Terre, Paris, Fécondité, Travail, où, non content de poser les problèmes humains qui se formulent autour de lui, il s’attache à les élucider, et il en poursuit la solution toujours dans le sens le plus favorable à l’épanouissement de la Vie.

9C’est par là qu’il nous appartient, car, comme nous, il eut le culte de la Vie. Comme nous, il la proclama belle, affirmant que si des laideurs semblent la déparer, seules l’enlaidissent la sottise et la perversité humaines. Aussi, comme nous encore, avait-il foi en la science pour venir à bout de la sottise et de la perversité, et rendre à la vie toute sa splendeur.

10Telles sont les pensées qui nous agitaient dimanche lorsque sur ce cercueil nous disposions, suprême adieu, l’humble fleur rouge pour l’occasion arborée comme un emblème. Et une angoisse douloureuse nous étreignait à la pensée qu’elle serait désormais muette, cette voix qui avait jeté par le monde ces trois cris à jamais immortels : Germinal, J’accuse ! et Travail, et qui venait de s’éteindre en exhalant encore ce dernier, symbole de toute sa vie : Vérité.

Auteur

Né le 23 mars 1860 à Bordeaux, mort le 8 avril 1942. Militant anarchiste et syndicaliste. Employé à la préfecture de Police, il perd son poste lorsqu’on s’aperçoit de sa collaboration aux Temps nouveaux de Jean Grave. Auteur fécond ayant à son actif de nombreuses brochures, il collabore aussi au journal de Sébastien Faure, Ce qu’il faut dire, avant de devenir rédacteur de L’Avenir international, de 1918 à 1920.

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