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Le Nu moderne au salon (1799-1853)

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Dominique Massonnaud

Salon de 1845

Texte intégral

  • 1 Cléopâtre se donnant la mort, la toile de très grandes dimensions fut ensuite détruite par Chassér (...)
  • 2 Le titre qui figure au livret est « Ali Ben-Hamet, Khalifat de Constantine, chef des haractas, sui (...)
  • 3 La remarque est présente dans le Salon de 1845 de Baudelaire, ainsi que dans le compte rendu de Th (...)
  • 4 À la différence de Baudelaire, qui affirme « cette peinture africaine est plus froide qu’une belle (...)
  • 5 La toile de 4,89 m sur 2,39 m, figure toujours au musée de Versailles.
  • 6 Champfleury, « Salon de 1846 », paru dans Le Corsaire-Satan. Le compte rendu a été réédité avec de (...)
  • 7 Champfleury, ibid., p. 106.
  • 8 Son éloge dans le compte rendu du Salon par Baudelaire est l’occasion du développement à propos de (...)
  • 9 Statue de marbre, musée de Grenoble.
  • 10 Cette question est récurrente dans les commentaires de La Baigneuse de Courbet, lors de sa premièr (...)

1Avant l’ouverture du Salon, au musée Royal, le 15 mars, le jury refuse certains des tableaux d’Eugène Delacroix, de Paul Huet, Chassériau1 ou Riesener. Delacroix présente cependant quatre peintures, dont le Sultan du Maroc sortant de son jardin2 exposé dans le Salon carré, ainsi que La Mort de Marc-Aurèle. Une Sybille à mi-corps est exposée dans la galerie, ainsi qu’une tête de Madeleine. Chassériau, expose Le Khalife de Constantine, auquel on reproche3 une imitation néfaste de l’art de Delacroix. Decamps propose Samson renversant les colonnes du temple. Cependant l’exposition met en avant les productions d’Horace Vernet4, qui occupe six pages dans le livret officiel. La Prise de la smala d’Abd el-Kader est particulièrement remarquable par ses grandes dimensions5, la toile fait « courir au Louvre, Paris et la banlieue »6. En revanche, Meissonier présente de petits formats avec un Jeune homme assis et regardant des dessins, un Corps de Garde et une Partie de Piquet. Robert Fleury expose un Auto-dafé, une étude de Femme nue, et un Marino Faliero. La toile Acis et Galatée de Glaize est remarquée : elle connaît en effet « un certain succès de nudité » comme le rappellera Champfleury l’année suivante7. Pour la peinture à sujet religieux, Riesener présente une Nativité de la Vierge. Boulanger et Leleux exposent des Baigneuses. Voillemot fait ses débuts, il est un élève de Drolling, rangé dans les coloristes. Baudelaire remarque Haussoullier pour La Fontaine de jouvence. Dans le domaine des paysages, Huet est présent, ainsi que Troyon, remarqué avec Vue prise à Fontainebleau et Vue prise à Caudebec. Corot8 expose des paysages, ainsi que Homère et les bergers, et un Daphnis et Chloé. En sculpture, la Phryné de Pradier9 pose aux critiques la question de la lecture du moment représenté10 : s’habille-t-elle, ou est-elle en train de se dévêtir ?

2CALONNE, A. de, « Salon de 1845 », La Sylphide, repris dans Le Voleur, Gazette des journaux français et étrangers, Paris, 1845. [BNF Tolbiac, Z-5429,1845]

CALONNE, Adolphe-Bernard, vicomte de (1818-1902). Après des études de droit, il fait ses débuts dans le journalisme par des articles sur des sujets d’archéologie et des critiques d’art. Il défend le point de vue légitimiste entre 1848 et 1851 avec Villemessant et de Montépin dans des brochures de circonstances et des publications rapidement saisies : Le Lampion, La Bouche de fer. Sous l’Empire, il développe des travaux artistiques et littéraires, en particulier pour la Revue contemporaine, organe de la droite parlementaire qu’il rachète en 1855. Il en fait en 1859 la Revue européenne. Ses critiques parues dans Le Soleil lui valent d’être décoré de l’ordre de l’Aigle rouge par le roi de Prusse.

3Dans cette analyse, nous suivrons un ordre, l’ordre engendre la clarté. Au lieu de sautiller au hasard d’un genre à un autre, nous les prendrons tous successivement et à peu près dans leur ordre d’importance. Chacun y trouvera son profit ; ceux que les batailles intéressent pourront négliger tout le reste ; au contraire, pour qui les petites scènes de genre ont plus d’attrait enjamberont par-dessus les lignes de notre prose consacrées à la peinture religieuse et historique, et iront chercher à l’une de nos dernières pages les morceaux dont ils sont les plus friands (p. 312, no 19, 5 avril 1845).

4Dans son troisième compte rendu, (25 avril, no 21, p. 376) le salonnier reconnaît à Delacroix la vertu de « faire de la grande peinture d’histoire, quand même, et sans commande ; cette noble constance est digne d’un grand artiste ; elle fait l’éloge de son caractère ». Le sixième et dernier article (20 mai, no 28) achève le traitement des peintures de paysages et marines, puis traite de la sculpture.

5M. Pradier est un artiste dont nous admirons les qualités matérielles, l’habileté et la délicatesse du ciseau, mais nous ne pouvons en dire autant de ce qui constitue la partie intellectuelle de l’art. La Phryné est d’une exécution remarquable, les formes sont traitées avec une grande perfection, les draperies sont d’un grand style ; mais est-ce bien Phryné ? Non, ce n’est point là cette belle courtisane qu’un peuple entier, accouru sur le rivage pour l’admirer, saluait du nom de Vénus à son sortir du bain. Phryné ne devait avoir ni le sein flasque, ni les formes d’une mère qui a déjà donné des enfants à la patrie. Inférieur à M. Pradier dans l’exécution matérielle, M. Garraud le passe de cent coudées sous le point de vue intellectuel. Sans doute, son Adam a des formes lourdes et les membres un peu courts ; mais quelle pensée dans l’affaissement du premier homme, et comme son Ève, malgré sa nature un peu massive, est bien cette femme que Dieu a donnée à l’homme pour le soutenir et le consoler de son amour au milieu des douleurs de la vie ! (p. 461-462).

6THORÉ, « Salon de 1845 », Salons de 1844, 1845, 1846, 1847, 1848, Paris, Librairie internationale, chez Lacroix et Verboeckhoven, 1868. Précédé d’une Préface signée de W. Bürger.

7Le Salon est précédé d’un texte qui fait l’éloge de Béranger. Le premier compte rendu présente « les premières impressions » lors de l’ouverture, le 15 mars.

8Au temps où Diderot écrivait ses charmants Salons, vers la fin de Louis XV, il se trouvait encore deux écoles, dont l’une allait bientôt mourir avec Boucher, dont l’autre commençait à vivre avec Vien, Peyron et les précurseurs de Louis David. Aujourd’hui, après avoir vu mourir à notre tour l’école héroïque de l’Empire, après avoir vu naître au moins deux écoles, celle de Géricault et d’Eugène Delacroix, et celle de M. Ingres, nous trouvons la peinture française sans système, et sans direction, abandonnée à la fantaisie individuelle. Ce n’est pas un mal assurément, puisque l’originalité est la première condition de l’art.

9Voyez la variété infinie du Salon de 1845 ; cherchez à grouper logiquement tous ces tableaux dans quelques catégories qui permettent une critique un peu étendue. Impossible. Le choix des sujets, la mise en scène, la tournure des personnages, le dessin, la couleur, tout diffère de l’un à l’autre. Parmi les mille exposants, il n’y en a pas six qui soient réunis dans un même principe, dans un même désir, ou dans une pratique analogue. Quelle diversité ! Prenez les peintres éminents à qui le succès du Salon est réservé : Decamps, Delacroix, Horace Vernet, Henry Scheffer, Meissonier, Diaz, MM. Leleux, Isabey, Papety, Brascassat, Robert Fleury. Ceux-ci sont admirés de la foule, ceux-là des artistes. Ici le sujet dramatique ou ingénieusement présenté déterminera l’approbation vulgaire ; là, c’est la poésie, ou le style, la naïveté ou la grâce, ou la puissance de l’exécution, qui mériteront l’estime des connaisseurs difficiles. Ici et là, les qualités sont absolument différentes, et recommandables à des titres presque opposés. […]

10Le Salon de 1845 sera donc fort amusant pour les artistes, pour les critiques et pour le public. (p. 168-170)

11Le troisième compte rendu est uniquement consacré à Delacroix, afin « d’expliquer une bonne fois au public pourquoi Delacroix est un grand peintre ». Dans le cinquième article, on peut lire de brefs commentaires sur des Baigneuses.

12Les Baigneuses de Louis Boulanger, ont un aspect mythologique très séduisant. Leurs formes rondes et voluptueuses, leur peau veloutée, toute cette beauté épanouie exigeait un talent de coloriste qui préoccupe sans cesse M. Boulanger.

13M. Armand Leleux a peint aussi des Baigneuses. Ce sont de fortes montagnardes de la Forêt-Noire, trempant leurs pieds dans un gai ruisseau, ombragé d’arbres élégants qui s’élèvent comme les colonnettes de l’architecture arabe. Ces belles filles de la forêt ont une désinvolture aisée et superbe qui fait penser aux italiennes de Léopold Robert. Cette analogie n’est pas si éloignée qu’on pourrait le penser à première comparaison. Tous deux pressent leurs types dans une race plébéienne très originale, dont ils savent exprimer l’élégance et la beauté ; tous deux ont une pratique sobre et caractérisée. On reconnaît facilement entre tous les autres un tableau de M. Leleux, et c’est bien, le meilleur signe d’un talent distingué (p. 161-162).

14Le huitième compte rendu est consacré à la sculpture et à la gravure, il débute par un éloge de Pradier, alors que Thoré a pu se montrer, en d’autres occasions, sévère pour le sculpteur.

15La Phryné de Pradier est très belle. Il a sculpté admirablement la forme qui convient à la maîtresse de Praxitèle, à ce beau modèle qui séduisit les juges grecs quand sa robe fut entrouverte, comme un argument irrésistible, par son avocat. Ce n’est pas la femme, mère, épouse ou amante, c’est la courtisane antique. On n’est pas plus grec que cela. Le caractère et l’expression de la forme, dans l’ensemble, comme dans le détail, tout est de la courtisane. C’est la beauté purement plastique et la volupté comme l’entendaient les anciens, qui ne s’inquiétaient pas de l’âme de la femme, mais de la tournure des lignes et de l’expression du contour. Si c’était la femme destinée à être mère, il lui faudrait plus d’ampleur dans les flancs, plus de tendresse dans l’ondulation de la taille. Si c’était la femme compagne de l’homme et solidaire de son existence, comme l’imagine la moralité moderne, il lui faudrait moins d’orgueil dans la pose et plus de sentiment dans la tête. Mais c’est la femme antique, c’est la fleur de la beauté destinée à charmer les banquets par son élégance et son parfum. Sa taille est d’un seul jet, comme la pousse d’un palmier sauvage ; ses reins se cambrent avec la souplesse du serpent ; ses flancs sont fermes et serrés comme ceux d’une tigresse ; les attaches sont fines et mobiles, comme dans toutes les belles races. Oh ! Les charmantes mains pour passer la coupe ciselée ! Oh ! Les beaux pieds pour reposer sur un semis de fleurs ! Il y a un feu secret dans ces formes correctes et sévères. Le mouvement du bras droit, retroussé au-dessus de la tête pour soutenir par-derrière le pan d’une draperie flottante, file une ligne élégante qui caresse toute la hauteur de la statue, depuis la jambe, jusqu’au coude. Cette beauté-là vaut bien la beauté austère et voilée du Moyen Âge, la beauté un peu tourmentée de la Renaissance, la beauté coquette du dix-huitième siècle, la beauté passionnée de notre temps (p. 190-191).

  • 11 Etex avait présenté au Salon de 1841 une maquette qui figurait son projet pour un monument à place (...)

16Le groupe de Héro et Léandre, par Etex11, aurait pu être repoussé du Salon par respect pour les mœurs. Il est impossible d’imaginer rien de plus mal avisé et de plus indécent à la fois. Tous les passants jettent quelque parole ironique ou leste à ce couple ridicule. Héro et Léandre sont nus tous deux, et, debout face à face, pied à pied, à six pouces de distance. Que font-ils et que vont-ils faire, ainsi plantés ? On a peine à comprendre que, durant les longueurs de l’exécution en marbre, il ne se soit pas rencontré un ami du statuaire qui l’ait décidé à briser son modèle et à recommencer. Mais à quoi bon recommencer ? (p. 193).

Notes

1 Cléopâtre se donnant la mort, la toile de très grandes dimensions fut ensuite détruite par Chassériau, il en demeure un fragment au musée des Beaux-Arts, Marseille. Paul Mantz et Gautier protestent contre ce rejet. Voir P. Mantz, « Le Jury », L’Artiste, 16 mars 1845, p. 63 et T. Gautier, « Salon de 1845 », La Presse, 18 mars 1845.

2 Le titre qui figure au livret est « Ali Ben-Hamet, Khalifat de Constantine, chef des haractas, suivi de son escorte », la toile (3,25 m sur 21,59 m) est au musée du Château, Versailles.

3 La remarque est présente dans le Salon de 1845 de Baudelaire, ainsi que dans le compte rendu de Thoré, et celui de Delécluze. (Voir : T. Thoré, « Salon de 1845 », Salons de 1844, 1845, 1846, 1847, 1848, p. 121 ; É.-J. Delécluze, « Salon de 1845 », Le Journal des débats, 22 mars 1845 ; Baudelaire, Critique d’art, p. 27.)

4 À la différence de Baudelaire, qui affirme « cette peinture africaine est plus froide qu’une belle journée d’hiver – tout y est d’une blancheur et d’une clarté désespérantes. L’unité, nulle ; mais une foule de petites anecdotes intéressantes – un vaste panorama de cabaret », ibid., p. 17.

5 La toile de 4,89 m sur 2,39 m, figure toujours au musée de Versailles.

6 Champfleury, « Salon de 1846 », paru dans Le Corsaire-Satan. Le compte rendu a été réédité avec des variantes dans Œuvres posthumes, Salons 1846-1851, introduction par J. Troubat, Paris, 1894, p. 3-82. Il est disponible dans Champfleury, Son regard et celui de Baudelaire, anthologie de textes critiques réunis par G. et J. Lacambre, avec un texte de C. Pichois, p. 98 pour la présente citation.

7 Champfleury, ibid., p. 106.

8 Son éloge dans le compte rendu du Salon par Baudelaire est l’occasion du développement à propos de la « grande différence entre un morceau fait et un morceau fini… », ibid., p. 49-50.

9 Statue de marbre, musée de Grenoble.

10 Cette question est récurrente dans les commentaires de La Baigneuse de Courbet, lors de sa première exposition au Salon de 1853. Voir ci-dessous.

11 Etex avait présenté au Salon de 1841 une maquette qui figurait son projet pour un monument à placer sur la tombe de Géricault.

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