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    Plan détaillé Texte intégral La place de l’éthique dans les synthèses : approche comparative et quantitative Approche qualitative Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Questionnement des valeurs dans les manuels de français

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    La dimension morale et civique dans les synthèses de chapitre

    Yoann Daumet

    p. 97-114

    Texte intégral La place de l’éthique dans les synthèses : approche comparative et quantitative Approche qualitative Les trois approches de l’éthique repérées dans le corpus L’approche formelle-descriptive : des cartes mentales à distance du texte L’approche interpellative-critique : des questions à l’horizon du texte L’approche éducative-humaniste : des écrits de synthèse dans le mouvement de la lecture Former un lecteur éthique dans une synthèse de manuel : une voie possible Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Une synthèse de chapitre a pour fonction principale de fixer les acquis d’une séquence didactique. Elle favorise la conscientisation et la mémorisation d’un nouvel état des savoirs dans une visée cumulative et curriculaire. À travers ces synthèses, les auteurs de manuels ont la tâche de déterminer a priori un “bilan de lecture” qui ne peut, comme en classe, être dégagé de la dynamique interprétative singulière d’une communauté de lecteurs réels. Ils ont donc à assumer la responsabilité didactique et éducative du sens à donner à l’enseignement des œuvres littéraires : selon eux, qu’importe-t-il de retenir des lectures proposées ?

    2Nous nous intéressons à ces choix en avançant l’hypothèse qu’ils sont révélateurs, au-delà des particularités des contributeurs ou des circonstances éditoriales, de processus de sédimentations fondés sur des conceptions de la littérature et de sa portée éthique. Le fait que, par ailleurs, ces manuels soient toujours, dans les pratiques, utilisés à travers différentes modalités appropriatives n’enlève pas ce caractère révélateur. En effet, comme le rappelle Brigitte Louichon :« “La forme manuel” […] informe la culture des enseignants, la structure des séances, les documents personnalisés donnés aux élèves, voire les documents produits par les élèves. » (2016, p. 109) Or, nous aurons à voir combien, s’agissant des synthèses qui nous intéressent ici, la question de la forme engage le contenu éthique. Une synthèse rédigée, le choix d’un mode énonciatif, une liste de questions, ou encore une carte mentale pourront traduire des orientations de fond divergentes. L’influence formelle des manuels n’est donc pas anodine sur les pratiques des enseignants et des élèves. L’écriture des synthèses devient un geste fort qu’il sera important d’étudier.

    3La première question à laquelle nous soumettrons le corpus est celle de la place quantitative des préoccupations éthiques dans ces « essentiels » de fin de chapitre. Quelle proportion leur réserve-t-on à côté des savoirs sémiotiques, génériques ou historiques réputés, peut-être, plus littéraires ? L’orientation axiologique des programmes de 2015 trouve-t-elle sa traduction dans ces bilans de lecture ?

    4Dans une approche plus qualitative, nous proposerons ensuite un essai de typologie des orientations repérées dans le corpus dans la mise en œuvre de l’approche éthique des textes littéraires telle qu’elle se donne à connaître dans les synthèses. Quelles conceptions de l’éthique, de la littérature et de la lecture des textes littéraires portent-elles ? À quelles postures de lecteur correspondent-elles ? Quelle connaissance morale les auteurs de manuels retiennent-ils pour ces bilans de lecture ?

    La place de l’éthique dans les synthèses : approche comparative et quantitative

    5Nos analyses portent pour ce chapitre sur l’ensemble des synthèses de fin de chapitre dans les manuels de 6e et de 3e des six collections retenues. Ces niveaux de classe correspondent non seulement à la première et dernière année du collège, mais également aux termes des cycles 3 et 4, donc à des moments charnières de la scolarité obligatoire en France.

    6Passant au crible l’ensemble des synthèses, nous avons cherché à repérer la présence de thèmes éthiques. Ce repérage s’appuie sur une définition de l’éthique que nous proposons :

    Le champ de l’éthique peut être défini comme l’ensemble des problèmes que nous pose l’existence dans ses dimensions affective, morale, civique-politique et philosophique.

    7Cette définition entend rendre compte de l’extension contemporaine large du concept. Elle nous semble permettre d’énoncer clairement, donc de manière opératoire, ce que peut être l’éthique en s’articulant autour de trois éléments essentiels au concept : le caractère problématique, le lien existentiel qui nous relie à ce questionnement, et enfin la pluridimensionnalité qui permet notamment de dépasser la réduction moralisatrice d’une interrogation sur le Bien et le Mal.

    8Nous avons retenu trois niveaux graduels de présence de thèmes éthiques : absence, présence mineure, présence dominante. Cette évaluation a été mise en œuvre dans une logique quantitative : lorsque les phrases ou items éthiques occupent moins de la moitié du texte, l’on attribue un caractère mineur à la présence de l’éthique ; en revanche lorsqu’ils dépassent la moitié du texte, on reconnaît à celle-ci un caractère dominant.

    9Le repérage des thèmes éthiques a été conduit essentiellement par repérage de « maîtres-mots » comme les nomme Jean-Claude Guerrini (2019). Pour expliciter cette démarche, nous reproduisons quelques exemples d’occurrences retenues (voir tableau 13).

    Tableau 13. Repérage des thèmes éthiques

    Dimension affectiveL’expression de sentiments personnels à dimension universelle : l’amour, l’admiration, la douleur, etc. (B 3e, p. 238)
    Dimension moraleL’auteur avertit le lecteur d’un danger lié à un mauvais comportement. Le récit montre un héros (ou une héroïne) qui se laisse entraîner à mal agir et qui en est puni(e). (Rob 6e, p. 27)
    Dimension civique-politiqueLes poèmes de 1870-1871 font aussi éclater l’indignation de Rimbaud dans une poésie résolument engagée, contre le Second Empire de Napoléon III et la violence des guerres franco-prussiennes ; contre la misère sociale des plus pauvres. Le poète doit s’engager dans la société. (M 3e, p. 151)
    Dimension philosophique/métaphysique[Les mythes] donnent des explications sur le monde, son aspect, ses origines. Chaque civilisation a créé ses mythes. (Rob 6e, p. 134)
    Le romancier devient alors un explorateur de l’humanité et se donne pour but de découvrir de nouvelles parcelles de l’existence jusqu’alors ignorées. Il s’interroge sur des questions philosophiques […]. (N 3e, p. 109)

    10En appliquant cette méthodologie, l’on obtient de premiers résultats significatifs qui manifestent des choix contrastés entre les différentes collections (voir tableau 14).

    Tableau 14. Tableau comparatif de la présence de thèmes éthiques

    ManuelsNombre de synthèsesSynthèses sans élément relevant de l’éthique [%]Synthèses avec présence éthique mineure [%]Synthèses avec présence éthique dominante [%]
    6e
    B 6e1108218
    Hat 6e10208020
    Rob 6e37382937
    N 6e1003070
    Hac 6e702971
    M 6e1201684
    3e
    B 3e1105446
    Hat 3e1104555
    Hac 3e701486
    Rob 3e1001090
    N 3e800100
    M 3e1400100

    11Un premier constat s’impose : la dimension éthique de la lecture littéraire est globalement très présente dans les synthèses de manuel. Des synthèses sans occurrences éthiques sont très rares, repérées exclusivement en 6e dans deux éditions sur six. Encore doit-on relativiser ces exceptions : la collection Rob fait le choix d’un grand nombre de synthèses très brèves (37 alors que la moyenne se situe autour de 11 chez les autres éditeurs) souvent consacrées à un seul aspect divisant les éléments à retenir en plusieurs sections autonomes. Cette segmentation crée donc un peu artificiellement ce résultat statistique. En réalité, ce manuel propose pour chaque thématique abordée des conclusions relevant du champ éthique. Il ne reste, par conséquent, que la collection Hat qui, parfois (1 synthèse sur 5 seulement), exclut le questionnement axiologique en 6e. Nous pouvons donc aller plus loin dans ce constat général : les manuels abordent systématiquement, ou presque, au moins une des dimensions du champ de l’éthique dans les bilans de lecture.

    12Mais cette tendance largement partagée laisse entrevoir des disparités significatives, d’un niveau d’enseignement à l’autre ou d’une collection à l’autre, disparités visibles dès l’approche quantitative.

    13En effet, on observe d’abord une augmentation marquée de la prédominance éthique de la 6e à la 3e pour l’ensemble des collections. Elle peut s’expliquer par les contenus des programmes qui orientent la lecture en 3e vers des thématiques s’inscrivant fortement dans des préoccupations éthiques : la satire de la société, l’engagement, le questionnement du progrès scientifique, etc. L’âge des élèves autorise sans doute également une investigation des textes plus réflexive reliant ceux-ci à des enjeux moraux et sociopolitiques. La maturité des élèves semblerait donc un paramètre déterminant dans l’approche éthique des textes par les manuels.

    14Cette tendance commune aux différentes collections à différencier en fonction du niveau est particulièrement marquée par Rob qui passe de 37 % à 90 % de synthèses à dominante éthique, révélant un choix fort de la part des auteurs pouvant être compris comme un saut qualitatif très net dans l’orientation éditoriale entre 6e et 3e.

    15En revanche, d’autres collections (Hac, M), déjà très engagées en 6e dans la composante axiologique de la lecture, montrent nécessairement une augmentation plus modérée et affichent davantage de continuité, peut-être d’engagement, dans la place réservée aux enjeux éthiques, cette place étant faiblement dépendante de l’âge des élèves ou du contenu des programmes. Enfin, nous pouvons retenir de cette approche quantitative un contraste significatif dans le nombre de synthèses à dominante éthique en fonction des collections dessinant des orientations que devra confirmer et définir l’analyse qualitative. Trois collections se dégagent en effet pour leurs synthèses très majoritairement à dominante éthique : Hac, M et N (de 70 à 100 %). Le bilan de chapitre « Des sociétés imaginaires pour dénoncer les travers de la société » est tout à fait caractéristique de ce que nous considérons comme une synthèse à dominante éthique :

    Synthèse : Des sociétés imaginaires pour dénoncer les travers de la société

    • Imaginer un mondé différent du nôtre ne signifie pas nécessairement qu’il n’y ait aucun rapport. Parfois, ce monde imaginaire permet justement de nous tendre un miroir, pour nous faire regarder notre propre société. La déformation et l’exagération, en amplifiant nos défauts, nous permettent de mieux en prendre conscience. La satire et l’ironie renforcent la critique grâce aux effets humoristiques.

    • On distingue deux grandes tendances dans la littérature et les arts :

    • Les sociétés inquiétantes :
      Le monde imaginé est pire que le nôtre, et nous montre comment peuvent évoluer les problèmes d’aujourd’hui. Fritz Lang (p. 72-73) et Orwell (p. 76-77) conçoivent des univers où nos plus grandes inquiétudes sont réalisées, comme une société fondée sur une inégalité de principe, ou bien avec une surveillance de masse, et Michaux (p. 74-75) imagine des peuples qui reprennent, en les exagérant, nos pires défauts.

    • Les sociétés idéales :
      Le monde imaginé est meilleur, et nous amène à concevoir des améliorations de notre mode de vie. Voltaire, Montesquieu et Paul Signac (p. 78-79) proposent des modèles de sociétés idéales, tandis que Rabelais (p. 80) nous invite à réfléchir aux moyens d’améliorer un aspect de la société.

    (M 3e, p. 81)

    16À l’opposé de cette tendance se distinguent les deux collections B et Hat en 6e, moins de 20 % des synthèses sont à dominante éthique ; en 3e, cette fréquence se situe autour de 50 %. Cela signifie que les enjeux éthiques qui n’en sont pas absents constituent un élément parmi d’autres des synthèses. Il en est ainsi, par exemple, dans une synthèse empruntée à un chapitre de 6e consacrée à la lecture de La Belle et la Bête où les « qualités morales » n’occupent qu’un encadré parmi d’autres, sans lien explicite avec le schéma actantiel ou les caractéristiques génériques du conte merveilleux (figure 9).

    Figure 9. Synthèse consacrée à la lecture de La Belle et la Bête

    D’après B 6e, p. 75

    Approche qualitative

    Les trois approches de l’éthique repérées dans le corpus

    17La lecture des synthèses permet de dégager trois manières différentes de faire place aux enjeux éthiques. Nous voudrions en proposer ici un essai de typologie. Chacune de ces manières est doublement caractérisée : par la forme retenue pour la synthèse et par une certaine compréhension du nouage possible entre le questionnement axiologique et les autres enjeux littéraires. Pour décrire et analyser ces trois approches, nous nous appuierons, dans un souci de clarté comparative, sur des exemples issus d’une même thématique traitée par les différentes collections et retenue ici pour son caractère emblématique : le questionnement du progrès scientifique en littérature en classe de 3e.

    L’approche formelle-descriptive : des cartes mentales à distance du texte

    18Deux collections du corpus, B et Hat, font le choix de proposer aux élèves des cartes mentales, reconnaissables aux encadrés thématiques multiples, à la brièveté synthétique des énoncés, aux liens logiques matérialisés par des marqueurs typographiques, à la mise en page non linéaire. On connaît la fortune pédagogique de ce format didactique interdisciplinaire, en particulier pour favoriser la compréhension et la mémorisation des savoirs. Il permet une visualisation synthétique – peu de place pour de nombreux items –, une certaine immédiateté dans l’appréhension globale d’une notion. Il suppose souvent une visée opérationnelle, pragmatique.

    19Tel qu’il se donne à voir à travers notre corpus, l’enseignement de la littérature semble utiliser ces cartes mentales dans une perspective assez formaliste visant l’identification et la description de genres littéraires.

    20Chez Hat 3e, les encadrés correspondent à autant de genres littéraires possibles pour porter des « interrogations sur le progrès scientifique » : « roman de science-fiction [qui] imagine les dérives de la science dans un futur plus ou moins lointain », « roman réaliste [qui] décrit avec précision des expériences scientifiques s’inspirant de techniques médicales réelles », « article de presse [qui] divulgue les avancées scientifiques du moment » (p. 245). Pour chacun d’eux, l’on précise dans un deuxième encadré les procédés qui leur sont propres : « emploi d’un vocabulaire péjoratif ou implicite » pour la science-fiction, « vocabulaire mélioratif et formes de phrase emphatiques » pour le roman réaliste, positionnement « neutre » et présentation des « thèses » avec « arguments » et « exemples » pour l’article. La démarche est d’inspiration technico-scientifique, il s’agit de décrire en démontant la mécanique spécifique de ces genres, dans le but de savoir ensuite produire selon ces normes. À ce titre, comme on le voit, la dimension éthique est un paramètre, une caractéristique des genres qui servent à « questionner le progrès ». La finalité morale, politique, philosophique du genre est reconnue comme le serait la versification pour la poésie, sans que son effet sur le lecteur, l’exercice de cette réflexivité propre au genre, ne semble, dans ces synthèses, relever de l’enseignement littéraire. La posture énonciative est celle de la distance du scientifique vis-à-vis de son objet d’étude, dans l’impersonnalité d’une 3e personne et d’un présent à valeur intemporelle. On énonce les lois d’un genre, non un processus, une dynamique, un questionnement. Il est question de texte, pas explicitement de lecture. L’éthique est une thématique des textes, non un geste de lecteur constituant un acquis, un certain savoir susceptible de trouver sa place dans une synthèse de fin de chapitre.

    21Plus resserrée sur le genre de la science-fiction, la synthèse de la collection B 3e reconnaît à celle-ci des « enjeux » et cite quant à elle « le lecteur » dans un encadré (p. 264) :

    Le récit de science-fiction projette le lecteur dans un futur qui pourrait devenir réalité : le monde fictif amène le lecteur à réfléchir aux conséquences imaginables des évolutions technologiques et à questionner le devenir de l’homme. Il a souvent une visée argumentative. Face à l’accélération de ce progrès aux xxe et xxie siècles, les récits de science-fiction peuvent nous paraître troublants, au point de devenir des miroirs de notre réalité.

    22Les textes semblent désormais envisagés dans leurs effets sur le lecteur en associant la sphère affective au réflexif (« troublants » ; « amène […] à réfléchir »). Ils semblent échapper explicitement à l’autoréférentialité pour « devenir miroirs de notre réalité » avec un appel au « nous » d’une communauté de lecteurs. Le questionnement axiologique deviendrait une composante de la lecture.

    23Néanmoins, l’approche dominante résiste ensuite à cette ouverture éthique en continuant à analyser le genre « science-fiction » par celui de ses « ingrédients », terme qui comme dans le premier exemple a pour conséquence de segmenter, parcelliser, neutraliser peut-être aussi la portée des textes en une liste nivelant toutes les entrées. D’ailleurs, les auteurs reprennent, après un premier encadré au ton plus personnel, un discours distancié proche de la démarche observée chez Hat. En outre, les évocations des questionnements éthiques sont certes présentes, mais ne sont pas précisées suffisamment pour constituer une problématique. Si « la question de l’avenir de l’homme est posée », si des « hypothèses sur le devenir de l’homme » seraient proposées par les récits de science-fiction, l’on ne retient cependant pas, dans le cadre de la synthèse, le contenu de ce questionnement sur l’avenir de l’homme. Comme chez Hat, celui-ci est considéré comme un aspect formel du genre, indépendamment de son contenu et de son interprétation. L’explicitation de cette réflexion éthique, la participation à celle-ci sembleraient donc extérieures à l’approche littéraire. Ainsi s’intéresse-t-on aux « miroirs de notre réalité » comme un attribut formel du genre science-fiction, davantage que pour se servir de ces miroirs pour comprendre, ou même interroger « notre » réalité. Les auteurs semblent respecter une conscience très claire des limites de l’approche littéraire, limites qu’ils semblent fixer à la compréhension formelle de la dimension éthique.

    24Les deux collections inscrites dans l’approche formelle-descriptive manifestent en ce sens une grande unité épistémologique : le manuel de littérature identifie, classe, décrit des genres littéraires d’un point de vue extérieur, distancié et impersonnel. Les disciplines connexes et leurs méthodologies sont absentes. Les textes littéraires abordent des thèmes éthiques, les genres littéraires peuvent être définis par certains d’entre eux, mais l’activité éthique en elle-même, comme les effets qu’elle pourrait avoir notamment sous la forme d’éventuelles connaissances (Bouveresse, 2008), ne sont pas retenus dans les synthèses.

    L’approche interpellative-critique : des questions à l’horizon du texte

    25À l’inverse de l’approche précédente, l’approche interpellative-critique entend solliciter l’élève dans la réflexion axiologique. Le choix sera ici de proposer des synthèses sous la forme de questionnaires : l’élève a pour tâche de « rédiger [son] bilan », de répondre à la question « Qu’avons-nous compris ? ».

    26Dans l’ouvrage Hac 3e, l’on accorde une large place à la réflexion individuelle, à l’élaboration par soi-même d’une définition de la science-fiction comme en témoignent ces consignes (p. 273) :

    Donnez oralement ou au brouillon votre définition de la science-fiction.

    Les définitions ci-dessous s’appliquent-elles aux textes étudiés dans ce chapitre ? Laquelle vous semble la plus complète ? Justifiez.

    Réécrivez votre propre définition de la science-fiction en la complétant ou en l’affinant.

    Pour l’auteur de science-fiction V. Evangelisti, « seule la science-fiction présente des descriptions réalistes (ou, réalistes !) du monde où nous vivons ». […] Que pensez-vous de cette opinion ? Justifiez votre réponse en un paragraphe.

    27Quoique présente, la portée éthique de la science-fiction, et plus largement de la littérature, se trouve donc remise à la discrétion du lecteur guidé en cette voie par la proposition de citations d’auteurs qui, plus ou moins implicitement, ouvrent à l’interpellation éthique. Systématiquement, l’on demande à l’élève de justifier, d’argumenter et de donner sa définition ou ses opinions. Ce procédé est commun à l’ensemble des chapitres et des niveaux de classe. Il s’agit donc d’un choix fort de la part des auteurs, choix qui demande à être compris en particulier sur le plan de l’éthique.

    28À la différence de l’approche formelle-descriptive, la dimension éthique n’est pas ici limitée aux aspects formels, aspects d’ailleurs absents des synthèses. En revanche, elle est assimilée à un après-coup de la lecture, un au-delà du texte, comme son horizon. Elle requiert un regard critique qui, tout en s’enrichissant de citations de référence, appelle un investissement subjectif. Mais cette part subjective n’est pas à entendre ici comme une invitation à laisser place aux sentiments, aux émotions, aux valeurs du lecteur, mais plutôt à ses capacités de réflexion et d’argumentation. Il est moins question d’investissement subjectif au sens expérientiel que de construction d’une opinion réfléchie, d’un esprit critique.

    29Cette compréhension de l’éthique comme champ de l’opinion – et, donc, de la liberté de chacun – amène les auteurs à éviter tout paragraphe rédigé pouvant ouvrir à un quelconque substantialisme moral. Dans le domaine de l’éthique, les bilans de chapitre ne pourraient ainsi prendre qu’une forme interrogative ouverte, permettant au manuel de conserver une neutralité s’opposant à tout dogmatisme. On s’approcherait ici d’une éthique de la discussion. La principale morale à transmettre à travers l’enseignement de la littérature serait procédurale : définir, argumenter, justifier, respecter la diversité des opinions, penser à partir des autres.

    30Le seul contenu moral que l’on pourrait dégager de ces synthèses, et non des moindres, serait sceptique. Dans notre exemple sur le progrès scientifique, il s’agirait de se déshabituer du monde tel que nous le voyons à travers la science-fiction pour en repérer les dérives, se déshabituer des évidences, adopter une posture critique.

    31Après Hac, une autre collection semble s’inscrire dans une telle démarche. En effet, Rob propose également aux élèves des synthèses-questionnaires orientées sur le questionnement éthique. Le titre de la rubrique affiche néanmoins une ambition assez substantielle : « Ce que vous avez appris sur… les progrès et les rêves scientifiques » (Rob 3e, p. 278). On note ici l’absence de toute référence formelle ou même esthétique, contraste très fort avec Hat et B. La synthèse porte essentiellement sur l’interpellation suscitée par le contenu des œuvres littéraires, et très peu sur les moyens de cette interpellation. Le bilan comprend deux parties, un questionnaire de huit questions et une synthèse rédigée à compléter en replaçant des mots proposés (id.) :

    découvertes scientifiques ; éthiques ; roman d’anticipation ; science-fiction ; politiques ; paisible ; bonheur ; eugénisme ; utopiques ou dystopiques ; totalitaires ; philosophiques ; science ; technique.

    32Cette liste révèle une singularité, et place cette collection à la jonction entre l’approche interpellative-critique et celle que nous définirons plus loin, l’approche éducative-humaniste. Nous constatons en effet que cette collection est la première du corpus à ouvrir explicitement le champ littéraire à sa périphérie ou, plus exactement, aux zones partagées entre littérature, sciences humaines et philosophie avec notamment, la mention des enjeux « éthiques », « politiques » et « philosophiques ». Toutefois, le ton pour aborder ces questions, impersonnel et laissant peu de place à l’appropriation subjective et expérientielle du lecteur, reste proche de l’approche interpellative-critique, à l’instar de l’extrait suivant (id.) :

    Le roman d’anticipation constitue donc le genre privilégié pour interroger les pouvoirs et les limites des découvertes scientifiques comme celle qui concerne la découverte du sérum de l’immortalité dans Un grand secret ou l’eugénisme dans un Bonheur insoutenable.

    33On vise à susciter la réflexion des lecteurs et non, comme nous le verrons, à l’inviter à une aventure morale engageant l’ensemble de la personne. D’ailleurs, l’on pourrait s’interroger pour savoir si la démarche ne correspond pas ici à ce que Philippe Sabot (2009) nomme « l’arraisonnement du littéraire », c’est-à-dire une forme d’instrumentalisation de la littérature. En effet, la dimension esthétique – sensations ou affects générés, valeur artistique – est écartée des synthèses, comme si les textes étaient des supports de réflexion au détriment de l’étude de leurs qualités d’œuvres d’art ou de leur capacité à susciter le plaisir de lecture, y compris celui de ressentir des émotions a priori négatives. Les romans 1984 ou Fahrenheit 451 ne sont-ils pas aussi des romans d’amour malheureux, de subtiles constructions narratives, des chefs-d’œuvre métaphoriques, l’invention d’une langue, d’un certain type de vertige spatio-temporel ? Ne pourrait-on donc pas identifier ici un des écueils de l’approche éthique des textes littéraires : la secondarisation d’enjeux qui touchent à l’identité même du littéraire ?

    34L’approche éducative-humaniste permet-elle de lui échapper tout en laissant place aux enjeux éthiques ?

    L’approche éducative-humaniste : des écrits de synthèse dans le mouvement de la lecture

    35Les deux collections M et N ont pour premier point commun de proposer les synthèses les plus longues au sein du corpus1, elles se détachent même significativement des quatre autres sur ce plan. Nous savons déjà que ces synthèses sont dominées par les enjeux éthiques. Nous pouvons ainsi nous attendre à une approche axiologique assez substantielle à interroger et analyser. Cette approche nous paraît s’inscrire dans le large mouvement de redéfinition de la tradition des « Humanités » qui, comme l’on sait, reposait sur l’idée que l’étude des œuvres était la voie d’accès privilégiée à sa propre humanité, œuvres qui constituaient dès lors autant un patrimoine esthétique que moral.

    36Une telle ambition se manifeste d’abord chez M à travers les nombreuses références patrimoniales et mythologiques qui mettent en perspective historique et critique les interrogations contemporaines sur la science. Celles-ci sont d’emblée comprises non comme les seuls dangers contingents d’un certain progrès, ni simplement comme une caractéristique d’un genre appartenant à l’histoire littéraire moderne (de Shelley à Huxley), mais comme l’avatar contemporain d’un universel anthropologique : la place de l’homme dans la nature cherchant à « s’élever au rang des dieux », « [faisant] preuve d’hybris », devenant « démiurge » (M 3e, p. 228). Cette « tentation de démesure de la part de l’humanité » est alors définie comme un véritable « mythe littéraire » (id.). Dans cette expression de mythe littéraire, on repère le nouage du philosophique et du littéraire que nous annoncions et qui n’était pas présent dans les autres manuels.

    37Cette volonté d’interpréter le plus récent par le plus ancien, le plus proche par le plus lointain repose sur une conception humaniste de l’enseignement de la littérature : elle suppose une universalité du sens des œuvres, elle s’inscrit dans une relecture contemporaine de ce que l’on pourrait oser nommer une philosophia perennis. Prométhée, Icare, la tour de Babel, Frankenstein ne sont pas des épisodes d’une histoire sur laquelle l’on porterait un regard descriptif d’entomologiste, mais sont appelés ici pour constituer chez les élèves une culture morale, un répertoire éthique : des repères, des constructions symboliques légués par les générations passées que nous conservons, car ils nous permettent de mieux nous comprendre. La science elle-même est considérée sous cet angle culturel, au sens axiologique. Ses progrès échappent à une réduction techniciste : la synthèse fait alors la part belle aux liens entretenus entre « raisonnement scientifique et création littéraire » (M 3e, p. 243), entre raison et imagination. Une telle vision intégrée des facultés humaines, un tel refus de les segmenter artificiellement et radicalement, un tel souci de l’expérience désirante du connaître, marquent à leur tour cette approche humaniste que n’aurait pas désavouée Gaston Bachelard, l’auteur de L’air et les songes (1943) ou de L’eau et les rêves (1942). La page 243 du manuel M 3e est emblématique de cette conception :

    La littérature se nourrit des découvertes scientifiques contemporaines. Ainsi, la connaissance progressive de la Lune, époque après époque, est à l’origine d’un véritable mythe littéraire.

    Dès l’Antiquité, on s’intéresse à l’astronomie. Lucien de Samosate est le premier auteur à imaginer un voyage sur la Lune, où domine le merveilleux (les Sélénites, habitants de la Lune ; créatures hybrides…), plus que le souci d’exactitude scientifique.

    Le xvie siècle marque un renouveau dans l’étude de l’astronomie avec l’héliocentrisme. Cyrano de Bergerac imagine des voyages sur la Lune et sur le Soleil. Comme chez Lucien, dont il s’inspire, la Lune constitue une utopie qui permet de dénoncer les travers de la société. Pour autant, l’intérêt porté à la scientificité est plus grand et l’auteur associe merveilleux et quête scientifique.

    Le xxe siècle voit la science triompher du merveilleux avec de nouveaux progrès. Jules Verne donne une description très scientifique de la Lune et des techniques d’approche.

    En 1969, la réalité rejoint le rêve littéraire : pour la première fois, l’homme marche sur la Lune.

    38Devant cet extrait, l’on pourrait légitimement s’interroger, comme nous avons pu le faire pour Hac et Rob, sur la disparition apparente des considérations sémiotiques et esthétiques. Or, le choix de synthèses longues – sur trois pages en général pour M – permet de traiter l’ensemble des dimensions littéraires, en développant comme ici le rapport à la science sans négliger par ailleurs (page suivante) l’analyse de texte. Il semble que l’approche éthique nécessite ce choix éditorial exigeant.

    39Ces collections tentent de montrer que l’on peut donner un contenu moral à l’enseignement de la littérature tout en évitant l’édification moralisatrice. Pour y parvenir, elles semblent attentives à problématiser les synthèses proposées. Mais ce questionnement s’écarte de la prudente neutralité des questions ouvertes observées dans l’approche interpellative-critique, pour constituer ce que l’on pourrait nommer un questionnement substantiel, c’est-à-dire suffisamment explicite pour apprendre aux élèves à identifier, nommer les problèmes, pour prendre conscience des difficultés, des dangers. Ces synthèses tiennent un discours aux élèves, comme une parole éducative, comme dans cet extrait chez N 3e (p. 279) :

    Quelle société les manipulations génétiques, la diffusion du virtuel nous poussent-elles à construire ? Quelle place reste-t-il pour l’humain ? Les réponses que la science-fiction donne à ces questions sont pessimistes. Il s’agit en effet pour les auteurs d’alerter sur l’usage politique qui peut être fait de la science. Le progrès technologique, s’il est une avancée pour l’homme, est aussi un moyen de le contrôler, de le rentabiliser et, qui sait ?, de la faire disparaître au profit de la machine…

    40On remarque plusieurs indices formels du passage ici à un discours à finalité éducative : les questions en style direct, le « nous » collectif, l’incise « qui sait ? » empruntée à l’oralité, les trois points de suspension suggestifs comme un silence méditatif mis en scène en cette fin de synthèse. Le discours sort ici de l’impersonnalité pour proposer, peut-être, un style propre aux synthèses éthiques. Il cherche à créer une implication du lecteur, à le prendre dans la lecture. D’ailleurs, on aura noté également le recours à l’intentio auctoris, longtemps repoussoir de la théorie littéraire : l’idée que les textes littéraires puissent être portés par une intention, un message que l’interprétation pourrait avoir pour objectif d’expliciter trouve ici sa place dans la démarche éducative.

    41On peut préciser désormais en quoi peut consister le substantialisme éthique que nous annoncions. Ce court extrait porte à lui seul en effet un certain nombre de connaissances, comprises non comme certitudes dogmatiques, mais comme repères éthico-culturels, lieux communs au sens non péjoratif, outils pour la pensée morale et politique :

    • la science-fiction apporte des réponses pessimistes aux questions posées par le progrès scientifique ;

    • le virtuel porte le risque d’une déshumanisation ;

    • la responsabilité des dérives de la science est politique ;

    • les effets du progrès technologique (contrôle, rentabilité) sont moralement ambivalents ;

    • la technique peut être une menace pour l’homme.

    42Cette approche envisage l’éthique dans l’ensemble des dimensions affective, morale, politique et philosophique, mais laisse encore peu de place à l’appropriation subjective du lecteur, sans doute envisagé à travers l’abstraction universaliste du lecteur modèle, lui-même considéré en vue de parfaire un « honnête homme » du xxie siècle idéalisé et finalement désincarné.

    43La conception de la portée éthique des textes littéraires qui semble sous-tendre l’écriture des manuels ne semble pas, à travers ces exemples, aller aussi loin dans la focalisation sur la réception singulière des lecteurs, sur ses possibilités existentielles que pourraient le permettre aussi bien les théories du sujet-lecteur issues de la didactique de la littérature (Langlade et Rouxel, 2004), que des développements récents de la théorie littéraire reliant la littérature et « le sens de la vie » comme le propose Dominique Rabaté (2010) ou appelant, comme Marielle Macé, à une « pragmatique du rapport à soi » en associant « façons de lire » et « manières d’être » (2011). Mais est-ce possible dans une synthèse de manuel ? La forme manuel ne condamne-t-elle pas à ne pas, ou faiblement, prendre en compte le lecteur réel ?

    Former un lecteur éthique dans une synthèse de manuel : une voie possible

    44Cette prise en compte du lecteur réel semble pouvoir être identifiée dans une certaine manière d’accompagner explicitement l’apprenti lecteur, de lui transmettre non seulement des connaissances, éthiques ou non, sur les textes, mais de suggérer une conduite de lecteur. Certaines synthèses, surtout lorsque la thématique s’y prête, affichent cette volonté de s’intéresser à la posture face au texte.

    45La synthèse devient alors miroir cognitif du lecteur : elle consiste à expliciter l’activité mentale et interprétative possible du lecteur pour susciter celle-ci. Il s’agit pour les manuels d’une ruse pédagogique pour dépasser leur absence d’interactivité. Au fond, ils procèdent alors à une mise en abyme de la démarche de lecture littéraire qui, seule, libère de l’inertie le texte imprimé. Ainsi en est-il dans cet exemple de synthèse portant sur La Peste de Camus :

    Ce récit permet aux lecteurs de mener diverses réflexions :

    • Certains passages du texte les plongent dans l’horreur des fléaux du xxe siècle, dans une lecture historique.

    • D’autres les invitent à réfléchir avec les personnages : le fléau de la peste, dans une lecture symbolique […].

    • Les différentes manières de réagir à ces violences sont mises en évidence dans le roman. Ainsi, Rieux trouve-t-il des alliés pour affronter cette lutte sans espoir. […] Cette sympathie pour les autres et pour soi donne sens à leur vie.

    • Le lecteur comprend par conséquent quelles valeurs ou quels mots permettent au narrateur de survivre à cette situation ; il est libre de les partager ou pas. Ce questionnement philosophique est le troisième niveau de lecture de La Peste. (M 3e, p. 213)

    46Institutionnaliser ainsi des lectures possibles d’un roman, évoquer la liberté du lecteur face aux « valeurs » des personnages, insister autant sur l’activité éthique du lecteur sont des choix très forts et originaux de la collection M.

    47Il est intéressant de noter que ce sont les mêmes collections qui s’intéressent le plus aux conduites, au vouloir écrire2 (Barthes, 1973) des auteurs, que celles qui évoquent explicitement le lecteur. Une synthèse consacrée aux récits autobiographiques est à cet égard remarquable, l’orientation y est nettement psychologique. Une compréhension existentielle de la lecture et de l’écriture porte cette synthèse. On ne peut ici citer l’ensemble des trois pages qui, dans leur ensemble, illustrent une telle démarche. À titre d’exemple, nous transcrivons ce passage :

    Les raisons qui poussent un auteur à raconter sa vie sont diverses. On expose aux autres sa vie et son intimité pour, comme l’affirme Montaigne, laisser une trace à ses proches, mais aussi pour justifier sa vie aux yeux des autres, ce que fait Rousseau dans ses Confessions.

    L’autobiographie peut également avoir un but instructif. C’est ainsi que Simone de Beauvoir, dans les Mémoires d’une jeune fille rangée, s’appuie sur son expérience personnelle pour porter ses lecteurs à réfléchir sur la condition féminine.

    Mais, n’est-ce pas avant tout pour lui-même qu’un écrivain écrit ? Dès le début de son autobiographie, Perec insiste sur son absence de souvenirs et manifeste par là son besoin de les retrouver afin de reconstituer sa vie. De même, Hervé Bazin ne répond-il pas au besoin de se libérer de l’expérience douloureuse qu’a été son enfance et Rousseau à celui de se justifier à ses propres yeux avant ceux des autres ? (N 3e, p. 36)

    48De tels développements consistant à s’interroger sur les raisons d’écrire, que l’on pourrait qualifier d’éthiques ou d’existentielles, invitent le lecteur à l’investissement mimétique, à l’identification, font une place au sujet lecteur. Ce type de synthèses renouvelle alors le topos rousseauiste où auteur et lecteur se reconnaissent en écho comme « mon semblable, mon frère ».

    Conclusion

    49Cette revue des synthèses proposées par les manuels a permis de faire émerger trois tendances de l’approche éthique des textes, révélant plusieurs strates diachroniques sédimentées. Ces strates demandent moins à être comprises comme des paradigmes historiques de l’enseignement de la littérature que comme des conceptions multiples se combinant dans les prescriptions, comme dans les pratiques.

    50Loin d’un tel aggiornamento ou nivellement pragmatique, la comparaison des manuels révèle des divergences, des choix théoriques et didactiques déterminés et assez exclusifs. Cette variété éditoriale semblerait de nature à contribuer à l’exercice de la liberté pédagogique : le recours au manuel ne viendrait pas ici lisser les pratiques, mais accompagner, ou susciter, des orientations très distinctes.

    51Derrière chacune de ces orientations, l’on a pu reconnaître trois manières de discipliner les enjeux éthiques compris tour à tour comme des caractéristiques génériques des textes, des thèmes de réflexion à partir des textes ou comme des moments même de la lecture.

    52Cette dernière orientation dessine sans doute une piste pour des humanités contemporaines, pour un nouage actualisé du littéraire et de l’éducation morale.

    53La présence d’une telle inspiration théorique récente comme d’approches plus instituées ou plus anciennes manifeste la plasticité et, peut-être, la capacité à se réinventer du manuel dans une époque qui, parfois, peut le promettre à l’obsolescence. Les synthèses échappent dans le corpus à un modèle unique sclérosé, ou à un format scolaire exsangue ; elles sont au contraire animées par des convictions qui trouvent des écritures singulières pour les exprimer. Les manuels resteraient donc des lieux d’affirmations théoriques et didactiques à l’heure du tournant éthique.

    Notes de bas de page

    1Plus de 700 mots pour M, près de 500 pour N contre 340 pour B, 220 pour Rob, 170 pour Hat, 0 mot chez Hac (dénombrement des mots composant les synthèses déclaratives, c’est-à-dire excluant les questionnaires).

    2R. Barthes, 1973, Le plaisir du texte, Paris, Seuil.

    Auteur

    • Yoann Daumet

      Université de Montpellier, LIRDEF

      IdRef : 24224811X

      Yoann Daumet est professeur des écoles depuis vingt ans, docteur en sciences de l’éducation et formateur (Lettres, Pédagogie générale) à la faculté d’éducation de Montpellier. Sa thèse de doctorat Des moments éthiques en classe de littérature (université de Montpellier, LIRDEF, 2023) interroge la portée éthique de la lecture littéraire à travers une approche pluridisciplinaire : théorie et didactique de la littérature, philosophie, analyse de l’activité enseignante.

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