Annexe — Atelier Exofiction, David Foenkinos, Charlotte1
p. 255-260
Texte intégral
Pré-texte
1Je suis particulièrement intéressée par ce genre littéraire qu’on appelle l’exofiction qui se développe depuis une quarantaine d’années, proposant une nouvelle orientation aux écritures autobiographiques et autofictionnelles. Alain Buisine a créé le néologisme de biofiction et Dominique Viart l’appellatif de fiction biographique. À la fin du xxe siècle, on assiste à une sortie du tout autobiographique ou autofictionnel par l’invention d’un genre nouveau : la fiction biographique que l’on appelle désormais l’exofiction. C’est Marcel Schwob avec ses Vies imaginaires, qui, le premier, croque une vingtaine de personnages ou d’anonymes, en leur inventant des pans entiers de vie. Davantage que les catégories de la réalité et de la fiction, l’exofiction repose sur une invention heuristique du personnage qui dévoile, par là-même, l’écrivain. Pierre Michon avec Vies minuscules propose huit silhouettes d’humbles personnes rencontrées, se construisant selon Jean-Pierre Richard une « autobiographie oblique et éclatée ». Enfin, le troisième père fondateur de ce genre est Pascal Quignard avec Tous les matins du monde et sa biographie imaginaire d’un musicien historique du xviie siècle, Monsieur de Sainte-Colombe, et de son élève Marin Marais. Ce roman, a été adapté la même année au cinéma sous le même titre, par Alain Corneau. Sorte d’hybridation génétique, l’exofiction est selon Dominique Viart « une écriture par laquelle le sujet se dit lui-même dans la façon qu’il a d’interroger l’autre ». Sur le spectre très large d’une biographie à peine fictionnelle à des formes beaucoup plus imaginaires, ce genre est tout à fait prolifique et passionnant, et permet de mettre l’accent sur une hybridation génétique. Il la décrit comme « un espace dont la poésie, la fiction, l’essai, la biographie et l’autobiographie fourniraient les cinq sommets ». Il propose donc de faire une distinction entre la biofiction — largement du côté de l’invention et du fictionnel — et la fiction biographique davantage soumise à la caution scientifique. Alexandre Gefen propose, quant à lui, le terme d’exofiction, notamment par opposition à l’autofiction. C’est aujourd’hui le terme le plus usité.
2Certaines exofictions sont très documentées grâce à des enquêtes historiques scrupuleuses. D’autres exofictions, adossées à de sérieuses recherches historiques sur des vies connues, mettent en leur centre un épisode contrefactuel qui vient modifier la perception du personnage. Souvent, ces textes prennent appui soit sur une zone d’ombre de la biographie qui suscite une intuition de l’auteur, véritable déclencheur de l’écriture. S’il y a tout un pan du travail de l’écriture qui peut se rapprocher du travail de l’historien, et donc de la biographie, dans l’exofiction une sorte de pas de côté est effectué. L’écriture, même dans le cas d’enquêtes scrupuleuses, ne découle pas uniquement d’une recherche scientifique — archives, documents visuels ou sonores, enquête sur le terrain — mais prend aussi appui sur des remarques personnelles, des obsessions, des parallèles intimes. Le savoir biographique et historique rencontre la figure de l’écrivain au travail. L’écriture met en son centre cette rencontre pour trouver un nouveau rapport esthétique à l’Histoire et au vrai.
3Je vous propose d’explorer ce genre avec Charlotte de David Foenkinos1 : l’écrivain raconte la vie d’une artiste graphique, Charlotte Salomon qui nous a laissé une autobiographie Vie ? Ou théâtre ? Cette artiste allemande, morte en déportation à l’âge de vingt-six ans était une virtuose qui a inventé un art transfuge : deux cent quatre-vingts planches entre gouache, dessins, textes et musique puisque chacune de ses planches est accompagnée d’une proposition musicale d’écoute. Son œuvre est conservée au Jewish Historical Museum d’Amsterdam où son père, Albert Salomon, l’a déposée au début des années 1970. David Foenkinos, en découvrant une rétrospective de Charlotte Salomon est saisi par cette œuvre, une sorte de connivence immédiate le relie à elle. Puis la fascination est devenue une obsession qui l’a poussé à faire des recherches, à enquêter, à se rendre sur les lieux où avait vécu la jeune femme.
J’ai cité ou évoqué Charlotte dans plusieurs de mes romans.
J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois2.
4Dès lors son parcours et sa quête de romancier sont d’essayer de recomposer ce qui s’était passé dans la vie de cette femme.
Premier temps d’écriture
Extrait p. 79-82
Nouage
5David Foenkinos, dans le 8e fragment de la troisième partie revient sur la rencontre de l’artiste dont il a déjà commencé à raconter l’histoire. Le récit du choc artistique et émotionnel face aux planches de Vie ? Ou Théâtre ? est raconté dans les pages que nous venons de lire, avec une particularité de mise en forme que le roman adopte dès le départ : une phrase par ligne. Cette forme simple, linéaire, permet à David Foenkinos de suivre la chronologie du destin de cette femme. Respirer entre chaque phrase était la seule façon pour lui de rendre hommage à la disparue :
Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite.
Je me sentais à l’arrêt à chaque point.
Impossible d’avancer.
C’était une sensation physique, une oppression.
J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer3.
6Comme David Foenkinos avec Charlotte Salomon il y a des chocs artistiques qui font dire qu’il y a un avant et un après. Vous allez écrire sur une œuvre qui vous a marqué à vie, qui a été essentielle, qui continue de vous accompagner.
Fil d’Ariane et envoi
7Vous reprendrez comme première phrase, ces mots de David Foenkinos : « Et puis j’ai découvert l’œuvre de… ». Votre récit au passé racontera les circonstances de cette découverte et le compagnonnage qui a suivi. Vous garderez la structure du texte lu précédemment : 7 paragraphes, avec la proposition stylistique d’une phrase par ligne.
830’
Deuxième temps d’écriture
Nouage : La création en actes
Une révélation est la compréhension de ce que l’on sait déjà.
C’est le chemin qu’emprunte chaque artiste.
Ce tunnel imprécis d’heures ou d’année.
Qui mène au moment où l’on peut dire enfin : c’est maintenant4.
9Vous allez, à partir des recherches que vous avez effectuées ou que vous pourrez effectuer, raconter le moment précis où votre créateur s’est mis à composer l’œuvre qui vous intéresse. Meublez son monde, rechercher des détails, inventez les autres. C’est la liberté que laisse la fiction biographique.
Fil d’Ariane et envoi
10Vous parlerez de votre artiste en utilisant son prénom, pour créer l’intimité dont parle Foenkinos, ainsi que le présent de l’indicatif.
1130’
Troisième temps d’écriture
Nouage : Un roman dans le roman
12« Nous fantasmons sur la possibilité de ce geste extrême. / C’est un roman dans le roman5. » David Foenkinos, en suivant la vie de Charlotte Salomon, en vient à recomposer certains moments laissés dans le flou historique. Par exemple, il postule que Charlotte aurait pu empoisonner son grand-père, ou encore, dans les dernières lignes du roman il fait mourir Alfred, son amant berlinois avec, dans la poche près de son coeur, une brochure de l’exposition de Charlotte. À un autre moment, il fait rêver Albert. Cette liberté créatrice est permise par la grande proximité qu’il a avec ses personnages. L’invention d’épisodes contrefactuels peut aussi se trouver dans le récit de rêve, topos du genre de la fiction biographique. Ainsi Antonio Tabucchi dans Rêves de rêves propose une galerie des personnes d’Ovide à Villon et Rabelais en passant par le Caravage et finalement Freud. La fiction biographique s’autorise à aller jusque-là, s’attachant, à partir de ce que sait l’auteur des écrivains ou peintres ou musiciens qu’il aime, à évoquer une œuvre et ce que Tabucchi en a compris.
Envoi
13À partir d’un détail que vous connaissez, d’une anecdote, d’une envie, faites rêver votre personnage. Trouvez un récit onirique qui pourrait être mis en relation avec l’invention artistique de l’œuvre que vous avez choisie.
1430’
Quatrième temps d’écriture
Lier le triptyque
15À partir de ces trois fragments, proposez un texte unique qui lie la fiction biographique des deuxième et troisième temps d’écriture avec la métalepse auctoriale initiale. Vous chercherez un titre à votre récit et vous ferez une proposition musicale d’écoute de votre texte.
Notes de bas de page
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Écrire dans l’enseignement supérieur
Des apports de la recherche aux outils pédagogiques
Françoise Boch et Catherine Frier (dir.)
2015
Le temps de l’écriture
Écritures de la variation, écritures de la réception
François Le Goff et Véronique Larrivé
2018
Itinéraires pédagogiques de l'alternance des langues
L'intercompréhension
Christian Degache et Sandra Garbarino (dir.)
2017
Ces lycéens en difficulté avec l’écriture et avec l’école
Marie-Cécile Guernier, Christine Barré-De Miniac, Catherine Brissaud et al.
2017
Le sujet lecteur-scripteur de l'école à l'université
Variété des dispositifs, diversité des élèves
Jean-François Massol (dir.)
2017
La lettre enseignée
Perspective historique et comparaison européenne
Nathalie Denizot et Christophe Ronveaux (dir.)
2019
Écrire dans l’enseignement supérieur
Des apports de la recherche aux outils pédagogiques
Françoise Boch et Catherine Frier (dir.)
2015
Le temps de l’écriture
Écritures de la variation, écritures de la réception
François Le Goff et Véronique Larrivé
2018
Itinéraires pédagogiques de l'alternance des langues
L'intercompréhension
Christian Degache et Sandra Garbarino (dir.)
2017
Ces lycéens en difficulté avec l’écriture et avec l’école
Marie-Cécile Guernier, Christine Barré-De Miniac, Catherine Brissaud et al.
2017
Le sujet lecteur-scripteur de l'école à l'université
Variété des dispositifs, diversité des élèves
Jean-François Massol (dir.)
2017
La lettre enseignée
Perspective historique et comparaison européenne
Nathalie Denizot et Christophe Ronveaux (dir.)
2019
