Dessins d’enfants et apprentissages en sciences

2Le dessin peut être considéré comme un « langage visuel » (Edwards et al., 1993) qui facilite l’expression d’idées et la communication entre individus. Dans un dessin, divers signes sont utilisés pour représenter un objet ou une idée. Cependant, les normes utilisées pour associer un signe et ce qu’il désigne dans un dessin ne relèvent pas de conventions claires comme c’est le cas pour le langage oral ou l’écriture (Willats, 2005). Un enfant qui dessine un rond duquel partent des traits peut représenter aussi bien un soleil, une tête avec des cheveux, une main, ou tout autre chose encore. Pourtant, les enfants, aidés par les adultes, cherchent à produire des dessins efficaces, c’est-à-dire des dessins dans lesquels les formes seront reconnues par d’autres pour ce qu’elles désignent (Willats, 2005) et vont donc tâtonner pour tracer des formes compréhensibles (avec certaines normes parfois) qui produisent l’effet voulu aux yeux des autres et en particulier des adultes qui les entourent. Ainsi, le dessin est-il une activité ouverte, importante pour le développement, car il permet de mettre en relation des signes avec le sens que l’on se construit, bien avant l’acquisition du langage écrit (Knight, 2008). Au-delà du plaisir que cela leur procure, avec le dessin, les enfants peuvent exprimer leur imaginaire et commencer à le faire dans un langage décontextualisé. En d’autres termes, le dessin les met dans une situation de devoir résoudre les conflits entre ce qu’ils ont voulu dire, ce qu’ils ont dit, et ce qu’ils ont compris (Wright, 2019). Le dessin peut ainsi servir à exprimer des expériences passées dont on garde une trace, à matérialiser de nouvelles idées, et à mettre en relations ces différents éléments (Papandreou, 2014).

3C’est dans un tel cadre que nous nous intéressons ici au cas particulier de l’activité de dessin intégrée à un enseignement des sciences à l’école maternelle. Selon les tâches proposées par le·la professeur·e, l’accent pourra être mis sur une fonction en particulier (voir encart 1), même si ces trois fonctions sont intimement liées l’une à l’autre. Notons ici que nous ne mentionnons pas une fonction souvent associée à la réalisation de dessins et qui se focalise sur l’acquisition de gestes graphiques. Il ne s’agit pas ici de minimiser l’intérêt de l’activité de dessin dans le développement de la motricité fine, mais cela ne nous semble pas une fonction principale lorsque le dessin est réalisé dans le cadre d’une activité scientifique.

4Nous identifions en particulier trois fonctions associées à de tels dessins. La première consiste à considérer le dessin dans sa dimension cognitive. En permettant progressivement aux enfants d’effectuer un éventail d’opérations plus large à l’intérieur d’un système de symboles, les activités de dessin peuvent engager un développement de la pensée abstraite, de l’imagination et du raisonnement logique (Lange-Kuttner & Thomas, 1995). Lorsque l’enfant dessine, il fait appel à sa mémoire et à ses expériences passées mais aussi à son imagination et à ses pensées émergentes (Brooks, 2009). Par ailleurs, le dessin engage l’enfant à fixer des idées à un instant donné et à les mettre en relation, les agencer sur l’espace contraint de la feuille. Le processus dans lequel l’enfant est engagé en dessinant l’aide à donner forme et à ordonner des idées. Il ne s’agit donc pas d’accorder au dessin une fonction de représentation d’une réalité donnée, mais au contraire de voir le dessin comme une construction symbolique (Mottet, 1996), comme un moyen d’interpréter cette réalité (Cox, 2005) pour pouvoir en parler et revenir dessus.

5La deuxième fonction intègre le dessin dans sa dimension épistémologique, associé aux déclinaisons spécifiques du dessin en science (Drouin, 1987), que ce soit le dessin d’observation (Guichard, 1998) ou le recours aux schémas plus ou moins normalisés (voir l’encart 2 pour la distinction entre dessin et schéma). Dessiner en sciences à l’école peut donc avoir comme objectif d’apprendre à maîtriser des modes de représentation propres aux sciences (Ainsworth, Prain & Tytler, 2011).

6À propos de l’observation, Calmettes (2000) rappelle qu’il ne s’agit pas d’une activité « neutre et passive et que toute description produite sous forme de texte ou de dessin est nécessairement liée à un niveau d’explicitation implicite ou explicite » (p. 242). Le recours au dessin et la symbolisation de concepts scientifiques dépassent l’usage habituel qui en est fait en classe et s’inscrit dans une pratique scientifique de modélisation et de communication. Ainsi, différents courants de recherche soulignent l’intérêt de confronter les élèves aux différents modes de représentation en sciences, y compris le dessin (Wilson & Bradbury, 2016), dans l’objectif de les aider à mieux comprendre les liens entre ces modes de représentation et, in fine, à mieux s’approprier les concepts scientifiques associés.

7La troisième fonction considère le dessin dans sa dimension didactique. Les dessins que produisent les enfants peuvent illustrer ou mettre en évidence des obstacles à la compréhension de concepts scientifiques (Brooks, 2009 ; Calmettes, 2000). Faire dessiner les enfants est ainsi utilisé dans des protocoles de recherche pour les aider à exprimer leurs idées (Kampeza & Ravanis, 2012). Chang (2012) considère que les dessins d’enfants en science peuvent servir d’outil pour engager les élèves dans une activité scientifique, pour les aider à communiquer leurs idées en les faisant parler de leur dessin, et aussi pour évaluer ce que les élèves ont compris. Ainsi, les dessins ouvrent une fenêtre sur les idées des enfants à un moment donné et permettent donc aux professeur·e·s de reconnaître certaines façons de penser des enfants (Brooks, 2009).

8Un dessin réalisé par un enfant peut servir de support au·à la professeur·e pour l’aider à exprimer oralement ses idées et à les confronter à celles des autres ou à l’expérience, et le cas échéant, l’aider à remettre en question ses idées.

Dessiner des ombres en maternelle

9Ainsi, dans ce chapitre, nous nous intéressons aux dessins d’enfants et ce qu’ils donnent à voir en tant que trace de l’évolution de leurs idées au cours d’une séquence sur la formation des ombres en maternelle. Représenter, par le dessin, le phénomène de formation des ombres est complexe pour de jeunes enfants. Tout d’abord, les élèves doivent représenter dans un espace à deux dimensions (celui de la feuille), un espace à trois dimensions. De plus, la formation des ombres implique une relation topologique entre trois entités : source lumineuse, objet opaque et plan de projection. L’ombre est en fait une absence de lumière et peut ainsi être vue comme une « anti-image » (Feher & Rice, 1988). De précédents travaux sur la compréhension des ombres par de jeunes enfants ont mis en évidence la difficulté de reconnaître le rôle de la lumière dans ce phénomène et d’identifier qu’un objet opaque bloque la propagation de rayons lumineux (Ravanis, 1996). Par ailleurs, de jeunes enfants ont tendance à considérer l’ombre comme autonome, parfois colorée et contenant des détails rappelant l’objet correspondant (Gallegos-Cázares et al., 2009). Ainsi, que ce soit par le recours à l’alignement et éventuellement la projection, ou par la représentation d’entités immatérielles telles que l’ombre et la lumière, dessiner le phénomène de formation des ombres amène la manipulation de formes abstraites de représentation et de modélisation d’un phénomène scientifique. L’objectif de ce chapitre est d’identifier dans quelle mesure des dessins successifs d’enfants de maternelle permettent de repérer des progressions dans leur représentation du phénomène de formation des ombres et quelle compréhension du phénomène ces dessins expriment.

Méthodologie

10L’étude présentée dans ce chapitre s’appuie sur un travail sur les ombres, réalisé avec des élèves de quatre à six ans, dans deux écoles maternelles en France et en Grèce. Des ressources ont été proposées par une équipe de chercheurs·euses, à des professeur·e·s volontaires, en considérant plus particulièrement comment intégrer des dessins réalisés par les enfants à plusieurs moments d’une séquence d’enseignement sur les ombres. Chaque professeur·e a ensuite transposé ces ressources à son propre contexte de classe. Les grandes étapes des tâches proposées aux élèves sont résumées dans le tableau 1. D’une manière globale, les approches proposées visent à déstabiliser les idées des élèves sur la formation des ombres pour construire une première explication de ce phénomène (Delserieys et al., 2018). L’objectif ici n’est pas de détailler la manière dont les séquences ont été mises en œuvre par chaque professeur·e, mais de s’intéresser à la place et au rôle des tâches de dessins par rapport aux autres tâches, puis de considérer ces dessins en tant que trace de l’activité des élèves durant les séquences d’enseignement.

Tab. 1 – Étapes principales des séquences d’enseignement sur la formation des ombres mises en œuvre en France et en Grèce.

Étape 1	Étape 2	Étape 3	Étape 4	Étape 5
Dessin 1	Lecture d’un album	Dessin 2	Manipulations	Dessin 3

Ressources pour aborder les ombres en maternelle

11Nous présentons, dans le paragraphe qui suit, les objectifs et les ressources proposés aux professeur·e·s pour aborder le phénomène de formation des ombres avec leurs élèves de quatre à six ans. Ces propositions s’appuient, en particulier, sur de précédents travaux (Ravanis et al., 2005 ; Delserieys et al., 2018) qui mettent en évidence des enjeux de développement pour permettre à de jeunes enfants d’appréhender le phénomène de formation des ombres. Ainsi, il s’agit ici de développer chez les enfants les capacités de :

• définir la place des éléments du système lumière-objet/opaque-ombre pour la formation des ombres (exemple : place de la source lumineuse quand on connaît celle de l’ombre et de l’objet, ou inversement) ;
• décrire et expliquer comment une ombre se forme ; dans les échanges avec de jeunes enfants, une attention est portée à la proximité en français des expressions « forme de l’ombre » et « formation de l’ombre », induisant une difficulté chez les enfants. Les questions de relances suivantes sont envisagées : Comment l’ombre se fabrique ; Comment on peut obtenir une ombre ? ;
• prendre en compte d’une part que la forme de l’ombre correspond à la forme de l’objet, et d’autre part que l’ombre n’a ni couleur, ni caractéristiques telles que des yeux, des lèvres, etc. ;
• identifier la correspondance entre le nombre de sources lumineuses et le nombre d’ombres.

12Pour cela, dans ce travail, différentes ressources ont été proposées selon des étapes qui alternent une tâche de dessin (étape 1), une lecture d’album (étape 2), une tâche de dessin étayée (étape 3), une manipulation expérimentale (étape 4) et une tâche de dessin (étape 5). Nous nous arrêtons d’abord sur les étapes 2 et 4 (tableau 1) et les tâches auxquelles elles renvoient pour détailler ensuite la manière dont les dessins ont été introduits (étapes 1, 3 et 5) en lien avec les autres tâches.

Étape 2 : Lecture d’un album de Jean-Pierre Kerloc’h et Fabric Turrier, Il ne faut pas faire pipi sur son ombre, éditions MILAN jeunesse

13La lecture est accompagnée d’échanges avec les élèves pour parler des personnages de l’histoire et de ce qui arrive à leur ombre. L’intérêt de cet album est d’évoquer l’ombre dans le quotidien des enfants à travers le personnage de Valentin, et ainsi de rapprocher le concept d’ombre du vécu quotidien des élèves vis-à-vis de leur propre ombre. On y trouve un équilibre entre la mise en évidence de phénomènes naturels observables (première moitié de l’histoire, en particulier) et l’imagination1. Cet album renvoie ainsi à certaines caractéristiques de l’album de « fiction-réaliste » (Soudani et al., 2015), avec en particulier, une « iconographie, en sus de l’aspect humoristique, ludique, qui permet de rendre visible la structure du monde d’arrière-plan en jeu dans l’intrigue » (Ibid., p. 140). Il existe plusieurs albums qui peuvent servir de supports pédagogiques pour travailler le phénomène de la formation des ombres en maternelle (par exemple, l’album L’ombre de l’ours d’Olga Lecave). En revanche, il n’est pas facile de trouver un album dont les illustrations rendent explicites la source lumineuse. Ainsi, en proposant un travail à partir de l’album Il ne faut pas faire pipi sur son ombre de Jean-Pierre Kerloc’h et Fabrice Turrier, nous nous attachons surtout aux illustrations dans l’album qui représentent le phénomène de formation des ombres dans sa globalité (présence de la source lumineuse, l’objet et l’ombre correspondante), avec parfois même plusieurs ombres et plusieurs sources lumineuses, ce qui est souvent absent d’autres albums avec des ombres.

Étape 4 : Manipuler ombres et sources lumineuses

14Il est proposé ici de mettre les enfants en situation de manipuler une ou plusieurs lampes pour former des ombres à des endroits désignés par le·la professeur·e (voir Delserieys et al., 2018 pour une description détaillée de cette étape). Il s’agit ainsi d’engager un dialogue en expérimentant pour permettre d’expliquer aux élèves que l’interposition d’un objet non-transparent dans la trajectoire des rayons lumineux empêche le passage de la lumière. Le concept d’ombre est ainsi associé à l’empêchement de propagation de la lumière. Cette discussion déstabilise des explications centrées uniquement sur les ombres, les objets ou la lumière. Cette approche peut permettre aux enfants de se représenter l’ombre, non pas comme un « objet » ayant une existence autonome (objet que l’on échange comme les personnages de l’album lu ici, objet que l’on perd comme l’ombre de Peter Pan), mais comme un objet non matériel, dont l’existence dépend de l’absence de lumière, ou autrement dit, du fait que le passage de la lumière soit bloqué par un objet opaque.

Étapes 1, 3 et 5 : Dessiner le système source lumineuse/objet/ombre (SL/Ob/Om)

15Trois dessins sont proposés pour ponctuer la série d’activités sur les ombres. Dans les classes ayant participé à l’étude, les dessins ont été faits individuellement, avec des consignes identiques dans les deux écoles, et « de mémoire » (Calmettes, 2000), c’est-à-dire que les enfants ne dessinaient pas ce qu’ils étaient en train d’observer. Le 1^er et le 3^e dessin ont été réalisés sur une feuille blanche. Pour ces deux dessins, il a été demandé aux enfants de se dessiner eux-mêmes et leur ombre en ajoutant tout ce à quoi ils peuvent penser pour montrer comment leur ombre peut être visible. Les enfants sont ensuite encouragés à expliquer leur dessin dans un dispositif de dictée à l’adulte qui garde trace de cette explication sur le dessin. Ainsi, les enfants sont encouragés à verbaliser ce qu’ils dessinent avec des questions ouvertes : « Qu’est-ce que c’est ça ? (En désignant un élément du dessin) » ; « Pourquoi tu as dessiné ça ? » ; « Que pensais-tu quand tu as dessiné ça ? », etc. Pour le 2^e dessin, deux ombres issues de l’album lu en classe ont été reproduites, chacune sur une feuille (figures 1a et 1b). Chaque professeur a retenu l’une des deux ombres pour le travail avec ses élèves. Ainsi, les élèves devaient compléter le dessin pour expliquer comment une telle ombre pouvait se former. Les ombres des figures 1a et 1b ont été retenues car elles contiennent chacune une caractéristique repérable dans leur forme (bras vers le bas, bouche ouverte sur un croissant). Elles permettent une représentation du phénomène de formation de l’ombre avec un alignement horizontal, par juxtaposition (ombre à côté de l’objet) moins complexe pour des enfants de maternelle. En revanche, le choix entre l’une ou l’autre ombre a été laissé libre à chaque professeur. Les professeurs auraient pu décider d’utiliser les deux supports, soit pour varier les supports entre élèves d’une même classe, soit pour une tâche de réinvestissement.

Fig. 1a et Fig. 1b – Ombres issues de l’album, support de la tâche 2.

La formation des ombres en maternelle : Approche par le dessin, la lecture d’un album et l’expérimentation
Objectifs d’apprentissage sur la formation des ombres : –Définir la place des éléments du système lumière/objet opaque/ombre pour la formation des ombres. – Décrire et expliquer comment une ombre se forme. – Prendre en compte, d’une part, que la forme de l’ombre correspond à la forme de l’objet et, d’autre part, que l’ombre n’a ni couleur, ni caractéristiques telles que des yeux, des lèvres, etc. – Identifier la correspondance entre le nombre de sources lumineuses et le nombre d’ombres.
Étapes	Activité de l’élève	Rôle du·de la professeur·e
1. Dessin 1 Consigne : « Dessine-toi, et ton ombre, et tout ce que tu penses nécessaire pour montrer comment ton ombre est visible. »	Individuellement, dessiner son propre dessin sur une feuille blanche, avec la possibilité d’utiliser différentes couleurs. Expliquer oralement son dessin.	Dans un dispositif de dictée à l’adulte, noter les idées des enfants sur leur dessin. Identifier les représentations des enfants (liées en particulier à la présence ou non d’une source lumineuse dans leurs dessins).
2. Lecture d’un album Il ne faut pas faire pipi sur son ombre de Jean-Pierre Kerloc’h et Fabric Turrier (On propose de sauter les pages 17 à 20 où l’ombre éclate en morceau, se transforme en sorcière et en vélo, etc., pour passer directement à la dernière page).	Écouter et répondre aux sollicitations.	Lire l’histoire en classe entière. Engager une discussion avec les élèves pour parler des personnages de l’histoire et leur ombre. L’objectif est de rapprocher le concept d’ombre à un vécu quotidien des élèves. Attirer l’attention des élèves sur les illustrations (pages 3, 5, 6, 8, 10, 23) pour initier les élèves aux conditions nécessaires pour l’obtention d’une ombre (la place des éléments du système lumière/objet/ombre pour la formation des ombres).
3. Dessin 2 Consigne : « Voici l’ombre de Valentin, complète le dessin pour expliquer comment cette ombre se forme (utiliser une ombre issue de l’album, fig. 1a ou fig. 1b). »	Individuellement, dessiner sur la feuille sur laquelle une ombre issue de l’album a été reproduite. Possibilité d’utiliser des couleurs. Expliquer oralement son dessin.	Rôle du·de la professeur·e similaire à celui du dessin 1 : dictée à l’adulte et repérage des représentations des enfants avec un focus sur : la présence d’une source lumineuse, la similarité entre la forme du personnage et celle de l’ombre (et l’alignement du système).
4. Manipulations Groupes de 4-5 enfants. Matériel : 3 lampes de poche, 1 obstacle (un petit personnage en jouet qui évoque celui de l’histoire).	Par groupe, les enfants manipulent selon une progression : 1) Manipulations libres. 2) Anticipation de la place de la lampe par rapport à l’objet pour obtenir une ombre à une position définie par le·la professeur·e, puis vérification. 3) Tâche impossible pour « faire une ombre du même côté que la lampe ». 4) Faire plusieurs ombres (on peut montrer l’illustration page 5 de l’album).	Tout au long des manipulations, le·la professeur·e demande de former l’ombre de l’objet, d’expliquer la formation de cette ombre et questionne les élèves : « Est-ce que la lumière peut passer à travers l’objet ? Comment a-t-on obtenu cette ombre ? Où doit-on mettre la lampe pour voir l’ombre de cet objet sur la table ? Quelle est la couleur de cette ombre ? etc. » Dès que possible, le·la professeur·e encourage les élèves à expliquer leurs propositions : « Pourquoi tu penses que ça va se passer comme ça ? » ou « Pourquoi l’on observe cela ? »
5. Dessin 3 Consignes identiques au dessin 1, puis temps collectif d’observation des différences entre les dessins 1 et les dessins 3.	Activité individuelle identique au dessin 1. En collectif, répondre aux sollicitations du·de la professeur·e pour repérer les changements entre les 1ers dessins et les 3es dessins et expliquer comment se forment les ombres.	Rôle similaire que pour les dessins 1 et 2 (dictée à l’adulte et repérage des représentations sur les ombres). Engager une discussion collective pour repérer des différences entre les premiers dessins et les derniers dessins. Insister sur la présence d’une source lumineuse, d’un objet (personnage) qui bloque le passage de la lumière et l’alignement (juxtaposition) du système.

Tab. 2 – Séquence construite autour de l’album.

Résultats

18L’analyse des 99 dessins met en évidence que les enfants se sont engagés dans l’activité de dessin et qu’une très grande majorité d’entre eux a été capable de représenter et d’exprimer par leurs dessins une certaine compréhension du phénomène de formation des ombres. Seul un enfant a produit un dessin complètement hors sujet pour la tâche 1 (E5.D1, tableau 4). Comme repéré dans d’autres études (voir en particulier Calmettes, 2000), on retrouve dans ces dessins des traces indiquant des difficultés dans la compréhension du phénomène de formation des ombres. Certaines, comme la difficulté d’envisager la nécessité d’une source de lumière dans le phénomène de formation des ombres (E3.D1 ou E4.D1, tableau 4) ou les difficultés exprimées dans l’alignement des éléments du système SL/Ob/Om (E3.D2, E6.D1, E7.D1, tableau 4) sont couramment rencontrées avec d’autres approches que celles du dessin (voir par exemple Delserieys et al., 2018). En revanche, d’autres comme la représentation d’ombres détaillées (E6.D1, tableau 4), d’ombres colorées (E7.D1, tableau 4) ou d’ombres jumelles (E4.D2, tableau 4) sont mises en évidence par les dessins.

Tab. 4 – Dessins successifs (D1, D2 et D3) de cinq enfants de cinq ans (E3 à E7).

1er dessin	2e dessin	3e dessin
E3.D1	E3.D2	E3.D3
E4.D1	E4.D2	E4.D3
E5.D1	E5.D2	E5.D3
E6.D1	E6.D2	E6.D3
E7.D1	E7.D2	E7.D3

Premier dessin, mise en évidence de difficultés

19Dans le 1^er dessin, les enfants ont convoqué leur mémoire du phénomène sans observation définie a priori par le professeur. Ce qui a retenu principalement notre attention, c’est qu’environ la moitié des enfants (16/33) n’ont pas représenté de source lumineuse sur leur dessin (E3.D1 et E4.D1, tableau 4). Certains enfants mentionnent oralement un rôle joué par la lumière dans le phénomène de formation des ombres en commentant par exemple leur dessin : « Y avait le soleil qui venait par moi, et par terre, tu as vu l’ombre. » (E1.D1, figure 2). Ou encore « Quand il y a du soleil, quand elle marche là-bas, l’ombre, elle la suit. » (E2.D1, figure 2)

Fig. 2 – Exemples de dessins de la tâche 1 (D1) – source lumineuse non dessinée mais mentionnée oralement pour deux enfants (E1 et E2).

E1.D1

E2.D1

20Quand une source lumineuse est présente, seuls 7 dessins sur les 16 respectent un alignement SL/Ob/Om. D’autres difficultés courantes ont été représentées concernant les caractéristiques de l’ombre elle-même : pas de correspondance de forme entre objet et ombre (9/33), détails dans l’ombre (9/33), contour de l’ombre seulement (19/33). Les dessins mettent donc en évidence des obstacles repérés par exemple par Ravanis (1996) pour reconnaître le rôle de l’obstacle comme empêchant le passage de lumière. Cela s’exprime dans les dessins par l’absence de source lumineuse dans de nombreux dessins, la difficulté liée à l’alignement et une représentation d’une ombre silhouette.

Discussion

25Ce travail explore des dessins d’enfants et la progression qui peut être observée dans des séries de 3 dessins au sein d’une intervention didactique sur la formation des ombres en maternelle. L’analyse des dessins montre que des élèves de quatre à six ans sont en mesure de rentrer dans une activité de dessin du phénomène de formation des ombres, malgré les difficultés graphiques et conceptuelles associées. En particulier, certains élèves ont représenté une ombre projetée. Ils ont parfois symbolisé des rayons lumineux allant au-delà de ce qu’ils ont effectivement observé (E3.D3 et E7.D3 par exemple). Notons que, dans le travail présenté dans ce chapitre, nous n’avons pas considéré la caractéristique de l’ombre comme projection sur une surface, contrairement à ce qui a été étudié pour des enfants plus âgés (Calmettes, 2000, par exemple). En nous appuyant sur de précédents travaux ancrés dans le cadre de la construction de modèles précurseurs (Delserieys et al., 2018), une première compréhension du phénomène de formation des ombres peut se faire sans envisager explicitement la projection de l’ombre. Par ailleurs, cela nous semblait, a priori, aller au-delà des capacités de production des enfants de quatre à six ans pour lesquels le dessin en perspective est difficile (Picard & Baldy, 2012) : c’est pour cette raison que le cycle 2 peut apparaître parfois plus adapté pour travailler sur la formation des ombres. Plusieurs dessins ont pourtant fait apparaître des tentatives de projection des ombres, des ratures et des corrections, témoins du processus de réflexion dans lequel les enfants sont engagés. Ces processus, s’inscrivant dans une dimension cognitive du dessin, semblent ainsi aller au-delà de routines d’exécution de dessins connus (le bonhomme, le soleil) dont il est difficile de faire sortir les jeunes enfants (Picard & Baldy, 2012).

26Les représentations du phénomène de formation des ombres qui ont émergé de ces dessins se rapprochent de précédents travaux utilisant des méthodologies différentes (Pantidos et al., 2017 ; Ravanis, 1996). En particulier, l’omission de la source lumineuse et en conséquence le rôle de la lumière dans la formation des ombres est un obstacle évident dans les premiers dessins et qui semble vite dépassé par les élèves. La position relative des SL, Ob, Om est plus difficile à représenter en 2 dimensions sur la feuille et à se représenter mentalement, pourtant la plupart des enfants ont bien réussi à exprimer cet alignement, en particulier lorsqu’ils bénéficient d’un étayage comme pour le dessin 2. Par ailleurs, le dessin permet l’expression de conceptions relevant soit d’une forme d’anthropomorphisme de l’ombre, soit d’une image miroir. Proposer une activité de dessin guidée dans laquelle l’ombre est déjà représentée semble permettre aux élèves de penser davantage le rôle de la lumière. Dans une dimension épistémologique, de tels dessins des ombres permettent de modéliser le système SL/Ob/Om et les relations entre les éléments de ce système.

27L’analyse des dessins présentés dans ce chapitre repose sur un dispositif relativement simple à transposer en situation ordinaire de classe. Nous soulignons ainsi, dans une dimension didactique, l’intérêt d’utiliser le dessin comme outil d’apprentissage en science (Chang, 2012) dans une perspective selon laquelle le dessin peut être envisagé « comme un langage graphique, partageant des affinités avec les autres systèmes représentationnels, notamment le langage verbal » (Picard & Zarhbouch, 2014, p. 35) et « le langage écrit » (Knight, 2008). De tels dessins constituent ainsi des traces dont peuvent se saisir les professeur·e·s pour repérer la progression de chaque enfant, pour les aider à verbaliser leurs explications d’un phénomène et pour compléter d’autres approches, impliquant en particulier le corps (Pantidos et al., 2017).