1Cet ouvrage propose d’éclairer les premiers apprentissages en éducation scientifique et technologique de jeunes enfants, âgés de trois à six ans. En France, ces enfants sont scolarisés à l’école maternelle qui constitue le premier niveau de la scolarité complètement intégré à l’ensemble du système éducatif. En effet, depuis 19951, les professeur·e·s de l’école maternelle sont chargé·e·s de la construction de premières compétences explicitées et précisées dans des programmes, sous la forme d’une liste d’apprentissages, de contenus et d’activités. L’orientation fondamentalement éducative de l’école maternelle, prise au tournant des années 1950-1960 s’est accompagnée d’une grande fréquentation. Prost (1981, p. 105) qualifie ce phénomène d’« école maternelle pour tous » (en 20172, l’école maternelle accueille 95 % des enfants de trois ans et plus de 98 % des enfants de quatre et cinq ans). Avec l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à trois ans (J.-M. Blanquer, mai 2019), la loi pour une École de la confiance3 « renforce l’école maternelle […] et met l’accent sur le rôle crucial de ces trois années de la vie dans le développement affectif et intellectuel de l’enfant ». Cette loi s’adosse aux programmes de 2015 rédigés dans la perspective de proposer un équilibre entre une maternelle primarisée et une « école du laisser grandir » (Bouysse, 2015). Malgré ces injonctions institutionnelles récentes, l’école maternelle française se situe dans une logique internationale de schoolification et de mesure des performances (Garnier, 2009, 2016 ; Kaga, Benett & Moss, 2010 ; Leroy, 2020). Dans les pays examinés, en France et bien au-delà de ses frontières, l’école première est de plus en plus chargée de dispenser des apprentissages premiers dont la visée est de permettre aux enfants-élèves de réussir leur future scolarité.

2C’est dans le cadre de ces évolutions en cours que les professeur·e·s de l’école maternelle doivent prendre en charge des enseignements que le programme de 20154 organise en cinq domaines d’apprentissage : « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions », « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique », « Agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques », « Construire les premiers outils pour structurer sa pensée » et « Explorer le monde ». C’est le sous-domaine étiqueté « Explorer le monde du vivant, des objets et de la matière » présent dans ce dernier domaine d’apprentissage que cet ouvrage propose d’examiner. C’est en effet ici que sont identifiables les contenus de la première éducation scientifique et technologique nécessaires à la formation du futur citoyen capable d’agir et de réfléchir dans un monde de plus en plus marqué par les sciences et les techniques.

3Dans l’ensemble des chapitres proposés, cette première éducation est envisagée comme un ensemble de moments scolaires offrant la possibilité d’une première capitalisation expérientielle contribuant à la constitution d’un référent empirique (Coquidé & Lebeaume, 2003). Dans cette perspective, ces moments renvoient par exemple, dans ce livre, à faire dessiner les élèves pour mieux leur faire comprendre le phénomène de formation des ombres, leur faire fabriquer des sabliers, les étonner par des expériences contre-intuitives ou bien encore organiser des rencontres avec des robots programmables. Au-delà de l’enrichissement du registre du référent empirique, les contributions de l’ouvrage ne minorent pas la construction chez les élèves de premiers concepts pour structurer les représentations de ces objets ou phénomènes.

4L’enjeu de cet ouvrage est de compléter et d’actualiser le livre de Maryline Coquidé et d’André Giordan L’enseignement scientifique à l’école maternelle (1997). Le terme « éducation » a ici été préféré à celui « d’enseignement » de sciences et de technologie pour deux raisons qu’énonce Joël Bisault (2011, p. 9). Tout d’abord la définition de l’entité « sciences » est loin d’être évidente à l’école maternelle, comme le montre le chapitre sur les sabliers de Céline Chanoine et Roselyne Lebourgeois-Viron qui analyse des moments scolaires mêlant à des apprentissages scientifiques des intentions de construction de repères spatio-temporels. Ensuite, Joël Bisault précise que dans les programmes de l’école maternelle, les « contenus » sont parfois liés à des activités éducatives, parfois à un début d’appropriation de concepts et parfois d’éléments de démarches.

5Volontairement, les chapitres n’ont pas été regroupés selon les horizons qu’ils semblent dessiner – la physique, la technologie ou bien encore la biologie – mais par des ponts qui les lient entre eux :

• tout d’abord le chapitre écrit par Joël Lebeaume permet de situer le contenu de ce livre dans un contexte plus général, celui de l’école maternelle et des spécificités de la morphologie de son curriculum. Dans ce contexte, Joël Lebeaume met au jour cinq problèmes curriculaires qui permettent de questionner les premiers pas des élèves dans les prémices de l’éducation scientifique et technologique ;
• le deuxième chapitre, écrit par Estelle Blanquet, renvoie à un problème curriculaire développé par Joël Lebeaume, celui de l’étonnement. Estelle Blanquet propose en effet une réflexion à partir de l’utilisation en classe d’une expérience contre-intuitive, suscitant réactions et questionnement de la part des élèves. Elle évoque ainsi la question de l’appropriation des contenus liés à la démarche scientifique ;
• le troisième chapitre, écrit collectivement par Frédéric Charles, Catherine Bruguière et Nadège Pouey, renvoie également à l’étonnement et au questionnement : les auteurs proposent une séquence pour l’enseignement et l’apprentissage fondée sur la lecture problématique d’une image d’un album de littérature de jeunesse. Les auteurs montrent en quoi cette lecture, puis cette interprétation d’image permettent d’aborder les premiers contenus liés à la structure et au fonctionnement d’un écosystème ;
• le quatrième chapitre, collectif également, propose aussi une séquence pour l’enseignement et l’apprentissage fondée sur la pratique du dessin pour commencer à comprendre des premiers concepts sur la formation des ombres. Alice Delserieys, Glykeria Fragkiadaki et Maria Kampeza démontrent parfaitement l’importance du dessin pour non seulement enrichir le référent empirique mais aussi pour structurer les premières conceptualisations chez des élèves français et grecs ;
• le chapitre d’Olivier Grugier présente une double originalité : il se préoccupe des plus jeunes enfants de maternelle – ceux de la Petite Section – et il évoque la question des objets technologiques et de la robotique en maternelle. Olivier Grugier précise alors les apprentissages de nature technique développés par les jeunes élèves et met au jour des obstacles sur leur compréhension du fonctionnement d’un robot programmable ;
• le sixième chapitre, renvoie au problème de la connexité posé par Joël Lebeaume. En effet, dans ce chapitre, Céline Chanoine et Roselyne Lebourgeois-Viron analysent trois projets mis en place dans des classes de Moyenne et Grande Section. Elles discutent des liens qui peuvent être tissés, par l’approche des sabliers, entre la démarche d'investigation, la notion de temps, les mathématiques et le langage ;
• le chapitre qui clôt l’ouvrage relate une recherche ancrée non seulement en médiation des sciences mais également en didactique de la biologie. Cora Cohen-Azria questionne en effet la façon dont l’élève de maternelle peut être pensé comme un visiteur de musées scientifiques. Pour répondre à cette question, elle propose une analyse didactique de deux visites d’espaces muséaux (le forum des sciences de Villeneuve-d’Ascq et le musée d’histoire naturelle de Lille) ;
• Céline Chanoine et Joël Lebeaume proposent une conclusion originale à l’ouvrage en proposant une lecture transversale et inédite des différents chapitres qui le constituent : ils examinent ainsi les contributions du livre selon les champs scientifiques abordés, les problèmes soulevés, les méthodologies employées et les points de vue adoptés.