Chapitre 17
La marche à la guerre 1908-1914
p. 277-296
Texte intégral
La crise bosniaque de 1908-1909
1Au congrès de Berlin, en 1878, l’Autriche-Hongrie avait reçu le droit d’« occuper et d’administrer le territoire de la Bosnie et de l’Herzégovine1 », « cette boîte de Pandore, pleine de surprises, de périls et de graves possibilités2 » dont parlait, prophétiquement, le diplomate allemand von Bülow, était pourtant restée, nominalement, sous souveraineté turque.
Mais le 5 octobre 1908, le gouvernement austro-hongrois prit l’initiative d’annexer la Bosnie-Herzégovine. Même s’il ne s’agissait que de rendre de jure une situation de facto vieille de trente ans, ce n’en était pas moins une violation du droit international.
2Pour la première fois depuis 1815, l’Autriche-Hongrie se révélait expansionniste, et ce fut un choc pour l’Europe qui s’était habituée à voir en elle, un anachronisme vivant, le second « homme malade de l’Europe » après l’Empire ottoman. Beaucoup craignaient d’ailleurs qu’elle n’en reste pas là et pousse son expansion jusqu’à Salonique et l’Égée. La Neue Freie Presse de Vienne triompha : « La Belle au bois dormant s’est éveillée de son long sommeil : l’Autriche-Hongrie, souvent risée de tous, ne dort plus, elle commence une politique active. » Il est vrai que le même journal s’interrogeait plus loin : « N’aurait-il pas été plus intelligent de la laisser dormir plus longtemps3 ? »
Illustration tirée du magazine français Le Petit Journal du 18 octobre 1908 sur la crise bosniaque : la Bulgarie déclare son indépendance et son prince Ferdinand est nommé tsar, l’Autriche-Hongrie, en la personne de l’empereur François Joseph, annexe la Bosnie-Herzégovine, tandis que le sultan ottoman Abdul Hamid II les regarde avec impuissance.

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3Cette annexion provoqua une crise diplomatique majeure, une de plus. La Turquie la ressentit comme une agression. « L’Allemagne réagit avec perplexité, la Russie avec fureur, la France et la Grande-Bretagne, avec inquiétude4. » Quant à la Serbie, elle mobilisa et parla de guerre.
Mais en 1908, le gouvernement autrichien savait que la Russie était condamnée à l’inaction par sa récente défaite face aux Japonais et par l’agitation révolutionnaire endémique ; et, de façon juste, mais audacieuse, il calculait que la France refuserait de se laisser entraîner dans une guerre pour la Bosnie-Herzégovine.
4L’Autriche-Hongrie eut l’habileté de se montrer généreuse avec la Turquie et, après versement d’une indemnité, la Porte se déclara satisfaite, le 26 février 1909. Cela aida au règlement de cette crise et la confina aux chancelleries, contrairement à celle de juillet 1914. La diplomatie l’emportant sur les armes, les puissances reconnurent, les unes après les autres, la complète souveraineté de Vienne sur la Bosnie-Herzégovine ; les dernières à le faire furent la Russie (le 23 mars) et la Serbie (le 31 mars 1909), après un véritable ultimatum autrichien. On considéra alors l’affaire comme un succès à Vienne : Alois von Ährenthal fut fait comte. Cette « victoire sans guerre5 » n’était qu’une victoire à la Pyrrhus6, mais on ne s’en aperçut que six ans plus tard.
5À part la Serbie, ce fut certainement en Italie qu’on réagit de la façon la plus virulente contre l’initiative de l’Autriche.
S’il faut en croire les mémoires de l’ambassadeur d’Autriche-Hongrie, Heinrich von Lützow, les milieux dirigeants italiens auraient appris la nouvelle avec calme. Le Roi, informé par l’ambassadeur, le 6 octobre, se serait contenté de dire « C’est tout de même un fameux coup de canif que vous donnez au traité de Berlin. », et se serait surtout inquiété des réactions de la Turquie7. Ce fut l’opinion, bien plus que le gouvernement, qui réagit avec virulence. Certes, l’Italie n’était pas directement concernée. Mais, comme trente ans plus tôt, cette crise mettait en relief les aberrations de la Triplice et surtout, son impopularité croissante. Car Vienne avait agi, une fois de plus, sans consulter Rome, pourtant théoriquement son alliée. Et comme en 1878, beaucoup d’Italiens pensaient, à tort ou à raison, que leur pays avait été frustré d’une compensation à laquelle il avait droit. Le Corriere : « Les imaginations s’enflamment, l’Autriche annexe la Bosnie-Herzégovine ? … Donc, les autres puissances peuvent prendre à leur tour des compensations. L’Italie aura le Trentin (et pourquoi pas aussi Trieste ?) » Mais il ajoutait prudemment : « Ce n’est pas de cette façon ni dans cette direction qu’on pourra faire contrepoids à l’annexion de la Bosnie8. »
6Maladroitement, Tittoni prononça, le 6 octobre 1908, le lendemain même de l’annexion, un discours ambigu, affirmant ne pas être surpris par le coup de théâtre, et assurant que « l’Italie pouvait attendre les évènements avec sérénité, car, quels qu’ils soient, ils ne la trouveront ni surprise, ni impréparée, ni isolée ». Il demanda au pays et au Parlement d’ « attendre avec calme et confiance9 » les suites de la crise, et assura que l’Italie n’aurait pas à s’en repentir, laissant ainsi entendre qu’elle y trouvera des compensations, pourquoi pas territoriales.
Mais les jours, les mois passant sans rien apporter, la déception, l’indignation contre Tittoni, Giolitti et l’ « allié » autrichien se firent énormes. La Stampa : « L’opinion est vivement émue de l’échec de la politique de Tittoni ; même ceux qui la défendent doivent reconnaître que le public y est résolument opposé. Parfois, le peuple a une merveilleuse intuition de ses propres intérêts10. » Pour tous, soit Tittoni avait menti, soit il s’était laissé duper par les Autrichiens.
7Le Corriere : « Une grande partie de la presse italienne est furieuse, trouve absurde que l’Italie ne demande que des compensations diplomatiques. Ce sont des compensations territoriales qu’il faut demander, ouvertement ou indirectement. » Le sage Corriere devenait-il irrédentiste ? Non, car le même article dénonçait :
[La] désinvolture de ceux qui, tout en s’opposant aux armements, rêvent des expansions qui nécessiteraient une force militaire double, triple de la nôtre. […] Puisque l’Autriche annexe des territoires qu’elle occupe depuis trente ans, elle devrait, à cette occasion, restituer Trieste et le Trentin. Ceux qui exposent, ou laissent entendre de telles prétentions agissent-ils de bonne foi ? Possible, mais nous en doutons fortement11.
8Le 23 novembre 1908, Trieste fut secouée par une véritable émeute. En Italie, les manifestations, surtout étudiantes, furent nombreuses et souvent violentes. Celle du 25 novembre, à Rome, échappa au contrôle de la police12. On brûla le portrait de François-Joseph en même temps que celui de Tittoni. À Rome, l’ambassade d’Autriche-Hongrie resta plusieurs mois sous la protection d’un escadron de cavalerie stationnant en permanence dans ses jardins…
9Le 28 novembre, Tittoni envoya un message à Avarna, ambassadeur d’Italie à Vienne :
Nous sommes vraiment dans un moment critique et décisif pour la Triplice, et il n’y a pas d’homme d’État qui ne le comprenne. Si le gouvernement autrichien accorde l’université à Trieste, la Triplice redeviendra populaire en Italie, et ses amis, moi le premier, reprendront l’avantage. Sinon, ni moi, ni Giolitti, ni aucun partisan de la Triplice ne serons en mesure de faire face à la situation et devrons céder la place aux partisans d’une autre politique13.
Le même Tittoni se serait ouvert avec amertume à l’ambassadeur austro-hongrois à Rome : « Pour vous, j’ai sacrifié ma réputation d’homme d’État, ma popularité et mon avenir politique. Et qu’avez-vous fait pour moi ? Rien, rien, et encore rien14. »
10Le 3 décembre 1908, au Parlement italien, la Triplice fut rudement attaquée. Mais, signe des temps, désormais beaucoup plus par la droite nationaliste que par la gauche. Salvemini nota qu’en Autriche même, « les socialistes, non seulement ne s’insurgèrent pas [contre l’annexion], mais déclarent officiellement, par la bouche d’Adler et aussi, il est douloureux de devoir le constater, par celle de l’italien Pittoni15, que l’Autriche n’avait rien fait de mal ». Ce à quoi le même Pittoni rétorqua, dans le Lavoratore du 16 novembre : « Au nom de quoi aurions-nous dû protester ? Seulement pour irriter l’Autriche et faire plaisir au roi de Serbie ? » La Critica sociale titra le 1er novembre « L’internationalisme a fait banqueroute16 ».
11L’actualité finit par passer à autre chose. Mais la bombe à retardement était en place, qui devait exploser en 1914. Lors de son entrée en fonction, en 1912, le chef de la diplomatie austro-hongroise, Léopold Berchthold reconnut dans un rapport à l’Empereur :
Nous ne devons pas nous dissimuler que la manière dont nous avons réalisé l’annexion de la Bosnie-Herzégovine a éveillé dans toutes les chancelleries des grandes puissances un sentiment de méfiance à l’égard de la Monarchie et a favorisé entre elles un accord sans précédent quant à l’appréciation à porter à notre politique17.
12En France et en Grande-Bretagne, l’opinion, jusqu’ici bienveillante ou indifférente, prit à l’égard de l’Autriche-Hongrie une attitude nettement plus défavorable. Un grand rôle fut joué à Londres par Wickham Steed18, alors correspondant du Times à Vienne, et par l’historien Seton-Watson19, qui décrivirent l’empire des Habsbourg sous un jour très sombre à leurs publics. Et l’Italie, où l’austrophobie avait connu une nouvelle et très forte poussée, apparaissait plus que jamais comme le maillon faible de la Triplice.
13L’ambassadeur d’Autriche-Hongrie à Rome, Heinrich von Lützow, resté en première ligne pendant les mois de tension, émit alors la suggestion, pour calmer les relations entre les deux pays, d’ « un acte gracieux », la rétrocession par l’Autriche à l’Italie d’Aquileia. « Paris vaut bien une messe… Il me semblait qu’un village de pêcheurs pourri n’était pas cher payer l’amitié durable de l’Italie20. » Mais à Vienne, on jugea sévèrement cette demande la taxant de faiblesse ; et cela contribua au rappel de von Lützow à Vienne, où l’Italie avait désormais deux puissants ennemis : le prince héritier François-Ferdinand et le chef d’état-major, Franz Conrad von Hötzendorf.
Deux ennemis pour l’Italie
Conrad von Hötzendorf et l’archiduc, par leur haine aveugle, par leurs menaces et leurs persécutions, alimentèrent vigoureusement la flammèche de l’irrédentisme21.
14François-Ferdinand
15L’archiduc François-Ferdinand, que la presse présentait « l’épée dans la main droite, le rosaire dans la gauche22 », né à Graz le 18 décembre 1863, était le neveu de l’empereur François-Joseph et son héritier, le fils unique de l’empereur, Rodolphe, s’étant suicidé en 1889 à Mayerling. Très conscient de ses devoirs, pieux, et même bigot, François-Ferdinand avait le contact rugueux, brutal même23. On le disait d’une avarice presque sordide24 et il n’était, contrairement à son oncle, pas très populaire. Mais l’Empereur étant désormais octogénaire, l’avènement de son successeur semblait proche et, dans sa résidence, le château du Belvédère, se réunissait un think tank qui préparait l’Autriche d’après. D’une intelligence assez moyenne lui-même, François-Ferdinand avait au moins le talent de savoir s’entourer de conseillers de valeur.
Portrait de l’archiduc François-Ferdinand, 1914.

Bibliothèque nationale autrichienne, images d’archives, numéro d’inventaire LSCH 0029-C/Wikimédia Commons
16François-Ferdinand était le cauchemar des diplomates austro-hongrois : avec sa franchise brutale, l’archiduc ne se gênait pas pour clamer à qui voulait l’entendre ses (nombreuses) antipathies, tant personnelles que collectives. Alberti : « Il semait partout la haine autour de lui avec ses manières brusques et grossières, ses insolences, ses haines violentes et déclarées contre les Italiens, les Magyars et les juifs25. »
Cet antisémite était « fermement convaincu que la franc-maçonnerie, le matérialisme, le libéralisme et le marxisme et l’ensemble du grand capitalisme étaient dirigés par les juifs26 ». Quant aux Hongrois, il les qualifiait « de traîtres et d’insolents braillards27 » leurs dirigeants d’ « outils des juifs et du capitalisme international28 », qu’il se faisait fort de mater, dès son avènement.
17François-Ferdinand, pourtant petit-fils (par sa mère, Maria Grazia de Bourbon) de Ferdinand II, le « Re bomba » de Naples, détestait tout ce qui était italien, jusqu’à faire rayer « d’Este » de son patronyme. « Son antipathie contre l’Italie touchait à la haine… Pour lui, l’Italie c’était la lutte contre le Pape, le principe des nationalités, le gouvernement parlementaire ; et aussi, la dépossession de ses ancêtres29. » Plutôt slavophile, il désapprouvait la Triplice et désespérait d’ouvrir les yeux de l’Empereur ou des diplomates du Ballhausplatz sur la perfidie de ces Italiens qu’il considérait comme les véritables ennemis héréditaires de la Monarchie30. Parlant en 1911 à des officiers qui partaient pour des manœuvres communes austro-italiennes, François-Ferdinand les encouragea à la discrétion, car, « notre principal ennemi, c’est l’Italie et nous finirons bien un jour par nous battre avec elle ». En février 1913, il s’exclamait devant des officiers : « Il nous faut reconquérir la Vénétie et la Lombardie31 ! » D’autant qu’il calculait, cyniquement, que l’Italie, dépourvue d’allié, serait plus facile à vaincre que la Serbie, forte de l’appui russe.
Il est difficile de savoir dans quelle mesure s’il s’agissait là de fanfaronnades d’après boire ou de projets sérieux ; en mai 1911, en tout cas, un diplomate britannique, parlant du prince héritier, trouvait « très étonnant que quelqu’un de censé puisse envisager de rétablir le pouvoir temporel du Pape32 ».
18Évitant Vienne où son épouse morganatique était mal reçue33, François-Ferdinand, passionné de navigation, passait plusieurs mois par an aux bords de l’Adriatique, au château de Miramare (au nord de Trieste), à Abbazia, ou sur l’île de Brioni. Il avait fait sienne l’opinion de Guillaume II qu’une grande puissance ne mérite ce nom qu’avec une marine forte ; raison supplémentaire pour lui de se méfier de l’Italie, seule adversaire potentielle de la marine austro-hongroise.
19François-Ferdinand voyait le salut de la Monarchie en un « trialisme », où tous les Slaves du Sud (Slovènes, Croates, Serbes, Bosniaques, etc.) seraient rassemblés en un seul Royaume que Vienne associerait à la gestion de l’Empire ; bref, transformer l’Autriche-Hongrie en une Autriche-Yougoslavie-Hongrie. Ce qui aurait, à ses yeux, le double avantage de réduire le pouvoir des Hongrois (qu’il détestait) et de disperser les Austro-Italiens en de petites minorités, marginalisées, séparées les unes des autres, condamnées tôt ou tard à disparaître.
20Si François-Ferdinand n’était sans doute pas le butor sans cervelle ni l’ « hystérique enfermé dans une poudrière armée de bombes et d’allumettes34 » que décriaient ses ennemis, il n’en est pas moins vrai que la perspective d’avoir comme partenaire un homme si brutal et peu diplomate ne manquait pas d’inquiéter les Italiens, et pas seulement eux. Heinrich von Lützow, alors ambassadeur, décrit « le zèle apeuré de ceux qui s’efforçaient de maintenir le vieil Empereur en vie, tremblant littéralement à l’idée du moment où son neveu prendrait les rênes en main35 ».
21Beaucoup ont vu en François-Ferdinand celui qui plongea les italophones dans ce qu’on a appelé « l’irrédentisme du désespoir ».
L’archiduc voulait l’anéantissement du caractère national des terres italiennes sujettes à la maison des Habsbourg. Ces Italiens d’Autriche n’entendaient, en aucun cas, disparaître. La lutte était déclarée : une partie ou l’autre devait succomber… L’archiduc imposa aux Italiens l’impératif catégorique de l’irrédentisme36.
22Autoritaire et chauvin, même s’il n’était pas aussi va-t’en guerre que ses rodomontades auraient pu le laisser penser37, François-Ferdinand favorisa la nomination aux postes-clés d’hommes qui partageaient ses idées, comme le luogotenente du Litorale, Hohenlohe, le gouverneur de Fiume, Wickenburg ; et surtout le chef d’état-major, Conrad von Hötzendorf.
23Conrad von Hötzendorf
24Grâce à François-Ferdinand qui l’avait imposé à l’Empereur38, Franz Conrad von Hötzendorf (1852-1925) était chef d’état-major depuis le 18 novembre 1906. Ayant été en poste à Trieste (de 1899 à 1903), puis à Innsbruck (de 1903 à 1906), il avait pu appréhender la force de l’irrédentisme et y avait contracté une italophobie qui n’avait rien à envier à celle de l’héritier du trône. Cela n’empêcha d’ailleurs pas ce quinquagénaire, qui n’avait pourtant rien d’un Roméo ni d’un duc de Windsor, de s’éprendre follement, en 1908, de Virginia Nobile di Preti, née en 1880 d’un Régnicole et d’une Triestine ; sa liaison, puis son mariage, en 1915, avec cette divorcée, déjà mère de six enfants, manqua d’ailleurs de ruiner sa carrière.
25Holger Aflerbach commentait :
La haine frénétique que Hötzendorf éprouvait contre l’Italie alliée avait quelque chose de pathologique, mais le général n’était, sur ce point que le représentant extrême d’une opinion largement majoritaire parmi le corps des officiers… L’armée, comme la flotte, était unanimement italophobe et se sentait, à cause de 1866, de cent coudées supérieure aux Italiens39.
Franz Graf Conrad von Hötzendorf, général austro-hongrois, chef d'état-major de l'armée austro-hongroise. Portrait réalisé en 1915 par Hermann Torggler (1878-1939).

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Conrad « croyait l’Empire entouré d’ennemis : les irrédentistes italiens, serbes et roumains qui guettaient le moment favorable pour attaquer tous ensemble la Monarchie et satisfaire leurs ambitions nationales40 ». Pour lui, c’était l’Italie (et non plus la Russie, comme ses prédécesseurs) qui était l’ennemi principal. Plus grave : von Hötzendorf, voyant en une guerre (victorieuse, cela allait de soi) la dernière chance de salut pour la Monarchie41, préconisait, ouvertement, une guerre préventive contre l’Italie. « Depuis mon affectation à Trieste, j’avais indiqué la nécessité de mettre un terme à l’irrédentisme… Depuis mon affectation à Innsbruck, j’avais indiqué la nécessité de parfaire notre ligne de fortification. […] En tant que chef d’état-major, j’avais demandé expressément de régler son compte à l’Italie, dès 190742, en un temps où nous n’aurions rien eu à redouter des Serbes ou des Russes. », reconnut-il dans ses mémoires43. En 1909, il avait, à nouveau, conseillé d’attaquer l’Italie mise à genoux par le tremblement de terre de Messine44. Mario Alberti affirme, sans donner ses sources ni dater l’anecdote, que Conrad von Hötzendorf aurait déclaré à un groupe d’officiers : « Nous avons été stupides de ne pas sauter sur l’Italie pendant le tremblement de terre de Messine. Que Dieu nous donne une seconde chance, et malheur à nous si nous n’en profitons pas45. » Il revint à la charge en novembre 1911, alors que l’Italie était plongée dans la guerre de Libye.
« Je eher, je besser gegen Italien losschlagen ( Frapper l’Italie, le plus tôt sera le mieux) 46» devait être son leitmotiv, son Delenda Cartago. Et le plus étonnant était qu’il n’en faisait nul mystère.
26De façon plus discrète, il avait conseillé, en pleine crise bosniaque, de profiter de la paralysie de la Russie pour attaquer et annexer la Serbie. Il avait fallu des trésors de persuasion pour lui expliquer qu’annexer cinq millions de Slaves déséquilibrerait, de façon sans doute fatale, l’équilibre politico-ethnique, déjà précaire, de la Monarchie47. François-Ferdinand lui-même, qui l’avait pourtant fait nommer écrivit à un colonel de l’état-major, en pleine crise bosniaque, « Calmez donc Conrad ! Qu’il cesse de pousser à la guerre ! Il serait sans doute tentant de donner la raclée à ces Serbes et à ces Monténégrins, mais à quoi nous serviraient ces lauriers à bon marché si nous suscitions ainsi une coalition dans toute l’Europe, que nous ayons à soutenir deux ou trois fronts…. Ce sera la fin de tout48 ! » Cela ne manquait pas d’être prophétique.
27À plusieurs reprises, le gouvernement italien protesta contre les déclarations injurieuses et menaçantes du général. L’ambassadeur autrichien à Rome, Kajetan Merey von Kapos (pourtant nettement moins conciliant que son prédécesseur, von Lützow) adressa un rapport au Ballhausplatz où il déclarait « justifié le mécontentement de Rome » et demandait de ne plus « mettre à l’épreuve la longanimité de l’Italie ». Le chef de la diplomatie, von Ährenthal49, qui détestait Conrad von Hötzendorf et voyait, non sans raison, en lui un danger de guerre, finit par obtenir son limogeage. Le 15 novembre 1911, François-Joseph adressa un blâme public à son chef d’état-major : « Je ne veux plus de ces coups d’épingle…la politique envers l’Italie ou les Balkans, c’est moi qui l’ai fixée, et c’est une politique de paix. La guerre n’éclatera que si je l’ordonne50. » Conrad von Hötzendorf démissionna, séance tenante, mais, moins d’un an plus tard, le 12 décembre 1912, Ährenthal étant mort, Conrad von Hötzendorf retrouva son poste et le conserva jusqu’au 27 février 1917. L’Empereur lui expliqua : « Il est bien possible qu’on en vienne à une guerre avec l’Italie, cela est même vraisemblable. Mais nous devons attendre qu’elle nous ait attaqués51. »
De la crise bosniaque à Sarajevo (1908-1914)
28Les années 1908-1911, entre crise bosniaque et guerre de Libye, virent une forte poussée nationaliste en Italie. « Le nationalisme servait à l’Italie d’amortisseur contre le parti intérieur progressiste, et il s’avéra capable de détourner sur lui une grande partie du potentiel protestataire52. » Dirigé surtout contre l’Autriche-Hongrie, il était alimenté par une kyrielle d’incidents, « violations de frontières, bagarres entre pêcheurs italiens et marins croates, ton provocateur de certains organes de presse… Tout cela contribuait à rendre impossible une atmosphère amicale et confiante, comme il se doit entre deux alliés », déplorait l’ambassadeur von Lützow53.
Marinetti au Lirico de Milan, le 16 février 1909, lors d’une conférence où des perturbateurs anarchistes avaient crié « À bas la patrie ! », rétorqua : « Voici notre première conclusion futuriste : Vive la guerre ! À bas l’Autriche54 ! » Ce qui déclencha l’intervention de la police et l’interruption de la conférence au milieu d’un bruyant chahut.
29Plus que jamais, l’alliance austro-italienne apparaissait comme une aberration. En octobre 1909, l’amiral autrichien Montecuccoli n’hésita pas à déclarer : « Désormais, la mission de la marine autrichienne dans l’Adriatique ne doit plus être défensive, mais offensive. Nous devons atteindre l’ennemi où qu’il se trouve, et le défaire55. » Une telle déclaration ne pouvait être dirigée que contre l’Italie.
L’affaire Asinari
30Le 11 novembre 1909, à Brescia, le général commandant le 3e corps d’armée, justement déployé sur la frontière Nord-Orientale, Vittorio Asinari di Bernezzo56, prononça un discours où, après avoir évoqué « l’Orient, d’où tant de cités sœurs regardent anxieusement le lion de Saint-Marc en attendant leur libération », s’adressa à ses officiers : « Les terres irrédentes [il osa employer le terme, pourtant tabou dans les cercles dirigeants] qui sont proches attendent votre action57 ! »
31Toute l’opinion resta abasourdie. Que penser de ce général qui semblait vouloir déclarer la guerre de son propre chef ? La Stampa résuma :
Telle fut notre stupeur que, pour un moment, nous avons pensé à un canular. Le plus excité de nos irrédentistes de meeting n’aurait pas pu parler avec une plus grande témérité ni une plus grande imprudence. Nous ne pouvons que déplorer, de toutes nos forces… qu’un général… se soit laissé aller à un acte provocateur si grave contre un État avec lequel nous entretenons des rapports d’alliance. Un tel langage n’est pas justifié, sauf en cas de guerre imminente et préparée58.
La Tribuna du 12 novembre cria au danger de boulangisme.
32À Vienne, l’indignation fut vive. À l’ambassadeur von Lützow venu lui communiquer les protestations de son gouvernement, Tommaso Tittoni déclara, d’entrée de jeu : « Je sais pourquoi vous venez : il est déjà révoqué59. »
Cette révocation fut approuvée par toute la classe politique60 et les milieux militaires comme une « douloureuse nécessitée61 ». Le fait qu’Asinari ait compromis le Roi lui fut compté comme circonstance aggravante. L’ambassadeur de France commenta : « Quelle que soit leur opinion, tout le monde s’accorde à trouver inadmissible qu’un général d’active prononce des paroles menaçantes à l’égard d’un allié. Des mesures de rigueur s’imposaient62, 63. »
33Le journal socialiste Avanti ! du 14 novembre commenta : « C’est une histoire de fous. Et de fous dangereux64, 65 ! » Mais c’était la première fois qu’un officiel prononçait, en public, le mot « irrédent », et Asinari reçut des messages de soutien des milieux intellectuels. La Dante Alighieri le nomma membre perpétuel. Les étudiants italophones des universités autrichiennes lui offrirent une épée d’honneur. Giovanni Pascoli lui dédia une ode intitulée A riposo (dix-huit strophes de quatre vers chacune), parue dans le Marzocco du 12 décembre 190966.
34Rome et Vienne s’accordèrent pour déclarer l’incident clos. La Tribuna du 30 décembre 1909 écrivit : « Les rapports entre les gouvernements ne sauraient être plus cordiaux. … Mais toujours actives sont les questions de sentiments, dont il faut tenir compte si on veut que le désir, exprimé aussi bien à Rome qu’à Vienne, de l’alliance devienne également populaire67. » Ce qui était implicitement reconnaître qu’elle ne l’était pas.
35Le 31 mars 1910, Tittoni fut remplacé, à la tête de la Consulta, par Antonio, marquis San Giuliano, un aristocrate sicilien encore plus tripliciste que son prédécesseur. San Giuliano, resta à la tête de la diplomatie italienne jusqu’à sa mort, le 16 octobre 1914, avec un double objectif : d’abord, et sans renoncer au rapprochement avec la France et aux bons rapports avec la Grande-Bretagne, renforcer la Triplice, qu’il jugeait indispensable à la sécurité de l’Italie ; ensuite, relancer, prudemment, la politique d’expansion coloniale, à l’arrêt depuis le désastre d’Adoua. Ce qui, dans un cas comme dans l’autre, allait à l’encontre de l’irrédentisme.
Giolitti ne s’intéressait que médiocrement à la politique extérieure. Ou, plus exactement, il ne s’y intéressait que dans la mesure où elle ne troublait pas le développement économique et la stabilité politique du Royaume. Fort peu colonialiste, il se laissa pourtant convaincre de faire de la Libye ottomane une colonie italienne.
La guerre de Libye
36Le 28 septembre 1911, l’Italie déclara la guerre à la Turquie. Le 4 octobre, le corps expéditionnaire débarqua. L’installation sur le littoral fut relativement rapide, et l’annexion proclamée dès le 5 novembre. Mais il fallut encore un an de combats pour amener la Turquie à signer le traité d’Ouchy, le 15 octobre 1912. Quant à la pacification du désert, elle ne devait être achevée que sous le fascisme ; d’autant que la guérilla était aidée, en sous-main, par les Britanniques, et peut-être aussi par les Français.
37Contrairement à celle d’Abyssinie, une quinzaine d’années plus tôt, la guerre de Libye suscita un incontestable écho patriotique dans le pays. Les socialistes eux-mêmes, qui avaient commencé par s’y opposer farouchement et violemment (des milliers de militants, dont Pietro Nenni et Benito Mussolini, furent emprisonnés), révisèrent leur position, pour ne pas se couper de leur base.
Vienne et Berlin virent sans plaisir leur allié ottoman s’affaiblir encore davantage, mais cette expédition, détournant de l’irrédentisme l’attention et l’énergie de l’Italie, et la mettant en danger de se brouiller à nouveau avec la France et l’Angleterre, ne pouvait que renforcer la Triplice.
38Car la Grande-Bretagne considéra d’un mauvais œil une nouvelle concurrente s’établir dans ce Proche-Orient qu’elle considérait comme son pré carré. Et, les 16 et 19 janvier 1912, l’arraisonnement par les Italiens, au large de la Sardaigne, des paquebots français Carthage et Manouba68, créa un sérieux incident diplomatique. Victor-Emmanuel III alla jusqu’à dire, en mars 1912 à Guillaume II, que l’incident avait renouvelé la popularité de la Triplice en Italie69.
39La guerre de Libye marqua donc un refroidissement des relations de l’Italie avec l’Entente et, par contrecoup, un rapprochement avec les puissances centrales. L’irrédentisme restait bien vivant, d’autant qu’il était alimenté, hebdomadairement, par le récit des violences subies par les Italiens d’Autriche, mais il fut, dans l’opinion, un peu et provisoirement, éclipsé par la mystique de l’expansion coloniale. San Giuliano crut pouvoir déclarer à l’ambassadeur Mérey :
Le mouvement irrédentiste était en chute libre [San Giuliano prenait tout de même là ses désirs pour des réalités], car une nouvelle génération grandissait, pour qui les évènements du siècle dernier étaient déjà de l’histoire ancienne. Les étudiants, il est vrai, s’enflammaient facilement, en Italie comme ailleurs… mais heureusement, ce ne sont pas eux qui déterminent la politique70.
40Le 16 juin 1911, dans la Nuova Antologia, Ettore Ponti écrivait :
L’irrédentisme de caractère territorial [cela sous-entendait qu’il n’en allait pas de même de l’irrédentisme culturel] ne doit plus être considéré comme une question ouverte : dans le monde moderne, les frontières ne se déplacent que par la guerre et un conflit armé aurait des conséquences terribles. Les malentendus existants entre Italie et Autriche doivent être dissipés en mettant fin, non seulement de la part de l’Autriche, mais aussi, de l’Italie, aux dommageables et inutiles piqûres d’épingle71.
Et le chef d’état-major italien, Albert Pollio72, en poste depuis 1908, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour renforcer, militairement, la Triplice.
Mais, comme l’avait jugé avec lucidité l’ambassadeur d’Allemagne à Rome en 1913 : « La conception italienne comporte l’idée que toutes les obligations, même fixées par traité, sont subordonnées à leur opportunité73. »
Le renouvellement de la Triplice
41En décembre 1912, la Triplice avait été renouvelée, deux ans avant qu’elle n’arrive à échéance, à la demande de Rome qui craignait que la mort de François-Joseph (quatre-vingt-deux ans) n’amène sur le trône l’archiduc François-Ferdinand, qui ne faisait pas mystère de son italophobie. La Triplice ainsi renouvelée était valable, théoriquement, jusqu’en juillet 1926. Toutefois, le retour à son poste de l’ouvertement italophobe Conrad von Hötzendorf, le 12 décembre 1912, fit mauvaise impression en Italie.
42Et le sort des irrédents ne s’améliorait pas. Le 19 décembre 1912, Andrea Torre, dans le Corriere della Sera, déplora que :
[ce renouvellement] n’ait pas servi à faire considérer par l’Autriche, avec une équité plus grande et une justice plus directe, les Italiens qui dépendent d’elle. Il n’y a pas, parmi toutes les nationalités de la Monarchie, qui soit traitée plus mal que l’italienne, avec une méfiance plus inquiétante, une hostilité plus dure… L’alliance ne peut exiger formellement des garanties pour les Italiens de l’Empire ; mais elle aurait pu, et dû, les avoir comme conséquence naturelle et rationnelle.
De 1911 à 1914 : un irrédentisme de plus en plus visible et bruyant
43Depuis 1911, certains jugeaient pourtant l’irrédentisme en perte de vitesse, en Italie. Le Corriere du 2 mai 1912 affirmait qu’« à part une toute petite minorité, les relations avec l’Autriche sont jugées avec équanimité et sang-froid. […] Désirer posséder le pauvre Trentin ne saurait être le prétexte d’une guerre, dont les conséquences seraient inimaginables. Nous ne pouvons non plus imaginer qu’une guerre éclate pour Trieste, que l’Italie ne serait, de toute façon, pas en mesure de conserver longtemps74 ».
44Mais, dans les terres irrédentes, rixes et querelles sur des prétextes ethnico-linguistiques étaient devenues quotidiennes, entretenant une tension permanente qui pourrissait la vie. Et qui, rapportées dans les quotidiens italiens, y entretenaient la sympathie (dans les deux sens du terme) des Italiens pour les irrédents, accroissant l’austrophobie. En 1913, le journaliste Virginio Gayda publia, dans la Stampa, une série de reportages, pessimistes quant à la pérennité de l’italianité dans « L’Italia d’oltre frontiera » et qui eurent un grand retentissement.
Fin 1913, l’ambassadeur d’Italie en Allemagne, Riccardo Bollati écrivit à son collègue Giuseppe Avarna : « Si nous sommes honnêtes, 90 % des Italiens sont convaincus que Trente et Trieste nous appartiennent légitimement et que nous les prendrons tôt ou tard. Cette conviction s’exprime par des manifestations de plus en plus vives… que le gouvernement est bien obligé de tolérer75. »
45Bref, l’opinion (ou, plus exactement, la minorité des Italiens qui s’intéressaient à la vie publique) sympathisait sincèrement avec les irrédents. Acquérir les terres irrédentes aurait flatté son patriotisme, comme la conquête d’une nouvelle colonie. Mais, à part une poignée d’exaltés, presque personne n’envisageait une guerre de conquête.
46C’est dans ce contexte que, le 20 août 1913, furent rendus publics les décrets Hohenlohe (voir p.). En Italie, l’impression fut désastreuse. Même les plus triplicistes des hommes politiques italiens, comme Giolitti ou San Giuliano, ne cachèrent pas leur amertume76. Les élections législatives étaient imminentes et le gouvernement ne pouvait pas prendre le risque d’une surenchère des nationalistes. L’ambassadeur Merey reconnut que les décrets Hohenlohe avaient « fondamentalement gâté le sentiment de la population italienne, très irritée contre l’Autriche77 ». D’autant que le Statthalter du Tyrol parlait d’en faire autant, dans le Trentin.
47Après les évènements du 1er mai 1914 à Trieste (voir p.), l’indignation fut générale, les manifestations (surtout étudiantes) nombreuses. À Naples, le préfet qui avait laissé dégénérer l’agitation, menée par Napoléon Colajanni78, fut révoqué.
Les 26 et 27 mai 1914, il y eut débat au Parlement, sur i fatti di Trieste. L’ambassadeur d’Autriche Mérey, qui y assista, écrivit cette lettre de protestation au président du Conseil Salandra : « J’ai assisté par deux fois aux séances de la Chambre et en suis sorti péniblement impressionné d’avoir vu l’Autriche-Hongrie, son gouvernement et ses organes, accablés d’attaques, d’insinuations et d’injures de la part de tous les députés qui ont pris la parole sans que ni la présidence, ni le gouvernement y aient réagi d’un seul mot. Ce qui m’a indigné, c’était de voir même des archiducs et des archiduchesses [allusion à François-Ferdinand et son épouse] ainsi que notre chef d’état-major [Conrad von Hötzendorf] mis en cause par le député Colaianni sans que ce dernier ait été rappelé à l’ordre79. »
Notes de bas de page
1 Article 25 de l’Acte final du congrès de Berlin.
2 Cité en français par Aflerbach Holger, 2002, Der Dreibund, Vienne, Böhlau, p. 620.
3 Cité par La Stampa du 23 novembre 1908.
4 Horel Catherine, 2014, L’amiral Horthy, Paris, Perrin, p. 62.
5 « Sieg ohne Krieg », expression de Kronenbitter Günther, 2003, Krieg im Frieden; die Führung der k.u.k. Armee und die Großmachtpolitik Österreich-Ungarns 1906-1914, Munich, Oldenbourg, p. 334.
6 L’archiduc François-Ferdinand (pourtant plus faucon que colombe) avait dit, le 23 octobre 1908, dans une lettre qu’on ne peut s’empêcher de trouver prémonitoire : « Évidemment, c’est une perspective attrayante de venir à bout de tous ces Serbes et Monténégrins ; mais à quoi serviraient ces lauriers obtenus à bon marché si nous provoquions un conflit général en Europe, si nous devions combattre sur deux ou trois fronts, sans pouvoir supporter cette épreuve ? », décrivant exactement la déflagration de 1914. Dont il devait être la toute première victime (cité en français par Maurice Muret, 1932, L’Archiduc François-Ferdinand, Paris, Bernard Grasset, p. 204).
7 Cité en français par Lützow Heinrich Graf von, 1971, Im diplomatischen Dienst des k.u.k. Monarchie, Munich, Oldenbourg, p. 142.
8 Corriere della Sera du 7 octobre 1908.
9 Cité par www.cronologia.it, 1906, p. 8 [consulté en septembre 2023].
10 La Stampa du 9 octobre 1908.
11 Corrieredella Sera du 10 octobre 1908.
12 Lützow Heinrich Graf von, ouvr. cité, décrit, p. 152, l’ambassade en état de siège permanent.
13 Cité par Ara Angelo, 1987, « L’immagine dell’Austria in Italia », dans Italia e Austria. Dalle Cinque Giornate alla questione altoatesina, Udine, p. 189.
14 Cité en français par Lützow Heinrich Graf von, ouvr. cité, p. 146.
15 Le frioulan Valentino Pittoni (1872-1933) avait adhéré au socialisme, plus précisément à l’austromarxisme, en 1896. Député de Trieste au Reichsrat depuis 1907, il ne voyait pour les italophones pas d’autre avenir que dans un cadre austro-hongrois et ne cachait pas son hostilité envers tous les nationalismes, y compris l’irrédentisme. Au point de refuser, après 1918, l’annexion de Trieste à l’Italie et de préférer terminer sa vie en exil à Vienne où il organisa, après l’arrivée au pouvoir de Mussolini, un centre de résistance anti-fasciste.
16 Cités par Daneo Camillo, 1988, Il fantasma di Angelo Vivante, Udine, Cooperative Editoriali del Capo, p. 28.
17 Cité en français par Bled Jean-Paul, ouvr. cité, p. 707.
18 Henry Wickham-Steed (1871-1956) fut correspondant des plus grands journaux anglo-saxons à Paris, puis à Vienne. Belliciste (en 1914, il fut de ceux qui poussèrent Londres à entrer dans la guerre) et germanophobe, il était revenu de Vienne persuadé de l’inéluctabilité, et même, de l’urgence de la destruction de l’Autriche-Hongrie.
Pendant la guerre, avec Robert Seton-Watson, il fonda la revue New Europe où les exilés (en premier lieu, tchèques) énonçaient leurs arguments pour détruire cette prison des peuples qu’était, selon eux, l’Autriche-Hongrie.
19 Robert William Seton-Watson (1879-1951) était un historien britannique venu compléter ses études à Vienne. Déjà germaniste, il apprit le hongrois et le tchèque. En 1908, il publia The racial problems in Hungary où il préconisait une autonomie très large pour résoudre les tensions. Après 1914, il se dépensa pour promouvoir la cause des peuples « captifs » de l’empire des Habsbourg, et donc promouvoir son démantèlement. Du 8 au 10 avril 1918, il organisa, à Rome, le « Congrès des Nationalités opprimées d’Autriche-Hongrie ». (voir note n°, p .)
Le gouvernement britannique, qui se méfiait de son activisme, tint Seton-Watson à l’égard de toute responsabilité diplomatique. Mais, après-guerre, les gouvernements roumains, yougoslaves et tchécoslovaques (Masaryk et Beneš étaient ses amis personnels) le comblèrent d’hommages et d’honneurs.
20 Lützow Heinrich Graf von, ouvr. cité, p. 150.
Alberti Mario, ouvr. cité, p. 361.
21 Alberti Mario, ouvr. cité, p. 330.
22 « La spada nella destra e il rosario nella sinistra », Stampa du 24 mai 1908.
23 Heinrich Graf von Lützow, 1971, ouvr. cité, p. 160, rapporte que, lors d’un voyage en Égypte, en 1895, François-Ferdinand aurait rudoyé le consul d’Autriche-Hongrie avec une telle brutalité que celui-ci en aurait fait une tentative de suicide (voir aussi Gerd Holler, 1982, Franz-Ferdinand von Österreich-Este, Vienne/Heidelberg, Überreuter, p. 177 et suivantes).
24 Selon une légende (rapportée par la Stampa du 24 mai 1908), ses domestiques avaient dû se mettre en grève pour être payés. L’anecdote est sûrement exagérée, mais elle en dit long sur l’image que ses contemporains avaient de François-Ferdinand.
25 Holler Gerd, 1982, Franz Ferdinand von Österreich-Este, Vienne/Heidelberg, Überreuter, p. 177.
26 Témoignage de son collaborateur Bardloff, cité par Aflerbach Holger, ouvr. cité, p. 596.
27 Cité en français par Muret Maurice, 1932, L’Archiduc François-Ferdinand, Paris, Bernard Grasset, p. 116.
28 Deak Istvan, 1991, Der k.u.k. Offizier 1848-1914, Vienne/Cologne/Weimar, Böhlau Verlag, p. 85.
29 Aflerbach Holger, ouvr. cité, p. 597.
30 Rapporté par Murat Maurice, ouvr. cité, p. 139.
31 Cité par Holler Gerd, ouvr. cité, p. 170.
32 Cité par Bridge Francis Roy, 1972, From Sadowa to Sarajevo, Londres et New York, Routledge, p. 13.
33 François-Ferdinand avait, en 1900, épousé morganatiquement Sophie Chotek, qui n’était « que » comtesse. Ulcérée par cette « mésalliance », toute l’aristocratie viennoise leur battait froid, ce qui renforça encore le tempérament bourru et solitaire de l’archiduc.
34 Cité par Alberti Mario, ouvr. cité, 1936, p. 219.
35 Lützow Heinrich Graf von, ouvr. cité, p. 161.
36 Alberti Mario, ouvr. cité, p. 309-310.
37 Istvan Deak, ouvr. cité, p. 96, qualifiait François-Ferdinand d’« opposant le plus décidé à la guerre (der entschiedenste Kriegsgegner) » lors de la crise de 1908, et affirme que lui aurait eu le bon sens d’arrêter l’Autriche et l’Europe sur la pente fatale de juillet 1914.
38 Voir Pantenius Hans-Jürgen, 1984, Der Angriffsgedanke gegen Italien bei Conrad von Hötzendorf. Dissertation, Cologne/Vienne, Böhlau, p. 236.
39 Aflerbach Holger, ouvr. cité, p. 601.
40 Aflerbach Holger, ibid., p. 603.
41 Caburi Franco, 1920, Francesco Giuseppe, Bologne, Zanichelli, p. 405.
42 Le 4 septembre 1907, à l’issue de manœuvres réussies en Carinthie, Conrad von Hötzendorf demanda une entrevue à François-Joseph. Celui-ci, après l’avoir félicité, lui posa cette question : « Que demandez-vous, général ? Une guerre préventive contre l’Italie, Majesté. », lui répondit Conrad (cité par Maurice Murat, ouvr. cit. p. 179).
43 Cité par Rauchensteiner Manfred, 1993, Der Tod des Doppeladlers. Österreich-Ungarn im Ersten Weltkrieg, Graz, Styria, p. 236.
44 Le 28 décembre 1908, Messine et sa région furent ravagées par un terrible séisme qui fit 200 000 victimes. Toute l’Europe rivalisa de générosité dans l’assistance aux victimes, mais la mauvaise organisation des secours fut la cible de commentaires sans complaisance (voir Heinrich Graf von Lützow, 1971, Im diplomatischen Dienst des k.u.k. Monarchie, Munich, Oldenbourg, p. 156).
45 Cité en italien par Alberti Mario, ouvr. cité, p. 219.
46 Conrad Von Hötzendorf Franz, 1921, Aus meiner Dienstzeit, Vienne, Rikola Verlag, p. 510.
47 Deak Istvan, ouvr. cité, p. 94.
48 Cité par Holler Gerd, ouvr. cité, p. 166.
49 Alois Lexa von Ährenthal (1854-1912), après une brillante carrière de diplomate, dirigea le Ballhausplatz de 1906 à sa mort. À la fois soucieux de prendre, vis-à-vis de l’allié allemand, le plus d’autonomie possible et d’éviter une guerre qu’il pressentait fatale pour la fragile Autriche-Hongrie, il s’opposait frontalement au parti de l’Archiduc héritier.
50 Cité par Maurice Murat, ouvr. cité, p. 183. On peut mettre en parallèle son attitude avec celle de Guillaume I de Prusse qui, lui, en 1870, accepta la suggestion de Bismarck de faire une guerre préventive à la France.
51 Cité en français par Bled Jean-Paul, 2011, François-Joseph L’Empereur éternel, Paris, Perrin, p. 709.
52 Figl Karl-Heinz, 1990, Der österreichisch-italienische Gegensatz zur Zeit des Dreibundes und die Rolle des österreichischen Sozialdemokratie, mémoire de master 1, université de Vienne, p. 17.
53 Lützow Heinrich Graf von, ouvr. cité, p. 168.
54 Cité en français par Stefani Giuseppe, ouvr. cité, p. 137.
55 Stampa du 13 novembre 1909.
56 Asinari (1842-1923) avait participé à la deuxième et à la troisième guerre du Risorgimento. En 1915, ayant demandé et obtenu de reprendre du service, il fut décoré, à 65 ans, pour sa bravoure, et mourut sénateur, en 1923.
57 Cité par www.cronologia.it, 1909, p. 14 [consulté en septembre 2023].
58 Stampa du 12 novembre 1909.
59 Cité en français par Lützow Heinrich Graf von, ouvr. cité, p. 163.
60 Stampa du 13 novembre 1909.
61 Stampa 13 novembre 1909.
62 Même si cela fit beaucoup moins de bruit, la France avait connu un incident similaire deux ans plus tôt : le général Maurice Bailloud (1847-1921), commandant la place de Nancy, avait publiquement et abruptement déclaré, en mars 1907 : « La Guerre se fera ! » Ce qui lui avait valu une mutation dans l’intérêt du service ; à Montpellier, où il eut à affronter la révolte des viticulteurs ; et la mutinerie du 17e régiment d’infanterie.
63 Rapport de l’ambassadeur de France en Italie du 7 janvier 1910, Archives des affaires étrangères.
64 Avanti! du 14 septembre 1909.
65 « Roba da matti! E da matti pericolosi.»
66 Stefani Giuseppe, ouvr. cité, p. 118. Voir aussi la Stampa du 11 décembre 1909.
67 Tribuna du 30 décembre 1909.
68 Le Carthage transportait un aéroplane que les Italiens croyaient destiné aux rebelles libyens. Quant au Manouba, il avait à son bord 29 médecins et infirmiers turcs du Croissant rouge.
69 Voir Aflerbach Holger, ouvr. cité, p. 706.
70 Rapport de l’ambassadeur à Vienne cité par Faleschini Moana, 2001, ouvr. cité, p. 40.
71 Cité par Ara Angelo, 1987, Austria e Italia. Dalle Cinque Giornate alla Questione altoatesina, Udine, Del Bianco, p. 203.
72 Alberto Pollio (1852-1914) ancien attaché militaire à Vienne, avait épousé une Autrichienne. Comme beaucoup d’officiers italiens, il ne cachait pas son admiration pour l’Allemagne ; et aussi, ce qui était moins fréquent, son amitié pour l’Autriche. Pollio avait mis au point les modalités du transfert de trois corps d’armée italiens sur le Rhin, afin de participer à une offensive allemande contre la France. Sa mort inattendue le 1er juillet 1914, quelques jours après Sarajevo, fut un rude coup pour ceux qui espéraient une entrée en guerre de l’Italie aux côtés de ses alliés.
Pollio aurait même demandé, à des officiers allemands, en 1913 « Pourquoi ne pas commencer immédiatement cette guerre qui est inévitable? » (voir Holger Aflerbach, ouvr. cité, p. 772 et 779)
73 Renouvin Pierre, 1957, Histoire des Relations Internationales, tome VI, 1871-1914, Paris, PUF, p. 42.
74 Corrieredu 2 mai 1912.
75 Cité en allemand par Faleschini Moana, ouvr. cité, p. 42.
76 Voir Faleschini Moana, ouvr. cité, p. 127 et 138.
77 Cité par Faleschini Moana, ouvr. cité, p. 145.
78 Colaianni (1847-1921) était un député républicain, déjà célèbre pour les multiples incidents de séances qu’il provoquait (voir Jean-Yves Fretigne, 2002, Napoleone Colaianni, biographie intellectuelle d’un protagoniste de l’Italie libérale, École française de Rome).
79 Cité, en français, par Alberti Mario, ouvr. cité, p. 253. 1914-1915, La marche à la guerre
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