1La présence des caractéristiques fondamentales de l’autisme constitue le cœur de l’expression de cette condition. Toutefois, l’autisme est bien une manière différente d’être au monde et de le percevoir, et va se traduire aussi en termes de fonctionnement cognitif et émotionnel atypique. Ce chapitre vise à mieux décrire ces aspects et à mettre en avant les éventuelles différences liées au sexe dans ceux-ci.

Profil intellectuel des personnes autistes

2Il est fréquent d’entendre que les personnes autistes ont un QI hétérogène (définition dans l’encadré) ou encore que les personnes Asperger ont un QI verbal plus élevé, alors que le QI non verbal serait plus élevé chez les autistes typiques ou de haut niveau. On peut également lire que les personnes autistes avec un haut QI camouflent mieux leur autisme. Avant de s’intéresser spécifiquement au profil cognitif des femmes autistes, il semble essentiel de démêler le vrai du faux dans ces assertions communément répandues, en évitant une vision trop simplifiée du profil cognitif des personnes autistes.

Figure 23 : Répartition des scores de QI – courbe de Gauss

3Une étude de 2014, reprenant les données de 1 954 enfants autistes (244 filles seulement) âgés de 4 à 18 ans et ayant des QI pouvant aller de la déficience au très haut potentiel, s’est intéressée aux différences entre QI verbal et non verbal (Ankenman et coll., 2014). Dans l’échantillon de cette étude, 59 % des enfants autistes n’avaient pas de différence significative entre le QI verbal et non verbal, 14 % avaient un QI verbal supérieur au non verbal, et 27 % avaient un QI non verbal supérieur au QI verbal. Ce dernier profil comprenait des enfants avec une symptomatologie autistique plus marquée et davantage de difficultés sociales. Il était moins observé chez les enfants plus âgés que chez les plus jeunes. Cela suggère que les compétences en communication s’améliorent avec l’âge chez les enfants autistes, le QI verbal dépendant en partie des apprentissages. D’après une méta-analyse, le profil avec QI verbal supérieur au QI non verbal serait davantage représentatif des personnes autistes anciennement catégorisées comme « Asperger », alors que les personnes « autistes de haut niveau » ne montreraient pas de différence entre ces deux indices (Chiang et coll., 2014), ou auraient un QI non verbal supérieur. Ces résultats sont toutefois discutables au regard de l’abrogation des catégories diagnostiques au profit de la notion de spectre, et de l’hétérogénéité existant dans l’autisme.

4Si l’on s’intéresse maintenant plus en détail aux différents subtests, on trouve fréquemment un pic d’aptitude au test des cubes chez les enfants autistes (Takayanagi et coll., 2021), impliquant notamment la coordination visuo-motrice et la visualisation spatiale. Chez les adultes autistes, cette aptitude aux cubes serait davantage vraie pour les hommes que pour les femmes (Bölte et coll., 2011). Pour ceux dont le QI est supérieur à 100 (et notamment les « Asperger »), le vocabulaire et les similitudes (faisant appel à la formation de concepts verbaux et au raisonnement verbal) font aussi partie des pics d’aptitudes (Takayanagi et coll., 2021). En revanche, le code, appartenant à l’indice de vitesse de traitement, est le subtest qui est généralement le moins bien réussi. Il consiste à recopier des sigles en fonction de leur association avec un nombre donné, et fait intervenir la coordination visuo-motrice, la flexibilité cognitive, la mémoire de travail et la vitesse de traitement. Ainsi, l’hétérogénéité dans l’autisme est plus fréquemment observée en raison d’un indice de vitesse de traitement plus bas que les autres (Bucaille et coll., 2016 ; Spek et coll., 2008 ; Takayanagi et coll., 2021), plutôt que de différences entre QI verbal et QI non verbal.

5Néanmoins, il faut garder à l’esprit que tous les types de profils intellectuels peuvent être observés chez les personnes autistes, et donc que certains peuvent par exemple présenter un indice de vitesse de traitement égal ou supérieur aux autres indices. De plus, même si les profils hétérogènes sont fréquents dans l’autisme, ils semblent aussi majoritaires dans la population générale (voir par exemple Lecerf et coll., 2015). Ainsi, l’évaluation du QI chez une personne autiste dont on perçoit le bon niveau n’est pas indispensable dans la démarche diagnostique. En effet, l’analyse du profil apportera des indications sur les forces et faiblesses cognitives de la personne (ce qui a un intérêt, surtout pour l’accompagnement), mais pas directement sur l’autisme. Si cette évaluation est réalisée, il est donc nécessaire d’aller au-delà de l’analyse du profil. De fait, les spécificités du QI chez les personnes autistes ressortiront non pas dans l’hétérogénéité en elle-même (puisqu’elle est commune), mais de manière qualitative, avec des réponses ou des manières de procéder atypiques, comme cela avait déjà été perçu et décrit par Leo Kanner et Hans Asperger.

6Par ailleurs, on observe parfois chez les enfants autistes des aptitudes cognitives spécifiques qui ne sont pas évaluées dans les tests de QI. Par exemple, l’hyperlexie est fréquente et majoritairement existante chez les enfants autistes (84 % des enfants hyperlexiques seraient autistes et 1/10 des personnes autistes pourraient être hyperlexiques - Ostrolenk et coll., 2017). Celle-ci se caractérise par la présence de capacités de lecture avancées comparativement aux capacités de compréhension et au QI, avec une acquisition très précoce et autodidacte (sans enseignement explicite) chez des enfants ayant généralement un trouble du neurodéveloppement.

7Les différences liées au sexe dans le profil intellectuel des personnes autistes ont été peu recherchées et au regard de la diversité dans les profils cognitifs, les réponses à cette question doivent être précautionneuses. Tout d’abord, concernant les enfants, une étude américaine réalisée chez 365 enfants autistes (dont 72 filles) a mis en avant que les filles autistes reçoivent leur diagnostic à un âge plus avancé que les garçons, et ce malgré un âge similaire d’apparition des premiers signes préoccupants. (McDonnell et coll., 2021). Or, cette étude associe également QI verbal et retard de diagnostic, mais cette association serait plus importante chez les filles. Ces résultats suggèrent un autisme moins visible chez les filles avec de bonnes aptitudes cognitives, notamment verbales, ce qui pourrait entraîner des conséquences sur l’âge de leur diagnostic.

8Par ailleurs, un QI non verbal supérieur au QI verbal est davantage observé chez les garçons autistes que chez les filles autistes (Ankenman et coll., 2014). Ce point peut suggérer un lien avec la systématisation plus élevée chez les garçons, qui a été rapportée précédemment (voir chapitre 3) et qui s’appuie plutôt sur un raisonnement non verbal.

9En somme, les différences liées au sexe dans le profil cognitif des enfants autistes pourraient se manifester par des capacités verbales globalement supérieures chez les filles par rapport aux garçons, alors que les garçons pourraient avoir des capacités non verbales supérieures. Cette analyse est grossière et demande des investigations plus fines (Quels types de capacités précisément sont meilleurs chez les uns et les autres ? Ces résultats sont-ils reproductibles ?). Néanmoins, ces différences se rapprocheraient de ce que l’on peut retrouver dans la littérature sur les différences cognitives liées au sexe en population générale. En effet, les hommes seraient plus performants dans le domaine visuo-spatial, alors que les femmes le seraient dans le domaine verbal (mémoire verbale ou encore fluence verbale, c’est-à-dire la capacité à donner le plus de mots possibles qui correspondent à un critère, comme le fait de commencer avec une lettre précise, dans un temps limité). Les tailles d’effet sont faibles, ce qui signifie que les différences sont peu importantes, mais néanmoins robustes (voir la revue de littérature de Hirnstein et coll., 2019). Ainsi, les différences observées dans l’autisme pourraient n’être que le reflet de ce qui est observé en population générale. À ce sujet, il est essentiel de rappeler qu’il n’existe pas de différence en termes d’efficience intellectuelle générale entre hommes et femmes dans la population générale. Par ailleurs, la plupart des tâches cognitives (y compris des tâches visuo-spatiales et verbales) ne montrent pas de différences liées au sexe. Femmes et hommes présentent donc largement plus de ressemblances en termes cognitifs que de différences, même si les différences ne doivent ni être occultées ni être la justification d’un essentialisme, de stéréotypes abusifs, voire même de discriminations.

10Chez les adultes, une étude s’étant intéressée à 69 hommes et 38 femmes autistes diagnostiqués tardivement (Lehnhardt et coll., 2016) présentant de bonnes aptitudes intellectuelles indique des scores plus élevés chez les hommes autistes au subtest information (reflétant l’accumulation de connaissances sur des sujets variés). De plus, ils avaient globalement un QI verbal supérieur au QI non verbal, ce qui a parfois été associé à plus de conversations stéréotypées et à des initiations de conversations inappropriées. Les femmes autistes avaient un profil plus homogène entre aptitudes verbales et non verbales, ce qui, selon les auteurs, pourrait favoriser un meilleur ajustement socio-communicationnel, et donc contribuer au camouflage. Elles présentaient aussi une meilleure vitesse de traitement, pouvant aider à l’analyse des indices sociaux en situation d’interaction, et là encore, favoriser la compensation sociale. Ces hypothèses sont intéressantes mais sont très spéculatives. Les résultats nécessiteraient reproduction, et sont de plus restreints à une petite partie de la population autiste. Cela peut en partie expliquer qu’ils diffèrent des résultats précédemment mentionnés chez les enfants, invitant à rester mesuré quant aux conclusions. De manière personnelle, en recevant également des hommes et femmes autistes souvent diagnostiqués tardivement lors de mes recherches, et avec un bon niveau socio-culturel, j’observe fréquemment un QI verbal plus élevé, pour les femmes comme pour les hommes, et chez les personnes autistes comme chez les non autistes. Si ce sujet mériterait une réelle investigation, cette observation semble néanmoins cohérente avec le fait que le QI verbal dépende des apprentissages, notamment académiques, et qu’il est davantage corrélé au niveau d’étude que le QI non verbal (Kaya et coll., 2015). Cette supériorité du verbal chez les adultes pourrait donc être une caractéristique plus discriminante du niveau socio-culturel et des apprentissages, que de l’autisme.

Autisme ou haut quotient intellectuel ?

11On me demande souvent comment distinguer la femme autiste de la femme avec haut quotient intellectuel (HQI), mais cette question s’applique aussi bien aux hommes. Il est courant de lire que le HQI serait proche de l’autisme, et que les deux seraient difficiles à distinguer. Cette idée repose sur la croyance que le HQI se traduit lui-même par une symptomatologie spécifique : difficultés d’intégration et isolement, hypersensibilité, anxiété, etc. En réalité, il n’existe pas de fondement scientifique robuste appuyant ces observations selon les études réalisées à partir d’échantillons les moins biaisés (Gauvrit, 2014 ; Ramus & Gauvrit, 2017 ; C. Williams et coll., 2022). Cependant, les personnes avec HQI qui consultent des psychologues sont probablement plus fréquemment celles qui ont des difficultés, générant un biais dans la représentation que l’on peut s’en faire. La question de la frontière avec l’autisme se pose donc uniquement pour ces personnes avec HQI qui se sentent en marge des autres, d’autant qu’il pourrait exister un sous-groupe de personnes surdouées ayant un profil qui s’apparente au profil des personnes autistes (Boschi et coll., 2016). De plus, si avoir un haut QI n’augmente pas les problèmes de santé mentale, cela n’exempte pas pour autant de troubles psychologiques ou neurodéveloppementaux, et il est donc possible d’avoir un haut QI et d’avoir un trouble anxieux, ou d’avoir un haut QI et d’être autiste.

12Selon une méta-analyse, la répartition des scores de QI chez les personnes autistes semble suivre une loi normale (Chiang et coll., 2014), comme dans la population générale. Ainsi, la proportion de personnes autistes avec HQI pourrait être proche de celle trouvée en population générale (soit 2 %, parmi les 1 % de personnes autistes). Pourtant, cette méta-analyse, tout comme une étude longitudinale basée sur une grande cohorte (Katusic et coll., 2021), montrent plutôt une proportion de personnes autistes avec HQI comprise entre 0 et 1.5 %. Il se peut que ces études n’aient pas pris en compte l’ensemble des personnes autistes, notamment car il existe des différences entre les populations qui sont étudiées en épidémiologie et celles qui sont rencontrées en clinique. Les changements dans les critères diagnostiques pourraient désormais inclure dans l’autisme davantage de personnes avec un QI supérieur (Wolff et coll., 2022).

13La proportion de celles-ci pourrait par ailleurs être plus importante chez les personnes diagnostiquées tardivement, puisque leurs bonnes ressources cognitives aideraient certaines à passer plus longtemps inaperçues (Lehnhardt et coll., 2016). Selon une recherche réalisée sur 24 420 jeunes autistes, les traits de l’autisme seraient moins accentués chez les personnes avec un plus haut QI (Warrier et coll., 2021). Notons cependant que le QI seul ne permet pas de compenser l’autisme. La compensation dépend aussi de la sévérité des traits autistiques de la personne, de l’efficience de ses fonctions exécutives, des comorbidités associées, de son fonctionnement adaptatif, de ses expériences de vie, etc. Ainsi, dire qu’une personne a compensé son autisme grâce à ses aptitudes intellectuelles est réducteur par rapport à la complexité de ce qui détermine la compensation et la résilience (et culpabilisant pour les personnes autistes à haut QI qui ne réussissent pas à masquer leurs caractéristiques).

14Apporter de la nuance est essentiel, d’autant que, malgré la compensation, la personne autiste se trouvera toujours en situation de handicap dans certaines situations. Par exemple, si l’on compare le profil d’enfants et adolescents avec HQI autistes ou non, les deux groupes diffèrent de manière importante dans leurs capacités adaptatives (Doobay et coll., 2014). En particulier, les jeunes autistes avec HQI rencontrent des difficultés sociales non retrouvées chez les jeunes avec HQI non autistes, et ont plus de comportements atypiques, de dépression et de problèmes adaptatifs et attentionnels. Les domaines de la communication et des aptitudes en vie quotidienne sont dans les normes, mais inférieurs aux scores des jeunes n’ayant pas de diagnostic d’autisme (Doobay et coll., 2014). Ces différences, et finalement, le handicap associé à l’autisme, qui n’est pas retrouvé chez les personnes avec HQI non autistes, marquent donc la frontière entre les deux profils, dont les contours peuvent néanmoins être flous.

15En effet, une personne avec HQI peut avoir des troubles handicapants dont la symptomatologie se rapproche de celle de l’autisme (comme l’anxiété sociale ou les troubles obsessionnels compulsifs). À l’inverse, la personne autiste évoluant dans un milieu adapté peut ne pas être très handicapée, ou encore son handicap va varier en fonction du milieu. À cela s’ajoute l’existence de traits autistiques dans toute la population, à des degrés variés (Allison et coll., 2008 ; Baron-Cohen et coll., 2001 ; Constantino & Todd, 2003 ; Posserud et coll., 2006), sans que cela génère de handicap significatif et puisse être considéré comme de l’autisme. De ce fait, la démarcation entre les personnes autistes et non autistes avec des traits autistiques n’est pas facile ni dichotomique (et ce, indépendamment du QI), surtout que les deux groupes partageraient des caractéristiques cliniques et neuroanatomiques (Focquaert & Vanneste, 2015). Il s’agit de spécificités dans certaines régions du cerveau impliquées dans les aptitudes sociales, comme le cortex temporo-occipital, le cortex temporal inférieur, l’insula ou encore l’amygdale. L’expérience du clinicien qui aura connu de très nombreux autistes vient donc jouer un rôle majeur dans le processus d’évaluation (Fusar-Poli et coll., 2017).

16Notons enfin que des variations génétiques communes ont été trouvées chez des personnes autistes et chez des personnes non autistes avec un QI élevé (Clarke et coll., 2016 ; Sniekers et coll., 2017). Pour autant, les études ne mentionnent pas de spécificités cliniques communes qui seraient retrouvées chez les unes et les autres, mais cela pourrait expliquer que l’on trouve des personnes autistes et des personnes avec HQI dans la même famille. De la même manière, il existe des liens génétiques entre l’autisme et la schizophrénie ou la bipolarité (O’Connell et coll., 2018), ce qui n’implique pas non plus un continuum en termes de symptômes, mais peut aider à comprendre la coexistence de profils atypiques au sein d’une même famille, comme cela a été vu en début d’ouvrage.

Fonctionnement exécutif

17Les fonctions exécutives font référence à un ensemble de fonctions cognitives de haut niveau qui vont permettre d’initier des actions, d’inhiber des comportements, de s’adapter, d’agir de manière flexible (comme le fait de passer d’une tâche à une autre ou de changer de comportement en fonction de la situation) ou encore de planifier et de réguler ses comportements. La mémoire de travail, qui permet de stocker à court terme des informations pour les manipuler, fait également partie des fonctions exécutives.

18Les fonctions exécutives sont gérées par les aires frontales du cerveau. Leur développement se poursuit jusqu’à vingt ans environ. Ce sont les fonctions qui arrivent à maturité le plus tardivement, et qui sont aussi les premières à décliner. Elles sont parfois vues comme le chef d’orchestre du cerveau et sont particulièrement utiles au quotidien.

19Imaginez par exemple que vous ayez un rendez-vous à 12 h 30, à 1 h de chez vous, auquel vous vous rendez en voiture. Vous allez devoir planifier votre heure de départ ainsi que votre itinéraire pour arriver à l’heure (planification), et respecter cette heure de départ pour vous mettre en route (activation). Sur la route, il est 12 h, et vous avez faim. Vous voyez le panneau d’un restaurant, mais vous devez laisser cette information de côté (inhibition) et ne pas vous arrêter afin de poursuivre votre objectif. Malheureusement, un peu plus loin, il y a des travaux sur votre itinéraire et la route initialement prévue est barrée. Vous allez donc devoir trouver un autre itinéraire (flexibilité) afin de pouvoir atteindre votre objectif, tout en régulant les émotions négatives (anxiété, colère) liées à cet imprévu (régulation émotionnelle). À la fin du trajet, vous regardez l’adresse exacte. Vous devez tourner dans la rue Belledonne, juste après l’avenue Albert I^er de Belgique. Vous conservez cette information en tête le temps de trouver la bonne rue (mémoire de travail) afin d’arriver à destination. Avec cet exemple, vous pouvez constater que les fonctions exécutives (figure 24) sont fondamentales pour toutes les simples activités de vie quotidienne et sont nécessaires à la bonne autonomie d’une personne. Il faut également noter qu'elles sont étroitement liées aux fonctions attentionnelles, qui présentent aussi des particularités dans l'autisme, même sans trouble déficitaire de l'attention associé.

Figure 24 : Les fonctions exécutives.

20Il a été suggéré que l’autisme pouvait relever d’un déficit au niveau des fonctions exécutives, en lien avec des particularités structurelles au niveau de lobes frontaux (Hill, 2004), ainsi que d’une connectivité atypique entre ces zones et d’autres aires cérébrales (Demetriou et coll., 2017). Si les spécificités de l’autisme ne relèvent probablement pas uniquement de dysfonctions exécutives, les troubles des fonctions exécutives dans l’autisme sont en revanche bien avérés mais hétérogènes (Demetriou et coll., 2017 ; Zhang et coll., 2020). Tous les domaines des fonctions exécutives peuvent être touchés, de manière variable selon les individus, et une atteinte plus importante des fonctions exécutives est corrélée à davantage d’intérêts restreints et de comportements répétitifs (Bölte et coll., 2011). Cela fait sens dans la mesure où la répétition et la résistance aux changements vont être liées à une flexibilité réduite. Cependant, la réussite des personnes autistes à certains tests de flexibilité montre que la flexibilité cognitive n’est pas nécessairement impactée en elle-même, ce qui est un point d’appui important pour l’adaptation. Ainsi, si la tâche est prévisible, avec des règles claires (par exemple : « si X se présente, réaliser A, et si Y se présente, réaliser B »), des stratégies peuvent être utilisées par les personnes autistes, se traduisant par des performances similaires aux contrôles, mais par une utilisation de réseaux cérébraux différents (Geurts et coll., 2009). En revanche, dans la vie quotidienne, la flexibilité est généralement sollicitée pour s’adapter à des situations non prévisibles, pour lesquelles il n’y a aucune règle définie (c’est le cas notamment de beaucoup de situations sociales). Dans un tel cas, les capacités de flexibilité des personnes autistes vont être mises à rude épreuve, et les difficultés peuvent apparaître (Lacroix et coll., 2022).

21Il en va de même pour les tâches de planification, qui font appel à une situation simple lors des tests. Mais la vie réelle fait appel à des situations d’organisation complexes, plus difficiles à gérer et pouvant poser problème malgré une réussite en situation de test. De plus, les tâches de planification n’évaluent que certains aspects de la planification spatio-temporelle (par exemple tâche dans laquelle on doit faire des courses en respectant des contraintes horaires). Cependant, l’organisation spatiale, comme l’organisation de son lieu de vie ou d’un espace de travail, n’est pas prise en compte dans les tests, même si elle est souvent problématique.

J’ai besoin d’avoir un emploi du temps avec des heures de début et de fin. Par contre, sur l’organisation matérielle, mon bureau est un gros bazar organisé. J’ai des piles de documents. Je sais où chaque élément se trouve. Mais, au bout de quelque temps, je suis obligée de déplacer les piles et je ne sais pas ranger, trier. Tout me paraît important donc non jetable. J’ai investi dans des casiers à tiroirs pour mes cours. Je me force à tenir rangée au moins cette partie. (Maryline)

Ce témoignage met aussi en exergue les difficultés à dégager des priorités, à trier. L’utilisation du questionnaire BRIEF auprès des parents (Behavioral Rating Inventory of Executive Function – Gioia et coll., 2000) a montré que les filles autistes rencontraient parfois plus de difficultés exécutives au quotidien que les garçons (White et coll., 2017). Ce résultat est toutefois à modérer car d’autres études ne retrouvent pas de différence dans une population adulte (voir Demetriou et coll., 2021). Hypothétiquement, cela pourrait expliquer qu’elles soient plus attachées à leurs rituels, comme rapporté au chapitre précédent. La mise en place des rituels pourrait répondre au besoin de planification, tout en réduisant le coût cognitif lié à cette dernière, puisqu’une activité ritualisée n’implique pas de surprise quant au temps que cela va prendre. À l’inverse, dans les situations non ritualisées, le besoin de planification peut être mis à mal par les problèmes d’organisation, comme le montre l’exemple suivant :

J’aime que les choses soient organisées et planifiées, mais j’ai beaucoup de mal à m’organiser. Si par exemple je fais un planning, je vais avoir beaucoup de mal à savoir combien de temps je dois prévoir. J’ai l’impression d’être très lente, donc je prévois souvent trop de choses par rapport à ce que je peux réaliser. Cela augmente mes angoisses et j’ai l’impression de ne pas me voir avancer. (Anne-Catherine)

Malgré ces difficultés en situation de vie réelle, certaines situations de tests ont montré que les femmes autistes étaient globalement moins impactées dans leurs fonctions exécutives que les hommes autistes. Elles présentent une meilleure flexibilité dans certaines situations (Bölte et coll., 2011 ; Demetriou et coll., 2021 ; Lacroix et coll., 2022 ; Lehnhardt et coll., 2016), ce qui les amènerait à une meilleure adaptation. En effet, le fonctionnement exécutif est un bon prédicteur du fonctionnement adaptatif, et ce quel que soit le niveau intellectuel (Bertollo & Yerys, 2019 ; Kenny et coll., 2019). Par exemple, le fonctionnement exécutif de jeunes autistes qui ont évolué de manière optimale se trouve dans la norme et est moins déficitaire que celui de jeunes qui conservent plus de difficultés lors de l’avancée en âge, mais est aussi moins optimal que celui de jeunes au développement typique de même niveau intellectuel (Troyb et coll., 2014). Cependant, selon une récente étude, il semblerait que le meilleur fonctionnement exécutif des filles, notamment en termes de flexibilité cognitive ou encore de fluence verbale sémantique, mais également sur la vitesse psychomotrice et sur d’autres fonctions cognitives comme l’apprentissage verbal, ne soit pas spécifique à l’autisme mais se retrouve en population générale (Demetriou et coll., 2021). Il faut toutefois noter qu'une méta-analyse chez des sujets typiques suggère que les différences liées au sexe dans les fonctions exécutives seraient plus liées à des tâches spécifiques qu'à des différences sur les grands domaines des fonctions exécutive (Gaillard et coll., 2020).

22Ainsi, les résultats concernant les différences liées au sexe dans l’autisme sur les fonctions exécutives ne s’accordent pas tous et certaines différences observées pourraient là encore être le reflet des différences en population générale. Il est néanmoins possible de retenir que filles comme garçons autistes rencontrent des difficultés dans leurs fonctions exécutives au quotidien. Il est parfois nécessaire de les accompagner pour une meilleure réussite scolaire, professionnelle et une meilleure autonomie. Ces difficultés peuvent nécessiter des adaptations dans la scolarité et dans l’emploi. Par exemple, il est important de donner des consignes et un planning clair, ou en tout cas de s’assurer de l’avancée dans les tâches et d’aider à l’organisation en cas de difficulté. En effet, la personne autiste peut parfois être en sous-performance, non pas du fait d’une incapacité à la tâche, mais en raison de ses difficultés exécutives.

L’organisation, chez moi, c’est une catastrophe. Si on m’aide et qu’on me met en place quelque chose, je peux m’y tenir, mais je peux aussi me disperser très vite. La prise d’initiative est compliquée pour moi, surtout dans des conditions d’urgence. (Pauline)

Parfois, de simples aides à l’organisation et à la définition de priorités peuvent tout changer. Ceci révèle donc l’importance de la connaissance, par les enseignants, les employeurs et les collègues, de la manière dont peuvent se manifester ces difficultés et de la manière d’y remédier. La personne elle-même peut aussi trouver des outils pour l’aider au quotidien, par exemple avec l’ouvrage Guide de survie de la personne autiste (Piat, 2018), écrit par un adulte autiste également accompagnant et formateur.

Régulation émotionnelle

23Les fonctions exécutives jouent aussi un rôle essentiel dans la régulation émotionnelle, qui a elle-même un rôle adaptatif primordial. Les personnes autistes de tous les âges rencontrent des difficultés de régulation émotionnelle (Cibralic et coll., 2019 ; Lim, 2019 ; Weiss et coll., 2014). Celles-ci peuvent favoriser le développement de l’anxiété et de la dépression. Il existe différentes échelles de mesure de la régulation émotionnelle. L’une d’entre elles, l’EDI (Emotion Dysregulation Inventory – Mazefsky et coll., 2018), s’intéresse à deux dimensions à l’aide d’un questionnaire rempli par un proche. La première dimension est la réactivité émotionnelle, qui évalue les comportements suivants : difficulté à se calmer lorsque la personne est bouleversée, sautes d’humeur, réactions émotionnelles intenses/extrêmes, difficulté à distraire la personne bouleversée/frustrée, sensibilité à la frustration, etc. La seconde est la dysphorie émotionnelle, qui évalue la détresse émotionnelle, la sensation d’émotions négatives : la personne semble-t-elle triste, semble-t-elle ne pas prendre de plaisir dans ce qu’elle fait, etc. ? Une étude menée auprès de 722 enfants autistes (dont 146 filles) de 4 à 20 ans a montré (comme d’autres études auparavant) que les enfants autistes avaient des scores plus élevés par rapport aux enfants typiques (Wieckowski et coll., 2020). Plus précisément, ils se situent à 2,5 écarts-types au-dessus de la moyenne sur la dimension régulation émotionnelle et à 1,3 écart-type au-dessus de la moyenne sur la dimension dysphorie émotionnelle. Cela signifie que seule une faible proportion de la population de référence a des scores similaires (seuls 2,2 % de la population de référence se situe au-delà de 2 écarts-types). Ces difficultés de régulation émotionnelle s’intensifient avec l’âge (au-delà de 13 ans), alors que chez les enfants typiques, la régulation émotionnelle s’améliore avec l’âge (probablement du fait de la maturation des aires frontales). L’adolescence est donc une période particulièrement difficile pour les jeunes autistes. Enfin, cette étude montre que les filles autistes rencontrent davantage de problèmes de régulation émotionnelle que les garçons autistes, et ce, sur les deux dimensions de l’échelle (avec néanmoins une faible taille d’effet).

24La dysphorie émotionnelle plus importante chez les filles autistes pourrait être liée à davantage d’internalisation des difficultés (qui se traduisent en anxiété, dépression). Cette hypothèse est appuyée par d’autres travaux (Nordahl et coll., 2020), qui ont classifié des enfants autistes par une approche statistique appelée « analyse des profils latents ». Cette approche consiste à rassembler les participants en sous-groupes avec des caractéristiques homogènes. Les caractéristiques prises en compte regroupaient la sévérité de l’autisme, les symptômes psychopathologiques internalisés (comme les troubles de l’humeur, les symptômes anxieux et dépressifs) et externalisés (comme les comportements agressifs et brisant les règles) mesurés par la CBLC (Child Behavior Checklist – Achenbach & Edelbrock, 1991), le développement cognitif et le fonctionnement adaptatif. Les chercheurs ont ensuite étudié l’association entre l’appartenance à chacun des sous-groupes trouvés (trois au total), le sexe et le volume de l’amygdale, qui a un rôle dans la régulation émotionnelle et dans certaines conditions comme l’autisme, l’anxiété et la dépression. Dans l’un des sous-groupes, qui comportait 27 % des participants (sur 420 enfants autistes), dont 40 % des filles autistes (contre 22 % des garçons), les enfants avaient un autisme modéré et des symptômes psychopathologiques importants (alors que les participants des autres sous-groupes avaient moins de symptômes psychopathologiques). La prédominance féminine dans ce groupe, et de manière plus générale, la prédisposition des filles autistes à l’anxiété et la dépression, pourrait être favorisée par les œstrogènes, puisque leur rôle a été suggéré dans la vulnérabilité à ce type de troubles (Cover et coll., 2014). De plus, ce groupe présentait une amygdale plus volumineuse, et ce volume était positivement corrélé aux symptômes internalisés chez les filles autistes (autrement dit, plus l’amygdale des filles autistes était volumineuse, plus elles avaient de symptômes internalisés), mais pas chez les garçons. Ces résultats mettent en avant une différence liée au sexe dans la corrélation entre l’architecture cérébrale et certains symptômes.

25La réactivité émotionnelle plus importante est quant à elle bien décrite dans les témoignages (voir ci-dessous) et pourrait contribuer à expliquer que les filles autistes soient parfois vues comme capricieuses :

Pour ma part, j’ai l’impression de ne ressentir principalement que de l’angoisse. J’ai du mal à réguler mes émotions et souvent, j’explose sans le voir venir. Je me frappe et je me mords, je crie, je me cogne la tête. (Anne -Catherine)

Je comprends mes émotions, mais à retardement. Les émotions fortes oui, surtout la colère, anxiété ; cela monte très vite, il n’y a pas de limites, je n’arrive pas bien à gérer cela. (Magali)

Nessa a parfois des débordements émotionnels. Par exemple, lorsqu’elle ne comprend pas ce qu’on lui demande et qu’on lui répète en haussant la voix, elle se met facilement à pleurer. (Samia)

Je me souviens de ce jour où je dinais avec ma mère et son oncle assez âgé, qui me dit au cours du repas : « Je suis vraiment content de voir ce que tu es devenue car lorsque tu étais enfant, tout le monde se demandait ce qu’on allait bien pouvoir faire de toi ». Cela m’a stoppée dans mon repas et je lui ai demandé ce qu’il voulait dire. Ce à quoi il ne souhaitait pas répondre au départ et m’a invitée à demander à d’autres personnes de la famille. Je crois au final qu’il ne savait pas trop dire ce qui clochait chez moi et après insistance de ma part, il a fini par me dire « tu étais tellement capricieuse ». Cela m’a perturbée. C’est vrai que j’avais aussi beaucoup entendu ça de mes frères et je dois reconnaître qu’il n’était pas rare que je fonde en larmes ou que je me bloque totalement de frustration. Pourtant, je faisais tous les efforts du monde pour me plier et accepter les choses autour de moi. Mais mon entourage ne pouvait se représenter ce qui déferlait en moi lorsqu’un élément venait à changer de manière imprévue, lorsque les choses ne se passaient pas comme je l’avais pensé ou lorsque je ne comprenais pas une situation. Tout ce que je contenais était immense ; et pourtant, on ne me voyait que comme une petite fille capricieuse. (Ana)

26Les résultats précédents sont à nuancer par une autre étude, menée auprès de 214 enfants autistes, montrant davantage de réactivité émotionnelle, d’anxiété et de dépression chez les garçons autistes (Prosperi et coll., 2020), en se basant aussi sur les résultats à la CBCL. Les différences de résultats peuvent s’expliquer à la fois par les procédures employées et la sélection de l’échantillon, et mettent en avant la nécessité d’autres recherches.

27Malgré tout, ces résultats invitent à travailler la régulation émotionnelle chez les personnes autistes, et ce dès le plus jeune âge. Cela peut contribuer à une meilleure adaptation au monde et aux situations rencontrées, et plus globalement à une meilleure qualité de vie. Une revue récente montre que les thérapies basées sur une approche cognitive et comportementale pourraient se montrer efficaces chez les jeunes et adultes autistes (Reyes et coll., 2019). Un travail avec un psychologue, si possible spécialisé dans l’autisme, sera le plus efficace, mais en support, ou pour des difficultés moins ancrées, des livres tout publics peuvent parfois aider. L’ouvrage Sortir des émotions négatives (Cottraux, 2021) permet à la fois de proposer une approche en psychoéducation dans la première partie, puis un programme d’autogestion des émotions basé sur différents outils (manœuvre vagale, relaxation, méditation, analyse fonctionnelle), ainsi que des exercices pratiques pour mieux gérer le quotidien. Il pourra être directement utilisé par des personnes adultes concernées. De manière similaire, le livre Asperger : comment vaincre coup de blues et dépression (Attwood et coll., 2020) offre un guide d’autoassistance pour les personnes autistes. Les professionnels et les familles pourront aussi se référer à l’ouvrage Prise en charge comportementale et cognitive du trouble du spectre autistique (Cottraux et coll., 2015), ou encore au livre Devenir détective de l’autisme, pour les profils les plus compliqués (Piat & Fifis, 2022).