Des stratégies de réintégration : entre normes personnelles et normes scolaires
p. 179-181
Texte intégral
De la perspective sociolinguistique…
1Le discours dominant articule fortement réussite scolaire et maitrise de l’écrit, et formule que celui qui ne sait pas lire-écrire ne peut pas réussir un cursus scolaire, alors que celui qui sait lire-écrire a de bonnes bases pour le réussir. Dans les recherches sur l’éducation, et aussi l’apprentissage, quand la question de l’exclusion ou de l’échec scolaire est explorée relativement à celle de l’écrit scolaire, le plus souvent c’est pour mettre en évidence l’écart entre les pratiques langagières scolaires et les pratiques langagières ordinaires et/ou non scolaires. Ainsi, selon la perspective sociolinguistique, le constat est régulièrement établi que c’est cet écart qui est à l’origine de l’échec scolaire et de l’exclusion de certains élèves, plus particulièrement ceux issus de milieux sociaux et/ou culturels qui n’usent pas du langage selon les mêmes modalités que l’école (voir, par exemple : Charlot, Bautier & Rochex, 1992 ; Lahire, 1993).
2Si cette thèse a été abondamment démontrée et fait aujourd’hui consensus, on remarque en revanche qu’elle occulte d’une part la question des élèves qui disposent de toutes les habiletés langagières et littératiques nécessaires pour réussir à l’école et qui pourtant ne réussissent pas, d’autre part celle des élèves qui ne disposent pas de ces habiletés et réussissent. Il est assez ordinaire, en effet, de rencontrer des élèves qui ont construit des compétences lecturales et scripturales satisfaisantes, et qui sont scolarisés en Segpa, ont été exclus de l’école ou ont décroché (Frier & Guernier, 2007), ou, inversement, des élèves inscrits dans un cursus de formation professionnelle où ils ne sont pas en échec alors que leur maitrise de l’écrit est très lacunaire.
… à l’approche didactique
3Ces différents « cas » sont intéressants dans la mesure où ils incitent à revenir sur l’articulation entre maitrise de l’écrit (lecture-écriture) et réussite scolaire, et engagent à ne pas réduire la question de l’intégration/exclusion scolaire à la seule hypothèse du « handicap » langagier ou à la seule explication de l’écart sociolangagier. Ces « cas » suggèrent au contraire qu’en dépit ou au-delà de cet écart, l’intégration des genres scolaires de l’écrit et de ses normes est réalisée par de nombreux élèves que leur profil social et culturel ne semblait pas a priori permettre.
4Notre hypothèse est que leur réussite est le résultat des apprentissages réalisés dans le cadre scolaire, en dépit de ce que certains ont considéré comme un handicap social, culturel ou langagier. Pour la démontrer, nous voulons explorer comment ces élèves apprennent à maitriser l’écrit scolaire et quels apprentissages ils réalisent en construisant cette maitrise. Quels sont les cheminements qui mènent ces élèves à l’intégration des normes scolaires et des genres scolaires de l’écrit, et, de là, plus largement à leur intégration scolaire ? Quelle est la part des habiletés littératiques scolaires dans ces processus d’intégration scolaire ? Quelles sont la place et la fonction des apprentissages langagiers, et plus particulièrement de l’écrit, dans leur réussite scolaire ?
5Cette partie envisage ces questions dans une perspective didactique selon ses deux versants : en nous intéressant aux savoirs langagiers d’abord selon le versant enseignement, c’est-à-dire tels qu’ils sont mis en œuvre dans la classe, ensuite selon le versant apprentissage, tels qu’ils sont appris ou tels que les élèves se les approprient. Nous souhaitons étudier — au-delà de motifs liés à des facteurs externes à la question de l’apprentissage et de la maitrise scolaire, qu’ils soient d’ordre psychologique, familial, économique, etc. — comment ces élèves apprennent ou n’apprennent pas les genres scolaires de l’écrit.
6Pour ce faire, nous sommes allés enquêter auprès d’élèves décrocheurs ayant repris leurs études au Collège lycée élitaire pour tous (Clept) de Grenoble, où ils préparent le baccalauréat général.
Les élèves décrocheurs : de l’exclusion à la réintégration
7Le Collège lycée élitaire pour tous est un établissement public de l’académie de Grenoble qui scolarise des élèves qui, après avoir décroché du système scolaire et s’en être exclus, se sont engagés dans un processus de raccrochage et de réintégration scolaire.
8Le cas des élèves raccrocheurs nous intéresse particulièrement parce que ce sont des élèves qui ont rompu (élèves dits décrocheurs) avec le système scolaire puis qui y sont revenus, selon un double processus d’exclusion/réintégration, alors que ce sont des élèves qui :
- n’ont ni difficultés intellectuelles et cognitives particulières (perspective cognitive), ni difficultés langagières ;
- ne relèvent pas d’un « handicap socioculturel » : ils n’ont pas de problèmes d’intégration sociale et culturelle, ils ne sont pas des exclus de notre société (perspective socioculturelle) ;
- sont motivés par l’apprentissage et la réussite : ils veulent obtenir un bac pour continuer des études et préparer un diplôme professionnalisant ; donc, là aussi, on ne peut pas arguer du fameux manque de motivation (perspective psychologique).
9Pourtant, ces élèves, à un moment de leur cursus, ont rejeté l’école et ses normes et ont opté pour une trajectoire individuelle en dehors de l’institution scolaire.
10De plus, ces élèves qui ont vécu la double expérience de l’exclusion/intégration peuvent, en raison de leur âge et de leur maturité, la mettre à distance et la réfléchir, rendre compte de leur trajectoire individuelle, décrire l’expérience scolaire à travers le prisme des pratiques de l’écrit et de sa normalisation, construire la rétrospective de leur exclusion et de leur réintégration. Ils sont, de ce fait, des témoins privilégiés des questions qui nous occupent et peuvent donc nous renseigner sur la place et la fonction des apprentissages, en particulier des apprentissages langagiers/écrits dans ce double processus d’exclusion/intégration.
11Le chapitre 7 s’intéresse au parcours suivi par deux élèves raccrocheuses, Claudine et Mélanie, de leur exclusion du système scolaire à leur (ré) intégration. Nous cherchons à comprendre comment ces deux élèves s’approprient les pratiques scolaires de l’écrit et à identifier des facteurs d’intégration scolaire en lien avec leur maitrise de l’écrit scolaire.
12Le chapitre 8 s’intéresse plus spécifiquement à la notion de rapport à l’écrit à partir de l’étude du cas d’une élève raccrocheuse, Céline, en explorant comment sa conception personnelle de l’écrit entre en congruence ou en divergence avec la normalisation scolaire de l’écrit ; et quels sont les effets de ces articulations problématiques ou favorables sur ses apprentissages.
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