Chapitre 5. L’intérêt pour les textes, entre forme et contenu
p. 117-148
Texte intégral
1Ce chapitre présente le point de vue des élèves enquêtés sur la dimension textuelle de l’écrit produit par l’auteur de la lettre. Trois séries de questions leur ont été posées. La 1re série comporte des questions qui visent à vérifier s’ils identifient le type de discours produit par l’auteur du texte. La 2e série regroupe des questions qui concernent la visée argumentative de la lettre produite par l’auteur du texte. La 3e série de questions concerne la cohérence du texte produit par l’auteur de la lettre. Pour chacune de ces séries, nous présentons les réponses formulées par les élèves lecteurs selon les trois aspects suivants :
l’objectif de la question posée et les indicateurs textuels à partir desquels les élèves peuvent construire leurs réponses ;
les réponses « oui »/« non » en valeurs absolues et relatives ;
les commentaires et les justifications formulés par les élèves enquêtés.
2Pour ces réponses, la dimension explorée relevant de différentes caractéristiques textuelles et discursives, nous avons classé les commentaires produits par les élèves lecteurs en cinq catégories :
la catégorie « pragmatique » (PRAG) regroupe les commentaires portant sur la dimension énonciative du texte produit par l’auteur de la lettre : ils concernent soit ce scripteur lui-même, soit les destinataires de la lettre, soit des considérations relatives à son énonciation ou à sa réception, soit sa visée ;
la catégorie « sémantique » (SÉM) regroupe les commentaires s’intéressant au contenu du message produit par l’auteur du texte : les thèmes évoqués, mais également les propos de l’élève ou même ses opinions ;
la catégorie « textuel » (TEXT) regroupe les remarques sur l’organisation textuelle de la lettre, autrement dit les remarques relevant de la grammaire textuelle ou observant le texte relativement au genre et au type auquel il appartient ;
la catégorie « linguistique » (LING) regroupe les commentaires sur la compétence orthographique et syntaxique de l’auteur du texte ;
la catégorie « calligraphie » (CAL) regroupe les commentaires sur la manière dont l’auteur du texte maitrise l’écriture cursive : forme des lettres, emploi des signes diacritiques, disposition des paragraphes dans la page, etc.
3Dans les commentaires et les justifications formulés par les élèves lecteurs, nous relevons, et donc nous comptons, les unités de commentaire contenues dans les réponses. De ce fait, une réponse pouvant contenir plusieurs unités de commentaire, il n’y a pas de corrélation simple entre le nombre de réponses en « oui »/« non » produites et le nombre d’unités de commentaire analysées. Elle nous permet également de remarquer que certaines questions suggèrent davantage de commentaires que d’autres. Dans la suite de ce chapitre, nous appellerons cette première analyse « quantitative ». Ces unités de commentaire sont également réparties dans les cinq catégories utilisées pour l’analyse du texte écrit et listées ci-dessus. Nous présentons la répartition de ces unités sous deux formes : en valeurs absolues et en valeurs relatives, calculées à partir du nombre total d’unités de commentaire produites dans les réponses à la question. Cette manière de traiter les réponses nous permet de prendre en compte la diversité des commentaires produits par les élèves lecteurs et d’identifier les savoirs textuels et discursifs qu’ils mobilisent. Toutefois, dans certaines catégories, en particulier les catégories « linguistique » et « calligraphie », le nombre d’occurrences produites est peu important, et donc leur valeur arithmétique est faible. Nous avons quand même conservé ces unités parce qu’elles permettent d’apprécier rapidement la ou les catégories d’analyse qui dominent dans un groupe d’élèves. Dans la suite de ce chapitre, cette seconde partie de l’analyse des réponses des élèves enquêtés sera appelée « qualitative ».
1. Première série de questions : identification du type de discours
4La 1re série de questions vise à vérifier si les élèves identifient le type de discours produit par l’auteur du texte, à savoir une lettre, donc un texte appartenant au genre épistolaire, à paraitre dans un journal, donc un discours « journalistique », et relevant de la rubrique du courrier des lecteurs. L’insertion de sa lettre dans cette rubrique nécessite de la part de son auteur de réagir à un message déjà paru dans le journal, de prendre en compte la dimension publique de son texte, c’est-à-dire les conditions de sa parution et de sa diffusion, ainsi que sa dimension argumentative.
5Cette série comporte trois affirmations que les élèves enquêtés doivent déclarer vraies ou fausses :
Ce texte est bien une lettre pour donner son avis dans un journal.
Le texte est assez bien construit pour paraitre dans un journal. Pourquoi ?
Le journal pourrait publier la lettre si on la lui envoyait.
6Nous présentons ci-dessous les réponses et les commentaires produits par les élèves enquêtés pour chacune de ces affirmations, et analysés selon la méthode présentée ci-dessus. Les tableaux présentant les données chiffrées se trouvent en annexe de ce chapitre.
1.1. Ce texte est bien une lettre pour donner son avis dans un journal
7Cette affirmation interroge sur le genre épistolaire et sur celui spécifique du courrier des lecteurs. Elle concerne également la dimension argumentative du texte à produire, énoncée dans la consigne par la formule « donner son avis », et la nature journalistique du discours, puisque le texte à produire sera publié dans un journal et aura ainsi une diffusion publique. On attend donc des élèves qu’ils identifient les trois aspects formulés dans l’affirmation et explicités : une lettre, le journal, un avis. Pour construire des réponses « justes », les élèves enquêtés peuvent identifier les indices de la lettre : la mention d’une adresse, une formule de politesse, une signature. Ils peuvent également remarquer que l’auteur du texte utilise la formule « ma lettre ». Toutefois, le texte ne mentionne ni le lieu ni la date de la situation d’énonciation et, sauf dans la dernière phrase, l’auteur ne fait pas référence au journal, en mentionnant par exemple un article précédemment publié ou l’avis d’un journaliste. Pour construire des réponses justes, les élèves peuvent également indiquer que l’auteur de la lettre utilise des formules telles que « je pense », « je ne trouve pas ça normal », « je ne pense pas », « j’espère que la lettre vous aura convaincu », qui indiquent qu’il donne bien son avis et qui manifestent une forte présence du « je » énonciateur.
8L’analyse quantitative montre que, majoritairement, toutes classes confondues, les élèves considèrent que le texte est une lettre et que son auteur donne son avis. Toutefois, cette réponse ne fait pas l’unanimité, puisque dix élèves sur 102 répondent « non ». Parmi ces dix élèves, huit sont scolarisés dans la voie professionnelle. Ces réponses négatives peuvent étonner, tant l’auteur de la lettre respecte la double consigne. Regardons les justifications des réponses pour essayer de comprendre cette divergence de point de vue (voir tableau 19).
9Pour l’analyse qualitative, nous mobilisons les cinq catégories — pragmatique, sémantique, textuel, linguistique et calligraphie — que nous avons définies ci-dessus dans l’introduction de ce chapitre. Sur 102 réponses, 65 unités de commentaire ont été produites, majoritairement en terminale BEP (30 unités), puis en seconde technologique et en troisième de collège (15 et 14 unités). En revanche, seulement six unités de commentaires ont été produites dans les réponses des élèves de seconde professionnelle (voir tableau 19).
10D’une manière générale, les commentaires portent sur la dimension discursive et textuelle de l’écrit produit par l’auteur de la lettre. Les justifications concernent le format lettre, que les élèves identifient à partir des indices de la présentation, de l’adresse et de la signature. Les élèves indiquent également qu’il s’agit bien d’un texte argumentatif, puisque l’auteur utilise des arguments et des exemples. On remarque toutefois qu’en seconde professionnelle, les commentaires concernant la manière dont l’auteur traite du thème de la lettre sont plus importants, et pour signaler qu’il ne répond pas bien à la question, comme cette élève qui signale : « Quand elle parle des métiers non. Ça n’a pas à voir avec les jeunes sont libres de choisir dans la vie. » [5, 2de pro]
11Un deuxième ensemble de commentaires, formulés principalement en seconde technologique et en terminale BEP, portent sur la dimension pragmatique du texte. Ils concernent l’auteur du texte lui-même, considéré comme un énonciateur investi dans son propos et qui exprime des avis personnels. Par exemple, une élève de seconde technologique dit : « Oui elle donne son avis, elle rentre dans le truc, elle dit ce qui se passe autour de nous » [22, 2de techno], et une autre : « On dirait qu’elle veut vraiment faire passer le message, que ça change. » [2, 2de techno] Ainsi d’emblée la visée argumentative du texte est perçue et analysée.
1.2. Le texte est assez bien construit pour paraitre dans un journal
12Cette affirmation inscrit la dimension discursive dans une perspective pragmatique en demandant de relier le critère de la cohésion structurelle à la diffusion publique du texte. On attend donc des élèves qu’ils justifient leur réponse sur la question de la diffusion par l’analyse de l’écriture du texte, en précisant en quoi il est bien ou pas bien écrit et en définissant leurs critères de qualité de l’écriture. Si, pour construire leur réponse, les élèves enquêtés prennent en compte les critères linguistiques de l’orthographe et de la syntaxe, ils devraient plutôt considérer que le texte ne peut être l’objet d’une diffusion publique dans un magazine. En revanche, s’ils tiennent compte du critère textuel, ils devraient répondre positivement, dans la mesure où l’auteur du texte donne son avis, comme c’est la règle dans un courrier des lecteurs, et le justifie par des arguments et des exemples, comme c’est attendu dans un texte argumentatif.
13L’analyse quantitative montre que les réponses à cette question sont très partagées : 40 élèves répondent « oui », 56 répondent « non », et six ne se prononcent pas. Le « non » domine : très nettement en terminale BEP (22 « non » pour sept « oui »), nettement en seconde technologique (quinze « non » pour neuf « oui ») et un peu moins nettement en seconde professionnelle (treize « non » pour neuf « oui »). En revanche, en troisième de collège, c’est le « oui » qui domine avec quinze « oui » pour six « non ». On peut en déduire que plus les élèves sont âgés (Tale BEP et 2de techno), plus ils sont sévères avec le texte produit par l’auteur et moins ils hésitent à considérer qu’il n’est pas assez bien écrit pour paraitre dans un journal (voir tableau 20).
14L’analyse qualitative comptabilise 145 unités de commentaires pour cette question. Elles se répartissent en deux ensembles équivalents concernant la dimension textuelle (50 unités) et la dimension pragmatique (49 unités). Un troisième ensemble, de moindre importance (23 unités), concerne les aspects linguistiques. Ces commentaires ne sont donc pas tous directement en rapport avec la question posée sur la construction du texte. De plus, ces unités commentent davantage les réponses négatives que les positives, de ce fait les remarques suivantes relèvent davantage les justifications des réponses négatives que des réponses positives (seulement 40 sur 102) (voir tableau 20).
15Les commentaires concernant la dimension textuelle s’intéressent principalement à la structure de la lettre. Ils sont donc bien en rapport avec la question posée. Les élèves interrogés considèrent que le texte pourrait être mieux structuré : il contient des répétitions et les arguments pourraient être mieux classés. Une élève précise qu’il faudrait « peut-être revoir des trucs, mettre des exemples, bien séparer. Elle parle du mariage puis des jeunes qui sont tous égaux et elle reparle du mariage. Rassembler ce qui va ensemble » [15, 2de techno]. Une autre élève trouve que « c’est trop mélangé » [24, 2de techno].
16Les principales justifications d’ordre pragmatique avancées dans les trois classes où le « non » domine invoquent le registre de langue jugé incorrect ou familier, ou « trop cru » [18, 2de techno]. Certains élèves considèrent que l’auteur de la lettre « écrit comme il parle ». L’une d’entre eux précise : « Non c’est trop comme on parle tous les jours je trouve. Tandis que dans un journal c’est écrit assez soutenu. » [21, 2de techno] De ce fait, certains élèves estiment que la lettre pourrait être publiée dans un journal pour jeunes ou pour adolescents :
Je pense que c’est un peu trop familier pour être dans un journal, après tout ça dépend dans quel journal parce que si c’est un journal pour les jeunes je le laisserais comme ça. [13, Tale BEP]
17Il ne peut donc pas être publié dans « un journal un peu plus correct, bien soutenu, […] genre Le Monde ou des journaux comme ça, plus pour des adultes » [11, 2de techno].
18Le troisième ensemble de justifications concerne la dimension linguistique. Là aussi, ce sont les remarques négatives qui dominent. Elles portent sur la construction des phrases « tournées bizarrement », dit un élève [4, Tale BEP] ; « la tournure des phrases qu’on ne comprend pas bien des fois », dit un autre [12, 3e de collège]. Ces remarques concernent également les erreurs d’orthographe.
19Enfin, notons que les quelques remarques qui accompagnent des réponses positives concernent le contenu du texte, les idées exprimées par son auteur. Mais il s’agit d’une toute petite part des commentaires (neuf sur 145). Par exemple, un élève de seconde professionnelle affirme : « Je trouve que c’est la vérité. Même s’il y a des mal-dits, c’est quand même bien exprimé. » [3, 2de pro] Ainsi, les réponses positives à cette question sont le résultat d’une analyse du texte qui privilégie une approche sémantique.
20L’appréciation qualitative du texte est donc plutôt négative. Ainsi, même si dans la question précédente les élèves valident le genre épistolaire et la visée argumentative, ils ont su pour cette question affiner les critères d’analyse. On remarque toutefois que les critères pragmatiques, sans rapport avec la question posée, viennent concurrencer en quelque sorte les critères structurels et textuels. Au vu de cette évaluation plutôt négative, il parait donc logique que majoritairement les élèves considèrent que la lettre ne pourrait pas être publiée dans un journal ou, du moins, qu’il faudrait, comme le suggèrent certains, la modifier, la reformuler, l’améliorer. Ce que résume cette réponse d’un élève : « Là tel quel non, il faut le revoir, enfin je ne pense pas, après je ne sais pas, déjà il y a des expressions qu’il faut revoir. » [25, Tale BEP]
1.3. Le journal pourrait publier la lettre si on la lui envoyait
21Cette question est dans le prolongement direct de la précédente. Après avoir vérifié que le texte est bien une lettre argumentée et après en avoir apprécié la qualité rédactionnelle, les élèves doivent se demander si un journal, supposé réel, pourrait le publier. Cette question ne propose pas de critère, elle invite à réfléchir à une situation réelle de communication et de diffusion d’un texte. Elle invite aussi les élèves interrogés à se demander si l’auteur du texte a su, dans un devoir scolaire, imiter la situation réelle de communication. On attend donc des élèves qu’ils valorisent la question de la diffusion et, partant, s’interrogent sur la conformité du texte par rapport à l’attendu social, à la norme. Au vu de la faible qualité rédactionnelle du texte, que les élèves interrogés ont bien analysée dans la question précédente, la réponse attendue est plutôt « non ».
22Selon l’analyse quantitative, de manière inattendue par rapport aux réponses à la question précédente, qui montrent les faiblesses de la lettre, les élèves répondent majoritairement « oui » à cette question (60 « oui » sur 102 réponses). Toutefois, bien que le « non » soit assez important (32 réponses sur 102), il ne domine pas d’une manière écrasante. Certains élèves indiquent en effet qu’ils ne peuvent pas savoir quelle décision prendra le journal. Nous remarquons ainsi que certains élèves éprouvent quelques difficultés à se projeter dans une situation réelle mais qu’il faut imaginer. Dans une certaine mesure, ces réflexions sont conformes à la perspective pragmatique adoptée jusque-là (voir tableau 21).
23D’un point de vue qualitatif, les réponses à cette question donnent lieu à 76 unités de commentaires, soit environ deux fois moins que pour la question précédente. On peut donc faire l’hypothèse que les élèves considèrent que le principal a été dit à la précédente affirmation. Ce sont majoritairement les plus âgés (2de techno et Tale BEP) qui formulent des avis. Les élèves de troisième de collège n’en formulent que trois. On retrouve sensiblement les mêmes avis et les mêmes justifications aux réponses négatives formulées pour la question précédente. En revanche, les justifications formulées pour les réponses positives méritent qu’on s’y arrête un peu (voir tableau 21).
24Alors que dans leurs réponses à la question précédente, les élèves ont formulé des évaluations plutôt négatives sur l’écriture de la lettre, dans cette question, ils considèrent majoritairement que le texte pourrait être publié dans un journal réel à condition, certes, de le réécrire. Mais ils disent également que ce serait un moyen de publier les avis des jeunes et « pour faire voir aux gens comment les jeunes s’expriment » [2, Tale BEP]. Ainsi « [le journal] pourrait [la publier] pour montrer ce que les lecteurs veulent dire, mais oui je pense qu’il pourrait la mettre » [15, 2de techno]. Selon certains élèves, dans les journaux de jeunes, la lettre, assortie de corrections mineures (orthographe, suppression des mots familiers) est tout à fait publiable parce que conforme à ce que publient ces journaux. Ces justifications sont formulées par les élèves les plus âgés de notre échantillon, ceux de seconde technologique et de terminale BEP. Par exemple, une élève de terminale BEP répond :
Certains journaux, oui je pense des journaux pour adolescents peut-être oui [pourraient publier la lettre]. Un journal pour jeunes, Girls peut-être s’il y a un thème là-dessus je pense qu’il publierait. Elle par exemple [ne publierait pas] c’est peut-être plus pour les femmes qui travaillent, tout ça, les femmes indépendantes, alors que Girls ça cible quand même les problèmes des jeunes. [11, Tale BEP]
25On remarque ainsi que ces élèves font une nette différence entre le contexte scolaire de production écrite et un contexte journalistique, dans la mesure où s’ils ont su sanctionner la qualité rédactionnelle de la lettre conformément aux exigences de l’exercice scolaire, ils sont en capacité de mobiliser d’autres critères quand il s’agit de l’apprécier dans un contexte non scolaire. On peut faire l’hypothèse également que ce changement de posture est dû au fait que ces élèves plus âgés lisent davantage de publications pour les jeunes adultes, ou de publications qui prennent davantage de liberté avec les codes de la presse grand public ou pour la jeunesse.
1.4. Conclusion pour la première série de questions
26Ainsi, si les élèves identifient majoritairement le type de texte, les justifications qu’ils avancent sont diverses. La justification principale concerne la dimension argumentative. Les élèves la construisent à partir de l’idée que l’auteur de la lettre donne son avis. Étonnamment, alors qu’elle est au centre des questions posées, la justification textuelle n’est pas toujours première : les élèves identifient bien le genre épistolaire, mais ils font peu de commentaires sur la structuration même du texte. En revanche, les justifications de type pragmatique surgissent spontanément et portent sur la perception que les élèves ont de l’énonciateur, leur appréciation de sa présence, le registre de langue qu’il emploie, en lien avec le contexte de publication du texte. Enfin, des justifications linguistiques (syntaxe, orthographe) apparaissent, mais de manière moindre.
27On remarque également que les élèves plus âgés (2de techno et Tale BEP) commentent davantage que les élèves plus jeunes, en particulier que les élèves de troisième de collège. Ils portent également des jugements plus incisifs et plus sévères. Ils sont aussi capables de prendre en compte le contexte de publication d’un texte et de faire varier leur appréciation en fonction de ce dernier. En creux, on pourrait considérer que les élèves de troisième de collège réagissent davantage en fonction du seul contexte scolaire. Ce comportement peut être un effet de l’enquête. Il peut également être lié à une maturité moindre.
2. Deuxième série de questions : identification de la visée argumentative
28La 2e série de questions porte sur la qualité argumentative du texte en lien avec la consigne d’écriture du devoir qui demande que la lettre soit argumentée, qu’elle précise la position du scripteur et qu’elle donne des exemples.
29Cette 2e série comporte cinq affirmations et une question : La lettre est argumentée.
Les arguments sont intéressants.
Les arguments sont justes.
Les arguments sont valables.
La lettre pourrait convaincre le directeur du journal.
Et toi, es-tu convaincu (e) par cette lettre ?
2.1. La lettre est argumentée
30Cette question requiert une appréciation générale. Elle vise à vérifier si l’élève peut définir le type argumentatif sans qu’on le sollicite et à observer comment il définit spontanément ce type. La réponse attendue à cette question est « oui », dans la mesure où l’auteur du texte donne effectivement son avis et le justifie à partir d’exemples.
31Selon l’analyse quantitative, les élèves, majoritairement, répondent effectivement que la lettre est argumentée. Toutefois, si à la première question de la 1re série 90 élèves sur 102 considéraient que l’auteur du texte donnait bien son avis, pour cette question, ce ne sont que 83 élèves qui considèrent que la lettre est argumentée, et 19 qui considèrent le contraire. Ainsi, certains élèves établissent une distinction entre donner son avis et argumenter. La répartition des réponses au sein des quatre groupes d’élèves est sensiblement identique. On ne peut donc pas conclure que cette distinction est liée à un effet classe ou au programme de français (voir tableau 22).
32Au niveau qualitatif, les commentaires de cette question comportent 43 unités, essentiellement produites par les élèves de troisième de collège, de seconde technologique et de terminale BEP. Les élèves de seconde professionnelle n’ont pratiquement pas commenté cette question (voir tableau 22). Sans surprise, les commentaires concernent la dimension textuelle de la lettre, envisagée du point de vue des arguments et des exemples avancés par son auteur. Les élèves trouvent, selon les cas, qu’ils sont suffisants ou au contraire insuffisamment nombreux. Un élève de seconde technologique commente : « En fait, tout le long de la lettre c’est sur un seul argument donc je trouve que ça n’argumente pas trop son opinion. » [21, 2de techno] L’appréciation est donc essentiellement quantitative. Quoi qu’il en soit, ces notions d’arguments et d’exemples sont maniées avec une certaine aisance. Un élève de seconde technologique considère ainsi que les propos de l’auteur du texte sont davantage des faits que des arguments : « C’est plutôt des faits ce ne sont pas trop des arguments. » [24, 2de techno] Un élève de terminale BEP remarque que l’auteur confond argument et avis :
Déjà elle dit que les parents forcent les filles à se marier, en fait je trouve qu’elle ne sait pas argumenter, elle donne son avis, elle se pose beaucoup de questions en fait et elle répond elle-même à ses questions sans forcément argumenter. [17, Tale BEP]
33En revanche, dans leurs réponses, les élèves de troisième de collège recourent moins aux notions d’arguments et d’exemples, mais plutôt à celles de sujets ou d’explication. Ainsi, l’un d’eux commente :
Elle parle de sujets, des filles qui ne se marient pas avec qui elles veulent, alors c’est pas les exemples que j’aurais choisis pour répondre à la question, mais le sujet qu’elle défend, oui il est pas mal défendu. [21, 3e de collège]
34Un autre précise : « Elle explique, enfin, il ou elle explique beaucoup pourquoi les élèves ne sont pas libres de choisir. » [14, 3e de collège] Les élèves de troisième de collège semblent s’intéresser davantage aux thématiques abordées par l’auteur de la lettre qu’aux types d’arguments et développent de ce fait une analyse davantage sémantique que textuelle.
2.2. Les arguments sont intéressants
35Cette affirmation ainsi que les deux suivantes visent à identifier ce que les élèves « savent » de l’argumentation et à vérifier ce savoir par les exemples qui leur sont demandés. Le terme « intéressant » proposé pour cette question est volontairement large et ouvert. Il est également polysémique et peut être défini par ce qui intéresse l’élève lui-même ou par ce qui apporte une nouvelle connaissance, ou encore par ce qui provoque de la curiosité en raison, par exemple, d’une certaine originalité.
36Pour cette question, il n’y pas de réponse attendue, dans la mesure où aucune réponse ne peut être considérée comme juste en soi. La subjectivité de l’élève est donc sollicitée, et c’est dans les justifications et dans les exemples choisis et commentés de la lettre qu’on découvre ce qu’il se représente de l’écrit attendu quand la consigne du devoir demande de produire un texte argumenté.
37L’analyse quantitative indique que 81 élèves sur 102 considèrent que les arguments produits par l’auteur du texte sont intéressants. Ce qui, à peu de chose près, est le même résultat que celui de la question précédente. Dans les classes de 3e de collège, 2de pro et 2de techno, la répartition entre les réponses positives et les réponses négatives est sensiblement identique à celle de la question précédente, et le « oui » domine largement. En revanche, les avis sont plus partagés en terminale BEP où si 22 élèves considèrent les arguments intéressants, dix considèrent le contraire (voir tableau 23).
38L’analyse qualitative prend en compte les 48 unités de commentaires produites pour cette question. Les élèves de terminale BEP ayant formulé plus de réponses que ceux des autres classes, ils sont aussi ceux qui émettent le plus de commentaires. En revanche, ceux de seconde professionnelle ne formulent que quatre unités. D’une manière générale, les justifications des réponses concernent majoritairement la dimension textuelle (23 unités) puis les dimensions pragmatiques (14 unités) et sémantiques (10 unités) (voir tableau 23).
39Au-delà de ces considérations générales, on peut remarquer que chacune des trois classes qui commentent beaucoup se comporte différemment. Ainsi, les élèves de troisième de collège considèrent que les arguments choisis sont intéressants parce qu’ils défendent bien l’opinion de l’auteur de la lettre, et ils observent celle-ci plutôt du point de vue de son type argumentatif. Pour l’un deux :
Elle disait : « Eh bien moi je pense que non, la preuve », donc elle donne des arguments, elle pose des questions, elle y répond, plein de choses comme ça, elle se justifie bien, elle veut prouver que ce qu’elle apporte est juste. [7, 3e de collège]
40Ou pour cet autre :
Il parle d’égalité entre les hommes et les femmes, que pas tout le monde, enfin, qu’il y a un peu de la discrimination au niveau du travail, quand on veut avoir une place. Si, il justifie donc c’est vachement bien. [21, 3e de collège]
41Les élèves de seconde technologique, quant à eux, recourent à deux sortes de commentaires, pratiquement à part égale. Comme en troisième de collège, ils s’intéressent à la dimension argumentative du texte et formulent des appréciations plutôt négatives : les arguments sont restreints, insuffisamment divers, insuffisamment développés. Mais ils s’intéressent en plus à la dimension sémantique de ces arguments. Certains élèves les considèrent dépassés :
Pour les mariages, que les filles choisissent pas leur mari. Elle parle des jeunes… De nos jours moi je pense que tout le monde choisit qui il veut. C’est un peu dépassé. [3, 2de techno]
42Alors que d’autres élèves trouvent ces arguments bien réels et représentatifs de la société actuelle : « Dans certains pays il y a des filles qui ne choisissent pas avec qui elles se marient. » [17, 2de techno] Ou : « Ce qu’elle dit c’est vrai, c’est bien de le dire. » [22, 2de techno] Ou encore :
Oui elle dit des choses intéressantes, les femmes qui n’ont pas le droit d’aimer qui elles veulent, les parents qui choisissent pour elles c’est le cas de beaucoup de femmes, j’en connais. [23, 2de techno]
43Ainsi, ce sont les thèmes mêmes que portent ces arguments que les élèves relèvent et considèrent intéressants.
44Les élèves de terminale professionnelle, comme ceux des deux classes précédentes, commentent l’organisation de l’argumentation, et comme ceux de seconde technologique, ils s’intéressent au contenu des arguments et quelquefois les discutent. L’un d’eux dit : « Oui sauf que l’histoire du mariage c’est un peu décalé parce qu’on n’a plus vraiment ce problème. » [4, Tale BEP] En revanche, ils formulent de nombreux commentaires de type pragmatique dans lesquels ils prennent position par rapport aux arguments de l’auteur de la lettre en indiquant s’ils sont d’accord ou pas : « Elle parle de la taille des gens pour les métiers moi je ne trouve pas ces arguments valables. » [18, Tale BEP] Ou encore :
Moi je trouve que c’est intéressant, oui parce qu’elle n’a pas tort quand elle dit que c’est souvent que les hommes ont plus de droits que les femmes, après c’est un grand débat. [25, Tale BEP]
45Ces élèves expriment des opinions personnelles à la fois sur le sujet traité et sur les opinions de l’auteur de la lettre. C’est dans ce groupe que la palette des commentaires est la plus variée, et que les élèves sont les plus impliqués dans leurs commentaires de la lettre.
46On voit ainsi que la notion d’intérêt est peu investie par les élèves de troisième de collège qui s’en tiennent à un commentaire sur la qualité des arguments relativement à l’organisation de l’argumentation. En gros, ils vérifient si le texte est bien organisé comme doit l’être un texte argumentatif. Les élèves de seconde technologique et de terminale BEP investissent la notion d’intérêt en analysant les informations que les arguments présentés dans la lettre apportent sur le sujet à traiter. Enfin, les élève de terminale BEP investissent également la notion d’intérêt à partir de leurs opinions personnelles et en se situant par rapport aux opinions de l’auteur. Ils sont intéressés par ce qu’il dit pour déterminer s’ils sont d’accord avec lui. On peut donc considérer que les élèves de troisième de collège abordent cette question selon l’approche la plus scolaire, la moins impliquante, alors que les élèves de seconde technologique et de terminale BEP l’abordent selon des approches plus impliquantes, mais sans pour autant négliger les aspects formels, conformément à ce que demande l’école.
2.3. Les arguments sont justes
47Comme la précédente, cette affirmation vise à découvrir ce que les élèves savent de l’argumentation et se représentent de ce qui est attendu dans un texte scolaire. Bien qu’un argument ne soit pas juste en soi, le terme « juste » a été choisi parce qu’il appartient au monde scolaire. Pourrait être considéré comme juste, un argument conforme à la réalité ou conforme à la consigne du devoir, et donc en rapport avec l’énonciation scolaire, ou encore conforme à l’idée qui est défendue, et donc construisant la cohérence sémantique du texte.
48D’un point de vue quantitatif, les résultats sont sensiblement identiques à ceux de la question précédente : 82 élèves sur 102 considèrent que les arguments produits par l’auteur de la lettre sont justes, et douze considèrent qu’ils ne le sont pas. Pour cette question, les résultats sont homogènes entre les quatre classes, et les élèves de la classe de Tale BEP ne se distinguent pas (voir tableau 24).
49D’un point de vue qualitatif, cette question suscite peu de commentaires : seulement 42 unités. Il est possible que le terme « juste » n’ait pas été bien compris dans le cadre de l’analyse d’un texte. Il est en effet plutôt employé dans le cadre d’un exercice. Les commentaires sont majoritairement formulés par les élèves de troisième de collège (13 unités) et de terminale BEP (19 unités), et relèvent essentiellement d’une approche sémantique du texte (21 unités), jusque-là peu développée, puis d’une approche pragmatique (13 unités). De plus, les aspects relevant du type argumentatif du texte ne sont, cette fois, pratiquement pas abordés (sept unités seulement) (voir tableau 24).
50Comme nous l’avons déjà constaté pour la première question de cette série, l’approche sémantique est nettement majoritaire chez les élèves de troisième de collège qui comprennent le mot « juste » au sens de conforme avec la réalité. Pour répondre à cette question, ils se demandent donc si les arguments et les exemples avancés dans la lettre sont réels et s’ils existent dans le monde alentour. Ils en viennent ainsi à discuter du contenu même de ce qu’écrit l’auteur. Par exemple, un élève produit un commentaire assez long dans lequel il construit le juste par opposition au faux :
Je pense que c’est vrai quand même, parce qu’il y a un peu des réalités. Par contre, dire : « les filles ne choisissent pas avec qui se marier », ben si quand même, on choisit avec qui se marier. Je pense que c’est un argument qui est faux, quand même on choisit. Et il dit : « ils ne choisissent pas toujours le métier qu’ils veulent faire ». Ben ça on choisit nous, c’est pas nos parents. Je veux dire ça c’est faux, c’est à nous de choisir le métier qu’on veut faire quand même. Et un vrai, je n’arrive pas à trouver. C’est vrai qu’on a plutôt le choix. [19, 3e de collège]
51L’approche sémantique est également bien développée chez les élèves de terminale BEP qui produisent des commentaires sensiblement identiques à ceux des élèves de troisième de collège.
52Comme dans la question précédente, les commentaires d’ordre pragmatique expriment l’accord ou le désaccord de l’élève interrogé avec l’auteur de la lettre. Aucun élève de troisième de collège n’en formule. Et ce sont majoritairement les élèves de seconde technologique et de terminale BEP qui disent ainsi comment ils se positionnent par rapport à l’auteur. Un élève de terminale BEP commente ainsi la lettre :
Quand elle parle moi je ne trouve pas ça normal, j’appellerais plutôt ça de l’injustice, comme quoi on est tous égaux il y en a qui sont rejetés parce qu’ils sont trop petits ou trop grands. [29, Tale BEP]
53Mais ces commentaires ne relèvent pas stricto sensu de la notion de justesse.
54Enfin, il faut remarquer qu’aucun commentaire ne s’intéresse à la question de la justesse des arguments par rapport à la consigne du devoir. Ainsi, l’appréciation de l’argumentation de l’auteur de la lettre relativement à la consigne formulée et à son contexte scolaire de production n’est pas abordée. On peut se demander si la prégnance, ici de la dimension sémantique, qui consiste à discuter certains propos de l’auteur de la lettre, ne conduit pas les élèves lecteurs à se détacher des considérations scolaires, comme s’ils étaient emportés par le thème et par le débat qu’il suscite avec l’auteur de la lettre.
2.4. Les arguments sont valables
55Cette question est la troisième de cette série qui vise à découvrir ce que les élèves savent de l’argumentation et comment ils se représentent ce qui est attendu dans un texte scolaire. Comme les termes « intéressants » et « justes » des questions précédentes, le terme « valable » est général et polysémique. Il peut soit désigner ce qui a une certaine valeur, une certaine portée, soit être assimilé à « juste », dans le sens de conforme à la réalité, comme à la question précédente, soit encore désigner ce qui sert à défendre l’idée énoncée et ce qui construit la cohérence du texte.
56Selon l’analyse quantitative, sur les 102 élèves interrogés, 77 déclarent que les arguments avancés par l’auteur du texte sont valables, quinze déclarent que « non », et dix ne répondent pas. Ce dernier chiffre tend à montrer que cette question n’a peut-être pas été bien comprise. Comme pour la question précédente, la répartition des réponses est homogène entre les quatre classes (voir tableau 25).
57L’analyse qualitative identifie seulement 40 unités dans les commentaires formulés à propos de cette question. Ce faible score peut être mis en rapport avec l’incompréhension de la question mentionnée ci-dessus ou encore avec un certain essoufflement dû à l’impression de répétition provoquée par la ressemblance de ces questions.
58Toutefois, on remarque que comme pour la question précédente, les commentaires concernent majoritairement une approche sémantique de la lettre (18 unités), puis pragmatique (13 unités) et, dans une moindre mesure, textuelle (9 unités). Si cette fois ce sont les élèves de seconde technologique qui investissent majoritairement les contenus de la lettre, d’une manière générale les commentaires et leur répartition sont sensiblement identiques à ce qui a été noté pour la question précédente (voir tableau 25). Les élèves ont compris le terme « valable » à peu près comme « juste » et formulent de ce fait des réponses assez semblables à celles de la question précédente.
59Ainsi, ces deux questions sont pour les élèves l’occasion d’explorer les contenus du texte produit par son auteur et, partant, de délaisser en partie les critères textuels concernant l’organisation et le type du texte, et les critères pragmatiques concernant les prises de position de l’auteur et leur positionnement par rapport à ces opinions. On peut faire l’hypothèse que ce sont les mots « juste » et « valable », peu en usage quand on analyse un texte en classe de français, qui ont pu inciter les élèves à se départir de l’approche scolaire et à regarder autre chose du texte que son organisation et sa conformité au type argumentatif. On peut également envisager que l’enquête avançant, les élèves se sont petit à petit davantage intéressés aux propos de l’auteur de la lettre, les ont peut-être mieux compris à force de relire le texte pour répondre aux demandes de l’enquêteur, et ont ainsi davantage investi la dimension sémantique.
2.5. La lettre pourrait convaincre le directeur du journal
60Cette affirmation, en interrogeant sur la réception de l’argumentation par le destinataire supposé de la lettre, à savoir le directeur du journal, concerne nettement la dimension pragmatique du texte. Les élèves interrogés doivent prendre en compte deux aspects : d’une part la validité de l’argumentation, d’autre part son destinataire, le directeur du journal, à la fois lecteur et responsable de la publication.
61L’analyse quantitative indique que les réponses sont très partagées, puisque 54 élèves répondent positivement, 43 négativement et seulement cinq ne se prononcent pas. On remarque également une importante disparité entre les quatre classes. Les élèves de troisième de collège et de seconde professionnelle considèrent majoritairement (environ aux 2/3) que le directeur du journal pourrait publier la lettre, alors que les élèves de seconde technologique (environ aux 2/3) et ceux de terminale BEP (la moitié) considèrent le contraire. Il y a donc une partition nette entre ces deux groupes d’élèves (voir tableau 26).
62L’analyse qualitative indique que cette question suscite 69 unités de commentaires, essentiellement produites par les élèves de terminale BEP (34 unités) et ceux de troisième de collège (19 unités). Les commentaires produits concernent à part presque égale, d’abord les contenus de la lettre (23 unités), donc sa dimension sémantique, puis sa dimension textuelle (21 unités), enfin sa dimension pragmatique (19 unités) (voir tableau 26). Ce sont les commentaires des élèves de troisième de collège qui abondent majoritairement l’approche sémantique. Ceux-ci trouvent les contenus de la lettre convaincants au motif qu’ils sont réels et portent sur « un sujet sensible » : « Il parle bien comme un jeune. Puis il parle de sujets qui sont vrais. » [4, 3e de collège] À l’inverse, d’autres élèves les trouvent peu convaincants au motif qu’ils ne sont pas réels, relèvent d’une autre époque et sont focalisés principalement sur la question des femmes : « Je ne suis pas sûr en fait, elle défend les filles. Le sujet c’est les jeunes c’est pas les filles, donc voilà. » [9, 3e de collège] Dans les autres classes, les commentaires relevant d’une approche sémantique sont sensiblement les mêmes.
63Les commentaires relevant d’une approche textuelle sont le fait principalement des élèves de terminale BEP, qui s’intéressent à la manière d’argumenter de l’auteur de la lettre. Une élève remarque : « En fait ce qu’il dit c’est bien mais il n’explique pas pourquoi il pense ça. » [3, Tale BEP] Une autre dit : « Non je ne pense pas parce que c’est trop vague parce que ce qu’elle donne comme exemple reste quand même assez enfantin. » [11, Tale BEP] La plupart considère que l’argumentation est faible, les arguments peu développés et les exemples insuffisants, et conclut que le directeur ne sera pas convaincu.
64Les commentaires que l’on peut considérer comme relevant d’une approche pragmatique sont plutôt flous. Ils envisagent la réception du texte par le directeur et les lecteurs du journal, mais sont construits comme des conséquences des deux ensembles précédents, selon des raisonnements du type : le contenu de la lettre pourra intéresser le directeur et les lecteurs, donc convaincre ; ou l’argumentation est bien ou mal construite et donc convaincre ou pas. Mais stricto sensu, la question de la diffusion publique dans un journal n’est pas abordée. Ces aspects ne sont pas vraiment étonnants, dans la mesure où la question demandait directement de s’interroger sur la réception de la lettre par le directeur du journal et indirectement sur la possibilité qu’il la publie. Or la question de la publication ayant été déjà soulevée dans la 1re série de questions, les élèves ont continué à apprécier la lettre en fonction des questions précédentes, et ont surtout entendu le terme « convaincre ». Enfin apparaissent quelques commentaires concernant la qualité rédactionnelle de la lettre : orthographe, syntaxe, style, mais à la marge. Ainsi, de façon tout à fait logique, les élèves ont-ils cherché à apprécier la force de conviction de la lettre, et dans cette optique ils se sont surtout intéressés à la dimension argumentative de la lettre envisagée principalement selon deux perspectives : sémantique et textuelle/structurelle.
2.6. Et toi, es-tu convaincu(e) par cette lettre ?
65Cette question, proche de la précédente, vise à faire apprécier les effets de l’argumentation et sa portée en direction, cette fois, du destinataire second, c’est-à-dire l’élève lecteur lui-même. Elle est donc censée susciter des remarques relatives à la dimension pragmatique de la lettre.
66L’analyse quantitative montre qu’une petite majorité d’élèves, soixante sur 102, répond qu’elle est convaincue par cette lettre. Ces réponses sont donc assez proches de celles à la question précédente. On retrouve la même répartition entre les réponses positives et négatives au sein de chaque classe que pour la question précédente, sauf dans la classe de 2de technologique où les réponses sont inversées. Les élèves de cette classe considèrent majoritairement qu’ils sont convaincus, alors que précédemment ils considéraient majoritairement que le directeur du journal ne serait pas convaincu (voir tableau 27).
67Selon l’analyse qualitative, cette question, qui invitait l’élève à se positionner personnellement par rapport à la lettre, a suscité de nombreux commentaires. Les 134 unités de commentaire produites manifestent en effet l’implication des élèves interrogés. Ces commentaires concernent principalement la dimension sémantique du texte (48 unités), puis la dimension pragmatique (38 unités), la dimension textuelle (34 unités) et, dans une moindre mesure, la dimension linguistique (12 unités). Cette répartition est commune aux trois classes de 3e de collège, 2de pro et 2de techno. Seule la classe de Tale BEP privilégie les commentaires relevant d’une approche pragmatique (tableau 27).
68Les commentaires relevant de la dimension sémantique notent surtout que les arguments de l’auteur de la lettre sont réels et vrais. Ainsi une élève de seconde professionnelle affirme : « Elle n’a pas tort dans ce qu’elle dit. Elle a raison. » [10, 2de pro] Une autre dit : « C’est ce qui se passe en vrai. Tout ce qu’elle dit c’est la vérité. » [12, 2de pro] Une troisième : « Parce que ses arguments sont valables. Elle prend de vrais exemples. C’est la réalité de tous les jours. Elle n’est pas à côté de la plaque. » [13, 2de pro] Ou encore une quatrième :
Je trouve que c’est vraiment un sujet qui évoque la vie de tous les jours. On croit se voir un peu dans tous les pays du monde. Et en fait, c’est la pure vérité. [23, 2de pro]
69Une élève de seconde technologique commente :
Les deux arguments sont vrais. Dans la vie courante on voit ça de partout, enfin pas partout mais plein tout ce qu’il dit c’est vrai dans la vie courante qu’on voit ça, il y a plein d’autres arguments que les jeunes ne sont pas libres de choisir. [15, 2de techno]
70Les commentaires s’intéressant aux aspects pragmatiques de la lettre expriment surtout l’accord ou le désaccord de l’élève interrogé avec l’auteur. Ainsi, les élèves de terminale BEP qui privilégient cette approche pragmatique rendent des avis assez tranchés par rapport à l’opinion de l’auteur, à la manière de cet élève :
Je ne pense pas la même chose, je pense qu’on peut quand même choisir parce qu’elle dit on ne choisit pas toujours le métier qu’on veut faire, mais moi j’ai choisi le métier que je voulais faire, je pense que si on travaille dans les études qu’on veut on peut y arriver et puis si on persuade les parents. [13, Tale BEP]
71En revanche, les élèves de troisième de collège sont plutôt d’accord avec l’auteur de la lettre et formulent des avis plus nuancés, moins tranchés. Ainsi l’un d’eux acquiesce : « Parce qu’elle n’a pas tort dans un certain sens quand elle dit que dans certains pays les femmes n’ont pas le droit de se marier avec qui elles veulent. » [7, 3e de collège] Et un autre manifeste également son assentiment : « C’est qu’il reste encore des inégalités dans le monde alors qu’on est tous égaux normalement. » [11, 3e de collège]
72Les commentaires qui concernent l’analyse textuelle de la lettre sont partagés entre ceux qui considèrent que l’argumentation est bien menée et ceux, comme cet élève de terminale BEP, qui considèrent que « ses arguments ne sont pas tous bien structurés, ce n’est pas assez clair, elle fait un peu des mélanges, elle passe d’un coup à la taille et elle passe d’un coup au mariage » [18, Tale BEP].
73Les commentaires concernant l’analyse linguistique de la lettre sont moins importants. Toutefois, certains élèves indiquent soit que c’est bien formulé et « bien expliqué », soit que « c’est mal dit ». Mais, en dépit de ces différences dans les avis, il est intéressant de remarquer que ces aspects de la lettre, pratiquement absents dans les questions précédentes, sont pris en compte quand l’élève répond pour lui et est impliqué dans la question.
74Ainsi, dans cette série qui cherche à voir comment les élèves interrogés analysent la dimension argumentative de la lettre, c’est dans cette question que les critères d’analyse sont les plus variés et les commentaires les plus développés. Les élèves reprennent des éléments des questions précédentes et semblent en faire la synthèse, comme si ces dernières avaient préparé ces prises de position personnelles, comme cette élève de terminale BEP qui combine les différentes approches :
Ce n’est pas que je ne suis pas convaincue mais c’est vrai que ce qu’elle dit ce n’est pas faux, mais après il faut revoir comment c’est écrit, et puis aussi vraiment bon elle répond au sujet mais à travers un exemple mais il y en a plein d’autres, et puis dans le sujet c’est les jeunes et elle, elle parle beaucoup des femmes et des hommes. [25, Tale BEP]
2.7. Conclusion pour la deuxième série de questions
75La 2e série de questions concerne la visée argumentative de la lettre. Les commentaires formulés par les élèves interrogés se répartissent entre les approches pragmatique, textuelle et sémantique, et concernent peu la dimension linguistique (orthographe, syntaxe) du texte. On remarque que les affirmations : « La lettre est argumentée », « Les arguments sont intéressants » et « La lettre pourrait convaincre le directeur du journal », qui pourraient être posées dans le cadre scolaire, développent des commentaires plutôt dans les dimensions textuelle et pragmatique, c’est-à-dire celles qui sont les plus travaillées dans le cadre de l’apprentissage de l’argumentation en classe. En revanche, les questions moins académiques sur la valeur et la justesse des arguments, et qui impliquent davantage les élèves interrogés, développent plutôt des commentaires sur le contenu de la lettre où domine une approche sémantique.
76Entre les quatre classes, on peut également noter que les élèves de terminale BEP, plus âgés, plus murs et plus formés, en particulier sur l’argumentation, développent davantage de commentaires pragmatiques — dans lesquels ils prennent position par rapport aux propos de l’auteur de la lettre et où ils développent des avis tranchés — que les élèves des autres classes, en particulier ceux de troisième de collège qui privilégient une approche soit textuelle soit sémantique. Deux hypothèses peuvent être formulées concernant cette distinction entre les élèves de terminale BEP et les autres. La première est que la plupart des premiers s’approprient le texte prioritairement dans une situation de communication dans laquelle ils sont partie prenante, et placent au second plan les autres aspects du texte. La seconde est que les autres élèves, en particulier ceux de troisième de collège, construisent leurs commentaires en fonction de la question posée et donc utilisent la grille d’analyse adaptée à la question.
3. Troisième série de questions : identification de la cohérence du texte
77Cette 3e série de questions comprend deux items :
Les idées sont bien enchainées.
Le texte est-il cohérent ?
78Elle vise à interroger les élèves sur leur appréciation de la cohérence textuelle.
3.1. Les idées sont bien enchainées
79Cette question concerne explicitement la cohérence textuelle en lien avec la dimension argumentative de la lettre. Elle vise à vérifier que l’élève interrogé s’est intéressé à la construction du raisonnement, soit selon sa cohérence — ce que suggère le terme « idée » —, soit selon sa cohésion. Cette question demande une appréciation globale du texte d’un point de vue sémantique (cohérence) et d’un point de vue textuel (organisation).
80La réponse attendue est plutôt négative, dans la mesure où l’auteur de la lettre passe d’une idée à l’autre, de celle de liberté de choisir à celle d’injustice puis à celle d’inégalité. Les élèves interrogés peuvent également remarquer que la cohérence par rapport à la consigne — « Les jeunes sont-ils toujours libres de choisir dans la vie ? » — est faible dans la mesure où le développement sur le choix du métier débouche sur la question de l’injustice, et celui sur le choix du conjoint sur le thème de l’inégalité. Ces glissements thématiques réduisent la cohésion et la cohérence (Charolles, 1988) de l’argumentation.
81Selon l’analyse quantitative, les 2/3 environ des élèves interrogés considèrent que les idées exprimées dans la lettre s’enchainent. Toutefois, ils sont quand même 35 à considérer que ce n’est pas le cas. Cependant, cette proportion de deux tiers/un tiers ne se retrouve pratiquement qu’en seconde professionnelle. En classe de 3e de collège et de 2de technologique, les « oui » et les « non » sont pratiquement à égalité, et en classe de Tale BEP, les réponses positives sont nettement majoritaires et représentent environ 80 % du total. On constate donc une certaine hétérogénéité dans l’appréciation de la cohérence et de la cohésion de la lettre (voir tableau 28).
82L’analyse qualitative montre que cette question suscite un nombre relativement important de commentaires, puisque 73 unités sont produites par les élèves interrogés. Celles-ci se répartissent majoritairement entre d’une part la dimension textuelle (38 unités), et concernent donc la cohésion de la lettre, d’autre part la dimension sémantique (26 unités), et concernent donc la cohérence de la lettre. Cette répartition et cette proportion se retrouvent dans les quatre classes (voir tableau 28). Les élèves analysent conjointement l’organisation du texte et l’enchainement des idées. À la manière de cet élève de terminale BEP qui dit :
Il parle de l’inégalité pour les filles du mariage, il parle de celle des hommes, il redit que c’est une injustice, il dit que c’est une inégalité mais il met bien tout ensemble quand même par exemple pour le mariage, il met bien tout ce qu’il pense à la suite et pour la taille si c’est quand même bien. [16, Tale BEP]
83De nombreux élèves se réfèrent au modèle scolaire de l’organisation du texte argumentatif en paragraphes, tel cet élève de troisième de collège :
Par exemple il aurait pu faire plusieurs petits paragraphes avec chaque thème dans un paragraphe, et là il a tout mélangé. Il parlait d’égalité au début, après il en reparle à la fin. Il parle du mariage forcé, il parle de choses, il aurait pu les disposer autrement. Enfin moi je n’aurais pas fait comme ça. [19, 3e de collège]
84D’autres élèves se réfèrent à la disposition même du texte argumentatif tel qu’on l’enseigne à l’école, comme cet élève de terminale BEP :
Quand elle dit moi je ne trouve pas ça normal, moi j’appellerais même cela de l’injustice et pour les mariages il n’y a pas de retour à la ligne, moi je serais revenue à la ligne avec un alinéa. » [12, Tale BEP]
85Et un élève de 3e de collège indique pourquoi, selon lui, le texte manque de cohérence et de cohésion : « Ça se voit qu’elle n’a pas fait de brouillon, c’est comme ça vient. » [2, 3e de collège] Dans ces réponses, on constate nettement que la lettre est appréciée, voire évaluée, au regard de ce qui est enseigné sur le texte argumentatif. Toutefois, en dépit de la référence à ce modèle, les élèves interrogés ont majoritairement considéré que le texte est cohérent et cohésif, ce qui n’est pas tout à fait exact. Ainsi, si le modèle est bien mobilisé, les élèves interrogés semblent avoir encore du mal à le maitriser complètement pour analyser un texte.
3.2. Le texte est cohérent
86Cette affirmation complète et précise la précédente, et concerne plus explicitement encore la cohésion de la lettre et donc l’organisation du texte. Comme pour la question précédente, la réponse attendue est plutôt négative dans la mesure où le texte est davantage construit comme une accumulation de séquences subjectives et d’opinions que comme un raisonnement ou une démonstration. L’auteur de la lettre reproduit plusieurs fois la séquence question + exemple + opinion personnelle, mais sans forcément indiquer les rapports logiques entre ces ensembles. Ce que confirme le faible emploi de connecteurs.
87De manière un peu surprenante, pour cette question proche de la précédente, l’analyse quantitative indique que le nombre de réponses positives passe à 80 %, et il n’y a plus que quatorze élèves sur 102 qui considèrent que le texte n’est pas cohérent. Cette proportion est identique dans les quatre classes, et en seconde professionnelle, tous les élèves sauf un considèrent que la lettre est cohérente (voir tableau 29).
88D’un point de vue qualitatif, les réponses étant majoritairement positives, les élèves interrogés formulent peu de commentaires. Seulement 23 unités sont comptabilisées. Comme pour la question précédente, elles concernent d’abord la dimension textuelle (12 unités), donc la cohésion de la lettre, puis la dimension sémantique (9 unités), donc la cohérence (voir tableau 29). On retrouve les mêmes remarques que celles formulées pour la question précédente. La différence de résultats reste donc assez incompréhensible. Mais la part majoritaire des réponses positives confirme que la connaissance du modèle scolaire telle qu’elle a été mise en évidence dans les réponses à la question précédente ne suffit pas pour analyser un texte et apprécier correctement sa structure.
3.3. Conclusion pour la troisième série de questions
89Cette 3e série de questions concerne l’appréciation de la cohérence et de la cohésion de la lettre. D’une manière générale, les réponses sont positives. Il faut toutefois remarquer que les élèves de troisième de collège et de seconde technologique sont plus sévères que les élèves des classes de la voie professionnelle, puisque à peu près la moitié considère que l’auteur de la lettre n’est pas parvenu à bien enchainer les idées qu’il développe. Sans surprise, les justifications explorent principalement les dimensions textuelle et sémantique de la lettre. On peut donc conclure que les élèves interrogés ont une certaine capacité à analyser le texte au regard de ces deux notions de cohérence et de cohésion. Toutefois, il faut remarquer que les élèves de troisième de collège mobilisent moins l’analyse de la structure du texte que les élèves des classes de 2de technologique, 2de professionnelle et Tale BEP. Cet aspect pourrait s’expliquer par le fait que l’apprentissage de l’argumentation débute en classe de 3e de collège et est développé principalement au lycée. Les élèves de troisième de collège auraient donc davantage tendance à s’appuyer sur le sens des énoncés pour établir si les propos du scripteur sont cohérents.
4. Conclusion
90À l’issue de cette étude, nous pouvons formuler deux conclusions concernant la maitrise du texte argumentatif et la mobilisation d’approches différentes pour l’analyser et l’apprécier.
4.1. La maitrise du texte argumentatif
91Nous constatons que l’ensemble des élèves interrogés, qu’ils soient en troisième de collège, en seconde technologique ou en lycée professionnel, connaissent les caractéristiques du texte argumentatif et du genre épistolaire. Les élèves de lycée, en particulier, manipulent à bon escient, et donc connaissent, les notions d’arguments et d’exemples, et sont en mesure de réfléchir à la cohérence et à la cohésion d’un texte. On peut donc conclure qu’ils connaissent le modèle scolaire du texte argumentatif. Toutefois, nous remarquons que cette connaissance n’est pas suffisamment maitrisée pour produire une analyse satisfaisante d’un texte, et plus particulièrement d’un texte produit par un élève, donc imparfait ou du moins problématique. En effet, une majorité des élèves interrogés, toutes classes confondues, considère que le texte proposé à la lecture est cohérent et cohésif, et qu’il est conforme à ce modèle, alors que, de fait, il ne l’est pas. Ainsi, si les élèves possèdent les notions, ou du moins la terminologie adéquate, ils ne maitrisent pas forcément les outils de l’analyse du texte argumentatif au moment de cette analyse. Il n’y a donc pas de différence de niveau significative dans la maitrise des savoirs textuels et dans les difficultés à maitriser les techniques d’analyse entre ces quatre classes.
4.2. Déséquilibre entre les différentes approches
92L’étude des commentaires formulés par les élèves interrogés nous a permis de mettre en évidence une certaine hétérogénéité dans leur capacité à analyser différents aspects du texte soumis à leur appréciation.
93Nous avons remarqué que pour les questions de la 1re série et les deux premières questions de la 2e — « La lettre est argumentée » et « Les arguments sont intéressants » —, qui certes y incitaient les élèves, ceux-ci privilégient et mobilisent à part égale des indices pragmatiques et structurels
94En revanche, l’approche sémantique, c’est-à-dire construite sur une analyse du contenu des propos de l’auteur de la lettre, ne semble pas être mobilisée spontanément. Elle apparait toutefois quand nous posons des questions qui sont moins scolaires (les questions « Les arguments sont justes », « Les arguments sont valables », « La lettre pourrait convaincre le directeur du journal » et « Et toi, es-tu convaincu (e) par cette lettre ? ») et qui donc incitent à ne pas utiliser les outils scolaires ou qui sortent des routines scolaires. Cet aspect est confirmé par les réponses des élèves de troisième de collège. Nous avons en effet remarqué que ceux-ci, qui en sont au début de l’apprentissage de l’argumentation qu’ils approfondiront à partir de la classe de seconde, apprécient, dans le cadre de cette enquête, la cohérence et la cohésion de la lettre à partir de son analyse sémantique et non textuelle (structurelle), et concluent majoritairement, et plus justement, que ce texte n’est pas construit de manière complètement cohérente. Ainsi, ces élèves aboutissent à une appréciation plus juste que ceux plus formés à l’argumentation. Nous n’irons pas jusqu’à conclure que l’étude de l’argumentation abordée au lycée essentiellement par le moyen de la grammaire textuelle semble d’une efficacité relative, mais force est de constater qu’elle semble démunir les élèves de la capacité à apprécier la cohérence sémantique d’un discours. Ce point est d’autant plus crucial que, comme nous l’avons noté pour les questions « Les arguments sont justes », « Les arguments sont valables », « La lettre pourrait convaincre le directeur du journal » et « Et toi, es-tu convaincu (e) par cette lettre ? », les élèves, en particulier ceux de la voie professionnelle, ont manifesté un intérêt certain pour le thème de la lettre et les avis énoncés par son rédacteur. Faut-il voir là un conflit entre analyse textuelle/structurelle et analyse sémantique ? Nous pouvons également en déduire que l’enseignement de l’argumentation devrait établir un équilibre plus net entre l’approche sémantique et l’approche textuelle/structurelle, qu’elle a tendance à privilégier (Luczak & Delcambre, 2014).
Annexe
5. Annexe. Résultats chiffrés par affirmation

Tableau no 20. « Ce texte est bien une lettre pour donner son avis dans un journal. »

Tableau no 21. « Le texte est assez bien construit pour paraitre dans un journal. »

Tableau no 22. « Le journal pourrait publier la lettre si on la lui envoyait. »

Tableau no 23. « La lettre est argumentée. »

Tableau no 24. « Les arguments sont intéressants. »

Tableau no 25. « Les arguments sont justes. »

Tableau no 26. « Les arguments sont valables. »

Tableau no 27. « La lettre pourrait convaincre le directeur du journal. »

Tableau no 28 : « Et toi, es-tu convaincu (e) par cette lettre ? »

Tableau no 29 : « Les idées sont bien enchainées. »

Tableau no 30 : « Le texte est cohérent. »
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