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Deuxième partie. Vivre le confinement

Chapitre 13

Comment les étudiant·es ont-ils et elles vécu le confinement ?

Marie-Pierre Bès et Jean-Luc Demonsant

Texte intégral

Le plus compliqué à gérer pour moi est l’isolement associé au confinement, et à l’inconfort de mes conditions de vie. En tant qu’étudiante, je vis dans un 9 m2, qui consiste donc en mon espace de vie ET mon espace de travail. Cela rend particulièrement difficile le fait de se concentrer sur mon travail, en particulier sur la rédaction de mon mémoire. Je me sens également isolée, voire déprimée, du fait de l’absence de contacts en face à face avec mes proches, notamment ceux qui résident à l’étranger (ce qui est le cas pour mes parents et ma sœur). Je vis très mal l’expérience du confinement, sachant qu’il reste encore un mois à subir, je ne sais pas du tout comment je vais pouvoir gérer la situation tout en préservant ma santé mentale.
Femme, 24 ans, étudiante en Master 2 à Paris, jeudi 16 avril

1Les étudiant·es ont été au centre de très nombreuses analyses en sociologie, depuis les travaux classiques, mais régulièrement renouvelés, sur les inégalités scolaires, jusqu’à ceux qui relèvent du domaine international (Coté & Furlong, 2016). Cette population fait l’objet d’enquêtes régulières (Gruel, Galland & Houzel, 2009). Diverses recherches lancées durant le confinement les ont concerné·es (voir entre autres celle qui est présentée par Martin & Paye, 2020). Dans ce chapitre, nous utilisons les données de l’enquête « La vie en confinement » pour comparer les étudiant·es aux autres répondant·es sur les trois thèmes suivants : la question de leurs occupations telles qu’elles ont pu être modifiées par le confinement, celle de leurs conditions de logement dans ce contexte, enfin celle de leurs ressentis vis-à-vis du confinement. Mais avant de débuter cette analyse il est important de rappeler en quoi les étudiant·es diffèrent des autres répondant·es sur un certain nombre de caractéristiques sociales.

Profil des étudiant·es dans le panel

2En ajoutant à ceux qui se sont déclarés étudiant·es, ceux qui ont indiqué une situation d’étudiant·e combinée avec celle de salarié·e (74 individus), les étudiant·es sont au nombre de 1 567, soit 9,7 % du total de 16 224 répondants. Le Tableau 1 ci-dessous montre en quoi ce groupe se distingue de l’ensemble de l’échantillon du point de vue du genre et de l’âge.

Tableau 1. Profil des étudiant·es comparé au reste de l’échantillon

  Étudiant·es Non-étudiant·es Total Effectifs
Femmes 78 72 73 11 824
Tranches d’âge        
18-24 ans 81 4 11 1 801
25-29 ans 12 10 10 1 577
plus de 30 ans 8 87 79 12 848
Effectifs 1 567 14 657   16 224

Champ : Personnes de 18 ans et plus résidant habituellement en France (N = 16 224).
Note de lecture : L’échantillon compte 73 % de femmes, mais elles sont 78 % chez les étudiants contre 72 % dans le reste de l’échantillon.

381 % des étudiant·es ont moins de 24 ans. Afin de différencier les caractéristiques et comportements qui sont propres à la jeunesse de ceux qui sont spécifiques aux étudiant·es, nous avons centré notre étude sur la situation de confinement des jeunes de moins de 24 ans en comparant, dans cette tranche d’âge, les étudiant·es aux jeunes ayant déjà rejoint la vie active. La moitié des étudiant·es déclarent être en couple contre 64 % des non-étudiant·es de la même classe d’âge, et les trois quarts de l’ensemble du panel (Tableau 2). Aucun·e n’a d’enfant, contre 3 % de leurs homologues non étudiant·es. Par ailleurs, 57 % de l’ensemble des répondants se déclarent sans religion, mais, parmi les 18-24 ans, elles·ils représentent 70 % des étudiant·es contre 65 % des non étudiant·es. Enfin, au niveau de leur opinion politique, sans surprise, les étudiant·es sont sensiblement plus nombreux que les autres répondants à se situer à gauche voire très à gauche sur l’axe gauche-droite.

Tableau 2. Profil sociodémographique des 18-24 ans

  Étudiant·es 18-24 ans Non-étudiant·es 18-24 ans Ensemble Effectifs
Est en couple 50 64 73 16 159
A un (ou des) enfant(s) 0 3 60 15 889
Se déclare sans religion 70 65 57 14 800
Positionnement sur l’échiquier politique        
très à gauche 27 14 16 2599
à gauche 51 43 43 7014
au centre 12 19 22 3496
à droite 8 17 16 2654
très à droite 2 7 3 461
Effectifs 1 262 539   16 224

Champ : Personnes de 18 ans et plus résidant habituellement en France (N = 16 224).
Note de lecture : 50 % des étudiant·es de 18 à 24 ans sont en couple.

Leurs activités pendant le confinement

4Le Tableau 3 résume les activités propres au confinement : applaudir les soignants à 20 heures, discuter ou échanger des services avec des voisins ou des personnes avec qui elles·ils ne sont pas en relation habituellement, etc. Sur ces activités, parmi les 18-24 ans, les comportements des étudiant·es sont relativement proches du reste de l’échantillon à quelques nuances près, notamment celle-ci que les étudiant·es ont moins d’interactions avec leur voisinage que les autres.

5Concernant les sorties, il est frappant que les jeunes (étudiant·es ou pas) aient été 36 % à déclarer ne jamais sortir pendant le confinement contre 25 % de l’ensemble de notre panel. Les étudiant·es ne sont que 16 % à sortir une ou plusieurs fois par jour contre 20 % des autres jeunes alors que cela concerne 30 % de l’ensemble du panel. Le périmètre et la durée de sorties ont fait l’objet d’un encadrement législatif et répressif très précis. Pour sortir, il fallait disposer d’une attestation. Or, si 7 % de l’ensemble des répondant·es ont avoué ne pas en disposer (voir le chapitre 8 : « Avez-vous votre attestation ? Petits arrangements avec les règles de sortie »), parmi les 18-24 ans c’est le cas de 12 % des étudiant·es et de 10 % des non-étudiant·es. Ils et elles respectent moins cette règle tout comme celle concernant le rayon maximum d’un kilomètre, en revanche ils et elles sont moins nombreux à dépasser l’heure que les autres. Et curieusement, même s’ils et elles sortent moins en moyenne, ils et elles ont plus fréquemment déclaré consacrer plus de temps à l’activité physique qu’avant le confinement.

Tableau 3. Activités des 18-24 ans pendant le confinement

  Étudiant·es 18-24 ans Non-étudiant·es 18-24 ans Total Effectifs
Activités pendant le confinement        
Applaudir les soignants 41 39 36 5 761
Applaudir contre le gouvernement 7 5 5 728
Discuter avec les voisins 26 29 35 5 645
Rendre service aux voisins 12 15 20 3 204
Échanger par visioconférence 90 87 81 12 944
Reprendre des nouvelles d’anciens contacts 50 47 55 8 804
S’informer sur l’épidémie 78 70 80 12 783
Fréquence des sorties        
Plusieurs fois par jour 5 6 9 1 401
Une fois par jour tous les jours 11 14 21 3 418
Pas systématique 49 45 46 7 379
Jamais 36 36 25 4 001
Respect des règles en sorties        
Pas d’attestation 12 10 7 1 130
Plus d’une heure 43 57 52 8 471
Dépasser le rayon d’un kilomètre 45 41 39 4 697
Plus d’activité physique 44 38 26 4 240
Effectifs 1 262 539   16 224

Champ : Personnes de 18 ans et plus résidant habituellement en France (N = 16 224).
Note de lecture : 41 % des étudiant·es de 18 à 24 ans déclarent avoir applaudi les soignant·es à 20 heures pendant le confinement.

Les conditions de logement

6Autre spécificité, les étudiants sont, et de loin, le groupe social qui a le plus changé de lieu de vie durant le confinement (voir le chapitre 1 : « Qui est resté ? Qui est parti ? »). 46 % des étudiant·es ont rejoint un nouveau logement après l’annonce du confinement contre 22 % des non-étudiant·es et 9 % de l’ensemble du panel. S’est-il agi, pour eux, de rompre un possible isolement, d’élargir leur espace de vie, ou encore simplement de rejoindre leurs parents ? En temps « normal », et de manière assez attendue, les étudiant·es vivent bien plus fréquemment en appartement que les autres enquêté·es (écart plus faible mais significatif chez les jeunes), et vivent plus fréquemment dans des quartiers composés d’immeubles (Moreau et Pecqueur, 2012). Enfin, elles·ils vivent en bien plus grande proportion seuls et sont moins nombreux à cohabiter avec une personne avec qui elles-ils entretiennent une relation amoureuse.

7Alors que les étudiants se situent habituellement dans un processus d’autonomisation par rapport à leur famille (Danic & Valdes, 2016), l’annonce du confinement s’est traduite par un rapprochement physique avec leurs parents : la part de ceux qui vivent avec leurs parents double par rapport à d’habitude. En revanche, cette augmentation est bien plus faible pour les jeunes non étudiant·es. Enfin, la proportion d’étudiant·es vivant seul·es a été divisée par 5, alors qu’elle n’a que diminué de moitié pour les non-étudiant·es de 18-24 ans.

Tableau 4. Conditions de logement des 18-24 ans avant et pendant le confinement

  Habituellement Pendant le confinement
  É N.É. Total   É N.É. Total  
  Effectifs   Effectifs
Réside en appartement 72 68 43 6 911 73 69 43 6 981
Dans un quartier d’immeubles 55 43 27 4 380 57 44 28 4 526
Avec qui vit-il ou elle ?  
vit seul·e 35 26 22 3 634 7 13 17 2 823
avec parents 30 25 5 819 61 39 10 1 590
avec petit·e copain·ine 13 34 60 9 799 21 43 64 10 335
avec amis 11 6 2 354 14 9 3 531
Effectifs 1 262 539   16 224 1 262 539   16 224

Champ : Personnes de 18 ans et plus résidant habituellement en France (N = 16 224).
Note de lecture : 72 % des étudiant·es de 18 à 24 ans résident habituellement en appartement.

8Plusieurs commentaires d’enquêté·es illustrent bien ces situations. Un étudiant parisien de 23 ans indique ainsi qu’il est « rentré chez [s]es parents le temps du confinement ». « J’ai une chambre à moi tout seul » ajoute-t-il. Une étudiante de 24 ans, elle, explique avoir échangé un espace autonome contre plus de sociabilité :

J’ai quitté mon logement habituel situé à Lille pour venir rejoindre le logement familial dans la banlieue de Lyon la veille du confinement parce que je savais que je ne pourrais supporter de passer un mois entier seule dans mon logement même si j’avais plus de place que dans l’endroit où je suis actuellement.

Le ressenti des étudiant·es

9Une question portait sur le rapport au temps. Sur ce point, les étudiants se distinguent des autres 18-24 ans en vie active en étant plus nombreux à déclarer manquer de temps (voir chapitre 10 : « Le confinement a-t-il exacerbé les inégalités face au temps ? »). Cela peut s’expliquer par leur difficulté à gérer des situations pédagogiques fortement perturbées dans un certain isolement. Dans les commentaires cependant, certains disent avoir trouvé le temps de régler des problèmes personnels ou de prendre soin d’eux.

10Il est également intéressant d’explorer la manière dont les étudiant·es ont ressenti le confinement (pour une perspective sur les ressentis de l’ensemble des répondants, voir le chapitre 9 : « Fatigués, inquiets, détendus ou heureux… Qu’ont ressenti les Français pendant le confinement ? »). Nous avons regroupé les ressentis qui leur étaient soumis suivant leur valence soit positive (détendu, en forme, heureux) soit négative (fatigué, irrité, stressé, triste, inquiet) et distingué ceux qui n’ont sélectionné que des sentiments positifs, que des sentiments négatifs, ou les deux. Les étudiant·es ont sélectionné significativement plus de sentiments que les autres (ils et elles sont 20 % à exprimer jusqu’à cinq sentiments), et plus souvent à la fois des sentiments positifs et négatifs. Le commentaire suivant illustre bien cette ambivalence des sentiments, notamment quand elle est liée au fait de retourner chez ses parents, ce qui peut être plus confortable mais aussi plus pesant :

Je suis rentré chez mes parents le temps du confinement. J’ai une chambre à moi tout seul. Même si mes parents et ma sœur, handicapée mentale, tentent de faire le moins de bruits possible, l’isolation sonore du logement locatif n’est pas très bonne. De plus, le fait de me retrouver 7 jours sur 7 avec mes parents et ma sœur n’est pas simple du tout. Je n’étais pas du tout habitué : depuis le début de l’année scolaire j’étais rentré qu’une seule fois pour Noël. Nos styles de vie sont assez différents et la situation professionnelle de mon père stressante et me fait culpabiliser (homme, 23 ans, étudiant en Master 2 à Paris, mercredi 15 avril).

11Cette tendance à l’ambivalence des sentiments est générale, mais la différence reste significative parmi les jeunes entre les étudiant·es et les autres. Ils et elles ont aussi moins fréquemment que les autres déclaré des sentiments négatifs.

Tableau 5. Ressenti des 18-24 ans

  Étudiant·es 18-24 ans Non-étudiant·es 18-24 ans Total Effectifs
Manque de temps        
- Vraiment 8 5 11 1 794
- Un peu 18 13 16 2 562
- Pas vraiment 39 35 31 4 999
- Pas du tout 34 47 42 6 801
Typologie des sentiments        
- Positifs seulement 2 1 6 894
- Positifs et négatifs 72 65 51 82 24
- Négatifs seulement 25 33 39 6 323
- Rien de tout cela 1 1 4 712
Effectifs 1 262 539   14 661

Champ : Personnes de 18 ans et plus résidant habituellement en France (N = 16 224).
Note de lecture : 8 % des étudiant·es de 18 à 24 ans déclarent avoir vraiment manqué de temps pendant le confinement.

*

12Au vu des résultats de l’enquête, il apparaît que parmi les 18-24 ans, les étudiant·es ont bien vécu différemment le confinement que les jeunes actifs. Les étudiant·es sont moins sorti·es, mais quand ils et elles l’ont fait, ils et elles ont moins respecté les règles (attestation et rayon d’un kilomètre). Ils et elles déclarent plus fréquemment avoir plus exercé d’activités physiques. Mais surtout les étudiant·es se distinguent par le fait d’avoir beaucoup plus souvent changé de logement pour le confinement. Sans grande surprise, le motif principal semble être le retour au foyer des parents. Quant à leurs ressentis, ils et elles ont moins fréquemment déclaré seulement des sentiments négatifs, mais plus souvent des sentiments à la fois positifs et négatifs, ce qui suggère que, pour cette population, la vie en confinement a été d’une intensité émotionnelle particulière.

Références bibliographiques

13Côté James E. & Furlong Andy, 2016, Routledge Handbook of the Sociology of Higher Education, Londres, Routledge.

14Danic Isabelle & Valdes Béatrice, 2016, « Processus d’autonomisation des jeunes : le cas des étudiants de Rennes », Informations sociales, vol. 4, no 195, p. 27-37, disponible en ligne sur https://www.cairn.info/​journal-informations-sociales-2016-4-page-27.htm [consulté le 13 décembre 2020].

15Gruel Louis, Galland Olivier & Houzel Guillaume (dir.), 2009, Les étudiants en France. Histoire et sociologie d’une nouvelle jeunesse, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

16Martin Elsa & Paye Simon, 2020, « Le travail étudiant en période de confinement », Université de Lorraine, disponible en ligne sur http://2l2s.univ-lorraine.fr/​sites/​2l2s.univ-lorraine.fr/​files/​users/​documents/​rapport_confinement_socio_nancy_20-04-16-1.pdf [consulté le 13 décembre 2020].

17Pecqueur Christophe et Moreau Christophe, 2012, « Les mondes vécus de l’étudiant-habitant, typologies des manières d’être et d’habiter », Agora débats/jeunesses, no 61, p. 105-118, disponible en ligne sur https://www.cairn.info/​revue-agora-debats-jeunesses-2012-2-page-105.htm [consulté le 13 décembre 2020].

Auteurs

Marie-Pierre Bès est professeure de sociologie à l’Université Toulouse Jean Jaurès et chercheuse au LISST. Ses travaux portent sur les réseaux sociaux, et en particulier sur les réseaux personnels (d’étudiants, d’ingénieurs, de chercheurs), et les réseaux entre organisations (entreprises, laboratoires, écoles).

Jean-Luc Demonsant est ingénieur au sein de la Plateforme universitaire de données (PUD) de Toulouse.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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