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Chapitre I
Rome sans le pape (1305-1377)
p. 11-42
Texte intégral
1. Ubi est papa, ibi est Roma : la curie à Avignon
1La nuit du 6 mai 1308, un violent incendie dévasta Saint-Jean-de-Latran, réduisant en cendres le toit et les poutres démesurées provenant de la Massa Trabaria1, brisant et calcinant les colonnes antiques et détruisant totalement l’intérieur de la basilique2. L’événement intervenait quelques années seulement après le transfert de la curie à Avignon. Certains crurent que la ruine de la cathédrale de Rome était un signe divin, un avertissement envoyé au pontife : l’Urbs, lieu du martyre et du repos des apôtres Pierre et Paul, siège de l’Empire, centre et tête du monde, ne pouvait pas être échangée avec une cité quelconque comme Avignon. Le pape ne pouvait pas abandonner sa résidence, parce qu’il n’avait aucun droit de le faire.
2Dès la fin du xiie siècle, le pape et sa suite avaient pris l’habitude de séjourner, y compris pour des périodes prolongées, dans d’autres villes que Rome, appartenant à l’État de l’Église alors tout juste naissant3. Cela avait été au début un objectif politique, puisque la présence in loco du souverain se traduisait par une capacité concrète d’imposer ou de récupérer les droits de l’Église. Avec le temps, l’itinérance pontificale était devenue une véritable habitude, et aux raisons politiques s’en étaient ajoutées d’autres, parmi lesquelles perçait surtout le désir de résider dans des lieux agréables et salubres. Dans le courant du xiiie siècle, Viterbe et Pérouse, Rieti et Anagni, Assise et Orvieto surent ce que signifiait la présence continue d’une cour et d’un appareil bureaucratique complexe tel que celui du pontife : se soumettre à un contrôle plus serré et à une relative perte d’autonomie, mais également bénéficier de la magnificence des constructions, de la richesse des commandes artistiques et, en général, du développement économique provoqué par la présence de tant de prélats et de riches fonctionnaires. Certains lieux, ayant reçu une empreinte plus marquée, se virent assigner le titre de « cité papale ». Et les spéculations des experts du droit avancèrent du même pas, jusqu’à produire un adage célèbre emprunté à une sentence de saint Ambroise (vers 339-397) et repris par les juristes impériaux de l’Antiquité tardive. Le premier, dans son commentaire au psaume XI, écrit : « Ubi Petrus, ibi Ecclesia », autrement dit « là où est Pierre – c’est-à-dire le pape –, là est l’Église », c’est-à-dire la communauté de ceux qui croient au Christ. Les seconds, contraints de tenir compte du transfert de la cour à Constantinople, forgèrent la sentence : « Ubi imperator, ibi Roma » [là où est l’empereur, là est Rome]. Les canonistes du xiiie siècle finiront par formuler l’aphorisme : « Ubi papa, ibi Roma » [là où est le pape, là est Rome]4.
3Tout ceci était porteur de quelques conséquences intéressantes qui ne se révéleraient pleinement qu’après le transfert de la curie à Avignon. L’emplacement physique de l’Urbs perdait une partie de sa valeur tangible aux yeux des canonistes et des membres de la curie. La ville aux murailles de pierre, qui renfermait les tombes des apôtres, ne possédait qu’une signification symbolique en projetant sur un territoire un pouvoir qui, parce qu’il était spirituel, pouvait résider n’importe où sans que son charisme et sa validité juridique en soient diminués. Le pape, vicaire du Christ et successeur de Pierre, pouvait vivre sans aucun problème à Avignon puisque la sacralité n’était pas liée au lieu, mais était transférée dans sa personne. Ainsi, la visite ad limina apostolorum, c'est-à-dire le pèlerinage traditionnel aux tombes des apôtres accompli surtout par les prélats qui venaient de recevoir l’ordination et qui se rendaient chez le pape pour lui présenter leurs respects, changea de route et se dirigea vers Avignon. Là, sur les rives du Rhône, évêques et abbés s’acquittaient de la visite ad limina, même si les tombes des apôtres étaient restées à Rome ; et cela, parce que c’était au pape que la visite était faite.
4Le transfert de la curie aux marges du royaume de France, intervenu en 1305, avait donc amplement connu, au siècle précédent, des prémisses aussi nombreuses que motivées et ne fit en effet, dans l’immédiat, pas trop de bruit. Clément V († 1314), qui était français de naissance, ne s’était pas comporté, pour ses contemporains, de manière très différente de son proche prédécesseur Boniface VIII (vers 1215-1303), qui avait l’habitude de passer plusieurs mois de l’année à Anagni. Le pape Clément V était en revanche très lié à la couronne de France et à celle de Naples qui, depuis des décennies déjà, avait pris la tête de la ligue guelfe des cités italiennes, jouant le rôle de protectrice de l’orthodoxie et de la papauté. Rien d’étrange, donc, à ce que le pontife ait choisi les confins de la France méridionale, et surtout la fertile Provence – comté de la maison d’Anjou et, pour cette raison, des rois de Naples – comme endroit où accomplir sereinement, pour un certain temps, sa mission, à l’abri de tout danger.
5Les choses commencèrent à changer, naturellement, quand le pape décréta (c’était en 1309) que le siège pontifical était officiellement transféré à Avignon ; quand le collège des cardinaux compta toujours moins d’Italiens et toujours plus de sujets et de fidèles de la couronne capétienne ; quand, enfin, la solennelle machine administrative de la curie romaine, avec ses milliers de notaires, employés aux écritures, collecteurs de taxes, visiteurs, perdit son empreinte romano-latiale (caractéristique du xiiie siècle), pour être toujours plus composée de personnel français, si bien que le mot caorsino [habitant de Cahors] devint en Italie un équivalent de « percepteur rapace »5.
6Les papes avignonnais mirent sur pied un appareil bureaucratique tel qu’on n’en avait jamais vu auparavant, capable de garantir un contrôle minutieux des rentes et des bénéfices ecclésiastiques dans toutes les régions d’Europe. Mais en Italie, où existait pourtant une ligue guelfe entre les cités, où le roi de Naples avait un grand pouvoir et où, après le déclin de l’astre impérial, le parti gibelin n’avait pratiquement plus de visage, le pouvoir concret du pontife avait rapidement diminué, miné et compromis par les nombreuses seigneuries et par les gouvernements des communautés citadines qui, même formellement déférents envers le pape et garants de la liberté ecclésiastique, exerçaient un pouvoir largement autonome. D’où la tentative répétée, et longtemps manquée, de certains cardinaux-légats bien connus, de ramener dans l’obédience de l’Église les cités de l’Italie centrale.
7Au beau milieu de ces péripéties, le cas de Rome était particulier, et son exceptionnalité le rendit encore plus remarquable. La chute du toit du Latran et le départ du pape mirent à nu les conditions matérielles et culturelles de la cité. Dans le vide ouvert par l’absence du pontife et le départ de la curie, se nicha un sentiment de désolation. La Roma christiana n’existait quasiment plus : on dit et on écrivit que l’Urbs n’était autre qu’un tas de décombres qui recelaient un souvenir déformé de gloire et de puissance. Dans les pleurs versés sur cette ruine allait germer, au cours du xive siècle, le premier humanisme. C’est en revanche dans la tentative de rendre à l’Urbs son antique grandeur que se situe l’aventure humaine de Cola di Rienzo.
8Le séjour du pape en Avignon avait une signification terrible pour Rome, qui avait la sensation de toucher un des points les plus bas de son histoire : abandonné de l’empereur, le navire sans nocher était maintenant également privé de son second astre lumineux. Ainsi à Rome, la crise (un terme souvent utilisé par les historiens pour qualifier une bonne partie du xive siècle) était double. On connaissait en effet dans la ville le sort commun aux autres populations occidentales qui commençaient à être frappées par des épidémies répétées, qui accusaient après des siècles de croissance une baisse sensible de leur démographie, qui vivaient dans le cauchemar de longues guerres et d’une famine désormais récurrente. À cela s’ajoutait l’éloignement du pontife et de sa cour, un fait qui, non seulement avait une influence négative sur une économie plutôt faible, mais qui provoquait, comme une projection agrandie, une telle sensation de dépaysement qu’il allait jusqu’à signifier, pour beaucoup, la raison essentielle de la désolation de l’Urbs. Après la splendeur du xiiie siècle, qui avait vu l’édification de l’État pontifical et la création de grandes œuvres, on vivait maintenant dans une odeur de moisi. Même si (comme on le verra mieux un peu plus loin) la stagnation économique romaine avait été relative, et tendanciellement peu différente des cycles économiques du reste de l’Europe, à Rome il y avait donc une façon très simple d’expliquer la crise ; une façon si simple que c’était une lapalissade qui n’avait pas besoin de confirmation.
9Le départ du pape entraînait aussi un sentiment religieux d’un caractère nouveau, qui empruntait des arguments et des images aux courants spirituels les plus radicaux en les amalgamant à des thèmes traditionnels. Dans la période de la « captivité avignonnaise », il se dit de différentes parts que l’Église terrestre était trop riche et corrompue, sous l’emprise du pouvoir laïque et désormais fort loin de sa mission et de sa forme primitive. On reprenait dans ces cris de protestation un vieux motif traditionnel de rébellion contre les habitudes mondaines de l’Église, mais ces plaintes étaient amplifiées par le sinistre pressentiment de fin du monde que l’Occident avait appris à connaître et qu’il diffusait avec virulence depuis les dernières décennies du xiiie siècle. En ce fatidique an 1300, d’immenses foules, imprégnées d’une religiosité naïve, étaient accourues à Rome pour obtenir l’indulgence plénière pour leurs péchés. Cette année là, les basiliques des apôtres Pierre et Paul avaient été prises d’assaut par les pèlerins ; les Romains, beaucoup plus que la curie, avaient appris ce que pouvait signifier, pour l’économie de la ville, une année de pèlerinages extraordinaires. C’est seulement cinq ans après que le pape abandonnait l’Italie et ce n’est que neuf ans plus tard que l’on réalisait que, désormais, cette absence allait vraiment se prolonger. Ce même peuple qui considérait les corps saints comme des objets doués d’un indiscutable pouvoir thaumaturgique, qui pensait à Rome comme à une cité édifiée par le sang des martyrs, qui pour cela accomplissait des pèlerinages exténuants, poussé par une religion concrète faite de choses et de lieux, se trouvait dans l’obligation de comprendre (et certainement ne comprenait pas) que « là où est le pape, là est Rome ».
10D’un point de vue politique, le fait que le pape soit absent de la cité eut une signification considérable, parce qu’il raffermit et vivifia ce sentiment, jamais assoupi, que l’Urbs devait recevoir un rôle autonome et de premier plan, et être considérée comme une entité différente tant du pape que de l’empereur. Au milieu du xie siècle, trois cents ans avant les faits qui nous occupent, les citoyens de Rome avaient pris conscience pour la première fois de leur altérité face au pontife et à l’appareil de la curie. Alors, en correspondance avec le rôle toujours plus universaliste et toujours moins romain joué par le successeur de Pierre, on s’était attaché à consolider une ligne d’action politique qui avait conduit, après quelques décennies, à la formation d’une institution autonome, la commune romaine. Au milieu du xive siècle, bien que la commune ait été formellement soumise à l’autorité pontificale, la tentation de gouverner librement était forte. L’absence du pape permettait à ceux qui détenaient concrètement le pouvoir d’exercer une domination presque incontestée.
11En une occasion importante on parvint à formuler une théorie qui, de fait, privait le pape de tout pouvoir temporel. Quand Louis IV de Bavière (1287-1347), le dernier « empereur gibelin », parvint à Rome en 1328, il reçut la couronne des mains de Sciarra Colonna († 1329). On déclara alors la commune de Rome dépositaire du droit de conférer l’Empire. Peu de temps après, le souverain, en accord avec l’assemblée des Romains, promulgua un édit qui prévoyait que le pape ne pouvait pas résider en dehors de Rome pendant plus de trois mois par an et qu’il ne pouvait s’éloigner de l’Urbs d’une distance supérieure à deux jours de marche sans le consentement explicite des Romains. Finalement, après avoir été jusqu’à condamner à mort par contumace le pape régnant pour avoir abandonné son siège, Louis fit élire l’antipape Nicolas V, en réservant aux Romains la ratification au moyen de la traditionnelle acclamation répétée trois fois : « Placet vobis ? », demanda l’évêque de Castello, et le peuple répondit : « Placet », s’émerveillant de sa chance inespérée. De fait, les Romains se retrouvaient avec, à leur disposition, un empereur qu’ils croyaient avoir élu et couronné et un pape qui, choisi par eux, resterait à Rome pour toujours, redonnant à l’Urbs son rôle de cité sainte, chef souveraine et caput mundi [tête du monde]6.
12La Rome de Cola di Rienzo était donc une ville en crise. Le xive siècle, peut-être plus que n’importe quelle autre époque historique après la chute de l’Empire romain, représenta pour l’Europe une période de graves difficultés. On parle de crise des valeurs culturelles parce que ce siècle signa le déclin de l’idéologie médiévale de l’unité de l’empire chrétien ; on dénonce la crise démographique, puisque la population, après l’augmentation massive du siècle précédent, allait en diminuant, aggravant l’état de dépression économique qui s’annonçait déjà au début du siècle. L’écroulement subit, suivi d’une stagnation et d’une reprise, qui pouvait toutefois déboucher sur un nouvel et plus grave effondrement, constitua un cycle caractéristique de ce siècle tourmenté. Des mots comme famine et épidémie entrèrent dans le vocabulaire et l’imagination de tous.
13Rome, grande ville d’Europe, déjà parfaitement insérée dans le complexe réseau de production et d’échanges, n’était pas en reste. Comme les autres cités, elle souffrit de périodes de récession économique et ne réussit à se relever qu’à la fin du siècle7. Si l’on veut simplifier au maximum l’image de l’économie romaine au bas Moyen Âge, on peut parler de deux niveaux : le vrai cycle économique, avec la production et la consommation des produits indispensables, et le grand marché du tourisme religieux. Ces deux éléments étaient évidemment quasiment indissociables. Le xie siècle avait connu le début d’une phase d’expansion qui avait atteint son point culminant dans la première partie du xiiie siècle pour se contracter dans sa seconde partie. Rome était devenue, à cette époque, une des grandes places commerciales européennes. La phase de récession, qui s’était transformée avec le temps en véritable crise, avait perduré bien au-delà du milieu du xive siècle. La rente foncière s’était réduite, un dépeuplement massif des campagnes environnant la cité avait commencé et la tentative de maintenir à un haut niveau le prix du grain avait entraîné la diminution des espaces ensemencés. Il s’était amorcé dans ces conditions un cycle susceptible de conduire à une situation de disette. Ce n’est que dans les dernières décennies du xive siècle (et ensuite pendant tout le xve siècle) que la stagnation du prix du grain et la relance des activités commerciales proprement dites, surtout celles liées à l’élevage, allaient permettre la reprise.
14Pour comprendre le cycle économique de Rome, il est fondamental de se rendre compte qu’au xive siècle, la population se nourrissait essentiellement de céréales. La bonne marche de la production agricole et les variations des prix du grain sont donc des éléments de première importance. Rome était, au xive siècle, une ville à l’économie faible et partiellement entravée par des barrières de classes qui freinaient la gestion productive des capitaux et des activités commerciales en général. Au xiie siècle, et pour partie au xiiie, les plus puissants des Romains avaient été marchands et ils s’en enorgueillissaient ouvertement8. Du reste, les aristocraties qui trouvaient leur source dans le commerce et l’argent allaient maintenir leur suprématie dans toutes les grandes cités marchandes de l’Italie centrale du Nord, qu’il s’agisse de Gênes, Venise ou Florence. Mais au xive siècle, le baron romain, porteur d’une culture essentiellement militaire, ne pouvait exercer une activité commerciale sans courir le risque de se sentir déshonoré : la richesse et la puissance devaient au contraire résider dans la possession de la terre et la domination des hommes.
15Si la crise de l’économie urbaine était déjà pleinement prévisible à la fin du xiiie siècle, le transfert de la curie papale à Avignon constitua un facteur supplémentaire de récession. La présence du pape et de la curie à Rome avaient été, en effet, une énorme source de richesse, alimentée par la nécessité d’entretenir et de servir une cour composée de milliers de personnes, ce qui assurait la circulation d’une quantité très importante d’aliments, de produits artisanaux et d’articles de luxe. Et elles le savaient fort bien, ces cités de l’État pontifical telles que Pérouse, Orvieto, Viterbe et Anagni, qui avaient accueilli à bras ouverts le pape et la curie au siècle précédent.
16Évidemment, même si Rome était désormais sans pape, ce n’était pas pour cela que le flux des pèlerins s’était arrêté puisque « la cité […], même dans les pires moments, a toujours lié son sort à la présence des étrangers9 ». Toutefois, cette absence si perceptible faisait fonction de bouc émissaire pour glisser sur les autres raisons de la crise. Et il est d’autre part indéniable que, bien que les pèlerins aient continué à se rendre à Rome, ils étaient beaucoup moins riches qu’auparavant : les prélats, les empereurs et les souverains se faisaient rares désormais.
17La résidence du pape en Avignon fut la condition première et nécessaire de l’existence politique de Cola di Rienzo et constitue un élément dont il faut tenir compte en permanence. Une telle absence est, dans cette histoire, comme la basse continue dans une partition musicale. L’éloignement papal de Rome allait conduire Cola à accomplir sa première ambassade pour réclamer qu’un jubilé soit déclaré en 1350 ; il allait lui permettre d’instaurer par deux fois un régime populaire dont il serait le seigneur incontesté ; cet éloignement lui permettrait d’élaborer sa propre théorie politique de la souveraineté absolue du peuple romain vis-à-vis de l’empereur et peut-être même du pape. Clément VI, de son côté, estimerait que Cola di Rienzo n’était pas sain d’esprit, qu’il était dangereux et hérétique, particulièrement à cause d’une de ses affirmations, qui aurait pu être considérée comme normale s’il s’était agi d’une autre ville que Rome. Alors que les canonistes avaient décrété que « là où est le pape, là est Rome », Cola avait osé déclarer que la ville de Rome et son Église étaient et devaient être la même chose10.
2. Mirabilia, couronnements et jubilés
18Rome, au Moyen Âge, est beaucoup plus qu’une ville aux mille églises et aux mille tours : Rome est une idée11. L’Urbs, ville éternelle, s’impose à l’imaginaire des hommes grâce à un caractère universel qui ne peut être attribué à aucune autre cité au monde. L’homme médiéval, en effet, possède une culture qui privilégie une compréhension cyclique, liturgique du temps, avec sa répétition incessante des saisons et des jours du calendrier. La distance historique ne fait pas partie du bagage de l’homme de cette époque, qui n’a pas une conscience claire de l’éloignement inéluctable des âges, pas plus qu’il ne construit de projections géographiques obligatoirement en adéquation avec le territoire. Au contraire, un homme du Moyen Âge croit sans difficulté que la Rome des Césars est au coin de la rue, que le sang des apôtres est encore frais et que la Scala Santa est physiquement celle du palais prétorien de Ponce Pilate.
19Le territoire de la ville de Rome, donc, était sans aucun doute compris entre une anse bien déterminée du Tibre et certaines collines, mais sa représentation symbolique se superposait à la topographie réelle en permettant une sorte de fusion entre les deux éléments. Si encore aujourd’hui Rome est la ville aux sept collines, aux sept rois, aux sept églises et aux sept voies consulaires12, il n’est pas erroné de penser que le pèlerin médiéval, dans son long voyage vers l’Urbs, rêvait à la possibilité de voir de ses propres yeux quelques-uns des Mirabilia décrits dans les itinéraires et les guides de l’époque : les statues parlantes, la tombe de César, la source qui secrète de l’huile, la statue de Constantin, avec, sur la tête du cheval, la chouette qui prendrait son envol pour annoncer la fin du monde, et les reliques de la Passion du Christ. On considérait Rome comme un lieu magique où il était possible de trouver rassemblées les merveilles du monde antique : le phare d’Alexandrie, le colosse de Rhodes et la statue de fer de Bellérophon qui restait suspendue dans les airs, soutenue par d’énormes aimants13. Les cinq basiliques majeures de la cité symbolisaient les cinq patriarcats d’Orient et d’Occident : Saint-Pierre représentait Constantinople, Saint-Jean, Rome, Saint-Paul, Alexandrie, Sainte-Marie, Antioche et Saint-Laurent, Jérusalem ; à travers ces basiliques, c’était le monde chrétien tout entier qui trouvait place à Rome. De la même façon, dans les églises stationnales où le pape se rendait pour certaines commémorations, l’année liturgique trouvait sa traduction dans l’espace, tant chaque église était marquée avec précision : Sainte-Marie-Majeure, qui conservait la mangeoire dans laquelle l’enfant Jésus avait été déposé, était la grande église de Noël ; Saint-Jean, cathédrale de Rome dont le baptistère avait vu Constantin (vers 280-337) guérir de la lèpre, était l’église pascale et les enfants y étaient baptisés durant le Samedi saint ; Saint-Pierre, cathédrale du monde, était l’église des cérémonies solennelles à la gloire de la papauté14.
20Les représentations symboliques de la cité furent nombreuses, surtout au bas Moyen Âge. Il y en eut pour dire que Rome, si on la voyait de haut, prenait la forme d’un lion. Cola lui-même écrivit que le tracé de son enceinte était celui d’un lion couché15. L’Urbs prenait par conséquent l’aspect du seigneur des animaux, adaptant sa topographie à ce qui était aussi (et non par hasard) l’emblème de sa commune16. Les représentations proposées dans le milieu impérial figuraient souvent Rome comme une femme couronnée de tours ; on mettait ainsi en relief son caractère royal et son droit d’exercer sa domination sur toutes les autres cités. Dans d’autres cas, pour mettre en évidence l’exact contraire, c'est-à-dire son état d’abandon par l’empereur lui-même ou le pape, on attribuait à l’Urbs les traits d’une femme en pleurs et échevelée, portant le deuil comme il sied à une veuve. Sur les sceaux impériaux enfin se trouvait la célèbre devise « Roma caput mundi regit orbis frena rotundi » [Rome, chef souveraine du monde, tient les rênes du globe]. Sur le premier plan de Rome, dessiné par l’évêque et chroniqueur franciscain Paolino da Venezia, bien qu’il ne soit plus symbolique (on y voit les collines, les rues et les principaux monuments), l’Urbs est inscrite dans une ellipse : on rappelle ainsi qu’elle est une cité parfaite, proche de la perfection du cercle. Du reste, sur le globe que les empereurs et le Christ en majesté lui-même tenaient en main pour symboliser leur puissance sur terre, on aurait pu retrouver la ville de Rome justement vers le centre du monde, au croisement entre mers occidentales et orientales, entre Europe, Afrique et Asie.
21À travers le prisme que fut la Rome médiévale, on peut distinguer trois visages principaux, ceux de la Rome fantastique, de la Rome impériale et de la Rome sacrée qui, cependant, se croisent et s’entremêlent jusqu’à former un mélange absolument unique. L’Urbs renferme un univers mystérieux et irrationnel, dérivé en partie des légendes qui circulent sur son passé païen et de l’élaboration d’histoires tournant autour des monuments et des découvertes d’objets antiques. Ce sont les histoires nées dans les grottes obscures à l’intérieur des ruines. C’est dans cet espace que se situent les légendes des Mirabilia auxquelles nous avons fait allusion, mais aussi les fêtes splendides qui ont caractérisé successivement la cité antique, médiévale puis moderne17. Les jeux de l’Agone et du Testaccio, qui se déroulaient pendant le carnaval, au pied de l’Aventin et aussi à l’intérieur du Colisée, sont entre autres, particulièrement remarquables. Après les parades militaires, les courses de chevaux, les mâts de cocagne, les représentations des comédiens ambulants et les épreuves de force et de dextérité des cavaliers et des fantassins romains, la tradition la plus enthousiasmante était celle de la chasse aux taureaux. Ces derniers étaient menés en grande pompe par les rues, depuis les différents rioni18 jusqu’au « pré du peuple romain » situé au Testaccio, où des gens armés les chassaient devant les habitants et les autorités.
22Cependant, Rome n’est pas que légende, mystère et violence irrationnelle. Elle a en effet une seconde âme, qui surpasse pratiquement toujours la première et qui lui est diamétralement opposée. Il s’agit de l’idée de la Rome impériale, dépositaire d’un droit millénaire, et même du Droit19. Le Moyen Âge admirait la Rome antique parce qu’elle avait donné au monde l’État et la Loi. Selon la conception dominante, après Constantin (l’empereur chrétien par excellence), les concepts de civilisation, romanité, société et christianisme s’étaient superposés jusqu’à former une certaine unité. Charlemagne (742-814) avait pu restituer à l’Occident cette dignité impériale restée longtemps vacante, en refondant l’Empire, qui était sacré et romain. Dans le monde médiéval aussi, Rome assurait le rôle de caput. Même s’il y avait eu un transfert – puisque la couronne était ceinte par des empereurs de souche germanique et non plus latine, et puisqu’il fallait chercher le centre matériel de l’Empire plutôt dans les brumes du Nord qu’au milieu de la Méditerranée –, la fonction symbolique de Rome se maintenait dans toute sa force. Certaines choses ne pouvaient se faire ailleurs et c’est pour cela que les empereurs s’étaient toujours fait couronner à Rome.
23L’idée que Rome fût le siège idéal de l’Empire était partagée par les trois acteurs principaux de son histoire : l’empereur, le pape et les citoyens de l’Urbs en étaient tous trois fermement convaincus. Mais il y avait des différences substantielles dans l’interprétation que chacune des parties faisait de son propre rôle et de celui que devait jouer la cité. L’empereur pensait que Rome était le siège de l’Empire ; mais cela ne signifiait pas qu’il reconnaissait l’autorité du pape ni celle de la commune. Le prince élu, qui portait le titre ronflant de « roi des Romains », avait été choisi au cours d’une diète des grands seigneurs allemands, et ne descendait à Rome que pour recevoir la couronne et la bénédiction papale.
24Le peuple romain, cependant, se considérait comme le successeur du Sénat, si bien qu’en 1143, selon la tradition, il avait fondé sa propre institution communale en déclarant qu’il avait ainsi redonné vie à cet antique collège. Dans ses positions les plus radicales, qui affleuraient déjà au xiie siècle et explosèrent ensuite à l’arrivée de Louis de Bavière en 1328, la commune de Rome s’estimait dépositaire des droits impériaux qu’elle pensait pouvoir octroyer selon son propre jugement. Rome était donc l’unique endroit où l’on n’admettait pas la Translatio Imperii, le transfert de l’Empire. Au milieu du xiie siècle, avec le pape à Avignon et l’empereur en Bohême, les positions pouvaient se radicaliser, et la pensée et l’action de Cola di Rienzo doivent être replacées dans cette distance mentale et spatiale entre Rome et l’Empire20.
25La conception impériale de Rome n’était pas une idée partagée seulement par les gibelins ou par ses propres citoyens. Le pape aussi, en fait, avait toujours soutenu fermement que l’alma Urbs était la ville impériale. Mais il découlait des positions les plus rigoureuses, nées dès le viiie siècle, qui s’étaient manifestées dans la deuxième moitié du xie siècle et avaient été défendues avec une force extraordinaire jusqu’au milieu du xive siècle, que le rang impérial avait été attribué au pape lui-même ; successeur légitime de Constantin par la voie de la donation éponyme dont il s’attribuait le bénéfice, il pouvait endosser les signes du pouvoir impérial et avait le droit de gouverner avec pleine autorité. Selon le pape, l’empereur régnait par la volonté du pontife ; le vrai Sénat n’était pas à ses yeux la classe dirigeante de Rome, mais le Sacré Collège des cardinaux.
26Le troisième visage de Rome au Moyen Âge est celui de la cité sainte. L’Urbs est non seulement caput mundi, mais elle est aussi civitas Dei, cité de Dieu, elle se tient aux flancs de la Jérusalem terrestre et parfois la remplace. Elle est le lieu de la prédication et du martyre de Pierre, premier évêque de la cité et fondateur de l’Église, et celui où Paul affirma avec orgueil être citoyen romain21. Les pèlerins y accourent pour prier sur les tombes des deux apôtres et sont abasourdis par la magnificence des édifices sacrés, qui seuls peuvent se mesurer en grandeur et en beauté aux fastes de l’Antiquité. Ils chantent : « Ô Rome noble et maîtresse du monde, magnifique entre toutes les villes, rouge du sang rose des martyrs, blanche des candides lys des vierges, nous te saluons et nous te bénissons : que tu sois sauve dans les siècles ! »
27Les pèlerins vénèrent les reliques du Christ : la sainte Lance et la vraie Croix, rapportées par sainte Hélène, mère de Constantin, la Couronne d’épines, les Clous de la crucifixion et surtout la Véronique, qui porte l’empreinte du visage du Christ et que l’on montre aux fidèles le Vendredi saint. Les corps des martyrs et des vierges enterrés dans les églises et dans les catacombes, les Madones qui n’ont pas été peintes par une main humaine, défendent physiquement la cité et emplissent de grâce les Romains auxquels l’autorité pontificale et une longue tradition concèdent la rémission de leurs péchés. Rome, disait le disciple de Cola, Francesco Baroncelli, « n’est pas bâtie de pierres ni de chaux, mais des os, de la chair et du sang des martyrs22 ». Et si Rome était la nouvelle Jérusalem terrestre, préfiguration de la Jérusalem céleste et donc du paradis, alors Avignon, l’ennemie, pouvait bien devenir la Babylone infernale, le siège du long exil du peuple élu, la cité qui ouvre la porte des enfers.
28Cola di Rienzo, citoyen romain, était amoureux de l’Urbs et de son image. La convergence en Cola des trois cités immatérielles dont nous avons esquissé le portrait, produisit un résultat original. La suprématie de Rome était indiscutable et l’autorité pontificale même ne fut jamais mise formellement en doute car l’action politique du tribun tenait toujours grand compte de l’élément religieux. Son amour pour la Rome antique et pour l’idée impériale était tellement enraciné que Cola, ami de Pétrarque (1304-1374) et admirateur de Dante (1265-1321), conféra les droits de souveraineté au peuple romain, tenta de devenir lui-même empereur et se déclara fils d’Henri VII. Mais la Rome mystérieuse et fantastique trouva aussi place dans ses excès, dans son incroyable couronnement, et enfin dans sa mort. Cola devint « l’homme à la tête en bas », la carte du Tarot qui représente le monde inversé, l’ultime acte d’un macabre carnaval.
3. Territoire et institutions
29Cola marche dans les rues de sa ville. Quand bien même, en fermant les yeux, il voit les ruines se relever, retrouver leur grandeur, et ses concitoyens s’envelopper à nouveau dans la toge sénatoriale, il doit, sur son parcours, pénétrer dans des ruelles étroites et des tavernes mal famées, se garer au passage d’une charrette et tancer vertement un pesciarolo 23insolent. La cité faite de pierres et de gens est le lieu principal de son action. C’est comme une scène théâtrale que tous, de l’acteur principal au public en passant par les seconds rôles, jugent sévèrement parce qu’elle ne correspond pas aux canons de beauté attendus. Elle est comme un amour fantasmé et transformé en rêve, qui au retour d’un long voyage se révèle différent. Et pourtant, l’Urbs, dont la vue déçoit et déconcerte l’intellectuel de ce temps, est une cité pleine de vie, à l’identité très marquée. Son aspect physique prend, dans l’histoire de Cola, une place aussi importante que celle occupée par son image idéale.
30Pendant tout le xive siècle, Rome vit auprès de son fleuve. Le Tibre décrit une vaste courbe, délimitée au nord par le mausolée d’Hadrien et au sud par l’île Tibérine24. C’est dans cette boucle du fleuve, au milieu de la cité antique, que se trouvent les quartiers les plus peuplés. Les maisons, souvent édifiées sur les ruines, sont construites avec force matériel de réemploi et de façon assez anarchique. Ces habitations s’entassent les unes sur les autres, ne laissant d’espace que pour des ruelles étroites et de petites places que l’on peut facilement « barricader et fortifier » en cas d’émeute. Ponte (qui tire son nom de l’ancien pont Ælius, situé face au château Saint-Ange), Parione, Sant’Eustachio, Regola et Sant’Angelo sont les rioni les plus habités. L’expansion de la construction est favorisée par les institutions ecclésiastiques de la cité et par les grands seigneurs qui, déjà aux siècles précédents, ont commencé à céder des lots de terrain à bâtir à ceux qui arrivaient à Rome à la recherche de la fortune et aux représentants de la « classe moyenne », alors en formation. Les vendeurs sont souvent restés propriétaires du sol, ce qui fait que celui qui a construit une maison se retrouve propriétaire des murs mais locataire de leur assise25. En agissant de cette façon, aussi bien les églises que les seigneurs ont réussi à constituer et à contrôler des aires sur lesquelles ils exercent un pouvoir plus ou moins fort selon leur propre puissance. Dans cette « zone d’influence », les habitants conservent des liens personnels, et même des liens de vassalité, avec leurs propres « seigneurs », qui y exercent un « droit de voisinage ».
31Les habitations romaines sont de divers types, correspondant à la classe sociale de leurs habitants. Les maisons peuvent être terrineae c'est-à-dire avec un seul niveau, ou bien solaratae, quand elles possèdent aussi un étage, auquel on accède au moyen d’un escalier extérieur. Et puis, il y a de véritables palais, résidences principales des familles aristocratiques et des prélats. Ces bâtiments sont souvent dotés d’arcades sous lesquelles se déroulent les activités les plus disparates.
32Placées à une distance respectable des maisons, ou bien encastrées entre les constructions, se dressent les tours qui peuvent atteindre des hauteurs vertigineuses et qui, comme on l’a écrit au début du xiiie siècle, sont nombreuses « comme les épis dans un champ de blé »26. La tour et le palais permettent à la famille qui en est propriétaire de vivre dans un certain confort et une relative sécurité. En cas d’émeute ou de guerre, en effet, les tours jouent efficacement un rôle aussi bien offensif que défensif, qui se révèle particulièrement utile pendant les fréquentes querelles des factions27. En même temps, posséder une construction de ce type est un symbole de puissance : ce n’est pas pour rien que parmi les premières mesures prises par les régimes populaires figure souvent celle « d’étêter » les tours. En en réduisant la hauteur, on limite la capacité militaire de l’édifice et, au niveau symbolique, on « rabat le caquet » de son propriétaire.
33On pourrait croire que la disposition des tours, maisons et palais sur le territoire n’était soumise à absolument aucune règle. Il existait en réalité une logique, mais elle revêtait une forme très différente de celle des périodes suivantes. L’habitat se répartissait en fonction du poids et du rapport réciproque de certains « pôles d’attraction » constitués par les églises et les habitations aristocratiques. La totalité de la Cité léonine, par exemple, était un agrégat, une sorte de village qui s’était formé à proximité de la basilique Saint-Pierre. Les basiliques romaines étaient bien protégées par des fortifications, tandis que les grandes familles baronniales possédaient de véritables circuits défensifs, placés sur les hauteurs modestes de l’habitat et sur les ruines les plus imposantes ; de tels circuits pouvaient atteindre une taille considérable et étaient dotés de forteresses presque imprenables : le château Saint-Ange, l’Austa, la tour des Conti, l’Arpacasa, la tour des Milices, la Rocca Savella28.
34Les Orsini maîtrisaient l’accès nord-oriental de Rome : du château Saint-Ange et du pont qui lui faisait face, leur contrôle s’étendait jusqu’à Monte Giordano et au théâtre de Pompée. Entre cette forteresse, que l’on appelait alors l’Arpacasa, et les autres édifices appartenant au lignage, avait été construite une courtine de maçonnerie longue de plusieurs centaines de mètres, pourvue de tours. La zone d’influence des Colonna, en revanche, était comprise entre la via Flaminia, la forteresse de l’Augusteum (Austa), le Champ de Mars et Montecitorio pour rejoindre enfin les pentes du Pincio et du Quirinal. Les Caetani surveillaient la cité des hauteurs du Capitole à celles du Viminal jusqu’aux « boutiques obscures29 » de l’antique crypte Balbi. Les Savelli, enfin, étaient solidement installés sur les ruines du théâtre de Marcellus et contrôlaient les rioni Ripa, Campitelli et Sant’Angelo.
35À l’intérieur de ces zones, quelques membres d’une même famille possédaient en commun des biens et des droits en quantité considérable et, comme on l’a dit, étaient généralement propriétaires d’une bonne partie des terrains sur lesquels les emphytéotes avaient construit des habitations à leurs frais. Ils fournissaient en outre quelques services essentiels tels que le four et la citerne. En somme, les habitants prêtaient obédience aux membres du lignage éminent, ou parce qu’ils y étaient tenus par un véritable lien de vassalité, ou parce qu’ils étaient locataires, ou simplement parce que l’hégémonie politique, économique et militaire de la famille noble conduisait à l’effacement des discriminations qualitatives entre ceux qui se trouvaient à l’intérieur d’une zone d’influence. La demeure principale du lignage était considérée comme une zone franche ; on pouvait y rendre librement une justice différente de celle de la commune et même s’ils avaient voulu le faire, les magistrats municipaux auraient difficilement pu y mettre les pieds.
36Ce même principe de concentration des biens et de contrôle politico-économique des secteurs urbains était également présent, quoique de manière moins prononcée, au sein de la petite noblesse romaine. À proximité de sa tour ou de sa résidence principale, chaque famille possédait d’autres maisons, des dépendances, des annexes, des petites places, des cours, des puits, des étables, des magasins et bien d’autres choses encore… Cette organisation urbanistique, dans laquelle public et privé, ouvert et fermé se fondaient et se confondaient, prenait le nom caractéristique d’accasamentum, c'est-à-dire, dans le vocabulaire contemporain, « complexe urbain30 ». Dès le milieu du xiiie siècle, chaque famille romaine d’un certain rang possédait son propre accasamentum, dans lequel habitaient aussi bien les membres de la famille que ceux qui, pour quelque raison que ce soit, entretenaient un rapport de dépendance avec les propriétaires. À l’intérieur de la circonscription d’une « zone d’influence » contrôlée par un lignage baronnial, les citadins de la petite noblesse vivaient, dans leurs accasamenta, dans un rapport assimilable au clientélisme. Et par conséquent, l’urbanisme de la cité était profondément conditionné par le système des « complexes », dans lequel le poids politico-économique des lignages déterminait l’organisation urbaine.
37Sur un plan encore plus général, la cité était répartie en douze rioni, auxquels était associé un treizième, le Trastevere. Bien qu’il n’y eût pas de séparation physique entre chaque rione, ces subdivisions avaient leur importance aux yeux des contemporains car chacune de ces divisions territoriales possédait ses symboles, sa magistrature et ses forces militaires autonomes. Les caporioni, c'est-à-dire les chefs des rioni, avaient, surtout pendant les périodes de régime populaire, une grande influence sur le gouvernement de l’Urbs.
38Une subdivision topographique supplémentaire, ecclésiastique celle-là, avait été instituée par l’association du clergé urbain dite Romana fraternitas. La totalité de la cité y apparaissait divisée en trois parties articulées en circonscriptions paroissiales. Les églises étaient très nombreuses ; selon un catalogue dressé dans les premières décennies du xive siècle, leur nombre s’élevait à quatre cent huit. On comptait parmi elles de nombreux petits édifices desservis par un seul prêtre, dont certains étaient délabrés, mais également de très grandes basiliques, comme Saint-Jean et Saint-Pierre, qui avaient un nombre élevé de chanoines et de serviteurs et possédaient une part considérable du patrimoine immobilier de la cité.
39L’institution qui dirigeait l’Urbs était le Sénat31. Sur les hauteurs du Capitole, jadis symbole de la république et lieu de marché durant le haut Moyen Âge, avait été édifié en 1151 un palais qui prit avec le temps la forme imposante d’une forteresse et devint siège du gouvernement. La commune romaine n’était pas très différente de celle des autres villes italiennes et ne s’en distinguait guère que par les souvenirs de grandeur et de triomphes que son nom même évoquait. Dans le courant du xive siècle, l’institution possédait déjà une longue histoire puisque ses origines remontaient à la fin du xie siècle. Depuis le milieu du xiiie siècle, la commune était gouvernée par un ou deux sénateurs qui changeaient tous les six mois. Ces derniers, à la différence des consuls et des podestats des autres cités, n’étaient pas choisis parmi des étrangers, mais bien parmi les citoyens les plus en vue. Les sénateurs étaient entourés d’un conseil, alors que le parlement général était convoqué à chaque occasion solennelle et comprenait tous les citoyens jouissant de l’intégralité de leurs droits. Dans les périodes de gouvernement populaire, le gouvernement du capitano del popolo [capitaine du peuple] et des treize buoni uomini [bons hommes] correspondant aux rioni, ou à d’autres occasions aux Arts, avait un poids considérable. Les régimes populaires essayèrent avant tout de conférer la magistrature suprême à des seigneurs qui ne soient pas citoyens de Rome. C’est ainsi que le siège de sénateur avait été offert à de grands princes, comme Charles Ier d’Anjou, qui fut sénateur trois fois et pour une très longue durée, à Louis de Savoie et à Robert Ier d’Anjou. Dans l’absolu, cependant, l’hégémonie exercée par les barons romains fut pratiquement incontestée. Formellement, à l’exception de quelques cas exceptionnels, ils gouvernèrent au nom du pape, qui était souvent nommé sénateur à vie et choisissait les magistrats comme délégués. Mais il restait de larges marges d’autonomie.
40Le Capitole était le siège d’une bureaucratie plutôt complexe, sur laquelle nous ne disposons que de peu d’informations, la totalité des archives ayant été perdue32. Les tâches des bureaux se superposaient au moins en partie, comme c’était le cas pour tous les organes de gouvernement médiévaux qui, par exemple, avaient chacun leur propre tribunal indépendant. Non seulement le sénateur gouvernait la totalité de la cité, mais il était aussi à la tête de la justice, utilisant pour cela les services de juges et de notaires. La Chambre capitoline ou Camera Urbis, gérait les finances, l’économie et l’administration générale ; elle était dirigée par un ou deux camerlingues, qui avaient sous leurs ordres deux notaires et quelques juges. La chancellerie, dirigée par le chancelier et pourvue de deux scribasenatus, était le bureau préposé à la rédaction et à la conservation de la documentation communale. L’armée, dont le sénéchal, qui était le magistrat de la cavalerie, assurait la direction politique, pouvait aligner rapidement un nombre assez élevé de soldats, tandis que la préfecture urbaine s’occupait surtout de la justice criminelle. La commune de Rome revendiquait une autorité étendue et une grande autonomie par rapport au pouvoir pontifical : elle contrôlait les voies de transit (fleuves et routes), elle imposait et encaissait la gabelle et des contributions de toutes sortes, elle avait le droit de battre monnaie, elle rendait directement la justice civile et criminelle, elle avait sa propre armée et pouvait s’en servir librement, elle disposait de sa propre circonscription territoriale. Celle-ci s’étendait sur une distance de cent milles (cent soixante dix kilomètres) de Terracina à Civitavecchia sur la côte et, à l’intérieur, de Ceprano à Radicofani. Elle était divisée en trois provinces principales : le Patrimoine de Saint-Pierre au nord de Rome, la Campagna et la Marittima au sud.
41Du haut du Capitole, on pouvait voir toute la partie de Rome comprise dans la boucle du fleuve, qui grouillait de vie. Mais en tournant le regard de l’autre côté, vers le rione Monti et ce qui restait des forums, le scénario changeait brutalement et les ruines prenaient le dessus sur l’habitat. Le Capitole, érigé à la frontière de la ville nouvelle et de la cité antique, les dominait toutes deux.
42L’expansion de l’activité de construction due à l’augmentation de la population qui, au xiiie siècle, avait conduit Rome au seuil des quarante mille habitants, touchait maintenant des zones urbaines inhabitées depuis des siècles : les rioni Campo Marzio, Colonna et Trevi. Un peu plus loin on pouvait gravir les collines du rione Monti, ou bien, une fois passé le Campo Vaccino – ainsi nommait-on l’espace des forums – on rejoignait le Caelius, le Palatin, l’Aventin, l’Oppius et enfin, très loin, le Latran, entouré de son petit village. Ces contrade, bien que comprises dans l’immense enceinte de la muraille d’Aurélien (215-275), étaient peu habitées et se trouvaient dans un état d’abandon partiel. Dans ces zones de périphérie intra muros, les parties bâties s’étendaient « en taches de léopard » autour de quelques grandes églises (Santa Maria Nova et Sainte-Marie-Majeure), de quelques monastères ou d’une ruine réaménagée en structure défensive. C’était sur ces zones que se découpaient les silhouettes des monuments antiques avec toute leur puissance désormais passée, à moitié ensevelis sous la terre et la végétation.
43C’est en se tenant près du lac qui s’était formé sur les antiques forums impériaux, loin du fourmillement des marchands, des pèlerins et des pêcheurs, en respirant cet air qui, surtout l’été, était chargé d’odeurs malsaines, que l’on ressentait le poids du temps qui passe et de la gloire de Rome réduite en lambeaux. Et c’est avec encore plus d’intensité que l’on pouvait éprouver ce sentiment, pendant la première moitié du xive siècle, quand la récession économique arrêta totalement les activités de construction. Après la peste de 1348, le tremblement de terre de l’année suivante et la seconde épidémie de 1363, la cité ne comptait sans doute plus que la moitié des habitants qu’elle avait un siècle auparavant.
44Mais malgré tout, la vie le long du Tibre bat son plein. Il y a peu de ponts, c’est vrai, parce que désormais trois seulement sont en état d’être utilisés ; mais les bacs qui relient les rives sont nombreux, et puis il y a les ports, les barques, et des files et des files de moulins qui broient le grain jour et nuit. Le fleuve, poissonneux, est nourricier et permet l’échange des marchandises. Il fournit aussi la boisson, car son eau est potable ; il donne la vie, car il fournit du travail à un grand nombre de personnes, mais il donne aussi la mort, car ses inondations sont fréquentes. Le Tibre est une formidable barrière qui sépare la Rome des douze rioni, situés sur la rive gauche, du Trastevere et de la zone bâtie autour de la basilique Saint-Pierre, la Cité léonine. Il joue par conséquent un rôle stratégique fondamental. Mais le fleuve est aussi, et surtout, une grande voie d’eau, relativement sûre, où la circulation est plus fluide et beaucoup plus rapide que sur les routes et qui permet le transport de marchandises lourdes et encombrantes. Le port de Ripa Grande, situé en dehors de la ville en direction de l’embouchure, permet la liaison avec la mer, alors que les petits débarcadères situés au nord, parmi lesquels se détache l’escale de Ripetta, mettent l’Urbs en contact avec l’arrière-pays, surtout avec la Sabine33.
45C’est là que commence la vie de Cola di Rienzo. Entre les moulins et les bas-fonds argileux d’Arenula, au milieu des patrons de bistrots, des passeurs, des acquarenari34 [porteurs d’eau], des marchands de poisson, des tanneurs, il naît dans les environs de l’église S. Tommaso in capo alle mole [Saint-Thomas devant les meules], d’une femme qui, pour subsister, lave le linge et porte sur la tête des jarres pleine de l’eau du fleuve. La nuit précédant sa prise de pouvoir, Cola aurait veillé en écoutant trente messes dans l’église Sant’Angelo, située sur le marché aux poissons, pour ensuite se rendre sur la colline du Capitole, où il avait travaillé pendant trois ans en qualité de notaire.
4. Clercs, barons, nobles, gens du peuple
46Nous avons vu les idées et les lieux qui servirent de cadre à l’histoire de Cola di Rienzo. Il nous faut maintenant entrer dans le cœur du sujet et définir quels furent les groupes sociaux qui habitaient et faisaient vivre la cité de Rome au xive siècle. L’Urbs, qui avait pourtant tant de traits en commun avec le reste de l’Italie, s’en distinguait par certaines spécificités. En effet, elle possédait, depuis des siècles, deux groupes d’ecclésiastiques au lieu d’un seul, et ses habitants se divisaient en trois classes sociales au lieu de deux.
47Traditionnellement, le clergé romain, unique en cela, regroupait aussi bien les ecclésiastiques de la cité (curés, chanoines, moines, chapelains et, depuis le xiiie siècle, les frères des ordres mendiants) que les clercs appartenant à la sphère papale, c'est-à-dire les cardinaux et le nombreux personnel administratif de la curie. En effet, si le pape était le chef de l’Église, il était en même temps l’évêque de Rome : son clergé était donc soit diocésain, soit universel35.
48Ainsi composé, le clergé de Rome comptait, au xiiie siècle, au moins trois mille individus et représentait donc un pourcentage très élevé de la population masculine résidant dans la cité. C’était un clergé riche, formé de prêtres diocésains, de frères, de moines et de chanoines appartenant aux familles nobles de la ville et de membres de la curie choisis principalement dans les cités du Latium. Le départ de la curie pour Avignon provoqua une forte régression. Le clergé resté dans la ville, toujours plus éloigné du pape, entra dans un état de crise tel que ses représentants ne semblent pas avoir joué, pendant tout le xive siècle, de rôle politique autonome ou de premier plan. De la même façon, le niveau culturel connut une baisse36, et même les édifices sacrés et certains patrimoines déclinèrent rapidement. Si quelques grandes familles romaines surent maintenir leurs accointances avec la curie, le rôle des clercs romains devint généralement provincial. C’est seulement pendant le passage de Louis de Bavière (1328) qu’une flamme allumée par Marsile de Padoue (vers 1275-1343) avait, pendant quelques jours, exalté les clercs de Rome appelés à élire leur pasteur comme dans les temps très anciens. Mais la réaction pontificale fut sévère, et d’Avignon on fit le nécessaire pour que le peu de traces d’autonomie que le clergé de Rome conservait, grâce à l’institution qui le caractérisait dite Romana fraternitas, soit réduit à néant. Le clergé « resté à Rome », c’est-à-dire le Clerus Urbis, joua toutefois un rôle important dans l’aventure politique de Cola, dans laquelle il fut fortement impliqué37.
49En dehors du groupe du clergé, dans lequel on comptait des personnes d’extractions diverses, la société romaine se divisait en trois classes, assez strictement définies. Il s’agissait des grands seigneurs, appelés barones ou magnates ; du groupe intermédiaire des entrepreneurs et de la noblesse municipale, c'est-à-dire les cavallarocti ou milites et du popolo, les pedites ou populares38. Selon les statuts de 1360, les membres de la première classe, celle des barons romains, étaient ceux qui possédaient des biens d’une valeur supérieure à 30 000 livres provinoises39. Il s’agissait d’un nombre restreint de grandes familles, qui formaient un groupe fermé et soudé ; on y trouvait au xive siècle les Orsini, Colonna, Annibaldi, Boccamazza, Normanni ou Alberteschi, Stefaneschi, Malabranca, Capocci, Caetani, Savelli, Romani-Bonaventura, Sant’Eustachio, Anguillara, Conti, Prefetti di Vico. Les Frangipane aussi, bien qu’en plein déclin, pouvaient être considérés comme partie intégrante de ce groupe tandis que les Orsini, Annibaldi, Colonna, Conti et Savelli étaient si éminents qu’ils formaient une élite à l’intérieur de l’élite.
50Les barons s’étaient imposés en tant que groupe pendant les trente premières années du xiiie siècle et avaient supplanté rapidement l’aristocratie plus ancienne. Leur fortune reposait sur quatre piliers bien identifiés d’où dérivait une puissance inébranlable. Il s’agissait en effet de seigneurs possédant de vastes propriétés urbaines et à la tête de grandes juridictions castrales, qui entretenaient des rapports étroits avec le royaume de Naples et avec la curie. Ils possédaient dans l’Urbs, en leur qualité de seigneurs, des tours et des forteresses, chargées d’une valeur stratégique et symbolique : ils étaient en outre propriétaires de biens immobiliers importants et contrôlaient des zones entières de la cité. À l’exception des périodes de gouvernement plus franchement marquées d’une empreinte populaire, les barons détenaient de façon habituelle la plus haute charge publique, celle de sénateur. La chose paraissait si normale que l’anonyme chroniqueur romain du xive siècle emploie à deux occasions le terme de « baron » comme équivalent de « sénateur »40. Il en découlait, par ailleurs, une forte conscience civique, si bien que, sur les plaques tombales, les membres de ces lignages étaient souvent représentés vêtus du manteau de sénateur au lieu de l’habit de chevalier. S’ajoutait à cela que les barons étaient des membres influents des chapitres des basiliques romaines majeures et commandants des milices communales.
51Le fait de posséder une juridiction castrale était le second élément qui caractérisait la classe baronniale, tant et si bien que l’Anonyme en parle comme de baroni de castella 41 [seigneurs de villages fortifiés]. À la fin du xiiie siècle, les familles appartenant à ce milieu social possédaient environ deux cents agglomérations, dont une quarantaine se trouvait dans le royaume de Naples et les autres dans le Latium pontifical. Les cinq lignages les plus importants possédaient à eux seuls les deux tiers de tous les castelli. La seigneurie qu’ils y exerçaient était dure ; de plus, la propriété privée du seigneur et les limites de sa juridiction avaient tendance à se superposer presque totalement. Contrairement à ce qui se passait dans le reste de l’Italie, au xiiie siècle, ces seigneuries étaient florissantes et se portaient encore bien au xive siècle. Dominer le territoire signifiait, pour les barons, avoir la possibilité de surveiller toutes les voies d’accès à Rome, de produire les denrées et d’en fixer le prix, et enfin de garder le contrôle des hommes et des chevaux, c'est-à-dire des instruments pour conduire une guerre.
52Mais cela ne suffisait pas. Se trouvant en possession de vastes territoires et partageant avec les souverains angevins la sensibilité guelfe qui en faisait de fidèles alliés du pape, et habituellement des ennemis de l’empereur, de nombreux barons romains avaient réussi à créer un lien personnel et familial avec les rois de Naples, dont ils étaient vassaux pour certains castelli. Ils pouvaient de cette façon compter sur l’appui d’un des souverains les plus importants de l’époque et partager avec lui et ses fonctionnaires aussi bien l’hégémonie du parti guelfe que la conception aristocratique du pouvoir. Non seulement les barons romains étaient maîtres de la cité et de considérables entités territoriales, mais ils faisaient partie, par leur classe sociale, leur patrimoine, leurs convictions idéologiques et leurs initiatives politiques, de la haute noblesse d’un royaume de première importance.
53Le dernier élément de la puissance des barons était leur rapport avec les sphères dirigeantes de la curie et avec le pape42. Grâce à une politique adroitement conduite, les membres des grandes familles baronniales tissèrent des liens solides et profonds avec le milieu pontifical. Les plus habiles furent capables de faire entrer à la curie, de façon presque continue, un cardinal ou un prélat de leur propre famille ; certains lignages, comme les Conti, les Orsini et les Caetani, eurent la chance de voir un proche parent élu pape ; deux cardinaux puissants suffirent à d’autres, comme les Capocci, pour rejoindre les cimes du pouvoir. On peut dire que, pendant tout le xiiie siècle, le pape fut romain et favorable aux barons. Le lien avec la curie signifiait une autorité étendue à l’échelle européenne. La pénurie d’argent liquide, un problème presque insurmontable pour les autres seigneurs féodaux riches d’hommes et de terres, mais pauvres en or, se métamorphosait pour eux en une florissante disponibilité ; l’autorité d’un cardinal et ses possibilités d’action étaient quasiment sans limites dans la chrétienté.
54Cette dernière composante du pouvoir baronnial était la plus significative, et de fait, pendant la période où le pape résida en Avignon, certaines des familles les moins en vue déclinèrent, et seules celles qui avaient réussi à maintenir le contact conservèrent leur puissance intacte43. Ce sont surtout les Orsini, les Savelli et les Colonna qui restèrent puissants : ils possédaient encore, à la fin du xive siècle, de nombreux castelli [villages] dans la campagne dépeuplée et prendront le commandement de l’armée pontificale pendant le Grand Schisme. Cette conscience de la suprématie de la noblesse baronniale et de sa distance d’avec la noblesse municipale allait se maintenir longtemps, si bien que, encore au temps du royaume d’Italie (1861-1946), les grands de l’aristocratie italienne se trouvaient dans la classe des « familles princières romaines » qui tirait précisément son origine des lignages baronniaux et des grandes familles qui, à l’époque moderne, avaient fait fortune dans la curie.
55En définitive, les barons romains du xiiie siècle constituaient une classe sociale dans laquelle se fondaient et se superposaient les caractéristiques de la grande noblesse féodale et celles de la curie romaine. À l’effectivité de leur puissance s’ajoutait un formidable sentiment d’appartenance qui magnifiait encore leur prestige. Les barons, qui se prétendaient de lignées romaines antiques, étaient demandés comme magistrats dans les villes autour de l’Urbs. Ils acceptaient ces charges pour la gloire et la renommée et les communes recherchaient les faveurs de ces puissants seigneurs et représentants de l’aristocratie du gouvernement angevin et papal qui, par leur influence, se révélaient très utiles aux entreprises politiques.
56La puissance de ce groupe social de premier plan relégua dans des espaces plus restreints les membres des classes sociales qui, au xiie siècle et encore au début du siècle suivant, avaient dominé l’Urbs et sa commune. Il s’agissait d’une aristocratie urbaine de culture différente, aux intérêts financiers et mercantiles : la bourgeoisie ou le patriciat, comme l’appelleraient les historiens du xixe siècle44. Au xive siècle encore, les membres de cette seconde classe sociale – souvent floue et se distinguant mal de la troisième classe, celle du popolo – constituaient le nerf de l’administration en leur qualité de juges, notaires et magistrats de la commune, et étaient souvent détenteurs de la dignité canoniale dans les plus grandes églises romaines. Les hommes nobles de familles comme les Cerroni, les Porcari, les Curtabraca, les Papazzurri ou les Foschi de Berta se différenciaient de la haute aristocratie aussi bien par leur moindre puissance économique, qui ne soutenait pas la comparaison (en 1360, appartenaient à ce groupe ceux dont les biens pouvaient être évalués à plus de 2 000 livres), que par l’absence ou la très petite dimension de seigneuries banales. Ils partageaient cependant certaines valeurs culturelles de l’aristocratie, comme l’importance de la cavalerie, si bien que les cavallerotti (c’est comme cela que les contemporains les appelaient) étaient, par définition, ceux qui avaient fait partie de l’armée communale en qualité de cavalier pendant les jeux du Testaccio. Ils possédaient en outre des complexes bâtis et des tours dans la cité. Les membres de la noblesse municipale étaient souvent de fidèles alliés des barons, avec lesquels ils entretenaient un lien de type clientéliste (les mariages entre les deux groupes, en fait, étaient relativement rares). En assurant leur fidélité au lignage hégémonique, ils recevaient principalement en échange la sécurité et l’accès à la curie. La famille Colonna avait autour d’elle un réseau d’au moins quatre-vingts familles, qui résidaient pratiquement toutes dans les rioni Monti, Trevi et Colonna, ceux où se concentraient également les résidences de la lignée baronniale45.
57La classe de la « petite noblesse », dotée d’un fort sens civique, était caractérisée par un consistant et continuel renouvellement social qui voyait de nouvelles familles émerger sans cesse du popolo pour se fondre avec elle. Bien que les cavallerotti soient souvent liés à une des deux factions romaines, leurs intérêts économiques pouvaient, en diverses occasions, être diamétralement opposés à ceux des barons. Au milieu du xive siècle, ces nobles, qui avaient conscience d’incarner profondément l’esprit de la commune, se mêlèrent aux franges les plus élevées et les plus entreprenantes du popolo, et donnèrent naissance, dans la seconde moitié du siècle, à une nouvelle aristocratie caractérisée par son efficacité dans la production des céréales et l’élevage des bêtes et regroupée dans l’Art prestigieux des bovattieri [éleveurs de bœufs et par extension entrepreneurs agricoles], comme le seront par exemple les Massimo et les Cenci46.
58La troisième classe sociale de Rome, le popolo, a été relativement moins étudiée et ses contours sont moins faciles à saisir47. L’histoire des populares, en effet, se confond, par la force des choses, avec celle des riches marchands que l’on vient d’évoquer – car ils forment très souvent un tout avec eux – et leur physionomie n’émerge avec clarté qu’en de rares occasions, principalement pendant les régimes ouvertement démocratiques. Les popolari étaient, essentiellement, les couches sociales qui participaient à la vie publique et à l’armée en qualité de propriétaires. Certains groupes professionnels ont fait l’objet de recherches poussées ; pour d’autres, cependant, on ne connaît rien ou peu. Le peuple romain se distingue des classes analogues des autres cités du Centre-nord de l’Italie par deux caractéristiques. La première de ses particularités est un fort sentiment d’appartenance à une zone de la cité. Depuis le début du xive siècle au moins, les rioni étaient déjà au nombre de treize (Borgo n’allait devenir un rione qu’en 1586) : il s’agissait des circonscriptions de base du système administratif, politique et militaire. Chaque rione avait son chef (un bonus vir ou caporione), un conseil et son propre personnel. Il jouissait en outre de prérogatives particulières : par exemple, Regola détenait certains droits de pêche sur le littoral. Le fait que la population soit répartie dans ces circonscriptions et qu’elle se sente citoyenne de son rione avant même d’être romaine allait perdurer, tant et si bien qu’encore au xixe siècle on enregistrait des luttes sanglantes entre Trasteverini et Monticiani. Au xive siècle, cette division provoquait essentiellement deux effets politiques. En premier lieu, elle favorisait le contrôle du territoire par les barons. Les deux systèmes, en effet, s’interpénétraient et se soutenaient réciproquement, parce qu’ils étaient tous les deux fondés sur le territoire. C’est pour cette raison que l’on peut dire, par exemple, que les Colonna étaient maître du rione Colonna, ou que le rione Campitelli était soumis à l’hégémonie des Savelli. Étant donné que l’armée même de la commune romaine était recrutée selon des critères territoriaux, il arrivait souvent que le commandant militaire du contingent fourni par le rione soit un membre de la famille baronniale la plus importante de ce quartier. Cet ordre institutionnel avait pour conséquence, et c’est son second effet politique, que la division en rioni et leur représentation au sein des organes de la commune empêchaient toute autre forme d’organisation populaire. Les Arts, c'est-à-dire les corporations de métiers, qui dans toutes les autres cités du centre de l’Italie septentrionale s’étaient imposés à la tête des régimes populaires, n’eurent donc pas à Rome une puissance politique effective. Alors que dans n’importe quelle autre ville le gouvernement populaire des Arts empêchait en fait et en droit la participation des nobles (ils ne pouvaient pas s’inscrire à un Art), à Rome les gouvernements populaires étaient fondés sur la cession du pouvoir aux treize représentants des rioni. Mais, puisqu’à l’intérieur de ces mêmes rioni les barons continuaient à affirmer leur puissance, il arrivait que les représentants de la très haute noblesse participent activement à des gouvernements populaires.
59Nous en arrivons à l’examen d’un dernier point important, nécessaire à la compréhension de l’action de Cola di Rienzo. Après une présentation assez statique de ces groupes sociaux, essayons maintenant de les mettre en mouvement pour examiner les raisons de leurs alliances et de leurs antagonismes. C’est précisément dans ce champ que l’historiographie la plus récente a progressé à grands pas et nous permet de mieux comprendre ce que fut la dynamique des rapports sociaux. Nous devons pour cela revenir à la classe sociale qui distingue Rome des autres villes italiennes, celle des barons. Le pouvoir dont ils jouissaient et l’idéologie militaire qui était la leur en faisaient par-dessus tout des combattants imbus d’eux-mêmes, éloignés du monde du commerce et des affaires. Cette distance idéologique avait pour résultat de freiner l’économie urbaine, les énormes capitaux dont ils disposaient n’étant pas investis dans des opérations commerciales ou financières. Mais la véritable raison du conflit avec les autres groupes résidait dans le fait qu’ils étaient les seigneurs incontestés du territoire situé autour de la cité. Comme tels, les barons contrôlaient sans difficultés les accès à Rome et le marché du blé, c'est-à-dire l’approvisionnement de la ville. Dans les périodes de disette, qui furent nombreuses au xive siècle, les barons stockaient les céréales et fixaient ensuite le prix de vente, en mettant sur le marché les quantités qu’ils jugeaient opportunes. D’autre part, la commune romaine ne disposait pas dans le district de possessions suffisantes pour garantir une politique efficace de ravitaillement. Accusés d’être des affameurs et des spéculateurs, les seigneurs des castelli tenaient entre leurs mains le sort de la cité48.
60Tous les régimes populaires jusqu’à celui de Cola (pendant la première moitié du xive siècle, on en compte au moins cinq à Rome) avaient eu les mêmes intentions : élargir la base sociale du gouvernement et mettre en œuvre une politique correspondant aux intérêts des marchands et des popolari. Pour ce faire, leurs actions avaient principalement été tournées vers l’expansion du district et le contrôle des routes, des approvisionnements et de la sécurité. Mais la noblesse baronniale qui, de fait, leur était contraire et rebelle, n’était cependant pas exclue de ces gouvernements qui, pour cela même, étaient très fragiles.
61Quelques épisodes saillants de l’action politique de Cola correspondent, et ce n’est pas un hasard, à des moments de disette : en 1347, il réussit à s’installer au gouvernement juste avant la récolte, alors que le prix du blé était au plus haut et que le peuple grondait. Son action fut profondément tournée contre les barons et orientée en faveur des autres classes urbaines, qu’il tenta de coaliser en cherchant principalement l’appui des groupes émergents comme les marchands et les bovattieri. Selon le tribun, le gouvernement des barons et leur présence même dans la cité et le district étaient porteurs de désastres.
62Nonobstant tout cela, les schémas sociaux du xive siècle n’étaient pas ceux du xixe siècle et il serait anachronique de voir en Cola un révolutionnaire capable d’opposer une classe sociale à une autre. La lutte entre groupes antagonistes avait pour caractéristique fondamentale d’être transversale aux classes sociales. C’était particulièrement évident à Rome, où les conflits étaient provoqués par des heurts entre factions qui, au niveau idéologique et par la composition sociale, pouvaient se ressembler beaucoup, et qui malgré tout divergeaient pour d’autres raisons pratiques49. À partir de la fin du xiiie siècle, les deux familles les plus puissantes, les Orsini et les Colonna, sont l’incarnation de ces factions50. Contrairement à ce qui se produit dans les autres cités, à Rome, les parties en cause ne se structurèrent jamais et n’eurent pas d’organes fixes ; elles restèrent plutôt à l’état d’alliances personnelles et de familles, et ne donnèrent pas non plus naissance à des phénomènes d’exclusion politique. Cependant, les gouvernements populaires ne réussirent jamais à agréger la totalité du popolo. Au contraire, les deux sénateurs, bien qu’aristocrates, continuaient à être considérés comme des éléments d’équilibre, et le régime bicéphale assurait un sénateur à chacune des deux factions. Le pape, enfin, restait pour tous le seigneur au-dessus des parties. Cola tenta de combattre les barons, mais celui qui le suivait dans sa politique entrait facilement en conflit avec la faction baronniale à laquelle il appartenait pour des raisons immédiates et concrètes, comme la simple localisation de sa maison. De plus, le riche marchand n’avait pas nécessairement conscience du fait que ses intérêts personnels étaient opposés à ceux des barons, parce qu’il admirait ces derniers, de beaux chevaliers qui menaient un style de vie que, si ses deniers le lui avaient permis, il aurait voulu garantir à sa propre descendance. Ultime paradoxe, les commandants de l’armée étaient tous des barons, parce que les autres groupes sociaux n’étaient pas habitués à porter les armes, alors qu’on leur reconnaissait une indiscutable maestria et une suprématie très nette dans le rione, circonscription de recrutement militaire. C’est parmi les seigneurs dont il voulait détruire la puissance que Cola dut choisir les chefs de son armée. Lui aussi, en agissant de cette manière, se trouva pris dans le jeu des factions, ce qui allait le conduire à l’échec.
63Cola, fier de ses origines populaires, avait pris le titre de tribun, qui avait été, dans la Rome antique, celui des magistrats de la plèbe. Mais deux mois étaient à peine passés que déjà l’homme du peuple s’était fait adouber chevalier, comme les notables romains. Le très noble seigneur Nicola di Rienzo rêvait, en ces jours, de devenir prince et empereur.
Notes de bas de page
1 N.D.T. : province ecclésiastique médiévale située dans les Apennins centraux.
2 Pour une vue d’ensemble de l’histoire romaine à cette période, il est indispensable de se référer à E. Dupré Theseider, Roma dal comune di popolo alla signoria pontificia (1252-1377), Bologne, Cappelli, 1952 ; voir aussi la Storia di Roma dall’antichità a oggi. Roma medievale, A. Vauchez (éd.), Rome-Bari, Laterza, 2001.
3 Voir à ce sujet Itineranza pontificia. La mobilità della Curia pontificia nel Lazio (secoli XII-XIII) , S. Carocci (éd.), Rome, Ist. storico italiano per il Medio Evo, 2003.
4 J. Gaudemet et alii, « Ubi papa, ibi Roma? », dans Roma fuori di Roma: istituzioni e immagini, Atti del V seminario internazionale di studi storici Da Roma alla terza Roma, 21-22 aprile 1985, P. Catalano, P. Siniscalco (éd.), Rome, ESI, 1985, p. 69-80 ; M. Maccarrone, « Ubi est papa ibi est Roma », dans Aus Kirche und Reich. Studien zu Theologie, Politik und Recht im Mittelalter. Festschrift für Friedrich Kempf, H. Mordek (éd.), Sigmaringen, Thorbecke, 1983, p. 371-382, à l’heure actuelle dans Id., Romana Ecclesia, Cathedra Petri, R. Volpini, A. Galuzzi, P. Zerbi (éd.), Rome, Herder, 1991, 2 vol., II, p. 1137-1156.
5 N.D.T. : en référence à Jean xxii, originaire de Cahors, élu pape en 1316. Voir Dante, La Divine Comédie, Paradis, trad. J. Risset, Paris, Flammarion, 1990, xxvii, 59 : « À boire notre sang, Cahorsins et Gascons se préparent... »
6 F. Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, Stuttgart, Cotta, 1859- 1872, 8 vol. [éd. it. : Storia della città di Roma nel Medioevo, nouv. éd. intégrale, L. Trompeo (éd.), Città di Castello, Unione arti grafiche, 1938-1943 ; éd. anastatique Rome, Casini, 1988, 8 vol., l. xi p. 181 et suiv.] ; E. Dupré Theseider, Roma dal comune…, ouvr. cité, p. 464 et suiv.
7 Sur l’histoire économique de Rome au bas Moyen Âge voir principalement L. Palermo, Sviluppo economico e società preindustriali. Cicli, strutture e congiunture in Europa dal Medioevo alla prima Età Moderna, Rome, Viella, 1997, p. 283-416 ; Economia e società a Roma tra Medioevo e Rinascimento. Studi dedicati ad Arnold Esch, A. Esposito et L. Palermo (éd.), Rome, Viella, 2005.
8 Voir surtout M. Vendittelli, « Mercanti romani “in Urbe potentes” », dans Roma nei secoli XIII e XIV. Cinque saggi, É. Hubert (éd.), Rome, Viella, 1993, p. 85-135 ; Id., Mercanti-banchieri romani tra XII e XIII secolo. Una storia negata, Rome, Viella, 2018.
9 M. Miglio, « Memoria e storia di taverne e locande », dans Taverne, locande e stufe a Roma nel Rinascimento (Atti del Seminario di Orte, 12-13 dicembre 1998), Rome, Roma nel Rinascimento, 1999, p. 7-17, ici p. 14.
10 Briefwechsel des Cola di Rienzo, K. Burdach, P. Piur (éd.), Berlin, Weidmann, 1912-1929, 5 vol., iv 40, p. 112.
11 « Roma non è una città : Roma è un’idea » : G. Mazzini, Scritti politici editi ed inediti, vol. lxxxvi, Imola, Cooperativa tipografico-editrice Paolo Galeati, 1940, p. 40. Sur ce sujet en général voir A. Giardina, A. Vauchez, Rome, l'idée et le mythe : du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Fayard, 2000.
12 N.D.T. : les sept collines de Rome : Aventin, Caelius, Capitole, Esquilin, Palatin, Quirinal, Viminal ; les rois de Rome de 753 av. J.-C. à 509 av. J.-C. : Romulus, Numa Pompilius, Tullus Hostilius, Ancus Marcius, Tarquin l’Ancien, Servius Tullius, Tarquin le Superbe ; les sept basiliques : Saint-Jean-de-Latran, Saint-Pierre, Saint-Paul-hors-les-murs, Sainte-Marie-Majeure, Saint-Laurent-hors-les-murs, Sainte-Croix-de-Jérusalem et Saint-Sébastien-hors-les-murs. Les sept voies consulaires sont traditionnellement l’Appia, la Flaminia, la Cassia, l’Aurelia, la Salaria, la Tiburtina et la Casilina.
13 Voir le recueil de descriptions de la cité aussi bien réelles que fantastiques Codice topografico della città di Roma, R. Valentini, G. Zucchetti (éd.), Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 1940-1953 ; voir aussi C. Nardella, Il fascino di Roma nel Medioevo. Le ‘Meraviglie di Roma’ di Maestro Gregorio, Rome, Viella, 1997, 2007 (2e éd) ; I. Bonincontro, Le descrizioni di Roma dal XIII all’inizio del XV secolo. Un archivio testuale on-line, Rome, Bulzoni, 2012.
14 Pour une vue d’ensemble, S. de Blaauw, Cultus et decor. Liturgia e architettura nella Roma tardoantica e medievale. Basilica Salvatoris, Sanctae Mariae, Sancti Petri, Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, 1994, 2 vol.
15 Briefwechsel…, ouvr. cité, III 57, p. 275. Sur le symbole du lion romain, M. Miglio, « “Et rerum facta est pulcherrima Roma”. Attualità della tradizione e proposte di innovazione », dans Aspetti culturali della società italiana nel periodo del papato avignonese (Atti del XIX Convegno del Centro di studi sulla spiritualità medievale de Todi, 15-18 ottobre 1978), Todi, Accademia Tudertina, 1981, p. 313-369 ; à l’heure actuelle dans Id., Scritture, scrittori e storia, I. Per la storia del Trecento a Roma, Manziana, Vecchiarelli, 1991, p. 11-53, aux p. 20 et suiv.
16 Voir principalement S. Maddalo, In figura Romae. Immagini di Roma nel libro medievale, Rome, Viella, 1990.
17 Voir à ce propos La festa a Roma : dal Rinascimento al 1870, M. Fagiolo (éd.), Turin, U. Allemandi pour J. Sands, 1997 ; pour le Moyen Âge, voir M. Boiteux, « Le feste : cultura del riso e della derisione », dans Storia di Roma dall’antichità ad oggi. Roma medievale, ouvr. cité, p. 291-315.
18 N.D.T. : le terme rione (rioni au pluriel) désigne les circonscriptions entre les murs de la Rome médiévale, les circonscriptions hors les murs s’appelant quartieri [quartiers].
19 Voir en particulier E. Dupré Theseider, L’idea imperiale di Roma nella tradizione del Medioevo, Milan, Istituto di studi per la politica internazionale, 1942 ; et aussi Roma antica nel Medioevo. Mito, rappresentazioni, sopravvivenze nella “Respublica Christiana” dei secoli IX-XIII (Atti della XIV Settimana internazionale di studio di Mendola, 24-28 agosto 1998), Milan, Vita e Pensiero, 2001.
20 Pour une vue d’ensemble, Il Senato nella storia. Il Senato nel Medioevo e nella prima Età Moderna, Rome, Istituto Poligrafico e Zecca dello Stato, 1997 ; J.-Cl. Maire Vigueur, « Il comune romano », dans Storia di Roma dall’antichità a oggi. Roma medievale, ouvr. cité, p. 117-157 ; Id., L’autre Rome. Une histoire des Romains à l’époque communale (xiie-xive siècle), Paris, Tallandier, 2010 ; Ch. Wickham, Roma medievale. Crisi e stabilità di una città, 900-1150, Rome, Viella, 2013.
21 Actes des Apôtres, 22 23-29.
22 Briefwechsel…, ouvr. cité, IV 4, p. 11 ; voir aussi III, p. 20. Pour un excursus sur ce thème et une référence bibliographique plus récente, voir T. di Carpegna Falconieri, « Reliquie nascoste, perdute e ritrovate a Roma nell'alto medioevo secondo il Liber pontificalis », dans Lost and Found. Storie di « ritrovamenti », G.M. Fachechi (éd.), Rome, Gangemi, 2018, p. 115-133.
23 N.D.T. : petit marchand de poisson en dialecte romanesco.
24 Pour certains textes fondamentaux, voir Codice topografico, ouvr. cité ; R. Krautheimer, Rome, portrait d’une ville, 312-1308, trad. par F. Morin, Paris, Le livre de Poche, 1999 [éd. orig. Rome, Profile of a City, 312-1308, Princeton, Princeton Univ. Press, 1980] ; É. Hubert, « L’organizzazione territoriale e l’urbanizzazione », dans Storia di Roma dall’antichità ad oggi. Roma medievale, ouvr. cité, p. 159-186.
25 Voir à ce propos É. Hubert, « Économie de la propriété immobilière : les établissements religieux et leurs patrimoines au xive siècle », dans Roma nei secoli XIII e XIV, ouvr. cité, p. 175-230 ; Id., « Ceti dirigenti e urbanizzazione (secoli XII-XIV) », dans Roma medievale. Aggiornamenti, P. Delogu (éd.), Florence, All’Insegna del Giglio, 1998, p. 167-173.
26 C. Nardella, Il fascino di Roma, ouvr. cité, p. 150-151.
27 Voir par ex. L. Bianchi, Case e torri medioevali a Roma, Rome, L’Erma di Bretschneider, 1998 ; T. di Carpegna Falconieri, « Torri, complessi e consorterie. Alcune riflessioni sul sistema abitativo dell’aristocrazia romana nei secoli XI e XII », Rivista storica del Lazio, 2, 1994, p. 3-15 ; voir aujourd’hui A. Di Santo, Guerre di torri : violenza e conflitto a Roma tra 1200 e 1500, Rome, Viella, 2016.
28 Pour approfondir, voir S. Carocci, « Una nobiltà bipartita. Rappresentazioni sociali e lignaggi preminenti a Roma nel Duecento e nella prima metà del Trecento », Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, XCV 1989, p. 71-122 ; S. Carocci, « Baroni in città », dans Roma nei secoli XIII e XIV, ouvr. cité, p. 137-173 ; É. Hubert, « Noblesse romaine et espace urbain (xe- xve siècle) », dans La nobiltà romana nel medioevo, S. Carocci (éd.), Rome, École française de Rome, 2006, p. 171-186.
29 N.D.T. : la rue des Botteghe oscure existe toujours à Rome. Elle s’appelle ainsi parce que les boutiques, réutilisant les arcades semi-enterrées d’un théâtre antique, n’avaient que peu ou pas de fenêtres. Elle a donné son titre à un roman du prix Nobel français P. Modiano.
30 J.-Cl. Maire Vigueur dans L’autre Rome…, ouvr. cité, utilise le terme de tènement familial, p. 61-64. Sur cet aspect, voir H. Broise, J.-Cl. Maire Vigueur, « Strutture famigliari, spazio domestico e architettura civile a Roma alla fine del Medio Evo », dans Storia dell’arte italiana, vol. XII, Momenti di architettura, F. Zeri (éd.), Turin, Einaudi, 1983, p. 99-160 ; É. Hubert, « Noblesse romaine et espace urbain (xe-xve siècle) », art. cité. Pour un cas particulier étudié de manière approfondie, voir A. Modigliani, I Porcari. Storie di una famiglia romana tra Medioevo e Rinascimento, Rome, Roma nel Rinascimento, 1994.
31 Voir à ce propos Maire Vigueur, « Il comune… », art. cité.
32 Pour avoir aujourd’hui une idée de la structure de la documentation romaine, voir C. Carbonetti, S. Carocci, A. Molinari, Roma, Spolète, CISAM, 2017.
33 L. Palermo, Il porto di Roma nel XIV e XV secolo. Strutture socio-economiche e statuti, Rome, Istituto nazionale di studi romani, 1979.
34 N.D.T. : ils filtraient l’eau du Tibre et en assuraient la distribution.
35 Sur ce sujet, voir plus généralement G. Barone, « Chierici, monaci e frati », dans Storia di Roma dall’antichità a oggi. Roma medievale, ouvr. cité, p. 187-212 ; T. di Carpegna Falconieri, Il clero di Roma nel medioevo. Istituzioni e politica cittadina (secoli VIII-XIII), Rome, Viella, 2002 ; Id., « Strumenti di preminenza : benefici e carriere ecclesiastiche (secoli XII-XIV) », dans La nobiltà romana nel medioevo, ouvr. cité, p. 199-210. Sur le clergé de Rome au xive siècle, voir A. Rehberg, Die Kanoniker von S. Giovanni in Laterano und S. Maria Maggiore im 14. Jahrhundert : eine Prosopographie, Tübingen, Niemeyer, 1999.
36 Pour un autre point de vue sur cet aspect, voir D. Internullo, Ai margini dei giganti. La vita intellettuale dei romani nel Trecento, Rome, Viella, 2016. Nous l’évoquerons à nouveau au chap. VI.
37 M. Miglio, « Gruppi sociali e azione politica nella Roma di Cola di Rienzo », Studi romani, XXIII, 1975, p. 442-461, aujourd’hui dans Id., Scritture…, ouvr. cité, p. 55-87, à la p. 68.
38 Sur ce sujet, voir S. Carocci, « Una nobiltà bipartita… », art. cité ; A. Rehberg, « Nobiles, milites e cavallerocti nel tardo Duecento e nel Trecento », dans La nobiltà romana nel medioevo, ouvr. cité, p. 413-460 ; J.‑Cl. Maire Vigueur, L’autre Rome, ouvr. cité, p. 117-304.
39 Statuti della città di Roma, C. Re (éd.), Rome, Tipografia della Pace, 1880, p. 110.
40 L’Anonyme romain, Chronique : Rome, le temps, le monde et la révolte de Cola di Rienzo, trad. par J. Malherbe-Galy et J.-L. Nardone, Toulouse, Anacharsis, 2015, p. 183 et 201 [Anonimo romano, Cronica, G. Porta (éd.), Milan, Adelphi, 1979, p. 147 et 168 ] ; voir S. Carocci, « Una nobiltà bipartita… », art. cité, p. 87.
41 Les traducteurs de l’Anonyme romain ont privilégié le terme de baron possédant un château, Chronique… ouvr. cité, p. 209 [Anonimo romano, Cronica, ouvr. cité, p. 177]. Sur ce sujet, S. Carocci, Baroni di Roma. Dominazioni signorili e lignaggi aristocratici nel Duecento e nel primo Trecento, Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 1993, 2016 (2e éd) ; Id., « La signoria rurale nel Lazio (secoli XII e XIII) », dans La signoria rurale nel Medioevo italiano, A. Spicciani et C. Violante (éd.), Pise, Ets, 1997, vol. I, p. 167-198.
42 Voir à ce sujet, S. Carocci, Il nepotismo nel Medioevo. Papi, cardinali e famiglie nobili, Rome, Viella, 1999 ; M.T. Caciorgna, « I baroni romani e gli apparati amministrativi dello Stato della Chiesa », dans La nobiltà romana nel medioevo, ouvr. cité, p. 263-278 ; S. Carocci, Vassalli, del papa. Potere pontificio, aristocrazie e città nello Stato della Chiesa (XII-XV sec.), Rome, Viella, 2010 (spéc. le chap. II).
43 F. Allegrezza, Organizzazione del potere e dinamiche familiari. Gli Orsini dal Duecento agli inizi del Quattrocento, Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 1998 ; Ead., « Trasformazioni della nobiltà baronale nel Trecento », dans Roma medievale. Aggiornamenti, ouvr. cité, p. 211-220.
44 Voir à ce sujet M. Vendittelli, « Mercanti romani… », art. cité ; Id., Mercanti-banchieri romani..., ouvr. cité.
45 A. Rehberg, Kirche und Macht in römischen Trecento : die Colonna und ihre Klientel auf dem Kurialen Pfründenmarkt (1278-1378), Tübingen, Niemeyer, 1999.
46 Cl. Gennaro, « Mercanti e bovattieri nella Roma della seconda metà del Trecento », Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, LXXVIII, 1967, p. 155-203, aujourd’hui dans Ead., Mercanti e bovattieri nella Roma della seconda metà del Trecento, Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 2018 ; voir I. Lori Sanfilippo, La Roma dei romani. Arti, mestieri e professioni nella Roma del Trecento, Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 2001, p. 95 et suiv.
47 I. Lori Sanfilippo, La Roma dei romani..., ouvr. cité ; A. Modigliani, Mercati, botteghe e spazi di commercio a Roma fra Medioevo ed Età Moderna, Rome, Roma nel Rinascimento, 1998 ; J.-Cl. Maire Vigueur, L’autre Rome..., ouvr. cité, p. 117-184.
48 L. Palermo, Mercati del grano a Roma tra Medioevo e Rinascimento, I., Il mercato distrettuale in età comunale, Rome, Centro di ricerca, 1990.
49 Sur le sujet, voir M. Miglio, « Gruppi sociali… », art. cité ; A. Rehberg, A. Modigliani, Cola di Rienzo e il comune di Roma, vol. I : A. Rehberg, Clientele e fazioni nella Roma di Cola di Rienzo, Rome, Roma nel Rinascimento, 2004.
50 A. Rehberg, Kirche und Macht…, ouvr. cité ; F. Allegrezza, Organizzazione del potere…, ouvr. cité ; A. Rehberg, Clientele e fazioni, ouvr. cité.
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