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Ouverture

Philippe Roger

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Prélude

1Le colloque Jean Grémillon et les quatre Éléments a voulu, sinon réhabiliter, du moins rendre un hommage renouvelé à l’un des cinéastes majeurs de l’école française du XX^e siècle, un créateur qui occupe une place à part, paradoxale : même si elle n’est pas tout à fait oubliée, l’œuvre de cet homme nourri d’art musical demeure aujourd’hui étrangement en retrait, sans doute en raison de son originalité irréductible et, plus encore, de sa complexité déstabilisante1. Pas moins de quatre axes ont paru nécessaires pour approcher celui que l’on a trop souvent qualifié seulement de cinéaste maudit. Quatre chapitres, en résonance intime avec son dernier film, son testament poétique, André Masson et les quatre Éléments. En premier lieu – encore trop peu fréquenté et condensant pourtant l’essentiel d’une vision universelle, érudite et fraternelle –, l’axe méconnu de l’ésotérisme (« l’air »), car l’homme de culture Grémillon inscrit ses films dans une rêverie précise se rattachant

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1 Comme un Leo McCarey et, plus près de nous, un Paul Vecchiali, Jean Grémillon vise un ébranlement de l’être, un bouleversement décisif, affectant son public en profondeur : par la dynamique vivante d’une intelligence sensible, il s’agit d’accéder au monde dans sa pluralité déchirante, sa richesse insoupçonnée. Révélateur, le cinéma libéré devient une expérience ouvrant le sens, au lieu de le fermer.

2 La malédiction le rapproche de façon imprévue d’une autre figure maudite du cinéma français : Antonin Artaud. On peut voir un signe (et Grémillon aimait les signes) dans le fait que Grémillon fut le compagnon d’une comédienne de la troupe de Charles Dullin, la Roumaine Eugénie Tanase, dite Génica Athanasiou, qui fut auparavant la compagne d’Artaud.

3 Agel fut fidèle à Grémillon et son œuvre. Lorsqu’un colloque confidentiel se tint en 2001 au Moulin d’Andé, à l’occasion du centenaire du cinéaste, un Henri Agel nonagénaire (dix ans seulement le séparaient de Grémillon !) envoya à la poignée d’intervenants dont nous faisions partie un beau message vidéo, depuis sa retraite de Decazeville.

4 Grémillon peut être considéré, tel Pasolini, comme un subtil et profond antimoderne ; on rappellera son indignation face à l’assèchement du sensible dont il juge le rationalisme cartésien responsable ; le fonctionnement de l’entendement en aurait été faussé. Dans un grand entretien du début 1944 titré Grandeurs et servitudes du cinéma, le cinéaste règle son compte au philosophe : « Descartes a tellement influencé une partie de l’Occident que cela a modifié le comportement des gens en général […]. Quand on compare notre comportement à celui des gens qu’on appelle des sauvages, les Noirs d’Afrique ou les Chinois, on est terrifié de la pauvreté de ce rétrécissement de notre pensée. Les Noirs ou les Orientaux sont restés tellement près de l’origine des choses qu’on a l’impression qu’ils connaissent des secrets, qu’ils sont dans une tradition que nous avons, nous, perdue. Ils n’ont pourtant pas de secrets, mais ils n’ont jamais perdu contact avec ce qui est l’essentiel, le réel, mais un réel qui comporte tout. Nous avons une déformation causée par cette espèce de notion que nous avons de l’intelligence, de la raison. Et nous laissons se perde l’essentiel, tout ce qui est à côté » (entretien publié in Jean Grémillon, Le cinéma ? Plus qu’un art !, L’Harmattan, 2010, p. 34-35). En accord avec une tradition ininterrompue, le réel selon Grémillon comporte tout.

5 D’où peut venir cette création esthétique d’une telle cohérence, qu’elle emprunte, pour penser le cinéma, les voies de la peinture, de la gravure, de la miniature, du vitrail ou de la tapisserie ? Si Jean Grémillon consacre ses dernières forces à des courts métrages dédiés à l’art, le plus souvent français, sans doute faut-il en chercher l’origine et la raison dans son œuvre la plus secrètement personnelle, le Six juin à l’aube avec ses églises romanes éventrées, ses statues défigurées. Ne serait-ce pas la sidération devant sa Normandie dévastée par le Débarquement qui aurait orienté le cinéaste vers la patiente et réfléchie défense et illustration d’une civilisation qu’il savait désormais mortelle ?

6 Par souci de clarté, nous désignons les quatre premiers plans du film par des chiffres (1, 2, 3, 4) et les cinq derniers par des lettres (A, B, C, D, E).

7 Il serait tentant, à ce titre, de rapprocher Jean Grémillon d’un autre documentariste majeur, Artavazd (Arthur) Péléchian, les idées du cinéaste arménien (du montage à distance et de l’image absente) permettant d’entrevoir une belle coïncidence d’esprits.

Jean Grémillon et les quatre Éléments

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Jean Grémillon et les quatre Éléments

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Référence numérique du chapitre

Roger, P. (2019). Ouverture. In Y. Calvet & P. Roger (éds.), Jean Grémillon et les quatre Éléments (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.93568

Roger, Philippe. « Ouverture ». In Jean Grémillon et les quatre Éléments, édité par Yann Calvet et Philippe Roger. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2019. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.93568.

Roger, Philippe. « Ouverture ». Jean Grémillon et les quatre Éléments, édité par Yann Calvet et Philippe Roger, Presses universitaires du Septentrion, 2019, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.93568.

Référence numérique du livre

Calvet, Y., & Roger, P. (éds.). (2019). Jean Grémillon et les quatre Éléments (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.93548

Calvet, Yann, et Philippe Roger, éd. Jean Grémillon et les quatre Éléments. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2019. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.93548.

Calvet, Yann, et Philippe Roger, éditeurs. Jean Grémillon et les quatre Éléments. Presses universitaires du Septentrion, 2019, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.93548.

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