Depuis la charrette des condamnés qui mène à l’échafaud, l’œil grand ouvert sur la lunette, la foule admire l’appareil révolutionnaire de cette mise à mort. Des corps qu’on y traîne, attachés sur la bascule, la tête seule, soudainement, paraît, engagée dans la gangue, clouée au pilori, dans l’attente du couperet. On imagine alors un instant de silence. La pose est prise. Ne bougeons plus. Déclic de guillotine, – et la tête tranchée : « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine. » S’inscrivant à jamais sur la rétine du spectateur, le portrait est tiré, la technique d’exposition est menée à son terme1. Compensé par ce bref moment identitaire – mais le plus intense, le plus aigu qu’on puisse concevoir – du supplicié saisi par les cheveux, l’anonymat de l’appareil suscitera longtemps le pur phantasme du photographe, d’appuyer sur le déclic au moment même où tombe le couperet.

1« Flac ! Le rasoir au dos de plomb / Vient de crouler comme une masse ! » dans Le Rondeau du guillotiné de Maurice Rollinat, Les Névroses. Flac, clac, mais aussi bien clic-clac. Dans le panier comme le photographe dit : c’est dans la boîte.

En un clin d’œil, il fut bouclé sur la planche fatale.
Celle-ci bascula et d’un brusque mouvement fut poussée en avant.
Le cou du patient était engagé dans la lunette.
Un second aide placé en avant le saisit aux cheveux.
M. de Paris toucha un ressort.
Il y eut un éclair d’acier dans l’air.
Un coup sourd retentit.
Un jet de sang frappa l’aide en plein visage !
Les Erreurs de la guillotine

La tête alors est tombée, « grimaçante », dans le panier ; « le funèbre colis » est porté dans le fourgon qui attend ; « clic ! clac ! Le cocher fouette les chevaux. / En route pour Clamart ». Ressort, coup sourd, fouet, Clamart, on entend le cliquetis des mécaniques, avec en supplément – éclair d’acier dans l’air – la flamme éblouissante du magnésium. L’échafaud, gueule bée, mécanique sans faille, absorbe tout le feuilleton : dispersion des lieux, foisonnement des personnages, enchevêtrement des situations, l’extraordinaire machination de l’intrigue. Et l’on comprend que d’un roman à l’autre, des Erreurs de la guillotine à Fantômas, les mêmes mots, les mêmes expressions, les mêmes phrases se retrouvent. La décapitation est, dans la littérature feuilletonesque, le plus avoué, le plus beau des clichés.

2Chateaubriand lui-même était tout près d’en dégager le principe, s’étant arrêté à Roye, retour d’exil, une fois de plus. L’hôtesse, qui ne voulait pas être payée, mais se sentait endettée au contraire, lui en confiait la raison : « Je me regarde de travers pour n’avoir pas su me faire guillotiner pour nos rois », Mémoires d’Outre-Tombe, XXIII, 20. Une sorte de rectitude, de loi fondamentale, s’exprime ici au-delà de toute opinion politique : depuis la guillotine, pour se voir, pour bien voir, pour obtenir qu’une image soit nette, il faut entrer dans la lunette, il y faut nécessairement ce déclic2... De sorte que, parmi les plus belles jeunes filles promises à l’échafaud, aucune ne produit une aussi profonde impression, aucune n’est plus exaltée que la fille de Mme de La Chanterie, dont on vient de raconter à Godefroid, son pensionnaire rue Chanoinesse, l’exécution. En quelques mots, Balzac rapporte l’émotion profonde du jeune homme dont la vision se forme à travers les vapeurs enveloppantes d’un cauchemar. Fumées d’une chambre obscure :

Ce drame effroyable troubla le peu de sommeil que prit Godefroid. Il rêva du dernier supplice tel que le médecin Guillotin l’a fait dans un souci de philanthropie. A travers les chaudes vapeurs d’un cauchemar, il entrevit une jeune femme, belle, exaltée, subissant les derniers apprêts et traînée dans une charrette, montant sur l’échafaud, et criant : « Vive le Roi ! »
La curiosité poignait Godefroid. Au petit jour, il se leva, s’habilla, marcha par sa chambre, et finit par se coller à sa croisée, regardant machinalement le ciel en reconstruisant, comme ferait un auteur moderne, ce drame en plusieurs volumes. Et il voyait toujours sur ce fond ténébreux de Chouans, de gens de justice, d’avocats, d’espions, se détacher radieuses les figures de la mère et de la fille.
L’Envers de l’histoire contemporaine

Etonnant, prodigieux appareil. Etonnant visionnement auquel le roman nous invite, des premiers développements de la nuit jusqu’au petit jour : la lunette du supplice se superpose à la croisée de la fenêtre, et Godefroid s’y colle pour mieux voir, pour mieux admirer la jeune femme exaltée, rehaussée, dont la guillotine projette merveilleusement l’image. Le ciel lui-même devenu l’écran sur lequel s’agite, s’anime une importante figuration, dont se détachent, étoiles radieuses au premier plan – that’s Hollywood, vraiment – les deux visages en médaillon.

3Il ne faut rien moins pour obtenir du Réel une image. De même qu’au cinéma, une prise de vue se fera toujours, nécessairement, entre deux claps. C’est bon, coupez... Rencontre inévitable qui, au tout début du cinématographe, conduisait Ferdinand Zecca à réaliser Histoire d’un crime (en 1901) d’après les sept tableaux de cire qui, s’achevant sur la montée à l’échafaud du criminel, s’étaient imposés en 1882 comme le clou de l’inauguration du musée Grévin... Raison pour laquelle – clip, clap, toutes onomatopées confondues –, c’est à un spécialiste du film publicitaire que furent confiées les fêtes du bicentenaire de la Révolution : l’esthétique du film publicitaire n’est-elle pas tout entière hantée, à travers l’hystérie du montage, par l’exhibition de la coupure.

4Et sans doute, à coup sûr, y a-t-il eu dans l’histoire de la photographie un amateur pour passer la tête dans l’un de ces panneaux peints qu’on trouve dans l’atelier des photographes, sur lequel – en place du marin, du militaire, du chinois qui y figurent ordinairement – un échafaud aura été représenté. Car non seulement la guillotine offre un appui-tête idéal, cet appui-tête que les photographes reprendront aux peintres portraitistes pour assurer l’immobilité parfaite du sujet. Mais l’appareil photographique affiche très vite l’identité de fonctionnement : nombreux sont ceux (comme le Détective de 1895, qu’on peut voir au Musée Industriel de Lille) dont la notice descriptive souligne, qualités essentielles, l’escamotage des plaques par basculement, l’obturateur à guillotine... Tandis qu’à l’inverse, passages, glissements, échanges d’attributs, J. Delarue nous rappelle3 que parmi les aides du bourreau, celui qui, par les oreilles ou par les cheveux, tire la tête du condamné dans le collier, la lunette ainsi obturée, – celui-là, on le surnomme « le photographe ».

5Aussi n’est-il pas étonnant de voir les Goncourt porter le deuil des images anciennes, dansantes et colorées. La photographie ne présente à leurs yeux que « le funèbre portrait de la vie ». Avant d’évoquer la mécanique sépulcrale, les dignitaires de la Terreur, Chateaubriand souligne qu’en 1792 « la variété des costumes avait cessé ; le vieux monde s’effaçait ; on avait endossé la casaque uniforme du monde nouveau, casaque qui n’était alors que le dernier vêtement des condamnés à venir », Mémoires d’Outre-Tombe, IX, 3. Passage d’un monde à l’autre, condamné. Lorsqu’ils assistent à la première vente de photographies à l’hôtel Drouot, « tout devient noir en ce siècle, notent les Goncourt dans leur Journal, et la photographie, n’est-ce pas l’habit noir des choses ? » Funèbre et solennel habit noir que le XIX^e siècle semble avoir revêtu tout exprès pour la photographie4. C’est la livrée à laquelle il s’astreint, à laquelle il se condamne. Nul ne saurait la porter plus proprement, avec plus de conviction, que le bourreau. L’habit noir est taillé à ses mesures : « Au fond de leur cachot, la vision fatale / C’était lui, le Monsieur correct en habit noir », Le Bourreau monomane, Les Névroses.

6Cela convient au condamné qui apparaît, quant à lui, sur l’échafaud, « blanc comme un linge ». Dépouillé de ses effets, réduit lui-même, le visage, la peau, à l’état de linceul. Ainsi la femme du condamné, accompagnée de sa cousine, vient-elle rendre une dernière visite à son mari Gabriel, dont le pourvoi vient d’être rejeté. Dans Les Bas-fonds de la société d’Henri Monnier :

La Femme : – Réponds-moi, mon ange, quoi qu’t’as là, sous ta tête, dis ?
Le Condamné : – Sous ma tête ?
La Femme : – Un gilet ? Tiens, Mélie, prends-le... que s’cherche partout, durant qu’j’y suis... Quoi que j’sens là ? ton pantalon ?... Bonne affaire ! Mélie, fourre tout ça dans l’panier. T’as des mouchoirs ?
Le Condamné : – Oui.
La Femme : – Donne-moi les... Tes chaussettes, où qu’a sont ?
Le Condamné : – Dans mes pieds.
La Femme : – Sors-les.
Le Condamné : – Tu veux donc m’mett’ tout nu ?
La Femme : – Pis qu’t’es rejeté, tu vas pu avoir besoin de rien. Et ta redingote que faut qu’j’emporte aussi ; m’la faut, pour habiller l’petit. Pauv’enfant ! y viendra t’voir passer... il a déjà pas tant d’plaisir !...
La Femme du condamné

Il n’y a pas de petit plaisir ; du balcon de chez madame Vernier, dans la redingote et les souliers du père, le petit viendra assister à son exécution. Il s’agit de ne rien laisser perdre. Gilet, pantalon, chaussettes, redingote sont fourrés au panier – avant que la tête n’y roule. Dévêtu, mis à nu, le condamné n’est plus qu’une défroque. Dans sa cruauté, la femme de Gabriel anticipe sur le moment fatal : décapité, le corps n’est plus ; c’est un linge qui tombe... Telle est, dans Les Travailleurs de la mer, la leçon de la pieuvre, l’animal avant tout céphalopode. Enormité tranchée par l’éclair du couteau, quand le marin, enfin, en « arracha la tête » :

Ce fut fini.
Toute la bête tomba.
Cela ressembla à un linge qui se détache. La pompe aspirante détruite, le vide se défit. Les quatre cents ventouses lâchèrent à la fois le rocher et l’homme. Ce haillon coula au fond de l’eau.

7Monstrueuse, la bête décapitée n’est plus qu’une guenille : le haillon.

8Il ne reste plus qu’à visiter l’atelier du photographe, l’appartement de Thompson où Marie, retrouvée par hasard, guide les frères Goncourt. Au milieu de « tout l’attirail photographique », entre les produits chimiques, les cabinets, les séchoirs, la mort semble avoir pris possession des lieux, habitant chacune de ces photographies, chacun de ces portraits amoncelés, « toutes ces chairs et ces yeux morts, sans couleur, ni physionomie. Çà et là, une défroque comme pour rhabiller un cadavre ou une figure de cire, comme un vestiaire de Morgue : un uniforme de la Vieille Garde flétri et vieux comme une relique, posé sur une chaise dans une pose de loque fière attendant le modèle. Côte à côte, la plaque d’un enfant mort, d’une femme nue et d’un garde national », Journal des Goncourt, 21 décembre 1856. La Mort, ou la Photographie, reconnaîtra les siens. Côte à côte, la plaque et la défroque, la loque et le portrait finissent par se confondre. L’atelier n’est qu’un vaste vestiaire que baigne le jour noir, et plus noir que la nuit, que la photographie verse sur le monde.

9Si, en effet, la guillotine préparait, annonçait l’appareil photographique, celui-ci en retour aura complètement plongé la guillotine dans les ténèbres. L’échafaud vire au noir. Plus de feux, ni de flammes, plus de fard ni de lumières, plus de soleil, plus de gloire, pas même la mort dans ses pompes funèbres. La guillotine réduite au noir et blanc. Au pied de « cette machine étroite et longue, et comme étranglée [qui] me faisait l’effet d’un cou de cygne tendu et aux aguets », le bourreau paraît à Tourgueneff « un homme en habit noir avec une cravate blanche », Devant la guillotine. L’essor de l’appareil photographique, la diffusion de ses images, coïncide avec l’entrée de la guillotine au royaume des ombres. Sur le chemin de la prison où, en 1870, il accompagne Maxime Du Camp à l’exécution de Troppmann, Tourgueneff note d’abord que « dans les vitrines de toutes les papeteries s’étalaient des rangées de photographies de l’Illustre assassin de Pantin ». La photographie se donne comme l’indicatif obligé préalable à toute exécution : elle commande ce qu’il faut voir ; avant, après ; bientôt, la photographie aura tout absorbé.

10Les têtes décapitées de la Révolution, portées en procession, qu’on allait admirer dans les cabinets de peinture, sont tombées aux baraques foraines, monstruosités à quelques sous l’entrée. La peinture ne semble plus de mise. L’échafaud n’engendre plus autour de lui que quelques guirlandes sombres, théâtre d’ombres, un liseré de silhouettes. Qui, parmi toutes les machines à produire des images, nous rappelle ces machines sûres et commodes pour tirer les silhouettes qui se multipliaient dans la seconde moitié du XVIII^e siècle, directement associées au développement de la physiognomonie : une chandelle, source de lumière, projette sur un écran de papier fixé entre deux montants verticaux l’ombre du sujet, pour que le dessinateur, de l’autre côté, en reproduise fidèlement les traits. Rendant compte, à son tour, de la mort d’Eyraud – qui lui permet de rappeler le souvenir de Tourgueneff devant Troppmann –, Marcel Schwob retrouve le même dispositif, avec « les lumières rouges dans les cadres des fenêtres », rumeurs de la foule, hennissement des chevaux, « puis les silhouettes des gendarmes se découpent vivement », « L’Exécution », dans L’Evénement, 5 février 1891. Ainsi s’impose au cœur de la figuration quelque chose de sec, de net, et comme étranglé. Technique des ombres et des contours, il suffit d’inscrire et de suivre le trait.

11Elles peuvent être de nature différente.

12Captivantes, à la lueur des lanternes que dispose Balzac, pour nous rapporter une messe sous la Terreur : les passants clairsemés, les ombres fugitives, une forme humaine entrevue dans le brouillard, attachée aux pas d’une femme pressée : « L’inconnu semblait être l’ombre même de cette vieille femme », Un Episode sous la Terreur. Enigmatique, inquiétant, l’inconnu monte les degrés qui mènent à la mansarde où l’abbé de Marolles s’est réfugié, lui demande une messe pour le repos de Louis XVI ; il y assiste lui-même le 22 janvier 1794, refusant de partager « la petite collation » qu’on lui a préparé. On en saura le secret quelques jours plus tard. Chez le parfumeur Ragon, l’abbé voit, dans la rue, la foule se presser : « Au-dessus des têtes, l’abbé de Marolles [...] vit debout, sur la charrette, celui qui, trois jours auparavant, écoutait sa messe. » Dominant toutes les têtes, au plein jour de la rue Saint-Honoré, c’est Sanson qui est venu demander une messe ; c’est le bourreau qui, nuitamment, ombre parmi les ombres, se glissait vers la maison solitaire... Silhouette mystérieuse, enveloppante – à laquelle s’opposent celles que fixe Villiers de l’Isle-Adam dans Le Secret de l’échafaud : « Les cinq personnages se détachaient, en silhouettes, sur l’échafaud : le silence, en cet instant, se fit si profond que le bruit d’une branche cassée, au loin, sous le poids d’un curieux, parvint, avec le cri et quelques vagues et hideux rires, jusqu’au groupe tragique. » Si simples, si précises, silhouettes glacées dans le silence brisé net.

13On pense à un autre groupe encore, que forment sur un toit de Paris deux ouvriers qui posent tranquillement leurs dernières feuilles de zinc. Viendront plus tard les tournées chez la mère Louis, « qui faisait venir son vin de l’Auvergne, un vin couleur de sang qu’on aurait coupé au couteau » ; quand la lecture des faits divers fait pousser à tous un cri d’horreur : « en voilà un, par exemple, qu’ils seraient allés voir raccourcir avec plaisir ! Non, la guillotine ce n’était pas assez ; il aurait fallu le couper en petits morceaux » ; avant que Mes-Bottes ne donne un coup sur la table, abattant triomphalement son jeu. Il faisait quatre-vingt-treize :

« J’ai la Révolution, cria-t-il. Quinte mangeuse, portant son point dans l’herbe à la vache... Vingt, n’est-ce pas ?... Ensuite, tierce dans les vitriers, vingt-trois ; trois bœufs, vingt-six ; trois larbins, vingt-neuf ; trois borgnes, quatre-vingt-douze... Et je joue An un de la République, quatre-vingt-treize. »
« T’es rincé, mon vieux », crièrent les autres à Coupeau.
L’Assommoir.

Rincé, Coupeau l’est depuis longtemps. Depuis ce jour où, achevant la toiture d’une maison neuve, l’ouvrier est monté sur le toit : « Comme le toit était presque plat, il y avait installé son établi, un large volet sur deux tréteaux. Un beau soleil de mai se couchait, dorant les cheminées. Et, tout là-haut, dans le ciel clair, l’ouvrier taillait tranquillement son zinc à coups de cisaille, penché sur l’établi, pareil à un tailleur coupant chez lui une paire de culottes. » Tandis qu’il taille, coupe, cisaille sur ses tréteaux, une petite vieille, à défaut de la foule, est venue s’accouder à sa fenêtre pour mieux considérer le spectacle, « se donnant la distraction d’une grosse émotion, à regarder cet homme, sur la toiture d’en face, comme si elle espérait le voir tomber d’une minute à l’autre ».

14Deux silhouettes, glorieuses d’abord dans la belle lumière, mais menacées, assombries, se détachent alors sur le soleil couchant. Les tréteaux, la cisaille, la barre, le profil : « Et en plein ciel, à cette heure recueillie du jour, les silhouettes des deux ouvriers, grandies démesurément, se découpaient sur le fond limpide de l’air, avec la barre sombre de l’établi et l’étrange profil du soufflet »... Etrange est ce profil qui ne prendra tout son sens que rapporté de L’Assommoir (1877) à Germinal (1885), de l’ouvrier zingueur à la troupe rugissante des mineurs rêvant une Révolution nouvelle. Le passage à la mine, les gueules noires, ont défini l’image, quand, aux derniers rayons du soleil, parmi « le hérissement des barres de fer », une « hache unique, qui était comme l’étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d’un couperet de guillotine », Germinal. Dans le même ciel clair, du soufflet au couperet, c’est la même barre, c’est le même profil. Qui bientôt précipite la chute de Coupeau. Comme si c’était dans le bois de la Veuve qu’était taillé le nom du personnage : « Et il tomba. Son corps décrivit une courbe molle, tourna deux fois sur lui-même, vint s’écraser au milieu de la rue avec le coup sourd d’un paquet de linge jeté de haut. »

15Le coup sourd nous revient. Et avec lui, le paquet de linge, tombé au panier de Gervaise. Le grand panier carré de la blanchisseuse. Le spectacle est terminé. La petite vieille d’en face, « comme satisfaite », a refermé sa fenêtre. Attestant que dans la littérature réaliste, naturaliste, toute chose vue est une exécution.

16En 1800, de retour à Paris, Chateaubriand feint de s’étonner : « Au débouché de chaque allée, dans les galeries, on rencontrait des hommes qui criaient des curiosités, ombres chinoises, vues d’optique, cabinets de physique, bêtes étranges ; malgré tant de têtes coupées, il restait encore des oisifs », Mémoires d’Outre-Tombe, XIII, 4. Une évidente continuité conduit de ces têtes tranchées à ces curiosités, de la guillotine aux vues d’optique dans leur diversité. Ombres chinoises, esquisses, découpages, l’échafaud les a définitivement réactualisés...

17De là ces quelques « notes crayonnées place de la Roquette » (selon l’expression de Villiers de l’Isle-Adam), ou le coup de crayon des reporters, « tournant autour de la guillotine, les uns prenant des notes, d’autres esquissant des croquis », Les Erreurs de la guillotine. Ils continuent, à leur manière, le célèbre croquis fait par David, le 16 octobre 1793, d’une fenêtre de la rue Saint-Honoré, de Marie-Antoinette conduite à l’échafaud. Entre fenêtre et guillotine, le croquis s’imposait. L’échafaud croque sur le vif... On épouse ainsi, étape par étape, l’itinéraire du peintre dont Erckmann-Chatrian nous rapportent l’étonnante aventure : « Des portraits, je descendis aux croquis, et des croquis aux silhouettes », L’Esquisse mystérieuse, dans leurs Contes fantastiques. Les croquis l’emportent, pour autant qu’ils trouvent ici, tout au long de la nouvelle, un écho inquiétant dans les murailles « garnies de crocs » de la boucherie que dessine le jeune homme, dans les doigts « crochus » de son logeur, dans la mâchoire « débordant en crocs » des policiers venus pour l’arrêter... Nulle guillotine, cependant, dans le conte d’Erckmann-Chatrian : c’est au gibet, c’est à la cravate de chanvre que le peintre est condamné. Mais lorsqu’on mesure le rôle capital de la Révolution, de la Terreur, dans l’imaginaire d’Erckmann-Chatrian, lorsqu’on se souvient, par exemple, du bourreau qui, accompagnant le citoyen Schneider, apparaît sur les sommets d’Alsace, petit homme sec et pâle, « le nez long, la figure en lame de rasoir, vêtu d’une longue blouse rouge serrée aux reins » (Le Citoyen Schneider) – qui ne serait tenté de substituer la guillotine au gibet dans le texte ? Toute une esthétique du trait, du crayon noir, de la caricature, habite, en effet, la nouvelle. Avec Van Spreckdal, « éclairé par un reflet oblique de la vitre », et « ces deux profils noirs se découpant sur le fond lumineux de la fenêtre ». Jusqu’aux traits du coupable qui se dessinent enfin sur les murs de la prison : « Sa figure, de face, en raccourci sur le mur, se détachait sur le fond blanc avec une vigueur prodigieuse. » Si le portrait de chacun des personnages se profile en lame de rasoir dans le texte, il fallait que l’assassin nous apparaisse de face, mais bien « en raccourci ».

18Du reste, que l’échafaud puisse pendre autour du cou, que la guillotine, nouvelle corde du pendu, puisse cravater, il ne faut qu’un foulard pour nous permettre de le comprendre, pour le donner à voir. Foulard aux couleurs vives, étoffe chatoyante, le mot lui-même est frémissant, tout prêt à s’envoler. Il faut bien le croiser, en enfoncer les pointes à l’intérieur du gilet. Comme font ces paysans par « un matin d’automne acide et vert ». Les femmes, au fond de la commode, ont trouvé leur jupon ; sur leur costume de velours, les hommes, consciencieusement, ont noué le foulard : « Ce sont généralement des foulards qui nous viennent d’héritages. Le mien est jaune avec des fleurs rouges. Il y en a de rouges avec des fleurs jaunes, des rouge-vert, des vert-bleu, des vert-noir, des vert-jaune. Pical en a un tout rouge, sur lequel sont dessinées, en noir, des scènes de la Révolution française avec une belle guillotine qui, généralement, lui pend sous le menton quand il le met. Un autre a des oiseaux ou des soleils », Notre Vin, dans Faust au village de Giono. Le foulard est fleur, serpent, oiseau ou soleil. Serpents qui mordent le soleil, oiseaux qui sont oiseaux de foulard, « c’est-à-dire des oiseaux inventés. Tout ça ne signifie rien, bien entendu. Qu’est-ce que ça pourrait bien signifier ? Nous mettons ces foulards à nos cous parce qu’il fait frisquet »... On imagine alors, dans les froids acides et piquants du matin automnal, pour se protéger le cou, pour en faire cache-col, Pical dont la belle guillotine, transmise en héritage, peinte en noir parmi les papegais fabuleux, lui pend sous le menton – bien lisse –, bien droite –, bien ajustée.

19L’Abbaye-de-Monte-à-regret – car c’est ainsi qu’on désigne la potence au XVIII^e – est tombée dans l’argot des forçats : « Aussitôt les forçats, les ex-galériens, examinent cette mécanique placée sur les confins monarchiques de l’ancien système et sur les frontières de la justice nouvelle, ils l’appellent tout à coup l’Abbaye-de-Monte-à-Regret », Splendeurs et misères des courtisanes. Et dans l’œuvre de Balzac, comme dans celle d’Eugène Sue, on n’échappe à l’Abbaye, on n’évite d’être fauché, que pour être condamné au bagne, pour être condamné au pré.

20Marcel Schwob y reviendra souvent. L’échafaud est son objet. On ne saurait citer tous ses contes, nouvelles, articles, réflexions, où paraît la guillotine... C’est la charrette dans laquelle Charlot et son camarade fuient le lieu de leur crime, au clair obscur d’une lune blafarde. Et tandis que défilent « les longs peupliers gris » et les « meurtrissures blanches » des bouleaux, tandis que tombe la pluie, « oblique, acérée », le marchepied luisant leur semble « un couteau d’exécution » : « Ils s’agenouillèrent tous deux dans l’ornière profonde ; et tandis que le cheval les éclaboussait du sabot, sous la lueur blême de l’aube, ils frottèrent patiemment le tranchant de fer avec de la vase », La Charrette, dans Le Roi au masque d’or... C’est Fleur de Cinq-Pierres, Louisette, la toute maigrelette, dont le père quelquefois passe la nuit dehors, pour rentrer « assez blanc au matin ». Cherchant à savoir ce qu’il range dans son hangar, Louisette, petit œil, petit œillet, met « l’œil à une fente de la grande porte », entrevoit des entassements de boiseries, des éclats de métal, curieusement « des choses blanches qui brillaient », Fleur de Cinq-Pierres, dans Cœur double. Se laissant fasciner par « la couleur sang de bœuf aux devantures des marchands de vin », elle aime à promener sur les boulevards extérieurs, où l’aborde bientôt l’Assassin – casquette d’étoffe, fine moustache, et la langue argotique –, qui lui fait prendre sa première absinthe sur le zinc. Ils passeront la nuit sur la paille du vieil hangar, à la lumière d’une grande lucarne ronde qui imprime sur les murs une tache livide. Etrange couple, étrange nuit au terme de laquelle l’Assassin se réveille en éprouvant une « chose froide dans le cou, sous la nuque », comme le point d’appui d’une angoisse qui, lentement, au fil des heures, est toute remontée. Car c’est le tranchant d’une guillotine sur lequel il s’est assoupi. Car Louisette n’est autre que « la fille du bingue » ! Et la reconnaissance, comme il se doit, se fait à l’aurore, aux petites heures du jour : « Le petit gris du jour levant éclairait l’œil-de-bœuf. On voyait au fond, détachés sur le mur, des montants rouges, à rainure de cuivre, une traverse, une planche échancrée. Louisette, réveillée, tenait entre les mains une forte lame d’acier triangulaire [...] ; et l’Assassin sentit glisser en lui le froid mortel et futur. » Terreur et pitié chères à Marcel Schwob, c’est toute la poétique ambiguë du petit matin blême : frissonnements blafards, taches grises, suggestion intime du couperet. L’écriture de la lividité, l’exotisme du malaise... Au terme du récit, la fente, la lucarne s’est faite œil-de-bœuf, où se dessine, en perspective, la lunette de la guillotine : c’est le petit œil, l’œillet couleur de sang de bœuf, à travers lequel le siècle se contemple, à travers lequel il contemple la mort.

21Mais entre la fille du bourreau et la guillotine volante sur laquelle s’achève Cœur double, traînée par des chevaux, composée d’une chaudière qui entretient la rotation continue d’un grand disque dont le tranchant, régulièrement, méthodiquement, dans sa révolution, rejette la tête des corps enfournés dans ses canons d’acier, les grandes orgues de la Terreur, – entre Fleur de Cinq-Pierres et La Terreur future, le recueil nous livre encore ses Instantanées de la rue de la Roquette. Quand, sollicitant conjointement la gravure et la photographie5, les confondant dans le même procès, depuis les « fenêtres voilées de vapeur, avec des chandelles allumées » jusqu’à l’arrivée du condamné, « livide entre deux taches blanches », Marcel Schwob enlève cette longue description d’une seule phrase, d’un seul trait, à la silhouette, travaillant, découpant, creusant l’espace de la page, gravant en manière noire, les gris, les blancs, avec un affairement, tout un ferraillement d’atelier qui s’applique à fabriquer du réel. Un vrai banc de montage :

Tombant du ciel, une lumière grise s’étend graduellement, dessine une ligne de faîte aux toits, des figures blêmes aux gens, découpe les barrières, enlève les gendarmes collés à leurs chevaux comme des ombres, pétrit le relief des fourgons, creuse les enfoncées des portes, fabrique avec les piliers de cuivre des rainures larges, avec la tache pâle un outil triangulaire luisant coiffé d’un bloc sombre piqué de trois points blancs, avec la boule brillante une poulie d’où tombe une corde, crée autour de cela des montants sanguinolents, montre près de terre une planche oblique et deux demi-lunes écartées.

De sorte que la guillotine, qu’on appelait la Veuve, la Goulue, la Vorace, il faudrait ici la surnommer la Grave.

22Et sans doute, à mesure que l’on avance dans le siècle, on s’éloigne de Stendhal, de Champfleury, on se rapproche des dernières fêtes : Stendhal, lorsque, dans La Chartreuse de Parme, Fabrice remonte la lignée, se souvient de son septième aïeul qui « eut l’honneur d’avoir la tête tranchée par les ennemis du duc ». L’exécution lui est restée dans l’œil, gravée dans la mémoire : « Il voyait des yeux de l’âme l’estampe relative à ce fait, placée dans la généalogie de la famille. » La décollation sollicitait l’estampe, l’estampe s’est imposée... On pense au commissaire-priseur, l’expert que nous présente merveilleusement Champfleury, assis à sa petite table, enlevant délicatement chaque gravure de sa chemise avant de la présenter au public. Le voici tout à son affaire : « Messieurs, nous allons vous vendre le numéro 9, l’Heureux hasard de l’Escarpolette, par Beaudouin, pièce gravée par Ingouf junior avec l’adresse de la veuve Chéreau, à l’enseigne du Coq-d’or... Toute marge... Cinquième état d’une gravure, ayant d’intéressantes retouches sur le mollet de la femme », L’Hôtel des commissaires-priseurs. Le commissaire est inspiré ; le commissaire fait l’article. Multipliant les considérations avantageuses, se laissant griser par la déclinaison savoureuse de l’expertise, de Beaudouin à Ingouf, de la veuve Chéreau aux retouches intéressantes que montre le mollet. Il glisse ainsi, avec la même complaisance, avec le même bonheur, de l’Escarpolette à l’Echafaud :

– Une jolie pièce, s’écrie l’expert, le crayon dans les dents, en attendant qu’il pointe sur son catalogue le prix de l’enchère.
Ne vous fiez pas au mot joli. Tout est joli pour l’expert, qui, une fois en possession d’un mot, ne le lâche plus.
C’est le même qui, annonçant diverses estampes relatives à l’invention de la guillotine :
– Un joli lot, messieurs, disait-il.

Qui ne dirait : « J’achète ! », englobant tout le lot, le mollet, Ingouf, l’échafaud. Dans la bouche de l’expert, la guillotine elle-même est une jolie pièce. Mais, tout à sa jouissance, le monde des amateurs, des collectionneurs, forme un monde à part : c’est désormais sous le signe du trait, de l’inscription, de l’incrustation de l’image, que s’effectue la rencontre de la gravure et de l’échafaud. De même que le souvenir revient au narrateur, qui se rappelle avoir rencontré le baron Von H*** quelques années plus tôt, auprès d’une guillotine érigée à Lyon : « Quoique vous ayez passé très vite devant moi, votre voiture [...] m’a laissé vous entrevoir aux lueurs des torches. La circonstance incrusta votre visage dans mon esprit », Le Convive des dernières fêtes. Le visage du condamné, le visage du bourreau, les officiels, les spectateurs, le décor : tout cela s’incruste, s’inscrit en noir et blanc.

23« C’est du noir piqué de jaune, c’est la rue de la Roquette et ses becs de gaz en montée, ce sont les masses sombres des agents en capote et les capotes des gardes de Paris », écrit Jean Lorrain, sous le pseudonyme d’Ernest La Jeunesse, dans Le Journal du 2février 1899. Un peu de blanc, des lueurs d’acier, l’échafaud qui reluit comme un meuble bourgeois d’acajou, propre et riche, le texte s’écrit en chuchotis de phrases courtes qui s’assujettissent rapidement, en angles nets. La construction se poursuit. La guillotine mise en chantier : « Cependant le travail s’obstine. Un aide, en blouse blanche serrée à la taille, appuie une échelle contre un montant, et, recevant à mesure des accessoires vagues, place un chapiteau, une poulie qui brille, la masse de plomb, des cordes. » Jusqu’à, pièces maîtresses, accessoires disposés, l’arrivée de Peugnez : « Et l’on aperçoit une chemise blanche, de la chair blanche, des cheveux drus noirs, des yeux noirs d’énergie, une face brutale mais décidée et sereine. » Le condamné apparaît alors « presque nu et blanc dans ce noir » ; et, ajoute La Jeunesse, « dans l’hallucination de cette minute suprême, [on croit] voir un enfant de chœur dans le noir des soutanes »... Il faut entendre l’échafaud, il faut restituer ses lettres manquantes au gillotage qui, à partir de 1850, caractérise la gravure « au trait », permettant une plus grande souplesse de reproduction, tout en contraignant l’artiste, comme dans la gravure sur bois, à renoncer aux demi-teintes. Car entre gravure et photographie, c’est bien la Grave qui fait ici l’office – dont Tourgueneff, Villiers de l’Isle-Adam, Marcel Schwob, Jean Lorrain, et tant d’autres avec eux, tirent chaque fois, tirent toujours la même épreuve, comme on tire l’épreuve d’une gravure, comme on effectue le retirage des plaques elles-mêmes : photogravure. Il n’y a rien d’autre à en attendre désormais.

24Aussi vaut-il de s’arrêter longuement sur cette figure étrange évoquée par Nadar dans ses souvenirs. Le plus célèbre photographe du XIX^e siècle fixe une silhouette qui du plus loin qu’elle apparaît, là-bas, à peine entrevue, impose le silence et coupe la conversation : « Le propos tout à coup tomba – à l’aspect encore lointain d’une figure bizarre, fantomatique, qui se découpait sous la voûte de verdure, semblant venir droit vers notre banc », Charles Baudelaire intime. Silhouette bizarre, obnubilante silhouette, – l’image de Baudelaire se découpe. Baudelaire magnifique en cheveux longs et bouclés, comme vingt ans plus tard, fatigué, vieilli. Avec toujours le même « col de chemise largement rabattu », le même habit « démesurément évasé du torse en un cornet d’où émergeait, comme un bouquet, la tête ». Le visage de Baudelaire, comme un feu d’artifices, émerge de l’absence de col. La tête, gerbe de fleurs, est toute déployée.

25Le dandy se sépare et se propose seul. Le Christ porte sa croix, le dandy au milieu de la foule restaure l’échafaud. Il porte le soin de la toilette aux derniers apprêts : « Baudelaire soupe à côté, sans cravate, le col nu, la tête rasée, en vraie toilette de guillotiné », Journal des Goncourt, octobre 1857. C’est ici, en 1857, à travers la condamnation des Fleurs du Mal, partageant le XIX^e siècle, de la circulation anonyme du virus à l’extrême identité du couperet, de la généralité de la contamination à la singularité du condamné, du secret de la contagion à l’exécution publique, de l’origine à la chute, – c’est ici que la syphilis et l’échafaud se donnent le sujet et le texte en partage.

26Que l’on songe simplement à la première des Diaboliques publiée par Barbey d’Aurevilly, au Dessous de cartes d’une partie de whist qui paraît dans La Mode le 5 mai 1850, Barbey ayant confié la veille à Trebutien qu’il lui a fallu accepter d’être « étêté, absurdement coupé, guillotiné » par le journal. Alors que la dernière nouvelle du recueil (menacé de jugement lors de sa parution, saisi par la censure) s’achève sur la décomposition de la duchesse de Sierra-Leone rongée par la vérole... Il faudrait l’écrire à la manière de Baudelaire lui-même, jetant ses notes sur un carnet : je suppose deux Sœurs. Syphilis et guillotine sont, en effet, si souvent solidaires. Ainsi, parmi les décollations en tous genres qu’offre la littérature romanesque, La Rabouilleuse de Balzac – qui s’ouvre avec la mort de l’épicier Descoings, monté sur l’échafaud en compagnie d’André Chénier – trouve son achèvement dans la mort, également horrible, de Philippe Bridau et de la belle Flore, le comte et la comtesse de Brambourg. Car, pour le premier, « on lui coupa la tête quand il tomba presque haché par les yatagans », dans un combat en Algérie ; tandis que la Rabouilleuse retrouvait au terme de sa déchéance « une magnifique maladie qu’on croyait perdue », version épiphanique de la Vérole. De sorte qu’en dépit de l’extrême distance qui sépare leur mort dans l’espace et dans le temps, jamais les époux Bridau n’auront à ce point formé un couple... C’est ce couple de la syphilis et de l’échafaud, que promène Jules Janin dans L’Ane mort : balises phénoménales, les stations du roman, les deux pôles, les deux magots de cet Imaginaire ! L’une et l’autre bornent l’itinéraire du narrateur : de la visite à l’hôpital, où les filles malades viennent brûler leurs chancres, à la décapitation de la belle Henriette, la femme guillotinée... Baudelaire en rappelle la leçon dans le Choix de maximes consolantes sur l’amour qu’il propose aux jeunes littérateurs, y faisant à leur intention deux suppositions qui se recouvrent parfaitement : d’une part, « je suppose que l’héroïne de votre cœur ayant abusé du fas et du nefas, est arrivée aux limites de la perdition, après avoir [...] essayé le pouvoir de ses charmes sur ses geôliers et ses exécuteurs » ; et, autre suggestion, « je suppose votre idole malade. Sa beauté a disparu sous l’affreuse croûte de la petite vérole, comme la verdure sous les lourdes glaces de l’hiver ». La soif de l’inconnu et le goût de l’horrible se définissent, prennent forme, à travers ces deux situations extrêmes, qui précipitent « certains poètes dans les amphithéâtres et les cliniques », et font courir les femmes « aux exécutions publiques ».

27Jouissance simultanée de la clinique et de l’échafaud, horreur sympathique des corps purulents et des cadavres sans tête, la syphilis serait-elle une forme subtile de décapitation ? L’échafaud, courant de l’un à l’autre, aurait-il sa contagion ?... De Petrus Borel à Barbey d’Aurevilly, de Villiers de l’Isle-Adam à Jean Lorrain, ils sont ensemble reconduits, jusqu’à l’étonnante apothéose célébrant leur rencontre : Notre-Dame la Guillotine de Gustave Le Rouge, en 1893. L’anniversaire de la Terreur consacre leur union. Gorgius le grand Répresseur, « généralement grave comme si quelque ombre planait sur lui », dont « le moi gangrené » est livré à l’ennui, se hâte au milieu d’un pays dévasté, dans un paysage englué « d’une sanie figée et décomposée dont les résidus fluaient en ruisseau de purulence » : « Le dictateur et sa troupe hâtés parmi la ténèbre visqueuse semblaient quelque pullulement de bêtes immondes grouillant dans la féteur d’un ulcère. » Dès lors, sur ce fond « liquoreux et verdâtre » charriant toutes les ressources de la syphilis, purulence et décomposition, s’élève l’imagination de Gorgius :

Puis il se plut à évoquer les douloureuses physionomies des exécutés du jour et de morbides songeries l’obsédèrent en pensant à la guillotine. Elle se dressait en son imagination comme une idole embrumée de mystère, animée d’une vie particulière faite des terreurs et des vengeances des hommes, comme une attirante et traîtresse femelle dont les jambes rigides, dont le sexe fallacieux et vide incitaient l’humanité aux coïts monstrueux du cou et de la lunette.

Têtes décapitées projetées en un ciel pustuleux, guillotines érigées au milieu des sanies : à tous égards, la syphilis fait le lit de l’échafaud. Et non seulement le cauchemar de Gorgius finira par se réaliser, le dictateur tombé entre les bras vengeurs de la Veuve sous les traits d’une « maigre et haute jeune femme » avec laquelle il passe la nuit, mais Notre-Dame la Guillotine occupe ici très exactement, très précisément, la place qu’occupe Syphilis, fleur, sexe, stupéfiante femelle, gorgone incitant au coït, dans le cauchemar de des Esseintes.

28Il y aura fallu Les Fleurs du Mal, et leur condamnation vécue par Baudelaire sous les deux formes, sous les deux espèces, du bistouri et du couperet. Car la condamnation du livre, le retrait des pièces interdites, effectue à ses yeux, dans le corps du texte condamné, la confusion d’une sinistre « opération chirurgicale » – qui, pour en ôter le venin, ampute le recueil de ses membres gangrenés – et d’une exécution capitale dont le dandy porte désormais le deuil : « le col nu, la tête rasée, en vraie toilette de guillotiné ».

29Chateaubriand, déjà, avait eu l’occasion de rappeler les formes successives du dandysme en Angleterre. Il fallait d’abord que le dandy parût « un homme malheureux et malade ; il devait avoir quelque chose de négligé dans sa personne, les ongles longs, la barbe non pas entière, non pas rasée, mais grandie un moment par surprise, par oubli, pendant les préoccupations du désespoir », Mémoires d’Outre-Tombe, XXVII, 3. Tout le dédain et tout l’ennui du monde, le désespoir jusqu’au bout des ongles... Au style mélancolique a succédé cependant l’air conquérant et léger ; le dandy s’impose alors de « soigner sa toilette, porter des moustaches ou une barbe taillée en rond ». L’insolence triomphante, comme le négligé du désespoir, se porte bien. Et ce sont là, effectivement, des deux côtés de la Manche, les formes les plus célèbres du dandysme, l’expression de sa coquetterie. Mais il en est une autre, plus importante encore, à laquelle Chateaubriand s’arrête au terme de son évocation. Les choses ont à nouveau changé, la mode lentement touche à l’essentiel :

On dit que le dandy de cette heure ne doit plus savoir s’il existe, si le monde est là, s’il y a des femmes, et s’il doit saluer son prochain. N’est-il pas curieux de retrouver l’original du dandy sous Henri III : « Ces beaux mignons, dit l’auteur de l’Isle des Hermaphrodites, portoient les cheveux longuets, frisés et refrisés, remontans par-dessus leurs petits bonnets de velours, comme font les femmes, et leurs fraises de chemise de toile d’atour empesées et longues de demi-pied, de façon que voir leurs têtes dessus leurs fraises, il sembloit que ce fust le chef de saint Jean en un plat ».

Au bonheur d’Herodiade – les dandys réunis.

30A quoi souscrivent immédiatement « ces dandys de la lune », les Pierrots de Laforgue : « C’est sur un cou qui, raide, émerge / D’une fraise empesée idem, / Une face imberbe au cold-cream, / Un air d’hydrocéphale asperge », L’Imitation de Notre-Dame la lune.

31Et il est vrai que l’on pourrait être tenté d’insister sur la continuité : retrouver, au-delà de la Révolution, Judith, Salomé, tous les héros, tous les martyrs, les saints qui, de toute éternité, portent leur tête sous le bras... Mais ce serait alors méconnaître le rôle de la guillotine dans l’histoire des représentations, la rupture qu’elle introduit dans la littérature du XIX^e siècle. Car l’échafaud ne se contente pas de réactiver les décollations antérieures à la Terreur. Des auréoles parfumées (cheveux frisés, fraise empesée) au glacis du couperet (tête rasée et chemise sans col), la guillotine réduit l’espace de la représentation au seul souci du rendement et de l’efficacité. Si Baudelaire paraît en toilette de guillotine, c’est pour mieux relever le défi de cette société stérile et dépourvue de panache, c’est en prenant la guillotine pour ce qu’elle est : mécanique expéditive dénuée d’apparat, purement industrielle... Assistant aux séances du Club des Cordeliers, établi dans un monastère, Chateaubriand note que « derrière le président, avec une statue de la liberté, on voyait de prétendus instruments de l’ancienne justice, instruments suppléés par un seul, la machine à sang, comme les mécaniques compliquées sont remplacées par le bélier hydraulique », Mémoires d’Outre-Tombe, IX, 3. Une brutale et archaïque machine de guerre, une mécanique évoluée se fondent dans l’échafaud. Pour plus de simplicité, pour rendre en un instant caduques, à coups de masse, de couperet, les formes anciennes de mise à mort : « D’un côté, l’inextricable complication gothique, le serf, le seigneur, l’esclave, le maître, la roture, la noblesse, le code multiple ramifié en coutumes, le juge et le prêtre coalisés, les ligatures innombrables, le fisc, les gabelles, la mainmorte, les capitations, les exceptions, les prérogatives, les préjugés, les fanatismes ; le privilège royal de banqueroute, le sceptre, le trône, le bon plaisir, le droit divin ; de l’autre, cette chose simple, un couperet », Quatrevingt-treize. Toutes les ligatures défaites d’un seul trait : une simple machine y suffit, saisie elle-même par le vertige d’une résolution mécanique toujours plus achevée.

32Qu’est-ce, en effet, qu’une guillotine selon Pierre Larousse : « un lourd couteau qu’on fait glisser entre deux rainures ». Et puisque nul ne convient mieux qu’un photographe pour en parler, Pierre Larousse, à l’article Guillotine, cite une longue description de Maxime Du Camp, parue dans La Revue des Deux-Mondes, infiniment précise, scrupuleuse, détaillée dans les informations qu’elle communique, enrichie de considérations savantes, de calculs mathématiques, hauteur de la chute, poids du couperet, « ce qui, en tenant compte de l’action de la pesanteur, produit un travail équivalent à 168 kilogrammètres. Le couteau fait donc le même effet que produiraient 16,800 kilogrammes tombant de la hauteur d’un centimètre. La chute, calculée mathématiquement, dure 3/4 de seconde ». Vitesse, masse et force de travail, voilà une machine qui marche, nous voilà rassurés... Mais si la rainure est ce qui caractérise, au XVIII^e siècle, la coulisse (« rainure faite au plancher du théâtre, dans laquelle est renfermé un châssis de décoration qui y coule », Encyclopédie de Diderot et D’Alembert), exposant au raz du sol, à même le plancher, danseuses, danseurs, exécutants, à quelques périls : « à l’Opéra, ces rainures, qu’on ferme le plus vite qu’on le peut, ne le sont presque jamais assez vite en sorte que les danseurs et les autres exécutants sont exposés à chaque instant à mettre le pied dans ces ouvertures, se blessent, prennent des entorses, etc. », – d’un siècle à l’autre, du pas de danse au corps entravé, il faut en revenir à la première définition de la guillotine, aux deux rainures entre lesquelles tombe le couperet. Car la rainure est elle-même une longue entaille pratiquée dans une pièce ; car les rainures que l’on faisait autrefois artisanalement, au rabot, à la main, se font désormais par le biais d’une machine : « Les montants verticaux, réunis, d’une part, à leur extrémité par des traverses, et, d’autre part, au moyen d’entretoises de fer ; l’arbre de transmission de mouvement est supporté par ce bâti. L’un des montants a son bord supérieur parfaitement plat, tandis que l’autre montant, qui lui est parallèle, présente une arête saillante triangulaire, dans laquelle pénètre une rainure de même forme [...] », article Rainure du Grand Dictionnaire universel de P. Larousse. Encore faut-il y ajouter – avec une vitesse de rotation de 1.700 tours par minute, et l’avancement rectiligne de la table variant de 2.252 m à 6.755 m par minute – les « poupées porte-outils » munies de petites lames, ou le porte-outils composé de quatre branches, deux garnies de rabots, deux autres de lames étroites : « Ces petites lames, minces et étroites, sont disposées sur le porte-outils, de façon que leur taillant corresponde à l’angle que forme le saillant des rabots, afin qu’elles puissent pratiquer de ce côté une fente qui remplace le trait de scie pour éviter l’éclat du bois. » Ne dirait-on pas d’une machine à l’autre, de la machine-guillotine à la machine-à-rainures, quelque chose comme un air de famille, comme une parenté. Au XIX^e siècle, la machine se met en abyme ! Singulier narcissisme, sous le signe composé de la lame et des montants verticaux, sous le signe de l’Echafaud (comme l’arc triomphant des Arts et Industries réunis) : comme autant de poupées emboîtées l’une en l’autre, les machines s’admirent, et s’emboîtent à l’infini.

33Il y faut un dandy, tout l’héroïsme d’un dandy soucieux « de prouver aux coloristes que le noir de l’habit est une couleur, que cette couleur a sa grandeur, son héroïsme même6 », pour en accuser et reconnaître tout à la fois la modernité.

34La guillotine, en effet, annonce et effectue l’entrée dans le XIX siècle. Contre les exécutions aux flambeaux, les applaudissements qui, au siècle précédent, saluent le bourreau pour avoir élégamment décapité sa victime, contre la singularité, la solennité, la durée attachées à toutes les formes de représentation, à toutes les mises en scène, – la guillotine impose l’anonymat, l’effet de vitesse et d’instantanéité... Précurseur immédiat de la photographie jusque dans la réversibilité de l’opérateur et du modèle – mais c’est l’universel photomaton ! – dont les grands maîtres de l’appareil, Danton, Robespierre, ont donné l’exemple, engageant à leur tour la tête dans la lunette après avoir commandé tant d’exécutions... Précurseur des temps industriels jusque dans les cadences infernales dont se plaint le bourreau.

35De sorte que la guillotine incarne l’esprit nouveau, mécanique avancée, expériences médicales et scientificité, jusqu’au moment où, tout à l’inverse, nos temps modernes reconnaissent en elle la solidarité archaïque de toutes les mises à mort. Sombre XIX^e siècle, vieille, pesante guillotine, il faut peu de chose pour lui faire avouer, comme fait Marcel Schwob (dans L’Evénement du 5 février 1891), la barbarie qui la porte :

Peut-être que les siècles futurs, dans un avenir qu’on peut entrevoir, nous reprocheront d’avoir interprété d’une manière si sanglante la suppression de l’individu dans le Code ; peut-être que les deux bras rouges de la guillotine ne se dresseront plus dans un ciel plein de lumière nouvelle ; peut-être que le triangle d’acier, le garrot de fer et le fauteuil électrique paraîtront aussi barbares que les chaudières de cuivre, les tenailles, les brodequins, les poires d’angoisse, les barres de fer courbées et les marques brûlantes pour lesquelles nos temps modernes flétrissent unanimement l’ancien régime.

Car c’est la Révolution, son enthousiasme, son vertige, qui « relèvent » la guillotine, les sans-culottes battant le pavé, le vieux Paris tout hérissé d’armes et de délires, l’échafaud porté par tout l’excès, toute la démesure du peuple « poète, auteur de la pièce qu’il joue ou qu’on lui fait jouer », Mémoires d’Outre-Tombe, IX, 4. La littérature romanesque perpétue l’image de ces guillotines qui flambent. Comme elles flambent encore, ici et là, dans la tradition pittoresque de la cour des miracles, escarpes et rue Galande, fixée par Huysmans au Quartier Saint-Séverin : « A ce point de vue, le Château-Rouge, connu aussi sous le nom de la Guillotine et situé au 57 de la rue Galande, est le lieu le plus clément aux escarpes et surtout aux purotins. » Marlous, scélérats, ivrognes s’y donnent rendez-vous, s’y retrouvent entassés : « Il faut voir ce domaine de la dèche par un soir de neige ; on entre dans un four ; un énorme poêle de fonte, chargé jusqu’à la gueule, souffle dans l’immense pièce des trombes : partout, dans cette salle, des tables et des bancs sur lesquels sont jetés des paquets de hardes ; cela n’a plus de forme humaine [...]. » La Guillotine par temps de neige : ce serait un tableau signé Raffaëlli. Guillotine accueillante, chargée comme un four infernal : chaque apache qui entre est un coup de tison, avant de retomber, en paquet de hardes, sur le coin d’une table. Entre l’auberge rouge et l’ultime fripier... Telle est cette guillotine que le XIX^e siècle a fini par rendre à elle-même dans les décapitations du petit matin blême, livide, jaunissant.

36A la suite de Baudelaire, l’œuvre de Villiers de l’Isle-Adam témoigne de la situation paradoxale de la guillotine, expose ce procès. Si l’échafaud inspire un grand nombre de ses contes, si le narrateur se ressource dans la proximité de l’ancien Exécuteur des Hautes Œuvres, Villiers dénonce « le réalisme » qui conduit au funèbre appareil qu’il découvre place de la Roquette7. Guillotine à laquelle on a enlevé les marches, à laquelle on a retiré l’échafaud : « Quoi ! plus d’échafaud ?... NON. Les sept marches ont été supprimées. Signe des temps. Guillotine de progrès dont on ne se range que... comme de la courroie de transmission d’un moteur », Le Réalisme dans la peine de mort, repris dans Chez les passants. « Guillotine d’un peuple d’hommes d’affaires », « guillotine de basse-cour », « cette guillotine tombée, sournoise, oblique, dépourvue de l’indispensable mesure de solennité qui est inhérente à ce qu’elle ose, a simplement l’air d’une embûche placée sur un chemin ». La machine s’affiche dans sa vérité, terre à terre, débarrassée de tout symbole, pour s’en tenir, strictement, à la loi du meilleur rendement :

Tel individu a tué. Soit. Nous l’expédions donc à notre tour, de la manière la plus brève, la moins cruelle possible, c’est-à-dire en gens pressés, pratiques AVANT TOUT et peu soucieux du théâtral, du déclamatoire. Pour lui épargner quelques secondes d’angoisse inutiles, NOUS avons supprimé des marches d’un moyen âge aujourd’hui démodé, ce qui réduit la peine au strict nécessaire.

C’est ainsi que s’effondrent les fêtes de Carnaval. C’est ainsi que s’épuisent le mystère, toute la féérie : le Baron Von H***, rencontré à l’Opéra, n’est pas le personnage, le prince d’Orient que l’on pouvait rêver, « quelque roi des Mille et une Nuits voyageant incognito », Le Convive des dernières fêtes. Mais si, tout au long de la nuit, « sa pâleur prenait, par intervalles, des tons singulièrement blêmes – et même blafards », ce n’est pas sans jeter quelques flammes encore : « Et il me sembla, brusquement, que les cristaux, les figures, les draperies, que le festin de la nuit s’éclairaient d’une mauvaise lueur, d’une rouge lueur sortie de notre convive, pareille à certains effets de théâtre. » Ce sont là ses derniers feux : l’Opéra, ses diables, ses fastes, sa musique, est bien loin derrière nous : ce monsieur, s’écrie le narrateur après avoir reconnu la terrifiante monomanie du Baron, « ce monsieur est un simple exécuteur ». Exécuteur, exécutant, simple pièce de machine, témoignage d’une « morne barbarie », qui laisse enfin « nos trois belles interdites »... Clio, Susannah, Antonie, les trois plus belles femmes de Paris vont quitter la scène. De même que place de la Roquette où « le petit jour blanchit peu à peu l’espace, les choses, les silhouettes » (Le Réalisme dans la peine de mort), où les silhouettes elles-mêmes sont toutes effacées, – le dandy reste seul. Il observe l’éteignoir de la guillotine couvrant la Maison d’Or : « Le petit jour livide teintait les vitres, les bougies jaunissaient, le feu s’éteignait. »

37Dans la mélancolie grinçante d’une machine désenchantée.

38Tel sera donc jusqu’au bout le destin de Baudelaire, scellé par les Goncourt, en compagnie d’un graveur. Poésie et gravure mêlées, portant la même griffe : « La folie de l’écrivain, de l’artiste – voyez Méryon, Baudelaire – le surfait une fois mort ; elle fait monter leurs oeuvres, comme la guillotine fait monter l’écriture des guillotinés dans les catalogues d’autographes », Journal des Goncourt, 12 janvier 1869. Au-delà de l’envie, du dépit que trahit le jugement des Goncourt, Baudelaire lui-même n’a cessé de le répéter tout au long de sa vie, dans ses lettres à sa mère, dans ses lettres à Ancelle : Les Fleurs du Mal se vendront ! elles se vendront longtemps, mais après sa mort... L’œuvre désormais prend son essor. La guillotine a tranché.