1. Les folles années du sport féminin
p. 25-43
Texte intégral
1Jusqu’à la guerre 14-18, la femme a été la « grande absente1 » de l’histoire du sport. Bien sûr, plusieurs grandes figures féminines jalonnent les siècles : dans l’Antiquité (Atalante, Cyrène, les Amazones, les Sarmates), au Moyen Âge (Jeanne d’Arc, Marguerite de Provence, Guiraude de Lavaur, Jeanne de Montfort ou Louise Labbé)2, dans les temps modernes (Marie Paradis, la duchesse d’Uzès ou Lucy Fleury)3, mais le conflit mondial a constitué une vraie rupture en ce domaine. Pour la première fois, une poignée de femmes accèdent à des pratiques sportives jusqu’alors non autorisées (athlétisme, football, rugby, hockey sur gazon, hazena), et réalisent des performances aussi remarquables que celles des hommes. Pour les pionniers, le mouvement devient crédible et appelle la création d’institutions capables de le soutenir. Les avancées sont alors exceptionnelles, notamment avec la mise en place de compétitions locales et nationales, de rencontres internationales et de Jeux olympiques spécifiquement féminins. Pour autant, l’euphorie est de courte durée : dès le début des années 1930, les actrices du sport féminin doivent redoubler d’efforts pour lutter contre l’exclusion, la marginalisation et la misogynie, dues au retour d’un certain conservatisme. Elles assistent peu à peu, impuissantes, à ce déclin relatif. À partir de là, on peut se demander dans quelle mesure ces sociétaires ont impulsé un changement dans les mentalités et si elles pouvaient vraiment prospérer sans le soutien des fédérations masculines. Après avoir dressé un panorama des pratiques sportives féminines, nous essaierons de répondre à ces questions en parcourant les grandes étapes de la création et de l’extinction de la fédération sportive féminine.
Panorama
2Il existe bien des différences entre l’haltérophile et la patineuse, la palestrienne et la golfeuse, l’athlète et l’aviatrice. Afin de mieux cerner cette diversité du sport féminin, il convient d’en présenter, au-delà de la simple énumération d’activités, de pratiquantes et de figures emblématiques, un véritable tableau synoptique. Pour ce faire, l’approche du sociologue Christian Pociello est particulièrement intéressante dans la mesure où il distingue cinq « fonctions » principales structurant le « champ sociosportif français4 » : « intégrative et fédérative » (les institutions sportives), « spectaculaire et médiatique » (spectacles et événements générateurs d’émotions), « éducative et scolaire » (l’école, les patronages, les mouvements de jeunesse), « consommatoire » (centres d’entraînement, articles, vêtements, diététique) et « ludique » (le loisir, l’aventure, l’innovation).
3L’institution la plus représentative de la « fonction intégrative et fédérative » dont parle Pociello est évidemment le Comité international olympique (CIO), et les chiffres qu’il donne de la participation des femmes aux différents Jeux, sont un excellent indicateur de l’état d’avancement de leur statut sur le plan international. Entre les Jeux d’Anvers, en 1920, et ceux d’Amsterdam, en 1928, leur nombre passe de 2,53 % à 10,63 % du nombre total d’athlètes engagés. Deux olympiades, en somme, au cours desquelles l’évolution des mentalités, perceptible dans tous les secteurs de la vie sociale (le combat des suffragettes, l’augmentation du nombre d’associations féministes, l’accès grandissant des femmes à l’université, etc.), se répercute dans le champ sportif. Ce changement s’explique certes par les effets du conflit pendant lequel les femmes ont acquis une plus grande indépendance, mais aussi par l’abandon de la présidence du CIO par Pierre de Coubertin. Dès les premiers Jeux de l’ère Henri de Baillet-Latour (son successeur), les femmes accèdent, s’ajoutant aux disciplines qui leur sont déjà ouvertes, à l’athlétisme et à la gymnastique. Ce virage fait également suite au long combat mené en ce sens depuis le milieu de la guerre par les dirigeants du sport féminin. Si les sports se pratiquent d’abord dans les sections féminines de certaines fédérations masculines ou dans les sociétés de gymnastique, le besoin de créer une Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF), puis une Fédération sportive et féminine internationale (FSFI), se fait très vite sentir. Dans ce contexte, la natation féminine fait figure d’exception. Cantonnée jusque-là à Paris (l’Ondine de Paris, les Mouettes de Paris) et à Lyon (l’Ondine), elle connaît un développement considérable avec la création de la Fédération française de natation et de sauvetage (mixte) ; à la fin des années 1920, la France peut même se réjouir d’avoir une grande championne, Yvonne Godard, seule femme (avec l’escrimeuse Jeanne Vidal) à la représenter aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1932. Enfin, cette évolution olympique résulte des victoires internationales de grandes championnes dans les sports où la pratique féminine était acceptée depuis longtemps (le tennis, le ping-pong, le golf, l’escrime, le patinage ou l’équitation). Les Norvégiens rendent grâce à Sonja Henie, une patineuse exceptionnelle dont on compare les sauts au vol d’un « oiseau vivant5 », les Hongrois saluent les victoires de Maria Mednyanszky aux championnats du monde de tennis de table de 1926 à 1931, les Français s’enorgueillissent d’avoir, outre Suzanne Lenglen en tennis, une championne de golf en la personne de Simone Thion de la Chaume, révélée à seize ans lorsqu’elle s’imposa dans le British Girls’ Championship en 1924, et qui domina largement le circuit international en 1927, etc. En assurant une vraie notoriété à leur fédération et à leur nation, ces championnes font évoluer l’image de la femme et confortent sa présence aux Jeux olympiques.
4La « fonction spectaculaire et médiatique » se caractérise dans un premier temps par l’ensemble des sportives dont la presse, spécialisée et généraliste, s’est emparée. On pense aux succès de Suzanne Lenglen, aux exploits des aviatrices Maryse Hilsz et Adrienne Bolland, aux performances des championnes olympiques, aux évolutions athlétiques des Gertrude Hoffmann Girls, ou aux prouesses de certaines tireuses telles que la pétulante et expansive Suzanne Catherineau, championne du monde au tir à la carabine de 50 m en 1924. Cette fonction se définit dans un deuxième temps par rapport aux exhibitions de femmes dans des disciplines visant à produire des excitations particulières sur les spectateurs. Par exemple, les culturistes qui intriguaient le public au début du siècle, et dont le professeur Desbonnet a fourni maintes photographies dans son ouvrage Pour devenir Fort… et le Rester6, séduisent toujours dans les années 1920 comme le prouve la célébrité de Mlle Rigoulot. On apprécie également de voir ces femmes, à moitié nues, s’agripper, se tirer les cheveux ou se taper dessus. Aussi, rien d’étonnant à ce que l’Américaine Mercereau et l’Allemande Henflen se partagent les têtes d’affiches des spectacles de lutte : la première, prétendue « championne mondiale féminine de lutte », avait proposé en 1927 mille dollars à l’homme qui la « tomberait » en moins de dix minutes ; la seconde, en 1932, parvint à battre l’athlète Koernig en trois minutes7. Ces spectacles, stimulés par un imaginaire masculin comme l’explicitent les dessins de Kuhn-Régnier pour La Vie parisienne, étaient montés la plupart du temps par des matchmakers anglo-saxons. Enfin, on peut citer la diabolique Violette Morris, véritable amazone devenue célèbre en défrayant la chronique. En adoptant une posture masculine, en pratiquant des sports connotés comme la boxe, la lutte, l’athlétisme, le rugby, l’haltérophilie et les sports mécaniques, et en ayant des attitudes vulgaires (gifler un juge de touche, boxer un spectateur, malmener un chronométreur, s’exhiber dans les vestiaires, « engueuler » publiquement un dirigeant de course, etc.)8, elle a considérablement nui à la cause sportive féminine. C’est du moins le point de vue de Marie-Térèse Eyquem :
À vrai dire, parmi celles qui, les premières, osent braver l’opinion publique et jeter l’effroi dans leur famille, à côté de charmantes jeunes filles comme Jeanne Brulé qui deviendra, modeste, timide, mais animée par la foi, une des plus merveilleuses animatrices du sport féminin français et qu’attire le côté éducatif du sport, se trouvent quelques écervelées, agitées, exaltées, ne voyant dans le sport qu’une occasion de bagarre, puis le prétexte à compétitions tapageuses9.
5Les dirigeantes de la Fédération féminine n’hésiteront pas à la radier à la première occasion, et l’affaire se conclura devant les tribunaux.
6La fonction « éducative et scolaire » renvoie, pour sa part, aux exercices physiques et aux jeux sportifs dispensés au sein de l’institution scolaire ou dans le cadre des mouvements affinitaires. Au même titre que les garçons reçoivent une formation physique à l’école, les jeunes filles suivent, selon une « spécificité de fragilité10 » bien définie par le législateur, des cours d’éducation physique. Dans les Instructions du 20 juin 1923, relatives aux programmes des écoles primaires élémentaires, il est mentionné la chose suivante :
Il appartient aux institutrices de choisir les jeux et les mouvements les mieux adaptés au sexe féminin, ceux qui donnent de l’agilité et de la grâce plutôt que ceux qui donnent de la force. Toutes les fois que ce sera possible, on aura soin, dans les écoles de filles, d’associer la musique à la gymnastique.
7Ainsi, les textes officiels soulignent l’importance que l’instituteur doit accorder, en plus de la séance de gymnastique suédoise, à la danse et à la gymnastique rythmique. Quant aux mouvements affinitaires, qu’ils soient politiques, religieux ou professionnels, leurs pratiques sont diverses et variées. Le Rayon Sportif Féminin, la section féminine de la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France (FGSPF) créée en 1919, valorise les valeurs de l’esprit catholique dans la lignée des idées progressistes de saint Vincent de Paul. Pour ce faire, les jeunes femmes pratiquent des activités physiques dosées et « respectueuses de la place de la femme dans la société et dans l’Église11 » : la danse, la gymnastique et quelques jeux traditionnels collectifs. L’Union française des œuvres laïques d’éducation physique (UFOLEP), une filiale sportive de la confédération des œuvres laïques, défend, elle, la laïcité et la démocratie par l’enseignement d’un véritable sport éducatif. En regroupant des sociétés scolaires et post-scolaires masculines, féminines et mixtes, elle joue le rôle d’interface entre les fédérations sportives et l’Éducation nationale. En ce qui concerne le sport scolaire et universitaire, les jeunes femmes peuvent y adhérer et participer aux compétitions sportives du jeudi après-midi, en prenant néanmoins un certain nombre de précautions. Pour éviter tout débordement ou manifestation de cabotinage, les lycéennes doivent être, comme le précise une circulaire en date du 2 mai 1923, « accompagnées de chaperons en nombre respectable » et jouer, dans la mesure du possible, « sur des terrains clos de murs à l’abri des regards ». Côté tenue, il va sans dire qu’elles doivent prévoir une jupe courte « nullement gênante » et un corsage uniforme12. Cela est particulièrement valable dans l’enseignement catholique où les directrices des établissements secondaires féminins sont soumises au contrôle strict des diocèses. Enfin, la Fédération sportive du travail (FST), un organe de la CGT s’occupant du sport ouvrier, fait place à une figure atypique : « la sportive rouge13 ». En effet, puisque l’idéologie marxiste permet à la femme d’obtenir l’égalité des droits, de travailler et de disposer de temps libre grâce à l’organisation de la collectivité par l’État, rien ne s’oppose à une pratique mixte des activités sportives – par opposition aux fédérations dites « bourgeoises » qui ont choisi de séparer les hommes des femmes. Marianne Amar précise néanmoins que le poids d’une certaine tradition demeure au sein de la FST, les mesures prises lors des réunions du comité directeur étant parfois paradoxales. Dans ces mouvements affinitaires où les uns et les autres défendent leurs convictions, le caractère éducatif prime sur le choix des activités physiques et sportives. Il s’y produit même des tensions entre les organisations que révèle admirablement le roman de Jean Lestrac, Jacques Mornève. Gymnaste de la « Jeune Garde ».
8La « fonction consommatoire » peut se caractériser par l’ensemble des « biens et services14 » liés au marché de la culture physique. Les rondeurs d’autrefois laissent place à une silhouette plus longiligne et athlétique qui s’accompagne, surtout depuis l’apparition des premières « Miss » en 1921, du développement d’une « industrie de la beauté15 ». Cela dit, la femme n’étant « point construite pour combattre mais pour procréer » comme l’affirme le docteur Boigey en 192516, la compétition sportive est évidemment à proscrire : elle pourrait mettre en péril « l’organe utérin ». Aussi, faut-il laisser le soin aux professionnels d’encadrer ces jeunes femmes, dans les centres et sociétés spécialisés où les éducateurs savent alterner les exercices de marche, les jeux de raquette, le saut à la corde, la natation et la gymnastique. À côté de la Palestra de Georges Hébert, plusieurs écoles sont proposées aux familles : la gymnastique rythmique de Jacques Dalcroze, la gymnastique harmonique d’Irène Popard et la méthode hellénique de Raymond Duncan.
9Pociello fait correspondre la « fonction ludique » aux « projets de loisirs épanouissants ou compétitifs, créatifs ou récréatifs, transgressifs ou de libre activité17 ». De ce point de vue, on pense essentiellement aux activités de pleine nature et aux sports d’aventure : le camping, le guidisme, le cyclotourisme, les sports équestres, les sports nautiques (aviron, canoë, kayak, yachting), les sports de montagne (alpinisme, ski, randonnée) et les sports mécaniques (conduite automobile, motocyclisme, aviation). Certaines femmes sont remarquables : Antoinette Rocheux en aviron, Alice Damesme en alpinisme, Maryse Bastié en aviation, Virginie Hériot en voile, Gertrude Ederle en natation de marathon, Justine Tibesav en motocyclisme, etc. D’ailleurs, les Anglaises ont largement contribué au développement de cette dernière discipline en créant un Ladies’ Motorcycle Club et en organisant des défis surprenants comme celui de Miss Zetta Hills qui, en 1920, essaya de traverser la Manche sur une motocyclette équipée de flotteurs spéciaux. Enfin, parmi les sports estivaux, on commence à pratiquer le ski nautique dans les lieux de villégiature. En 1923, Le Petit Journal illustre ainsi sa première page par deux femmes pratiquant cette activité, dont le commentaire est saisissant :
Monter sur un étroit radeau comme le font ces jeunes filles, et se faire remorquer à toute vitesse par un canot automobile, c’est se donner la délicieuse impression du risque18…
10Ce panorama, sans être complet, donne un aperçu de la diversité du sport féminin entre 1919 et 1933. Cela dit, le fait le plus marquant de ces années qui a intrigué bon nombre d’écrivains reste sans conteste les exploits des sociétaires de la fédération sportive féminine.
Un élan sans précédent (1917-1922)
11Maurice Huet esquisse, dans Atalante, le portrait d’une jeune sportive grecque, Marika, dont le héros ne tarde pas à tomber amoureux. Lors de leur première rencontre, il se présente comme un sportif envoyé par son club pour vérifier et homologuer les records de Milon de Crotone, l’un des plus célèbres athlètes de la Grèce antique. Marika lui répond :
Moi, je fais partie d’Academia, des Ondines de Longchamp et des Muguettes de Charenton… Je « trace » les 80 mètres en 11’ 2/5 et possède le record grec féminin des 100 mètres nage libre19 !
12La référence à ces clubs féminins montre, au moment de l’écriture de cette nouvelle en 1924, la popularité acquise et le chemin parcouru par le mouvement sportif féminin, notamment depuis la création de la première section féminine de gymnastique en 1900. Le saut décisif en la matière remonte au dimanche 2 mai 1915 avec l’ouverture, au stade Brancion, de la première compétition interclubs d’athlétisme et de basket entre Femina Sport (le premier club sportif féminin fondé en 1912 par Pierre Payssé) et Academia (créée par Gustave de Lafreté en 1915). Coup d’envoi d’une longue série de compétitions, celle-ci suscite dans les mois suivants des rencontres plus régulières qui conduisent les organisateurs, en juillet 1917, à mettre en place les premiers championnats de France. Térèse Brulé et Suzanne Liébrard, les deux grandes championnes dont on comparait la polyvalence à Géo André (le meilleur athlète français), y établissent chacune quatre records de France. Ce succès auprès du public et l’enthousiasme qu’il provoque chez les participantes, permettent à Pierre Payssé et Albert Pélan (responsable d’En Avant) de fonder, après un échec avec l’Union française des sociétés de gymnastique féminine (UFSGF), la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF) – bientôt rejointe par Academia et l’Union sportive Voltaire. L’hostilité du milieu sportif reste forte cependant et Alice Milliat (1884-1957)20, la trésorière, sait combien le temps est compté. Avec ses collaborateurs, elle décide d’accélérer les choses en organisant une première épreuve de cross-country féminin, le dimanche 28 avril 1918, à Chaville21 ; elle est soutenue par les deux principaux journaux sportifs du moment, L’Écho des Sports et L’Auto, qui dressent la liste des quarante-deux engagées avec leur appartenance associative. Endossant une tenue jugée indécente par beaucoup – short et maillot –, elles se lancent à 15 h 30, sous le regard « de parents, d’officiels, de supporters, de curieux, de dames en chapeau à plumes et de messieurs en chapeau melon22 », dans une course de 2400 m à travers bois. La gagnante, Anne de Tinguy, l’emporte en 9’ 58” devant la petite Lulu, Lucienne Laudré, qui n’a que onze ans et demi. Présente sur la ligne d’arrivée pour les féliciter, Alice Milliat voit son rêve se concrétiser : une grande aventure commence alors pour les actrices du sport féminin.
13Avec le soutien de Pierre Payssé, Alice Milliat prend la présidence de la FSFSF le 10 mars 1919. Sportive accomplie23, membre actif de Femina Sport avant-guerre et trésorière de la fédération, elle avait toutes les qualités pour en prendre les rênes. C’est aux alentours de 1904, sans doute pour suivre en Angleterre son futur mari, Joseph Milliat, que cette institutrice de profession s’est frottée à la modernité sportive et s’est rendu compte des difficultés institutionnelles qu’elle rencontrait24. Forte de cette expérience, la première de ses actions consiste à lutter contre les résistances en développant un réseau suffisamment solide pour accueillir le maximum de jeunes femmes. Car si la classe moyenne éprouve encore certaines répugnances devant les manifestations sportives féminines, les esprits traditionnels de la vieille société française, habitués à voir des représentations de gymnastique ou de danse, sont quant à eux effarés de découvrir ces filles du peuple lancer le javelot ou le disque, sauter, courir, jouer au football ou au rugby – et un peu plus tard faire du cyclisme pour devenir des « géantes de la route25 ». Les filles de Femina Sport jouent un rôle déterminant dans cette aventure en participant, lors de leurs tournées en province, aux compétitions organisées par les comités régionaux et stimulant ainsi la création de nouvelles sociétés. En outre, pour promouvoir ses idéaux, la fédération se dote en 1921 d’un organe de presse La Femme Sportive, rebaptisé Sportives l’année suivante. Les difficultés d’édition étant réelles, on comprend mieux la raison pour laquelle la rédaction remercie, dans son numéro 2, le soutien de nombreux journaux, dont L’Auto, l’Écho des Sports, Le Sportif et L’Intransigeant. En quelques mois, le vœu d’Alice Milliat se réalise puisque nombre de clubs, sociétés et sections s’ouvrent progressivement à Paris, en province et en Afrique du Nord (Algéria Sport, Le Ralliement-Mustapha, Femina-Sport de Constantine, La Bravoure de Bougie, La Patriote de Guyotville) ; les effectifs augmentent en outre incroyablement vite, cent trente et une sociétés ayant adhéré en 192226 contre seulement quatorze en 192027.
14Face au succès de cette fédération qui, pour renforcer son autonomie vis-à-vis des fédérations masculines change de nom en 1922 (elle devient la Fédération féminine sportive de France), les autres fédérations féminines sont amenées à faire alliance pour éviter de disparaître. Ainsi, la Fédération française féminine des sports athlétiques (FFFSA), ancien comité directeur des sports féminins de l’Union sportive française des sports athlétiques (USFSA), tout juste éclatée en fédérations autonomes, fusionne avec la Fédération féminine française de gymnastique et de sport (FFFGS) pour fonder, en 1922, la Fédération française féminine de gymnastique et d’éducation physique (FFFGEP). Bien que leurs finalités et leurs méthodes soient différentes, cette alliance leur permet de continuer à exister.
15Pendant ce temps, Alice Milliat poursuit son combat sur la scène internationale en s’attaquant au problème épineux de la présence des femmes aux Jeux olympiques. Sachant qu’il existe déjà des épreuves féminines comme le tennis, le tir à l’arc et la natation, elle souhaite à tout prix y faire admettre l’athlétisme féminin ; et ce d’autant plus que le mouvement est en marche à travers le monde, des foyers se développant en Europe, aux États-Unis et en Asie. Face au silence de l’International amateur athletics federation (IAAF) et du Comité international olympique (CIO), Alice Milliat décide d’organiser à Monaco, en mars 1921, une première manifestation internationale communément appelée « Olympiade de la grâce28 ». Cinq nations répondent à l’invitation et se retrouvent sur le terrain de Tir au pigeon : la Suisse, la Grande-Bretagne, la Norvège, l’Italie et la France. Les Françaises ont des résultats plus qu’honorables avec les victoires de Violette Gouraud-Morris au poids et au javelot, Frédérique Kusel en hauteur, Germaine Delapierre sur les haies et Lucie Bréard au 800 m. C’est une grande réussite qui permet à Alice Milliat d’entrevoir la suite des opérations – il y aura deux autres éditions en 1922 et 1923 – et de promouvoir notamment la création de la Fédération sportive féminine internationale (FSFI). Évoquant la question des records féminins, Émile Anthoine fait une suggestion dans La Femme Sportive du 1er juin 1921 :
[…] une liste des records du monde s’impose. Qui la fera ? Mais une Fédération féminine internationale. Qui la créera ? Où sera son siège ? À Londres, Stockholm, New York ou Berlin ? À Paris, tout simplement, et c’est à la FSFSF, la plus ancienne, la plus vivace des Fédérations françaises féminines sportives et la grande rivale de la Fédération allemande, que revient l’honneur de créer cet organisme.
16Pour ce faire, elle réunit le 31 octobre 1921 à Paris, au 14 boulevard des Italiens, plusieurs délégations étrangères. Les statuts sont alors discutés, article par article, ainsi qu’un premier règlement technique qui définit les différentes épreuves et enregistre les premiers records. Aucun président n’est désigné lors de ce premier congrès, mais la Française, obstinée, finit par prendre les commandes lors du deuxième congrès, en août 1922, dans un salon du quotidien Le Journal. Elle installe alors le siège social à son domicile – 3 rue de Varenne – , et réitère sa demande auprès du CIO pour l’admission des femmes aux épreuves d’athlétisme des Jeux officiels29. Le refus de Pierre de Coubertin, catégorique, ne se fait pas attendre. Elle décide en conséquence, en accord avec les autres membres de la FSFI, d’organiser à Paris les premiers « Jeux olympiques féminins ». Ceux-ci ont lieu précisément le dimanche 20 août 1922, à l’endroit même qui avait été trois ans auparavant le théâtre des Jeux interalliés : le stade Pershing. C’est une grande victoire du mouvement dont Alice Milliat se réjouit :
La France a l’honneur d’avoir été à l’avant-garde du mouvement et elle peut être fière du résultat de la propagande faite par elle tant sur le sol national qu’à l’étranger. Ces premiers Jeux olympiques féminins, qui étaient bien loin de la pensée de chacun il y a un an, sont aujourd’hui réalisés30…
Le temps des rencontres (1922-1928)
17Les années qui suivent la création de la fédération sportive féminine sont relativement fastes, le nombre des rencontres sportives et leur diversité ne faisant que croître. On peut les répartir en trois grandes catégories : les rencontres interclubs au niveau local ou national, celles opposant la France aux autres nations dans des sports collectifs et, enfin, les olympiques où chaque nation défend ses couleurs dans les disciplines principalement athlétiques.
18Si l’organisation des épreuves reste liée au sport pratiqué et au type de compétition choisie, les dirigeantes de la fédération se réservent néanmoins le droit d’orienter les formules compétitives. Elles souhaitent en effet proposer au public un jeu de qualité, sans lequel le mouvement serait vite discrédité. Par exemple, le hockey sur gazon est problématique puisque seulement vingt équipes se sont officiellement déclarées auprès de la fédération en 1926, et aucune n’affiche de réelle préparation ni de stratégie particulière, à l’exception du Racing Club de France dans lequel joue Paulette de Croze, le grand nom du hockey féminin français. En revanche, en football, il y a un tel nombre d’équipes qu’on peut organiser plusieurs formules : le championnat de Paris, le championnat de France, la coupe de France, la coupe La Française, la coupe de l’Espérance, etc. De ce point de vue, comme le précise Laurence Prudhomme-Poncet dans son Histoire du football féminin, la Fédération féminine n’a pas fait preuve d’une grande imagination en « s’inspirant du modèle masculin », même si elle a été amenée, ici ou là, « à quelques particularismes31 ». On compte ainsi, en 1922, dix-huit équipes engagées dans le championnat parisien (Academia, La Clodo, Olympique, les Fauvettes d’Argenteuil, les Muguettes de Charenton, Parisiana, etc.) et, en 1924, douze clubs parisiens et trois provinciaux pour la coupe La Française32. De plus, la fédération organise des championnats régionaux dans plusieurs villes dont Caen, Rouen, Tourcoing, Strasbourg, Lyon, Nice, Nantes et Rennes. Il en est de même dans les autres activités, mais dans une moindre mesure, notamment en barette, dont la mise en place juste après la guerre à Femina Sport (par André Theuriet et Marie Houdré) permet à Marguerite Curabet, Mathilde Robin et Yvonne Tambouret d’affronter les Cadettes de Gascogne, les Hirondelles et Nova Femina. Côté basket, cinq ans après la création des premières équipes, certaines manifestent déjà une nette supériorité dans le championnat de France : L’AS Strasbourg, le Golf-Club Féminin de Paris et le Racing Club de France.
19Jusqu’à présent, les rencontres sportives internationales étaient réservées aux équipes masculines. Pour les dirigeants des fédérations sportives comme pour les gouvernements, on voyait là l’occasion de stimuler le patriotisme tout en rapprochant les peuples. Pour preuve, il suffit de rappeler ce match d’anthologie où l’équipe de France de football remporta sa première victoire face à l’Angleterre au stade Pershing, le 5 mai 1921 : des milliers de spectateurs portèrent en triomphe leurs héros. En accédant au stade, les femmes commencent elles aussi à devenir les porte-parole de leur nation, même si la première rencontre de football féminin entre la France33 et l’Angleterre, en 1920, fut organisée au profit d’œuvres de bienfaisance. En hockey sur gazon, la première rencontre internationale des Françaises se fait contre les Anglaises à Londres, en 1923, où elles sont battues à plate couture sur le score de 23 à 0. À cette occasion, la science des joueuses britanniques émerveille le président de la Fédération française de hockey, notamment par leur cohésion, leur compréhension du jeu et leur respect des rôles à tenir sur le terrain34. En basket, c’est le 20 novembre 1927, sur le stade Pelleport à Ménilmontant, que la France dispute son premier match international et le gagne en battant le Luxembourg par 22 à 535. Quant au handball, à l’époque on parlait de « balle au but » ou de hazena (jeu national tchèque), c’est en 1923 que l’équipe de France se déplace pour la première fois à l’étranger, en Tchécoslovaquie, pour une série de rencontres. Comme le montrent ces exemples, les premières confrontations internationales en sports collectifs s’organisent et donnent lieu dès 1922 à des rencontres régulières. Le dynamisme du sport féminin et le bon fonctionnement de ses réseaux à l’échelle internationale sont désormais des réalités.
20Deux manifestations olympiques féminines marquent cette période faste : Paris en 1922 et Göteborg en 1926. Les premiers Jeux olympiques de 1922, sous la présidence d’Henry Paté, haut commissaire de l’Éducation physique, sont un vrai succès avec la participation de trois cents femmes venues de cinq nations (Suisse, Grande-Bretagne, Tchécoslovaquie, États-Unis, France) et la présence de douze à quinze mille spectateurs, selon l’estimation des journaux. Les performances sont au rendez-vous, bien que, côté français, seule Lucie Bréard remporte un titre. Quatre ans plus tard, à Göteborg et sous le patronage de Gustav Adolf, le prince royal, c’est une véritable consécration : l’organisation est parfaite et l’ambiance chaleureuse. Du 27 au 29 août 1926, dans le petit stade de Slottgotswallen, sont présentes huit nations (France, Grande-Bretagne, Belgique, Suède, Tchécoslovaquie, Japon, Pologne, Lettonie) et plus de participantes qu’à Paris : le dimanche 29, environ huit mille spectateurs soutiendront les athlètes36. Marguerite Radideau par sa double victoire au 100 yards et au 60 m ainsi que Mlle Bonz par celle au saut en hauteur avec élan, élèvent les couleurs françaises dans une compétition d’un niveau relevé où la Japonaise Kinuye Hitomi, qui réalise un doublé au saut en longueur sans élan (2,49 m) et avec élan (5,50 m), est récompensée en personne par Alice Milliat.
Le déclin (1928-1933)
21Si la période 1922-1928 est propice au développement du sport féminin, rapidement se profile, derrière des réticences conservatrices de plus en plus vives, le spectre du déclin. Trois éléments l’annoncent : la perte d’autonomie de l’athlétisme olympique, l’abandon du football par la FFSF, sport ô combien symbolique, et la désagrégation des institutions.
22En 1928, le président de l’IAAF, Sigfrid Edström, propose aux femmes de participer aux Jeux olympiques d’Amsterdam dans cinq épreuves d’athlétisme, contre treize disputées aux derniers Jeux féminins (100 m, hauteur, disque, 4 x 100 m, 800 m). Il souhaite également signer un accord avec Alice Milliat pour rapprocher les deux fédérations, notamment en ce qui concerne les règlements techniques officiels. Cette décision, faisant suite au succès des Jeux de Göteborg, peut sonner comme une victoire pour celles qui revendiquent depuis longtemps l’accès aux JO. Il n’en est rien. La présidente a bien compris qu’il s’agit là d’une « habile manœuvre37 » de l’IAAF pour prendre le contrôle de leur fédération, et expose son point de vue lors du congrès de la FSFI qui se tient à Paris, le 26 décembre 1926. Loin d’être sensibles à cette mise en garde, les membres du comité, y voyant une belle occasion, acceptent l’offre du Suédois.
23Alice Milliat a-t-elle prévu les fâcheuses conséquences qu’implique une telle participation ? Tout porte à le croire, car, lors de ces Jeux d’Amsterdam, une polémique s’installe à la fin du 800 m. La finale s’annonçait des plus prometteuses puisque la plupart des spécialistes de la discipline étaient présentes et que, pendant les séries, le record du monde avait été battu à deux reprises. Dans une course très serrée, au train soutenu, l’Allemande Lina Radke l’emporte magnifiquement devant la Japonaise Hitomi, en 2’ 16” 8/10 – nouveau record du monde. Pourtant, à l’arrivée, une concurrente s’écroule de fatigue. Le lendemain, plusieurs journaux dont le Daily Mail reviennent sur l’incident en évoquant le côté inhumain de l’épreuve. Les images de la course et le témoignage de Florence McDonald38, l’une des participantes, ne montrent rien d’alarmant, sinon un état de fatigue tout à fait normal après un tel effort. Pour autant, faisant abstraction de cette évidence comme des dix années écoulées sans aucun incident, l’IAAF décide de retirer le 800 m du programme féminin. Cette anecdote révèle bien la volonté d’Edström d’enfermer l’athlétisme féminin « dans un carcan39 », lequel a bien failli d’ailleurs se refermer sur d’autres disciplines.
24L’abandon du football par la FFSF constitue un deuxième élément annonciateur du déclin. Apparu en 1917 à Femina Sport, la même année que la création de la FSFSF, le football a toujours été une activité phare, et ce jusqu’au jour où le nombre de joueuses a commencé à décroître, tout d’abord en province puis à Paris. Au début de la saison 1928, rares sont les équipes parisiennes à se présenter au complet40. Par la suite, le constat établi par L’Auto sur les équipes dissoutes ou qui ne participent plus au championnat41, devait être sans appel. Malgré les efforts de certaines, la fédération annonce logiquement, le 24 mai 1933, l’abandon du football. Trois raisons principales peuvent expliquer cette défection des joueuses. Considéré d’une part comme un jeu violent et traumatisant, le football est une cible privilégiée pour les traditionalistes. Soutenus par la communauté médicale, ils lui préfèrent nettement le basket-ball, sorte d’« anti-football42 », qui a l’avantage d’être attrayant sans pour autant nuire à la féminité. D’autre part, le football est victime des restrictions budgétaires de la fédération, les subventions allouées par l’État fondant comme neige au soleil. En deux ans, de 1926 à 1928, elles passent de 60 000 francs à 20 000 francs. La secrétaire générale de la FSFS, Mme Lecoq-Carloni, le déplore :
Croit-on qu’avec 20 000 F on peut organiser le sport dans toute la France ? Et pourquoi cette diminution alors que chaque année, des milliers de francs sont alloués à des clubs ou des sociétés n’existant qu’à l’état de fantômes ? Le gouvernement sur ce point, encourage bien mal le sport chez la femme43 !
25Bien que la fédération décide de faire des économies, notamment en déplaçant ses bureaux du faubourg Montmartre à la rue de la Sourdière et en réduisant les journées de championnat, elle n’arrive plus à financer les compétitions. Enfin, la question des stades demeure problématique pour la plupart des sociétés sportives, car à l’exception de Femina Sport, aucune d’elles ne possède de terrain propre. Les dirigeants des clubs masculins leur refusant très souvent l’accès au stade, les jeunes femmes ont de plus en plus de mal à trouver un terrain de jeu, ce contre quoi s’insurge la doctoresse Marie Houdré-Boursin :
[…] combien de fois n’ai-je pas vu des sportives s’en aller jouer au ballon ou faire de l’athlétisme sur une prairie pelée, parsemée de cailloux ou de tessons de bouteille, sans clôture, avec pour tout vestiaire une salle prêtée par un bistrot voisin44.
26Un troisième élément expliquant le déclin du sport féminin est la désagrégation des institutions. Dix ans après l’éclatement de l’USFSA45, une fédération omnisports comme la fédération féminine ne peut plus gérer efficacement tous les sports. En outre, deux tendances sont en lutte au sein de la fédération sportive féminine, l’une défendant un sport de compétition, l’autre un « sport édulcoré46 ». En prenant la succession d’Alice Milliat, Mlle Le Grand change l’orientation. Dans la ligne des idées de la FFFGEP, elle tente de minimiser les pratiques trop masculines ou dangereuses pour la santé comme le cyclisme, les sports athlétiques ou les sports de grand terrain, pour valoriser davantage l’éducation physique, la natation et le basket-ball. C’est une véritable différence de conception qui oppose les deux femmes. L’affrontement a lieu le jour où la FFSF décide de ne pas envoyer l’équipe de France de basket pour une rencontre prévue avec l’Italie. Furieuse, Alice Milliat, alors présidente de la FSFI, envoie une lettre au ton très dur à Mlle Le Grand : « Quand cesserez-vous de saboter le sport féminin en France et le bon renom de la France à l’étranger47 ? » Mlle Le Grand, ne supportant pas cet outrage, démissionne le 25 avril 1930 et s’en explique, le lendemain, dans les colonnes de L’Auto : « Ou l’extension des bienfaits du sport au plus grand nombre de nos compatriotes, ou la politique stérilisante et mortelle des performances et des compétitions ». Cette rupture ne fait que confirmer les propos que R. Moyse avait tenus dans L’Auto, deux ans auparavant :
[…] la FFSF traverse actuellement une très mauvaise période, subissant à nouveau, une crise sérieuse de direction. Les récentes polémiques et critiques émises de toutes parts, nos échecs aux Jeux olympiques d’Amsterdam, et le récent fiasco des dernières réunions de la saison confirment l’opinion générale, que le marasme règne actuellement au sein de la FFSF48.
27Les querelles d’idées et de personnes entachent considérablement la notoriété et la respectabilité de la fédération féminine. Si l’on ajoute à cela la baisse catastrophique du nombre des licenciées, l’abandon de plusieurs sports, les procédures judiciaires en cours et les dettes accumulées, notamment pour édifier un stade fédéral aux portes de Paris, on comprend pourquoi sa dissolution sera prononcée en mai 1936. Deux ans après, pour des raisons du même ordre, ce sera autour de la FSFI.
***
28Le mouvement sportif féminin a connu un grand succès national et international au cours des années 1920, puisque l’on compte, à côté des rencontres interclubs et des matchs internationaux, des Jeux olympiques féminins (Paris en 1922, Göteborg en 1926, Prague en 1930 et Londres en 1934), l’entrée de l’athlétisme aux JO officiels en 1928 et de nombreux meetings comme ceux de Monaco et de Florence. Par leur audace et leur capacité d’organisation, ces actrices du sport féminin (dirigeantes, secrétaires, capitaines, joueuses, etc.) n’ont pu qu’inspirer le respect à des écrivains tels que Henry de Montherlant, Louis Aragon, Robert Dieudonné, Maurice Huet et Marthe Bertheaume. Rien d’étonnant alors à ce que l’auteur d’Atalante, décrive son héroïne en ces termes : « Vêtue d’une tunique de gaze, je la vois lancer le poids comme Mme Gouraud-Morris, plonger dans l’onde glauque telle Suzanne Wurtz ; et, nouvelle Nausicaa, placer à Lenglen des balles insaisissables49 ». Mais une véritable autonomie du sport féminin était-elle possible ? À l’heure où éclate l’USFSA, où le krach boursier de 1929 commence à avoir des effets structurels, comme la montée du chômage dont les femmes sont les premières victimes50, où l’idéologie de l’éternel féminin annonce le retour des valeurs familiales et patriarcales51, la réponse est évidemment négative. Si le sport féminin est parvenu à se doter d’institutions spécifiques et a su briller par les exploits de quelques championnes, il était voué, pour un temps, à « vivoter ».
Notes de bas de page
1 B. Jeu, Analyse du sport, op. cit., p. 128.
2 Elles sont connues pour avoir cultivé le chevauchement et le maniement des armes.
3 Marie Paradis est la première conquérante du Mont Blanc en 1808, la duchesse d’Uzès, la première automobiliste, et Lucy Fleury, la gagnante de la course des midinettes en 1903.
4 C. Pociello, Les Cultures sportives, op. cit., p. 236-237.
5 M.-T. Eyquem, La Femme et le sport, Paris, Susse, 1944, p. 122.
6 Professeur Desbonnet, Pour devenir Fort… et le Rester, Paris, Librairie athlétique et hygiénique, 1916. Il y a de très jolies photographies de Mlle A…, Louli et la belle S… d’H…
7 F. et S. Laget, J.-P. Mazot, Le Grand Livre du sport féminin, FMT Éditions, 1982, p. 112-113.
8 Voir à ce sujet Raymond Ruffin, Violette Morris, la hyène de la gestap, Paris, le cherche midi, 2004.
9 M.-T. Eyquem, op. cit., p. 26.
10 P. Liotard, « L’impossible spécificité de l’éducation physique féminine », in P. Arnaud et T. Terret (dir.), Histoire du sport féminin, Paris, L’Harmattan, tome 2, 1996, p. 210.
11 L. Munoz, « Le Rayon Sportif Féminin, de l’éducation physique aux sports », Jean Saint-Martin et Tierry Terret (dir.), Sport et Genre, vol. 3, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 157.
12 Circulaire citée par J. Tibault, Sports et éducation physique (1870-1970), Paris, Vrin (1971), 1991, p. 168.
13 M. Amar, « La sportive rouge (1923-1939). Pour une histoire des femmes au sein du sport ouvrier français », in P. Arnaud (dir.), Les Origines du sport ouvrier en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 167-191.
14 C. Pociello, op. cit., p. 236.
15 Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Louis Léon-Martin, L’Industrie de la beauté, Paris, Éditions des Portiques, 1930.
16 Dr M. Boigey, L’Éducation physique féminine, Paris, Félix Alcan, 1925, p. 4.
17 C. Pociello, op. cit., p. 236.
18 Extrait cité par F. et S. Laget, J.-P. Mazot, op. cit., p. 397.
19 M. Huet, « Atalante », Touchons du bois, Paris, La renaissance du livre, 1924, p. 51.
20 Alice Joséphine Marie Million est née le 5 mai 1884 à Nantes et meurt le 19 mai 1957 à Paris.
21 A. Drevon, Alice Milliat. La pasionaria du sport féminin, Paris, Vuibert, 2005, p. 5.
22 Ibid., p. 7.
23 Elle a joué au football et au hockey, fait de la bicyclette et de la natation et pratiqué régulièrement l’aviron.
24 M. Bertheaume, « Le sport dans l’éducation des femmes », Le Correspondant, 25 juin 1926, p. 907.
25 Expression employée par le journal Sportives, 20 mars 1926.
26 La Française, 14 janvier 1922.
27 La Femme Sportive, 1er mai 1921.
28 L’Écho des Sports, 24 mars 1921.
29 N. Rosol, « Pour une participation des Françaises aux Jeux olympiques (1900-1928). Un combat mené par Alice Milliat », dans l’ouvrage dirigé par J.-P. Saint-Martin et T. Terret, Le Sport français dans l’entre-deux-guerres, Paris, L’Harmattan, 2000.
30 A. Milliat, programme officiel des J.O. féminins, 20 août 1922.
31 L. Prudhomme-Poncet, Histoire du football féminin, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 90.
32 Ibid., p. 87.
33 La première équipe de France était composée de dix-sept joueuses, neuf issues de Femina Sport, sept d’En Avant et une de Sportives, toutes accompagnées par Alice Milliat.
34 M.-T. Eyquem, op. cit., p. 109.
35 F et S. Laget, J.-P. Mazot, op. cit., p. 208.
36 A. Drevon, op. cit., p. 80.
37 Ibid., p. 89.
38 Interview réalisée en 2001 par Stéphanie Daniels et Anita Tedder dans le Journal of Olympic History, vol. 10, septembre 2002, p. 41, citée par A. Drevon, op. cit., p. 93.
39 Ibid., p. 95.
40 L. Prudhomme-Poncet, op. cit., p. 141.
41 « La saison 1929-1930… d’après M. Payssé », L’Auto, 12 décembre 1929.
42 L. Prudhomme-Poncet, op. cit., p. 151.
43 Citée par L. Prudhomme-Poncet, ibid., p. 156.
44 M. Houdré-Boursin, « Nos terrains de jeux », L’Auto, 25 mars 1930.
45 Fondée en 1887, elle regroupait jusqu’alors les sociétés pratiquant la course à pied, les sports athlétiques, le football, le rugby, la natation, le tennis et quelques sociétés féminines pratiquant l’éducation physique et les sports.
46 Éducation Physique et Sportive Féminine, 1er décembre 1927 - 1er janvier 1928, cité par L. Prudhomme-Poncet, op. cit., p. 161.
47 L’Auto, 24 mai 1930.
48 L’Auto, 17 octobre 1928.
49 M. Huet, op. cit., p. 69.
50 D. Desanti, La Femme au temps des années folles, op. cit., p. 417.
51 A.-M. Sohn, « Les rôles féminins en France et en Angleterre », in Françoise Thébaud (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome V, Paris, Plon, 1992, p. 165.
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