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Des artistes

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Claude Louis-Combet

Christian Oddoux

Texte intégral

Christian Oddoux Larron à terre, amandier et acier, longueur 1,5 m – 1999

Christian Oddoux Larron à terre, amandier et acier, longueur 1,5 m – 1999

Lignes de vie

1Qu’on ne nous dise pas que la matière – ce tronc, cette branche, devenus pièces de bois – est inerte, passive purement, soumise sans réserve à l’outil et à la main qui la travaillent et par là à la volonté du sculpteur, à son esprit, créateur de formes. La réflexion sur la démarche de l’artiste aux prises avec une matière aussi vivante que le bois, fût-il précautionneusement séché, nous introduit à l’intelligence d’une complicité aussi subtile qu’obscure. Car les fibres végétales, loin d’être uniformes et statiques, se sont organisées tout au long de la croissance de l’arbre, en des réseaux dynamiques, constitutifs de veines, variables pour ainsi dire à l’infini dans les limites des espèces – les forestiers disent « essences » – et des individus (il n’y a pas deux arbres identiques). Ces veines structurantes disposées dans les profondeurs de la masse ligneuse, une rêverie quelque peu bachelardienne les conçoit comme des vecteurs de force, compliqués de nœuds de résistance, selon un modèle extrêmement archaïque qui poursuivra son évolution à travers les formes animales de la vie jusqu’à atteindre, dans les intuitions de la sensibilité humaine, un point extrême d’abstraction et presque de spiritualité, en tant que symbole – en sorte que le corps à corps, dans le travail du sculpteur Oddoux, prend le sens d’une approximation des origines et qu’il s’impose, à sa façon comme une variante de l’étreinte. Car la potentialité de la forme – une forme esthétique – n’existe pas seulement dans l’obscur désir de l’homme, dans sa volonté d’expression et dans la vision intérieure qui nourrit sa conscience ; elle gît aussi dans les profondeurs opaques et fabuleusement taciturnes de la matière même. S’il est vrai que, en un sens, on peut, d’une pièce de bois, faire n’importe quoi, il n’est pas moins vrai, selon un sens beaucoup plus radical, que l’artiste, ici Christian Oddoux, n’attaque, ne maîtrise et ne transforme ce bloc de matière vivante qu’est la matière végétale, qu’en l’atteignant au-dedans et poursuivant, dans l’intimité de cette emprise, les directions et ramifications de ses lignes de force ou lignes de vie ou lignes de destin, en sorte que la sculpture semble générée par son matériau, fragment d’arbre en tous les cas, qu’elle aura poussé jusqu’à la plénitude de son accomplissement. Corps de femme ou corps de Christ, corps de grâce ou de douleur, la forme rend soudain saisissable le rêve enfoui de la matière que celle-ci ignorait, opaque à elle-même par nature, transparente à l’homme à travers l’efflorescence de ses ambiguïtés : ce processus de création esthétique qui conduit le passage de la beauté naturelle – car l’homme d’abord, puis la pièce de bois, eurent leur beauté – à l’état hautement humanisé et spiritualisé d’œuvre d’art (chose de beauté, selon l’expression de Keats) a tous les caractères d’une révélation. En cette forme, issue par extraction, du silence de la matière comme de l’obscurité de la nuit, et comme il le fait avec les images de ses propres rêves, chacun pourra reconnaître un des visages de son être dans l’absence même de visage dont la sculpture se pare, et la voie de sa passion.

(Catalogue, Lugny, 2002)

Table des illustrations

Titre Christian Oddoux Larron à terre, amandier et acier, longueur 1,5 m – 1999
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/79816/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 54k

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