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Des artistes

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Claude Louis-Combet

Nathalie Bonn

Texte intégral

1Sans le savoir – ou le sachant peut-être dans le secret rapport qu’elle entretenait avec son destin – Nathalie Bonn peignait à perte d’elle-même, dans un excès de fantasmes qui déchaînait le tumulte des formes. Elle ne pouvait ouvrir les yeux et regarder au-dehors – elle ne pouvait les fermer et regarder au-dedans – sans éprouver aussitôt un grouillement de présences monstrueuses, animales, végétales, humaines, cosmiques. Elle était la proie d’une meute acharnée qui n’était pas autre chose qu’elle-même. Sa peinture était le miroir de ses cauchemars, et ses cauchemars formaient la figure entière de son âme. Elle peignait à perte de limites. Elle n’illustrait pas une histoire qui aurait pu être la sienne, un monde qui aurait pu être le sien. Elle se débattait dans le remous des réminiscences infantiles et fabuleuses qui n’avaient de bornes ni dans l’espace ni dans le temps. L’espace est saturé. Il n’y a pas de place pour prendre du recul, tenir les formes à distance par la vertu de l’humour. On dirait plutôt que la jeune artiste s’immerge en ce qu’elle peint à mesure qu’elle le peint, en un mouvement d’accomplissement qui est, en même temps, un mouvement de perdition. Elle s’enfonce dans le champ infini de l’imaginaire. Elle ne voit pas les bords. Elle peint à perte d’angoisse – elle fait corps avec sa vision et s’affirme dans ce qui la nie : Jonas précipité dans un poisson nommé Jonas – nulle issue. Si la mort ne l’avait si brutalement fauchée, dans la déchirure de sa jeunesse, c’eût été une métaphore de dire qu’elle peignait à perte de souffle. Mais en vérité ce n’était pas une métaphore. C’était une urgence et un pressentiment. En quelques années, Nathalie Bonn n’avait cessé de s’aventurer dangereusement en elle-même comme si le temps la pressait de prendre des risques. La nécessité intérieure, qui était la sienne, de s’exprimer au prix de l’horreur et de la douleur se développait en elle avec une telle puissance et une telle exigence que la somme rassemblée de son travail fournit tout autre chose que les modestes essais d’une main qui se cherche : une œuvre, déjà et réellement, un style. Car l’artiste peignait à perte, sans compter, à perte de perte et perte de soi, composant avec une force rare et une lucidité étonnante, un impressionnant prélude à la nuit qui s’avançait.

(Exposition, galerie l’Acadie, Cajarc 1999)

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