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Jules Émile Scrive. Carnets d’un patron lillois 1879-1891

 | 
Claudine Wallart
, 
Didier Terrier

Les carnets

1885

Texte intégral

1Avant d’être au pouvoir, les républicains prétendent être les champions de la liberté de penser ; quand ils sont au pouvoir, ils sont surtout pour la liberté de dépenser. […]

Janvier

2Jeudi 1er. Nous commençons l’année sous de tristes auspices. Papa Jules est fort affaibli et surtout très préoccupé de son état de santé qui l’empêche de se lever de son fauteuil. Mathilde et Jules sont dans leur chambre et ne feront pas de visite malgré la beauté de la température. Je fais des visites avec Tony qui est très fier de m’accompagner. Nos parents nous donnent des cadeaux princiers. Papa et maman Jules nous donnent 10 000 F et 2 plats d’argent, plus 200 F pour chaque enfant.

3Samedi 3. Fête équestre à l’Hippodrome au profit de l’œuvre des Vieillards. Ce sont les jeunes gens qui font tous les exercices que l’on fait habituellement dans les cirques : écuyers, gymnasiarques, clowns, équilibristes et sont tous des jeunes gens de la société. Ils réussissent parfaitement. Leurs costumes sont brillants, leurs tours et leurs exercices sont des mieux choisis. […]

4Dimanche 4. On prépare l’inventaire. Je suis très fatigué de la séance d’hier soir et je renonce à faire des visites d’autant plus que le temps est fort couvert de brume. Il menace de neiger. Je reste à la maison pendant l’après-midi. […]

  • 242 Avant le repas, on tire des billets qu'on a confectionnés et pliés. Ces billets représentent le Roi (...)

5Lundi 5. Je vais recevoir mes différentes recettes de janvier. […] Mathilde met à jour mes différents cahiers. Elle s’occupe avec les enfants d’écrire des billets de rois242 tirés des fables de La Fontaine. Cette idée est originale et donne des résultats très amusants. […]

6Mardi 6. Je retrouve ce matin cette série de carnets 1885 que je cherchais vainement depuis plusieurs jours. Je les avais mis à côté des carnets des années précédentes et je me figurais que c’étaient des carnets déjà remplis. L’on cherche quelque fois bien loin ce que l’on a sous la main ! […]

  • 243 Maire de Masny.

7Mercredi 7. […] Aujourd’hui Mathilde et sa mère reçoivent 40 ou 42 visites. Ces dames sont enchantées. Il y a aujourd’hui réunion des électeurs sénatoriaux (Conservateurs) à la salle Ozanam. Des Rotours et M. Plichon présidaient la séance. Ils ont recommandé la candidature de M. Fiévet243, cultivateur à Masny en concurrence avec celle de Macarez, porté par les Républicains.

8Jeudi 8. […] Agache me remet les numéros du journal « Morning News » avec une appréciation de l’industrie linière à Belfast. Il dit que Duplay va arrêter ses tissages parce qu’il achète à Armentières les toiles à 5 à 10 centimes de moins qu’il ne peut les fabriquer tout en vendant les fils aux fabricants.

9Vendredi 9. Mathilde s’occupe de faire le partage des propriétés de maman Jules, en guise de passe-temps. Je cherche du 20 lin sec pour ne pas être pris au dépourvu mais la hausse est de 2 francs au paquet, malgré la résistance des fabricants. Chevresson me dit que la Caisse d’escompte Duthoit – Thomassin est sur la langue du public. Les bruits courent que l’on va mettre un administrateur à la tête de cet établissement, qu’on va faire un appel de fonds. D’autres disent que l’on va liquider cette banque. En résumé, il doit y avoir prochainement un krach dans les établissements financiers.

10Samedi 10. […] Le Figaro annonce l’incendie de la filature Gavelle à Abbeville. D’après le journal, tout serait brûlé, mais comme les métiers à filer ne paraissent pas être brûlés, je crois que nous sommes en droit d’exiger la prompte livraison des 5 000 paquets de fil pour tentes qu’il doit nous faire.

  • 244 (1828-1915), explorateur et archéologue amateur, pionnier de la photographie.
  • 245 Louis Gallait (1810-1887), peintre belge.

11Dimanche 11. Conférence très intéressante de M. Désiré Charnay244, l’explorateur du Mexique sur l’ancienne civilisation des villes de l’Amérique par la race Tsoltsile. Cette conférence est d’ailleurs in extenso dans son beau livre intitulé « Villes anciennes de l’Amérique » et dans le Tour du monde. Sur l’estrade, je suis à côté de Paul Crépy, du général Comte…. La soirée de musique d’hier soir chez Nelly a été magnifique. Il y avait eu d’abord un grand dîner en l’honneur de M. et Mme Gallait245, de M. Mme Bonnet-Mathias. […] Hier soir, grande soirée café-concert chez Édouard Wallaert, très bien organisée par ses neveux et nièces.

12Lundi 12. […] Visite de M. Fourrié de Toulouse. Je fais venir Larivière pour entendre les navrantes jérémiades de ce client. On lui envoie de Lille et d’Armentières des marchandises à vendre sans qu’il les demande. On n’a pas l’idée de ce qui se passe… Il estime la consommation des toiles à Toulouse de la manière suivante : cinq grandes maisons faisant 3 à 400 000 F d’affaires soit en tout 2 000 000 au maximum. Or, nous avons à Lille, à Armentières, cinquante maisons de fabrication faisant 2 à 3 millions ! ! !

13Mercredi 14. […] Soirée chez madame Dujardin avec toast en vers d’Armand Dujardin pour les jeunes ménages Albert et Félix Faucheur. Maman Loyer s’amuse beaucoup parce qu’elle a pour voisin M. de Valroger. Inventaire qui se solde par quelques mille francs de bénéfice. Or, comme j’avais gagné dans l’année 1884 avec les fournitures de la Guerre plus de 150 000 francs qui sont perdus. Je puis dire que la perte commerciale a été considérable cette année.

14Jeudi 15. Neige abondante. Je reste à Wazemmes toute l’après midi pour traduire le journal le Morning News de Belfast qui donne des détails du plus haut intérêt sur la charte de l’industrie linière. Ce 3e article est plus sérieux encore que les autres et l’on devrait le faire connaître en France. Conférence très bien faite de M. Gosselet sur la période de l’age du bronze, je prends des notes. Après la conférence, je cause avec Gosselet et M. Testu le jeune professeur d’anatomie de la faculté de médecine, accent méridional très prononcé, grand connaisseur en archéologie préhistorique. […]

15Vendredi 16. […] Installation des nouveaux membres de la Chambre de Commerce ; c’étaient les anciens qui avaient été réélus. M. Bouffet, secrétaire général de la préfecture remplaçait le préfet indisposé. Le bureau ancien est renommé à l’unanimité. Il y avait peu de monde. É. Delesalle recommence encore le discours qu’il a tenu aux membres de la commission d’enquête, dite les 44. Il se dispute avec LeBlan parce que celui [-ci] n’admettait pas que l’on pût « trafiquer des acquits à caution » sur les fils de coton importés à titre temporaire, comme on le fait pour les fers et pour les fontes. A. Delesalle dit qu’il y a un traité de commerce conclu avec l’Angleterre avec des diminutions sur les fils de coton.

  • 246 Edmond About (1828-1885), romancier, critique d’Art, de l’Académie française. Pamphlétaire et journ (...)

16Samedi 17. […] Il me survient des douleurs de dents qui m’obligent d’aller chez Rédier le dentiste de la faculté catholique. La mort d’Edmond About246 (à 57 ans) d’une fluxion de poitrine compliquée de diabète me frappe beaucoup. C’était un de nos hommes de lettres les plus intelligents et les plus fins. […]

17Dimanche 18. […] Je porte à Dubar la traduction des articles du Morning News. Il dit que ces articles l’amusent beaucoup, il les fera paraître dans son journal l’Écho du Nord. Son avis est que nous marchons à grands pas vers une catastrophe financière : les actions du Crédit du Nord viennent d’être vendues à 477 F 50 ; il va proposer de faire un syndicat pour les empêcher de baisser. Sermon magnifique du père Levigouroux des frères prêcheurs pour l’hospice des Incurables. Il fait ressortir le sublime dévouement de ces excellentes femmes qui apportent leur jeunesse, leur intelligence, leur cœur pour le soulagement physique et moral de ces malheureux abandonnés par la Science et à charge à la société et à leur famille. Chez les sauvages du Congo, on baiserait le bas de la robe de ces saintes filles, on leur dirait : ton dieu est mon dieu puisqu’il inspire un aussi sublime dévouement. En France, on persécute ces héroïnes de la charité, on leur fait payer l’eau qui sert à laver les plaies de leurs malades, on leur fait payer leur cote personnelle comme des marchandes d’épiceries ! !

18Lundi 19. Arrivée de notre cousin Gaillard, le député du Puy-de-Dôme, ancien maire de Clermont-Ferrand. Tout jeune encore, il a une situation politique remarquable. Bien que Républicain et libre penseur, il reconnaît que la majorité en France est religieuse, mais sans accepter l’esprit de domination cléricale et pourquoi repousser la république dont la forme de gouvernement se prête à toute formule religieuse ? Il croît que la séparation de l’Église et de l’État serait la ruine de la République parce que le paysan qui ne veut pas la suppression de la religion, aurait à payer 30 F d’imposition en plus, c’est à dire 1/3 de ce qu’il paie déjà, pour payer les frais du culte tels qu’ils sont actuellement. Il serait exaspéré contre la république. Le dîner se passe très bien, mais l’avocat Houzé ne dit pas un mot. Il paraît éteint. Maman Loyer avait invité Ernest, Pauline, Auguste Houzé, Parfait et M. et Mme Houzé. Le Petit Nord a fait paraître un article curieux contre les riches niais de Lille qui ne savent pas dépenser de l’argent pour les mineurs de Liévin, victimes de la catastrophe et qui se feraient une popularité qui les rendrait les fétiches ! ! des ouvriers. Je réponds à cet article. Je poste la réponse au Nouvelliste. […]

19Samedi 24. Félix Faucheur et Marie-Louise viennent passer la soirée avec nous. Je suis un peu stupéfait de ce que j’apprends sur Armentières qui ne serait pas aussi mauvais que je suis tenté de le croire. Mais alors, c’est que je serais bien mal secondé ou que je produirais à un prix beaucoup trop élevé ! Saint-Léger dit à Larivière que les électriciens de Marcq ont fait un four complet en montant leur éclairage à M. Jonglez ( ?) ; à un moment donné, toutes les lampes auraient éclaté, parce qu’ils auraient voulu faire passer un courant trop fort pour donner plus d’éclairage. Ils seraient vraiment bien malheureux et bien maladroits.

  • 247 Ferdinand André Fouqué (1828-1904), vulcanologue. A donné son nom à l’Enclos Fouqué à la Réunion.
  • 248 Edmé Frémy, chimiste, membre de l’Académie des Sciences, directeur du Jardin des Plantes.
  • 249 (1804-1874), journaliste et romacier et critique français.
  • 250 Ortie.

20Dimanche 25. Temps admirable. Élection sénatoriale pour le remplacement de Dutilleul. Animation excessive dans la ville à cause de la présence de tous ces bons électeurs sénatoriaux. Je rencontre Des Rotours, Testelin, Macarez, Legrand. À 2 h, on apprend que Fiévet, le candidat conservateur, a 1 182 voix, tandis que Macarez, le candidat républicain, n’en a que 1 101. Séance très intéressante à la Société Industrielle. Conférence de M. Fouqué247, membre de l’Institut, sur les volcans. Il a fait plutôt un cours qu’une conférence. Discours de Renouard et discours très remarquable de Kolb. On donne à M. Gosselet et à M. Frémy248 les prix de la fondation Kuhlmann. M. Frémy, un bon gros père de la tournure légendaire de Jules Janin249, fait un discours sur les progrès qu’il prévoit pour l’industrie du Nord, notamment l’emploi de l’urtica250 en remplacement du coton et de l’alfa pour la pâte à papier. […] Le soir, dîner chez Agache des vice-présidents et du bureau de la Société industrielle. […]

21Mardi 27. Séance de la Société de Géographie pour le renouvellement du bureau. Les hommes aiment à faire leurs importants ! Il a fallu perdre deux heures en formalités plus ou moins puériles et en discussions oiseuses. […] Grande soirée chez les Auguste Scrive : la haute bourgeoisie et la noblesse ! ! Il paraît que l’on ne s’y est guère amusé ; c’était froid et gourmé. […]

22Jeudi 29. […] Le journal « Le Temps » de ce jour donne des renseignements très utiles sur la Société coopérative de Boulangerie de Roubaix ainsi que sur la civilisation chinoise. À lire, le Moniteur de l’Armée de ce jour relativement aux marchés pour la confection des effets d’habillements. […]

Février

  • 251 Courcelle-Seneuil, dirige l’expédition au cap Horn en 1882-1883 pour le passage de Vénus.

23Dimanche 1er. Longue conversation avec Larivière au sujet des modifications que la hausse des fils amène dans les toiles. Wemaere me dit que les lins russes de 60 F se vendent couramment aujourd’hui 82 et qu’il n’en trouve pas acheter à ce prix. Séance solennelle à la Société de Géographie. Distribution des prix. Conférence de M. Courcelle251 second lieutenant de vaisseau […]… Il me dit que le nom de la famille Scrive est légendaire dans la marine à cause de la belle conduite de la famille pendant la guerre de 1870 envers les marins de l’Armée du Nord. […] Sa conférence sur la Terre de Feu et le cap Horn est très bien faite. […] La musique du tissage joue pendant cette cérémonie, comme cela a eu lieu les années précédentes. Après la fête, on va prendre des gâteaux et boire un verre de vin. Je porte un toast à la musique de Marquette et à la Société de Géographie et je remercie le chef et le brave Délie.

24Lundi 2. […] Mathilde fait aujourd’hui sa 1re sortie depuis Noël. Il fait très doux et cette sortie ne semble pas lui être préjudiciable.

25Mardi 3. […] Vente de l’abbé Manier. Jamais on a vu vendre autant d’horreurs. C’est à dégoûter de la religion et surtout de ce que l’on appelle l’art religieux, car il est impossible de rêver rien de plus grotesque […]

26Jeudi 5. Mariage de la charmante Marguerite Descamps avec le jeune Verley – Delesalle. Dîner très gai avec Émile Loyer, avec Maman Loyer. Conférence très intéressante de Gosselet sur les monuments préhistoriques : pierres taillées, grottes…

  • 252 Pièce d’Henri Meilhac, créée en 1883 avec Réjane au théâtre du Palais Royal.

27Samedi 7. […] Je vais avec Mathilde voir le coup d’œil à l’église Saint Pierre — Saint Paul. Je vais le soir au théâtre « ma camarade252 » qui est très bien joué par des artistes de Paris. Grande affluence des bons cléricaux pour entendre les « énormités » de la pièce. Nous étions à côté de Pierre Decroix et de sa femme. […]

28Lundi 9. […] Émile Scrive et le papa Boutry sont considérés comme perdus et comme ne devant pas passer la semaine. Gustave vient voir Larivière. Il paraît être fort désespéré de l’insuccès de son électricité.

29Mercredi 11. […] Mauvaise affaire à Dunkerque. Jodocius, négociant en grains, fait une faillite de 1 million. Il avait repris la maison Bourdon mais il jouait sur toutes les marchandises. Il a filé à l’étranger avec 100 000 F. Les Decroix sont pris pour plusieurs centaines de mille francs, ainsi que les Scalbert, Devilder, Petyt de Dunkerque, le Crédit du Nord, la Société générale.

30Jeudi 12. Grand dîner chez moi. Raccroc de Félix Faucheur et de Marie-Louise avec les Dujardin – Scrive, les Armand Dujardin, tous les Faucheur, les Pierre Decroix, les Albert Plaideau, Edmond Plaideau, Ernest Plaideau, Edmond Agache, Edmond Faucheur, Paul Crépy, maman Loyer, maman Jules, Ernest Loyer. Le toast que j’ai fait pour les jeunes gens a été très applaudi et a paru faire grand plaisir. Après le dîner, l’on a fait des charades : charité, patrie qui ont été très gaiement enlevés par les Plaideau, par madame Pierre Decroix. […]

31Vendredi 13. L’oncle Émile est mort cette nuit à l’âge relativement jeune de 58 ans : La maladie de cœur qui l’a enlevé, lui a occasionné des souffrances affreuses dans ces derniers jours. Il avait les jambes paralysées et mortes qui le faisaient horriblement souffrir au point de pousser des hurlements. Il était fort vigoureux et sa santé générale était assez belle pour qu’il pût vivre jusqu’à un âge avancé, mais cette maladie impitoyable l’a enlevé en quelques semaines. Je vais chez Fouquier – Dubard qui me dit pis que pendre des fabricants d’Armentières.

Ernest Loyer

Ernest Loyer

Né en 1844 à Wazemmes, il prend la direction de son entreprise en 1878. Rallié à la République, il est élu conseiller municipal puis, en 1883, maire de Lomme (ce qu’omet de narrer son beau-frère). En 1892, il devient conseiller d’arrondissement et, en 1893, il bat aux élections législatives le député sortant, le socialiste Paul Lafargue. Il reste député de Lomme (républicain catholique) jusqu’à sa mort en 1902. À l’assemblée, il milite pour le protectionnisme et lutte contre l’internationalisme socialiste. Il s’attache à promouvoir la protection sociale, la prévoyance et la mutualité.

32Samedi 14. Visite d’un jeune homme de Lisieux, M. Rogère, directeur de M. Tailfer, qui demande à se placer. Les fabricants de Normandie sont tous dans une situation déplorable, Laniel, Lambert, Tailfer… par suite de la concurrence effroyable d’Armentières. Les usines se ferment les unes après les autres, il ne reste que celle de M. Duchesne – Fournet. Ce monsieur a une fortune de 8 ou 10 millions et conserve le travail dans ses usines dans son intérêt électoral (il est député) malgré les 100 000 F qu’il y perd chaque année.

  • 253 Victor-Eugène Ardouin-Dumazet, géographe, journaliste (1852-1940).

33Dimanche 15. Je rencontre dans le tramway M. Ardouin – Dumazet253 qui rédige une histoire des villes industrielles du Nord. Il s’étonne de n’avoir aucun renseignement sur Armentières ; il semble que les fabricants de cette ville aient peur d’ouvrir la bouche et de se compromettre. Je lui explique en quelques mots l’état de détresse de cette ville qui ne se soutient qu’à l’aide du crédit. […]

34Lundi 16. Temps affreux. Enterrement de l’oncle Émile. Foule considérable. Je vais avec Gustave Scrive et Debuchy au cimetière. Il est question de Casse dont la situation paraît très embarrassée et qui a renvoyé 100 ouvriers samedi. Le « Gaulois » de ce jour : article remarquable de Mirbeau sur « le plaisir ». […]

35Mardi 17. Temps affreux. Aussi, le carnaval est lamentablement lugubre. Je vais au Cercle pendant l’après-midi pour lire les journaux. […]

36Mercredi 18. Mlle Delefortrie me dit que la famille Faucheur est ravie de la réception que je lui ai faite et du toast que j’ai prononcé. Au moins, j’ai réussi à faire plaisir à ces bons amis, tant mieux ! Madame Lisnard vient nous raconter que madame Dujardin désire le mariage de la 3e fille de M. Ernest Descamps avec le notaire Perault, successeur de Gennevoise. Nous avions pensé que ce jeune homme aurait pu convenir à Valentine Crépy. […]

37Jeudi 19. Je vois maman Jules pour lui raconter la conversation d’hier soir avec Mme Lisnard et lui demander de s’informer si M. Perault conviendrait à Alfred Crépy. Maman Jules me dit que Couderc et son gendre Gaston Scrive ont déjà eu de graves discussions. Je crois que c’est pour des questions d’intérêt (toujours l’intérêt ! !). […]

  • 254 Par Nicolas de La Chesnay, publié en 1507.

38Vendredi 20. […] Je cause avec M. Mamet, à qui je promets de prêter « La condamnation de Bancquet »254, moralité du XVe siècle. Je cause avec Walker, le constructeur de métiers à filer le lin et à tisser la toile. Il dit que le lin sera remplacé par la ramie dans un avenir plus ou moins éloigné. Il me demande des renseignements sur les toiles à voiles. Il a vu les métiers « Victoria » de Dickson qu’il trouve très compliqués. Il paraît surpris que je lui dise qu’on ne peut pas faire de bonnes toiles à voiles sur d’autres métiers. Je lui promets les articles du « Morning News » de Belfast relatifs à la crise de l’industrie linière.

39Samedi 21. Larivière va à Marcq et cause sérieusement avec Gustave du peu d’espoir qu’il y a à trouver quelque chose de bon dans l’électricité ! Les machines-outils pour raboter le bois et le fer, tourner le bois et le fer… sont magnifiques. C’est un matériel de plus de 100 000 F ainsi immobilisé sans rien produire, puisque toutes les dynamos que l’on construit ne sont pas vendues. Ils pensent en fabriquer 30 par mois ! Dans 7 grandeurs différentes, c’est à dire dans 7 numéros. C’est effrayant de voir gaspiller tant d’argent. Maman Loyer engage Ernest à accepter le mandat de conseiller général, si on le lui offre ! ! Est-ce assez grotesque ? Ces braves gens qui se figurent qu’avec de l’argent, on arrive à acheter tout… jusqu’à l’intelligence !

40Dimanche 22. Lettre venimeuse de Lévesque qui me flanque un galop parce que j’aurais dû le prévenir de la hausse des fils et lui permettre de faire des spéculations heureuses ? Est-ce que ce serin là se figure que je suis son employé ? […]

41Lundi 23. […] Funérailles de Potié à Haubourdin, conseiller général républicain. Le comte d’Hespel se met sur les rangs pour le Conseil général, très heureusement pour Ernest qui aurait été au devant d’un échec s’il avait été assez sot pour se présenter. […]

42Jeudi 26. […] Visite de Mertian et de M. Perault chez maman Jules où se trouvent Émilie et Valentine. On cause pendant 1 h ½. Il est certain que Perault fait une très bonne impression. Madame Dujardin exige qu’il donne une réponse avant mardi pour Mlle Descamps – Dujardin.

43Vendredi 27. […] Chambre de Commerce : séance peu importante. Derode me parle de Perault et trouve que l’insistance des Dujardin est du plus mauvais goût : c’est indécent de pousser ainsi un jeune homme, l’épée dans les reins, à se marier. […]

44Samedi 28. […] Je vais chez maman Jules lui porter une lettre de Mathilde demandant si Perault et Mertian peuvent venir faire visite aux Crépy dans la journée, mais on décide que cette visite aura lieu seulement lundi. J’écris à Derode pour le prier de venir causer avec Alfred de M. Perault, en lui rappelant que c’est à lui (Derode) que reviendra l’initiation de cette alliance, si Dieu permet qu’elle s’accomplisse. MM Terquem et Damien professeurs de physique à la faculté des sciences vont visiter la fabrique de Gustave après avoir déjeuné chez Larivière. Il résulte de leurs impressions, que ces malheureux courent à une ruine inévitable. Les expériences sur les résistances électriques des corps sont connues en Allemagne depuis longtemps et c’est sur ce point qu’a reposé tout le travail de ces messieurs Hermite et Arnoul depuis 1 an ! ! Que d’argent dépensé en pure perte, que de temps gâché, pour enfoncer des portes ouvertes !

Mars

45Dimanche 1er. […] Je cause avec Émilie et Valentine du projet de mariage. Il me semble que l’on désire que cela réussisse. C’est bon signe. Dîner chez maman Jules avec les Auguste Scrive et les Dujardin. Auguste Scrive me raconte qu’il a dit à Gavelle, en lui montrant le portrait de l’empereur de Russie et de l’impératrice : « ce sont de braves gens qui ont toutes mes sympathies ». Il a dit aussi que « le Pape était un brave homme, qu’il lui avait causé 2 fois et qu’il l’avait trouvé plein de bonnes intentions ». Est-il possible d’être plus bête ?

46Lundi 2. […] Visite de Perault chez les Crépy. Il paraît satisfait de sa réception mais dans la journée, Crépy reçoit de M. Renard de Fresnes, des renseignements très favorables sur un nouveau prétendant pour Valentine : 1 500 000 F et un château près de Béthune. Aussi est-il très refroidi pour Perault quand Derode vient le voir dans l’après-midi. Derode s’attendait à une réception plus chaleureuse, aussi est-il allé dire à Perault : « cela ne marche pas » et ce pauvre garçon arrive à Wazemmes tout désolé.

47Mardi 3 ; Grande conversation avec ma tante Henri au sujet de l’oncle Scrive – Bigo et de Gustave. Que faire pour arrêter ces deux malheureux parents sur la pente de la ruine ? L’on trouve que je suis le seul qui puisse parler à l’oncle Scrive, mais à quoi cela peut-il servir ? Pauline qui était en visite chez madame Scrive – Bigo me reconduit à Wazemmes. Nous parlons de la conduite inqualifiable de Mme Descamps – Dujardin vis à vis de Perault : on ne jette pas ainsi une jeune fille à la tête d’un jeune homme. C’est indécent ! Ernest préside le comité de filature à la Société Industrielle. Il en est émotionné au point d’avoir la colique depuis 2 jours. Gustave vient passer une heure avec Larivière. Il est au désespoir et demande quelles mesures il doit prendre. Je crains que ce pauvre garçon ne soit pas de taille à lutter contre les intrigants qui l’entourent et le rongent.

48Mercredi 4. Alfred Crépy paraît très satisfait de tout ce qu’il apprend sur M. Perault. Il l’autorise à venir demain pour causer longuement avec Valentine. Je suppose que ce bon Alfred espère faire de bonnes affaires par l’intermédiaire du gendre notaire. Je rencontre Perault et Mertian en revenant de Marquette et je le trouve très gentil et je suis heureux d’avoir un neveu si chic et distingué. Derode a reçu la visite de Crépy et l’a vivement encouragé à accueillir la demande de mariage de Perault.

49Jeudi 5. Je vais à la conférence de M. Gosselet avec Julio qui s’intéresse beaucoup aux découvertes préhistoriques en Amérique. En sortant de la conférence, nous trouvons dans le tramway les Walker avec deux Japonais. Ils venaient du prêche protestant. Julio s’amuse à contempler les Japonais.

50Vendredi 6. […] Valentine accepte M. Perault. J’en suis bien aise.

51Samedi 7. […] Dîner chez Émilie Crépy avec Perault. Ce gaillard paraît au 7e ciel ! Valentine, de son côté, paraît très satisfaite. Les parents auraient préféré plus de fortune, mais ils paraissent suffisamment contents de ce que leur fille épouse un garçon intelligent, vif, bien solide sur tous les rapports.

52Dimanche 8. Les parents de Perault viennent chez Émilie. Ils paraissent de bons vieux paysans et les Crépy n’en paraissent pas enthousiasmés. Louise et Victor sont jaloux de ce mariage. Ils devraient être plus gentils, mais la perfection n’est pas de ce monde ! Dîner chez maman Loyer avec les Houzé, les Dujardin, les Mertian, les de La Couture. Nous rions beaucoup de madame Houzé qui aime à être taquinée par moi. Dans l’après-midi, j’étais allé visiter le Musée Industriel et le Musée Préhistorique avec Julio et Tony qui s’y intéressent. […]

53Lundi 9. Les parents de M. Perault ne sont pas aussi paysans que je le craignais, mais Alfred n’est pas enthousiasmé du mariage de sa fille. Dîner chez Alfred Crépy avec les Perault, les Loyer, les Dujardin, les Eugène Crépy, les Mertian. Après le dîner, le reste de la famille vient faire la connaissance du futur et de sa famille. […]

54Mardi 10. […] Le mariage de Valentine continue à exciter l’admiration publique si l’on peut s’exprimer ainsi. De l’avis unanime, c’est elle qui fait le beau parti. Tant mieux ! Madame Dujardin a été assez bête pour dire à madame Lisnard toutes les méchancetés qu’elle a vomies contre la famille Scrive pour faire manquer le mariage en question. Est-ce assez idiot ?

55Mercredi 11. Les visites qui viennent aujourd’hui chez maman Loyer et chez Mathilde parlent toutes avec éloges de Perault. […] Ernest et M. Auguste Houzé vont voir à Marcq les lampes électriques, mais par suite de l’échauffement du coussinet de la machine électrodynamique, rien ne peut marcher. Ils visitent toute la fabrique et reviennent épouvantés de l’argent qui a été immobilisé dans cette grande baraque.

56Jeudi 12. Fête de ma chère Mathilde. Nous lui offrons nos souhaits dans la chambre de Tony qui est enrhumé depuis 2 jours. Alfred fait des visites de présentation de son futur gendre. […]

57Vendredi 13. Visite de Degouy qui m’annonce ne pouvoir me donner un sou. Je suis très inquiet de la tournure que prennent les affaires de ce pauvre ami. Est-il honnête homme ? Je commence à craindre que non. […] Maman Jules reçoit la visite du notaire Demol de Caestre qui a employé pour ses besoins particuliers les 12 000 F d’arbres et les 1 500 F de fermages qu’il avait encaissés pour maman Jules. Victor Dujardin accorde à cette canaille jusqu’au 15 avril pour se nettoyer, mais il est à craindre que ce notaire se sauve en Belgique. […]

58Dimanche 15. […] Mauvaise lettre de Lévesque annonçant quelques rejets de toiles à tentes, de Quesnay annonçant des toiles attendries et trop mauvaises pour la teinture. Dîner chez St-Léger […] Madame Ed. Plaideau me dit que le beau-père de Woussen d’Armentières, M. Vandenberghe de Menin, s’est brûlé la cervelle, il y a 2 mois (3 janvier) en laissant un déficit de 1 700 000 francs. On le croyait riche et l’on ne comprend pas ce qui a pu se passer et comment il a mangé tout cet argent […]

59Lundi 16. On parle beaucoup d’Adolphe Casse qui serait sur le point de sombrer d’après Bauduin. Larivière a vu M. Terquem qui lui a confirmé toute la triste litanie des déboires qui vont assaillir Gaston Scrive et son père. Arnoul est venu le voir pour lui dire qu’il partageait son avis sur la machine dynamo ; c’est à dire qu’elle n’était pas bonne, mais comme il n’était qu’employé dans la maison Scrive – Hermite, il n’avait qu’à faire les machines qu’on lui disait de fabriquer ! ! Albert Decroix me dit que sa maison a réalisé 900 000 F de bénéfices cette année, mais il faut en déduire les frais généraux. Cela fait 7 % pour les actionnaires (10 millions). […]

60Mardi 17. […] Céline, la femme de Journé, annonce que l’on parle de la faillite Casse. Est-il possible que ce pauvre Casse en soit arrivé là. Sa femme était aujourd’hui chez madame Georges avec toutes les dames de Lille qui chantent dans les chœurs de l’Oeuvre des Écoles Catholiques et elle ne paraît pas se douter de rien. […]

61Jeudi 19. Dîner chez maman Jules avec les Scrive – Bigo, pendant que l’oncle Scrive dîne chez M. Crespel avec les administrateurs du Crédit du Nord. Je quitte la réunion à 7 h ½ pour aller à la conférence Gosselet : faune préhistorique. Perault est allé à Comines pour une vente ; il revient dîner assez tard. Émilie et Valentine paraissent de plus en plus ravies de ce jeune homme. Victor Dujardin fils est ridicule dans son attitude d’hostilité contre le mariage de Perault ; on dirait qu’il est jaloux de voir entrer dans la famille un jeune homme plus distingué et plus intelligent que lui. Ernest s’est ennuyé chez Crespel. Le dîner n’était pas fameux et Thiriez l’a rasé parce qu’il n’avait pas d’enfants ! Est-ce assez spirituel ?

62Vendredi 20. […] Ernest raconte que Bigo à la Société Industrielle a proposé de donner un prix à l’auteur d’une invention relative au blanchiment du fil par l’électricité. Agache s’y est opposé, affirmant que la question était loin d’être résolue. On va en délibérer et dans un mois, on agitera à nouveau cette question à la Société Industrielle.

63Samedi 21. Lettre insolente de Degouy à laquelle je m’empresse de répondre, en lui disant de me renvoyer les toiles qu’il n’a pas vendues. Quel imbécile ! Je m’occupe du toast de demain, en y joignant quelques mots pour Émile Loyer, le chef d’escadron de la gendarmerie. Maman Jules est désolée de la tournure des affaires de la meunerie de Caestre. Je rencontre M. Lacherez et je lui parle de l’affaire des Ciments de Boulogne dont les actions sont tombées à 165 F, c’est à n’y rien comprendre. Il dit qu’il ne fait pas désespérer car on vend toujours les mêmes quantités. […]

64Dimanche 22. Grand dîner de présentation de M. Perault : fiançailles de Valentine. […] Mon toast est extrêmement goûté par les invités, surtout par M. Perault. Malheureusement, les Dujardin paraissent encore très crispés contre les Crépy. J’avais à dîner Émile Loyer, Ernest Loyer, Georges et sa fille, les Saint Léger, les Pollet, les Crépy, les Dujardin, les Mertian et maman Loyer Une grande tombola, très animée, organisée par Mathilde, a distrait les parents et les jeunes gens. […]

  • 255 Opéra bouffe de Charles Lecocq, Émile de Najac et Paul Ferrier créé en 1885 au théâtre des Nouveaut (...)
  • 256 Fille de la cantatrice Dugazon.

65Lundi 23. Départ à 1 h pour Paris. […] Je cause longuement avec M. Marx, ancien gérant du Crédit Lyonnais, actuellement représentant de François Debuchy pour les coutils et les tapis. Il me dit que l’oncle Scrive doit perdre beaucoup d’argent avec ses tapis. Il a appris à Lille qu’un Hongrois qui revient du Golfe Persique et du Niger ( ! ! !) entre dans la maison Scrive – Hermite pour la correspondance en langues étrangères. M. Marx ne croit pas au succès des entreprises d’éclairage électrique. On est toujours aux expériences et chaque nouveau système démolit ceux qui le précédaient. […] J’ai été entendre hier soir aux Nouveautés, La Vie Mondaine255. Je me suis bien amusé ; il est vrai que la petite Simon-Girard256 est délicieuse dans le rôle de la baronne « Pscholt » mais la pièce est d’un raide ! !

  • 257 Jules Bastien-Lepage, peintre (1848-1884).

66Mardi 24. […] Triste situation des affaires ; généralement on se plaint ! Après la réunion, je vais avec Lévesque et Duval aux expositions de Delacroix et de Bastien-Lepage257. Visite à l’ami Dislère. Ils sont rentrés de Tunisie à minuit. Dislère était au Conseil d’État mais madame Dislère m’a reçu très gracieusement.

67Mercredi 25. Retour hier soir avec Otto Lévy et M. Desurmont, administrateur de la filature de Pont – Rémy. Cette affaire paraît marcher fort mal. O. Lévy est extraordinaire, car c’est un tout jeune homme de 25 ans et il a une maturité, une décision, un aplomb en affaires comme je n’en ai jamais rencontré, même chez des hommes plus âgés. Les 2 gérants de la Société Duthoit – Thomassin ont donné leur démission à la réunion générale des actionnaires. […]

68Jeudi 26. […] Albert Decroix me dit que le Crédit du Nord est pris pour 700 000 F chez Carette – Delobel, filateur à Mouscron. Il y aura au moins 300 000 à perdre. Il dit que la perte de Duthoit – Thomassin est de plus d’un million. Dîner chez maman Jules avec ma tante Henri qui me dit que Gustave se plaint du peu d’intelligence des industriels du Nord pour les améliorations et pour les nouvelles inventions ! C’est assez comique ! Quel aveuglement dangereux !

69Vendredi 27. Derache me dit que la faillite Carette – Delobel de Mouscron est de 2 millions et que le Crédit du Nord perd 300 000 francs ; on a mis à la porte le gérant de Roubaix qui a laissé vendre pour 300 000 F de cotons warrantés en garantie des avances du Crédit. Derache ajoute que chez Duthoit – Thomassin, le capital de 6 millions a été entamé de 2 millions. On a retiré 4 millions de dépôts dans ces derniers temps. On va faire un appel de 2 millions aux actionnaires. Il est très préoccupé de la situation de cette banque dont son beau-frère, M. Keffs [Quef], a 60 actions. Il y aura mardi une nouvelle réunion des principaux actionnaires. […] Le voyage de ce jour d’Ernest à Calais, n’est pas très heureux. On ne fait plus de dentelle de coton. J’ai assisté hier aux débats de l’affaire intentée par M. Roland, professeur de droit à la faculté catholique, contre le doyen et vice-recteur de cette faculté qui n’ont pas voulu lui donner la chaire qui lui avait été promise. L’avocat de Roland, M. Detourbet de Dijon, a beaucoup de talent. Quant à M. Théry, c’est un mauvais rageur qui ne sait même pas plaider en bon français. Il n’a aucun chic et son ton est aussi vulgaire que son esprit.

70Samedi 28. […]. J. Lhomme, directeur de Georges, me dit que les peigneurs de laine de Roubaix, ont rompu l’accord qu’ils avaient fait entre eux parce qu’Alfred Motte a accusé ses confrères d’avoir fait des concessions contraires aux engagements pris. Il me parle de la faillite Fourlegnie qui fait perdre 300 000 F à la banque Deherripon de Tourcoing. […]

71Lundi 30. […] Ernest Loyer est parti hier pour Lyon. Les affaires en coton sont déplorables. […]

72Mardi 31. […] Le ministère Ferry a été renversé hier. La Bourse a baissé de 3 francs ! !

Avril

73Mardi 2. J’ai fait mes pâques aujourd’hui avec Mathilde et Jules à la messe de sept heures. Que de remerciements ai-je adressés au Seigneur pour m’avoir fait, en somme, la vie si heureuse. Je ne méritais pas plus que d’autres d’être choisi par Dieu pour avoir un lot aussi heureux, puisque jusqu’à présent, tout a réussi pour les miens et moi. J’ai été recevoir les rentes 3 % de papa Jules et les miennes […]

74Samedi 4. Je reçois de Michel le relevé des prix déposés à l’adjudication du 2 avril. Je vois que la concurrence a été terrible mais que nous aurions pu battre Joubert pour les toiles à voiles, en faisant quelques centimes. Boutry était à un prix très élevé. Il a probablement eu des ennuis. Ernest est rentré aujourd’hui de son voyage. Il a fait route avec Chas qui lui a dit que j’étais un plaignard, qu’il me fallait gagner 10 % pour être content. Il trouve qu’on ne perd pas d’argent à Armentières. C’est un farceur et un impudent.

  • 258 Le legs Antoine Brasseur, réalisé entre 1878 à 1887, enrichit alors considérablement les collection (...)

75Dimanche 5. Temps charmant. Je vais à 9 h à la messe à St-Maurice puis au Musée voir les beaux tableaux donnés par Antoine Brasseur258 et qui sont exposés dans la salle Leleux. Après le déjeuner, je reste près de Mathilde jusqu’à 4 h et je vais au Cercle. […] V. Degouy me parle de la situation d’Armentières. Tout en affirmant que les banques de Lille sont fort engagées avec ces fabricants d’Armentières, il affirme qu’ils travaillent avec moins de frais que nous. Ce sont des garçons de magasins qui font les ventes et les acheteurs croient qu’ils les enferment, tandis qu’en réalité, ce sont les acheteurs qui sont « mis dedans » par ces paysans. […]

76Mardi 7. […] Les enfants Pilate viennent jouer avec Jules et Tony. Les bulletins semestriels des enfants sont un peu meilleurs mais c’est loin de la perfection. Je vais à l’exposition scolaire au Palais Rameau et j’y passe une heure très intéressante en examinant tous les volumes, tous les tableaux, tous les objets utiles pour l’instruction des enfants. Je joue aux charades – devinettes avec les enfants. Je vois avec plaisir que leur intelligence est éveillée.

77Mercredi 8. Les parents Perault viennent aujourd’hui s’installer à Lille. Maman Jules a eu hier à dîner Perault et Valentine avec Émilie. Ils sont allés ensuite visiter l’étude. Maman trouve que c’est une installation très belle et même superbe. […]

  • 259 Nettoyage d’une toile pour en retirer l’apprêt.

78Vendredi 10. Lefebvre, de la maison Lefebvre – Dugardin, me dit que les affaires en toiles vont bien, qu’il fabrique à façon 100 pièces par semaine pour Wallaert, des toiles en 82, 102, pour décatir259… Chez Fouquier – Dubard on me dit que Lefebvre est un menteur, un crotté qui n’a pas le sou, que son fils, marié depuis 6 mois à la fille Ramart, mon voisin à Wazemmes, plaide en séparation. Il dit que l’on liquide chez Casse, parce que dans les cours étrangères, on n’achète plus de beau linge, que les souverains se contentent de damassés à 1 F le mètre ! ! ! […].

79Dimanche 12. […] Aujourd’hui la ville de Lille est en fête de tous côtés. Conférence de géographie du Japonais Kou a Wa [ ?]. Revue des bataillons scolaires. Ligue de l’enseignement ; banquet. Grand concert Lamoureux : orchestre admirable. […] Fête de St Jules chez papa. Jamais elle n’a été plus belle. Hélas ! Est-ce que nous en verrons encore une autre ? Souhaiterons-nous l’an prochain la fête à ce bon père qui est si vieux et si fatigué ? Il est d’une bonté exceptionnelle et son cœur ne vieillit pas. Les Faucheur, les Auguste Scrive, maman Loyer, ma tante Henri et tous les petits enfants de papa Jules (sauf André Crépy) étaient réunis aujourd’hui. Les charades et jeux d’esprit ont amusé tout le monde. Jules, Tony, Emma ont joué des scènes du Malade Imaginaire et des Femmes Savantes. Émilie Dujardin, toujours gentille, m’a offert un petit tableautin.

80Lundi 13. […] La promenade flamande de la musique de Marquette au bénéfice d’Elie, notre ancien employé, aveugle depuis 20 ans, a été accidentée de coups de poing. L’on a trouvé que lorsque les sœurs de cet ouvrier ont des toilettes aussi belles que celles de madame Scrive (sic), on ne doit pas quêter pour leur frère. C’est assez vrai. […]

  • 260 Dr Billon, médecin, maire de Loos.

81Mardi 14. Élection au conseil général. M. Billon260 est nommé candidat Conservateur. Potié fils est battu, candidat Républicain. Lettre de Lévesque annonçant que M. Huret a fabriqué d’avance des câblés et qu’il tient à livrer sa part. Mathilde et les enfants viennent à Marquette. L’ingénieur des Ponts et Chaussées vient nous ennuyer pour les eaux des lessives qu’il veut que envoyons dans la Deûle au lieu du canal de Marcq. Certains industriels de Roubaix ont été obligés de payer 12 000 francs d’indemnités. En ne nous faisant payer que 300 F, l’administration a été très bienveillante pour nous.

82Mercredi 15. […] Je conduis les enfants à l’exposition scolaire qui les intéresse beaucoup. Nous la visitons en détail. […] Pour aller de l’aqueduc jusqu’à la Deûle, à l’embouchure du canal de Roubaix, ainsi que le demande l’administration des Ponts et Chaussées, il faut compter par mètre courant 2 F pour les pots et 1 F pour le terrassement, en tout 3 F. […]

83Vendredi 17. Que va devenir la filature de coton de Wazemmes si les soies restent à des prix assez bas pour empêcher la vente des cotons fins ? On peut avoir une crise très longue et comme les frais sont excessifs à Wazemmes, c’est une situation qui peut devenir fort inquiétante. L’amour-propre et la vanité jouent un rôle trop prépondérant dans l’existence industrielle. On ne se figure jamais quand on a quelques beaux inventaires que la chance peut devenir contraire. N’est-ce pas notre capacité, notre mérite qui ont été cause de notre succès ? Même les plus grands serins (surtout les plus grands serins) se figurent que les revers ne doivent jamais les atteindre dans la carrière industrielle. […]

84Dimanche 19. Dîner chez ma tante Auguste avec les Crépy, les Dujardin, les Paquin, madame Toussin, M. et Mme Paul Scrive. Madame Paquin me raconte plusieurs aventures passablement scandaleuses de dames de Valenciennes. Il paraît qu’à Valenciennes, les dames s’amusent à coqueter avec les officiers. […]

85Lundi 20 ; Larivière est malade, ce qui me gêne considérablement au moment critique que nous traversons. […] Mort du comte Octave d’Hespel, sénateur du Nord. C’était un viveur ayant mangé sa fortune, mais de grandes allures. Bel homme, dans toute la force du terme, il faisait plaisir à voir. J’avais eu avec lui quelques relations il y a quelques années et je l’avais trouvé très aimable. […]

86Mercredi 22. […] Désastre à Roubaix et à Wavrin. À Roubaix, incendie de l’usine Toulemonde-Destombe et les baraques de la foire qui se trouvaient adossées aux murs de cette fabrique (entre autres la ménagerie Salva et ses grands fauves). À Wavrin, incendie de 33 maisons de journaliers. Walker me demande si je connais un contremaître pour métiers à tisser afin de l’envoyer en Australie monter un tissage de toiles à voiles de 20 métiers. J’écris à Jules Danset pour lui offrir cette place. […]

87Vendredi 24. Gaston Scrive m’annonce qu’il va commanditer Farinaux et Otto Lévy pour les lins. Émile reste chargé des avoines et des grains. Il dit que l’affaire des lins peut être encore bonne pendant 4 ou 5 ans, puis les Russes auront leur maison à Lille et les Français n’auront rien à faire.

88Samedi 25. Perault n’a pas encore de réponse pour le tissage. Grand concert au profit des écoles libres. Mathilde et les enfants viennent à ce concert très réussi. Mlle de Vigne cantatrice, Nicosia violoniste, Tonnelier pianiste et chœur des jeunes gens et des jeunes filles de Lille. Le programme très bien composé rendait cette fête extrêmement intéressante. Perault vient raconter à Mathilde ses ennuis avec les Dujardin qui sont peu affectueux : il demande la cause de cette attitude si gourmée. Nous lui disons qu’il n’y a absolument rien de sérieux et qu’il ne doit pas s’en inquiéter.

89Dimanche 26. Encore un excellent dimanche passé agréablement en famille. Messe à St-Étienne, beau discours du P. Vigouroux sur l’œuvre de l’adoption. Il développe cette pensée que l’orphelin est le chef d’œuvre de la misère et le chef d’œuvre de Dieu et qu’il faut lui venir en aide pour que son âme ne se perde pas. […] Je cause avec Pérault chez ma tante Scrive-Bigo. C’est un bien aimable et bien intelligent garçon et j’ai de plus en plus de sympathie pour lui.

90Lundi 27. Ma tante Auguste m’a demandé de m’occuper de trouver une situation pour Édouard. Elle ferait mieux de renter cette pauvre famille, elle qui est si riche. Hier, grande conférence de Clovis Hugues à l’Hippodrome pour les bataillons scolaires et à Armentières pour offrir à Testelin le buste de Gambetta. Les élections sénatoriales dans différents départements donnent les sièges vacants aux Républicains. Quelle singulière nation que la nôtre ! Il y a un mois, c’était la réaction qui l’emportait ; aujourd’hui, c’est la révolution. Je vais demander à Renouard s’il est vrai qu’il ait acheté la fabrique de Danset, comme on le dit à Marcq. Il affirme que c’est faux. […]

91Jeudi 30. Mariage à la mairie de Valentine Crépy et de Perault. Temps affreux, pluie incessante. On annonce la déconfiture de la maison Rommel frères (déficit 800 000) dont les principaux créanciers sont Devilder, 200 000 et Duthoit – Thomassin, 120 000 F. Félix Faucheur me parle au dîner de maman Jules de la liquidation du tissage Lefebvre – Dujardin, rue Notre-Dame. M. Leroy – Crépeaux retire sa commandite. Le jeune Feron, ancien employé de Dutilleul, entre chez Charles Mas pour y organiser le tissage à façon.

Mai

92Samedi 2. M. des Rotours et Plichon me poursuivent pour souscrire pour le Nouvelliste mais j’ai la chance d’éviter leur visite grâce à la noce de Perault et de Valentine. Je vais à l’église avec Louise Dujardin qui critique tout d’une façon bien déplaisante. Elle rage de voir que son gendre n’est pas aussi bien que celui de Crépy ; c’est bien maladroit de laisser ainsi voir le bout de l’oreille. La noce est aussi réussie que l’on pouvait l’espérer avec une brouille de famille aussi intense que celle qui existe dans la famille Crépy. Les amies de Lucien Perault sont très gentils, très « comme il faut », notamment les Delarue, les architectes Bérard et Delmas, M. de Camboulas, Paul Vason… […] Je suis ravi que ce mariage ait réussi, car c’est un charmant garçon et tout le monde, sans exception, est du même avis sur son compte.

  • 261 Région de hauts-plateaux au centre de l’Ethiopie.

93Dimanche 3. Dîner chez Ernest Loyer, très gai avec les de La Couture, Desjardin, de Warenghien, Dujardin, Mertian, les Houzé de l’Aulnoit, maman Loyer. Le fils de La Couture est très gai, très cascadeur et amuse toute la société par son esprit plaisant. J’avais passé l’après-midi à la conférence de la Société de Géographie : Paul Soleillet, l’exploration du Choa261, de l’Ethiopie nous a beaucoup intéressés. […]

94Mardi 5. […] Larivière me communique une brochure sur l’éclairage électrique qui prouve que le coût de cet éclairage est plus du double de celui du gaz ordinaire. J’ai été travailler quelques heures chez Danel (catalogue Rothschild).

95Mercredi 6. J’ai causé hier avec un ancien employé de Boutry, Brémard, qui y est resté 5 ans pour organiser le tissage à façon. Il a été employé 4 ans chez Cotteaux et auparavant chez D. Delecaille à Frelinghien. Boutry n’a plus grand chose à faire depuis qu’il a perdu le marché de confection et de harnachement des 2 corps d’armée. Aussi, Brémard croit qu’il a l’intention de fermer sa maison et de se débarrasser de ses employés. Le fils s’occupe exclusivement de cuir. M. Dequoy que je rencontre, me dit que son affaire est au capital de 3 500 000 (7 000 actions de 500 F) et ne rapporte ni intérêt, ni dividende depuis 5 ans que M. Hubert la dirige. Cet Hubert est un intrigant qui se croit la science infuse et qui finira par tout manger. Je vais chez Lefebvre – Dujardin leur demander pourquoi ils liquident leur affaire. Ils disent que leur commanditaire M. Leroy a chez eux 400 000 F plus 100 000 à madame Dujardin et 50 000 à Lefebvre. Chaque associé touche 7 000 F de frais de gérance, depuis 5 ans ils ont mangé de l’argent. Lefebvre regrette amèrement d’avoir quitté la maison Leroy – Dusaussoy qui lui avait offert 12 000 Francs. […] Ernest est désolé de l’état déplorable des affaires de filature de coton. Il est allé à la Bourse et Trisbourg lui a dit que les Anglais expédiaient en France à tout prix. Plaideau arrête sa filature, c’est la 4e filature arrêtée depuis un mois.

96Vendredi 8. Le dîner d’hier chez maman Jules a été assez animé. On voit qu’Émilie est contente du mariage de sa fille et qu’elle est moins grinchue. Le monde parle beaucoup du mariage de Noëmie avec Ternynck. Mariage magnifique, dot 800 000 F, plus 30 000 F pour entrer en ménage et plus tard 100 000 F de rente pour chaque enfant Ternynck – Defrenne. L’un a épousé une demoiselle Masurel qui est très riche, l’autre une demoiselle Dormeuil qui est aussi excessivement riche. Enfin, c’est à faire perdre la tête de ce pauvre Georges qui ne l’a pas déjà trop solide. Le Crédit du Nord est pris pour 100 000 F chez Daudet à Roubaix qui fait de mauvaises affaires. Nous allons aujourd’hui nous installer à Marquette. […]

  • 262 Maire de Bailleul, fabricant de toile.

97Samedi 9. Longue conversation hier avec Schoutteten qui croit à l’arrêt de toutes les filatures de coton fin parce qu’il n’y a pas de débouché pour ces filés. Mort du petit garçon de Constant mon employé. Je vais à Bailleul voir la collection de Bieswal, cet original abruti qui achetait toujours et ne regardait jamais ce qu’il achetait. J’ai la bonne idée d’aller faire visite à Émile Hié262 qui m’invite à dîner. Je le fais causer sur les affaires et je vois que, malgré le bon marché de ses mains d’œuvre, il est aussi malheureux en affaires que moi. 3 000 indigents à Bailleul inscrits au bureau de bienfaisance à cause de la proximité de la Belgique. […] Nous allons ensemble visiter le musée de Puydt, l’hôtel de ville, le superbe asile des aliénées, 1345 femmes habitent cet asile, tant malades que sœurs.

98Dimanche 10. […] Grands ennuis avec le condenseur de la grosse machine. On ne peut pas le démarner ; il va falloir l’enlever pour le démarner dans la cour en faisant du feu tout autour de l’enveloppe.

99Lundi 11. […] On continue à travailler au condenseur et aux dents de l’engrenage du volant. On a enfin retiré le condenseur. Il était complètement emmarné. La soirée d’hier chez Georges a été très gaie. Toute la famille Scrive et la famille Plaideau s’étaient rendues à l’invitation des Georges. Maman Loyer m’annonce que la perte de l’inventaire est de 78 000 francs. C’est considérable ! Et ce n’est que le commencement de la misère ! Les Ternynck sont des travailleurs qui ont parfaitement réussi. On leur attribue 300 000 F de rente. Le jeune Félix qui va épouser Noëmie, n’est pas distingué ; c’est le moins bien de la famille, ses frères aînés ont épousé Mlles Masurel et Dormeuil, très riches toutes deux. […]

100Mercredi 13. […] Je vois Fouquier – Dubard qui me donne les renseignements les plus détaillés sur l’établissement de fil retors pour lissure et pour fil à coudre que son fils Paul a monté à La Madeleine. Il a arrêté les frais et on liquide cette affaire. Son fils cherche une place à Roubaix. Le père Fouquier est aussi déballé que possible : il dit que son chiffre de vente de lames est tombé de 20 000 francs par mois à 9 000 francs. Je ne crois pas pouvoir engager Ernest à monter le fil à coudre quand je vois que des gens comme Fouquier et Albert Plaideau quittent ce métier. Cependant on dit que Boutry – Droulers et Barrois (Théodore) vont en monter. […]

101Vendredi 15. Je vais chez Pollet à Roubaix visiter le tissage de 500 métiers qu’il a monté il y a quelques années. Il me parle des difficultés financières des Delattre. Carlos Delattre a exigé 150 000 F pour se retirer. Je ne comprends pas bien pour quel motif. En définitive, ils sont brouillés à mort : 3 300 000 en parts de 100 000 F chacune, forment le nouveau capital de cette malheureuse maison qui a déjà engouffré des sommes considérables. Cependant Roubaix a prospéré d’une manière merveilleuse depuis 25 ans et le nombre de maisons ayant 5 à 6 millions est considérable. […]

102Dimanche 17. La machine a tourné aujourd’hui. C’est un arrêt considérable qui va nous mettre en retard pour toutes nos fournitures si on ne regagne pas le temps perdu. […] Les affaires bourgerons et toiles hôpitaux qui vont avoir lieu prochainement vont déborder le trop plein des fabricants d’Armentières mais je suis toujours de plus en plus malheureux du côté de mes fournitures. […]

103Mardi 19. À toucher demain 485 F pour le dividende de la banque Deltour. Le notaire Cousin de Phalempin a fait un pouf de 1 500 000 francs au détriment des petits fermiers des environs. Il avait su par ses manières hypocrites, s’attirer la confiance des gogos et à se faire nommer trésorier de la Chambre des notaires de l’arrondissement de Lille ! ! […]

104Mercredi 20. Lettre déplaisante de Lévesque parce que l’on ne livre pas les toiles à voiles qu’il a demandées depuis 3 mois. Il n’a pas tout à fait tort de se plaindre mais il le fait d’une manière déplaisante. Je fais le prix de 82 cent. pour les vareuses Toulon. L’ancien prix était 92c. Temps affreux depuis 3 jours. Le lin et les betteraves sont noyés et pourrissent sur pied. Que vont devenir les cultivateurs déjà si malheureux ? […]

  • 263 Relieur à Lille.

105Vendredi 22. Je vais chez Berteloot263, mon débiteur, qui a levé le pied et qui a filé en Bretagne ! ! Voilà encore un exemple de l’absurdité de prêter de l’argent à quelqu’un ! Je suis donc victime de mon bon cœur et je suis un jobard d’avoir cru à l’honnêteté de Berteloot. Maman Jules me dit que le notaire Helbecque – Cochez a filé de Vieux-Berquin. Il a perdu 100 000 F dans une brasserie de Nieppe. Le jeune Faucheur, mon neveu, voudrait bien faire des affaires à Marquette mais je déclare à maman Jules que je ne veux à aucun prix et sous aucun prétexte faire des affaires en famille et je lui démontre les inconvénients de faire des affaires avec des proches parents par l’exemple de mes oncles et par bien d’autres raisonnements.

106Samedi 23. […] Tous les journaux sont remplis de détails sur Victor Hugo, notre grand poète qui est mort hier. […]

107Lundi 25. Cette année, on fait l’obit des sociétaires défunts de la Société de St-Jean à l’église du Pont-de-Marcq. Malgré la pluie torrentielle de toute la journée, les jeunes Rollez, Faucheur, Mancel, les Larivière et nos enfants se sont bien amusés. […]

108Mardi 26. […] Mort de notre chère cousine Émilie Mimerel enlevée par une phtisie galopante et une fièvre si forte qu’elle se précipitait au bas de son lit. […] Ce pauvre Mimerel est lui-même presque un vieillard et il n’a pas 47 ans ! ! […]

109Mercredi 27. Je vais avec maman Jules et ma tante Émile à Roubaix voir Mimerel. […] Visite de Poillon, l’ami de Larivière, ancien élève de l’École Centrale et directeur de la Société anonyme d’Amiens ; sur 200 métiers à tisser, ils ont seulement 60 métiers qui battent. Il dit que la Société de Pont-Rémy fera perdre tout leur capital aux actionnaires ! Est-ce assez pitoyable d’être dans l’industrie actuellement ?

  • 264 Bertrix : il est d'où ?
  • 265 Préparation des bobines de fil ou canettes.
  • 266 Collage de la chaîne des tissus.

110Jeudi 28. Je vois dans l’Écho d’hier que Cusson s’associe avec René Lagache et un négociant de Clermont-Ferrand ? Cusson apporte 300 000 F, Lagache 300 000 F et l’autre associé264 100 000 F. Quel malheur de n’avoir pu faire cette association l’an dernier et me débarrasser de cette lèpre de Marquette. Je vois par la lettre de mon ami Hié qu’il paie le bobinage, le canetage265, le parage266… beaucoup moins cher à Bailleul. Cela fait au moins 50 000 F par an de salaires en général qu’il faut payer à Marquette en trop, sans compter les frais généraux en plus… C’est une situation impossible pour l’avenir ! […]

111Samedi 30. Enterrement d’Émilie Mimerel. Je vais au cimetière avec l’oncle Auguste Scrive rentré de Paris depuis hier soir. […] Pauvre Auguste Mimerel. Que va-t-il devenir ? L’on est vraiment bien ingrat de se plaindre quand on voit des catastrophes aussi cruelles frapper des parents !

112Dimanche 31. Belle séance au Concours hippique où je vais passer une heure. Maman Loyer, Mathilde, Pauline et moi, nous faisons ensuite une promenade dans Lille dans le superbe équipage de maman Loyer. Dîner chez maman Jules.

Juin

113Lundi 1er. Enterrement de Victor Hugo. C’est la Foire au Cadavre par suite de la folie de ces stupides Parisiens qui ne savent pas faire autre chose que de s’emballer bêtement pour tous les sujets. […]

114Mardi 2. Messe de papa Loyer où je vois Valentine Crépy rentrée depuis avant hier de Paris en belle santé. Elle paraît radieuse. Le père Perault est très mal, il perd tous les jours et bientôt il sera à l’agonie. […]

115Mercredi 3. Je reçois une lettre franche et militaire de Merlin, le capitaine, fils de l’ancien portier de la rue du Lombard, à qui j’avais prêté 2 000 F il y a quelques années et qui s’acquitte scrupuleusement de cette dette. Le petit Tony vient me demander pardon des fautes qu’il a commises depuis sa naissance jusqu’à sa première communion ! Pauvre petit ange ! […]

116Jeudi 4. Première communion de Tony à St-Maurice. Je suis très ému de cette touchante cérémonie qui se fait avec la plus grande solennité, mais le doyen fait une allocution un peu mystique et quintessenciée pour ces pauvres petits mioches. Dîner chez maman Loyer pour la 1re communion de Tony.

117Vendredi 5. Temps admirable mais chaleur accablante, ce qui fatigue considérablement Mathilde et Tony dans leurs visites de 1re communion. Dîner chez Ernest Loyer qui nous reçoit très amicalement ainsi que Pauline. Je reviens de Lille avec M. Chon, professeur d’histoire et de littérature. […]

118Samedi 6. Lettre admirablement écrite de madame Mancel sur les obsèques de Victor Hugo qu’elle juge en femme de cœur et en poète. Je la conserve avec les journaux et les dessins que je collectionne pour la mort de ce grand génie. Mais les affaires commerciales pour lesquelles j’éprouve une répugnance de plus en plus grande, me sont de plus en plus préjudiciables. C’est absolument désespérant.

119Dimanche 7. Journée délicieuse. […] Dîner de Ste Émilie chez maman Jules avec les Loyer, les Auguste Scrive, les Crépy, Perault, Dujardin, F. Faucheur, tante Sophie, Marie, Albert et les enfants. Lettre très agréable de M. Chon qui me remercie de lui avoir envoyé mes Bourgeois contemporains.

120Lundi 8. Terrible orage ce matin au moment de la rentrée des ouvriers. Il tombe des pierres grosses comme des noisettes qui vont faire gros tort aux fruits. Déconfiture de Castelain – Maquet, l’époux de Rose Maquet, notaire à Menin. On dit qu’il doit plus de 2 millions. Il aurait été victime de Vandenberghe, le beau-père de Woussen, qui s’est tué il y a quelques mois, en laissant des dettes considérables que sa famille n’a pas voulu reconnaître. Dîner intime avec Valentine et Perault. Je montre à Perault mes livres ; je lui lis différents morceaux de poésie de V. Hugo et la lettre de Mme Mancel sur les funérailles du grand poète. […]

  • 267 Filous.

121Mercredi 10. Fouquier – Dubard me dit qu’il a été à Armentières avant-hier, qu’il y a vu une misère épouvantable chez les fabricants de toile. Gamelin lui a avoué qu’en dépensant 1.25 par jour pour sa nourriture, il ne peut pas gagner un sou. Auguste Mahieu a 4 000 pièces à vendre ; Dutilleul a 40 machines à coudre pour faire des confections qui lui permettent d’écouler ses toiles. Fouquier a loué sa retorderie à Wiarmé de Paris pendant 12 ans ½, à raison de 12 500 F par an plus 4 500 pour l’immeuble à Leclercq – Herteman. Il est ravi d’être enfin débarrassé de l’industrie. Il ne dormait plus la nuit tant il avait d’inquiétude. En 2 ans ½ il a perdu 100 000 francs ! ! Un chauffeur qu’il avait renvoyé, avait graissé les pistons avec de l’huile dans laquelle il avait mis de l’émeri, aussi le cylindre a été rayé. Il a fallu l’envoyer chez Boyer qui lui a demandé 2 000 F pour le réaléser. Tous les ouvriers d’aujourd’hui, dit Fouquier, c’est tous capons267 ! ! […]

122Vendredi 12. Les affaires deviennent de plus en plus exécrables et je crois que je vais être obligé de renvoyer une grande partie de mes ouvriers. […] Je n’ai jamais été si tranquille et si calme à Marquette que cette année. Evidemment, c’est une compensation aux déceptions des affaires, mais j’aimerais mieux que les affaires fussent moins mauvaises. […]

  • 268 Poésies de Maurice Rollinat, 1883.

123Samedi 13. Encore une piètre semaine pour les affaires qui vient de finir. Je lis Les névroses268 que m’a prêté M. Hedde, le juge. Quelle pitié de dépenser tant de talent dans des sujets aussi malpropres. La sensation remplace de plus en plus le sentiment. C’est l’école du Parnasse contemporain. Triste ! Triste ! […]

124Mardi 16. Mathilde fait visite à la tante Auguste. Madame Longhaye lui dit que les enfants et les personnes délicates ont souvent, à cette époque de l’année, des fièvres que l’on appelle en Angleterre les « fièvres du foin », au moment où les foins sont en fleur ; c’est une espèce de fièvre muqueuse bénigne.

125Mercredi 17. […] Jamais les affaires, déjà très exécrables, n’ont été plus mauvaises. C’est à se demander où cela pourra s’arrêter. […] Je cause avec Mathilde de l’éducation à donner à nos enfants quand ils quitteront l’institution Pilate, mais je suis plus embarrassé que jamais sur ce qu’ils feront. […]

126Vendredi 19. […] Le dîner, donné hier par Larivière ou plutôt par sa femme aux Gustave Scrive, Ducrocq, Barbet, Liénard, fait le plus mauvais effet dans le pays. Auguste Houzé me dit que Verstraete arrête sa filterie. Je suis très étonné bien que la mort du fils Jules Verstraete laisse une responsabilité bien lourde à Nicolle-Verstraete. On dit que Vanoye, filateur d’étoupes, va arrêter.

127Samedi 20. Émile Bigo vient présenter son futur gendre Pierre Verley. C’est un fort gentil cavalier. […] Le notaire Renard de Carvin fait un pouf considérable.

128Dimanche 21. Dîner chez ma tante Henri à Hellemmes avec les Ternynck, les Auguste Scrive, papa et maman Jules, madame Lisnard, les Dujardin, Faucheur. On trouve le jeune Félix Ternynck très commun, le père Ternynck un type réussi de parvenu. Il ne veut pas de science, ni d’instruction pour les industriels parce que cela les détourne du « positif ». Quelles gens peu agréables que les Roubaisiens, mais quels industriels sérieux et « positifs » ! Madame Lisnard est peu charmée du mariage de sa petite-fille. […]

129Lundi 22. Je vais chez le Trésorier payeur général, M. Levylier, avec qui je parle des Balsan, des Suchet, des d’Audiffret… Il voit la situation très triste pour les affaires, car la culture étant ruinée par la concurrence américaine, il est tout à fait impossible que les industriels leur vendent leurs produits. C’est un enchaînement. Auguste Houzé me demande des renseignements sur M. Lamy fils de mon ancien professeur Lamy – Kuhlmann. Il s’agit d’un mariage. Explosion formidable à Tourcoing chez un trieur – peigneur de laines Honoré, qui est tué ainsi que 15 ouvriers, 23 sont blessés […]

130Mardi 23. […] Ernest me dit que les filatures de lin sont prêtes à arrêter : LeBlan, Poullier. […] Demande de renseignements sur Lamy qui veut se marier. L’affaire Kuhlmann est-elle bonne ? On paraît avoir des doutes sur elle. […]

131Mercredi 24. […] Fouquier – Dubard me parle de Viseux – Ponteville qui fait beaucoup de toiles en chaîne coton. Il y a peut-être quelque chose à faire. Je demande à Bataille de s’occuper de trouver des types de ces toiles. À quel degré de misère suis-je tombé, mon Dieu ! Est-il possible que je n’aie à fabriquer que des saletés de cette nature ? Larivière me dit que M. Liénard est venu le consulter sur une créance de 35 000 F qu’il a sur Scrive – Bigo. Ainsi, ce malheureux oncle doit de l’argent à un tas de gens en dehors de la banque du Crédit du Nord. C’est navrant et inquiétant.

132Jeudi 25. […] M. H. Bernard ne donne que 100 000 F de dot à ses enfants et 200 000 après sa mort, parce qu’il laisse tout le surplus aux œuvres religieuses. Le jeune Delesalle (Alphonse) doit épouser Madeleine Plaideau. La filature Alphonse Delesalle doit arrêter à moitié. C’est un triste début de jeune ménage. Pourquoi Plaideau consent-il à un pareil mariage ? Grand dîner chez Ernest Loyer avec les Dujardin, les Gonnet, Houzé, Groulois, Ch. Delesalle, Huet… Orage violent après le dîner.

133Vendredi 26. Chambre de Commerce. Le commerce de Montevideo envoie des viandes en Europe à 50c le kg. Comment pourrait-on faire de l’élevage en France si on fait venir de la viande dans ces conditions là ? […] LeBlan dit que les filateurs d’Hellemmes et de Fives vont arrêter le lundi. Il trouve qu’on ferait mieux de ne travailler que 10 h par jour au lieur de 12. […]

134Lundi 29. […] Date de ma naissance ! 48 ans !

Juillet

135Mercredi 1er. Quelle triste situation des affaires pour le début de ce trimestre ! ! Combien devrai-je arrêter de métiers pour éviter l’encombrement ? […] Lettre désagréable de Cherbourg parce que l’on a mis 2 liteaux aux toiles à voiles chanvre et lin tandis qu’il n’en fallait qu’un seul.

136Jeudi 2. Je cause avec maman Jules de la justice de me faire une diminution sur le bâtiment de Marquette ; ce qui me paraît juste, ce serait de me donner le titre de rente 4 ½ % que j’ai donné à papa Jules pour solde de cette vente. Je m’occupe des rentes 3 % et des coupons à encaisser ; pendant que les affaires industrielles sont si mauvaises, c’est une petite consolation de recevoir ses rentes. Si j’avais tout mon avoir en rentes sur l’État ou en obligations de chemin de fer, je serais plus heureux qu’en étant prisonnier de l’industrie.

  • 269 Daudier Louis (1836-1917) époux d’Henriette Kolb-Bernard, 8 enfants et Daudier Henri (1831-1885), é (...)

137Vendredi 3. […] Maman Jules a dit à Mathilde que papa était assez bien disposé à me faire la réduction sur le prix de l’usine de Marquette. Hier, à table chez maman Jules, on a parlé des bruits qui courent en ville sur la rupture de mariage de Noëmie. Quel malheur que d’être ainsi sur la langue du public. L’on annonce la déconfiture de la grande maison Daudier269 d’Orléans. Les 2 fils Daudier ont épousé, il y a une vingtaine d’années, les deux charmantes demoiselles Kolb – Bernard. Ils ont des quantités d’enfants ! ! Quelle affreuse situation que de tomber du pinacle ! Ils occupaient la première place à Orléans, étaient les amis du cardinal Dupanloup, et les voilà ruinés. Le pauvre vieux père Kolb a sa femme tombée en enfance, ses fils sans fortune et ses petits-enfants ruinés. Quelle décadence !

138Samedi 4. Chevresson dit que les échéances de fin juin ont été bien faites, mais le chiffre d’affaires depuis 2 mois, est tombé de 1 500 000 F par jour à 900 000 francs. Il dit qu’on doit faire des expériences d’éclairage électrique à Marcq aujourd’hui et qu’on a monté le blanchiment électrique en Angleterre. […]

139Dimanche 5. Les relevés d’inventaire faits hier avec Délie m’ont prouvé que ce brave garçon était toujours le plus au courant de tout ce qui est en magasin. Temps merveilleusement beau, pas trop de soleil. Dîner somptueux chez la belle-maman, avec les Mertian, les Dujardin, les Crépy et les Perault, les Houzé, papa et maman Jules, madame de La Couture ; mais c’est long de traîner ainsi toute une journée sans avoir rien à lire ! […]

140Mardi 7. Maman Jules me donne le titre de rente 4 ½ % valant 109 000 F, en déduction du prix de l’usine de Marquette que j’ai payée trop cher : 400 000 francs il y a 3 ans. Quels bons parents j’ai eu le bonheur d’avoir et combien je m’applaudis d’avoir eu ce numéro à la loterie de la vie, quand je vois ce que sont certains parents de ma connaissance à l’égard de leurs enfants ! […]

141Mercredi 8. Continuation de l’affreuse situation des affaires ! C’est à se jeter la tête contre les murs. De Mérode vient me faire ses adieux ; Il est criblé de dettes et comme ses parents sont ruinés par leur fils aîné qui a monté un nouveau système d’éclairage, « l’Apollon », qui n’a jamais marché, ils ne peuvent pas venir à son aide. Il part pour chercher fortune en Algérie. Il dit que les fabricants d’Armentières mangent l’argent des imbéciles qui ont confiance en eux. Soirée charmante passée avec Émilie en lisant Brizeux, le poète si pur, si limpide de la chaste Bretagne.

142Jeudi 9. […] Ennuis à Rochefort pour le lessivage des toiles à voiles de chanvre. Décidément je n’ai plus de chance d’aucun côté, et pourtant, je fais tout ce qu’il est possible pour éviter les rejets. […]

143Samedi 11. Je demande à M. Chon de faire un article dans La Vraie France pour annoncer la visite faite par l’archevêque de Cambrai à l’institution Pilate le jour de la confirmation (jeudi). […]

  • 270 Notaire.

144Dimanche 12. Le courrier apporte une lettre un peu moins mauvaise de Brest, en ce sens que l’on paraît donner la préférence, dans ce port, aux toiles en fil retors lin sur les toiles en fil chanvre. Il paraît même que nous avons un très bon rang dans l’opinion du port. Malheureusement, cela ne me donne pas de travail. Dîner chez maman Jules avec maman Loyer, les Scrive – Bigo, les Crépy, les Dujardin. Perault et Valentine sont à Anvers avec leurs amis Delarue. Les Félix Faucheur dînent chez Paul Ducrocq270 à Marcq. Alfred Crépy me raconte de nouveau les détails fastidieux de sa querelle de gros sous avec ses frères et son père.

  • 271 Torchons à liteaux rouges.

145Lundi 13. Duplay qui a dîné hier chez Larivière, prétend que la filature de lin est plus malheureuse que le tissage. Cependant, il prétend qu’il fait tisser des rondelettes271 à Armentières à 7 centimes ! ! ! Le fabricant qui accepte une façon aussi bon marché ne doit certainement pas s’enrichir. Incendie considérable chez Delattre à Dorignies, peignage mécanique de laines.

146Mardi 14. Départ par un temps charmant pour Boulogne. Nous louons l’ancien logement que nous avons occupé pendant 3 ans chez Lefèvre, pour 1 700 F jusqu’à fin août ; nous pouvons y venir quand nous voudrons. Les Panckoucke et le colonel paraissent enchantés de nous revoir revenus leurs voisins. Déjeuner au restaurant Poismeur [ ?] à la marée haute ; jamais Boulogne ne m’a paru plus gaie et plus jolie. Départ à 5 h. Nous faisons route avec Valdelièvre et M. et Mme Sée. Leur conversation est fort agréable et instructive. M. Sée me dit que Casse commandite Fourlinnie, inventeur d’une nouvelle machine à vapeur, que Tilloy cherche à monter une affaire d’électricité analogue à celle de l’oncle Scrive, que Brunet s’occupe du cycle à vapeur de Testu de Beauregard, rue Lafayette à Paris…

147Mercredi 15. Résultat de l’inventaire : 46 000 F de perte, plus le compte réserve et autres frais à ajouter. Voilà la chute après la fête ! ! Hier tout était à la joie, aujourd’hui tout est à la tristesse. L’oncle Édouard, que je vois chez maman Jules, dit que chez Verstraete tout le magasin de fil retors est rempli de marchandises et que Nicolle voudrait monter du tissage pour écouler ses fils ! ! ! L’employé de Wallaert à Paris qui gagnait 40 000 F par an, a quitté les Wallaert, ainsi que le gérant de la retorderie de Santes, pour entrer chez Boutry – Droulers et y monter la filterie.

148Jeudi 16. J’apprends que la fabrique Danset est vendue à Rogeau, fabricant de toile à Armentières. Si ce fait est vrai, c’est un coup de pied pour nous qui ne savons pas faire marcher notre fabrique. L’inspecteur de la navigation du canal de Roubaix vient nous apporter une fiole contenant des eaux provenant de la fabrique ; il les trouve chargées de matières putrescibles. Ce sont les ennuis de l’an dernier qui vont recommencer ! Fouquier – Dubar, chez qui j’ai passé une heure, me dit que les affaires sont épouvantables à Armentières. Il me parle aussi des fils à coudre qui donnent beaucoup de perte aux Wallaert, Thiriez, Boutry. Droulers qui vient de prendre les employés des Wallaert mangera 1 million avec ces gaillards, d’après ce que dit Fouquier. […]

149Samedi 18. Je décide que l’on ne travaillera pas lundi. […]

150Dimanche 19. […] Courses de Lille ; nous allons voir la rentrée des voitures. Incident comique de madame Charles Delesalle qui montrait ses jambes jusqu’au dessus de la jarretière. Je vais lui dire qu’elle donne au public un spectacle dont elle ne se doute pas.

  • 272 La Voulzie.
  • 273 1810-1838, écrivain et journaliste français.

151Lundi 20. Van Butsele dit que la situation à Armentières devient très mauvaise. On démonte des métiers de tous les côtés. Rougé dit qu’on vend les toiles à des prix inférieurs de ceux que l’on pratiquait avant la hausse. Cusson achète chez nous 30 pièces de vieilles marchandises sur lesquelles il y a 30 F à perdre par pièce. Soirée charmante avec Émilie à qui je lis Ver-vert et le Myosotis272 (Hégésippe Moreau273) Mathilde me raconte l’algarade de maman Loyer, vexée de ce que je lui réclame le remboursement progressif de l’argent qui m’est dû. Maman Loyer a cru que c’était une attaque personnelle dirigée contre Ernest ! ! ! Faut-il avoir l’esprit « contrefait » pour imaginer une interprétation extravagante, extraordinaire et… stupide à une démarche d’ailleurs toute simple ! Il faut que je veille sur mes paroles avec ces bonnes gens là !

152Mardi 21. Je vais chez maman Jules passer une heure en causant de tout ce qui peut nous intéresser. Elle m’annonce que maman Loyer a invité madame Louise Danset pour dimanche ! ! Quelle nécessité y avait-il à inviter cette dame ? Il est vrai qu’il y a 40 invités à cette solennité villageoise, donnée pour « populariser » le châtelain Ernest. Dîner chez ma tante Henri avec les amis Guichard, Ozenfant et les filles Ternynck, Nelly, Noëmie, la mère Lisnard. Mathilde écrit à sa mère pour lui reprocher (à juste titre) le rôle odieux qu’elle joue en cherchant à me brouiller avec Ernest.

153Mercredi 22. Horrible situation des affaires qui me rend malade, car je ne puis pas me faire d’illusion : c’est l’arrêt définitif du tissage à bref délai. […] Degouy prétend que Dubois lui donne toute la marchandise dont il a besoin et qu’il est content des affaires ! ! ! Madame Lisnard prétend qu’Hermite gagne 25 000 F chez Scrive – Bigo et les autres Anglais sont payés dans les mêmes proportions. Décidément ce Scrive – Bigo est le plus stupide des vieux ramollis. Comment tout cela va-t-il finir ? L’Écho du Nord dit aujourd’hui que l’on arrête 3 000 métiers à tisser. Enfin ! ! !

  • 274 Quiret Th., comptable à Lille.

154Jeudi 23. Mathilde écrit à maman Loyer une lettre très bien tournée qui rétablit les faits relatifs à l’incident Quiret274 et qui montre que je suis en droit d’être froissé de la conduite tenue à mon égard. Maman Loyer écrit une lettre entortillée pour se justifier mais, en définitive, elle fait des excuses de son emportement irréfléchi. Tout est bien qui finit bien ! […]

155Vendredi 24. Félix Faucheur me parle de l’arrêt de nombreuses filatures et pour la 1re fois il parle de l’arrêt probable des tissages d’Armentières qui ne sont pas bien montés. Séance de la Chambre de Commerce où je communique les échantillons de cotonnades teintes de différentes couleurs, mais toutes de couleurs superbes que j’ai reçues de l’ami Paul Dislère, on les laissera à la disposition des industriels qui voudront les examiner au secrétariat de la Chambre. M. Brunet paraît très intéressé par ces types. Vial me parle de l’éducation du lycée Monge : trop commercial, trop de juifs riches de tous les pays du monde. Il préfère l’éducation du collège Stanislas où sont ses fils parce qu’elle est plutôt l’image de la vie du monde ; il s’y trouve des fils d’avocats, de médecins, de militaires, de commerçants et pas trop de nobliaux bêtes, entichés de leur noblesse.

156Samedi 25. Visite de maman et papa Jules qui viennent féliciter Jules de son succès à la distribution des prix : ce cher petit a le prix d’excellence et, en tout, 13 prix ; quant à Tony, il en a 3 et encore ! ! Je suppose que M. Pilate n’a pas osé l’en priver. Cet enfant m’inquiète à cause de sa légèreté, de son esprit désordonné, mal équilibré, de ses goûts dépensiers ! Je crains pour son avenir. Mme Larivière vient faire visite à Mathilde […] Elle croit que la crise actuelle finira prochainement et que ceux qui auront eu les reins assez solides pour résister, devront faire des affaires magnifiques ! ! ! Cette bonne dame se figure sans doute que je vais me laisser conduire au fossé sans enrayer !

  • 275 Général de division, sénateur, commandant en chef le 1er corps d’armée à Lille.

157Dimanche 26. Journée admirable pour la fête que maman Loyer donne aujourd’hui à Lomme. Nous arrivons à Lomme à 1 h. Grand dîner de 40 personnes ! Je suis à table à côté de Louise et de Nelly. Celle-ci me parle du mariage de Noëmie avec Ternynck qui ne paraît pas lui plaire : ce n’est pas un garçon assez distingué, dit-elle. Il ne fallait pas l’accepter. Madame Danset qui était près de Mathilde, lui dit qu’Armentières est dans une position effroyable. Carrousel très intéressant mais chaleur sénégalienne. Au dîner, M. Houzé a porté la parole en buvant à la santé des Perault et des Faucheur, les deux jeunes ménages dont on fête les mariages aujourd’hui. Le général Billot275 et sa femme et sa fille assistent au carrousel. Nous sommes très surpris de voir cette noble assistance républicaine honorer de sa présence l’hippodrome de Lomme.

158Lundi 27. Départ à 7 h par le plus beau temps du monde. Chaleur excessive qui rend le séjour à la mer aussi agréable que possible. Arrivés à 11 h, nous allons déjeuner au restaurant du casino afin de ne pas trop compliquer le service pour l’installation, d’autant plus que Rosalie a la migraine. Famechon me dit que les affaires en ciments sont épouvantables. Il arrivera, dit-il, à vendre 90 000 tonnes (au lieu de 117 000) mais à des prix très bas, 30 francs la tonne au lieu de 47 ! On ne donne pas 3 % comme intérêt pour l’année 1885. C’est bien mauvais. Installation très confortable au boulevard Sainte-Beuve. Famechon me dit que les Camondo (usine rivale) ne produisent que 80 tonnes par jour, soit 25 à 30 000 par an et qu’ils ne font pas d’économie de plus de 1c par tonne avec leur installation plus moderne, plus perfectionnée que celle de Desvres.

159Mardi 28. Hier soir, musique en face de nos fenêtres, par la plus belle soirée du monde. […] Nuit délicieuse de fraîcheur et de repos. Réveil ennuyeux à cause d’un rejet de vareuses à Brest. Promenade en ville avec les fils pour achat de souliers de plage, de pelles, bateaux. 1re journée des courses de Boulogne. Bal où l’on veut faire payer 5c d’entrée, ce qui vexe beaucoup de monde.

160Mercredi 29. Dès huit heures, je pars pour une longue promenade du côté de Beaurepaire et du couvent Nazareth, en haute ville. Église Notre-Dame. Bibliothèque à 10 h où je demande quelques ouvrages de Byron. Au retour, je lis le courrier qui est moins mauvais que d’habitude. Je vais aux bains de l’école de natation avec Tony qui se jette courageusement à l’eau. Après déjeuner, j’écris à maman Jules, puis je vais au casino pendant que Mathilde va faire visite à madame Cousin qui loge chez sa mère, en attendant que sa maison rue Beaurepaire soit finie. Nous voyons le retour des courses qui ont été plus intéressantes (au dire des amateurs) que celles de la veille, mais où il a fait encore plus de poussière. Grand bal des courses, illuminations, feu d’artifice : type d’amusants originaux. […]

  • 276 Opéra comique en 1 acte d’Adolphe Adam.
  • 277 Opéra comique en 3 actes d’Adolphe Adam d’après Jean-Baptiste Desforges.
  • 278 Opéra comique en 1 acte de Victor Massé.

161Jeudi 30. […] Soirée agréable au théâtre du casino : Le Chalet276, le Sourd ou l’Auberge pleine277. On joue encore « les Noces de Jeannette278 », mais nous ne l’écoutons pas parce qu’il est déjà 11 h ½.

162Vendredi 31. […] Promenade au port en eau profonde : excellent bain avec Tony. […] Soirée charmante. Lettre de maman Loyer annonçant la rupture du mariage de Noëmie. Tant mieux, c’était un butor qui ne l’aurait pas rendue heureuse.

Août

163Samedi 1er. Je vais voir sauter les épaves du « Dickens » avec des cartouches de dynamite et les scaphandres, à l’entrée du port.

164Mercredi 5. Lettre un peu moins mauvaise des affaires, mais cependant c’est loin d’être bon. Maman Loyer écrit à Julio, elle lui parle des fêtes du couronnement de la Vierge qui doivent avoir lieu le 15 août à Boulogne. Grande promenade du côté de l’abattoir de Brequerecque et du champ de foire. […] Je cause avec l’abbé Haigneré, le savant paléographe et sigillographe de Boulogne qui se trouve à la bibliothèque avec moi. […] Je fais connaissance avec un abbé en tramway : il est à l’école de la rue de Madrid à Paris. C’est un homme très distingué et très aimable. Il connaît le P. Ollivier et le bon abbé Helin. Je reçois aujourd’hui une lettre de ce bon ami avec une charade un peu croustillante que devine madame Crépy, « Couverture ».

  • 279 Opéra en 2 actes. Livret de Jules Henri Vernoy et Jean François Alfred Bayard.

165Jeudi 6. Après le bain et le déjeuner, je vais au musée, à la bibliothèque. Je m’y rencontre avec Huret – Lagache que je trouve vieilli, alourdi, ne parlant que de son désir d’être décoré après l’exposition d’Anvers où il espère obtenir un diplôme d’honneur. Ce garçon là aurait la manie des grandeurs et un ramollissement du cerveau dans quelque temps que je n’en serais pas surpris. Belle représentation de la « Fille du régiment279 » après le bal d’enfants qui a été très réussi. Nous y retrouvons nos amis Crépy, Panckoucke, Julia Agache et nous passons encore une soirée très agréable.

166Vendredi 7. Arrivée des torpilleurs de Cherbourg, 3 torpilleurs commandés par notre ami Léon Pujo. Je l’invite à dîner demain, ainsi que sa femme. […]

167Samedi 8. Léon Pujo nous vient prendre après le déjeuner pour aller aux torpilleurs avec les Crépy – Poullier. Puis je vais à la bibliothèque feuilleter le beau manuscrit de la chronique de Hainaut de Gérard de Guise. Bal superbe au casino. […] Feu d’artifice à 11 h. les plus jeunes ménages lillois qui jouent aux petits chevaux, y ont perdu beaucoup d’argent : les Lecroart, Ch. Delesalle, LeBlan – Delesalle. […]

168Dimanche 9. […] Le temps redevient magnifique ; monde considérable partout : régates, tir aux pigeons. On joue le Barbier de Séville qui nous amuse beaucoup ; dans l’après-midi on a joué une pantomime des frères Renards qui a amusé les enfants. Bal populaire, feu d’artifice après la représentation du casino.

169Lundi 10. Départ à 8 h ½ de la flottille de torpilleurs. J’y vais avec Delemer et Lenglart. Nous admirons la vitesse de ces petits bateaux qui donnent une fois de plus la preuve du génie de l’homme […]

  • 280 Opéra comique en trois actes, de Paul Ferrier, Jules Prével et Louis Varney.

170Mardi 11. […] L’abbé Hélin arrive à 9 h ½. Nous allons avec lui à l’école de natation. Tony nage seul. Promenade avec l’abbé que je reconduis à la gare. […] Ce matin, pendant que nous déjeunions tranquillement dans notre lit, le fond a cassé et nous nous sommes trouvés précipités dans le fond, ce qui nous a beaucoup fait rire : 19e anniversaire de notre mariage ! « Les Petits mousquetaires280 » dont on avait voulu faire une solennité artistique, n’ont pas plu aux auditeurs. Il est vrai que malgré la présence du compositeur Varney qui dirigeait l’orchestre, les acteurs ne paraissaient pas bien savoir leurs rôles.

171Mercredi 12. Dislère et sa femme sont arrivés à minuit. […] Nous allons les voir à 9 h et nous nous promenons avec eux. Je vais à la bibliothèque où je lis avec plaisir ce que dit de Lille un certain Mathorez qui la visitait en 1812. J’ai l’intention de copier ce passage de ses mémoires. Arrivée de maman Loyer à 4 h avec Hermance et Louis. Nous dînons ensemble puis, nous allons au casino. Le concert qui devait faire une autre solennité artistique nous ennuie. Nous rentrons à 10 heures et nous passons une bonne soirée.

172Jeudi 13. […] Grande fête enfantine au casino. Dès 2 heures, les enfants arrivent de tous les côtés, les uns costumés, les autres sans costumes ; il est impossible de remuer tant il y a de monde. Dislère, de Montfort, Panckoucke et les Bourgois sont du jury chargé de décerner les prix aux enfants les mieux costumés et ce n’est pas une petite affaire, tant les parents sont féroces quand il s’agit de leurs enfants ! […] Après dîner, séance d’escamotage très réussie, feu d’artifice. […]

173Samedi 15. Nous allons à la messe à St-Pierre avec Perault et Valentine. Ils trouvent que Boulogne est très joli. Mathilde les conduit ensuite en voiture à Wimereux et à la haute ville. Temps merveilleux. Après le déjeuner, nous allons au théâtre entendre Lakmé qui est très bien chanté, puis nous allons au bout de la jetée avec les Crépy – Poullier, les Panckoucke. Dîner chez nous avec maman Loyer, les Dislère, les Perault. […]

  • 281 Opéra bouffe d’Audran et Chivot.

174Dimanche 16. Admirable journée. Départ pour la messe à 8 h ¼ à St-Pierre. Les Perault vont faire un tour en ville. Bain délicieux avec Tony. […] Nous déjeunons au restaurant du casino, régalés par maman Loyer (Dislère, Perault, nous et les enfants). Le Grand Mogol281 ne m’amuse guère. Après la représentation, nous allons sur la plage, sur la jetée. […]. Après le dîner, nous allons encore au casino pour entendre Faust qui est très bien chanté. À 11 h ½, feu d’artifice. Journée de plaisir bien remplie.

175Lundi 17. Continuation du beau temps. […] Je reste près de Mathilde cet après-midi. Jusqu’au moment où je vais à la bibliothèque […] Mesdames Boutmy, Delmer, Georges Crépy, les enfants Boutmy, Delemer et Henri Lenglart ont fait une promenade en mer, mais au lieu de rentrer à 5 h, ils ont été pris dans un courant contraire et ils ne sont rentrés qu’à 9 h ! Tout le monde était assez inquiet et on les attendait au bout de la jetée avec des manteaux et des châles, car ils étaient gelés ! […]

176Mercredi 19. Temps sombre, froid. Tony prend son bain mais ni Jules, ni moi n’en prenons aujourd’hui. Dîner à la maison où nous invitons les Crouy, Cousin, Dislère, très gai. Nous n’allons pas au casino où il n’y a pas de représentation mais simplement un bal. Nouvelles toujours déplorables des affaires à Lille.

177Jeudi 20. Temps affreux : impossible de prendre un bain froid aujourd’hui. Pauline vient nous dire bonjour. Elle compte assister aux fêtes du couronnement de la Vierge et a loué une chambre avec 2 fenêtres (à un prix très élevé) sur la place Godefroi de Bouillon, pour ne rien perdre de la cérémonie. […]

178Vendredi 21. Il a plu pendant toute la nuit mais j’ai pris mon bain avec Tony malgré le peu de suavité du temps. […]. Je suis de plus en plus inquiet de la tournure que prennent les affaires. Denantes n’a pris que 127 pièces au lieu de 1 000 ou 1 200 que j’espérais. Il a trouvé à Armentières à des prix fantastiques ce qu’il lui fallait. À la bibliothèque, j’ai lu le volume de supplément du Larousse. Je ne crois pas qu’il existe à la bibliothèque du Cercle à Lille, du moins je ne l’ai pas vu. […]

  • 282 Opéra en 4 actes de Verdi.

179Samedi 22. […] La bande des Kuhlmann, Agache, Delesalle, de Jessaint va à cheval jusqu’à Ambleteuse ; aussi ces dames sont très fatiguées et ne viennent pas au casino où l’on joue Le Trouvère282. Nous y trouvons la famille Lefebvre – Lenglart qui accompagnait les Delemer […]

180Dimanche 23. Couronnement de N. D. de Boulogne. Temps absolument charmant pour la fête de ce jour qui attire 100 000 personnes à Boulogne. Il y a foule partout. Après la messe à 8 h ½ à St-Pierre, je vais avec les enfants visiter les rues pavoisées. Le quartier St-Pierre est surtout remarquable par l’originalité de ses décorations de filets de pêche : on dirait une immense dentelle tombant du ciel sur la terre. Après notre bain, nous déjeunons et nous allons place Godefroi de Bouillon où nous avons des fenêtres louées dans la maison qui fait l’angle de la place. Nous sommes donc au centre même de la cérémonie et nous passons une après-midi délicieuse. Discours à 3 h ½ du P. Boulanger, couronnement de la statue de la Vierge et de l’enfant Jésus. Les couronnes, dit-on, coûtent 60 000 francs. Procession magnifique, 15 évêques et archevêques. Dîner à 7 h chez la mère Crouy avec les Poullier […] minuit, on danse encore dans les jardins du casino.

181Lundi 24. Journée splendide. Je me promène avec Ernest qui désire avoir des renseignements sur l’article soie et coton que l’on monte à Calais chez mon propriétaire, M. Forestier. […] La ville est encore tout en fête. On est enchanté de la solennité d’hier qui a parfaitement réussi. Dîner chez Dislère avec Georges Crépy et Bourgois – Dislère. Nous allons ensuite sur la jetée et nous apprenons que Le Bougainville est en rade. C’est le bateau manœuvre annexe du Borda. Il a à son bord le commandant Caubet, ami de Dislère, ancien chef de cabinet de M. Brun, ministre de la Marine. 104 élèves et 100 hommes d’équipage, il rentre dans le bassin à flot à 10 heures.

  • 283 Opéra en 3 actes d’après Goethe, d’Ambroise Thomas.

182Mardi 25. […] L’on visite Le Bougainville dont le jeune élève Faucon nous fait les honneurs. […] Nous sommes très intéressés par cette visite, surtout au point de vue des armes : fusil Kropatschek, canon revolver Hotchkiss, canon perfectionné avec graissage à la glycérine. Je vais ensuite à la bibliothèque où je trouve un Roubaisien, fils d’Amédée Prouvost. […] Très jolie représentation de Mignon283 au théâtre du casino, avec toute l’École navale qui applaudit chaleureusement. Le bal offert à l’École navale réussit pleinement. […] Punch offert dans la salle de billard, très réussi. Dislère porte le toast à l’École navale. Le commandant Caubet lui répond, puis Hirschler et enfin le major de la promotion, Lenglart, au nom des élèves. On continue ensuite les danses et quand nous partons à 1 h ½, elles durent encore. […]

183Mercredi 26. […] Le temps est toujours radieux et chaud. L’ami Delmer me demande de faire une démarche près des Crépy pour son frère Henri Lenglart, amoureux de Jeanne Poullier. Je crains que cela ne réussisse pas. Je vais à la bibliothèque l’après-midi copier le manuscrit de Jacques de Guyse sur la bataille de Bouvines. La zizanie est dans la bande des Agache, des Delesalle, Lecroart, LeBlan… […] Après le dîner, nous avions été prendre le café avec les amis Crépy, Panckoucke, Dislère, de Montfort qui avaient dîné au préalable au casino.

184Jeudi 27. Dislère est rappelé pour les obsèques de l’amiral Courbet qui ont lieu à Paris demain. Je rencontre à la bibliothèque Prouvost et je lui prête ma copie de la bataille de Bouvines de Jacques de Guyse. Visite de madame Crépy. J’en profite pour lui parler longuement de la demande en mariage d’H. Lenglart pour Jeanne Poullier. Les 2 objections sont le manque de position du jeune homme et la conduite de madame Lefebvre. J’espère lui avoir fait comprendre les avantages sérieux apportés par H. L. Elle en parlera à son mari et à sa sœur. Bal costumé très réussi. Tony est en pierrot et s’amuse beaucoup. Les enfants Delemer sont très gentils avec les costumes faits par leur tante. Le petit Delemer, en clown, est très drôle. Jeanne Boutemy, en diablesse, une délicieuse petite nourrice bourguignonne, une fillette adorablement jolie en page… ont les prix. Le menuet dansé en costumes devant nous. Après le bal, nous dînons tous au casino, dîner en musique. Maman Loyer nous régale du dîner. Séance de prestidigitation, bal populaire, feu d’artifice. Très jolie fête. […]

185Vendredi 28. J’écris une lettre à Delemer pour le mettre au courant de ma démarche près de la famille Crépy. […] Émotion sur la plage parce que l’on voit une dame se noyant. Elle était tombée dans un trou et ayant perdu pied, elle était évanouie dans l’eau. Une autre dame tombe en syncope par la frayeur qu’elle éprouve. […]

186Dimanche 30. Très mauvaises lettres de maman Jules pour la santé de mon pauvre père et des affaires. Je télégraphie pour demander si je dois revenir immédiatement à Lille. Temps très désagréable mais je prends néanmoins mon bain. Sera-ce le dernier que je pourrai prendre cette année ? […]. Promenade à la jetée avec Julio, Dislère et Boutemy. Dîner au casino avec maman Loyer, les Dislère. […] On joue Carmen au théâtre où il y a foule. Nous faisons nos adieux aux Isaac, aux Crépy, aux Panckoucke, aux Delemer…

  • 284 Henri Dupuis, collections de faïence, de céramique et d’histoire naturelle.

187Lundi 31. Je pars à 6 h après avoir été faire mes derniers adieux à la plage et à la jetée à 5 h ½ du matin. Temps superbe… regrets… Je fais route de St-Omer à Bailleul avec M. Dupuis284, le célèbre collectionneur de St-Omer et un monsieur très distingué qui chasse le « grouse » et le coq de bruyère en Ecosse, Souabe… Il est très intéressant. Je vais chez papa Jules dès mon arrivée. Je le trouve très faible et très changé. Cependant il ne paraît pas y avoir danger imminent. […]

Septembre

188Jeudi 3. […] Courrier absolument nul. Il en est de même pour la filature de coton d’après ce que m’écrit maman Loyer. Cette chère mère quitte Boulogne aujourd’hui à 10 heures pour rentrer à Lomme. Elle ne paraît pas beaucoup s’amuser depuis notre départ. Longue séance au Cercle et au Salon où je me régale de lire les journaux et quelques revues. Cela me console des ennuis industriels. Dîner chez papa Jules avec tous les enfants et petits-enfants (sauf André Crépy et son père).

189Vendredi 4. Le courrier apporte la lettre de Crépy qui dit que Jeanne Poullier n’a pas d’affection spéciale pour Henri Lenglart. J’envoie cette lettre à Delemer. Je me promène en phaéton par la porte de Roubaix jusqu’à Marcq en traversant Rouge-Barre, Le Quesne et autres hameaux très jolis. […] Le résultat de la filature de coton depuis l’inventaire de mai, s’élève seulement à 6 000 francs. C’est bien maigre !

190Samedi 5. Le courrier est un peu moins mauvais, en ce sens qu’il apporte une petite commission de Fourrié de Toulon. Papa a mal dormi : ses forces sont de plus en plus faibles. Vanpeteghem défend à Mathilde de sortir avant lundi. Elle n’ira pas à la cérémonie de l’église mais peut-être à la soirée. Maman Jules est très inquiète de voir que papa est si bas. Maman me dit qu’un notaire de l’arrondissement de Lille est en fuite. Je ne sais pas encore qui c’est, mais il est certain que les notaires de campagne doivent être dans une fâcheuse situation avec la baisse des propriétés sur lesquelles ils ont prêté de l’argent.

191Dimanche 6. Assez tristes nouvelles de papa Jules qui n’a pas passé une bonne nuit. Je vais chez Caroline voir les préparatifs de la fête de demain : cinquantenaire ou jubilé du mariage de ses parents. La tente est superbe, la répétition d’hier soir a très bien marché, sauf l’éclairage électrique qui a raté en partie par l’insuffisance de la machine. Je fais une promenade à Loos et je reviens par le chemin de halage du canal de la Deûle. Je reste à Marquette avec Mathilde et les enfants.

192Lundi 7. Grande cérémonie de la cinquantième année de mariage de l’oncle Scrive – Bigo. Il y a 50 ans, en 1835, mon oncle Bigo, maire de Lille, mariait sa fille et son fils : Marie Bigo épousait Désiré Scrive, Louis Bigo épousait Émilie Tilloy. Que reste-t-il aujourd’hui de toute cette famille ? Hélas ! Les Bigo ont disparu dans l’orbite de Danel qui était, il y a 50 ans, un pauvre petit imprimeur sans fortune, c’était le cousin pauvre de la famille (son père avait été ruiné ainsi que son associé, Prévot – Bigo, dans le commerce d’épiceries). Aujourd’hui, c’est Danel qui est au pinacle ; c’est lui le protecteur de la famille Bigo ! ! Quant à mon malheureux oncle Scrive, où est sa belle fortune ? Aux 4 vents du ciel… dispersée, dilapidée. Hélas ! Trois fois hélas ! Affluence à l’église St-Maurice. Jamais on n’en vit une plus grande, même pour les cérémonies les plus solennelles ! La musique de Lens joue pendant la messe. Discours du doyen. Après la messe, on va chez l’oncle Scrive, rue du Lombard. Mon oncle et ma tante sont extraordinaires de jeunesse, de dignité. Ce ne sont pas des vieillards, mais des gens dans la force de l’âge. Les musiques de Lens et du Pont-de-Marcq jouent dans la grande cour. Maman Jules me dit que papa est très mal aujourd’hui. On craint une catastrophe. Je vais le voir et je reste près de lui jusqu’à 3 h. Le curé de St-André va l’administrer ce soir. Quel contraste ! Quelle douleur d’un côté et quelle joie d’un autre ! C’est toujours ainsi dans la famille Scrive. Je dîne chez Louise et nous sommes à nous demander si nous pouvons aller le soir chez l’oncle Scrive, ayant notre père administré à la même heure. J’envoie Victor fils à Marquette dire à Mathilde de passer à 6 h ½ rue Royale pour savoir ce que nous devons faire. Nous arrivons les premiers chez la tante Scrive – Bigo à Esquermes. La fête s’annonce comme un succès et il faut bien reconnaître que les Bigo et les Danel ont fait merveille. […]

193Mardi 8. […] L’oncle Scrive – Bigo vient voir papa Jules ; il est très ému en le trouvant aussi faible. Il raconte les détails de la rupture de Noëmie et de son fiancé Ternynck.

194Mercredi 9. Triste journée pour mon pauvre père. Je reste presque toute la journée près de lui. […]

195Jeudi 10. MORT DE MON PERE BIEN AIME A L’AGE DE 72 ANS (il était né le 25 septembre 1813).

196Les nouvelles de papa sont de plus en plus tristes. Je pars à 8 h, craignant de ne plus le trouver vivant, mais je constate qu’il a encore une certaine vigueur (relative bien entendu)… À peine rentrés à Marquette à 11 h ½ et au milieu du déjeuner, on m’appelle au téléphone ; c’était l’oncle Scrive – Bigo qui venait de la rue Royale : tout était fini ; à midi mon pauvre père s’éteignait sans souffrance (apparente) en tenant la main de maman et celle de Louise. Je viens auprès de ma chère mère à 1 h et à 2 h, j’ai vu le corps d’un homme de bien, d’un homme de cœur, d’un digne et bon père entouré de l’estime et de la vénération publiques. Nous nous occupons des détails répugnants qui sont la conséquence de semblables catastrophes. Maman est étonnamment forte et courageuse.

Jules César Scrive

Jules César Scrive

Issu d’une lignée d’entrepreneurs à l’origine de l’industrie concentrée et mécanisée dans la région lilloise, il appartient à une famille parmi les plus riches de la place. Jamais il ne se laisse séduire par le coton ou la laine, plus rémunérateurs : le lin est son univers.

197Vendredi 11. Comme dans ces pénibles circonstances, l’on se sent consolé par la pensée que tout le monde prend part à votre douleur. Nous restons près de notre cher défunt pendant une partie de la journée. Défilé des parents et des amis. Organisation des listes… Pluie diluvienne pendant toute la journée. […]

198Dimanche 13. Obsèques de mon pauvre et vénéré père à midi à St-André. Affluence considérable qui témoigne par sa présence des sentiments unanimes de respect et de sympathie que l’on éprouvait pour cet excellent homme. Ernest Loyer est mon deuillant. La cérémonie religieuse est très belle. Les ouvriers de Marquette sont presque tous venus à Lille. Les musiciens jouent la Marche Funèbre de Chopin pendant l’offertoire. Il y a au cimetière une grande foule également. Duval (de chez Lévesque) et Dislère sont venus de Paris pour les funérailles.

199Lundi 14. Je vais passer la matinée chez maman Jules pour m’entendre avec elle sur différents points : 500 F à la musique de Marquette, deuil (robe) à Florine et à Mme Bersiléon. Maman a l’intention de nous donner à chacun 20 000 F par an, soit 60 000 F. Elle a 160 000 F de rente, donc il lui en reste 100 000 moins ce qu’il faudra diminuer pour les pertes dues à la rigueur du temps.

200Mardi 15. Maman Loyer vient nous voir à Marquette. Nous convenons de différents points pour l’obit de samedi. Je fais arranger les cadres de papa Jules chez Chevalier, l’encadreur. […]

201Mercredi 16. Je vais chez maman Jules, chez Boldoduc pour les images de deuil, chez Danel pour les lettres de deuil, chez Depoisse pour acheter une carabine pour Jules (65 francs + 3c de cartouches). Chaleur extraordinaire pour cette époque de l’année.

202Jeudi 17. […] Il paraît que la laine a subi une baisse effroyable, 2c au Kg sur une valeur de 6 F et comme il se fait à Tourcoing un chiffre d’affaires de 300 millions par an, cette baisse ruine un grand nombre de négociants.

  • 285 Charles Manso.

203Vendredi 18. Je vais chez Danel commander des cartes de deuil. Je visite ses nouvelles chaudières dont Émile Bigo et Léon Danel me font les honneurs. Ils me racontent les toasts et les pièces de vers récités à la noce de Marie Bigo et de Pierre Verley. Les vers de Manso285 récités par Germain Bigo et par ses frères sont très jolis.

204Samedi 19. Messe – obit à St-André. Foule considérable de messieurs et de dames. L’on distribue à Marquette 216 bons de viande aux ouvriers, en remerciement des couronnes offertes par les ouvriers. […]

205Dimanche 20. Journée radieuse. Je vais à Lille, au Cercle, lire une partie de la matinée. Après le déjeuner, nous y retournons avec les enfants […]. Foule énorme partout. Dîner chez maman Jules avec le curé de Vauban, l’abbé Durand et le doyen de St-André, l’abbé Richard. Je vois chez Boldoduc la lithographie de papa Jules pour les images de deuil : elle est ressemblante. […]

  • 286 Collection léguée à la ville par Jules de Vicq et installée au Palais Rihour à Lille.

206Jeudi 24. Nous allons visiter le Fort de Bondues avec les amis Mancel. Cette visite est intéressante parce que ce fort est muni d’une tourelle mobile et de canons à frein hydraulique à la glycérine pour empêcher le recul ou plutôt pour ramener le canon à sa première position, après le tir. Il y a aussi des canons revolver. En sortant du fort, nous rencontrons Boselli qui allait chasser chez De Vemy. Dîner à Marquette avec Perault, Valentine, Victor fils. Nous avons visité le Musée de Vicq286 pendant que Suzanne était allée chez le général Billot.

207Vendredi 25. Je vais à Lille chercher l’argent de la semaine, causer avec maman Jules, voir Ernest, la filature de coton qui marche toujours médiocrement. Auguste Houzé me montre l’appareil destiné à rafraîchir la salle de gazage, c’est une invention du père Pavrez, l’associé de Léon Houzé. Cette invention est, dit-on, excellente pour les malteries. Ce sont des morceaux de lisière de drap qui trempent dans des bacs pleins d’eau et, en séchant, ces lisières laissent évaporer l’eau : ce n’est pas plus malin que cela ! Les Mancel déjeunent chez le général Billot. Nous allons ensuite au Musée de peinture, mais il était fermé. Cependant, nous avons pu le visiter parce que M. Herlin, le directeur, en faisait les honneurs à un peintre étranger. Visite de la papeterie et de l’atelier de construction de l’éclairage électrique de Gustave. Pauvre garçon ! […]

208Mardi 29. […] Mimerel vient à Marquette avec moi pour causer de la situation de l’oncle Scrive – Bigo. Il me raconte toute sa conversation avec Scrive – Bigo qui a promis de liquider l’affaire d’électricité pour la fin de l’année. Je n’en crois pas un mot. […]

Octobre

209Jeudi 1er. Longue conversation avec Chevresson sur la situation S. B. [Scrive-Bigo] qui doit 500 000 F sur lesquels 400 000, à peine, sont couverts (par 19 actions Lens). C’est tout ce qu’il lui reste en Lens car les 30 autres sont à la souche pour servir de garantie comme étant administrateur. Mme. S. B. a encore 44 actions, mais à son nom et il ne peut pas y toucher sans l’autorisation de sa femme. Il aura à payer 35 000 F pour les machines d’électricité ! En définitive, la situation devient de plus en plus dangereuse pour ce malheureux. Quant à G [eorges], il passe pour être stupide et sans aucune intelligence des affaires. Les 40 000 F souscrits par La Rochefoucauld ont été protestés. Triste ! triste ! Fouquier – Dubard a arrêté la moitié, au moins, de son usine de peignes à tisser, à cause du ralentissement de la fabrication. Tous les fabricants, dit-il, sont aussi malheureux […].

210Vendredi 2. Départ de madame Mancel et de Suzanne. Nous philosophons jusqu’au départ du train qui l’emmène à Cambrai, sur le panthéisme, le spinozisme, les idées innées… C’est une femme très supérieure, mais à quoi sert la supériorité chez une femme avec nos idées barbares sur l’état d’infériorité sociale des femmes ? Je cause avec maman Jules de la baisse probable des actions de Lens puisque le charbon se vend aujourd’hui 9 F la tonne tandis que Lens vend 12 F. Il est clair que l’on ne pourra plus donner 900 F par an par action et conséquemment les actions baisseront et tomberont à 12 000 F ou 13 000 F. Que deviendront alors nos pauvres parents Édouard Scrive et Scrive – Bigo ? C’est navrant de penser à cela.

211Samedi 3. J’apprends qu’Agache a fait soumission tous les lots de l’Assistance par Barbry, qu’il a 3600 pièces. Ainsi, il a encombré ses magasins de toiles de commerce et il est réduit à aller aux adjudications ! […]

212Dimanche 4. Élections à la Chambre. La liste réactionnaire passera dans le département du Nord et dans le Pas-de-Calais. Je vais voter à l’école communale de la place de l’Arbonnoise. Je reviens à pied. Je cause avec le commandant Varaigne qui représente près de la commission du magasin d’habillement de Lille, les 23 fabricants de drap de troupes. Il dit que l’agent du magasin, un nommé Chartier, est une canaille qui exige des fabricants un tant pour cent sur les livraisons ! Il me donne des détails sur cet individu cynique. Duval envoie le détail des prix déposés à l’adjudication de l’Assistance publique de Paris. C’est insensé comme prix ; il y a au moins 50 000 francs à perdre. Où allons-nous ? Dîner chez maman Jules avec les Crépy, les Perault, les Dujardin, maman Loyer et l’oncle Édouard. On parle surtout des élections : Ernest a joué un rôle important dans cette circonstance ; aussi maman Loyer est-elle très enchantée d’avoir l’occasion de se gargariser avec son cher fils.

213Lundi 5. […] Je vais à Lille, au Cercle. Les Républicains sont atterrés : Albert Decroix, Mahieu, Charles le vétérinaire… Par contre, les Conservateurs jubilent : Lemmens, Delerue…

214Mardi 6. […] Maman Loyer écrit une lettre de jubilation sur le scrutin du 4 octobre : c’est la prospérité à bref délai pour la France !

215Mercredi 7. Journée nulle comme affaires. Je vois Chas qui m’avoue que les affaires vont doucement, que l’on ferait bien de ralentir la production… […].

216Vendredi 9. Maman Jules me dit que la jeune Marthe Debuchy aime Maurice Danset et que ma tante Émile a prié ma tante Henri de faire sonder le terrain près de Danset par madame Lisnard. Cette commission répugne beaucoup à ma tante Henri.

217Samedi 10. Maman Jules communie ce matin à l’église St-André pour l’anniversaire du jour de la mort de papa Jules. Voilà déjà un mois que ce bon père nous a quittés ! […]

218Dimanche 11. Journée lugubre. Pluie torrentielle toute la journée. Cependant, il y a eu du monde aux courses : c’est à n’y pas croire ! […]

219Lundi 12. Maman Jules et l’oncle Édouard viennent à Marquette pour l’obit que fait chanter la confrérie des trépassés pour le repos de l’âme de papa Jules […]. Maman se décide à donner 500 F pour l’œuvre des Incurables. […]

220Mardi 13. Nous nous occupons des préparatifs de retour à Lille et du voyage à Anvers. Je n’ai plus le courage de rien écrire sur les affaires commerciales qui sont de plus en plus désolantes et cependant Chevresson affirme qu’Armentières ne doit pas plus d’argent au Crédit du Nord que d’habitude ( ?) […].

221Mercredi 14. La bourse linière est absolument nulle. Affaires nulles. Courrier nul. C’est tout simplement effrayant […].

  • 287 « Les Pauvres gens » dans la Légende des siècles.

222Jeudi 15. Visite de Michon, de la Société linière de Landerneau qui vient voir ce qui se passe. Il se plaint aussi très vivement de la concurrence d’Armentières qui écrase toute la France. Faudra-t-il se laisser ainsi distancer par ces gredins ? Non, sans doute, mais comment s’y prendre ? Dîner chez maman Jules. Félix Faucheur dit que les fils baissent et que les fabricants de toiles doivent être heureux ! Je lui réponds que j’aimerais mieux payer les fils 10 F au paquet de plus et vendre mes toiles avec bénéfice, que d’avoir les fils pour rien et de ne rien vendre. J’ai lu au Cercle les Contemplations de V. Hugo : Les Braves gens287, La Rose de l’infante sont des chefs d’œuvre ainsi que « Le Satyre ».

223Vendredi 16. Je vais à Lille lire les revues et les journaux illustrés, puis à 4 h ½, nous partons pour Anvers où nous arrivons à 10 h. Notre installation à l’hôtel du Grand Laboureur n’est pas heureuse. On avait fait un feu ardent dans une toute petite chambre et nous étions rôtis bien que nous eussions ouvert la fenêtre pour pouvoir respirer. Le chocolat était exécrable ! J’obtiens d’autres chambres, plus vastes, où nous dormons bien. Cependant, Julio attrape un rhume pour avoir eu froid après avoir eu très chaud dans la chambre ardente […]. Je trouve l’hôtel du Grand Laboureur moins confortable que celui du Grand St Antoine, cependant il est très achalandé, paraît-il, par les Lillois.

224Samedi 17. Dès le matin, je vais avec Jules à la cathédrale, à la Bourse et faire une promenade pendant que Mathilde fait le ménage. Départ pour l’exposition par les boulevards. Nous commençons par les Beaux-Arts qui nous intéressent vivement, puis l’Exposition industrielle, très réussie. Dans la galerie des machines, nous voyons l’exposition Scrive – Hermite (éclairage) et, devant le restaurant populaire dans le jardin, l’exposition des appareils de blanchiment par l’électricité. Les dynamos marchent avec une machine Bouley ( ?) qui a eu le diplôme d’honneur ( ?), de sorte qu’il semble que ce soit le blanchiment par l’électricité qui a eu cette distinction, tandis que c’est simplement le moteur. Nous déjeunons au Restaurant français où il y a peu de monde. L’on voit que c’est la fin de l’exposition. À 5 h, nous quittons, bien fatigués, et nous parcourons les quais merveilleux et les bassins.

225Dimanche 18. Nous allons dès le matin à la messe à l’église St-Jacques qui est la plus riche de celles d’Anvers pour les monuments funéraires des familles patriciennes ; puis nous allons à Notre-Dame pour voir les tableaux qui ne sont pas cachés le dimanche. Nous y rencontrons les Perault, les Crépy qui sont venus passer la journée ici, mais le temps est très mauvais aujourd’hui. Visite à la maison Plantin, visite très intéressante parce que le musée s’est de plus en plus enrichi depuis ces derniers temps. Déjeuner au Rocher de Cancale qui est le meilleur d’Anvers, puis nous rentrons un instant à l’hôtel où je lis l’affreux courrier de Lille. Je reprends mon courage à 2 mains et je repars visiter les musées (ancien et moderne) pendant que la pluie tombe à torrents. Nous y restons une partie de l’après-midi et ce n’est que vers 3 h ½ que nous allons au jardin zoologique, le plus beau que nous ayons vu. De là, nous prenons une voiture pour aller nous promener sur les nouveaux boulevards, au parc et nous ne rentrons que pour dîner.

  • 288 « Musée Royal d’Armures, d’Antiquités et d’Ethnologie » installé dans une porte de la deuxième ence (...)
  • 289 Musée de peinture.

226Lundi 19. Départ à 9 h pour Bruxelles. Nous arrivons à 10 h. Nous allons déjeuner rue des Harengs, à l’Épaule de Mouton où nous avions dîné il y a 15 ans, ma chère Mathilde et moi. […]. Visite à l’hôtel de ville, à Ste-Gudule, au musée de la porte de Hal288, au musée de peinture, au musée des Beaux-Arts, au musée Wierts289 … Nous revenons à pied de la Place Royale jusqu’au Café Riche où nous dînons à 5 h […]. Excellent dîner. Départ à 6 h 45 pour Lille par Courtrai, Mouscron. Nous arrivons à Lille à 10 h, très heureux de notre excursion et nous revenons nous installer à Wazemmes.

227Mardi 20. […] Je retrouve les affaires plus épouvantables que jamais. C’est à se sauver ! Il y a une réunion demain au Comité Linier pour les mesures à prendre dans l’état précaire des affaires […].

  • 290 Législation sur la limitation de la durée du travail.

228Mercredi 21. […] Réunion du Comité Linier. Renouvellement du bureau. Edmond Faucheur, président. On agite la question du « short time290 », mais comme les gros filateurs s’y refusent, il n’y a pas moyen de s’entendre, bien que tout le monde se plaigne de l’excès de production. […] Je cause avec Mathilde de la possibilité d’avoir une chambre – bibliothèque à Wazemmes […].

229Vendredi 23. […] Tony est très désagréable ce soir. Le pauvre garçon est dans une mauvaise voie ; il ne prend rien au sérieux et plaisante de tout. Je me vois forcé de le gifler parce qu’il me manque de respect. […]

230Dimanche 25. […] Ernest vient me voir et me parle de la situation de la filature. Je l’engage à ralentir considérablement la production puisqu’il ne vend pas ses produits, mais il ne paraît pas comprendre ce raisonnement et prétend que cela augmentera ses frais généraux ! ! ! Il a encore prêté de l’argent à un officier (2 000 F) qui ne le paiera pas. Quel serin ! Dîner chez l’oncle Auguste avec les Paquin, les Scrive – Bigo, les Henri, les Georges et les Crépy. Je cause longtemps avec l’oncle Scrive – Bigo à qui je fais part de mon opinion sur Hermite que je considère comme un faiseur de dupes. Je l’engage à arrêter les frais pour l’électricité, tant pour l’éclairage que pour le blanchiment, qu’il n’y a rien à espérer de lucratif dans ces 2 inventions. […]

231Mardi 27. Continuation de la crise intense des toiles. Je suis cependant forcé de laisser travailler le lundi parce que les ouvriers gagneraient trop peu en cinq jours par semaine, sans même éclairer le matin ni le soir […].

232Mercredi 28. Je cause avec madame Lefebvre – Defrenne du mariage de Noëmie et j’apprends que c’est Ernest Plaideau qui a envenimé les choses en disant du mal de madame Georges et de madame Lisnard à M. Billet (le peintre) de Cantin, parent et ami des Ternynck. Ce polisson de Plaideau n’en fait jamais d’autres ; son caractère est fourbe et jaloux sous les apparences de la gaîté et de la jovialité. Bourse des fils très mauvaise. On annonce que la grande maison Marshall de Leeds qui avait une filature de 80 000 broches au lin, la plus importante du monde et qui occupait 3 000 ouvriers, a prévenu ses employés qu’elle arrêtait dans 6 mois en raison du mauvais état des affaires.

  • 291 Fabricant de toile à Armentières.

233Jeudi 29. […] Au dîner de maman Jules, j’apprends que la maison Deweppe – Faucheur291 a gagné 3 000 francs dans cette année ! ! Il est probable qu’en faisant bien leurs calculs, il n’y aurait même pas de bénéfice et plutôt de la perte.

234Vendredi 30. Le naïf Bersillon me dit que même en ne travaillant que 9 heures par jour, les ouvriers de Marquette gagnent plus que dans les fabriques des environs où l’on travaille 12 heures. Est-ce que l’on ferait plus d’ouvrage ? Est-ce que l’on paierait plus cher ? Dans ce dernier cas, je serais la dupe. C’est à voir […]

  • 292 Négociants en fils à Lille.

235Samedi 31. […] Je rencontre Devosse de la maison Dhainne et Devosse292 qui, après m’avoir imprudemment affirmé qu’Armentières ne lui devait rien, à peine cent mille francs, a fini par reconnaître que beaucoup de marchands de fil étaient créanciers des fabricants d’Armentières pour des sommes considérables. Il m’a cité un fabricant qui était venu lui offrir du 20 lin sec à 53 F qui valait certainement 57 francs ; c’était pour faire une échéance et Devosse ajoutait que le fil en question n’était peut-être pas encore payé. À côté de cela, Coquelle me disait que Deheere et Fremaux montaient un grand tissage à Erquinghem. L’ancienne blanchisserie d’Erquinghem a été achetée par ces messieurs il y a quelques mois pour devenir un tissage mécanique ! Tout cela est stupéfiant.

Novembre

236Dimanche 1er. Larivière me donne les détails de son triste voyage à Paris. Les tentes sont destinées, dit-on, à l’Assistance publique. Cela me paraît bien étrange : ce serait Saint – Frères qui auraient cette fourniture. Tout ce que me dit Larivière sur la situation des affaires à Paris est épouvantable. Le courrier de ce matin est un peu moins mauvais que d’habitude. Dîner chez maman Loyer avec les Auguste Houzé, Léon H., Marie, Paul qui vient d’être reçu au baccalauréat avec la mention Bien, Mme et Mlle de La Couture, M. et Mme Mertian. Je m’amuse beaucoup à taquiner madame Houzé.

237Lundi 2. […] Émile Loyer annonce qu’il va se marier et partir en février pour la Martinique. Je cause avec ma tante Henri de la conversation que j’ai eue l’autre jour avec M. Lefebvre – Defrenne concernant Ternynck et Noëmie. […]

238Dimanche 8. Je vais à Lille. Je cause par téléphone à Larivière qui me raconte la visite du jeune Pouilly d’Amiens. Cosserat est encombré de toiles. Lapierre, de la maison Bernard-Lapierre est mort insolvable. Quant à lui, il faisait beaucoup d’affaires avec Henri Deren qui, aujourd’hui, n’en fait presque plus. Aussi, a-t-il arrêté 2 000 broches au fil sec. Il perd sur le fil sec 5 à 6F au paquet. On parle beaucoup de l’invention de la teilleuse Cardon, exploitée par Agache et Dujardin. Ange Descamps m’envoie une brochure sur la situation industrielle de Lille (1875). […]

239Mardi 10. On parle d’une escroquerie qu’un Parisien aurait faite à Lille, Armentières, en achetant de la toile qui aurait été déposée aux Magasins Généraux et vendue au rabais (Puech, boulevard Sébastopol). Alex Eeckman me parle de l’article qu’il va faire sur Dunkerque et sur la famille Briansiaux. J’avoue que ces petites niaiseries me font plaisir. Elles me distraient des ennuis des affaires […].

240Mercredi 11. La bourse linière est affolée par la machine teilleuse – peigneuse de lin de Cardon – Agache – Dujardin. On dit que Boutemy en a acheté 30 et qu’il a acheté en Belgique et en France pour 400 000 F de terrain pour monter des rouissages et des teillages. LeBlan a acheté 25 machines. L’Union Linière également 25 machines. Otto Lévi, Wemaere, Renouard… sont dans l’enthousiasme des résultats que l’on attend de cette invention. Je crois qu’il y a de l’affolement dans cette affaire, que l’on aura des déboires dans l’application en grand. Cette machine pique la paille de lin avec une foule de petites aiguilles et la paille ainsi perforée tombe en miettes. Avec l’ancien système de teillage, on brisait la fibre et le déchet était considérable […].

241Jeudi 12. On dit que Féray d’Essonnes, le vétéran de l’industrie, petit-fils d’Oberkampf, ferme ses usines. Il a monté à Corbeil, il y a 5 ou 6 ans, une filature de lin où il a dépensé 2 millions, une filature de ramie qui n’a pas marché longtemps. Après le dîner chez maman Jules, on s’occupe de la succession de papa Jules et l’on décide que pour faciliter les affaires, on fera renoncer d’abord maman Jules à la succession de son mari, puis Laure à la succession de papa et de maman. C’est une économie de plus de 113 000 F d’après Perault qui trouve cette combinaison […].

  • 293 A Mérignies, près de Lille.

242Vendredi 13. Les LeBlan disent à Crépy que la nouvelle machine teilleuse – peigneuse fera une diminution de 8 F au paquet sur les 30 lin. Ils sont décidés à monter cette affaire en grand. Crépy songe à monter un teillage à Rupilly293, mais il hésite, il attend, il pelote et finalement, j’espère pour lui qu’il ne fera rien.

243Samedi 14. Les Faucheur vont chez le constructeur Dujardin pour examiner la teilleuse – peigneuse dont tout le monde parle. Ils sont enthousiasmés, prétendent que la filature de lin en sera bouleversée. Dujardin a des ordres pour 18 mois, cela paraît certain mais d’autres constructeurs copient déjà la machine teilleuse et de nombreux procès en contrefaçon ne vont pas tarder à surgir de tous les côtés.

244Dimanche 15. Inauguration solennelle de la nouvelle église de La Madeleine par Mgr de Cambrai. Cérémonie très longue. Discours de l’archevêque promettant à la famille Wallaert et Scrive – Wallaert des places d’honneur au Paradis pour le beau cadeau fait au bon Dieu ! Le brave Auguste Scrive boit du lait ! Cependant l’archevêque paraît un homme très distingué et très capable, mais quand il s’agit de quêtes pour les intérêts matériels de l’Eglise qui a besoin de tant d’argent, il y a des accommodements avec la rigueur des lois ecclésiastiques. Déjeuner très copieux chez Auguste Scrive […]. Auguste Mimerel m’annonce qu’il place son fils au Crédit du Nord, succursale de Roubaix, pour apprendre la banque. Quelle singulière occupation pour un vicomte ! Je suppose que Mimerel craint de mourir jeune et, dans cette éventualité, il désire que son fils soit apte à diriger sa fortune qui consiste surtout en valeurs de portefeuille. Mais je me figure que rien n’étant plus dangereux que la banque, il est à craindre que le jeune homme se laisse entraîner à de mauvais placements et à la spéculation. Après le déjeuner, je reviens à Lille, au Cercle du Nord, jusqu’à 7 h, heure à laquelle je vais chez maman Jules retrouver les Crépy, les Dujardin, maman Loyer, ma tante Émile et ses enfants Roussel.

  • 294 Peintre anversois (1845-1922), spécialisé dans la peinture de sujets religieux, de paysans et d’his (...)

245Mardi 17. J’ai été hier à Roubaix visiter l’exposition de peinture organisée par la société des Amis des Arts de cette ville. J’ai bien fait de profiter du beau temps, car on fermait l’exposition lundi 16 novembre. Il y avait quelques jolies toiles entre autres d’Évariste Carpentier294, mais beaucoup de faibles essais d’artistes en herbe. Je reçois une dépêche de Suchet qui ne me demande que deux mille mètres vareuses ! ! ! Évidemment, la mauvaise chance continue à me poursuivre et cela devient ridicule ! […] Remarque. Heureusement Suchet s’est trompé et c’est 20 000 mètres que demande le port de Toulon (vareuses).

246Mercredi 18. La fièvre des filateurs ne fait qu’augmenter pour les machines teilleuses – peigneuses d’Agache et Cardon. Cela n’empêche pas la bourse Linière de ce jour d’être aussi mauvaise que jamais et même d’être plus mauvaise. […] J’achète cent actions du chemin de fer du Midi, 5 % garantis par l’État. Le jeune homme qui s’occupe des valeurs me fait un tableau très intéressant sur les revenus des différentes valeurs à leur taux actuel de capitalisation […].

247Jeudi 19. Dîner chez maman Jules assez animé à cause de l’invention d’Agache. Crépy y a toute confiance parce que les LeBlan trouvent que cette machine est merveilleuse. Cependant, Poullier – Lemahieu, Renouard, Badin… ne partagent pas cet enthousiasme et traitent de monteurs de coup, Cardon, Agache et Dujardin. Le piquage des lins en paille a été essayé il y a 20 ans par un nommé Busch, dit Renouard et sa machine n’a pas réussi. Il me semble que c’est plutôt l’affaire des rouisseurs que des filateurs de se lancer dans cette route nouvelle et où il y aura certainement bien des déceptions.

248Vendredi 20. J’apprends la mort de Clémentine LeBlan, femme de Lefort, à Bauvin. Cette pauvre jeune femme a fait une chute dans son escalier hier soir et s’est brisée l’épine dorsale. Elle est morte sur le coup. […] L’Écho du Nord donne un article de Dubar sur la machine Cardon qu’il appelle une importante découverte appelée à bouleverser l’économie de la fibre du lin. Druez m’apprend une mauvaise affaire à Paris, Piotet, confectionneur rue St-Martin. Boutry est pris pour 210 mille francs, Monier – Déchin pour 48 000, une maison de Villefranche pour 40 000. Lui, Druez, a la chance de n’être pris que pour 1300 francs.

249Samedi 21. Maman Loyer nous raconte la demande d’Auguste Houzé d’avoir quelques mille francs de plus par an, parce qu’on lui offre une place de directeur d’une mine de charbon (Liévin). Maman Loyer et Ernest sont très vexés de cette demande. Cependant, il est facile de comprendre que Auguste Houzé, voyant avec quelle facilité on gaspille l’argent à Wazemmes, désire se faire mieux payer ses services qu’il juge mériter plus que 2 000 F par an.

250Dimanche 22. […] Maman Jules dit que les deux papas LeBlan se retirent des affaires avec une très belle fortune.

  • 295 Louis Feray, filateur de lin, gendre d’Oberkampf.

251Lundi 23. Enterrement de Clémentine LeBlan à 8 h. Départ de Lille avec Dujardin, le constructeur de la machine Cardon, Ange Descamps, Decoster – Verley, Masquelier, Albert Scrive, Dujardin. On raconte tous les détails de la mirifique invention de Cardon et sa biographie. Il a été ouvrier peigneur chez Droulers – Agache en 1855, puis contremaître de peignage chez Dequoy. Il a quitté Dequoy parce que le gérant Hubert trouvait qu’il perdait son temps à rechercher des inventions stupides. Il a inventé la peigneuse – repasseuse qu’Agache et Dujardin ont exploitée mais quand il a offert sa machine teilleuse, ces messieurs ont été furieux parce que la première machine commençait à se vendre et qu’il n’aboutirait à rien de bon avec la teilleuse. Ce pauvre garçon, très penaud, a travaillé dans une chambre et Gavelle – Brière lui a offert de mettre l’affaire en actions, mais Agache et Dujardin ayant eu vent de ces pourparlers, lui ont offert 50 000 F comptant, plus 100 000 F quand ils auraient pris les brevets à l’étranger, plus 30 % dans les bénéfices de la construction. Aujourd’hui, 23 novembre, ils ont déjà vendu 260 machines, soit pour plus de 3 millions de machines et cela ne fait que commencer. Voilà un inventeur heureux ! À côté de cela, M. Féray295, le vétéran de l’industrie linière, est complètement ruiné. Il vient demain à Lille pour demander que les filateurs viennent à son secours ! Il paraît que Dutilleul a pris un brevet pour le rouissage du lin au moyen de la mélasse et de la levure de bière. Ce procédé est rationnel car la mélasse et la levure doivent déterminer une fermentation que l’on peut régler assez convenablement pour empêcher la fermentation putride, source de mauvaise qualité des lins. Je reviens de Bauvin avec Agache, Dujardin, Leroy – Crépeaux fils, Ange Descamps. Je suis très intéressé de tout ce que j’ai vu et entendu.

  • 296 Algue ferment.

252Mercredi 25. On dit qu’Alfred Delesalle va abandonner la filature de coton de La Madeleine où il a mangé beaucoup d’argent. Ses fils, l’aîné et le plus jeune, reprendraient cet établissement. Je m’occupe toute la matinée d’un projet de lettre à l’Écho du Nord pour engager les agriculteurs à semer du lin et à étudier les travaux sur les fermentations qui sont la base des réactions à opérer dans le rouissage : bacillus amylobacter296. Dubar est enchanté de ce travail et j’ai beaucoup causé avec lui […].

253Jeudi 26. Aller chercher au Crédit du Nord les titres libérés de la Société continentale d’éclairage.

254Vendredi 27. […] Je travaille mes « microbes ». Séance assommante à la Chambre de Commerce. Delesalle trouve que je ne suis pas assez assidu aux séances et il met en avant Schoutteten pour le Musée commercial […].

  • 297 Émile Grodée, secrétaire général de la mairie de Lille.

255Samedi 28. Je vais chez Fockeu fils pour lui parler microbes et expérience micrographique sur le lin. Installation du Musée commercial et du Bureau des renseignements commerciaux. Je lis à mes collègues un petit travail pour remercier le ministre du Commerce, la Chambre de Commerce, le maire de Lille, Dislère, Grodée297, M. de Nozeilles, de la bienveillance qu’ils ont bien voulu apporter à la création du Musée colonial, point de départ du Musée commercial. Ce petit speech plaît à mes collègues mais Cornut le président me joue le tour de s’en emparer, de le mettre dans son portefeuille de président, en un mot de l’enterrer, sans vouloir le faire paraître dans les journaux de Lille. J’aurais voulu recourir à la publicité dans cette circonstance. Bataille va à Armentières et revient en disant que les affaires en toile s’y traitent dans de telles conditions que Gaucher fait faire à 88 centimes des toiles D 110 que je dis coûter 1.02, soit 14 centimes de moins que moi. C’est tout simplement renversant […].

  • 298 Jouer la comédie.

256Lundi 30. […] Larivière me montre les résultats du travail sur les lins de la peigneuse Gavelle. Il semble que cette machine soit au moins aussi bonne que celle de Cardon – Agache, mais ces derniers ont monté une banque298 intense et les badauds sont venus s’y faire prendre. Je rédige une lettre pour Dubar, en réponse à celle de Legougeux, afin de prouver que le rouissage est indispensable pour avoir de bons fils. Je reçois de M. Mahieu au Cercle du Nord une lettre fort intéressante sur la culture et le rouissage du lin […].

Décembre

257Mardi 1er. […] Je vais à la bibliothèque où je m’occupe du lin et des ferments. L’Écho du Nord et le Nouvelliste parlent de la teilleuse Cardon.

258Mercredi 2. Un article du Progrès du Nord relatif à la teilleuse Cardon et tiré d’un journal de Gand prouve qu’il y a un véritable affolement sur les conséquences que l’on compte trouver dans la teilleuse. Il arrive à peine à 7 ou 8 % de rendement supplémentaire […].

259Jeudi 3. Je vais chez Gavelle mais je ne le rencontre pas. Je me fais conduire chez Dujardin, le constructeur, et j’examine la machine à teiller. Il faut reconnaître que Cardon a eu une idée très ingénieuse et très simple mais qu’on surfait considérablement son mérite en voulant vendre 12 500 F une pareille machine ! J’apprends avec plaisir que Dutilleul et Woussen n’ont rien fait de bon avec leur glucose et leur levure […].

260Vendredi 4. Conversation des plus intéressantes avec Wemaere relative au rouissage et à la culture du lin. Tant que la main d’œuvre ne baissera pas en France, il ne faut pas compter que les affaires marcheront et les étrangers continueront à nous inonder de leurs produits. En Russie, il estime comme Crépy, à 800 000 hectares la culture du lin. Je reçois une lettre de Legougeux à laquelle je réponds. Décidément, cette question est bien intéressante […].

261Samedi 5. […] Les affaires en toiles m’inspirent un écœurement considérable tant elles sont mauvaises ! C’est à prendre la décision formelle d’arrêter sa fabrique. On a dit à Larivière que 3 tissages, H. Deren, Hurtrel, Desplanque allaient arrêter. On lui a dit que la maison Agache perdait cette année 500 000 F et même 1 million et qu’il était temps pour elle d’avoir trouvé à exploiter la machine Cardon.

262Dimanche 6. Journée charmante passée à Wazemmes avec Mathilde et les enfants dans la nouvelle bibliothèque. Je rédige les notes concernant la situation de l’industrie linière. […]

263Mardi 8. Je vais voir M. Dubernard, le directeur de la Société agronomique qui est très désireux de me rendre service et qui va étudier la question du rouissage. Nous allons à Caestre avec Mathilde et maman Jules. Nous faisons une bien agréable excursion mais la situation de nos fermiers s’aggrave de plus en plus et je ne sais pas où elle ira si une amélioration très sérieuse ne leur est pas apportée. Desmarescaux ne peut pas payer les fermages de 1884 ! C’est inouï ! Deux fermes sont sans occupeur à Steenvoorde. Je cause avec Dequeker et Demaire de la culture du lin. Je rapporte des renseignements très intéressants mais je doute qu’on puisse rien faire de sérieux tant la culture est malheureuse et les fermiers peu disposés à faire des frais.

264Mercredi 9. Je vais chez Gavelle – Brière où je trouve son cousin Gavelle d’Abbeville. Nous discutons très sérieusement et très à fond tous les chiffres de rendement de la machine teilleuse que Gavelle a construite et qui n’est pas du tout semblable à celle de Cardon. Les résultats paraissent de nature à une diminution de 70 à 80 centimes sur le lin, soit 50 % en valeur.

265Jeudi 10. […] Les courriers sont de plus en plus mauvais. Si la nouvelle machine détermine une diminution de 80 centimes sur chaque kg de fil, il est certain : 1° que nous ne vendrons plus un mètre de toile. 2° que nous perdrons 20 à 25 % sur celles que nous avons en magasin. […]

  • 299 Isabelle REY, Travailleurs et malfaiteurs microscopiques, éd. Hetzel, s.d.
  • 300 Philippe Van Tieghem, botaniste, professeur au Muséum d’histoire naturelle.

266Samedi 12. […] Visite à Vallet – Rogez qui s’est beaucoup occupé de la question linière. […] Je reste avec lui plus de 2 heures. Je continue à travailler à ma brochure. J’écris à madame Rey299, auteur des Travailleurs microscopiques, à M. Van Tieghem300 qui a découvert le bacille amylobacter.

267Dimanche 13. Conférence à la Société de Géographie du Japonais Ou-Ka-Wa qui nous raconte avec un chic très drôle les opinions des Japonais sur le commerce, sur la finance, sur les traités de commerce… […] Dîner chez maman Loyer avec le curé de St-Pierre – St-Paul, les Houzé, Gonnet, Dubrulle, de La Couture, la famille Henri Scrive ; en tout 30 personnes ! Je fais une espèce de conférence sur les microbes qui paraît intéresser la société mais Georges Scrive […] ne veut pas croire que ce que je raconte soit vrai. Il ne gobe pas ces choses là. Pauvre garçon ! […]

268Jeudi 17. Visite d’Heuzé qui vient examiner les machines de Cardon et Gavelle […].

269Vendredi 18. Séance assommante à la Chambre de Commerce. Élection d’un secrétaire en remplacement de Tournier mais on met, avec raison, la condition que le nouveau secrétaire consacrera 2 heures à 5 heures par jour à la Chambre, dans le local même de la Chambre. Heuzé vient passer la soirée avec moi. Il trouve la machine Cardon absolument magnifique et donnant un résultat superbe.

270Samedi 19. Séance importante à la commission du Musée commercial. On décide que l’on réclamera du maire un autre local pour le Musée commercial. On veut que je sois de cette commission d’organisation du Musée […].

271Lundi 21. […]. On parle de la suspension de paiements de la maison Blanquart – Leconte d’Estaires. Je me décide à donner 1 000 F pour la Société des Sciences (encouragements aux vieux serviteurs).

272Mardi 22. Je porte chez Ozenfant cette somme de 1 000 F pour la Société des Sciences. Il me remercie chaudement […]. Dans son article du Progrès du Nord, Ireland se moque de moi en demandant si je ferai payer 10 000 F pièce le microbe. Je lui réponds qu’il peut se rassurer, qu’il l’aura gratuitement, attendu que mon seul but est de divulguer la théorie de M. Pasteur sur les fermentations.

273Mercredi 23. Le bibliothécaire – archiviste de Lille me dit que je suis sur la liste pour la Société des Sciences et cela depuis longtemps […].

274Jeudi 24. […]. Ireland m’écrit une lettre d’apologie pour s’être moqué du microbe – ferment. Il dit que les Scrive sont gens de cœur et peuvent être fiers de consacrer leur temps à la solution de questions intéressant toute l’industrie.

275Vendredi 25. Jour de Noël. Communie avec Jules et Mathilde. Fête de l’anniversaire de naissance de Mathilde. Nous travaillons la brochure sur le lin. Dîner chez Ernest Loyer avec les Gonnet, les Groulois-Dubrulle… Quel tas d’empaillés ! Je cause avec M. Houzé qui me donne d’intéressants renseignements sur la Société des Sciences. Il m’engage à voir Descamps – Delachenal pour mon travail […].

276Samedi 26. Je reste à Lille où je travaille la question du lin à travers les âges […].

277Dimanche 27. Grand dîner chez moi avec les Crépy, madame Houzé, Marguerite, maman Loyer, maman Jules, Ernest et Pauline, Perault et Valentine, Faucheur et Marie-Louise et les Dujardin. Comme sel, j’avais invité les Jacques, ce qui a donné un certain entrain au dîner. Distribution solennelle des récompenses de la Société des Sciences. On m’a envoyé une loge no 19 où je suis à côté de ma tante Henri et les filles d’Ozenfant. On relate le don de 1 000 F que j’ai fait pour les vieux serviteurs […].

278Lundi 28. Musée commercial, 3 h ½ mais nous devons aller à 4 h chez le maire de Lille pour protester contre le choix du local […]. Grande conférence avec la commission du Musée commercial, les membres de la Société de Géographie et de la Société industrielle et le maire de Lille pour avoir un autre local que celui de la Halle au Sucre. Il nous promet pour plus tard les vastes salles du Musée des Beaux Arts […].

Notes

242 Avant le repas, on tire des billets qu'on a confectionnés et pliés. Ces billets représentent le Roi, le Conseiller, le Secrétaire, le Valet de Chambre, le Laquais, le Médecin, le Verseur, l'Écuyer tranchant, le Confesseur, le Suisse, le Portier, le Messager, le Musicien, le Ménétrier, le Cuisinier et le Fou du Roi. C'est la personne la plus âgée qui tire en premier, et ainsi de suite jusqu'au plus jeune de la table... Chacun remplit le rôle qui lui est échu : le Roi prend son verre et boit à la vue de tous (le Roi boît), le Fou du Roi veille à ce que chaque convive « respecte » son Roi et ne soit pas distrait... sinon, le Fou du Roi noircît le visage du troublion avec un bouchon passé à la bougie. Le Verseur s'occupe de remplir les verres de son Roi et des autres convives... L'air « J'ai du Mirliton » accompagne cette tradition. Ce jeu a été créé au XVIIIe s. en Belgique.

243 Maire de Masny.

244 (1828-1915), explorateur et archéologue amateur, pionnier de la photographie.

245 Louis Gallait (1810-1887), peintre belge.

246 Edmond About (1828-1885), romancier, critique d’Art, de l’Académie française. Pamphlétaire et journaliste anticlérical.

247 Ferdinand André Fouqué (1828-1904), vulcanologue. A donné son nom à l’Enclos Fouqué à la Réunion.

248 Edmé Frémy, chimiste, membre de l’Académie des Sciences, directeur du Jardin des Plantes.

249 (1804-1874), journaliste et romacier et critique français.

250 Ortie.

251 Courcelle-Seneuil, dirige l’expédition au cap Horn en 1882-1883 pour le passage de Vénus.

252 Pièce d’Henri Meilhac, créée en 1883 avec Réjane au théâtre du Palais Royal.

253 Victor-Eugène Ardouin-Dumazet, géographe, journaliste (1852-1940).

254 Par Nicolas de La Chesnay, publié en 1507.

255 Opéra bouffe de Charles Lecocq, Émile de Najac et Paul Ferrier créé en 1885 au théâtre des Nouveautés.

256 Fille de la cantatrice Dugazon.

257 Jules Bastien-Lepage, peintre (1848-1884).

258 Le legs Antoine Brasseur, réalisé entre 1878 à 1887, enrichit alors considérablement les collections du Palais des Beaux-Arts de Lille.

259 Nettoyage d’une toile pour en retirer l’apprêt.

260 Dr Billon, médecin, maire de Loos.

261 Région de hauts-plateaux au centre de l’Ethiopie.

262 Maire de Bailleul, fabricant de toile.

263 Relieur à Lille.

264 Bertrix : il est d'où ?

265 Préparation des bobines de fil ou canettes.

266 Collage de la chaîne des tissus.

267 Filous.

268 Poésies de Maurice Rollinat, 1883.

269 Daudier Louis (1836-1917) époux d’Henriette Kolb-Bernard, 8 enfants et Daudier Henri (1831-1885), époux de Gabrielle Kolb-Bernard, 7 enfants vivants.

270 Notaire.

271 Torchons à liteaux rouges.

272 La Voulzie.

273 1810-1838, écrivain et journaliste français.

274 Quiret Th., comptable à Lille.

275 Général de division, sénateur, commandant en chef le 1er corps d’armée à Lille.

276 Opéra comique en 1 acte d’Adolphe Adam.

277 Opéra comique en 3 actes d’Adolphe Adam d’après Jean-Baptiste Desforges.

278 Opéra comique en 1 acte de Victor Massé.

279 Opéra en 2 actes. Livret de Jules Henri Vernoy et Jean François Alfred Bayard.

280 Opéra comique en trois actes, de Paul Ferrier, Jules Prével et Louis Varney.

281 Opéra bouffe d’Audran et Chivot.

282 Opéra en 4 actes de Verdi.

283 Opéra en 3 actes d’après Goethe, d’Ambroise Thomas.

284 Henri Dupuis, collections de faïence, de céramique et d’histoire naturelle.

285 Charles Manso.

286 Collection léguée à la ville par Jules de Vicq et installée au Palais Rihour à Lille.

287 « Les Pauvres gens » dans la Légende des siècles.

288 « Musée Royal d’Armures, d’Antiquités et d’Ethnologie » installé dans une porte de la deuxième enceinte de la Ville, édifiée de 1357.

289 Musée de peinture.

290 Législation sur la limitation de la durée du travail.

291 Fabricant de toile à Armentières.

292 Négociants en fils à Lille.

293 A Mérignies, près de Lille.

294 Peintre anversois (1845-1922), spécialisé dans la peinture de sujets religieux, de paysans et d’histoire.

295 Louis Feray, filateur de lin, gendre d’Oberkampf.

296 Algue ferment.

297 Émile Grodée, secrétaire général de la mairie de Lille.

298 Jouer la comédie.

299 Isabelle REY, Travailleurs et malfaiteurs microscopiques, éd. Hetzel, s.d.

300 Philippe Van Tieghem, botaniste, professeur au Muséum d’histoire naturelle.

Table des illustrations

Titre Ernest Loyer
Légende Né en 1844 à Wazemmes, il prend la direction de son entreprise en 1878. Rallié à la République, il est élu conseiller municipal puis, en 1883, maire de Lomme (ce qu’omet de narrer son beau-frère). En 1892, il devient conseiller d’arrondissement et, en 1893, il bat aux élections législatives le député sortant, le socialiste Paul Lafargue. Il reste député de Lomme (républicain catholique) jusqu’à sa mort en 1902. À l’assemblée, il milite pour le protectionnisme et lutte contre l’internationalisme socialiste. Il s’attache à promouvoir la protection sociale, la prévoyance et la mutualité.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/71973/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 328k
Titre Jules César Scrive
Légende Issu d’une lignée d’entrepreneurs à l’origine de l’industrie concentrée et mécanisée dans la région lilloise, il appartient à une famille parmi les plus riches de la place. Jamais il ne se laisse séduire par le coton ou la laine, plus rémunérateurs : le lin est son univers.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/71973/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 387k

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