Reims au XVII^e siècle (d’après Robert Benoit)

Arbre généalogique

1568 (f^o 1 v°)

Mariage

1Je fus marié avec ma femme, Marie, fille de Pierre Pinchart, le lundi XXIII^e jour d’aoust, veille de Sainct Barthélémy, aagé d’environ vingt-quatre ans et ma femme seize ans et demy. Ceste année fut fort bonne et fertille, ce n’eust esté les reistres et le prince de [Condé]1 qui passa par ce pays.

1569

Bleds et vins

2L’année ensuyvant, les vignes furent geellées d’yver, et d’esté en may ; et de VIII livres tournois montèrent à XXX l. la queue de vin et sur la fin à cause des vendanges tardives valloit LX l. t la queue, et le bled valloit XX solz le septier.

1570

Perrette Pussot

3Le jeudy, du matin, XXX^e de mars, premier jour de la foire à la Couture, 1570, fut née nostre fille, premier enfant : la quelle fut baptisée sur les fontz, en l’église Sainct Jacques, par M^e Pierre Lefebvre, nostre chappellain, et fut nommée par mon père, Pierre Pinchart et sa femme, Perrette.

Déceds de mon père Pierre Pinchart

4Le lundy XVIII^e de septembre 1570, morut mon père, Pierre Pinchart, sans testater ; ce fut à son grand regret et ne fut malade que huict jours d’une fiebvre continue et un assopicement. Toutesfoys eut tous ses sacrementz, et rendit l’esprit le jour mesme, à troys heures du matin.

5Ceste année, furent les vignes des bas lieux fort bruslé et n’estoient les vins d’icelles guères bons. Aussy les bleds n’estoient pas fort bon, à cause de l’humidité des moissons, et valloit à la vendange XVIII solz le septier, et la queue du vin X l.

6Le mariage du roy Charles IX^e et d’Elisabeth d’Autriche le XXVI^e novembre2.

Risée

Un jour, du temps que le roy Charles IX^e régnoit,
Ainsi que par la porte de Fléchambault passoit3,
S’informant au portier qui estoit leur conducteur,
C’estoit un prudent ancien Nicolas Lempereur :
Le roy lui demanda : Est-vous commandeur d’eulx tous ?
Non, respondit-il, révéremment ; sire, c’est vous.
Derechef, s’enquit combien ils estoient en garde :
Constamment, respond : Sire, nous sommes vingt quatre.
Un rustique et sans aulcune révérence,
Indiscrétement dit : nous ne sommes que dix huict.
Le bon roy les laissa sur cette différence.
En se souriant alors, on dict ce qui s’ensuit :
Nicolas Mosmu, par grande outreduidance,
A desmanti Lempereur devant le roy de France.

7Son nom estoit Nicolas Corvisier, dit Maulmu, charpentier de chapitre.

8Ceste année fusmes bien paycible en France.

1571

Grosse gresle

9L’année d’après, fut en ce pays une gresle, au mois d’apvril 1571, le jour sainct Marcq, fort grosse, comme noix, la quelle gasta les vignes et les bleds et n’en fut pas beaulcoup : et valloit le bled à la sainct Martin C solz et la queue de vin à la vendange valloit XXX l. L’appareillé des bleds à venir fut fort belle.

10Tousjours, ce pays fut paicible.

1572

Déceds de la mère de ma femme

11Le XVI^e de mars 1572, dimanche de la mye caresme, morut Margueritte Gérard, mère de ma femme, ayant auparavant testaté, d’une faiblesse et maladie estrange et fut malade unze jours, durant les quels eust tous les sacrementz ; et rendit l’esprit ce mesme jour, à deux heures après mydy.

Plusieurs meurtres

12Ceste année, se fict, en ce pays, plusieurs meurtres merveilleux, assavoir : de Nouvyon et celluy de Lavannes exécutés en ceste ville de Reims (f^o 2 r°).

13Pour ceste année, les vignes furent geellées, à cause des grandes neiges et aussy des gyvres qui estoient pour lors.

14Tousjours, ceste année paicible en ce pays.

1573

15Monsieur d’Aumale fut tué d’un coup de mousquet devant La Rochelle, le III^e de mars 15734.

Jehanne Pussot

16Le mercredi à une heure du matin 1573, XVII^e de mars, landemain de la Notre Dame (en mars advancé) fut née nostre fille, second enfant ; la quelle fut baptisée sur les fontz en l’église Sainct Jacques, par M^e Dosne, clerc dudit lieu ; et fut nommée par mon frère Valentin, en l’absence de mon père Jehan Pussot, à cause de sa maladie, et par ma mère, Jehanne.

17Le camp de La Rochelle, ès moys de mars, apvril, may, juin, continué5.

Bleds et vins

18Ceste année, l’iver précédent fut fort long. Le temps jusques à la moisson fut tousjours pluvieulx et nébuleux, et valloit le bled à la Sainct Médart C solz le septier et plus, et la queue de vin XL l. t.

Déceds de mon oncle Jehan Lemoyne

19Le mardi, VII^e de juillet 1573, à quatre heures du matin, morut Jehan Lemoyne, mégissier, oncle de ma femme, ayant eu tous ses sacrementz ; et ne fut malade que six jours d’une pleurésie, flux de ventre et une suffocation d’une abondance de flumes ; et ne voulut aucunement testater, pour le contrat secret qu’il avait faict au prouffit de Perrette, sa fille aisnée, pour le regard de l’apport de sa mère, première femme audict Jehan Lemoyne.

Déceds de ma sœur Jehanne Jolitemps

20Le vendredi XXVII^e d’aoust 1573, demye heure après midi, morut Jehanne Jolitemps, femme première de mon frère Jehan Pinchart, agée de dix-huict ans ou environ, estant enceinte de cinq moys ou environ ; et avoient esté mariez aux gras jours précédens ; et morut le unsiesme jour, d’un catère qu’il lui tombat sur la teste, estant malade d’une fiebvre, toutesfoys eut tous ses sacrementz ; et avoit testaté au prouffit de son mari, cinq semaines devant, présents Jacques Rousselet et Jehan Taillet, notaires royaulx.

Election du roy de Poulongne

21En ce temps-là, Monsieur d’Anjou, chef du camp devant La Rochelle, fut esleu roy de Poulongne6.

22Et valloit le bled nouveau LXXV solz et la queue de vin LX l. t.

23Ce pays estoit paycible.

1574

Caresme presché

24Le caresme presché, en l’église Nostre Dame, par un religieux de l’ordre de Sainct Benoist, homme fort docte, nommé M. Poncette.

25Un jour de la Pentecoste 1574, morut le roy Charles IX^e de ce nom7. Le XXII^e de septembre 1574, arriva, devant ceste ville de Reims, le premier basteau chargé de marchandise et avoit auparavant esté [faict] devant la Büerie : laquelle marchandise estoit : suiffe, huille, harencz…, appartenant à Thomas Pothe, Nicolas Dorigny, Nicolas Bignicourt et à Jehan Gillet, marchans demourans à Reims et l’avoit fait faire Monsieur de Saint Denys (f^o 2 v°).

1575

L’entrée du roy Henry III^e

26L’an 1575, le vendredi, unziesme jour de febvrier, à troys heures après midi, Hanri de Vallois III^e de ce nom, par la grâce de Dieu roy de France et de Poulongne, fit son entré en ceste ville de Reims, en grand triumphe par la porte à Veesle dudit Reims8.

Sacre d’icelluy

27Le dimanches ensuyvant, fut sacré en la grande église par Loys de Lhoraine cardinal de Guyse9, ordonné par le roy, avec dispence ; en la place de révérend père en Dieu, Charles de Lhoraine, son frère, archevesque et duc de Reims, premier pair de France, un peu auparavant mort en Avignon, le XXVI^e décembre 1574 et ensépulturé en laditte église de Reims10 ; le quel sacre fut faict aussy avec grand magnificence, comme telle chose le requiert.

Mariage d’icelluy

28Le landemain au soir, fut fiencé au palais et le mardi suyvant qui estoit le grand mardi fut espousé et print en mariage Loyse de Loraine, fille de Monsieur de Vauldesmontz, oncle du prince de Lhoraine11. Le quel mariage fut célébré ce mesme jour, à troys heures après midi, par Monsieur le cardinal de Bourbon ; et fut dit et célébré par luy à ceste heure une messe basse, avec toutes les solempnitées qui y estoient requises ; et n’estoit là oublié la sumptuosité et richesse des habillemens et la compaignie fort honorable.

Caresme presché

29En ce caresme, prescha en l’église Nostre-Dame, un cordellier de Meaux, homme fort docte et le plus savant mandiant qui ayt jamais esté avant luy, touschant le venant des auditeurs (f^o 3 r°).

Margueritte Pussot

30Le dimanche XVIII^e de septembre 1575, à troys heures du matin fut née nostre fille troisiesme enfant ; laquelle fut baptisée sur les fontz en l’église Sainct Jacques de Reims par M^e Jehan Beauvallet, nostre chappellain, et fut nommée par mon frère, Jehan Pinchart et Marguerite Augier, sa seconde femme, Margueritte.

Bleds et vins

31Ceste année fut médiocrement bonne et valloit le septier de seigle, à Pasques XXXVI solz, l’avoine XXX solz, et la queue de vin XL l. L’yver fut bien tempéré et y avoit belle apparence aux biens pour l’advenir.

Guerre en Languedoc

32Toutesfoys y avoit grand guerre ès pays de Languedoc et circumvoisins pour le faict de la religion12.

1576

Géellées

33L’yver fut fort beau et sec ; mais les vignes et les bleds furent geellées la veille de Quasimodo 1576 et le mardi et mercredi suyvant : et continua la froydure l’espace de quinze jours, qui fut cause que le bled ne vallant que XXX ou XXXII solz le septier, monta en quinze jours jusques à III l. t. XVI solz, et la queue de vin vallant XVI l. t., en quinze jours valloit XXX l. t.

Caresme presché

34En ce caresme, prescha un prebtre séculier natif de Luternay, homme fort docte, de la Sorbonne de Paris, nommé Monsieur Poictevyn.

35En ce temps, la paix fut faicte à l’advantage des Huguenotz, paix, dije, avec Monsieur d’Alençon, frère du roy13 et les autres princes de France.

Bleds et vins

36Les bleds et les vins ne furent guère bons et valloit la queue de vin nouveau à la vendange XL l. t. et le viel L. l. t., et le septier de seigle IV l. t.

1577

Caresme presché

37Le caresme fut presché par un religieu de Sainct Denys en France, en l’église Nostre Dame, homme fort docte et le meilleur de tous pour ses bonnes conditions et façons de faire, nommé Monsieur Bossut.

Claude Pussot

38Le jeudi VI^e jour de juin, jour de la feste Dieu et de sainct Claude, à l’heure de midy, fut née nostre fils quatriesme enfant ; lequel fut baptisé sur les fontz, en l’église Sainct Jacques de Reims, par M^e Raoul Aulbry, l’un des chappelains : et fut nommé par mon oncle, Claude Pussot et Alisson Draneux, sa femme, Claude.

39En ce temps, ce pays estoit bien paysible et exempt de gensdarmerie. Toutesfoys y avoit guère à l’entour de la Rochelle pour le faict de la religion et Monsieur d’Alençon estoit en bonne amitié avec le roy son frère14.

Froydures

40Il ne fut que bien peu de vin, à cause des froydures qui furent grandes ès moys de may et juin, tellement qu’il valloit à la vendange L l. la queue et augmentant de la en avant, jusques environ les Avantz, pour le haulsement des monnoyes.

1578

Descriement des monnoyes

41Et tost après, le premier jour de l’an 1578, furent descriées ; de sorte que l’escu vallent C solz fut mis à LX ; le teston vallent XXVII solz fut mis à son tau de XX solz ; les ducats poulonnois, hongrois et tous aultres qui estoient à VI l. pièce, furent mis à LXII solz ; la philippe dalle, qui estoit à IV l., fut mise à XLV solz et ainsy les aultres espèces. Et portoit l’ordonnance qu’il falloit sommer, priser, esvaluer toutes sommes, par escus, demy escus, quart d’escus, tier et semblable, avec quelque solz comme il pouvoit rester, de quelque somme que ce fut.

Caresme presché

42Prescha comme dessus un religieux de Paris de l’ordre des [ ] homme fort docte et estoit vêtu comme Jacopins et une croix rouge à costier.

43A la vendange le vin valloit XXVII et XXVIII l. la queue.

1579

Ordre du Sainct-Esprit

44Au moys de janvier 1579, fut l’institution des chevaliers du Sainct-Esprit par le dit roy Henry III^e, roy de France et de Poulongne15.

45Et le VIII^e du moys d’apvril suyvant, fut un grand ravage d’eaue au faulxbourg Sainct-Marcel les Parys qui apporta grande perte et dommage (f^o 3 v°).

Caresme presché

46Le caresme presché en l’église Nostre Dame, par un docteur et prebtre séculier, M^e de Monsieur Morus (docteur de Reims)16. Lequel prédicateur commença à prescher son caresme le dimanches reminescere : et commencé par le dit Morus, en son absence.

Pierre Pinchart

47Le sabmedi, unziesme d’apvril, nous levasmes sur les fontz de Sainct Jacques, et baptisé par M^e Jehan Beauvallet nostre chappellain, le second enfant de mon frère, Jehan Pinchart : et fut par nous nommé, Pierre.

48Le jour des nopces, mon frère Nicolas Pussot, à Bloys.

Jehan Pussot

49Le landemain sainct Laurent, XI^e d’aoust, à neuf heures du soir fut né nostre fils, cinquiesme enfant ; lequel fut baptisé sur les fontz, en l’église Saint Jacques, par ledit Beauvallet et fut nommé par mon cousin, Jehan Pussot fils, pour et en l’absence de mon cousin Jehan Pussot, le Moyen, son père, avec Magdeleine sa mère, Jehan.

Bleds et vins

50Ceste année fut fort humide et n’estoient les vins et les bleds guère bons, pour l’humidité de la moisson et temps après. Toutesfoys y avoit beaulcoup de raisins aux vignes : mais ne purent meurir, qui fut cause que le vin n’estoit pas bon ; et valloit la queue du vin vieil à la vendange, L l., et le bled nouveau XXXVI solz, et la queue de vin nouveau XV et XX l.

Vendange en sacs

51Mais parmy la vendange, avint une forte gellée, dont ce qui pendoit encore aux sepeaux furent si fort gellés que plusieurs vendangeoient et rapportoient la vendange avec des sacs. La quelle gellée commença le XXI^e de octobre et fut la vendange fort tardive ; de sorte que les vins qui furent gellés n’estoient guère bons et ne valloient à Noël que VII l. la queue. Le camp de devant La Fère les fict vuider à XV l. la queue, campé par Messieurs de La Valette17 et Matignon18.

52Ce pays fut bien paicible.

1580

Caresme presché

53Le caresme presché en ladite église par un carme, grand homme, qui avoit avec luy un jeune enfant novice, qui commençoit fort bien à prescher ; lequel carme estoit homme très docte.

54Le bled valloit XXXII sols le septier et le vin XXX l. la queue.

1581

Caresme presché

55Le caresme presché en l’église Nostre Dame par le curé de Sainct Sévérin de Paris, homme fort docte19.

Grand vent

56Le jour de Pasques, fut un vent fort grand et oultrageux qui causa et fict plusieurs grandes ruynes mesme en plusieurs pays ; rompit l’O de Nostre-Dame du costé du palais ; le sommet du pignon de la salle d’icelluy au dessus de la fleur de lys ; les sommets des pignons des églises des Augustins et des Carmes.

Raoulin Pussot

57Le lundi XIV^e d’aoust, veille de l’Assomption Notre Dame, à troys heures du matin fut né nostre fils sixiesme enfant : lequel fut baptisé sur les fontz de Sainct Hilaire par Monsieur le Curé Cornu ; et fut nommé par Raoulin Fossy et Loyse Setry, sa femme, Raoulin.

58En ce temps fut belle et bonne moisson.

Gros camp

59Mais avint un gros camp à Monsieur d’Alençon qui alloit à Cambray et au Pays-Bas ; le quel camp gatta fort ce pays, molestant, rançonnant et usant de plusieurs tortions20.

Contagion

60Cependant, fust en ceste ville de Reims une maladie de peste prenant en teste au devant de Sainct Maurice et quelque peu à la Fourbisserie, puis une maison à la vieille Coulture (f° 4 r°).

Déceds de Margueritte Pinchart

61Le lundi XXI^e jour d’aoust, morut Marguerite Pinchart, notre niepce, aagée de XIX ans et demy, ou environ, non mariée ; ayant eu tous ses sacrementz ; et ne fut malade que six jours, d’une maladie estrange avec vomissemens et flux de ventre et suffocation d’une abondance de vénin. Et fict testament à notre prouffict, le dit jour, par devant Gerard Leclerc et Pierre Copillon, notoires royaulx, lequel Leclerc a le regrès.

1582

Caresme presché

62Le caresme presché par M. Lucquin, chanoyne de Beauvoys, homme très docte et eslocquant.

Sermons des Advents institués

63En ceste année, fut institué à Reims les sermons des advents, fondé par Monsieur Scavant, chanoine de Reims, conseiller en la cour de parlement avec aultres. Et le prescha premièrement, Monsieur Morus tenant la cherze de Nostre Dame, lequel interpréta fort doctement sur toutes choses l’épistre de sainct Paul ad Titum.

Retranchement

64Au moys de décembre 1582, fut faict rétraction ou retranchement de dix jours, pour remettre les jours suyvant les saisons de l’année.

1583

Paul Pussot

65Le vendredi XXV^e de febvrier, à troys heures après midy fut né nostre fils septiesme enfant : le quel fut baptisé sur les fontz de Sainct Hilaire par ledit Monsieur Cornu ; et fut nommé par M^e Paul Polonceau, advocat, et Jacquelyne Augier, sa femme, Paul.

Grandes eaues

66Ceste année fut fort humide et venteuse, de sorte que les eaues furent grandes tant aux rivières que aux caves. Et valloit le bled-seigle en caresme LX solz, la queue de vin XVIII l., lesquels pour ladite année n’estoient guère bons.

Gensdarmerie

67En ceste année, passa par ce pays grande gensdarmerie allant au PaysBas pour ledit sieur d’Alençon, laquelle gensdarmerie gasta et fict beaulcoup de peine en ce pays, tant pour les ranconnemens, viollemens, meurtres que volleries.

Caresme presché

68Le caresme presché à Nostre Dame par un prebtre séculier n’estant docteur, d’Amyens, homme le plus docte et scavant qui ait esté devant lui, depuis vingt ans ; fort profond en science, bon langage, plein et subtil en auctorité et histoire, bien zellé, dévot et plein de toutes bonnes circonstances, nommé Monsieur Lestorneau.

L’entrée Monsieur de Reims21

69Le sabmedi, dernier jour d’apvril, révérend père en Dieu, Loys de Lorraine, archevesque et duc de Reims, premier pair de France, cardinal de Guise etc., fict en ceste ville de Reims son entrée, célébré à quatre heures après midy, par la porte Mars, venant de prendre son disner de la Neuville en Morencienne. En laquelle entrée estoient plusieurs gens magnifiquement (f^o 4 v°) et somptueusement ordonné, desquels l’ordre ensuit.

70Premièrement, marchoient les arquebuziers de Reims à pied armes et morions en teste, vingt un rang devant l’enseigne et quarante un rang après, à quatre pour chaque rang.

71Après, c’estoit le guet de Monsieur le lieutenant des habittans dudit Reims, à cheval et ordonné comme de coustume ; le suyvant mondit sieur le lieutenant qui estoit M^e Jehan Pioche22, advocat, accompaigné de Messieurs du Conseil ; puis grand nombre de marchans, tous à cheval, bien ordonnez, de trois à quatre en rang.

72Après, marchoient les Mynimes, Cordelliers, Jacobins, Augustins et les Carmes, avec leurs croix, en forme de procession ; seullement le porteur de croix des Carmes revestu d’une tunique blanche.

73Puis marchoient à cheval Messieurs les esleus de Reims, seullement trois sergens devant eulx. Après, marchoient à cheval les sergens du prévost de Reims, tous vestus d’un saye de drap viollet, passementé de rouge, avec des livrées de taffetas de pareille coulleur ; suivy dudit prévost qui estoit Remy Pussot.

74Puis, marchoient, aussy à cheval, les sergens du banc de Sainct Remy. Après, marchoient les sergens de robbe courte et Monsieur le lieutenant.

75Puis, les sergens royaulx, les sergens du bailliage dont trois d’iceulx estoient vestus de pareil saye que les sergens du Prévost.

76Après, estoient les procureurs tous à cheval et revestus de longue robbe et bonnets quarés.

77Les eschevins de Reims avec leur procureur et greffier, tous à cheval et de mesme vesture.

78Monsieur le lieutenant de Vermandois et président qui estoit Monsieur Laurent Cauchon, Messieurs les conseillers et les gens du roy au siège de Reims.

79Les baillifs de Reims et leurs advocat, procureur et greffier, revestus et ordonnés comme dessus, [c’étaient] Messieurs Georges Chevallier et Noël Ballet.

80Quant à Messieurs de l’Université de Reims, furent attendre mondit seigneur hors et après ladite porte, accompaigné de environ cent Angloys23, tant prebtres que laycs, après leurs harengues faictes s’en retournèrent par la porte Serre ou Chacre sans [ ] trouppe, le recteur estoit M. Pavilion.

81Après, Messieurs les baillifs marchoit à cheval, robbe longue et bonnet quaré, le porte croix de Monseigneur le Cardinal.

82Puis estoit mondit Seigneur, revestu de rouge avec un grand chappeau noir, monté sur un cheval bayart : et n’y avoit de ciel ou pallion au dessus de luy, et tenoit Monsieur de Braux, à teste nue, la bride de son cheval lequel avoit la queue lice et non troussée.

83Après, marchoient en grand nombre tous les gentilshommes et son train ; le tout en bon ordre.

84Et ce pendant, fut tiré quelque peu de faulconneaux. Et en tel ordre fut conduy et assisté jusques à Sainct Remy (p. 12).

Réception dudit sieur archevesque

85Et le lendemain, vint du matin, en forme de procession, à Nostre Dame, ayant les pieds nuz, revestu de ses habillemens pontificaux, soubz un ciel de sainct Remy, conduy par les religieulx et aultre compaignie honorable : et fut reçeu de Messieurs les chanoines au devant de Saincte Catherine, avec le ciel de Nostre Dame et conduy en icelle ; où il célébra honorablement sa première messe.

Conclusion cérémoniale

86En la quelle et devant la quelle fut faict et observé plusieurs belles cérémonies qui sont assez communes et notables, et signament celle du feu mis aux estouppes pendentes à la pomme dorée, au dessus de l’entrée du chœur, du costé du revestier, en luy disant par Monsieur Coullon, soubchantre : Pater, sic transit gloria mundi.

Déceds de ma sœur Margueritte Augier

87Le [ ] de septembre suyvant, morut Margueritte Augier, femme seconde de mon frère, Jehan Pinchart, d’une fiebvre avec un catère ; malade environ quinze jours : toutesfoys eut tous ses sacremens. Et avoit testaté huit ou dix jours auparavant au prouffit de son marit, pardevant Jacques Rousselet et Jehan Taillet, notaires royaulx, demourans à Reims.

Procession blanche24

88Ceste année fut le peuple de France et principallement de ce pays fort esmeu de dévotion, de sorte que chacun par villes et villages faisoient de grandes processions. Et commancèrent environ la mye juillet estant revestu du linge blanc, tousjours en bon ordre. Durant (p. 13) lesquelles, estoit porté le Corpus Domini, le peuple chantant de diverses sortes de cantiques, prières, litanies, psalmes et versets de proses, comme : les Ave Maria, des proses de la Nativité et Assomption Nostre Dame, Deus benigne, Stabat mater, Christi fideles, Averte faciem et plusieurs aultres choses de grande dévotion. De sorte que, c’estoit une chose admirable, tellement que plusieurs gros catholiques et froids en dévotion furent alors eschaulfez et affectez en icelles voyant et considérant entre aultre chose les bons villageois n’apprehendans point la saison, le temps de leurs moissons et vendanges, et sans avoir esgard à aulcuns prouffitz ou dommages, laissoient leurs villages pour faire sy longues et diverses processions. Et ce pendant, y demouroit bien peu de gens pour traicter le bestiail, lesquels toutesfoys faisoient la feste. Lesquelles processions furent honorablement receueues en ceste ville de Reims estant repeus au palais et à Sainct Pierre aux Nonnains par Madame Renée de Loraine et de plusieurs marchans, avec aulcuns bons chanoines, et principalement par plusieurs bonnes vesves.

89Ce pendant ce pays fut paicible.

Pris des vins et bleds

90Le vin valloit XXII l. la queue, le seigle LX solz, le froment IV l. X solz et l’avoine XXXVI solz le septier.

Advent presché

91L’advent suyvant prescha en l’église Nostre Dame un docteur et prebtre séculier, chanoine de Beauvais, nommé Monsieur Lucquin, homme fort docte et esloquent qui interpréta sagement la prophétie de Jonas envoyé à Ninive, et lequel docteur auparavant avoit presché le caresme de l’année 1582.

1584

Tonnerre

92Le unziesme jour de janvier 1584, avoit faict grans et effroyables esclairs et tonnerre, du matin, avec grande chaleur.

Caresme presché

93Le caresme fut presché par Monsieur le Grand Doyen de Troyes, homme bien docte et fort cognu en langues pour ce nécessaires, nommé Monsieur Tartier.

Advents preschez

94Aux advents prescha Monsieur Poictevin, devant nommé, qui interpréta une partye des dix commandemens. Lequel mit la veille de Noël le peuple en doubte et [ ] touchant la faculté de tenir enffans sur les fontz par les hommes avec leurs femmes, pour parins et marynes ; maintenant qu’il ne se pouvoit faire sans estre fornicateur, et qu’il falloit que le parin fut estrangé de la maryne. Ce qui fut réfutté par les bons curez de Reims qui eurent grande peine à remettre le peuple [ ], et de ce qu’il s’estoit passé de ce faict, et n’y devoit avoir scrupulle de mal : et pour sa preuve mal fondée avoit allégué le décret du pape Urbain et le conscil Illibertin.

1585

Remariage de Guillaume Augier

95Le IV^e de febvrier 1585, mariage de M^e Guillaume Augier, procureur, et de Jehanne Dumont, sa seconde femme.

Caresme presché

96Le caresme fut presché par un jésuyst de Paris, homme fort éloquent, nommé le père Commellet.

Messieurs de Guise et la Ligue

97Depuis la mye caresme et jusques sur la fin du moys de juin, fut un trouble entre les princes de Guyse avec Messieurs de la Ligue25 et le roy de France touchant quelques difficultés à cause de la religion ; mais le roy leur accorda leur demande. Et la Ligue avoit esté inventé par Monsieur le Cardinal de Bourbon et aultres en ceste ville de Reims, au logis de l’abbé de Sainct Rémy, mais fut dict donné à Péronne, le dernier mars 158526.

Gensdarmerie (f^o 5 r°)

98Ce pendant y avoit grande gensdarmerie en ce pays ; mesme y eut quelque peu de garnison en ceste ville de Reims, partie pour laditte ville, et l’autre pour la garde de Monsieur l’archevesque.

Guillaume Pussot (p. 13).

99Le dimanche au soir, dernier jour de juin, fut né nostre fils huictiesme enfant : lequel fut baptisé le landemain, jour de Sainct Thierry sur les fonts de Sainct Hilaire par ledit Monsieur Cornu ; et fut nommé par M^e Guillaume Augier, procureur, et Jehanne Dumont, sa femme, Guillaume.

Moissons et vendanges

100Ceste année les moys de may, juin et juillet furent froids et humides. Le froment valloit LX solz, le seigle XXXVI solz ; l’avoine XXVIII solz, le septier : la queue de vin XII et XV l. Les vins nouveaux comme les bleds ne furent guères bons, à cause que l’esté fut la pluspart froid et humide, qui fut cause que la semence n’estant bonne les bleds dessus terre ne levèrent de bonne sorte : joinct que l’yvert suyvant et commancement de l’année 1586 fut fort long.

Advent presché

101L’advent fut presché par Monsieur Bossut qui interpreta doctement le Missus.

1586

Caresme presché

102Le caresme de l’année 1586 fut presché par le provincial des Prescheurs, homme fort docte.

Premières octaves preschées

103Les premières octaves de la feste Dieu, depuis qu’elles furent fondées, furent preschez par Monsieur Bossut qui interpreta Dominus regit.

Moissons et vendanges

104Yvert long ; ne feit presque de chaleur jusques au moys de juillet ; à cause de quoy les bleds avec les vignes eurent mauvais temps, jaunissirent lesdites vignes et sy n’y avoit que bien peu de raisins et mal nouris ; de sorte que peu devant la moisson le seigle fut vendu VI l. et plus le septier, l’avoine XL solz ; et le bon vin, encore qu’il ne fut guères bon, valloit L l. et plus la queue.

Multitude de pauvres

105Au mesme temps, fut en ce pays pour la famine grande multitude de pauvres, venans de plusieurs pays. Et continua la chéresse jusques ès moissons de l’année 1587, de sorte que le froment valloit X l. le septier ; le seigle VII l. ; l’orge aultant, à cause qu’il y avoit peu de seigle, qu’il ne fut fort [ederne] et fut ceste année recueillé d’aultant [desderne] que de seigle, et l’avoine au prix susdit.

Déceds de Nicolas Pussot

106Le XXI^e jour de novembre 1586, morut mon frère Nicolas Pussot en la ville de Bloys, qui laissa un fils nommé Henry.

Les Huguenaulx à Rocroy et Seden27

107Au moy de novembre de ladite année, la ville de Rocroy fut surpreinse et pillée par les huguenaulx venant de Seden qui tuèrent le gouverneur dudit Rocroy nommé Monsieur de Chambery : et sortirent lesdits huguenaulx avec composition à la diligence de Monsieur de Guyse et furent conduis en asseurance hors du royaulme. Peu de temps après, à cause de quoy ledit sieur de Guyse mit le camp devant la ville de Seden, laquelle estoit pour lors pleine de huguenaulx de plusieurs pays : lequel camp n’estoit du tout assis ny campé.

Advents preschez

108Les advents furent preschez par un docteur séculier, homme fort docte, de Laon, qui interpréta sagement le livre des Juges.

1587

Déceds d’Aubry Pinchart

109Le sabmedy [ ] de janvier 1587, morut mon frère M^e Aubry Pinchart, religieulx de Sainct Denys, au village de Grantprez, et est enterré en l’église dudit lieu, en la chapelle qui est à main gauche du cœur.

Caresme presché

110Le caresme fut presché par le gardien des Cordeliers de Paris, nommé Feu Ardent28, homme fort docte, ardent, dévot, bien zélé à l’honneur de Dieu et fécond en pensées.

Yvert et chéresse. Pauvres

111Yvert fort long ; les froigdures continuèrent jusques au moys de juin ; les biens de dessus la terre ne croissoient que de force ; audit moys de juin, vint une gelée le jour de la Trinité qui gatta les vignes des tendres villages et plusieurs seigles ès bas lieux ; ce qui fut cause en ce pays de grande chéresse ; de sorte que le froment valloit XV et XVI l. le septier, le seigle X et XI l., l’orge aultant, l’avoine IV l. Et tous aultres vivres estoient fort chers, et encor plus aux aultres pays que ès environs de Reims. Aulcunes poires de Bon Crestien furent vendues VI solz tournois la pièce. Pourquoy advint en ce pays grand nombre de pauvres, pour la pluspart employez à la diligence de Messieurs de Reims à curer les fossez d’entre la tour Sainct Georges et Sainct Nicaise, et estoient lesdits pauvres nourris de pain, potage, et à chacun six deniers par jour. La guerre qui regnoit accumulant grande gensdarmerie à cause de Seden, le tout causant grande angoisse au peuple et luy donnant petite espérance.

Octaves preschez

112Les octaves de la feste Dieu preschez par Monsieur Morus qui démonstra amplement que la communion soubs les deux espèces n’estoit un commandement, ny nécessaire, synon que aux prebtres célébrans et sacrifians.

Assemblée des princes

113Es moys de may et juin, les princes de Guyse29 avec Monsieur le cardinal nostre archevesque, du Mayne30, d’Albeuf31, d’Aumale32, les cardinaulx de Bourbon, de Vauldemont33, de Vandosme34 et plusieurs grans trains avec Madame la royne mère du roy35 et la fille de Lorraine furent en ceste ville avec grand nombre de gens, pour adviser du faict concernant les huguenotz ; ce qui fut cause en ce pays de grande chéresse.

Simulation

114Fut publié un édit touchant la confiscation et vendition des biens des huguenotz, le roy déclarant qu’il ne vouloit en son royaulme qu’une religion qui est la catholicque, apostolicque et romaine, voulant que les huguenotz fussent punys comme héréticques et coupables de crime de lèzemajesté, les rejettans du tout comme ses adversaires.

La mort de mes père et mère

115Le dymanche XII^e jour de juillet 1587, à l’heure de mydy, morut ma mère Jehanne De la Forest, agée d’environ soixante quinze ans, d’une fiebvre continue et d’une facherie ; et ne fut malade que sept jours, et receut tous ses sacrements avec bonne mémoire. Et feit testament pardevant Jacques Roussellet et Pierre Nicolaï, notaires du bailliage de Reims, deux jours devant sa mort ; et est inhumée au derier de l’autel de la chappelle des fontz de Sainct Jacques. Et le jeudy ensuyvant, à six heures du matin, XVI^e dudit mois et an, morut mon père Jehan Pussot l’aisnel, quasi de telle maladie et fascherie ; reçeut aussy ses sacremens en bonne mémoire ; qui avoit testaté avec ma mère à l’instant, par devant les susdits notaires. Et est inhumé auprès de ma mère, avec laquelle il avoit été conjoint par l’espace d’environ LIV ans. Dieu veuille avoir leurs ames.

Vin de grand pris

116Ceste année fut fort tardive pour les froidures et humidité de l’esté jusques au mois d’aoust, de sorte qu’il ne fut guères de vin et fort petits, qui valloient toutesfois la vendange XX l. le moyen, et le bon C l. la queue, mesme l’excellent tant viel que nouveau valloit huict vingts livres la queue ; mais le moyen et le petit (p. 14) diminuèrent de pris sur le printemps [1588], d’aultant qu’il ne s’en vendoit que bien peu. Et fut bonne quantité de grain et principalement du froment tellement qu’en caresme [1588] le froment ne valloit plus que IV l. X solz, le seigle LXV solz et l’avoine XXXV solz, le septier.

Choses admirables

117Durant l’yvert de ladite année 1587, fut faict par la bonté, libéralité et providence de Dieu, de grans miracles. C’est que, en peu de temps, contre tout espoir humain, les grains qui estoient peu auparavant de sy grand pris, vint au pris modéré que dessus, dont le peuple et principalement le pauvre et gens de bien eurent grande réjouissance et occasion à louer et révérer Dieu.

118L’aultre fut que à cause des guères meues pour le faict de la religion contre les hérésies calvinistes36, avint en ce royaulme pour les huguenots bien quarante à quarante cinq mil hommes de gueres, estrangers barbares, savoir : reistres, lansquenetz, souisses et aultres ravissans, sans les huguenots de France ; qui gatèrent merveilleusement la Loraine et une partie de la France et principalement ès environs de la ville d’Estampes, estant conduys par Monsieur de Seden et aultres désobéyssans le roy37 ; pourquoy le peuple n’estymoit que grande ruyne au destryment de la saincte Eglise, à cause que les troubles estoient merveilleux entre les princes de France. Mais Dieu tout puissant des exercites, conservateur de son Eglise, monstra un eschantillon de sa puissance. C’est qu’iceux ennemis hérétiques ravissans furent assiduèment suyvis et opposés par Monseigneur le duc de Guyse, Monseigneur le duc du Maine et leurs alliez. Lequel sieur de Guyse les battoit journellement, tesmoin la deffaite d’Auneau des reistres, encor que les pauvres catholiques ne fussent que petit nombre au regard du grand nombre d’iceux hérétiques ravissans. Et ne fut jamais à leur puissance d’aulcunement assaillir le petit troupeau catholicque38.

119Ce pendant, le roy avec sa compaignie se tenoit vers la rivière de Loire pour empescher (ou feignant empescher) l’alliance ou conjonction desdits ennemis avec le roy de Navarre aultre aucteur de telles menées [souligné et raturé dans le texte]. Et avoient iceulx ennemis commission et ordonnance39 de ruyner la France, assubjettir le roy et destruire l’Eglise. Mais leur entreprise les paya de malheur. C’est qu’estans ainsy journellement assaillis et souventes fois surpris et escarmouchez par ledit sieur de Guyse, chose admirable, estoient en eulx mesme estonnez et comme déconfis ; sans armes matérielles Dieu les frappa d’une peste et aultres maladies contagieuses et estranges que la pluspart en morut ainsy pauvrement. Et ne s’en retournèrent en leur pays que environ quinze mil hommes.

Advents preschez

120Les advents furent preschez par Monsieur Nicol Husson, docteur, natif de Reims, religieulx de Sainct Denys, curé de Givry, homme fort docte qui interpreta sagement [ ].

1588

Prières et jubilé

121Toute l’Eglise de France fut incitée à remercier Dieu et admirer ce bénéfice. Pourquoy en actions de grâce, fut donné un jubilé de plénière rémission qui fut célébré le (p. 15) dimanches second de caresme, avec grande dévotion touchant pour les villes, et les villages le célébroient le dimanches suyvant. La sepmaine précédente ledit second dimanches se feit prières en troys églises de ceste ville, savoir : à Nostre Dame, aux Carmes et à Sainct Rémy, à chacune desquelles duroient les prières assiduelles l’espace de quarante heures, dont les dimanches et lundy estoient à Nostre Dame, les mardy et mercredy aux Carmes, les jeudy et vendredy à Sainct Remy ; le tout présent le Corpus Domini. Et y estoient ordonnez gens d’église tant de jour que de nuict, avec l’affluence du peuple, qui feit ses Pâques ledit second dimanches.

Caresme presché

122Le caresme fut presché par Monsieur [ ] de Sainct [ ] de Paris, homme très docte.

123Il n’estoit point de guerre en ces quartiers durant ce temps, sinon quelques coureurs autour de Seden et Jametz.

Pierre Pussot

124Le lundy XVIII^e d’apvril 1588, le landemain de bonnes Pasques, à six heures au soir, fut né nostre filz, neufiesme enfant : lequel fut baptisé le landemain sur les fontz de Sainct Jacques par M^e Simon Ogier, chappellain ; et fut nommé par mon frère Jehan Pinchart et Jehanne Noblet, sa troisième femme, Pierre : lequel enfant morut, du matin, le dernier de juin suyvant, d’une fiebvre continue et d’un catère d’abondance de vénin qui luy tomba, en un moment, dans le ventre et en l’une des parties de la bource, causant grande enfleur. Il est inhumé à main droite en entrant, attenant et à costier du grand portail de Sainct Jacques, au petit cymetier ; Dieu nous face la grâce de le veoir en paradis. Amen.

Octaves preschez

125Les octaves de la feste Dieu furent preschez par Monsieur Morus.

126Ceste année fut assez fertille en grains, mais fut peu de vin et moyen en bonté, d’aultant que les moys d’aoust et septembre avec le temps de vendange furent humides.

127Auquel temps la maladie contagieuse eut cours en ceste ville, et principalement à la rue de Thillois et en plusieurs aultres lieux d’icelle.

128A la vendange le seigle valloit XLVII sols le septier, le froment LXX sols et l’avoine XXX sols. L’humidité fut continue et dura le temps pluvieux jusques à Noël, qui estoit temps extraordinaire et merveilleux.

Advents preschez

129Les advents furent preschez par ledit Monsieur Feu Ardent, Cordelier, qui interpréta merveilleusement sagement et sainctement, la prophétie de Daniel sur la vie de Balthazar, matière très convenable au temps, pour les choses merveilleuses qui advinrent lors et proche dudit jour de Noël.

Les estats de Bloys

130Les estats tenus à Bloys aux mois d’octobre, novembre et décembre40.

Assassinats de Messeigneurs de Guyse41

131Les XXIII^e et XXIV^e du mois de décembre audit an 1588 le roy susdit, Henry de Vallois III^e, tenant ainsy les estats en la ville de Blois par démonstration de sa tirannie, infidélité et ypochrisie auparavant ocultes et cachées, fit meurtrir et malheureusement tuer et massacrer dans son chasteau les personnes des vrais deffenseurs de l’Eglise catholique, savoir [ces mots sont raturés dans le texte] : de Monseigneur le duc de Guyse et Monseigneur le cardinal de Guyse son frère, archevesque et duc de Reims, premier pair de France, et iceulx faict brusler réduire en cendres. Le XXIII^e jour, ledit sieur duc fut cruellement poingnardé de divers coups de dagues et poingnards, et le landemain XXIV^e, le dit sieur cardinal tué à coups de hallebardes : le tout en la présence dudict tirand non roy [« non roy » est raturé dans le texte], les ayant mandé en toute asseurance, simulant leur estre grand amy et leur ayant auparavant et à tous les estats juré et faict sermens merveilleux et extraordinaires de maintenir l’Eglise et l’Etat de France (p. 16). En quoy il fut trouvé perfide, faulxer, meschant et desloyal envers Dieu et l’Eglise42. Et fit tenir captifs Messieurs les princes de Jinville fils aisnel dudit sieur de Guyse ; de Nemours frère utérin d’icelluy sieur de Jinvillle ; sa mère, Monsieur le cardinal de Bourbon, Monsieur le primat de Lyon43 et plusieurs aultres bons grands seigneurs. L’histoire en est plus amplement traictée en ce qui en est imprimé.

132De ce misérable faict advint que tous les estats furents troublez et la plupart des villes de France déclarées ennemies à ce tirand : le peuple desquelles appellé signa la rébellion et jura solempnellement de ne le tenir pour roy. Et s’opposant à son dessein prindrent les armes pour la conservation de la Saincte Eglise et vengeance de ce massacre, après ayant eu la résolution, pour la conscience, de l’assemblée de Messieurs de la Sorbonne de Paris, convoqué par le commandement de Monsieur d’Aumale pour lors protecteur d’icelle à la requeste des bourgeois de Paris44. De la quelle résolution en fut envoyé en toutes les aultres villes, avec coppie de l’ordre et solempnité de la protestation et serment des catholiques45.

1589

Volleries des genspillommes et perte d’Esparnay

133Ce pendant plusieurs genspillommes de ce pays46 comme Tourtron, Vendy, Escry, Courcy, Bérieu, de Termes et aultres voulant tenir le party du tirand prindrent les armes, pillans, volans, massacrans es environs de ceste ville de Reims, en telle sorte que personnes n’osoit sortir la ville et retenoient et desroboient tout ce qui s’y acheminoit, et s’efforceoint du tout de la ruyner47. Mais leur règne n’eust guère de durée comme le règne des meschans vient en fumée, toutesfois bien long aux pauvres gens de villages et aultres marchans, tombans en leurs mains, desquelz receurent grande exaction et tourmens, d’aultant que ceste cource estoit ès mois de febvrier, commencement de mars continuant. En fin duquel mois s’emparerent de la ville d’Esparnay a l’intelligence daulcuns habittans qui la rendirent, encor qu’on estoit prest, a la diligence de ceste ville de Reims, les delivrer de ceste entreprinse ; et a leur requeste mesme noz trouppes approchans composerent lesditz habittans avec lesditz ennemis et leur rendirent ladite ville d’Esparnay, qui fut cause de grande perte en ce pays.

Monsieur de Sainct Paul et Monsieur du Maine

134Ce pendant Monsieur de Sainct Paul48 travailloit et s’opposoit avec son peuple tant qu’il pouvoit aux entreprinses de ces meschans volleurs comme sembloit49 et Monsieur le duc du Maine, es environs des villes de Blois et Tours, poursuyvoit le tirand avec toutte diligence, ou il faisoit grand debvoir, faisant plusieurs escarmouches50 ; de la vint a Paris et fit un voyage a Reims. Mais durant ce temps lesdits ennemis volleurs d’Esparnay ne laissoient a voller es environs dudit Reims comme devant, après qu’ils eurent pris Ay et pillez Damery et depuis Chastillon et pris les habittans capitaines et soldatz a rancons, usans de plusieurs exactions. Le règne desquelz fut plus long qu’on n’avoit auparavant estymé, pour le pardon qui fut faict a Bisseuil a tous les chefs susnommez et aultres grands seigneurs lesquelz depuis et non aultres ont fort travaillez par guère et volleries ce pays ; et estoient detenuz serrez audit Bisseuil dont ledit sieur de Sainct Paul les remit en liberté, qui fut cause de totalle ruyne de ce pays et grandement accorcir le party de l’héréticque.

Caresme presché

135Le caresme fut presché par Monsieur Boucher docteur de Paris51, prestre séculier, homme fort docte se sembloit mais depuis a été contrainct prendre la fuitte pour avoir este un des perturbateurs de la France52.

Octaves

136Les octaves de la feste Dieu presché par ledit Monsieur Morus qui interpréta doctement l’évangille du jour Caro mea (p. 17).

Symon Pussot

137Le dimanche vingtuniesme jour du moys de may, le bon jour de la Pentecostes fin des matines fut né nostre filz, dixiesme [enfant] et septiesme fils suyvant : lequel fut baptizé sur les fonts de Sainct Jacques par ledit M^e Symon Ogier nostre chappelain et fut nommé par Symon Robert chaulsetier et Jehanner Arlaut sa femme Symon.

Gellée et vendanges hatée

138Le II^e jour dudit mois les vignes furent gellées en plusieurs endroitz de la Montaigne et principalement des villages des bas lieu. L’esté fut fort humide des le moys de may juin et jusques mye juillet. Le reste de l’esté fut fort beau. Ne fut que bien peu de vin que on n’estymoit vendanger pour l’affluence des ennemis ; mais on diligenta de sorte qu’on vendengea plustost que de coustume qui fut cause que les vins furent aspres et verds, comme on dit ordinairement, et recueillis avec grans fraiz et cheresses pour les cause que dessus ; toutesfois la vendange fut ès environs de Reims paisiblement faicte et fut le temps autant beau qu’il s’estoit veu plus de douze ans auparavant ; et dura le beau temps jusques en mye novembre ou Dieu nous ayda grandement d’aultant que ceux qui avoient affection nous garder de vendanger furent eulx mesmes vendangez à la diligence de monsieur de Sainct Paul nostre gouverneur qui fit vendanger ès environs d’Esparnay, laissant quelques compaignies en la Montaigne pour empescher les coureurs voleurs ennemys. Et qui eust pensé l’avanture ainsy paisible on eust eu bon vin, car y avoit moyen les laisser encor pendant quinze jours pour iceulx meurir.

Mort du tirand

139Le tirand de Hanry de Vallois fut tué a Sainct Cloux53 par frère Jacques Clément, jacopin54 comme l’histoire en est notoire et imprimé. O morts malheureuses et dangereuses !

Villedommange pillée

140La veille sainct Luc les réalistes ennemis, comme Sainct Estienne, de Termes et aultres, firent une raffle à Villedommange. Et avoit passé par devant ceste ville peu auparavant la vendange, le mareschal d’Aulmont55 avec grande trouppe ; et tirèrent en passant cinq coups de canon devant et dedans ladite ville, mais ny sesjournèrent que bien peu pour s’en aller au secours du roy de Navare.

Bataille de Saint-Amant

141Peu après, Monsieur de Sainct Paul fit une charge proche de Vitry le bruslé contre lesdistz de Termes, St Estienne, Grand-Prez, Tourtron et aultres, ou il y eut beaulcoup de gens d’occis et blessés tant d’une part que d’aultre, appelle la bataille Saint Amant et y en eut environ quarante de ceste ville et des proches de tuez et blessez, principallement à cause de ceulx qui sortirent a l’improvistes de Chalons. Toutesfois ledit sieur de Sainct Paul et les siens demourèrent vainqueurs et chassèrent les ennemys en route56.

Adventz

142Les adventz, preschés par un carme de Paris, profès de ceste ville nommé Monsieur Anastase homme fort docte

1590

La bataille d’Yvry, perdue le XIV^e Mars

143Depuis Monsieur le duc du Mayne perdit la bataille faicte proche d’Yvry57 et avoient Messieurs les prince et ceulx de Paris perduz aultre bataille atenant de Senlys, le 16 may 1589, qui fut cause mettre en peine les pauvres catholicques et principalement pour la perte de celle de mondit sieur du Mayne ou il perdit toute son infanterie ; cause pourquoy il se retira quelque temps a Soisson et fut quelque temps au Pays Bas atendant monsieur le prince de Palme qui s’achemyna en ce pays avec grosse et généreuse armée58.

Camp de Parys

144Depuis laquelle bataille le roy de Navare ennemy de l’église (effacé après la Ligue) avec tout son camp se tint environnant la ville de Parys pensant la faire rendre par famine et y estant environ six moys mesme59 jusques dans plusieurs faulx bourgs la battant et assaillant par diverses foys, en sorte que rien n’entroit ny sortoit d’icelle, qui fut cause que les habittans furent réduys en une extrême et extraordinaire famine, de laquelle en est plus amplement desduit en ce qui s’en est imprimé et rédigé par ceulx qui ont ce fait expérimenté, estant tellement, avec la grâce de Dieu, soulagé et réconforté par Messieurs de Nemours60, d’Aumal, Monsieur le légat61 (p. 18) envoyé de Rome pour le faict des affaires du royaulme touchant la religion, et de Messieurs les docteurs faisans grand devoir d’inciter lesditz habittans de Paris nonobstant telle oppression, à la résistance dudit ennemy dont miraculeusement ont esté delivré. C’est qu’après les avoir faict ainsi souffrir jusques à n’avoir plus aulcunes choses tant vilz fussent elles pour eulx sustanter, heureusement ledit ennemy le 25 aoust 1590 leva son camp et se partit d’icelle, estant chassé ou espouvanté de nos gens et ayde (effacé après la Ligue) dudit sieur et prince de Palme, qui fit grand devoir pour la délivrance d’icelle ville de Parys et aultres villes voisines.

Exploits de Monsieur de Sainct-Paul

145Durant ce temps et jusques a la venue dudit sieur de Palme, Monsieur de Sainct Paul nostre gouverneur gaigna beaucoup de petitz lieux et chasteaux ès environ de la Champaigne, comme le chasteau de Uncher et plusieurs aultres, et regaigna furieusement Wytry que les ennemys avoient repris deux jours auparavant par trahison, ou son beau frère y fut malheureusement massacré a cause que Tourtron et Vendy y estoient prisonniers détenuz par ledit sieur de Sainct Paul qui les avoit pris à la bataille de Sainct Amant ou ilz furent retirez par lesditz ennemys faisant ladite surprinse. Et à la venue dudit sieur prince de Palme ledit sieur de Sainct Paul et tous ses gens s’en alla en l’armée proche de Paris, estymant donner bataille a l’ennemy, mais se départit, ainsy que dit est, et mirent noz gens laditte ville en liberté.

Octaves

146Les octaves de la feste Dieu preschés par Monsieur le doyen de Chalon.

Surprise de Maubert ; grand volle des realistes.

147Durant ce temps la ville de Maubert fut surprinse et trahye par le capitaine Garot et Sainct Estienne, sieur de Chaumusy, qui furent perfides, retournans et se mettans du party des ennemis de l’église (effacé après la Ligue) ou ilz tuèrent le gouverneur qui estoit monsieur de Peinia ; laquelle surprinse causa grande perte en ceste ville de Reims à cause des passages pour la marchandise fermez, ou plusieurs volles et meurtres se commettoient sans y pouvoir chemyner en asseurance. Ce faict Messieurs les princes demeurèrent en laditte ville de Parys quelque temps. Pendant ce les volleurs d’Esparnay de Chalons et ledit Tourtron faisoient grand volle et extortions en ce quartier et ès environs de la ville de Reims, de sorte que on n’osoit sortir la ville. Toutesfois la moisson et la vendange furent faictes assez librement néantmoins avec grand fraiz a cause des hazard et rencontre d’iceulx volleurs courans, pillans, ransonnans et usans de toutes cruaultés tant envers les habittans des villes que ès hommes des villages du pays.

Déceds du Pape ; entrée du Légat à Reims

148Environ la fin du moys de septembre les nouvelles du déceds du pape vindrent en ce pays62 ; lequel pape ne fut loué après sa mort pour la connivence qu’il faisoit sur le faict de la religion mauvaise. De sorte que le royaulme de France estoit sans pape, sans roy et la ville de Reims sans archevesque. Puis le mercredy III^e octobre 1590 mondit sieur de Sainct Paul acconduit mondit sieur le légat en ceste ville de Reims, qui entra par porte Mars receuz honorablement quasy en forme de l’entrée feu monsieur le Cardinal de Guise nostre archevesque ; lequel sieur légat n’y séjourna qu’un jour entier.

Bonnes moissons et vendanges

149L’année fut fort bonne pour les biens de la terre et fut le bleid et le vin fort bons pour la beaulté et seicheresse de l’esté, de sorte qu’il fut recuilly deux foys aultant de vin que l’année précédente ; et ne valloit le vin nouveau que XXV l la queue, le septier de seigle III l. le froment IV l. X s. et l’avoine XXX s. tournois le septier ; et le vin vieil qui n’estoit guere bon et qui avoit vallu XVIII et XX escus la queue fut bien abaissé d’aultant que au cours de l’année passée ny eut moyen d’en cherier hors la ville pour le danger des coureurs. Se fit beaulcoup d’aultres choses prodigieuses et malheureuses durant ce temps qui seroient trop long à discourir.

Prières et processions

150Mais se feit en ceste ville de Reims plusieurs belles prières et processions tant de nuict que de jour et en chascune église les prières par heures alternativement furent dédiées et composées (p. 19), et augmentant la dévotion fut préparée en toutes les églises dudit Reims une après aultres et posé le Corpus Domini. Lesdittes églises aornées et richement décorées servant d’oratoires, en chacune pour la pluspart l’espace de quinze jours et les aultres huict jours suyvant les lieux. Ou se faisoient dévotes prières et processions ordonnées par heures et jours de chacun clergez et paroisses ; et commancèrent lesdittes oratoires à Nostre Dame, le jour de Noël 1589 et continuèrent en faisant le tour en toutes les églises dudit Reims jusques en fin de l’année 1595 suyvant.

Advent

151L’advent de laditte année 1590 presché à Nostre Dame par Monsieur le Beau, prieur des Prescheurs de ceste ville qui interpréta le commancement du livre d’exode. Et sy prescha le caresme suyvant.

1591

Exécution de Garot

152Le Capitaine Garot devant nomme fut exécuté a Rocroy en janvier 1591 et mis en quatre quartiers par le jugement de monsieur Bignicourt grand prévost, ou son lieutenant.

Le duc du Maine à Reims

153Peu après Noël 1590 mondit sieur le duc du Mayne fit un aultre voyage en ceste ville de Reims puis fut assiégé et gaigné le Pontarcy avec force, assisté de deux coulleverines et aultres munitions de ceste ville ; et durant les festes de Pasques Chasteau Thiery fut gaigné et prinse par mondit le sieur du Mayne ; puis vint en ceste ville de Reims ou il se tint environ deux moys63.

Venue du nonce Landviano

154Durant ce temps Monsieur Illustrissime le nonce envoyé du pape, y vint pour noncer et faire publier l’excommunication des prélatz ecclésiastiques qui tenoient le party de l’hérétique, comme on disoit64 s’ilz ne le quittoient dedans quinze jours après la publication, et au peuple qui tenoit ledit party advertissement à le quitter soubz peine d’encourir ladite excommunication65.

Prise de Chartre ; tentative sur la Fer

155Au mois d’apvril 1591 la ville de Chartre fut randue au roy de Navare. Au moys de may suivant, qui estoit le mesme temps, la ville de la Fer cuyda estre surprise pour ledit roy de Navare, par la vendition et trahison du gouverneur le marquis Mainclay qui l’avoit auparavant gaigné pour le party de l’église ; mais ainsy séduy et mal advisé fut, comme un trahiste, pongnardé et tué par les habittans et aultrez zellez ou le malheureux entrepris fut descouvert, au grand regret dudit roy de Navare qui se tenoit près pour y entrer.

Octaves

156Les octaves de feste Dieu presché par un docteur en théologie mynime.

Mariage par M^e Gérard de La Lobbe

157Le XIII^e jour de may 1591 ma fille Perrette fut espousée a Nicolas de Lestre filz de feu Martin de Lestre ; le sacrement célébré par Monsieur de la Lobbe curé de Sainct Jacques, la messe chantée par M^e Symon Ogier nostre chapellain ; l’assemblée et tout le festin faict en nostre maison près du chauldron.

Assemblée à Reims

158En ce temps mondit sieur le nonce, Monsieur l’évesque de Plaisance66 et Monsieur l’évesque de Soisson estoient en ceste ville de Reims. Et Monsieur de Sainct Paul se partit de ceste ville avec sa famille et s’en alla demourer à Maisieres ou il avoit faict bastir une citadelle peu auparavant mais ne séjourna que peu de temps.

Perte de Mareuil ; pluyes

159Sur la fin d’aoust 1591 le chasteau de Mareuil fut rendu au sieur de Nevers67, mal deffendu par le Capitaine Vaulgré qui le tenoit de messieurs les princes deffenseurs de l’église68 ; lequel Vaulgré le rendit d’un lache courage. La ville de Noyon assiégée par ledit roy de Navare. Le chasteau d’Aumont gaigné par monsieur de Sainct Paul. Et en ce temps, qui estoit tout le temps des arnould et des moissons fut du tout pluyes, de sorte qu’il ne fut guère de jours ouvriers sans pluveoir, et d’abondance tellement qu’il n’y a mémoire d’avoir veu une sy humide moisson ; et qu’il y avoit merveilleusement de tout grain prest a recueiller, parquoy y en eust beaulcoup de germez.

Dégastz des Espagnolz

160Laditte ville de Noyon fut rendue audit roy de Navare et Monsieur de Mayenne (p. 20) vint a Reims avec son armée le IV^e Septembre 1591 ; et les espagnolz, italiens et voillons, logez ès faulx bourgs, qui gattèrent es environs de Reims tout la plupart des grains tant des champs que en granges. Les faulx bourgs condampnez a estre ruynez. La ruyne desquelz commencé furent continuez et différez par l’opposition des estrangers y estant logez, qui en sortirent le jour de Toussainctz 1591.

Nicolle Pussot

161Le premier jour d’octobre 1591 fut née nostre fille XI^e enffant ; laquelle fut baptisée le landemain sur les fontz de Sainct Jacques par ledit M^e Symon Ogier, et fut nommée par nostre gendre Nicolas de Lestre et Perrette Pussot sa femme et nostre fille Nicolle.

Venue de Monsieur de Guyse

162Le dimanche XXVII^e d’octobre suyvant Monsieur de Guyse arriva en ceste ville de Reims en grand triumphe, accompaigné de Monsieur de la Chatre et son filz69 et furent receuz en grande joie. Lequel sieur de Guyse fut eschappé de sa captivité à Tours le jour de l’Assumption Notre Dame précédent, y estant détenu dès le massacre de feu son père a Blois par le roy70 Hanry de Vallois comme devant est dit71.

Vendanges

163Les vendanges furent assez heureusement faictes, contre tout espoir. Mais les vins ne furent guere bons a cause qu’ilz ne furent nourris de challeur, et contraint de les prendre et cueiller avant leur maturité pour la doubte des coureurs réalistes d’Esparnay avec le dégat des estrangers estans ès environs de Reims. De sorte que les vendanges furent de granz fraiz et coustoit la queue a ramener de la Montaigne C solz tournois, VI l. et IV l. du moins ; a la vendange, la queue de vin nouveau valloit XXII l., le vieil LXXV l. et le bleid seigle L solz tournois le septier, et l’avoine quasy aultant, d’aultant que iceulx estrangers avoient destruit et dissipé les avoines du pays. Durant l’hiver furent pour la garde dudit Reims troys compaignies de gens de pied mis en garnison aux despens des habittans et par eulx mis et conduiz par capitaines dudit Reims, et pour le soulagement d’iceulx habittans, comme on disoit.

Adventz

164Les adventz preschez par Monsieur Caillot docteur curé de Sainct Estienne de Reims, qui interpréta le second livre des rois.

1592

Le Duc de Parme au secours de Rouan ; grand jubilé à Reims

165En janvier 1592 ou peu devant Messieurs les prince et duc de Parme entrèrent en France avec grosse armée pour le party des catholicques. Et ce pendant les ennemis de l’église estoient ès environs de Rouan et battant le Mont Saincte Catherine, prétendant a la prise dudit Rouan72. Ce pendant lesditz sieurs de Parme faisoient approche d’iceulx ennemis. Et le XXVI^e dudit mois, dimanche de Septuagesime fut en ceste ville de Reims célébré un grand jubilé donné du sainct père le pape Innocent IX^e et qui estoit pour lors desja décédé73. Monsieur de Sainct Paul estoit a Reims qui avoit laissé laditte armée. En febvrier suyvant les trahistres de Maubert, compaignons du Capitaine Garot, furent exécutez a Rocroy au nombre de troys, savoir deux pendus et un rouet.

Caresme ; belle Croix de Sainct Jacques

166Le caresme fut presché par M^e Nicol Husson docteur prieur et religieux de Sainct Denis de Reims et curé de Givry homme très docte. Le XX^e mars 1592, la belle Croix de Sainct Jacques fut bénitte par monsieur le ducque de Plaisance sur le grand autel dudit Sainct Jacques après y avoir célébré une messe basse (p. 21).

Camp levé de devant Rouan

167Au mois d’apvril 1592 Monsieur de Sainct Paul s’en alla avec les forces et garnisons de par deca de Rouan trouver l’armée de Messieurs les princes catholicques. Et sur la fin dudit moys laditte ville de Rouan fut délivrée et firent lever le camps du roy de Navare qui la battoit de long temps, ou il perdit grand nombre d’hommes et tous ses vivres et munitions ; pourquoy en action de grâce fut en ceste ville de Reims faict procession, chanté le Te Deum et faict les feux de joye le dernier d’apvril.

Jubilé ; bon marché

168Et avoit esté les dimanches auparavant savoir Dominica cantate, faict et célébré un grand jubilé donné du sainct père le pape gregoire XIIII^e nouvellement esleu74 ou Dieu montra un eschantillon de ses grâces envers les catholicques, mesme que auparavant on estymoit avoir grande cheresse sur le printemps, et au contraire furent tous vivres a justes pris tellement que le signe ne valloit que XXXVI, XXXVIII et XL solz tournois le septier, l’avoine XXXII s., le froment LXX s. la queue de vin XX l. et le vieil diminua de grand prix. La chair estoit un peu cher avec les oeufz mais tout le reste estoit a bon compte.

Volleryes

169Les volleurs d’Esparnay vindrent piller une partye des bourgs de porte Chacre le mynuict devant le XXIX^e d’apvril. Et le III^e may la nuict précédente furent iceulx volleurs piller Villerallerant ou en tuèrent plusieurs des habittans la veille de Pentescotes du matin XVI^e may 1592. Et le XIII^e juin 1592 Messieurs les princes et duc de Parme entrèrent a Reims et partirent le landemain.

Prise d’Esparnay ; perte d’Esparnay

170Le dimanches XXVIII^e de juin 1592 la ville d’Esparnay fut rendue à l’Union estant assiégée et battue par Messieurs de Rosne75 et de Sainct Paul avec la force des gens de Messieurs les princes de Parme76 ; l’espace de huict jours ou y avoit grande bresche ; et y fut mené les autres grosses pieces de canon de ceste ville de Reims avec bonne munition, qui cousta grans deniers audit Reims. Surquoy en fut composé avec les susditz par monsieur de Sainct Estienne qui estoit dedans avec grans nombre de gens de guere pour le party du roy de Navare. Ce faict le dit Sainct Estienne rentra a Chaalons et non ses gens ou il fut payé de tous ses volles et meschans faictz, pourquoy principalement pour avoir rendu ladite ville fut executé audit Chaalons et [ ] comme il meritoit77, tous ses escus et biens confisquez quil avoit acquis par pillerie et vollerie.

171Et la veille Sainct Laurent laditte ville d’Esparnay fut rendue au roy de Navare qui l’avoit assiégée, le mareschal de Buyron fut tué devant d’une pièce de canon qui estoit de ceste ville de Reims78. Et lachement deffendue par Monsieur de Villier frère à Monsieur de Sainct Paul, le tout au grand regret des pauvres catholicques. Mesme les trois pieces d’artillerie qui estoient de ceste ville de Reims furent perdues et a l’aultre prinse celles de Chaalons y furent rendues, qui montre un mauvais cœur audit de Villier comme homme indiscret et esventé, ce que plusieurs gens de bien avoient auparavant prémédité. Aussi tost apres fut payé car sur la fin de février 1593 fut blecé par ceulx dudit Esparnay et proche d’iceluy pris dont il y morut. Et fut ramené et enterré aux Prescheurs de Reims, le vendredi V^e mars suyvant ou n’y eut grand plainte ni regretz. (p. 22) Et ce mesme jour Monsieur de Guyse entra a Reims et avant les nouvelles de la perte dudit Esparnay.

Venue du Roy à Cernay

172Le roy de Navare vint disné a Cernay les Reims avec sa troupe le landemain Sainct Laurent ce qui esmeut le peuple de Reims ; toutesfois y eust seullement quelque petite deffiance ou deux des gardes de Monsieur de Guyse et garnison de Vytry y furent tuez. Le bruict couroit que ledit roy de Navare vouloit assiéger Vitry ou Rethel mais se partit et s’en alla vers Meaux. Peu après mondit sieur du Mayenne vint à Reims.

Le Cardinal de Pellevé

173Le dimanches III^e d’octobre 1592, Monsieur Nicol de Pellevé cardinal estant pourveu fut receu archevesque de Reims, qui venoit de Rome ou de long temps faisoit residence79. Et la réception duquel fut faict avec les cérémonies requises saulf qu’il ne fit point d’entrée accoustumée à cause de l’injure du temps seulement partant de Sainct Denis et receu par messieurs à Nostre Dame comme de coustume, joint qu’il est fort ancien et caduc.

Nativité de Jehan de Laistre ; déceds de nostre fils Symon

174Le lundy V^e octobre 1592 fut baptisé sur les fontz de Sainct Jacques par Monsieur Me Gerard de la Lobbe docteur curé dudit lieu, le premier enffant de notre fille Perrette et nommé par moy et ma femme, Jehan. Le lundy IX^e de novembre suyvant a trois heures du matin morut notre filz Symon, malade de veruelle, saisy d’une fiebvre continue avec une habondance de vers et venin, et est enteré avec le susdit Pierre. Dieu nous face la grâce de les veoir en son paradis. Amen !

Bleds et vins ; Trève avec Châlons

175Ceste année fut médiocrement bonne, les bleidz et vins fort bons ; et valloit le froment CX solz, le seigle LV solz, l’avoine XXX s. le septier ; la queue de vin nouveau XL l. et le bon LXX. Mais les troubles se continuoient avec la cource des susditz volleurs sauf quelque petite trève qui fut faicte avec ceulx de Chaalons pour le recueil des vendanges et cheriage des vins, qui fut cause que les vendanges furent faictes assez paisiblement.

Retour de Monsieur de Guyse ; adventz

176Monsieur de Guise avec Monsieur de Sainct Paul revindrent à Reims le lundy de nuict XVI^e novembre avec grande trouppe. Les adventz furent preschez à Nostre Dame par un carme nommé Monsieur Favrolle homme très docte.

1593

Gensdarmerye

177En febvrier 1593 les trouppes estrangeres arrivèrent es environs de Reims conduitz une partye par le Conte Charles80 tant espaignolz italiens que allemantz et aultres, pour la partye des princes, mais gattèrent et pillèrent ce pays plus encor qu’il n’avoit esté auparavant. Et vint mondit sieur du Mayenne audit Reims qui peu y séjournant les emmena vers Parys cause pourquoy le bleid monta de pris. Les volleurs d’Esparnay emmenèrent le trouppeau des porcz de ceste ville, savoir les (p. 23) porcz subjectz à la paisture de la porte a Veesle et les menèrent audit Esparnay le mardy XXX^e mars 1593.

Caresme et Octaves

178Le caresme fut presché à Nostre Dame par un très docte homme nommé Monsieur Toulouzain de l’ordre jésuyste et des plus illustres qui ay esté devant et de très bonne et saincte édification populaire. Et les octaves de feste Dieu suyvant presché par monsieur Morus interprettant le Caro mea.

Assemblée des Princes

179Le lundy VIII^e apvril suyvant monsieur le marquis d’Albeuf81 entra a Reims conduy de la trompette et du tambour du roy de Navare82 et la veille de Pasques suyvant monsieur du Mayenne monsieur d’Aumal monsieur de Rosne et aultres arrivèrent a Reims. Et le XXVII^e d’apvril y arriva monsieur de Guyse avec monsieur de Sainct Paul. Le tout attendant monsieur le prince de Lorraine lequel y arriva le landemain et fut receu honorablement comme estoit requis. Et tous lesdictz sieurs princes se partirent dudit Reims le mardy IV^e may 1593, savoir ledit sieur prince de Lorraine en son pays et les aultres a Paris a la confirmation des estatz qui pour lors s’y tenoient83. Et sur la fin du moys de Juillet suyvant fut accordée entre les princes et le roy de Navare84 une trève générale pour trois moys et publiée en ceste ville de Reims le VII^e Aoust 159385.

Conversion du roy

180Et fut ledit roy de Navare86 à la messe à Sainct Denys en France ou il receut le Sainct Sacrement de l’autel le dimanche jour de feste de sainct Jacques en juillet. De quoy aulcuns estymoient qu’il estoit vrayement converty et les aultres doubtoient que ce fut simulation. Dieu luy face la grâce et a tous d’estre bien convertis et parvenir nous tous en paradis. Ceste conversion et exercice fut administré par Messieurs l’archevesque de Bourges et René Benoist curé de Sainct Eustace, lesquelz plusieurs tenoient suspectz au faict de la religion ; mais quant à moy je n’en ay eu la congnoissance87.

Exécution

181Durant laquelle trève fut pendu un nommé Desmorel renégat de notre party et qui avoit pris les porcz susditz, et son frere qui y avoit esté pendu un an devant.

Pièces de six blancs descriées

182Ce pendant fut en ce pays et quasy par tout le royaulme un aultre très grand trouble à cause que pièces de six blancs estoient tellement en mespris que personne n’en vouloit recepvoir ; et ce mespris advint par la malheure, avarice et tromperie de quelques marchans de ceste ville de Reims et aultres qui en avoient faict venir ou receuz à petit pris grande quantité de meschantes pièces de six blancs de nouvelle fabrication venue d’ailleurs : pour lesquelles toutes les aultres qui avoient auparavant bon cour furent à telle mespris que on n’en vouloit aulcunement recepvoir ny d’unes ny d’aultres, et ne fut possible à la justice d’y donner ordre, quelque publication, commandement et ordonnances quelle y puisse faire. Ou le pauvre peuple recepvoit grande incommodité et n’en pouvoit avoir aulcune chose pour la necessité ; et si on ne voyoit aultre monnoye tellement que plusieurs estoient contrains les donner pour XV, XVIII et XX deniers tournois, ou, plusieurs faisoient grand guain, ce que je n’appelle prouffit, le tout causant grand malheure, noise, débatz, jurementz et blasphèmes.

Adventz

183Les adventz furent preschez en l’église Nostre Dame par ledit Monsieur Toulousan, jesuyst, qui interpréta fort doctement l’histoire de Joseph patriarche.

Garnison et prisonniers ; siège de la Ferté Million ; Meaux se rend au roy de Navarre

184La trève continuant jusques proche de la feste de Noël 1593 fut mis trois compaignies de gens de pieds en guernison en ceste ville a cause qu’il y avoit doubte de quelque trahison comme aulcuns disoient. Et furent quelques habittans mis prisonniers, mais estoit imposture et estoit un moyen pour s’emparer ledit sieur de Sainct Paul du chasteau de porte Mars, comme il fit au grand regret de plusieurs habittans. Pourquoy advint un grand trouble à Reims comme est dit cy après. En ce temps la Ferté Million fut assiégée et battue par ledit sieur roy de Navare88 mais fut vaillamment deffendue et gardée par un brave et adroit capitaine nommé le jeune Dupescher (p. 24). Audit temps de Noël la ville de Meaux se rendit se rendit au roy de France89 et de Navare sans estre forcé, seullement à la suscitation du sieur de Vitry leur gouverneur qui les avoit auparavant paisiblement gardé pour le party de Messieurs les princes ; ce quy estonna aulcunement ce pays. Et ne fut laditte trève continuée.

1594

Effroy ; Feu

185Et le premier jour de l’an 1594 fut en ceste ville un grand effroy et principallement aux paroisses de Sainct Jacques, Sainct Pierre le vieil et la Magdaleine, heure d’entre les vespres et le comply ainsi que on vouloir chanter le salut solempnel. Lesdittes églises sy pleines de peuple que on ne s’y pouvoit retourner pour la dévotion d’icelluy peuple, avint un bruict si effroyable et incongnu que chacun pensoit estre perdu et ne sachant que ce pouvoit estre. Aulcuns estymoient que ce fut des chiens enragez à cause du cryement des chiens y estans oppressez du peuple. Aultres estymoient que ce fut quelque massacre d’aultant que plusieurs, signamment des femmes et enffans, avec grand bruict du son des chaulfuys avec leurs clefz et claseniers, menoient grandes clameurs et son comme sy ce eus testé des personnes s’entrebattans avec espées et aultres armes, en forme de massacre et surprinses. En fin fut dit que la ville estoit prinse. Et sy les hommes ne pouvoient sortir desdittes églises à cause des femmes qui tenoient les portaulx. Et aulcuns hommes de force estans sortiz fut trouvé que tout ce qui advenoit par les nouvelles apportées en icelles église que le feu brusloit, comme estoit vray, une maison attenant du jardin des arbalestriers, en laquelle demeuroit Thomas Malaisy, ou y fut mortz son cheval et deux vaches avec aultres meubles perduz. Et sy elle n’eust esté habilement secourue estoit en danger de perdre une grande partie de la rue. Et fut trouvé que telle faulte advint par aulcuns desditz arbalestriers qui regouttoient et se chaulfoient durant les vespres, comme estoit leur mauvaise coustume festes et dimanches sans repréhention ; et leur chemynée estant vicieuse, le feu gaigna d’icelle chemynée dans laditte maison ; puis trouvèrent invention de s’en excuser dont advint procès (p. 25).

Surprise de Mareuil

186Le XVIII^e de janvier 1594 le fort de Mareuil qui avoit tant cousté à Reims et aux villageois des environs fut surpris et gaigné par ceulx de Chaalons et Espernay très subtillement. Sachant que le Capitaine qui estoit installé par Monsieur de Sainct Paul à la garde dudit Mareuil, nommé le Capitaine Marlette, estoit pour lors à Avenay, se donnant du bon temps, ayant laissé seullement audit Mareuil [ ] hommes soldatz qui se traictoient de mesme et sans adviser à eulx, vindrent les ennemis de deux basteaux en forme de marchandise et feignans d’acquitter le péage et subsides qu’ilz avoient inventez aux marchandises passans par ledit Mareuil, le tout pour l’ambition. En furent payez comme plusieurs aultres cy devant mentionnez ; c’est que dans lesdits basteaux estoient environ [ ] hommes de guère bien armez et couvers des tonneaux et aultres choses en forme que dit est, et sortant dudit Mareuil seullement [ ] hommes pour pensant recepvoir ledit péage et tribut de nouvel inventé, et ceulx de dedans ne pensant que à leur plaisir, entrèrent iceulx soldatz ennemis de la ligue90 subtillement et de force, et gaignèrent ledit Mareuil qui estoit imprenable se sembloit. Ou gaignèrent grand buttin d’aultant que ledit lieu estoit bien muny de tous vivres et munitions necessaires ; ou y eut seullement [ ] hommes de tuez et blessez.

187Voila que apporte l’ambition laquelle avoit, avec la paillardise, grand règne, enyvrant une grande partye de ceulx qui tenoient le party pour l’église, le tout causant petite adresse aux entreprises et deffenses dudit party de la ligue.

Prisonniers ; emparement du chasteau ; émotion populaire ; bruict d’une citadelle ; revenue de Sainct Paul

188Les prisonniers susnommez qui avoient esté accusez de ladite trahison furent trouvez innocens et faulcement accusez par un meschant, nommé Symonet, lequel avoit esté certifié très homme de bien par plusieurs prédicateurs preschans en ceste ville, d’aultant que il avoit faict ce faulx advertissement et comme on avoit instruict et faict prescher iceulx prédicateurs mal informez, dont l’un estoit ce très docte monsieur Toulouzan avec un cordellier et quelques aultres qui furent séduy par aulcuns gouverneurs et magistratz de ceste ville ; mais le tout estoit affin de tenir le chasteau de porte Mars et y fut mis garnison de l’ordonnance dudit sieur de Sainct Paul, malgré les habitans, saulf aulcuns dudit conseil adhérans. Qui fut cause que le lundy IX^e febvrier 1594 ladite garnison faisant monstre et monsieur de Sainct Paul absent, ou il estoit occuppé à la délivrance de la Ferté Million et firent lever le camp au roy de France91 et de Navare, advint (p. 26) sur le soir une émotion populaire commancé par deux ou troys inopinément mal advisez habittans, ou en eut sept ou huict tant d’une part que d’aultres tuez et blecez. Et regagnèrent iceulx soldatz ledit chasteau ou se tindrent fortz. Et vouloient aulcuns habittans forcer icelluy chasteau sans adresse ny conduittes, d’aultant que les gens du conseil avec le capitaine de ceste ville en lavoient leurs mains, à cause qu’ilz avoient promis audit sieur de Sainct Paul sur son partement qu’il ne seroit faict aulcun trouble en la garnison qu’il avoit mis audit chasteau, encor que ce fut contre le gré desditz habittans et d’aultant que au préalable avoit esté bruict qu’il vouloit faire une cytadelle en ceste ville et que, pour faire apparoir le contraire, avoit faict prescher publicquement qui n’avoit jamais pensé à faire cytadelle, qu’il n’en avoit la voulonté et qu’il n’en auroit jamais la voulonté et que tel bruict estoit imposture. Et, voyant ce que dessus, faisoit doubter de ses promesses pourquoy on se mettoit en peine remettre ledit chasteau libre en laditte ville. Mais ne fut en la puissance d’iceulx habittans d’aultant que ceste menée estoit advouée par aulcuns dudit conseil et qui accordoient audit gouverneur sa voulonté. Lequel fut adverty de ce que dessus par aulcuns envoyez et descenduz dudit chasteau hors la ville, et que lesditz habittans avoient concluz de ne le laisser rentrer que premièrement il n’eut rendu ledit chasteau libre. Le landemain au soir ledit sieur de Sainct Paul, encor que chascun fut en arme, entra audit chasteau par dehors laditte ville et se fit monter avec cordes et engin. Pourquoy monstra mauvais visage ausditz habittans. Et sur ce Monseigneur de Guise arrivant en ceste ville, fut le tout assez paisiblement passé et accordé ; mais tint toujours ledit chasteau et grande partye des gens de guere mis et logez en la rue de porte Mars et ès environs dudit chasteau, avec aulcuns au dedans.

Réduction de Paris

189En ce temps Monsieur du Mayenne sortit de Paris avec la noblesse du party de l’église92 et vint à Laon et à Soissons. Ce pendant le roy de Navare93 avec quelque de sa noblesse et quelques gens de guère entra à Parys de consentement commun et sans violance ny résistance94 ; qui fut en la sepmaine d’après la mye caresme 22^e mars. Pourquoy le dimanche dudit mye Caresme fut faict audit Parys procession générale ou fut descendu et porte la chasse Madame Saincte Geneviève, et aulcunnement imitée a Reims, après les vespres, pour implorer l’ayde de Dieu et des benoistz sainctz ; mais ne savions à Reims ce qui se menoit touschant laditte entrée de laquelle les nouvelles y furent incontynent apportées (p. 27).

Mort du Cardinal de Pellevé ; caresme

190La mort de Monsieur le Cardinal de Pelevé a Paris sur la fin du moys de mars 159495. Le Caresme 1594 fut preschée par ledit sieur Toulouzan qui interpréta doctement la sortie des Israélites d’égipte menez par les desertz avec le texte des évangilles du temps de caresme.

Assemblée des princes ; réduction de plusieurs villes

191Monseigneur du Mayenne, sa femme, et plusieurs aultres dames entrèrent a Reims le vendredy sainct 1594 et le landemain partit ledit sieur avec Monsieur de Sainct Paul et s’en allèrent a Bar le Duc ; et le landemain de Pasques vint à Reims Madame de Nemours, mère grand à Monsieur de Guyse ; et rentrèrent a Reims lesditz sieurs du Mayne, de Guyse et Sainct Paul la nuict suyvant le jour de Quasymodo avec Madame de Guise. Peu devant, plusieurs grandes villes se rendirent au roy de Navare96 d’aultant qu’il avoit este sacré a Chartre, et voyant sa conversion et exercice de catholicque entre aultres estoit la ville de Lyon ou monsieur de Nemours estoit prisonnier et y morut captif97, la ville de Troyes, Orleans et sy on bruyoit98 de Rouen, laquelle avoit auparavant tant souffert pour soustenir le party de l’église99, et plusieurs aultres villes100. Alors fut a Reims bruict d’une paix pourquoy Madame de Guyse et Madame de Nemours se partirent de Reims le jeudy d’après allant a Parys pour en traicter avec le roy, comme on disoit.

L’hyver fâcheulx

192L’yver précédent fut fort humide et pluvieux jusques au moys de may qui fut cause que les laboureurs et vignerons eurent grand peine a mettre sus les mars et houer les vignes, joinct que les volleurs d’Esparnay courroient et pilloient plus que devant et vindrent forcer Muyre et pillèrent le bestyail y estans, avec aultres bestyailz des laboureurs de Reims et des envyrons. La semaine de Pasques le bleid froment valloit cent dix solz le septier, le seigle quatre livres l’avoine trente cinq solz le septier.

La mort de Monsieur de Sainct Paul, gouverneur de Reims101

193En ce temps ledit sieur de Sainct Paul gouverneur de Reims, lequel se fait nommer Monsieur le mareschal comme estant proveu de l’estat de maréchal de France par Messieurs les princes, tant il estoit honoré et de plusieurs aultres qualités, continuant la maulvaise affection qu’il portoit aux habittans de Reims, leur voulant donner des garnisons estrangères et ainsy les vouloit donter comme il disoit. Le tout contre le vouloir de Messieurs les princes du Mayne et de Guyse estant pour lors audit Reims et se bayuant occulairement d’eulx par plusieurs foys tant il estoit superbe ; et ayant accumulé grands trésors et richesses tant de trafiques de marchandise que des pillages de la guère, rançons, tailles, subsides, péages que pentions, le tout aux despens des pauvres gens. Ne mettant ordre a ce que le pauvre peuple ne fut ainsi pillé, renconné, pris, captif, tirannisé, ce (p. 28) qu’il avoit moyen et puissance d’empescher (s’il eut voulu) d’aultant qu’il estoit homme adroit au faict de la guere, généreux et vaillant s’il s’eut voulu employer. Mais saisy d’une ambition, avarice et cupidité, oublioit le deu de sa charge et ne se soucioit que de sa grandeur. Se donnant du bon temps aux jeux de paulmes et aultres exercices mondains, faisant journellement reluyre sa superfluyté d’habits, festins excessifs, paré ordinairement luy, sa femme et ses enffans d’or, d’argent, pierres précieuses, et de toutes telles vanitées tellement que les roys, princes et grands monarques ne portèrent jamais tel estat. Avoit ordinairement avec luy pour sa garde et compaignie plusieurs grands capitaines et braves soldatz tant à pied que à cheval, mesme des excellens Souysses à sa suytte. Somme que toutes les honneurs et grandeurs mondaines le saisissoient, oubliant le petit lieu d’ou il estoit descendu. Et comme chacun congnoissoit, avoit faict fiencer la plus jeune de ses filles en très bas age, environ de quatre ans, à un grand gentilhomme comme s’il eut este asseuré de parvenir et vivre jusques à mettre ses enffans et les promoir en grande honneur, ne pensant pas que l’orgueil et presumption est tantost abaissé et que s’il eut esté mort que sa famille incontinant eut esté aussi et plus tost abaissée comme elle avoit esté eslevée. Et tenoit court comme un grand seigneur, estant muny d’or et d’argent innumérablement ne se souciant de Messieurs les princes et ne les respectoit aulcunement ains les brocardoit souvent comme dit est. Et ayant eu au précédent quelques propos contentieulx avec eulx et s’estant emparé deux jours devant des clefs des tours et aultres clefs des portes de laditte ville de Reims, plus que devant, et faict choses que les anciens et généreux gouverneurs n’avoient jamais entrepris sur la liberté desdits habittans (à la grande honte d’aulcuns du conseil qui connivoient avec luy).

194Advint le lundy a six heures du matin XXV^e apvril 1594 jour de sainct Marcq, ledit sieur de Sainct Paul se partit de son logis qui estoit la maison première du cloistre, du costé du marché ou se souloit tenir deffunct monsieur le doyen Noblin pour aller prendre lesditz sieurs du Mayenne et de Guise et les mener desjeuner en sondit logis. Lequel desjeuner estoit preparé se sembloit non pour leur bien faire (comme on estimoit). Et les trouvant venant d’ouyr la messe a Sainct Pierre aux nonnains (p. 29) audit cloistre sur le pavé au devant de la maison Monsieur le Vasseur, chanoyne, vis-à-vis de la porte du derier du palais (aulcuns disent qu’il venoit de Sainct Pierre avec Messieurs les princes), ledit sieur de Guyse s’adressant audit gouverneur luy dit : « Escoutté Sainct Paul Nous sommes sur notre partement, j’ay une requeste a vous faire de la part des habittans de Reims qui vous supplient par moy ne leur vouloir donner garnison comme avez affection faire, et leur rendre le chasteau libre, d’aultant que leur ay promis et accordé et que en ma faveur leur accorderez ». Il luy respondit assez durement qu’il ne le feroit et qu’il vouloit donter et subjuguer lesdits habittans. Ledit sieur de Guyse le pria de rechef, luy remonstrant le bon service et fidelle obéissance que de tous temps lesdits habittans avoient faict et porté à ses heureux devanciers et ayeulx Messieurs de Guyse, ensemble le bon et humain traictement d’iceulx bons seigneurs envers iceux habittans et qu’il les falloit traitter doulcement, d’aultant qu’ilz estoient habittans dociles et paicibles. Luy respondit encor de mesme et que les chastiroit. Sur lors, Monsieur de Guyse indigné luy dit : « a ce que je vois vous me respectez bien peu » luy remonstrant qu’il estoit esleu par feu Monseigneur de Guyse son père, et quelques aultres propos semblables qui ne se peuvent en propres termes desduyre, ny semblablement plusieurs aultres causes à ce mouvant. Sur ce témérairement icellui gouverneur tira a demy son espée comme aulcuns certifient disant qu’il n’en feroit aultre chose et que personne ne le pouvoit empescher que Dieu à ce faire : « et voila (tenant son espée) de quoy en faire la raison » en détestant iceulx habittans. Quoy voyant ledit Sieur de Guise se damarchant tira son espée et en perca le ventre d’icellui gouverneur, et plusieurs coups de pongnartz à l’instant qu’il recut par les gens de la suytte dudit duc de quoy ledit Sainct Paul, gouverneur, tomba sur ledit pavé soudainement mort. Et sy furent blecés grandement aulcuns de ses Souysses qui se mettoient en peine de deffendre ledit gouverneur. Ce faict se partirent lesdictz sieurs du Mayenne et de Guyse avec leurs suyttes et se retirèrent en leur logis. Et le corps dudit gouverneur porté en son hostel dont ses gardes qui estoient audit hostel furent estonnés avec tous ceux de la maison et de sa suytte. Huict heures après sa femme et ses filles se partirent en un coche conduy par les gens dudit sieur du Mayenne et s’en allèrent a Maisieres et aultres lieux pour dresser ses affaires. Pour luy seullement à l’heure de midy fut sonné une laisse des deux grosses cloches de l’église Nostre Dame. Ledit jour le corps d’icelluy Sainct Paul gouverneur fut mis en un cercueil (p. 30) de plomb et porté le soir en l’église des prescheurs, en la chappelle devant Sainct Crespin proche le lieu ou est inhumé le corps de son frère ledit de Villers ou il demoura sur les tréteaux avec solempnité requise jusques au landemain de la feste Dieu X^e juin 1594, lequel jour fut convoyé jusques à la porte avec solempnité grande comme a un grand seigneur et mené a son lieu.

Conclusion ; Sic transit Gloria mundi

195Voila la fin des ambitieux arrogants présomptueux et mécognoissants touttes choses en leur temps ; ou sont ses cupidités, ses richesses mal acquises, ses chaines d’or, carcans, dyamans, pierreries précieuses, somptueux habillements et festins ; ou sont ses honneurs tantost abaissés ; ou sont ses gardes qui le gardoient sy songneusement en son chasteau de Reims, en sa maison que a l’église partout en grand corps de garde ; ou sont ses Souysses sy graves et magnifiques, ou sont les carasses : ou sont les commandemens, ou sont les maulvaises affections qu’il portoit envers Messieurs les princes et les habittans de Reims ? Pauvre de petit lieu monté en honneur apprend par ceste histoire à ne te orgueillir, ains t’humilier et donner honneur a Dieu pour le servir en humilité et fidélité. Quelle mutation en sy peu d’heure tant pour luy que pour les siens. Chose admirable que en peu de temps telles choses sont sy tost changées. Rougissent a ceste heure aulcuns des magistratz de Reims qui ont tant conivé a ses maulvaises entreprises au destryment de leur patrie et intérets de la liberté d’icelle ville, qu’ils advisent comme ils se laissoient couller a ses appétitz, ne maintenant ains freustrant icelle liberté de laquelle on doibt avoir soing après li honneur de Dieu.

Paix avec la royne d’Angleterre ; prise de la cappelle ; vignes gellées

196Sur la fin d’apvril la ville de Rethel rendue au sieur de Nevers, puis Chastel en Porcian de mesme102. La paix fut faicte entre le roy de France et la Royne d’Angleterre103 en apvril 1594. Le mardy au soir X^e may 1594 le Capitaine Darcyne avec ceulx de la garnison de Chastel en Porcyan firent une charge proche Sompy et mirent une grosse compagnie de l’ennemy en routte ou il y eut environ soixante tuez que prisonniers et seullement sept des nostres tuez. La Capelle qui estoit assiégée par les Espagnols fut gaigné au commencement de may. Et le dymanche 23 may et le mardy suyvant les vignes furent gellées en plusieurs endroits et signament les bas lieux, avec celles de la rivière de Marne et avoist esté tout le devant dudit moys fort beau et chaulx.

Gens du roy ; guerre aux vasches

197Les gens du Roy estoient ès environs de Laon104 qui l’investoient et estoit (p. 31) le peuple de Reims en esmoy d’aultant qu’il n’y avoit adressé à l’opposition et estoit en suspend tellement qu’en un jour on estymoit la paix et le landemain la guerre. Monsieur du Mayenne se joignit avec l’armée du Roy d’Espaigne à la Capelle et Monsieur de Guise demeurant audit Reims. Ladite guerre estoit sy malheureuse qu’il n’y avoit aulcune discipline et estoit une vraye vollerye de telle sorte que ordinairement estoit appellée la guere aux vaches, d’aultant que tout le principal d’icelle estoit de piller, voller et courir le bestail tant d’une part que d’aultre. Et aymoit on mieulx les bestes que les hommes, tant pour le prétexte de la guere que pour l’exaction des tailles, somme que le pauvre villageois estoit de toutes pars pillé, vollé, ranconné, battu et tourmenté sans espoir de meilleur attente, mais pour tant d’afflictions les vins ne diminuoient ains régnoient plus que devant.

Ouragan

198Au commancement de juin 1594 le clocher de Sainct Jacques de Reims fut rehauté par le hault de la flèche d’aultant que le sommet estoit pourry, ou je montay par plusieurs foys jusques a la pomme de l’enghenseure pour en donner advis avec aultres. Et le jour de feste Dieu IX^e jour de juin qui fut une belle journée fort chaulde advint parmy les vespres une nuée de pluye avec tourbillon de vent qui desrompit plusieurs arbres et plusieurs couvertures du bastiment, mesme foudroya la vollée avec le comble du molin a vent sur les rempars, au derier du jardin des harquebusiers et plusieurs aultres molins a vent et bastiments qui furent desrompuz et beaulcoup de fraictz perdus, dont deux pièces du plomb de dessoubz de l’enghenseure dudit clocher. Lesquelz j’avois osté du sommet de la flèche et posées sur l’eschaffault dudit sommet furent par le vent emportées et tombé savoir : les dessus dittes pièces de plomb dans le tuyau de la chemynée et sur l’attre d’icelle de la chambre basse de la maison de Jehan Marlot, au Morion dorée, en laquelle chambre estoit sa femme malade ; l’aultre pièce tomba dans la cour au devant des fenestres d’icelle chambre.

12 Juin 1594. Gens de guerre à Reims

199Et le dymanche suyvant ledit sieur de Guyse fict entrer quatre régimens de gens de guere en ceste ville de Reims pour la garnison, qui estoient les sieurs de Grandval, Laboissière et aultres, sans comprendre les compagnies susdittes qui y estoient demeurées tant audit chasteau que ailleurs, le tout au grand regret de plusieurs habittans.

Octaves

200Les octaves de la feste Dieu furent preschés par ledit Monsieur Toulouzan.

Vitry et camp de Laon

201La ville et citadelle de Vytry fut rendue au roy sur la fin de juin et la garnison dudit lieu mise encor en ceste ville de Reims et plusieurs chefz du partye de l’église se rendirent au roy entre aultres estoient Monsieur de la Chatre, de Vitry, Vaucleroy, Castaniol, du Vivier, Fremycourt, La chapelle des Ursains105 (p. 32). Messieurs les depputtez de la ville de Reims partirent le dymanches VI^e novembre pour aller trouver le roy pour faire la soumission dudit Reims.

Nativité de Jehanne Pussot, femme de Richer

202Le mercredy seiziesme jour de novembre 1594 de matin fut nay ma fille douziesme enffant, laquelle pour l’injure et humidité du temps fut baptisée sur les fontz de Sainct Jacques par Monsieur le curé qui estoit M^e Gerard de la Lobbe et fut nommée par mon nepveu Jehan Charlot et ma niepce sa femme Jehanne.

Départ et retour des députés

203Le samedy X^e de décembre 1594 lesdits sieurs depputtez dudit Reims furent de retour, lesquelz apportoient les articles accordez avec le roy et confirmez par la cour. Pourquoy Monseigneur de Guyse fit assembler le lundy suyvant les corps de la ville de Reims, tant de l’église et université, du conseil, du siège, de l’eschevinage, capitaine et aultres habittans, pour faire entendre en la salle du palays archiépiscopal le debvoir d’iceulx depputtez ensemble les articles par eulx accordez. Ce faict on se mit en prière en l’église Notre Dame et fin des vespres fut chanté Te Deum solempnellement et menée grande joye tant par prière, son des cloches, artilleries tirées et faict plusieurs feux de joye et quoy faisant fut par le peuple à haulte voix crié : vive le Roy et fut laditte ville de Reims rendue à son obéissance, de quoy la pluspart en estoient très joyeulx, mais au regret de quelques uns qui en estoient mal contans. Dieu luy donne l’assistance de son Sainct Esprit et à nous aussy.

Guette aux tours

204Et tout le temps d’icelle guère, tant devant que après, jusques à la réduction de la ville de Reims au roy, estoit par un homme posé exprès en l’une des grosses tours de Nostre Dame, mis un signal d’une banyère au comble de la tour, du costé que venoient les gens de cheval, et préalablement sonné le tocseng d’une moyenne cloche appelée Richarde, de chacun coup, selon le nombre des hommes de cheval, et le nombre estant grand, estoit sonné laditte cloche en forme d’alarme. Et le semblable à Sainct Nicaise.

Advents

205Les adventz furent presché en l’église Nostre Dame par un docte homme séculier nommée Monsieur Ancellin curé de la Magdaleine de Paris106 qui interpréta doctement le psalme Quemadmodum desiderat cervus.

Outrage faict au roy

206Sur la fin dudit moys de décembre, le 27^e, le roy fut frappé et navré en la face d’un coup de cousteau par un pauvre mal advisé enffant agée de XVIII a XIX ans, nommé Jean Chastel filz d’un marchand drapier de Parys, escollier des Jésuystes107, lequel pensant tuer le roy, en fut par la grâce de Dieu avec sa dextre resistance delivré.

207Extraits empruntés à Pierre Coquault pour l’année 1594 : E. Henry avait constaté une lacune dans le Journal pour l’année 1594, de la fin juillet au commencement de novembre. Heureusement, le chanoine Coquault cite par deux fois Pussot pour cette période et comble ainsi le vide sur l’attentisme du duc de Guise à accepter la paix, « endormi » par les derniers partisans de la Ligue. Le premier extrait semble une citation littérale du texte, alors que, selon Henry, le second en serait plutôt une analyse108.

2081 — Voicy ce qu’en dict maistre Jehan Pussot en son journalier :

209En ce temps la ville de Fisme fut rendue au roy. Monsieur de Guyse se donnoit bon temps à Reims, et la paix pour la ville de Reims estoit principalement empesché par les adhérans devant nommés, d’aultant qu’ils avoient mal usé de leurs charges, crainians la repréhension et de rendre compte des choses mal prises et mal administrées, tenoient bon pour la guerre ; au contraire scandalisoient les bons docteurs et habitans désirans et preschans la paix. L’on fut contrainct donner à Monsieur de Clermont, coronel de l’armée du roy, MMD escus pour tirer l’armée d’autour de Reims, afin d’aschever les vendanges ; et pour payer ceste somme, fut mis sur tonneau de vendange entrant à Reims, X solz tournois. Mais les adhérans n’en payèrent aucune chose, d’aultant qu’ils avoient vendangé devant et faict leur affaire finement aux despens d’autruy. Dieu leur doibt justice.

210Ainsi parle nostre bon habitant109.

2112 – L’armée du Roy vint à la Montaigne de Reims, qui empescha de vandanger ; et survint une forte gellée qui dessécha toutes les feuilles des vignes. Les raisins se perdoient sur les sépaulx, sans avoir moyen de les cueillir, sinon avec composition que quelques compagnons faisoient ; et pour le sauf-conduit estoit donné XX solz par poinsson. Les aultres estants rencontrez, estoient pillés, robés, et non seulement le vin, mais les chevaulx et habits des charetiers. Les plus riches habitants ayant prévu le danger, avoient prévenu ; il n’y avoit que les pauvres ; et dict ledit Jehan Pussot que les riches ne se soussioient de telle calamité, ains faisoient chose nuisible au reste du peuple, endormoient le sieur de Guise de leur affection mal réglée : ce qui troubloit et abusoit grandement le peuple. Fut faict trève pour quinze jours, durant laquelle les gens du roy qui estoient logez en la Montaigne furent faschez contre les habitans de Reims, d’aultant qu’il fut deffendu à Reims de leur porter aucuns vivres par les gens de villages ; et lorsque les villageois estoient rencontrez passans aux portes de Reims avec vivres, estoient vollez par les portiers des portes et garnisons qui estoient en garde, les battans et frappans, prenoient mesme la nourriture que l’on portoit aux vendangeresses, impunément et sans estre repris par justice ou aultrement110.

1595

Te Deum et feux de joye

212Et en action de grâce fut le II^e de janvier 1595 a Reims chanté les Te Deum (p. 33) et faict les feuz de joyes principallement à celluy du parvy le feu mis par Monseigneur le prince de Joinville ; à celluy devant le palais royal le feu mis par monsieur le president Laurent Cauchon ; et à celluy au devant de l’hostel de Ville le feu mis par Hierosme Goujon sieur de Vraux. Le tout faict avec les solempnités requises et ordinaires.

Gros greslons

213Vendredy XVII^e mars 1595 jour de St Joseph advancé de deux jours pour ce que la feste escheyoit le dymanches de Pasques fleury, à quatre heures après mydy tomba une nuée de gros greslons aulcuns comme noix et plus, qui firent tomber plusieurs bourgeons des arbres qui n’estoient encore poussez et sy offencèrent les couvertures d’ardoizes et fut ledit moys fort humide et venteux, pourquoy les laboureurs et vignerons ne pouvoient besongner. Et grandes froydures et neiges continuèrent jusques dans le moys de may. Le froment valloit XII l., le seigle VIII, l’orge aultant et l’avoine LII solz le septier, pourquoy estoit grand nombre de pauvres.

Caresme

214Le Caresme fut presché par Monsieur Caillot, curé de Sainct Estienne de Reims.

Mariage ; travaux

215Le 17^e apvril 1595 notre fille Jehanne fut espousée a Hugues Raulet tonnellier, le sacrement célébré par Monsieur la Lobbe curé de Sainct Jacques, la messe chantée par Monsieur Symon Ogier notre chappelain, l’assemblé avec tout le festin faict en notre dite maison. La chéresse fort grande en ce temps fort d’yver et inconstant. Le froment vint a XIIII l., le seigle a X l et l’avoine a IIII l. le septier. Mais par la grâce de Dieu sur le moys de juin vint a dyminuer de prix et le temps bien disposé saulf que la maladye contagieuse estoit en plusieurs lieux en ceste ville de Reims. En ce temps fut basty l’appenty du derier de notre maison de Lange qui cousta avec la fosse à pryne et hallier au dessus II^c l. Et est a noter qu’il convient vuyder ladite fosse par le bout près l’estache dudit hallier, d’aultant qu’elle est soubz icelluy.

Démolition du chasteau de Porte Mars ; départs des princes

216Le jeudy VIII^e de juin 1595 du matin fut publié par deux foys à son de trompe de par le roy notre Sire, Monsieur de Guyse et Monsieur le prince de Joynville notre gouverneur que tous ouvriers en peine de prison eussent a desmolir le chasteau de porte Mars111. Ce qui fut faict en diligence et desmoly ledit jour et aultres jours suyvans. Et la grande tour respondant aux fossez dudit chasteau du costé du jardynet fut sappée par le pied avec estaussons et iceulx bruslez, pourquoy le sabmedy X^e dudit juin à deux heures après mydy tomba en partie ausditys fossez et sy fut après desmoly le reste et tout ledit chasteau. Le landemain dymanche au soir lesditz sieurs de Guyse et Joynville se partirent avec toute la (p. 34) gensdarmerie et s’en allèrent aulcuns trouver le roy selon son mandement et Monsieur de Guyse s’en alla a Rocroy duquel il chassa le gouverneur qui estoit Monsieur de Champaignac.

Les volleurs de Soissons ; maladye

217Durant ce temps les volleurs de Soissons nous faisoient guere et pilloient journellement jusques aux portes dudit Reims. Et sy n’estoient opposez desditz gouverneurs qui ne se soucioient que d’eulx donner du bon temps, et prindrent iceulx volleurs de Soissons les porcz de ceste ville, savoir le trouppeau de porte à Vesle et plusieurs vasches et chevaulx le mardy XIII^e dudit juin, et continuoient journellement à voller jusques aux portes. La maladie contagieuse augmentant tellement qui n’estoit guere de rue sans y avoir maisons pestiférées et estoit ladite maladye fort cruelle.

Amende honorable

218Le lundy II^e septembre 1595 Monsieur de Nouvyon religieux de Sainct Thiery fict amande honnorable nud, en chemyse, a genoulx, la torche ardante es mains, la corde au col en plain siège tenant l’audiance pour avoir esté aulcunement convaincu d’avoir griefvement blasphemé contre dieu, le roy et la justice et condamné par un très docte, très prudent et scientificque président conseiller du roy de la cour de parlement, commis pour purger plusieurs malfaicts qui s’étoient commis durant les troubles, nommé Monsieur d’Amours, le plus digne et adroit en sa charge qui ayt auparavant esté audit siège du vivant des auditeurs. Lequel de Nouvyon fut banni à tousjours de ce royaulme en peyne de la vie et ses biens confisquez au roy, et en tel estat ramené en la prison ou il avoit esté emmené en mesme estat, apres luy avoir esté faicte et à tous les assistans par ledit sieur d’Amours, une très docte et très crestienne exortation et remonstrance. Et depuis fut ledit de Nouvyon remis de son bannissement et réinstalé au dit monastère de Sainct Thiery et y morut de peste.

Gellée et vendange

219Les premier II^e, III^e et IIII^e octobre 1595 vint une forte gellée blanche qui dessécha et fit tomber toutes les feuilles des vignes de la Montagne et sy n’estoient les raisins encore guère meurs n’ayant que bien peu vendangé et suyvant vint une grande et longue pluie accompagné d’une grande neige qui gasta fort les vendanges et principallement les blancz qui n’estoient en maturité, pourquoy fut la dite vendange faicte avec grans fraiz. Et sy convint composer avec Monsieur de Ponsivars, gouverneur de Soissons et avoir trève qui fut accordé pour troys moys moyennent II mille escus et IV poinssons de vin ou le prys qui luy fut accordé donner de la ville de Reims.

Peste

220Durant ce temps (p. 35) la peste augmentant tellement que bien peu d’hommes qui en estoient atteints en eschappoient, et estoit grandement cruelle au masculin beaucoup plus que au féminin et morut un grand nombre de personnes audit Reims sans comprendre plusieurs villages qui en furent fort affligez.

Monsieur Garnier ; trève

221Au moys d’octobre et partye de novembre fut commis a Reims un très docte docteur en théologie, religieux de l’ordre Sainct Benoist qui prescha les festes et dymanches à Nostre Dame intruysant à la concorde et réconciliation, nommé Monsieur Garnier. En ce temps le camp du roy estoit devant La Fère, estant détenue de l’espaignol. Et sy fut une trève généralle en France pour jusques au moys de janvier suyvant et publié en octobre durant les dites vendanges, tellement qu’il y avoit moyen d’aller aux champs, excepté l’empeschement des voleurs qui estoient en grand nombre. Mais le grain ne laissoit de remonter tellement que le froment en novembre valloit X et XI l. le seigle VIII l. l’orge aultant ou peu a dire, et l’avoine LX sols le septier.

Avent ; absolution du roy

222L’advent presché par Monsieur Picotin chanoyne de Reims. En ce temps la ville de Soissons fut rendue en l’obeyssance du roy. Le XXI^e de decembre 1595, le jour sainct Thomas, pour révérer Dieu et luy donner louange des bonnes nouvelles advenues de l’absolution générale du Roy, donnée du Sainct Père112, fut a Reims faict une procession généralle du matin et enfin chanté les Te Deum, puis célébré la messe du Sainct Esprit comme de coustume. Et après mydy faict un feu de joye au devant de la maison de ville, allumé par Monsieur d’Amours devant mentionné, et par Monsieur le lieutenant des habitans qui estoit Jehan l’Espaignol, avec chacun une torche ardente accompaignés des notables habittans, les arquebusiers en armes et aultres solempnités requises ; au mesme titre fut tiré nombre de petaulx et d’illecq laditte compaignie, transportée sur les platteformes ou souloit estre le chastel de porte Mars, ou fut pour l’abolition totalle dudit chasteau tiré grand nombre de petaulx.

223Le camp de La Fère continuoit.

1596

Baptême

224Le jour de chandelleur 1596 fut baptisée la fille première enfant de notre fille Jehanne femme de Hugues Raulet duquel elle fut accouchée la veille et fut baptisée sur les fontz de Sainct Jacques par M^e Symon Ogier notre chappellain et nommée par moy et ma femme Marye (fol. r°)

Prix

225Le froment valloit X l., le seigle VIII l., l’orge aultant, et l’avoine III l. XV sols et IV l. le septier, la queue de vin commun XL sols (p. 36).

Amende honorable

226Le premier apvril 1596 Mr Ponce, curé de Villedommange fict amende honorable en forme de celle de Monsieur de Nouvyon saulf que n’avoit la corde au col et estoit pour semblable cryme et fut faict semblable et très docte remonstrance par ledit sieur d’Amours. Et en ce temps plusieurs exécutions cryminelles se faisoient et la justice commancoit à règner sur les voleurs. Mais le camp de La Fère continuoit ce qui causoit grande moleste de gendarmeryes en la Champaigne, et la montagne estoit aulcunement en repos saulf la cheresse régnant.

Caresme

227Le caresme fut presché par un très docte prebtre séculier docteur curé de Sainct Jacques de la boucherie de Parys nommé Monsieur de Gazil113.

Calais perdue ; La Fère rendue ; diminution et renchère des grains

228Durant la sepmaine de Pasques en apvril 1596 la ville de Calais fut prise des Espaignolz assiégée seullement de troys jours, battue furieusement et ainsy gagnée par eulx et perdue pour la France114. Le roy, avec la pluspart de son armée, laissa La Fère et alla pour s’opposer a ce faict, mais n’en sceu venir à chef. Et estant de retour la ville de La Fère fut rendue au roy par composition et en sortirent les ennemis le XXII^e jour de may suyvant, veille de l’Ascension115 ; ce qui fut cause de resjoyr le peuple de ce pays, avec diminution de la cheresté le tout par la grâce de Dieu. Et aussy que les biens de dessus terre estoient de belle apparance et principalement les bledz et estoient les grains diminuez de Xl (ou XV) solz sur le septier. Mais la contagion de peste augmentoit et en plusieurs lieux, contrées, villes et villages de ce pays. Toutesfoys la réjoyssance de ceste diminution n’eut guère de durée, d’aultant que le reste de may avec le moys de juin furent du tout humide et froyd, qui fut cause que tout le grain revint à plus haut pris et chéresse que devant, tant du retardement de la moisson que de l’humidité, causant mauvais gouvernement aux biens dessus la terre tellement que la sepmaine devant la sainct Jehan le froment valloit XIII l. le signe XI l. et plus et l’avoine IIII l. XII solz le septier. Pourquoy le peuple estoit en grand esmoy signamment les non pourveuz de grain et d’argent desquelz j’estoys du nombre.

Octaves

229Les octaves de la feste Dieu preschées par Monsieur Caliot curé de Sainct Estienne qui interpréta le Caro mea. Lequel docteur estoit ordinaire prédicateur pour lors à Nostre Dame.

Contagion ; inhumation de Madame de Monpencier

230La contagion estoit lors un peu diminuée par la grâce de Dieu mais depuis fort augmentée d’aultant que jusques à mye juillet le temps toujours (p. 37) pluvieux accompaigné de nuée et tonnere, pourquoy on ne pouvoit moissonner. Le froment valloit XVI l. le septier, le seigle nouveau VI l. non encore en maturité. Le dimanche XXI^e juillet 1596 Madame de Monpencier116, décédée, fut emmenée le soir en la chappelle Sainct Eloy ou fut posée la nuit et le landemain feste de la magdaleyne fut portée à deux heures après mydy et convoyée honorablement avec les solempnités requises en l’église de Sainct Pierre aux Nonnains de Reims ou elle fut inhumée et enterrée le mardy landemain environ XI heures du matin.

Contagion

231En ce temps la contagion augmentant grandement en ceste ville de Reims de sorte qu’elle environna ma maison et fut la maison Gobert Raboeuf à l’enseigne des troys roys attenante de la mienne, du tout vuyde et les habittans morts. Cause pourquoy fus contrainct mettre mes deux petites filles hors et les réfugier chez notre gendre Hugues Raulet. Et quelques douze jours après y morut notre fille Nicolle non de contagion suyvant l’advis des médecins. Mais fut faict en sa maison comme il y eut danger d’aultant que tous malades mourans ou non estoient estimez pestiférez ; et fut enterré au grand cymetier Sainct Jacques à costier de la chappelle a main droite. La surveille sainct Laurent 1596, et troys heures après fut trouvé notre filz Paul avoir un petit charbon au bras, pourquoy fut mis en notre chambre devant avec deux gardes ausquelles je submis ma maison et tous mes meubles pour les songner et aérer comme de coustume ; et me retiray et ma femme et mes enffans en la maison ou souloit demeurer Robert Charbonne proche de la maison du coing du moyne ou pot d’estain de la coulture et de notre rang, moyennant XI escus de louage pour jusques à la sainct Remy suyvant. Et le landemain qui estoit jour de sainct Laurent estant aller voir mes vignes à Coulommes et à Ormes, fut mené ledit Paul sans mon sceu, à la buerie ou il morut et enterré au cymetier d’icelle le dymanche landemain sainct Laurent ; Dieu nous fasse la grâce de les voir en paradis, ce qui nous causa grand deuil et grande perte. Sic nomen domini benedictum, amen : Dieu nous face miséricorde et nous préserve et tous aultres de plus grands dangers (p. 38).

Vendange petite

232Et à cause de l’injure du temps fut fort peu de vin, aultant peu que longtemps on a veu, et veu la grande monstre et apparence qu’il y avoit par cy devant et furent de moyenne et assez petite qualité, joint qu’ils furent ceuillys trop tost a cause de la gensdarmerie environnant ceste ville de Reims, laquelle gensdarmerye gasta fort la Champaigne durant [ladite année] et la Montaigne et rivière de Marne durant la vendange. Et fut icelle vendange faicte avec grans fraiz tant pour l’incommodité que dessus que pour les pluyes continuelles durant icelle. Toutesfoys valloit la queue de vin nouveau L l., le vieil XXV, le seigle IIII l. le septier ; le froment VIII l. l’avoine LV (ou LX) solz aussy le septier. Le XXII^e décembre 1596 le pont aux meusniers de Parys cheut en ruyne dont eut grande perte.

Les Castadots

233La contagion estoit par la grâce de Dieu un peu appaisé mais régnoit grande cource de maladie de corante. Les estatz se tenoient à Rouan117. Et le jour sainct Symon de l’année 1596 28^e octobre, sortit de ceste ville de Reims une compaignie de custadots ou pyoniers et gens de mestiers fournys de l’élection dudit Reims, pour estre conduis a Dourlan, le bruict estant que le Roy la voulloit assiéger, mais revindrent à Reims au commancement de Janvier 1597.

Advents

234Les adventz furent preschez par un très docte homme séculier nommé Monsieur Belanger qui interpréta sagement une partye de l’istoire de Thobye et sy prescha le caresme suyvant. Lequel incontinant après fut proveu de la prébende doctoralle de Nostre Dame de Reims de laquelle fut peu joyssant.

1597

235Et peu après savoir es moys de janvier et febvrier ce pays estoit plein de gensdarmes gastant toute la Champaigne et la Montaigne usant de toutes sortes de cruaultées et volleries encore pires que devant et sy la cheresse estoit grande.

Jubilé, prinse d’Amiens

236Le dymanche de mye caresme suyvant fut célébré en ceste ville de Reims le grand jubilé donné du sainct Père en remerciant Dieu de la conversion saincte de notre roy Hanry 4^e très crétien qui fut faict et célébré avec grande dévotion et pour plusieurs aultres causes. Mais le vendredy de devant vint nouvelle de la surprise de la ville d’Amiens pour les estrangers avec l’intelligence d’aulcuns de dedans ennemys de la patrye118.

Les Capuchins

237Et le 19^e mars suyvant les pauvres Capuchins furent mis hors de ceste ville119 à cause qu’ilz furent refusans d’aller parler à messieurs du Conseil de la ville pour savoir l’intelligence de quelques propos tendant à calomnie que quelques uns avoient préchez. Et le sabmedy XXII^e Monsieur de Nevers le jeune entra à Reims suyvy d’une belle compaignie120. Sur la fin du mois de mars les bourguignons prindrent la ville de Bruyelle sur Marne. Et au moys d’apvril suyvant fut faict des escouades d’hommes pour faire la garde de nuict.

238Octaves de la feste du Sainct Sacrement preschez par [ ] (p. 39).

239Le roy avoit mis son camp devant la ville d’Amyens durant ce temps des moys de juin, juillet.

La mort de Jehan Crestellet

240Au commancement de juillet 1597 la contagion renouvellant à Reims, advint que un nommé Jehan Crestellet, tonnellier demeurant dès longtemps en une maison appartenant a Henry Baschellier au lieu de l’estappe, à l’enseigne du cornet, homme de bien tres catholicque et pillier paroissien de l’église Sainct Jacques, sa femme, frappée de ladite contagion morut le jeudy III^e juillet du matin, luy estant tousché de ladite maladye. Troys heures après le feu mis par les gardes en sa maison et par accident et par inadversion, fut la dite maison du tout bruslée et consommée de feu, et tous ses meubles perdus et bruslez. Luy, sortant en chemyse seullement et en telle affliction se réfugia avec sa fille unicque, ignorante et contrefaicte, en une petite maison sur le coing de la ruelle de derier la Magdaleyne ; et en ceste afliction luy fut à l’heure signifiée la saisye du sy peu qu’il restoit de ses biens tant mobiliaire que immobiliaire à la poursuyte dudit Baschellier, pour la restauration et réparation de la dite maison et les aultres attenans qui eschapperent de telz dangers à la diligence de plusieurs honnestes habittans, principallement artisans, qui firent grand debvoir a la conservation des maisons voisines. Et le lundy suyvant ledit Crestellet fut appellé de Dieu et morut de la dite maladie pourquoy la grâce de Dieu fut reconnue de l’avoir appellé : devant le quel temps avoit grand besoing de patience et estoit comparé vrayesment à l’histoire du bon Job. Dieu veuille avoir son ame et comme estions compaignons assiduels en l’église Sainct Jacques puissions estre compaignions assiduels en paradis. Et veulx bien faire savoir qu’il estoit sachant toutes les cérémonies qui se doibvent faire en l’église et mesme par cœur savoir tout ce qui se chante au long de l’année sans rien laisser diminuer et estoit très dévot, duquel peu se trouvent semblables.

Monsieur d’Amours

241Le mardy XII^e d’aoust 1597, les habittans de Reims furent convoquez généralement au palays royal du matin ou ledict sieur d’Amours fit entendre qu’il estoit commis de la part du roy pour adviser a ayder le roy par quelque moyen à eslever et maintenir une armée, comme la ville de Paris et aultres villes avoient ja admis et offert moyen à ceste fin, affin de fortifier contre les ennemys Espaignolz, sauver la ville d’Amyens et empescher d’avoir plus grande entrée en France ; ou le sieur d’Amours fit devant le peuple une belle et très docte harangue, laissant la délibération du moyen à Messieurs les chefz des Eclésiastiques, de la Justice et du corps de la ville de Reims pour en adviser ensembles.

242Et sur la fin du moys d’aoust 1597 le roy fit une charge sur l’ennemy espaignol ou il mit en route mil hommes de cheval tant mortz fuytifz que prisonniers. Pourquoy l’église de Reims rendit grâces à Dieu et fut chanté les Te Deum le lundy VIII^e septembre jour de la nativité Notre Dame, après les vesprez. En ce temps le bant et arriere bant estoit mandé et tous ceulx qui avoient porté les armes auparavant furent contrainctz avec la noblesse aller a la guere (p. 40).

Réduction d’Amyens ; mort de Nicaise Lefricque

243Sur la fin du moys de septembre 1597 la ville d’Amyens fut rendue au roy avec composition121. Pourquoy après les asseurées nouvelles apportées par Madame de Sainct Pierre le sabmedy jour de sainct Cosme et sainct Damien fut en fin des vespres chanté a Nostre Dame les Te Deum et le feu de joye faict au devant de l’hostel de ville, et y tirez nombre de petaux et peu auparavant du soir desquelz en fut tirez aultre nombre en deux rangs sur les rempars entre porte Chacre et la belle tour. L’un desquelz fut effondré et rompu d’une pièce duquel fut tué mort sur le lieu, sans parler ny respirer, la personne de Nicaise le Fricque, homme très notable M^e de l’artillerye de Reims, fort homme de bien, de longtemps tres fydel officier de la ville et merveilleusement regretté du peuple, qui fut enteré honorablement en l’église des Prescheurs, le landemain dymanche, pénultieme dudit moys.

244La contagion durant ce temps continuoit, mais après la sainct Remy par la grâce de Dieu elle cessa. La moisson fut assé bonne mais le grain tousjours de hault pris d’aultant qu’il estoit peu de seigle ; et sy fut assez bonne quantité de vin mais bien petit en qualité et moindre que les précédens. Pourquoy ne valloit à la vendange que XX l. la queue et le bon moyen XLV l., la vendange fut tardyve, pluvyeuse et n’estoient les raisins meuriz de challeur.

Venue de l’abbé de Sainct Remy ; Advents

245Le mardy II^e décembre 1597 Monsieur l’evesque de Nantes, archevesque et duc de Reims premier pair de France et abbé de Sainct Remy vint sur le soir audit Reims prendre possession de l’abbaye dudit Sainct Remy122, estant deument annexée et unie perpétuellement avec ledit archevesché, ce qui n’estoit auparavant asseuré ; et entre d’une simple entrée par la porte de Fleschambault et descendit en l’église Sainct Remy sans aulcunes cérémonies et n’estoit encore proveu de ses bulles pour ledit archevesché. Les adventz de l’année 1597 furent preschez par ledit Monsieur Garnier qui interpréta fort sagement et profondément l’interpretation du songe a Nabugodonozor par Daniel.

1598

Mariage

246Le lundy XXIIII^e janvier 1598, veille de sainct Sébastian, notre fille Margueritte fut mariée et espousée a Gerard Jacquetel filz de Jehan Jacquetel, lesquelz avoient esté fiancez le jour de la Conception notre dame précédent et furent espousez en l’église Sainct Jacques par M^e Gerard de la Lobe curé dudit Sainct Jacques et les festyns et banquetz faictz en notre maison attenant du chauldron.

247Le caresme fut preschez en l’église Nostre Dame par un très docte homme Monsieur le curé de Sainct Paul de Parys, et des plus doctes de tous les précédens mais un peu gaigné sur le faict du gouvernement de l’hostel Dieu, parlant pour la cause des chanoynes, pourquoy ce propos fut de peu trouvé agréable.

Paix de Vervins ; réduction de la Bretaigne

248Dès ce temps et jusques au moys de juyn suyvant Messieurs les depputtez estoient assemblez à Vervins pour adviser à faire la paix entre le roy de France (p. 41) et le roy d’Espaigne avec les circonvoisins ou estoient Messieurs les légat et nonce et ambassadeurs123. Durant lequel temps le roy remit en son obeyssance la Bretaigne et aultres pays voisins que détenoit en gouvernement Monsieur de Merceure124.

249Ce pendant les environs de Reims estoient fort travaillez d’un régiment de gensdarmes nommé le régyment de Monsieur le mareschal de Byron, lesquelz rençonnoient, pilloient, volloient et violloient aultant et plus que les précédens ennemys, combien qu’ilz fussent pour le roy et gens qui nous debvoient deffendre.

250Le vin n’avoit point de vuydange et estoit à mespris et sy le grain diminuoit un peu de pris.

251Et le dymanche de Misericordia V^e apvril 1598 fut faict procession généralle remerciant Dieu pour le bénéfice de la réduction du pays de Bretaigne et le priant nous donner une bonne paix généralle laquelle on estymoit tost advenir.

252La nuict d’entre le mardy et mercredy d’après par le filz de Blanche Petit, veillant à ceste fin, d’un seul coup de harquebuse tua troys grans loups proche la gloye de Sainct Eloy, amorcez d’une charongne exprès préparé pour cest effect.

Gellée

253Puis le dymanche de cantate suyvant les vignes furent gellées signamment celles des villages et terroirs des bas lieux et partye de haults lieux n’estant les getz fort grans toutesfoys les bouttons quelquez petits qu’ilz estoient mesme ceulx qui n’estoient encore hors du cotton estoient aussy gellez esditz terroirs, et le tout pour estre advancez de la grande challeur du moys de mars.

Arrest de Parlement

254Le mardy V^e may 1598 en court de parlement à Parys fut rendu le dernier arrest contre Messieurs du chapitre Nostre Dame de Reims touschant l’administration que Messieurs les habittans doibvent avoir, savoir quattre habittans avec deux chanoynes du gouvernement de l’hostel Dieu dudit Reims ce qui avoit esté de longtemps en débat et contention et fut jugé sans despens.

255Au moys de juin 1598 fut mis de neuf une des maitresses solles au clocher de Sainct Jacques portant les estaches du quaré au lieu d’une qui estoit toute pourrie et corrompue.

La paix

256L’an mil cinq cens quatre vingtz dix huict ès moys de may et juin la paix généralle par la grâce de dieu fut faicte entre le roy de France, le roy d’Espaigne et tous les princes crestiens et catholicques à la solicitude du sainct Père, par son légat et monsieur le nonce125. Et fut ladicte paix publiée à Reims le matin au siège du palais royal mercredy XVII^e juin avec deux trompettes par Josseteau greffier civil dudict Siège, puis sur le mydy publiée par tous les carefours dudict Reims avec quatre (p. 42) trompettes, tous les sergentz royaulx et ledict Josseteau a cheval ; et a la fin des vesprez ce mesme jour faict par messieurs les chanoines une procession ordinaire ; et en fin estant rentrez a Nostre Dame fut solempnellement chanté les Te Deum avec toutes les solempnités requises y assistans en bon ordre Messieurs de la justice, les magistratz et Conseil avec grand nombre du peuple. Ce faict fut par tous les carefours de Reims faict grans feus de joye extraordinaire emprins plusieurs par Monsieur le lieutenant des habittans qui estoit Monsieur de Bouzy126 accompaigné d’une honorable assistance, mesme de la compaignie des Harquebuziers de Reims, ou furent bruslées plusieurs effigies représentant la guère ; et ce pendant tiré grand nombre d’artillerye et en plusieurs endroictz et places, mesme sur les rempartz. Et faisant tout ce que dessus en grande rejouyssance, remerciant Dieu de ce beau bénéfice, estoit crié par le peuple, Vive le Roy, et durèrent lesditz feuz de rejouyssance jusques au soir.

257Les octaves de la feste du Sainct Sacrement preschez par [ ].

258Et le landemain jeudy XVIII^e Juin du matin fut faict le sermon par Monsieur Caliot curé de Sainct Estienne docteur ordinaire de la grande église interprétant en texte le dernier verset du psalme 28^e qui est Dominus virtutem populo suo dabit, dominus bendicet populo suo et in pace ; puis faict procession généralle et ordinaire, tout le clerjé revestu de chappes et y fut porté les chefz sainct Eutrope, sainct Nicaise et l’Image Notre Dame et en fin célébrée solempnellement la messe du Sainct Esprit, le tout fort dévottement et joyeusement célébré. Et sur le soir faict un célèbre feu de joye au devant de la maison dudit sieur lieutenant et tiré encore toutes les artilleryes.

Nuée et tempeste

259Tout ce temps de tant de may que juin estoit froigd et humide tellement que les biens dessus terre ne croissoient que de force ; et le temps se mettant en grande challeur les XXIIII^e, XXV^e et XXVI^e dudict moys ledict jour vendredy XXVI^e sur les V heures du soir, fut une nuée d’eau et grosses grêles tombans qui gasta plusieurs vignes et grains dessus la terre et ne fut onques a Reims tombé pour une foys aultant d’eau et en si grande affluence.

Procession du recteur ; sermon en la croix de la Coulture

260Le II^e jour d’aoust 1598, dymanche unziesme du temps, Monsieur le Recteur de l’Université de Reims qui estoit M^e Guille Lasnier et qui célébroit ordinairement la première messe en l’église paroissialle de Sainct Jacques dudit Reims fict sa procession en ladite église (p. 43) et fut la prédication et sermon faict en la Croix de la Coulture par tres docte homme Gerard de la Lobbe ancien et de long temps encore curé dudit Sainct Jacques, qui interpréta très doctement et bien à propos, sur le bénéfice de la paix et aultres grâces receus de Dieu, la prière collette dudit jour, assavoir Deus qui omnipotentiam.

261En ce temps n’estoit que fort peu de fruictz aux vignes, moins que de long temps on a veu et sy ces vignes jaunissoient de telle sorte qu’on ne les veit jamais en sy pauvre estat du vivant des plus anciens vivans ; qui fut cause d’enchérir le vin, tout petit en qualité et bonté qu’il estoit, lequel on derrachoit auparavant.

La réception de l’archevesque de Reims

262Et le mesme jour sur le soir Mondict sieur archevesque de Reims nommé Philippes du Bec vient a Reims par ladite porte de Fleschambault dans une lictière portée de deulx grands mulets d’aultant qu’il estoit mal disposé et détenu d’un catère attenant une partye de ses membres127. Et le landemain du matin se fict recepvoir au chappistre par procureur, luy absent, malade à Sainct Remy avec les cérémonies à Nostre Dame ordinaires, en la personne de Monsieur Gillebault, son grand vicaire, et sonner les cloches, mesme les grosses, durant la messe célébrée de Monsieur sainct Estienne, qui estoit le jour de son invention, III^e aoust.

Les loups

263En ce temps regnoit une aultre affliction, c’est que les loups avoient telle domination sur les corps humains qu’ilz se jettoient et dévoroient plusieurs gens tant aux champs, vignes, que dans les villages, tuèrent, mangèrent et blecèrent grans nombre de gens, et quasy par tout lieu, et signamment aux femmes filles et enffans. Et sy chacun estoit sy esblouy que personne ne se mettoit en debvoir d’aviser moyen dy remédier, et sy lesditz loups n’avoient aulcunes craintes comme s’ils eussent esté asseurés de ne leur pouvoir mal faire.

264Ledict sieur archevesque revint à Reims venant des bains a Plommier le jeudy XXIIII^e septembre suyvant.

Baptisement

265Le mercredy VII^e octobre audict an 1598 la fille premier enffant de Gerard Jacquetel et de notre fille Margueritte fut nay et baptisé sur les fontz de Sainct Jacques par M^e Symon Ogier notre chappellain et fut nommée par moy et ma femme Marie.

L’enterrage de Monsieur le cardinal de Pellevé

266Le dymanches XI^e jour d’octobre audict an, le corps dudit Seigneur Cardinal de Pellevé, sur les vesprez, fut emmené en ceste ville de Reims par la porte de Fleschambault et conduy d’icelle en église Sainct Remy ou fut posé et chanté ses vigilles ; et semble que les religieulx dudit Sainct Remy ne le recognoissent pour leur abbé joinct l’opposition qu’ilz avoient faict à sa (p. 44) réception par Monsieur le grand prieur Lespagnol, comme devant est dict, d’aultant que les religieulx ne le portèrent du portail au cœur comme ilz avoient faict deffunct Monsieur le Cardinal de Loraine avec bastons noirs. Ains fut porté par plusieurs pauvres massons et manouvriers avec petitz leviers ou portereaux de boys tout emmortellez selon le mestier, et icelluy posé audict cœur sur tréteaux en la présence dudit seigneur du Becq lors archevesque, auparavant son entrée, qui le receut audict cœur.

267La landemain du matin fut célébré son service et après mydy fut sonné à Nostre Dame et par toutes les églises paroissialles et conventuelles la bémort et les sonnages ordinaires, et sur les vespres convoyé d’un convoye très honorable de tout le clerjé, les corps de toutes les Justices et aultres gens, dudit Sainct Remy en l’église Nostre Dame porté par les mandains ou fut chanté les vigilles. Et le mardy qui estoit le XIII^e jour dudit moys à neuf heures du matin fut chanté sa messe de requiem solempnellement et de musicque, le corps estant soubz les chandellier et tombeau des obsèques de feu Cardinal de Loraine, avec tous les luminaires requis et aultres solempniteés ordinaires à grans seigneurs. Lesditz assistans présens, fin de la recommandise, fut enterré couverte de terre sans voulte, à costé dextre de l’autel dudit sieur Cardinal de Loraine. Puis ses parens retirez au molynet. Et eurent tous lesditz assistans tant du clerjé que de justice, bonne distribution telle qu’il avoit par testament ordonné ; mais les uns furent plus contans que les aultres.

Vendanges petites

268Ces jours estoient le temps des vendanges qui furent aultant petites que jamais vivant eut veu, tellement que ne recueilly en toutes mes vignes et celles que tenois de louage de notre myneur que VIII poinssons de vin ; et estoient les vins médiocrement bons tant pour la petite quantité que pour la fin du moys d’aoust et tout le moys de septembre, qui furent fort beaux et secz, mesme le temps de la ceuillette asses bon ; et valloit la queue de vin nouveau XXV escus et le vieil XV l., le froment IIII l., le seigle LV solz, l’orge peu moins et l’avoine XXVIII solz le septier.

L’entrée du duc sieur du Becq, archevesque de Reims ; René Bourgeois

269Et le dymanches XVIII^e octobre suyvant jour de Sainct Luc et feste de la dedicace de l’église Nostre Dame de Reims, ledict sieur du Becq archevesque et duc de Reims, et fict son entrée en forme de celle de Monsieur le Cardinal de Pellevé et pour les mesmes causes seullement apres la réception monta en cherse et fict la prédication devant la (p. 45) grande messe qui fit célébrée solempnellement et selon le bon jour par Monsieur l’esvesque de Soisson ou estoient l’évesque de Chalons et un pour estre évesque de Laon, nommé Monsieur Signier archidiacre de Notre Dame de Paris, et plusieurs aultres grans personnages. Puis le disner faict au palays. Toutesfoys les cérémonies empeschèrent et interrompirent l’ordre du service et dévotions accoustumez à cedict bon jour ; et une chose mal advisé fut qu’il déposséda Monsieur le bailly Ballet, son bailly, homme digne de sa charge et y admit du tout un nommé Monsieur Bourgeoys, filz de feu argentier de Madame de Sainct Pierre aux Nonnains, conseiller au siège présidial dudit Reims en la faveur d’icelle dame et de plusieurs parens de l’alliance dudit Bourgeoys, sans avoir égard à la capacitée de un sans comparaison que de l’autre, au grand regret de plusieurs bons habittans qui, sans jactation ny conivence, trouvoient estre intérest au publicq sur le faict de la judicature et exercice du baillaige de Reims, et que sy ledict sieur archevesque eut esté deument informé, sans estre aulcunement poussé et gaigné de susdictz, il n’eut fait cette mutation. Voila qu’apporte l’ambition. Joinct que tous les deux estoient pourvus de luy et sy ledict Ballet avoit gaigné sa prouvision par arretz de la cour de parlement obtenuz sur la contention avec ledit Bourgeoys. Mais certain est le proverbe disant :

Amour de seigneur n’est heritage
Qui trop sy fye n’est pas sage

270Ce pendant il y a intérest du publicque, il pourra cy après congnoistre le faict plus amplement. Dieu luy face la grâce de bien et honorablement achever ses jours et à nous aussy ses ouailles de Reims. Durant laquelle contention ledict sieur archevesque faisoit exercer ladite justice par son bailly par luy introduict, savoir ledit Bourgeoys, et tenir l’audience pendant les causes en la salle du palays archiepiscopal, du costé et au devant de la cheminée d’icelle, l’auditoire de la Pierre aux Changes estant fermé.

Théâtre

271Le dymanches XV^e novembre en une grange proche le cymetier de Sainct Brice fut joué sur eschaffault le ravissement de Dyna, fille de Jacob, par Sichem de la composition de Messieurs Soret curé de Thilloys et du curé dudit Sainct Brice.

Régallement des tailles

272Au moys de novembre audict an 1598, Messieurs d’Amours et Hibart, conseillers de la cour, estoient à Reims à l’exercice de leur commission touchant le régallement des tailles en la province de Champagne et avoient pour greffier en ladite commission Monsieur Jacques Corciniers huissier ordinaire du roy en la chambre des comptes et tresaur à Paris, y demeurant qui est frère germain de ma sœur Peronelle vefve de feu mon frère Martin Pussot et à présent remariée à Jehan Vigne, charpentier audict Bloys ; de laquelle commission plusieurs estymoient que justice et pugnition se feroit de plusieurs malusans par cy devant desdictes tailles en ce pays, d’aulcuns officiers assez congnus du peuple ; joinct que cestoit l’ordonnance audit sieur d’Amours de faire bonne justice des (p. 46) délinquantz ; mais le tout fut doulcement pacifié sans autres exécution, se contenta seullement de sa doulce vacation, se faisant bien payer de ses salaires par les recepveurs des tailles, comme il le méritoit, et receut grans deniers, puis se partit le V^e décembre et s’en alla a Rethel continuer pour ce faict sa dicte commission.

273Le XXV^e novembre 1598 Monsieur de Nevers, sa mère, Madame de Longueville128 et aultres vindrent en ceste ville de Reims et le vendredy suyvant XXVIII^e Monsieur du Mayenne, sa femme, son filz, sa fille et aultres y arrivèrent pour (comme on disoit) traicter de quelques mariages des susnommez enffans129.

Arrest

274Et le XIV^e jour du moys de décembre ledict sieur Ballet eut arrest à son prouffict à l’encontre desditz sieurs archevesque et Bourgeoys, et fut confirmé bailly toute sa vie, sans pouvoir estre opposé par icelluy archevesque ny ses successeurs archevesques advenir, et aultres conditions portées par icelluy arrest ; dont plusieurs habittans en furent joyeux, mais au grand regret de ceulx qui s’estoient bandez contre luy.

275Tout l’hyver fut grandement humide et nébuleux de sorte que durant les feste de Noel estoit aultant de neige qu’il n’en avoit esté pour une foys plus de vingt ans auparavant. Les grains et vins continuoient comme devant.

276Les adventz furent preschez à Nostre Dame par un docteur séculier de Paris nommé Monsieur [ ]. Homme très docte qui interpréta sagement les commandemens de Dieu.

1599

277J’ay quittance de Gérard Jacquetel mon gendre touschant les meubles et mariage de notre fille Margueritte passé par devant Toussainct le gras et Jehan taillet notaires royaulx demeurant à Reims. Le VI^e jour de febvrier 1599 le quel le gras a le regre et oultre y à aultres meubles donné a ladite Margueritte qui ne sont compris en ladite quitance et qui sont contenuz en un billet de papier escript et signé de ma main avec la juste estymation d’iceulx ensemble de ceulx contenuz en ladite quittance.

278Au moys de janvier de l’année 1599, Madame la sœur unicque du roy fut mariée a Monsieur le filz du prince de Lorraine130.

Jeux ; caresme presché

279Aux gras Jours de ladicte année 1599 fut joué sur eschaffault a Sainct Pierre aux nonnains, présent Madame131, et publicquement devant tous ceulx qui vouloient entrer, par les dames religieuses dudit Sainct Pierre, plusieurs jeulx, tragédies et farces ordynaires, revestues, desguisées comme est de coustume à farceurs, baladins, amantz, Gestueuses selon l’ordre des joueurs au grand regret de plusieurs gens de bien qui trouvoient ce faict scandalleu et inaudict pour Dames de telle qualité. Le caresme fut presché à Nostre Dame par un docte homme docteur séculier de Laon nommé Monsieur Tryplot. Tout le temps duquel caresme avec les festes de Pasques fut fort beau, chaulx et sec, tellement que les seigles estoient resqueux dès le commancement de may. Et ne valloit le froment à Pasques que IIII l. et au dessoubs, le seigle L solz, l’avoine XXX solz le septier, somme que tout s’advansoit fort.

Baptisement

280Et le XII^e apvril landemain de Pasques fut baptisé sur les fontz de Sainct Jacques par Monsieur la Lobbe notre curé le filz de Noel Rimière et fut nommé par moy et ma femme, Jehan, et morut le landemain de pentescostes suyvant.

281Il y avoit belle espérance aux biens qui estoient sur terre.

Décès de Gabrielle d’Estrées

282Au moys d’apvril 1599 Madame Gabrielle d’Estrée amye du roy fut déceddée ; de laquelle le roy a eu plusieurs enffans tant filz que filles [en marge : multiplicasti gentem non magnificasti letitiam] ; et sy elle est déceddée le bruict couroit que le roy la voulloit espouser, qui eut causé grand troubles132 ; et sy sa femme, fille du (p. 47) feu roy Hanry de Valloys II^e estoit encor vivante mais séparez de compaignie133.

283En temps de janvier fut publié et l’usage des articles permises par quelques bonnes causes comme on disoit ; mais entendu qu’il touche l’église je m’en tay pour ce que nec memor ero nominum eorum par labia mea, et quant à la permission nec laudo nec vitupero.

Tempestes ; chappes vertes

284Le lundy troisiesme may 1599 notre filz Claude Pussot se partit de Reims pour s’en aller travailler par les champs. Ce jour au soir advint un fouldre et tempeste grand tellement que les eclairz jetoient charbons et estincelles de feu visibles jusque bien bas qui estoit chose espouvantable. Et peu après audict moys fut achepté pour l’église Sainct Jacques les troys chappes savoir chasuble et deux tuniques verdes qui estoient ja supportées et envieillies ; et coutèrent XXXV escuz les troys qui furent mises pour la premiere foys le jour de l’Ascention, XX^e jour de may, à la grande messe.

Monsieur Méresse

285Le mercredy II^e juin 1599 Monsieur Guerin-Meresse, ancien chanoine de Reims, décedda et fut enterré le landemain à huict heures du matin, près le pillier du passage Sainct Michel au cloistre, revestu de sa chasuble et vestement ordinaire comme à célébrer messe, tenant son calice en ses mains, et en tel estat couvert de terre. Lequel estoit fort homme de bien, très dévot et remarquable, haustère en sa vie, un peu légier de l’esprit et consommait une grande partie de son revenu à donner à un chacun des chappelletz, et grand ausmonier. Dieu le veuille remunérer et est estymé de chacun bien heureulx.

286La beaultée bontée et bonne disposition de temps et grande challeur continuoit.

L’abbé de Sainct Denys ; décès de Monsieur Artault

287Et le sabmedy veille de la trinité V^e juin audit an M^e Jehan Penet fut receu abbé de Sainct Denys de Reims laquelle abbaye estoit detenue par un gensdarme gentilhomme filz de Monsieur de Maupas, non marié, nommé Monsieur le barron du Tour qui la détenoit depuis la mort de Monsieur Cauchon, ancien abbé, par donnation du roy au grand regret des gens de bien catholicques. Ce mesme jour morut Monsieur Artault religieux dudit Sainct Denys, docteur en théologie peu auparavant nommé prieur dudit lieu.

Octaves ; grands saulteurs

288Les octaves de la feste Dieu preschez par ledit Monsieur Caillot qui interpréta sagement ce IIII^e verset du psalme CX Memoriam fecit mirabilium et aultres divers versetz. Ou fict entendre tous les mots principaulx signifiant et demonstrant la verité du Sainct Sacrement de l’autel comme les mots de messe, transsustantiation et aultres. Durant ce temps y avoit à Reims plus grande presse à veoir jouer les comédiens, baladins, sauteurs et joueurs de passepasses que ès semons et audition de la parolle de Dieu, au regret que dessus.

Sentence

289Le sabmedy 19^e juin audict an M^e Jehan Bignicourt devant nommé grand prévost durant la ligue fut condampné en l’amande seullement pécunière pour avoir nuictamment, avec une eschelle, monté avec plusieurs des fossez en la ville de Reims. Pourquoy avoit esté troys jours prisonniers qui fut eslargy durant le temps qu’on faisoit son procès et fut sentencié doulcement, considérant qu’il avoit faict quelque bon œuvre pour ladite ville durant ladite ligue. Et au jugement de plusieurs devoit estre plus grandement pugny.

Vignes gellées

290La moisson fut un peu tardée à cause des froigdures humides durant environ douze journées qui commancèrent par une nuée qui advint le jour sainct Jehan Baptiste, au soir de laquelle en plusieurs lieux les vignes furent geslées, et par la tempeste et tonnere (p. 48) plusieurs choses foudroyées comme le clocher d’Isle en Champaigne et aultres lieux. Et sy les vignes quasy partout furent fort escoullées et diminuées tant par lesdittes froigdures que des grandes challeurs du devant, tellement qu’on ne commanca à moissonner les seigles que le lundy V^e juillet, le temps mis en bonne disposition. Et valloit le seigle XL solz, le froment LX solz et l’avoine XXV solz le septier. On tenoit peu de conte des vins nonobstant qu’il fut encore d’assez hault pris mays non sy cher qu’il avoit cousté à ceuls qui les avoient recueilliz.

Confirmation

291La sepmaine commancant le dymanches premier jour du moys d’aoust 1599 mondict sieur du Bec archevesque et duc de Reims abbé de Sainct Remy fict ses visitations par les grosses paroisses de Reims ou administra le sacrement de confirmation. Et fut en l’église Sainct Jacques le vendredy VI^e jour, lequel fut receu au grand portail fort honnorablement par le clerjé et paroissiens de la paroisse, salué d’une belle harangue latyne par Monsieur le curé M^e Gerard de la Lobbe devant mentionné, puis d’une aultre par monsieur Branche lieutenant criminel, l’un des paroissiens dudict Sainct Jacques. Et dillecq conduy au cœur chantant le Veni creator, puis célébré une messe basse par son chappellain et y assistoient aussy le clerjé et quelques paroissiens de la Magdaleyne. Ce faict ledict sieur archevesque confirma tous les enffans et aultres présens jusques à l’heure de unze heures. Ou en fut confirmé environ [ ] de ladite paroisse Sainct Jacques sans comprendre ceulx de la Magdaleyne et de villages.

Les pierres vendues

292Durant ce temps on tiroit les pierres des fossez du chasteau de porte Mars, provenant de la desmolition dudit chasteau et sy on les vendoit à ceulx qui en avoient affaire ; lesquelles ledit sieur archevesque avoit vendu quelque temps auparavnt à Hanry Bazin orphevre. Et sy fut vendue et abbattue les pierres de la grosse tour de Bethenyville laquelle estoit très ancienne comme celle de Fismes et Cormicy. Et fut vendue par icelluy sieur à Madame la vicomtesse d’Acy et mesnée en ses bastyments de Sainct Souplet.

Messieurs de Guyse

293Audit moys d’aoust Monsieur de Guyse estant à Parys et Monsieur de Joynville son frère ledict sieur de Joynville ayant quelque disputte et querelle contre un nommé Monsieur le Grand, favori du roy, nuictamment et en sortant du logis ou estoit couché le roy, comme on disoit, eut ledit le Grand les deux cuisses percées d’une espée et deux de ses hommes tuez, tant par ledit sieur de Joynville que de quelqu’un de sa suytte ; pourquoy s’absentèrent et se partirent de Parys pour quelque temps et par la grande prudence du roy furent accordez sur la fin d’octobre suyvant (p. 49).

Grands vents

294Sur le commancement de septembre par troys ou quatre jours furent de grans ventz impétueulx et orageulx, causans quelque pluye ; mesme le jour de Notre Dame VIII^e septembre à une heure après mydy tomba une heslée de gresle qui gasta plusieurs vignes. Et estoit le commancement de la vendange dès le premier dudict moys d’aultant que la chaleur devant mentionnée continua jusques en ladite vendange, de sorte que les vins furent fort bons et de moyenne quantitée. Et dura ladite vendange jusques au jour sainct Remy plus qu’on n’estymoit, d’aultant que ledit temps de vendange fut fort pluvieulx, signamment sur la fin. Et valloit le vin nouveau commun audit temps XXIIII l. la queue et le plus excellent XLV l.

Navigation

295Au moys de septembre Mil V^c IIII^xxXIX noble homme M^e Thomas Cauchon sieur de Verzenay obtint commission pour faire rendre la rivière de Vesle navigable et portant basteaux suyvant les lettres patentes donnez à Bloys le X^e Jour dudict moys de septembre. Pourquoy de son ordonnance et de Messieurs les commissaires de ceste ville en fut faict visitation de tout ce qu’il estoit besoing faire, de laquelle j’en dressay amplement description et rapport dont ay esté mal payé nonobstant la promesse dudit sieur de Verzenay. Et avoit esté ladite navigation négligée et délaissée dès le commancement de son cours tant pour la nonchalance des marchans de Reims que pour les troubles advenuz en ce royaulme de France devant déclarez.

296En ce temps Monsieur Gaultier fut pourveu de la prébende doctoralle de Nostre Dame de Reims.

Meurtres et volleryes

297Le dymanches III^e octobre 1599 un nommé Noel Adnet boulanger demeurant à l’enseigne du Cinge faisant le coing proche le petit cymetier Sainct Jacques de Reims, se partit dudit Reims pensant s’achemyner à Ay et auttres lieux où il avoit affaire ; fut neuf jours après sans avoir de nouvelles de luy et sa femme, enfans et parens en grand esmoy firent telle recherche après luy que finallement fut trouvé mort nuz aux boys de la routte misérablement, piteusement et estrangement occis par des volleurs inhumains, à coups de leviers et lyé par le col d’une hare de boys a un arbre, le corps estant couché couvert de feuilles ; et ramené le lundy neufviesme jour après et enterré au grand cymetier de Sainct Jaques. Et aux mesmes jours en firent de mesme d’un nommé M^e loys tailleur, de ruptures et pierres aux corps humains et aultres tourmens a plusieurs aultres.

Déceds de mon cousin

298Le III^e jour de novembre 1599 jour de sainct Hubert à une heure apres midy morut mon cousin Jehan Pussot l’aisnel, malade d’une enfleure avec abondance de flegmes, qui tenoit son atthellyer (p. 50) à Concenvreulx pour Monsieur Tyret ; et receut tous les sacremens, décedda en la grâce de Dieu comme chacun a estymé d’aultant qu’il estoit homme de bien, de grand savoir en son art de charpenterye, voir bon architecte et des plus signalez du pays, homme digne d’honneur. Et fut enteré le landemain à mesme heure au devant de l’entrée du revestier de l’église Sainct Jacques. Dieu veuille recepvoir son âme et sa première femme Magdaleyne qui avoit esté déceddée le jour des âmes troys ans auparavant.

Beau temps

299Tout le temps depuis la vendange jusques en fin de novembre fut fort beau et doulx tellement qu’il fust mené de ce pays a Valencienne beaulcoup de vins et de prunneaulx secz, d’aultant qu’il en estoit grande quantitée par deça. Et ne gella ceste année que proche de Noël et fut le temps fort doux et gracieulx au mois de decembre 1599.

Conférence du duc de Savoye

300Le duc de Savoye feit conference avec le roy touchant le different d’entre eulx a Fontaynebleau, puis fut receu honnorablement en la ville de Parys134.

Advents preschez

301Et l’advent préceddent fut presché à Nostre Dame par un augustin homme des plus scavans qui entra oncques en la cherze et est quasy impossible d’en avoir veu de notre temps un plus docte, doué de toutes circonstances necessaires à un très excellent docteur et prédicateur : lequel interpréta très doctement la prédication de Monsieur sainct Jehan Baptiste sur le chapitre III^e de sainct Mathieu. Il fit tous ses sermons sur les troys partyes de la pénitence contenue au sacrement de confession, ensemble du bien qui en revient. Et furent tous sermons admirables plustot angélicques que humains au grand contentement de tout le peuple de Reims et aultres auditeurs. Et lequel docteur estoit natif des frontieres de Loraine, inicié aux estudes par feu Monsieur de Cerny et continué et entretenu par Monsieur de Chaligny son gendre.

1600

Année 1600 ; l’âge de Troyon

302Puis quil a pleu à Dieu de sa grâce nous maintenir, conserver et nous faire parvenir jusques au commancement du nouvel an et nouvelle centayne, an de bissexte, l’an de grace Mil six cens, de quoy luy rendons graces et louanges à son honneur et gloyre, j’ai mention et mémoire d’un homme vivant encore à present, nommé Nicolas Troyon, laboureur de sa vocation, homme de bonne vie aagé de cent dix ans encor clairvoyant, bien mangeant et beuvant et de bonne disposition selon son aage ; et ce qui est admirable et mémorable c’est qu’il tient de troys centeynes d’années que l’on dit de trois aages : car de la centeyne 1400 il avoit comme il dit dix ans et passé toute la centeyne de 1500 et est parvenu par la grâce de Dieu en ceste centeyne 1600. Ce qui ne s’est veu de semblable à Reims sy ce n’est de fort longtemps.

Grandes neiges ; mort de Monsieur Caillot

303Au commancement du moys de febvrier et continuant fut de grandes neiges voire aultant et plus que long temps auparavant en avoit esté, avec une grande et forte gellée. Le dymanche XIII^e febvrier 1600 morut Monsieur Caillot très docte docteur en théologie, curé de Sainct Estienne et de naguères chanoyne de Reims. En ce dict moys de febvrier fut imposée la gabelle sur le sel à Rethel, Maisières et aultres lieux ou il n’avoit oncques esté gabellé (p. 51).

Grand yver ; cheresse de boys ; Faulx monnoyeurs exécutés

304L’yver continuant en longueur fut fort long tellement que les grandes gellées durèrent et continuèrent jusques à Pasques qui estoit le II^e d’apvril 1600, le quel jour, avec les festes suyvantes, ne fit que neiger et de grande abondance, continuant jusques au dymanches de Quasimodo durant la messe d’après la procession duquel naygea aultant et plus que devant : qui fut cause qu’il y eut famine de fagotz en ceste ville de Reims et valloient deux solz la pièce. Ce nonobstant la cheresse du boys on ne laissa de prendre troys faulx monnoyeurs puis deux desquelz bruslez et exécutez au devant du grand cymetier Sainct Jacques en la coulture le mercredy suyvant : qui estoient des environs de Cormissy dont l’un se nommoit monsieur Mouillart.

305Le caresme préceddent fut preschez à Nostre Dame de Reims par un très docte cordelier de Parys, poictevin de nation, nommé Monsieur [ ] un des plus scavans des préceddens.

Petites foires de Coulture

306La foire de coulture fut peu prouffitable et de peu de valleur saulf qu’il y eut grande abondance de lart et clouterye, partye a cause de l’injure et des grandes inconstances du temps. L’yver continuant jusques sur la fin du moys de may et gelloit pour la pluspart des jours de sorte que les biens ne poussoient que de force ; tellement que continuant ainsy furent plusieurs vignes gellées et sy elles avoient esté fort gellées d’yver, somme que on n’a de longtemps veu année aussy hazardeuse que icelle année pour les biens de dessus terre. Mais Dieu conserva les bledz de péril contre tout espoir humain.

Disputte contre Duplessys-Mornay

307En ce temps d’entre Pasques et Pentecostes fut faict conférences entre Monsieur l’évesque d’Evreux très docte catholicque et le seigneur Duplessis Mornay, très docte héréticque, touschant plusieurs hérésies trouvées en un livre faict par ledit Mornay et principallement sur la vérité du Sainct Sacrement de l’autel qu’il avoit dédié au roy. Quoy voyant sa majesté permit la disputte entre eulx et en la présence du roy lesdittes hérésies furent réfuttées et condamnées mesme par les suppotz dudict Mornay héréticque135.

Octaves

308Les octaves de feste Dieu presches par ledit Monsieur Gaultier prouvant la vérité de la présence du corps de notre Seigneur au Sacrement de l’aultel.

Commissaires à Reims pour la levée sur chacun mestier

309En ce temps estoient commmissaires à Reims depputtez par le roy nostre Sire, pour la levée des deniers sur chacun mestier selon la taxe particuliere de chacun artisant, ou les charpentiers, massons, couvreurs et aultres semblables estoient cottisez, et convint payer chacun la somme de trente solz tournoiz saulf qu’ils en diminuoient quelques pauvres pour le supplément des aultres. Ce qui fut recueilliz oureusement sur les mestiers et tenans bouticques assez paisiblement, contre le jugement ordynaire, ou Dieu fit ceste grâce à Reims avec la discrétion de Messieurs de la justice que tout fut assez paisiblement passé ; ce qui estoit pour le payement des Suysses garde dudit sieur roy et inventé long temps auparavant, mesme devant son règne.

Plusieurs nuées

310Au moys d’aoust furent plusieurs nuées, tonneres, inondations et gros greslons qui gastèrent plusieurs pays et mesme sur la rivière d’Aixne, à Normandye et Picardye.

Préparation du mariage du roy

311En ce temps se faisoit préparation pour le mariage du roy avec Madame la duchesse de Flourence136. Mais estoit quelque bruict de guerre et sy se faisoit ceuillette et amas d’armes. Et fut la guerre publiée (p. 52) de par le roy a Parys contre ledict duc de Savoye, au moys d’aoust au dict an ; continuant laquelle fut quelque deffaicte ou le roy perdit plusieurs hommes et y morurent plusieurs chefz, avec des blécez.

312Toute l’année estoit le Grand Jubilé a Reims.

Vendanges et vaisseaulx

313Tout le moys de septembre fut fort pluvyeux et froig, tellement que la vendange fut tardée, mais recueilly bonne quantité de vin et plus qu’on n’estymoit, toutesfoys petit en qualité faute de challeur durant le pressurage jusques a la sainct Martyn et plus, qui feit que les vaisseaux et poinssons neufs valloient XXV et XXVIII solz la pièce ; et sy le temps de vendange eut esté chault et hasté, les vaisseaux eussent valluz XL solz la pièce. Le vin vieil valloit XLV et L l. la queue et le nouveau XVIII et XX l. encor qu’il fut de petite qualité.

Bruict de paix avec le duc de Savoye

314Et le dymanches III^e décembre, veille saincte Barbe fin des vespres, en l’église Nostre Dame fut chanté le Te Deum sans aultres cérémonyes ny son de cloche, à cause que le roy avoit pris la ville de Montmeslian sur ledit prince de Savoye ; et estoit lors bruict de paix137.

Adventz preschez

315Les adventz furent preschez en l’église Nostre Dame par ledit très docte cordellier de Parys qui a interprété sagement et très doctement la prière de Danyel faicte pour la délivrance de son peuple en Babylonne, sur le IX^e chappittre de sa prophésye.

Conjonction de la Royne avec le Roy

316Au moys de décembre audit an 1600 la ditte dame duchesse de Florence, royne de France, fut conjointe avec le roy à Lion, ou fut grand triumphe.

1601

Action de grace pour le mariage du Roy

317Et le vendredy jour de la chandeleur II^e febvrier 1601, fin des vespres, fut chanté les Te Deum à Nostre Dame louant Dieu pour le dit mariage et conjonction, puis faict deux feuz de joye au marché aux chevaulx ou estoient, au devant de la maison de ville, posez troys faulconneaux qui estoient chargez par gens inexpers, tellement que mis le feu au premier fut rompu et mis en pièces sans faire tort à personne, encor qu’il y eut en la place grand nombre d’hommes ; et mal advisé fut mis le feu au second qui fut pareillement rompu et mis en pièces et éclatz tant que plusieurs furent blécez, de quoy aulcuns morurent. Et le dymanche suyvant fut faict procession généralle pour le mesme subjet.

318Le temps estoit fort froigt, suyvy de grandes neiges et forte gellée, telles qu’on ne pouvoit durer sur le pavé.

Grand Jubilé à Orléans

319Sur la fin de ladite année 1600 et commancement de l’année 1601 jusques après Pasques, estoit pareil grand jubilé de pleynière rémission à tous qui visitoient l’église Saincte Croix en la ville d’Orléans, ou en estoit en debvoir de la rebastire d’aultant qu’elle avoit esté ruynée par les huguenotz138. Le caresme fut presché par Monsieur le doyen de Saincte Croix d’Orléans, homme très docte, moral et scavant, dévot au possible et fort populaire nommé Monsieur [ ].

Furt et sacrilège ; dévouverte et punition

320La nuict debvant le 25^e jour de mars, le trésor de l’église Sainct Denys de Reims fut forcé et pris tous les jouyaulx, crois et reliquaires d’or et d’argent d’icelle, mesme emporté le ciboire n’estant que de cuyvre doré. Ce qui fut desrobé par meschans indignes de vivre, mais ne furent congnuz ; et avoient entrez et sortys par une vittre de derrier ledit aultel, ce qui fut desplorable. (p. 53) Et depuis fut trouvé que ce avoit esté faict par seullement deux hommes l’un estant d’un lieu proche la ville de Metz en Lorraine et l’aultre des environs de Brayne ; lesquelz furent descouvers dans laditte ville de Metz, en vendant leur larrecin tout froissé et en pièces, et furent ramenez en ceste ville de Reims et exécutez le sabmedy XVIII^e jour de may suyvant, savoir : menez au devant de l’église Sainct Denys et du palays royal nuz en chemise, chacun la torche ardante en mains, ou firent amande honorable ; dilecq menez au marché au bled ou furent liez chacun en un poteau, leur main dextre couppée et iceulx bruslez tous vifz. Et le landemain dymanches XIX^e may lesditz jouyaulz pour la pluspart représentez tant en pièces que entiers sur le grand aultel, et fin des vespres et procession chanté les Te Deum par les religieux. Le tout en ladite église de St Denys.

Vignes gellées ; désordres à la procession de la feste du Sainct Sacrement

321Ceste année les vignes furent gellées principalement les bas lieux tant d’iver que d’esté ; et sy les bleidz ne peuvent croistre d’aultant que la seicheresse se fict grande et froigde durant tout le moys de mars et jusques sur la fin de may ; pour laquelle seicheresse, froigdure et brouillars les arbres pour la pluspart, signemment les pommiers et fruicts a noyaulx, furent tellement mangez des vers et chenilles qu’ils furent renduz comme secz. Au moys de juin, durant ce temps, y avoit belle apparence aux vignes, mesme partye de celles qui estoient gellées rejettèrent par bas quantité de raisins, et avoient lors le temps à souhait ; mais l’humidité et pluyes qui advindrent depuis la Pentecostes, qui estoit au commencement du dit moys de juin et jusques au jour de feste Dieu, les feit jausnire ; et avoient mauvais temps en leur lyaison ; de sorte que le dit jour de feste Dieu, du matin, le temps estant assez gratieux, la procession arrivant devant Sainct Jacques, commença à pleuvoir et continuant d’abondance, fut contrainct Messieurs du Clerjé entrer en l’église du dit Saint Jacques, oster leurs belles chappes, et après avoir longtemps attendu, continuèrent la procession fort incommodément et tous en désordre pour l’injure du dit temps.

322Et un aultre désordre y advint, pourquoy le peuple se scandalisoit de ce que Messieurs les esleuz de Reims ne suyvaient la torche du roy comme de coustume et se tenoient plus derrier, contrariant contre Monsieur le bailly pour la préhémynence de leur marche, disputant ensemble de leurs qualitées, au travers du commancement du clergé, troublant et interrompant icelluy ; de sorte qu’ils monstroient et donnoient maulvais exemple, faisant murmurer le peuple de veoir ce faict par gens de justice. Mais la continuation de la pluye les feit séparer comme tout estoit en désordre : tellement que petite pluye abbat grand vent.

Descryment populaire des monnoyes ; chenilles et vermynes

323En ce temps y avoit descryment populaire des monnoyes, causant grande incommodité comme devant, et signamment des estrangers et ducatz à deux testes qui avoient pour lors grande course. Et au moys d’aoust suyvant, par plusieurs et diverses nuées les vignes furent fort greslées, battues et despouillées, de sorte que le fruict vint à rien et les sépeaulx rendus en partye secz tant par jaunissure que tourment de gresle, mesme grande affluence de pavillons blancs qui s’eslevaient extraordinairement, qui engendrèrent aultres chenilles et vermines aux biens de la terre, signamment aux choulx. Toutesfoys la moisson fut belle, avec peu de seigle et qui n’estoit fort bon. Somme que l’esté fut inconstant et contraire (p. 54) pour les tonnelliers, lesquels furent comme plusieurs aultres, signamment les vignerons, frustrez de leur attente par la belle monstre qui estoit aux vignes. Mais Dieu juste juge, et à bon droict, donna ceste pugnition préméditée à plusieurs gens de bien et de raison, considérant le grand murmure du peuple dès l’année passée, disant que le vin estoit trop meure et qu’il ne se pouvoit garder, encore qu’il y en avoit eu une très bonne quantitée, mais petite en qualitée, pourquoy le peuple le descrachoit et mesprisoit ; toutesfoys convint par contraincte en tenir conte à cause de la dite pugnition et escoullement des vignes.

Département de la taille

324En ce temps, savoir depuis mye juillet et jusques fin de septembre, à mon regret fus occupé avec aultres au département d’une taille de troys mil deux cens sept escus et plus, ce qui m’apporta grand tourment. Et sy fusmes mal payez, quelque petite taxe qu’on puisse avoir, qui est une misérable commission, onéreuse au possible. Bien heureux qui s’en peut exempter.

Bénédiction de l’abbée de Sainct Denys, grand trouble en ceste abbaye

325Et le Dymanche XXIII^e septembre, grande préparation et assemblée fut faict à Sainct Denys estymant ledit sieur abbé recepvoir la bénédiction abbassialle, mais fut différé d’aultant qu’il n’estoit encor pourveu de ses bulles comme on disoit. Ce qui fut faict le mardy suyvant par ledit sieur archevesque avec les solempnités requises. Cependant avec monsieur le barron du Tour faisoient tenir aulcuns religieulx prisonniers, mesme menez à Parys ou furent long temps qui n’estoient d’advis qu’il fut bénict abbé de Sainct Denys et taschoient à s’opposer. Lesquels religieulx captifs avec aultres fuytifs estoient accusés et poursuyviz d’avoir mal usé et faict désordre des os, tombeau et sépulture de feue la mère du dernier déceddé abbé de Sainct Denys, parente audit barron du Tour, lequel détenoit ladite abbaye pour le temporel par don du roy ; de quoy on tenoit que le dit Pennet abbé n’estoit que soubz ledit sieur barron, pourquoy plusieurs desdits religieulx ne le pouvoient recepvoir et estoient ainsy en trouble, comme de long temps ceste pauvre abbaye estoit en débat et inacordz, qui estoit grand scandalle à Reims : et sy ledit sieur archevesque n’y pouvoient mettre ordre et conivoit avec ledit sieur barron tant pour sa pénurye que pour sa caducité. Dieu y veuille donner ordre par sa grâce.

Nativité du Daulphin

326Le dymanche dernier jour de septembre suyvant 1601 à deux heures après mydy, par un postillon fut apportée nouvelle à Reims que la royne de France estoit accouchée d’un fils, du jeudy préceddent, qui fut nommé Loys. Pourquoy en action de grâce fut le mercredy suyvant, fin des vespres, en l’église de Nostre Dame et en plusieurs paroisses, chanté les Te Deum, et faict les feux de joyes avec les solempnités accoustumées. Et le dymanche suyvant, faict procession générale priant Dieu vouloir le tout conserver à son honneur et gloire, et au soulagement du peuple de France.

Petite vendange

327La vendange fut fort belle mais petite en quantité et bontée, petite, dis-je, aultant ou moins que la devant dite sous troys ans (p. 55). Toutesfoys y avoit bonne quantitée de grains en ce temps, tellement que le froment ne valloit que soixante solz le septier, le seigle XL s., l’orge trente et l’avoyne XX solz le septier. Et sy la queue de vin vieil commun valloit XXX s. et le nouveau à mesme prix, saulf quelques meilleurs de plus grans prix, mesme de XX livres la queue, encor qu’il n’y avoit grande bontée et n’estoient meilleurs que les vieils lesquels on avoit tant mesprisés et descrachés. Et quant à tous aultres vivres estoit assez à bon compte et sy ce pays estoit paisible.

328Les adventz preschés par Monsieur Gaultier qui interpréta le commencement de l’épistre sainct Paul ad Titum et continuant les festes et dymanches d’après pour le parachef.

1602

329L’arrest donné au prouffict de Messieurs de Sainct Symphorian, le V^e janvier 1602, contre André Noblet touschant le droit des namptissemens sur les maisons du franc-jardin de la coulture.

330Le sadmedy XIX^e janvier 1602 furent pendus en la potence du marché au bled sept larrons savoir : quatre hommes et troys femmes, la pluspart de ceste ville de Reims et deux fustigez au col. Tous pour un mesme faict, savoir qu’ils avoient desrobbez en plusieurs lieux et de long temps par diverses foys, sans estre descouvers que jusques à ce temps.

Nouvelle de la mort de Morus ; déceds de Madame de Sainct Pierre aux Nonnains

331Sur les nouvelles apportées de la mort Monsieur Morus fut son âme recommandée aux paroisses le dymanches de Pasques Fleury, dernier de mars 1602, et son service faict le dit jour et landemain, selon la coustume aux chanoynes. Le mardy deuxième jour d’apvril 1602, environ la nuict de la saincte sepmaine, décedda Madame Renée de Lorraine, très ancienne dame et abbesse de Sainct Pierre aux Nonnes de Reims, laquelle fut enterrée avec belles solempnitées au cœur du dit Sainct Pierre, fin des vespres, le mardy suyvant, dernière feste de Pasques. Et avoit resynié son abbaye a sa petite niepce, jeune fille de feu Monsieur de Guyse tué à Blois ; laquelle dame fut receue et installée abbesse, ayant faict sa profession à l’instant par Monsieur Dorbecq, grand prévost de l’église Nostre Dame de Reims. Et le dymanche de Quasimodo fut faict sa bénédiction en l’église du dit Sainct Pierre139.

Caresme presché

332En ce temps le caresme fut presché à Nostre Dame par un très docte et dévot provincial des frères mynymes, nommé Monsieur Daniel, homme très admirable et quasy contrainct de dire (comme me semble) estre des plus excellens de tous les préceddens, sans diminuer l’honneur à eux deubz : qui est un bel heur en ceste ville de Reims pourquoy est grandement redebvable à Dieu et à ceux qui sont causes de tels bienfaictz.

333En ce temps je basty l’appanty de notre maison proche de Dieulumier, qui sert d’estables à chevaulx, et me cousta à bastire la somme de C XC livres, tant en massonnerye, charpenterie que couverture et la peyne et serrurier, X livres.

Bons prix ; vignes gellées

334En ce temps faisoit bon vivre, le bled à juste pris, savoir : le seigle XXXVI solz, le froment L solz, l’avoyne XVIII solz le septier et la queue de vin commun XXXVI livres tant vieil que nouveau. Et sy y avoit belle apparence aux biens de la terre pour le beau et doulx temps qu’il avoit faict depuis Noël et jusques la fin du moys d’apvril, lequel fut pluvieux et humide. Variant, le temps, se tournant à la froigdure, causa que (p. 56) le dernier jour du dit moys, premier et second de may suyvant, les vignes furent pour la pluspart gellées et principallement les bas lieux, les jettons estant seullement de deux à troys poulces de longueur, qui estoient fort raisyneux et de belle apparence. Ceste fortune causa au peuple grande douleur mais, par la grâce de Dieu, les bleds qui estoient prêts à florir furent préservés et comme miraculeusement la pluspart conservés.

Police des pauvres

335En ce temps fut, suyvant la volonté du roy et arrest de la cour de parlement, faict règlement pour la police des pauvres à cause de plusieurs abus commis de faignans et nonchalans, nonobstant la doulceur du règne et bon marché des vivres, non toutesfoys exécuté.

Désordre à la procession

336En la procession de la feste Dieu fut pareil désordre que l’année passée, faict par les gens de justice et de l’eslection et ceulx du bailliage de Reims, eulx entrebattans, comme l’année préceddente, au grand scandal du peuple de Reims ; toutesfoys Monsieur le bailly absent et présent son lieutenant qui estoit monsieur Barroys.

337Les octaves preschées par Monsieur Gauthier.

Ruyne advenue en l’église Sainct Remy

338Le unziesme jour du moys de juin, feste de sainct Barnabé 1602, sur les huict heures du soir, fut fondu et tombé en ruyne une ancienne grosse tour de l’église Sainct Remy de Reims, ensemble le pignon de la croisée d’icelle, du costé du chappitre, proche la chappelle Sainct Christofle. Ou partye de la voulte et un bout du cloistre et dortoir furent desrompuz, ammenant grande perte et dommage.

Les vignes escoullées

339Et depuis environ la mye-juillet fut quatre jours d’extrême challeur, laquelle causa escouller tellement les fruicts des vignes qu’il n’y demoura que bien peu, et estoient les sépeaux pour la pluspart jaulnis par les pluyes, froigdures et ventz du paravant que la dicte challeur les brusla. Et fist de sorte qu’il y avoit fort petite apparence de pouvoir bien peu receuillir.

L’exécution du mareschal de Byron

340Le dernier jour du mois de juillet 1602 fut décapité, au chastel de la Bastille à Parys Messire Charles de Gontaut de Biron140, chevalier de l’ordre du roy, duc de Biron, pair et mareschal de France, gouverneur de Bourgongne, par arrest de la Cour de parlement toutes les chambres assemblées, convaincu du cryme de lèze-majesté pour les conspirations par luy faictes contre la personne du roy, entreprises sur son estat, proditions et traictez avec les ennemis estant mareschal général des armées dudict seigneur ; pour réparation duquel cryme l’a pryvé et prive de tous honneurs, estats et dignités et l’a condampné et condampne à avoir la teste tranchée : qui fut faict sur un eschaffault, encor que l’arrest porte que l’exécution se debvoit faire en la place de Grève. Lequel Biron estoit un des plus favoris du roy et des plus honnorés de toute la France, toutesfoys s’est grandement oublié. Voilà que c’est d’ambition !

Maladie de veruelle

341Durant ce temps faisoit des vents orageulx et extraordinaires. Et sy régnoit grande cource de maladie de veruelle et rouge ruelle, principallement aux petis enffans dont en mourut grand nombre. Et estoit ceste maladye fort cruelle et contagieuse, tellement que les troys enffants de nostre fille Margueritte et de Gérard Jacquetelle en moururent en moins de six sepmaines. Le dernier mort qui estoit le moyen, morut le jour sainct Lambert, en septembre 1602.

Petite vendange comme la précédente

342Ceste année fut fort belle (p. 57) et bonne moisson de grande quantité de tous grains ; mais les vignes ayant eu le temps contraire comme devant, le fruict diminuoit journellement de quantité et y avoit fort peu pendant par les racynes. En sorte que les pauvres tonnelliers demouroient les bras croisés, n’estant guères occuppez de leur mestier.

Règlement des monnoyes

343Et le lundy dernier jour de septembre audit an, fut à Reims publié un nouveau règlement et taulx des monnoyes savoir : l’escu soleil à LXV solz et les aultres pièces d’or réglées selon l’édit ; et les francs, quarts d’escus, testons, pièces de dix sols, le tout monnoye de roy, remontées au prix de LXIV solz l’escu, telement que le franc de roy valloit XXI solz IV deniers, le quart d’escu XVI solz, le teston XV solz VI deniers, la pièce de dix solz X solz VII deniers. Et la monnoye estrangère diminuée suyvant ledit édit, avec deffense de ne compter par escus, ains par livres.

Vollerye

344Peu auparavant fut pillée la maison de Madame de Chémery sur Bar, pourquoy plusieurs furent rouéz et exécutez en effigie, et un aultre longtemps prisonnier, et puis après s’échappa, forçant les prisons, le geolier accusé de négligence ou conyvence.

Les advents preschés

345Les advents furent preschés à Nostre Dame par un docteur séculier de la ville d’Aumal, homme merveilleux en doctrine et des plus signalez de tous les préceddens, lequel interpréta très doctement le commencement de l’épistre Sainct Paul qui se lit en la messe le premier dymanche des Advents ; de laquelle en donna merveilleuses instructions, principallement touschant la laydeur et congnoissance de la misérable qualité du péché, affin de le faire aborer et détester le mal qu’il apporte, et le bien qu’on reçoit de le fuyr ; en sorte que tous ses sermons furent très admirables, pieulx, dévots, catholicques et populaires : lequel docteur se nommoit Monsieur Galmant.

1603

346Le caresme presché par un très docte cordellier, gardien du couvent des Cordelliers de Reims, nommé Monsieur Doréan.

Messire Loys de Lorraine prend possession de l’archevesché141

347Le XXIIII^e jour du moys de mars 1603, veille de l’Annonciation de Notre Dame, fin de la grande messe chantée en l’église Nostre Dame, avant que commencer les vespres, Messire Loys de Lorraine, abbé de Sainct Denys en France, print possession de l’archevesché de Reims avec les solempnités et cérémonies accoustumées, par la personne de Monsieur d’Orbay grand prévost d’icelle église, fondé de procuration du dit sieur de Sainct Denys absent.

348En ce temps, les rentes et argent donnant à intérest par constitution advenir furent remises à VI livres V solz pour cent, selon la volonté du roy.

Vignes gellées

349Le moys de mars et grande partie d’apvril furent fort chaulx et secz, mais le jour sainct Georges et aultres jours suyvans, les vignes des bas et tendres lieux furent gellées ; et n’eut esté la seicheresse continuant avec grande challeur, tout le reste du moys d’apvril, le moys de may tout entier sans pleuvoir, et jusques au mye juillet, de sorte que de long temps (p. 58) n’avoit esté telle seicheresse. Ce pendant les vignes estoient de belle apparence, mais les grains sur terre avoient fort à souffrir et signamment les mars et herbes des prez.

350Les octaves de la feste Dieu preschées par Monsieur Gauthier qui interpréta sagement le Caro Mea.

Bière deffendue

351En ce temps, à Reims, estoit grand nombre de faiseurs de bières et cervoises, qui fut cause de renchérir le boys d’aineau et le grain ; pourquoy le nombre augmentant sans règlement, mesme de plusieurs bons marchands qui s’y entremettoient, et conséquemment l’enchère desdits boys et grains fut à la diligence et discrétion de Messieurs les eschevins dudit Reims, l’usage et fasson de la bière deffendue et publiée à son de trompe, le lundy landemain de la Trinité XXVI^e may. Et sur la rébellion et continuation de ceulx qui s’en entremettoient nonobstant les deffenses, joint le plaintif du peuple sur l’incommodité qu’apportoit ceste faciende, les dits sieurs eschevins se transportèrent partout où y avoit brasserye, le II^e de juin suyvant, et firent rompre les fourneaulx et chauldières, avec particulière deffense à chacun de ceulx qui s’en entremettoient, en peyne de grosse amande, de ne plus contrevenir aux dittes deffenses. Et en feirent aultant Messieurs du Chappitre sur leurs terres à cause des bourgeoys chanoynes.

La Royne à Liesse

352Au commencement du moys de juillet, la royne de France vint à Nostre Dame de Liesse et logea au chasteau de Marchay142.

Vendange

353Le vin n’estoit pas fort recherché, encor qu’il fut d’assez grand prix, et valloit XX, XXII et XXIV escus la queue et le seigle L solz le septier, le froment IV livres X solz, et l’avoyne XXVI solz. A cause de la grande seicheresse fut peu de mars et signament peu d’avoyne, qui fut cause l’enchérir. Mesme le vin plus cher qu’il n’estoit auparavant à cause que la vendange fut tardée au moyen de quelque temps pluvieulx, et que chacun s’estoit efforcé de vendre et distribuer ce qu’il en avoit, à quelque prix que ce fut, tant en gros que en détaille, pour l’apparence d’en avoir deux poinssons de nouveau pour le prix d’un vieil ; pourquoy chacun s’efforçoit d’en faire vuydange : pour ce faict requis plus que devant, à cause du tardement de la vendange qui fut achevé environ la sainct Remy et fut recueilly beaulcoup plus de vin qu’on n’estymoit. Ceste année je recueilly L poinssons de vin et plus. Et furent, sur la fin, vendus les poinssons neufs XXV, XXVI, XXVII et XXVIII solz la pièce. Et à Craosne, Beaurieulx et ès environs furent vendus XL solz. Et sy les vins furent fort bons pour les premiers ceuillis, et les aultres moindres, pour les pluyes du mittant de la vendange. Le vin nouveau de la Montaigne valloit en octobre XXX livres la queue et celluy de la rivière de Marne XLV livres. Depuis la vendange jusques à la sainct Luc, fut grande challeur, beau et sec temps.

Gensdarmes à Cormicy ; commissaires à Reims

354Durant ladite vendange, le roy renforçeant les garnisons des villes frontières, une compaignie de gens de cheval passant voulu entrer dans Cormicy, et estant opposé par les habittans y eut un d’iceulx gensdarme de tué, qui fut cause grans fraiz. Pourquoy peu après en logèrent grand nombre avec permission, qui y fesoient grans desgats, au grand regret d’iceulx habittans. En ce temps estoient à Reims commissaires pour la réformation et pugnition de plusieurs généraulx, trésoriers, recepveurs et officiers qui avoient mal usé des deniers, des tailles et semblables ; mais furent pugniz par la bource seullement, et plus doulcement traictées qu’on n’estymoit, comme et en sorte quasy qu’on avoit usé devant Monsieur d’Amours.

Beau temps

355Le beau et secq temps reprenant cour continua jusques au XXIII^e novembre, tellement que les bleds sur terre estoient sy beaux et plus fortz que de (p. 59) long temps n’avoist été veu ; en sorte que plusieurs, à la sainct Martin, estoient nouez, commenceans à monter. Ce pendant, à cause du beau temps, se menoit beaulcoup de vin en Pays-Bas, qui fut cause le rendre marchant et de requeste.

356Et le dymanche IX^e novembre 1603 fut faict aultre procession généralle à Reims, oultre celle du dymanche préceddent qui est ordynaire, en action de grâce de la restauration de la sancté du roy.

Commissaires

357En ce temps estoit à Reims un commissaire pour la cueillette et levée des taxes pour vendre vin en gros : où plusieurs furent contrainctz de payer, signament les plus petitz, desquels fus du nombre, encor que ne fusse marchand ny trafficquant. Mais les gros s’en lavèrent aysément et en passèrent doulcement, qui estoit chose desplorable. Et sy avoit aultre commissaire qui estoit le dit sieur Hébert, devant mentionné, pour la répréhension et pugnition des faulx saulnyers et les malusans du sel, où plusieurs gens en furent en peyne.

Advents

358Les advents furent preschez à Nostre Dame par le très docte et dévot Monsieur le doyen d’Orléans cy dessus, lequel interpréta très doctement avec merveilleuses instructions le cantique de la vierge Marye qui est Magnificat.

1604

Caresmes et octaves

359Et le caresme suyvant 1604, fut presché par Monsieur Charon, prieur des frères prescheurs de Reims, homme très docte, enffant dudit Reims. Les jours des octaves de feste Dieu, par frère Loys Frizon, verset du mynymes, qui interpréta très doctement le psalme CX Memoriam fecit mirabilium suorum, etc., où il apporta très doctes, dévotes et pieuses instructions populaires.

Gros livre à Sainct Jacques

360Le dymanches des octaves de feste Dieu fut achevé et mis sur le retrain de l’église Sainct Jacques, le gros livre appelé Antiphonie, faict par frère Nicol de Faulx, religieulx des Augustins de Reims, qui avoit esté peu auparavant revu et corrigé par M^e Symon Ogier, les deux clercz, Florentin Mancord et moy : et peult avoir cousté, en tous fraiz, la somme de CCC l. t.

361Ceste année y avoit belle apparence aux biens de la terre, et signamment grande monstre aux vignes, pour quoy le vin estoit à déclin, et à cause que les passages du Pays Bas estoient fermées.

Arbalestriers proveuz d’un capitayne, avec pryvilége et franchise avec leur roy

362Le dymanche XI^e juillet 1604, le capitayne des arbalestriers de Reims fut receu et instalé, pourveu, suyvant le privilège par eulx obtenu du roy, qui estoit Maillefer, marchant dudit Reims ; lequel jour firent grande feste et récréation, principallement la réception faicte fut par eulx en leur jardin durant les vespres, tirez grand nombre de petaulx, et pommeaux d’espez et arquebuses. Pour lequel privilège, à cause de quelque poinct mentionné en icelluy fut, contention entre eulx et le corps des arquebuziers dudit Reims, où y eut arrest premier contre les dits arquebuziers, lesquels estoient appellans au conseil pryvé. Et peu auparavant, y avoit eu joyaulx d’argent de grand prix tirez et mis en jeu par tous les arbalestriers des villes de ceste contrée, où ceulx de Soissons et principallement ceulx de Reims emportèrent l’honneur143 (p. 60).

Le pupistre de Sainct Denys de Reims

363Le mardy XXVII^e juillet 1604 fut assize la première pierre de la fondation ou fondement du pupistre de Sainct Denys de Reims, qui se construisoit de massonnerye par Jehan et Nicolas Le Gendre, et Jehan Doriot, maistres massons et tailleurs de pierres, aux fraiz et despens de Monsieur Anthoine Fournier, religieulx du dict Sainct Denys, docteur en théologie, princier de Metz144. Et à la solicitude de M^e Anthoine Beauchesne, chanoyne et soubschantre de l’église de Reims et aulmosnier de Madame de Sainct Pierre du dict Reims ; et laquelle première fut aussy assize par le dit Beauchesne, pour le dit sieur Fournier, avec les solempnitées requises et ordynaires145.

364En ce temps fut belle et bonne moisson pour les seigles, toutefoys courroit des grans vents sans orrages.

Poinct de justice

365Le II^e jour de septembre 1604, à cause de quelque petite motion d’aulcuns du menu peuple de Reims contre les officiers dudit Hebert, commissaire sur les faulx saulnyers devant mentionné, fut les effigies de quatre d’iceulx simples habittans peinct en un tableau pendu en une potence, devant le Grenyer à sel, proche le marc, représentant comme ils estoient condampnez par arrest à faire amende honnorable, tous à genoulx, testes nues et la torche aux poings, eux absens, fuytifz, et encore condampnez à cens livres d’amande : et un d’iceulx nommé Emery Cappy, sergent du bailliage de Reims, nud en chemyse, la corde au col, banny à toujours et son bien confisqué ; et les aultres bannyz pour quelque temps, et deux aultres délincquans pour ce faict condampnez à estre présens à la dite amande honnorable. Le tout exécuté par la justice et gens de robe courte d’Esparnay. Et, pendant lequel tableau, la dite potence fut tombée avec leur exécuteur, et icelle potence rompue et le dit exécuteur blessé. Toutesfoys ne laissa de se relever et pendre ledit tableau au poteau, seullement qui y demoura quelque peu de temps.

Grosse vendange

366Durant ce temps faisoit grande chaleur, de sorte que plusieurs raisins et verjus des vignes furent cuytz et seichez. Et les grandes seicheresses faisoient diminuer le fruict des vignes, en sorte qu’on estymoit n’avoir beaulcoup de vin, nonobstant la grande monstre et belle attante, de sorte que au commancement de la vendange ou peu devant les poinssons neufz ne valloient que environ XXV solz la pièce. Sur lequel commancement vint le temps pluvyeulx qui fut cause de renfler et augmenter le fruict et rendre la dite vendange fascheuse et affluente. De manière que chacun fut abusé pour n’estre proveu suffisamment de vaisseaulx, d’aultant qu’il fut recueilly partout encor aultant de vin qu’on n’estymoit, de fasson que les poinssons neufz et vuydanges furent vendu LXV et LXX solz la pièces, qui fut cause de mettre beaulcoup de personnes en peyne (p. 61). Et falloit emplyre les gros vaisseaulx, mesme grand nombre de cuves furent enfoncées et emplyes de vin, faulte de vaisseaulx, encor qu’il n’en fut jamais aultant faict et fassonné à Reims pour une année, comme en fut faict ceste année. Et sy la vendange fut fort longue et dura jusques à la sainct Martin, et commancée dès la mye septembre. Et estoit-on contrainct de ne haster de vendanger à cause du deffault des cuves, places et attente des poinssons, lesquels on ne vit jamais aultant ravys et recherchez. Moy mesme fus contrainct, pour le d’abondant, achepter XXIV poinssons LXXV l. t., sans ce qu’il me convint emplyre encor seize gros tonneaux, et recueilly environ cent dix poinssons de vin ceste année. Et sy j’ay payé à Roussellet pour l’entrée des vendanges, à raison de XIII s. et IV d. pour queue de vendange, le XII^e mars 1605. Le boys à petitz poinssons fut vendu VII livres le cent et plus ; le millier de cerceaux XXXII l., et le cent d’oziers XIV l.. Laquelle grande cheresse duquel boys, oultre l’affluence de la ditte vendange, venoit principallement que tout ledit boys estoit à un seul marchant de Saincte-Mannehoul nommé Bastian Baillet, qui le tenoit en serre, le vendant à son plaisir, le tout passant ainsy par ses mains, sans y pouvoir mettre ordre ny aultre règlement. Grande partye du vin ne fut pas fort bon, à cause des pluyes durant le mittant de la dite vendange. La fin toutes foys en fut fort belle. Le vin nouveau commun valloit XV l. la queue et le bon d’Ay valloit XXV à XXX l. et en augmentant XL et XLV l.

367Les adventz furent preschez à Nostre Dame par le devant nommé M^e Ancelin qui interpréta doctement le psalme Eructavit cor meum verbum bonum.

1605

La mort de Monsieur de Reims

368Le lundy X^e janvier 1605, le dit sieur Philippes du Becq, archevesque et duc de Reims décedda. Pour lequel le landemain matin fut partout sonné la bémort et une laisse accoustumé, et le soir encore une laisse seullement de la grosse cloche de Nostre Dame. Et morut nécessiteu et pauvre des biens de ce monde, n’ayant que bien peu pour luy subvenir, et quasy délaissé faulte de moyens : puis mis en un tombeau ou bier de plomb et posé en la chappelle du palays jusques au dymanche X^e juillet qu’il fut tiré de la dite chappelle, avec un très honorable convoye du long du cloistre, et faict le tour à revert porté au coeur de l’église de Nostre Dame, où fut posé jusques au landemain après la messe blanche en grande solempnitée. Fut entéré au costier de l’hostel Monsieur le cardinal de Lorrayne et à main gauche146. Tous les mestiers y furent appellez avec leurs torches et faict plus de solempnitées que à ceulx du paravant.

Le mariage de Claude Pussot

369Le lundy VIIe de febvrier 1605, jour de feste saincte Heleyne, nostre filz Claude Pussot fut espousé à Edelyne Caré fille du doyen Caré ; le mariage célébré à Sainct Pierre le Vieil, et le festin faict au logis dudit doyen Caré, où y eut belle et honnorable compaignie.

Caresme ; sainct cresme

370Le caresme fut presché par un très docte petit cordellier de [ ] nommé Monsieur Laurent, lequel estoit très eslocquent, populaire et de bonne et saincte instruction. Le sainct Cresme fut faict en l’église Nostre Dame le jeudy absoult par Monsieur l’évesque de Laon147, ce qui de longtemps n’avoit esté faict à Reims.

Vignes gellées

371Tout le temps d’yver dernier passé fut fort doulx sans aulcunes gellées, sy non que quelque petite gellée blenche peu après la vendange ; de sorte que de long temps n’a esté veu hyvert aultant doulx, rendu admirable (p. 62). Mais le jour de Pasques et festes suyvantes advint des blanches gellées et fortes plus qu’il n’en avoit faict au dit hyvert, qui gastèrent les vignes, lesquelles n’estoient toutesfoys guère advancées. Et signamment furent gellées celles de la rivière de Marne. Mesme les boutons qui n’estoient encor hors le cotton furent gellées comme en l’année 1601. Le temps continuant en froigdure aulcunement humide jusques au dymanches de Misericordia que le temps se remit en doulceur.

L’advènement et déceds du sainct Père

372Le dymanches de Quasimodo, fin de la procession généralle, fut en l’église Nostre Dame chanté les Te Deum devant que commancer la messe d’icelle procession, pour la réception du sainct Père, nommé Léon XI ; et le dymanches de Misericordia, suyvant le mandement du roy, fin des vespres, fut faict procession par le clergé de Nostre Dame autour du cloistre, puis de rechef chanté les Te Deum et pareillement en toutes les paroisses de Reims. Le tout pour le dit advènement et réception. Puis le feu de joye faict au devant de l’hostel de ville, empris par Monsieur le lieutenant des habittans qui estoit Monsieur Regnault Goujon148, président à Reims, et à l’instant fut tiré plusieurs artilleryes et pétaulx. Du quel feu quelques estincelles prenant au mittant du poteau de la grande potence de boys, qui estoit une estrapade assez arière du dit feu, laquelle estoit fort haulte et de long temps dressée et plantée au dit lieu, le feu montant, fut le sommet bruslé et tombé par terre à cause de la caducitée et seicheresse du boys. Le tout fut faict sans savoir que le dit sainct Père estoit jà déceddé, et tient on qu’il n’a régné que XXIV jours pape149.

Le Jardin de Clefmarest

373Et le mercredy XV^e jour de juin 1605, à Reims, fut faict un grand désordre et insolence par plusieurs habittans du dit Reims, tant en faict, gestes que propos deshonnestes et de mauvaise instruction, signamment pour la jeunesse. Au faict de l’exercice de Clefmartez tirant leur oiseau ce dit jour, et revenant en triomphe scandaleuse et au grand regret de plusieurs gens de bien et d’honneur, déplorans ce faict et mauvaise réjoyssance mesme extraordinaire. Pourquoy Messieurs du clerjé furent incitez à faire admonester le peuple par Messieurs les curez des paroisses, le dymanches suyvant, d’aborer et détester ce faict pour déréglé, exécrable : et commis non seullement par jeunes hommes, mais encor par anciens et de qualité : lesquelz en receurent peu d’honneur et furent eux-mesmes grandement scandalizés ; joinct que ce fut la veille des octaves de la feste Dieu. Dont en fut faict instance et information de l’ordonnance de Monsieur le bailly de Reims, pro forma, et sans aultre poursuyte.

Octaves

374Les octaves preschés par Monsieur Gilles Gauthier, cathédral de Reims, qui feit fort beaux sermons sur le Sainct Sacrement de l’aultel.

Commission pour le sel

375Et aux moys d’aoust et septembre, ledit sieur Hebert, commissaire, tenant son siège à Chaalons, y furent menez de ceste ville plusieurs habittans qui furent prisonniers et eurent peyne, touschant la recherche du mauvais usage du sel.

376Tout le temps de l’esté fut fort sec. La challeur et temps sec continuant mesme durant le dit moys de septembre, tant jours que nuitz, et extraordinairement chault (p. 63).

Maladye

377Quelque maladye de corance eut cource à Reims, voir contagieuse ; laquelle augmentant, morut grand nombre de gens en ceste ville de Reims ; de laquelle déceddé le vendredy XXIII^e de septembre la femme troisiesme de mon frère Jehan Pinchart, nommée Jehanne Noblet, malade seullement cinq jours, délaissant neuf petitz enffans, sans comprendre les troys de sa seconde femme ; et plusieurs aultres notables personnes qui en morurent.

Jubilé célèbre

378Et le dymanches suyvant, fut audict Reims célébré le grand jubilé octroyé par le sainct Père Paul V^e, priant Dieu pour sa prospérité, du roy, la royne, le daulphin et tous princes crestiens et bon conseil, pour le royaulme de Hongrys oppressé du Turq150, et pour prier Dieu d’appaiser ladite course de maladie151.

Vendange hastyve

379La vendange fut hastyve pour le commancement, spécialement à la rivière de Marne, où les vins furent fort corosifs, d’aultant qu’ils furent recueillys sans pluye. Les bons vins d’Ay valloient, à la vendange, LX l. et plus. Et fut recueilly ceste année environ un tiers de l’année passée, touschant pour le vin, qui fut fort bon. La moisson fut médiocrement bonne, et fut recueilly beaulcoup de grain, tellement que le seigle ne valloit que XXV s. le septier et l’avoine XX s.

Bastyment nouvel

380Es moys d’aoust, septembre et octobre du dit an, je basty et construyct l’appanty de nostre maison, size en la rue des Poissonniers, avec la clausure attenant, le tout me coustant, avec les aultres réparations d’icelle maison environ CL l.

Grande procession

381La dite maladye continuant fort cruelement par toute la ville de Reims, pays et villages cyrconvoisins ; la challeur et le beau temps continuant ; pour quoy le dymanche XVI^e octobre 1605, fut faict procession fin des vespres chantez incontinent après le sermon ordynaire, toutes les paroisses seullement assemblées faisant le tour et circuyt de toute la ville dessus les rempars, où fut porté par quatre religieulx de Sainct Remy, deulx alternatifs, le suayre du dit sainct Remy ; tousjours la chaleur continuant et aussy la dite maladye augmentant, tellement que à la Toussaintz faisoit aussy chault que au temps d’esté.

Mespris de vin

382Le vin estoit à mespris à cause de la grande affluence et quantité, tant vieux de deux ans, vieux d’un an, avec les nouveaux ; et ceulx qui en estoient chargez estoient en esmoy, à cause des grans fraiz qu’il convenoit soustenir à les entretenir, et sans en avoir aultre vuydange.

Navigation

383Au moys de novembre 1605, fut faicte nouvelle visitation pour la restauration de la navigation sur la rivière de Veesle, de l’ordonnance de Monsieur de Verzenay, commissaire pour ce faict de par le roy, à la diligence de Monsieur de Sillery et aultres, où estoient plusieurs gens, tant de ceste ville que d’ailleurs, et mesme pour adviser à la faire porter jusques au dit Sillery : de laquelle m’excusay et n’y voulu occuper, tant pour mon indisposition que pour le bon traictement (p. 64).

1606

La venue de Madame la duchesse de Manthou

384Le dymanche XVI^e jour d’un mois de juillet 1606, Madame la duchesse de Manthou, soeur de la royne152, entra à Reims par la porte de Dieulumyer et fut receu honorablement comme le roy et la royne, saulf le genoul en terre ; mesme luy furent les clefz de la ville présentées. Laquelle avoit grand train et gros bagages, et son fils avec elle portant la croix de commanderye, conduitte et menée en l’église Nostre Dame par Monsieur de Nevers, où elle fict ses prières, puis logé au palays. Touttes les cérémonyes assez pressées, d’aultant qu’on fut surpris à cause que on ne l’attendoit que jusques au landemain ; toutesfoys y avoit belle compaignye, tant de gens de cheval que harquebuziers à piedz, et veu l’adventure bien et honorablement dressée. Et en sortit le mardy suyvant à deux heures après mydy pour aller trouver le roy, comme on disoit.

Excommunication contre les Vénisiens

385Et fut à Rome fulminé excommunication contre les Venisiens, donné du sainct Père, le XII^e apvril 1606153.

386Tout le temps d’esté fut fort inconstant, partye froig et humide, et spéciallement le commancement, et partye de la moisson, qui fut cause renchérir le bled et le vin, mesme les vins vieulx qui avoient esté décrachez furent requis et marchans.

Cheresse des eschalatz

387Les eschalatz pour ficher les vignes demourèrent sans fichée, où y eut grande perte : le tout à cause qu’on ne pouvoit chérier dans les boys pour les grandes pluyes souvent recommancées.

Grand Jubilé ; les Jésuystz à Reims

388Et le dymanches III^e septembre 1606, fut à Reims célébré le grand jubilé donné du sainct Père Paul V^e, pour plusieurs causes, signamment pour quelque affliction de l’Eglise. Et peu auparavant les Jésuystes furent installez à Reims premièrement logez au collège des Escrevez154.

389Audit temps, Monsieur le daulphin fut baptisé, le XIV^e septembre 1606155. Et la ville de Paris estoit grandement affligée de la maladye contagieuse, de sorte que plusieurs s’en retiroient.

Vendange tardyve et belle

390La vendange fut tardyve, et jusques à la Toussainct et depuis y avoit encor à pressurer. Durant laquelle fut troys ou quatre matynées fort froigdes, où fut grande gellée qui fut cause de seicher les vignes ; et sy les bledz qui estoient sur terre en furent grandement offencez, et en plusieurs pays du tout perduz : cause pour quoy le grain fut enchéry. Et valloit le septier seigle à la sainct Martin L sols ; le froment IV l., l’orge XXXVI s. et l’avoyne XX s. Le vin fut de moyenne qualité et plus de moindre que de bon, et sy fut de moyenne quantité. Ce nonobstant la tardyvité de la dite vendange, chose admirable, fut la plus belle que de long temps n’a esté veu ; de sorte qu’il ne tomba durant icelle une seulle goutte d’eau, tellement que la pouldre volloit presque partout jusques après la ditte Toussainct.

Les biens de Monseigneur l’archevesque donnez à ferme

391En ce temps, suyvant la volontée du roy, tous les biens, revenus, seigneuryes, offices, deppendans et appartenans à Monsieur l’archevesque de Reims, de Sainct Denys en France et aultres, furent affermez et délivrez à ferme et louage, à la chandelle esteincte, aux plus offrans ; ceulx de ce pays délivrez au palays de Reims, qui furent enchérys et montèrent encor une foys aultant et plus qu’ils n’estoient affermez auparavant, affin d’avoir moyen de s’acquitter, comme on disoit (p. 65).

Le déceds de Monsieur Ballet

392Et le lundy XXVII^e novembre 1606, M^e Noël Ballet, bailly de Reims, fut entéré en l’église Sainct Pierre le Vieil, où y avoit honorable convoye ; par ce moyen fut quitte et exempt des grans deniers qu’il luy eut convenu donner pour la continuation de son estat, nonobstant la raison et le droit contraire. Et le jeudy VII^e décembre 1606, le dit M^e René Bourgeoys se feit recepvoir bailly de l’archevesché de Reims, en l’auditoire de la Pierre aux Changes. Et y eut quelque contention entre luy, le lieutenant et le procureur d’office : et le jeudy XV mars suyvant, fut du tout joyssant à force d’argent ; duquel M^e Barroys, son lieutenant, receut le serment.

Adventz

393Les advents furent preschez par un très docte jésuyst, nommé le père Nivellet, qui fit tous ses sermons du dernier jugement, pleins d’admirables et sainctes doctrynes, au grand contentement du peuple qui tous les jours y assistoit en grand nombre.

Espousailles non accoustumées

394Et le jour de feste sainct Jehan l’évangéliste, landemain du landemain du Noël, durant les matynes, fut espousé, en l’église Sainct Jacques de Reims, par Monsieur le curé, Anne, fille de M^e Regnault Robillart, où y fut murmur à cause du jour. Ce nonobstant fut faict, de l’ordonnance et permission de Monsieur le grand vicaire, fondé sur quelque raison tacitte et non connue.

1607

Caresme

395Le Caresme fut presché en l’église de Nostre Dame par un très docte homme jésuyst, nommé le père Machault, très élocquent, doué de diverses langues, au contentement du peuple, et estymé quasy le meilleur de tous les préceddens ; qui fict son dernier sermon le jour de Quasimodo.

Nativité de Monsieur le duc d’Orléans

396Le quel jour, fin des vespres, fut faict procession, et les Te Deum chanté en la dite église et en toutes aultres églises de Reims, louant Dieu de ce que la royne estoit accouchée d’un filz, IV^e enffant, compris deulx filles entre icelluy et le daulphin156 ; où fut faict les feuz de joye et réjoyssance ordinaire.

Vignes gellées

397Et pour les grandes et extremmes challeurs de quasy tout le moys de mars et grande partye d’apvril, les vignes et les fruictz des arbres s’avansans, vint une gellée le jour du vendredy sainct et aultres jours suyvans ; cause que les vignes furent gellées pour moictié, les bourgeons estans encor petitz, et sy avoit faict aultres gelées et neiges sur la fin de mars qui les avoit commancé à geller.

Chapittre des Augustins

398Environ la mye may 1607, fut tenu le chapittre provincial des Augustins, célébré au couvent des Augustins de ceste ville de Reims, qui firent plusieurs belles processions et doctes prédications : et signamment le dymanche XIII^e may, firent du matin leur procession en l’église Nostre Dame, portant le Corpus Domini, avec bon ordre, les rues tapissées, et toute solempnitée requise ; mesme y fut chantée honorablement la grande messe du Sainct Sacrement avec la musique comme les bons jours.

Octaves

399Les octaves de feste Dieu preschées par un très docte jésuyst, aultant et plus excellent que les aultres, nommé le père Gonthier, qui prouva très excellement la réelle présence du corps de Nostre Seigneur au Sainct Sacrement de l’aultel, sur ce subjet : Desiderio desideravi.

Joyaulx des chevalliers harquebuziers de Reims ; Enffant tué

400Sur la fin du mois de juin 1607, les harquebuziers de ceste ville de Reims présentèrent et myrent en advent un pris de plusieurs joyaulx de vaisselles d’argent, le tout montant environ à huict cens escuz, où furent conviés les chevalliers harquebuziers de toutes les villes des environs de Reims, à la distance de Parys et plus ; la plus grande partye desquels arrivèrent le sabmedy veille de feste sainct Jehan-Baptiste, receuz très gaillardement par ceulx de Reims. Le landemain, qui estoit ledit jour de sainct Jehan, tous, avec ceulx dudit Reims, en bon ordre et équipage, du matin, allèrent à la grande messe en l’église Nostre Dame, célébrée fort solempnellement. Puis après mydy feirent monstre, portant tous lesdits joyaulx en quatre estandars. Et le lundy suyvant, fut commancé à tirer la première allée des six, ouverte par Monsieur le lieutenant des habittans du dit Reims, qui estoit pour ceste année noble homme Eustache de la Salle. Le jardin bien paré et accommodé, et les loges pour les forrains faictes et dressées en deux rangs au devant du jeu de paulme de la Fleur de Lys, tirant jusques près dudit jardin. Mais l’après mydy ce dit jour, y eut un jeune garçon de tué, le fils d’un nommé Collecquet, qui estoit sur le bord du fossé, à main gauche (p. 66), assé proche de la butte ; d’un coup inoppynément tiré par un jeune homme, porte-enseigne de la compaignie de ceulx de Creil, donnant contre le joyer de l’auvalle, bricollant la balle donna en la teste du dit garçon, qui tomba rède mort dans le dit fossé, après que plusieurs foys on s’estoit mis en debvoir de le chasser avec plusieurs aultres de ses compaignons. Ce qui fut cause d’aulcunement troubler le jeu, et principalement contrister ceulx de Reims, lesquels avoient jà dextrement tiré et gaigné le pris de la première allée, saulf le coup cy après mentionné. Et iceluy jeu continuant et achevant la dite première allée le mardy du matin, fut le principal joyau, qui estoit un plat d’argent vallant environ CXCII l. t., gaigné par un chevalier de la compaignie de ceulx de Sezanne en Brye, nommé Bouillon, d’un coup fort admirable : c’est que la balle de son harquebuze toucha tellement la petite broche du mittant du noir, que la dite broche demoura au mittant du trou faict de la dite balle, le dit trou plein de la bourre prouvant dudit coup, laquelle environnoit la ditte broche. Le coup estant fort débattu, doubtant plusieurs ceste dextérité surpasser humaine invention, fut par les depputez qui estoient en grand nombre, avec ledit sieur lieutenant jugé après toutes les considérations requises, que ledit principal joyau, avec la première planche, seroient délivrez ; et de faict furent donnez, fin de la dite allée, à celluy qui avoit faict ce beau coup. De quoy la ditte compaignie feit grande réjoyssance. Et furent heureulx en toutes préhémynences, savoir : les premiers arrivez à Reims, eurent la première loge, les premiers en rang et marcher après ceulx de Reims, les premiers à tirer, et gaignant le premier et plus signalé joyau. La planche de la deuxiesme allée avec plusieurs aultres bons joyaulx gaigné par ceulx de Chaalons ; la planche de la troisième allée, avec les joyaulx requis, gaigné par ceulx d’Esparnay ; la planche de la quatrième allée et cetera, gaigné par ceulx de Chasteau Thierry ; la planche de la cinquiesme allée et les joyaulx requis gaigné par ceulx de Compyenne ; et la planche de la sixième et dernière allée gaignée par mon fillieu, Jehan Forzy, de la compaignie de ceulx du dit Reims. Et estoient en tout troys cent quatre chevalliers harquebuziers tirans aux dits joyaulx, tant de ceste ville que d’ailleurs, qui menèrent la pluspart grande joye et firent grande récréation. Mais y en eut des mal contans qui ne gaignèrent rien, estant condampnez aux despens. Et s’en retournèrent plusieurs bandes l’enseigne replyée sur l’espaul et le tambour au dos et sans bruict, non sy joyeulx comme à l’arrivée. Chacun ne peult avoir le meilleur ; la perte de l’un est le prouffit de l’aultre.

Joyau de Monsieur de Joynville

401Et le sabmedy après mydy, XIV^e juillet suyvant, Monsieur le prince de Joynville estant à Reims, donna au jardin des harquebusiers du dit Reims, quatre couppes d’argent, et sy donna le joyau d’une espée avec le pongnart vallant environ VI escus, qui fut tiré à l’instant par luy et une grande partye des ditz harquebuziers, et gaigné d’un beau coup proche la broche par Nicolas Le Liepvre, chartyer, où y eut triumphe et rejoyssance.

Bastyment nouvel

402Es moys de juillet, aoust et septembre 1607, j’ay rebasty de neuf le corps de logis du derrier de la maison de la Forest, ce qui m’a cousté à rebastir du moins D l. t.

Petite vendange

403Les moys de may et de juin furent froigs et humides, causant grand escoullement des vignes, et puis la grande seicheresse des moys de juillet, aoust et septembre la feit encore diminuer en sorte que de la vie des hommes n’a esté une sy petite vendange et sy peu de raisins aux vignes ; dont on fut pugny d’avoir ainsy par cy devant décraché les préceddens et la grande affluence passée. Les vins de ceste année furent fort bons. Le vin nouveau valloit de XXIV à XL escus la queue, et le vieil XX escus.

Avents ; mariages et enfantements admirables

404Les advents furent preschés par Monsieur Parent, cathédral (p. 67). En ce temps, deux filles de deux de mes amys, l’une fut espousée le dymanche et l’aultre le lundy landemain, aux nopces desquelles j’estoys ; advint que la première fut accouchée d’un enffant le dymanche justement neuf moys après, et la seconde fut aussy accouchée d’un enffant le lundy landemain, justement neuf moys après leurs nopces : ce qui ne s’est veu et ne pourroit veoir de longtemps.

1608

Mariage

405Le Mardy XV^e jour de janvier 1608, nostre filz Jehan Pussot fut espousé à Marye le Vasseur, fille de Pierre le Vasseur ; les espousailles faictes en l’eglise Sainct Jacques par M^e Thuillier, curé de la Magdaleine, et les festins faictz en la maison du Chat-Huant ; les fraiz de bouche des susquelz coutèrent DCC livres.

Grandes neiges et gellées d’yver

406Et au commancement de janvier 1608, fut des grandes neiges et aultant que la vie des hommes on n’a veu, mesme de l’année appellée des grandes neiges, passé XLIII à XLIV ans : qui fut cause de geller les vins qui estoient aux celliers et le boys des vignes aux champs, et plusieurs arbres morurent. Laquelle grande gellée avoit commancé la veille sainct Thomas, et dura avec les dittes grandes neiges jusques environ mye febvrier suyvant, durant laquelle le vin gelloit sur les tables, quelques proches du feu qu’elles fussent. En sorte qu’il convint coupper la pluspart des sépeaulx des jardins, ensemble des haultes vignes, et lyer à rez de tere ; les gluyes pour lier les vignes valloient VIII solz la pièce. Depuis y eut grande seicheresse jusques au moys de may ; de sorte que les petitz bledz sur terre eurent fort à souffrir et plusieurs devindrent à rien ; pourquoy le bled renchérit jusques à IV l. le septier. Et le premier jour de may au soir, après avoir esté huict jours auparavant forme de arnul, faisant semblant de pleuvoir sans tomber eaues, fit le dit jour une petite nuée de pluye, vents et tonnère, faisant grand bien aux biens dessus terre, mais rompit un des croisons de la croix de la coulture.

407Le caresme fut presché par un docteur jacobin.

Deffences de faire bierre

408Sur la fin du moys d’apvril, fut défendu à son de trompe, tant par les eschevyns que par Monsieur le bailly, de faire bierre ou cervoise, en peyne de 60 l. d’amande, à cause de l’enchère du grain et du boys : et y avoit grand nombre en ceste ville et ailleurs qui en faisoient et sy en avoit encor plusieurs qui se délibéroient en faire.

Grosse nuée de greslons

409L’humidité continuant, fit le vendredy jour sainct Honoré, sur le soir, une grande et merveilleuse nuée de greslons, et en telle abondance, que de long temps on n’avoit veu, tellement que troys jours après y en avoit encor qui n’estoient fonduz, toutesfoys ne fit grand dommage.

Feu de joye

410Et le dymanche suyvant, fin des vespres, en l’église Nostre Dame, les Te Deum furent chantez et faict le feu de joye avec les solempnitées accoustumées, pour la naissance du troisième fils de France, appellé Monsieur d’Alençon157 (p. 151).

Octaves prêchées

411Les octaves de feste Dieu, presché par M. Parent, cathédral, lequel fit des très doctes sermons sur la probation de la réelle présence du corps de Nostre Seigneur au Sainct Sacrement de l’aultel.

Esmotion à Sainct Jacques

412Le dymanche VIII^e juin 1608, fin de l’épistre chantée en la grande messe de Sainct Jacques, fut une merveilleuse esmotion populaire, en sorte qu’on pensoit estre tous perduz ; et pour rien. Venant à coup un grand bruict et remuement, pensant que ce fut quelque voulte fondue, et le cryement si grand et effroyable que chacun tachoit sortir de l’église ; et sy on ne pouvoit scavoir que c’estoit. Enfin fut trouvé que c’estoit plusieurs meschans garçons estant en la rue se battans à coups de pierres, les uns se réfugiant en l’église, les pierres donnant sur eulx, avec le cry des poursuyvans disans : tue, tue ; que plusieurs et signamment les femmes et filles se jettoyent l’une sur l’aultre, à qui fuyra le mieulx.

413Ceste sepmaine y eut plusieurs esmotions populaires, à cause de la vuydange du bled qui se charioit en grande quantitée hors ceste ville.

Cheresse de vin

414L’humidité, froigdure et grans vents continuans depuis le premier jour du moys de may et jusques en mye juillet, fut cause de grandement tourmenter les vignes, pourquoy y avoit peu de monstre en plusieurs endroits ; et sy furent fort escoullées durant et après la fleur, en sorte qu’il y avoit apparance de petite et tardyve vendange : et sy on ne pouvoit plus trouver de vin, synon que bien peu, venant de long pays et principallement de Risset, vin rude et non seur, en sorte qu’il n’y avoit sy petit vin qui ne vallut C l. la queue, et le meilleur CL l. la queue. Et s’en trouvoit encor un peu de petit vin vieil brouillé et de maulvais goust, lequel on avoit tant décraché, et encore valloit-il LXXX l. la queue : de sorte qu’on pouvoit bien dire : Justus es, Domine, et rectum judicium tuum.

Grands et gros procez

415En ce temps régnoit un grand trouble en ces pays et aultres en la France. C’est que plusieurs procez s’esmouvoyent touschant les héritages cy devant venduz par décret, Messieurs de la court de parlement cassant tous les décretz qui s’estoient faictz, mesme de longtemps, pour plusieurs nullitées qu’ilz y trouvoient, causant plusieurs noises, débatz et procez quasy immortels, dont plusieurs en furent grandement affligez, desquels estoys du nombre : le tout apportant grande perte et division. Et sy les appellans n’estoient-ils guère rescompensez et y avoient peu de prouffict et d’adresse ; synon que pour les praticiens, qui en avoient bon ventre et n’en battoient leurs femmes ; le tout causant grand malheur.

Vendange tardyve

416La vendange fut tardyve, et sy les vins ne furent guère bons, à cause des grandes pluyes du devant et commancement de la vendange et qui durèrent longtemps, causant plus de vin qu’on n’estymoit, mais fut moindre en qualitée ; en sorte que on estymoit à la vendange le vin de ce pays du moins valloir C livres la queue ; mais vint bien au rabaiz et y eut bien des abusez, de sorte que à Noël ne valloit que L l. la queue, savoir ceulx de ce pays ; et ceulx de Beaulne qui estoient fort bons valloient CL l. la queue : et le beuvoit-on avec le reste des vieulx à XIV et XVI sols le pot.

Grand Jubilé

417Le dymanche III^e des advents, XIV^e décembre 1608, à Reims, fut célébré solempnellement le grand jubilé donné du sainct Père Paul V^e, avec grande évolution populaire. Le dymanche devant, faict procession générale, les mercredy, vendredy, sabmedy d’entre deux jeunant, et visitant, tant avec processions que particulièrement de chacun, les églises de Nostre Dame, Sainct Symphorian et les Cordeliers, priant Dieu pour la paix de l’église, la continuation de la paix entre les princes catholicques, pour le pape, le roy, la royne, Monsieur le dauphin et pour plusieurs aultres choses contenues dans la bulle.

418Tout le moys de novembre et jusques à ce temps et encor depuis, fort pluvieulx et humide.

Adventz preschez

419Les advents furent en l’église Nostre Dame preschez par un docteur séculier venu de Parys, nommé Monsieur Depoche ou Depauge, lequel interpréta très doctement (p. 152) et très admirablement le songe de Nabugodonozor158 par Daniel à luy révélé ; où fit les plus haultes et merveilleuses prédications qui ont esté de longtemps ouyes, au grand contentement et admiration du peuple, estymant qu’il ne s’en peult ouyr de plus doctes, comme à la vérité il est très élocquent.

1609

Caresme

420Le caresme fut presché à Nostre Dame par un bon et ancien père jésuyst, natif de Fismes, nommé le père Alexandre, duquel les sermons furent fort populaires et de doulce instruction.

Extraordinaire gellée

421L’humidité, pluye et vent continuant jusques dans le moys de mars, tellement que la ditte année 1609 fut vort venteuse. De là en advant, le temps fut fort sec et beau, en sorte que proche de Pasques on ne pouvoit houer les vignes, et sy elles poussoient et s’avançoient à cause des chaleurs du dit moys de mars et commancement d’apvril ; faisant toutesfoys des froigdes matynées, de sorte que le matin, lundy landemain de Pasques, XX^e apvril 1609, les vignes des bas et tendres lieux furent fort gellées par une blanche et assez forte gellée ; et n’eut esté qu’il faisoit sec, elle eut encor faict plus grande perte. La quelle gellée fit beaulcoup plus de dommage qu’on n’avoit estymé ; et y eut plusieurs terroirs qui n’avoient oncques aultant esté gellé d’esté qu’ils furent lors, et principallement en la Montaigne de Reims.

Monsieur Fournyer à Sainct Denys ; Monsieur de Nevers à Reims

422Le XX^e jour de may 1609, le dit Monsieur Fournyer, évesque princier de Metz, consacra les aultées du pupittre de Sainct Denys de Reims, et sy bénist plusieurs aornements ; puis administra le sacrement de confirmation le dit jour et aultres jours suyvans, où y eut grand désordre à cause de l’affluence du peuple et principallement le premier jour. Et le sadmedy XXIII^e jour suyvant, Monsieur de Nevers avec aultres seigneurs estrangers vint à Reims, de son retour de voyage de Rome ; qui furent receuz honorablement.

423En ce temps faisoit des grandes chaleurs et touffeures, causant plusieurs nuées et dommages en plusieurs endroits, tant par les eaues pluviales que des greles et grans vents.

Discord entre les religieulx de Sainct Remy et de Sainct Nicaise

424Le lundy XXV^e may suyvant, premier jour des rogations, les religieulx de Sainct Remy de Reims fermèrent leur église et refusèrent l’entrée d’icelle aux religieulx de Sainct Nicaise, qui y alloient en procession et y dire leur messe, comme de coustume et comme ils n’avoient de mesme faict en l’année passée, nonobstant l’arrest donné de la cour de parlement à Parys sur leur difficultée. Ce qui causa scandal et murmur du peuple, au mescontentement de plusieurs gens de bien. Dieu les veuille accorder !

Octaves preschez

425Les octaves du Sainct Sacrement furent preschées par Monsieur Parent, cathédral, qui feit de très doctes sermons sur plusieurs petits versets de l’évangile du jour de la feste.

426Les verjuz des vignes furent fort escoullez, menassant avoir petite vendange advenir ; et sy les vins n’augmentèrent de pris, d’aultant qu’ils estoient lors de grand pris comme dessus ; et sy la bonté estoit petite pour les vins de ce pays.

Course de larrons ; edict contre les duels et aultres ; usuriers

427En ce temps y avoit grande course de larrons, sans comprendre l’affluence des soldats cassez, passant et mandiant aultant que devant. Le mercredy XXIX^e juillet 1609, fut publié à Reims l’édict très rigoureulx contre les duels159, et aultres édicts sur plusieurs choses, signamment pour les cessionnaires. Et sy avoit au dit Reims un commis à la recherche des usuriers, qui se nommoit Rambour, dont plusieurs de ce pays (p. 153) furent pugnys par la bourse ; et avoit le dit commis plusieurs gens de maulvaise voulonté qui faisoient partout les inquisitions, mais plusieurs injustement, tortionnairement et par voye indirecte. Le juge estoit Monsieur Branche, lieutenant cryminel. L’exécution de la quelle commission se trouvoit par les gens de bien fort estrange, d’aultant que plusieurs estoient condampnés avec peu de juste congnoissance de cause ; pourquoy y eut quelque modération et diminution à la force de sa commission, et icelle adoucye ou diminuée par l’ayde des prudens justiciers de ceste ville, qui obtindrent la congnoissance de sa vocation.

Arrest sur les nefs des églises de la Magdaleine et de Sainct Jacques

428Le XXVIII^e de juin 1609, les paroissiens de l’église de la Magdaleine de Reims ont obtenu arrest de nos seigneurs de la cour de parlement à Parys, contre les sieurs du chappittre de Nostre Dame du dit Reims, appellans d’une sentence rendue par Monsieur le bailly de Vermandoys, ou son lieutenant au siège royal et présidial de Reims, pour lesquels ils sont condampnez à l’advenir d’entretenir de toutes réparations quelconques, tant grosses que menues, de couverture, la nef d’icelles églises, ainsy que par cy devant ils y estoient tenuz, et de tout temps l’avoient réparée et entretenue ; l’appellation mise au néant, sans amande, condampnez les appellans aux despens, sans que le dit arrest puisse nuyre ny préjudicier à l’advenir aux dits appellans en aultre cause ; les ditz despens montant à CDXXV l. Par accord furent remboursez aux dits paroissiens.

429Il y avoit semblable procès pour la couverture de la nef de l’église Sainct Jacques du dit Reims et de plusieurs aultres églises, tant de ceste ville que hors d’icelle, des lieux desquels les dits sieurs percevoyent les dixmes. Depuis y eut pareille sentence pour la dite église Sainct Jacques acquiescée des dits sieurs du chappittre, et remboursèrent tous les despens.

Vignes escoullées

430Ce qui resta aux vignes fut fort escoullé durant et après la fleur, en sorte qu’il n’y demoura que bien peu et moins que du vivant des hommes présents, n’a esté veu, à cause des froigdures des moys de juin et juillet. Et sy le moys de septembre fut fort nébuleux, humide et froig ; toutesfoys ceulx de la rivière de Marne, et signamment ceulx d’Ay vendengoient dès la mye septembre, qui eurent des bons vins et assez bonne quantité et furent eslevez à C, CX et CXX l. la queue, tout bouillant, à grande envye et force de marchans ; mais les fruictz des vignes de la montaigne de Reims ne pouvoient meurir, y ayant quelques raisins aulcunement noirs et l’aultre partye tout verd. Et sy plusieurs à cause des froigdures se despouilloient, en sorte qu’il y avoit peu d’espérance à la vendange et ne scavoit-on qu’en faire, encor veu sy petite et inaudicte quantité ; tellement que plusieurs en estoient en grand esmoy.

Réception du jeune curé de Sainct Jacques de Reims

431Le sadmedy XXVIII^e novembre 1609, environ troys heures après mydy, Maistre Anthoine Bossumet, prebtre chanoyne de Nostre Dame de Reims et docteur en théologie, aagé d’environ XXX ans, print possession de la cure de Sainct Jacques dudit Reims ; l’ayant par résignation du bon curé, scientifique personne, Monsieur Gérard de la Lobbe, encor vivant et en exercice, mais fort caducque, aagé d’environ LXXX ans, ayant esté environ XLV ans curé, qui ne laissoit encor faire bon debvoir aultant comme devant. Dieu veuille assister à l’un et à l’aultre et à tous les paroissiens ! Et célébra ledit sieur jeune curé la messe le jour de la Conception Notre Dame en ladite église Sainct Jacques, avec grande solempnitée et contentement des dits paroissiens.

Nativité d’une fille, VI^e enffant du roy Henry IV^e

432Ce mesme jour fin des vespres, en l’église Nostre Dame fut chanté les Te Deum pour la délivrance de la royne, laquelle estoit délivrée d’une fille, son VI^e enffant160 ; où fut tiré seullement quelques pétars, sans aultres cérémonyes (p. 154).

Trouble

433En ce temps y avoit trouble en la cour, dont Monsieur le prince de Condé161 et sa famille se retira hors du royaulme, contre la voulontée du roy : le tout menassant quelque trouble. Dieu y veuille pourveoir !

Course de sorciers et sorcyères

434En ce temps estoit grand bruict et course de sorciers et sorcyères, mais ne s’en faisoit aulcune pugnition en ceste ville162, synon s’en exécutoit en quelques villages des environs de Reims.

Adventz

435Les adventz furent preschés à Nostre Dame par un jésuyst très docte, qui interpréta le psalme Miserere mei Deus secundum, fort doctement ; mais avoit peu d’auditeurs, à cause qu’il n’avoit bonne grâce de prescher et de difficile entendre, qui se nommoit le P. Commellet, lequel avoit presché longtemps devant en ladite église le caresme de l’année 1585.

1610

Caresme

436Le caresme fut presché à Nostre Dame par ce très docte Monsieur Depauge, docteur séculier, qui avoit presché l’advent de l’année 1608, duquel les sermons furent très admirables, la pluspart pris sur les épistres de chacun jour de caresme ; où donna merveilleuses instructions, plus angellicques que humaines et de grande admiration ; la vérité me contraignant de dire, sans diminution de l’excellence des préceddens, qu’il n’y en a eu qui l’ayt passé, estant homme très excellent et très digne d’estre ouy.

Maladye ; traict de guerre

437Sur la fin du moys d’apvril 1610, estoit course de maladye en forme de pleurésye, dont plusieurs en mouroient assez soudainement. En ce temps estoit bruict de guerre et faisoit le roy faire de grandes préparations : et ne scavoit-on contre qui se dressoit ceste entreprise que ceulx qui en avoient les affaires en mains. Fut levé grande gensdarmerye, pyonniers et aultres gens de guerre, avec nombre de pièces d’artillerye, partye desquelles passèrent par ces quartiers tirant à Maizières163.

Sacre et coronnement de la royne ; mort innopynée du roy Henry IV^e ; Advènement du roy Loys XIII^e

438Ces préparations de guerre et armée continuant et augmentant, la royne Marye de Médicis fut sacrée et coronnée à Sainct Denys en France, avec les plus grandes triumphes et solempnitées qu’il se peult faire, le jeudy XIII^e jour de may ondit an 1610. Et se faisoient à Parys les préparations pour son entrée. Mais, chose lamentable, ceste joye en peu d’heure fut tourné en merveilleu et desplorable deuil. C’est que le landemain vendredy XIV^e may, le bon et magnanyme Henry IV^e, roy de France et de Navarre, estant à Parys, environ les troys heures après mydy, dans son carrosse, au bout de la rue de la Ferronnerye, assez proche de Sainct-Innocent, fut proditoirement frappé de deux coups de coutteau au costé gauche, par un meschant et maladvisé assassin, nommé François Ravaillart, natif d’Angoulesme ; dont l’un des dits coups donna jusques dans l’aureille de son coeur, de sorte que ce bon prince se sentant blessé à mort perdit tout à coup la parolle, retournant au Louvre rendit l’âme à Dieu. Ce qui fut cause de merveilleux deuils par toute la France et principalement en la ville de Parys164 ; mais Dieu, par sa miséricorde, appaisa doulcement les choses sans troubles. Incontinent fut proveu au bien de la couronne et du royaulme avec bonne diligence ; en sorte que le landemain XV^e May suyvant, Monseigneur le daulphin fut solemnellement recongnu et proclamé roy de France, nommé Loys XIII^e, avec bon accord et submissions tant des princes que de tous les magistrats et officiers à ce requis165 ; et la royne, sa mère, establye régente pour le (p. 155) gouvernement de sa personne, de ses royaulmes et de ses affaires166. Dieu y veuille bien pourveoir et continuer ses grâces au royaulme de France et envers tout le monde. Amen.

Nuée de pluye et gros greslons

439Le vendredy devant la Pentecoste, XXVIII^e may 1610, deux heures après mydy, le temps fort chault, vint une nuée de tonnère et gros greslons avec grande pluye, laquelle gasta plusieurs vignes et biens de la terre, signamment à Sainct Thierry et à Ronay et terroirs voisins, où y eut grand déluge et vignes déterrées ; pour cela l’air n’en fut refroydie, et faisoit le landemain fort chault comme devant. Le molin à vent de Rosnay en fut desrompu. Dieu veuille présever le reste.

Prières pour le roy defunct et pour le survenant son fils

440Durant ces jours, depuis le trespas du roy jusques après son service, chacun jour parmi les matynes, en l’aultel de Saincte Croix de l’église Nostre Dame, estoit célébrée une messe basse au son de vingt coups de la grosse cloche, pour le salut de son âme ; le dit aultel richement paré de noir. Et sy on faisoit continuellement prière alternatyve en chacune église de Reims, durant une heure ordonnée, comme aultrefoys avoit esté faict durant les troubles passés.

Aultre déluge

441Durant les festes de Pentecostes feit aultres nuées hors ceste ville, faisant encor grand déluge en plusieurs lieux, et signamment à Ville-en-Tardenoys et lieux voisins, où y eut grande perte et ruyne de maisons et aultres choses.

Préparation pour le Sacre

442En ce temps on faisoit préparation pour le sacre du roy et pour l’entrée et première messe de Monsieur l’archevesque de Reims167.

Bancque et banqueroutte

443Dès les gras jours passés et tout durant le caresme, estoit dressé une blancque en la maison et bouticque de l’enseigne de La Forest, au Marché au Bled, garnye de toute sorte de marchandise appartenant à Anthoine le Sire, marchant, et au regret de plusieurs gens de bien trouvant ce faict intolérable ès jours de caresme. Et durant la foire de coulture, fut la dite blancque relevée par le dit le Sire en une loge au devant du logis de Monsieur Lespaignol, près l’Arbre d’or, aornée de son de trompette, encore plus de tromperie. Et n’en faisant son prouffit, fit banqueroutte et s’en alla hors ceste ville, quittant tous ses créanciers, et de rien s’acquittant envers eulx par le moyen de son absence. Sa femme fut reçue à demander la restitution de son apport. Voilà que c’est de trop entreprendre, ergo

La blancque a blanchy sans rire,
Son aultheur en estant Le Sire

Entreprise de la guerre rompue

444Sur la fin du moys de may, l’entreprise militaire et l’armée fut rompue ; les artilleryes, munitions et ustencils remis aux magazins ; les gensdarmes, pionniers et aultres licenciez et renvoyez ; les chevaulx des attirages qui estoient en grand nombre, partye vendus ; et le tout réduict en paix, au grand regret des milittans et gens aymans la guerre. Ce qui cousta grans deniers au royaulme : un bon nombre de gens de guerre seullement furent envoyez devant la ville de juillet (sic)168.

Octaves preschez

445Les octaves de la feste Dieu preschées par ce très docte P. Commellet, ayant un peu changé ses fassons de faire gestes et parler, qui le rendoient un peu plus agréable que devant ; fit tous ses sermons très admirables sur la preuve très suffisante et entière de la réelle présence du corps et sang de nostre Saulveur au Sainct Sacrement de l’aultel, au grand contentement d’un grand nombre d’auditeurs assistant chacun jour ; lequel fut recongnu merveilleusement docte et instructif.

Service pour le roy

446Et le dymanche XX^e juin, lundy, mardy et mercredy suyvant, ondit an 1610, par touttes les églises de Reims, furent célébrez les services et obsecques pour le roy deffunct Henry IV^e, que Dieu absolve. Ce qui fut faict avec très grande solempnité et dévotion, comme telle chose le requiert. L’oraison funèbre dicte par M. Parent, doyen et cathédral de l’église Nostre Dame.

447Le II^e juillet le feu print en deux tonnes de pouldre à canons au petit magasin de Chaalons, où y eut grande perte tant d’hommes que en bastyments (p. 156).

Bonne moisson ; bonne vendange

448La moisson fut bonne et ne valloit le seigle que XXXV s. le septier, le froment L et LX sols ; mais l’avoine vint à enchérir jusques à XLV sols, à cause du sacre et qu’il s’en estoit peu recueilly. En ce temps y avoit belle monstre aux vignes, mais plusieurs jaunissirent, de telle sorte que grande partye des sépeaulx en plusieurs lieux venoient à seicher et tendant à mourir. Celles qui furent exemptes de telle jaunissure prouffictèrent grandement. Et furent les moys d’aoust et septembre fort chaulx et secz sans pluyes, causant grande quantité de vin, signamment à la rivière de Marne, qui fut fort bon. Que s’il y eut eu au dit moys de septembre une journée de pluye on eut eu telle quantité de vin qu’on ne les eut sceu où mettre : pourquoy les poinssons montèrent seullement jusques à XXX et XXXV s. ; mais vindrent au rabay pour la dite seicheresse et tardement de la vendange qui fut loingtayne, commancée depuis la mye septembre durant jusques au moys d’octobre ; et y eut plusieurs tonnelliers trompez de leur attente, estymant vendre les poinssons L et LX sols la pièce ; n’en fut jamais aultant faict pour une année, et sy estoit grande quantité de vuydanges. Pour mon regard je ne recueilly que justement moictié de la quantité de l’année 1604. Le vin valloit XXX l. la queue et au dessoubz.

Bruict du jour du Sacre. Parement extraordinaire pour ledit sacre ; Fontayne bruslée

449Le sacre du roy fut désyné et annoncé pour le XXV^e de juillet, puis continué au jour sainct Loys, XXV^e aoust, et encore continué au jour sainct Denys, comme on disoit. Pourquoy se faisoit belles préparations en ceste ville de Reims, tant ordinaires que extraordinaires, d’aultant que, oultre l’aornement de la porte de la barbe-aux-cannes, fabrication de celle du bourg de Veesle au dessoubz de la Croix Saint Victor et celle de Sainct Denys, en fut dressé une proche la chappelle de Clefmarest où n’en n’y avoit jamais eu. Puis attenant à la dite Croix Sainct Victor estoit dressé une statue et figure faicte de deux blocs de pierre en forme d’une femme couronnée représentant la France, peinte de couleur grise et bronzée, le tout richement aorné. Fut dès le commancement construicte et dressé une fontayne de triumphe attenant la muraille du devant de la maison de la Crestienté, au parvy, entreprise par un maîtres architeq, mandé de Parys, qui cousta grands deniers. Laquelle estoit commancée et dressée d’une fasson assez magnificque en forme d’un hault rocher pour jecter eaue par grand nombre de petits canaulx, aornée de mousse, pierreries, pièces de vittres de diverses couleurs, où y fut employé grande quantité de plomb, poix, resyne et aultres drogues, boys et maneuvres. Et estant quasy achevée prest à faire les esprouves par le dit maistre, ne donnant bon ordre à sa subtilité, ou faict exprès, fondant quelque plomb, le feu prenant au corps d’icelle fontayne, le lundy IV^e octobre, jour sainct Françoys, quatre heures de relevé, fut icelle fontaine bruslée et perrye ; au danger de veoir grand inconvénient, sy le feu fut pris nuictamment. Mais avec bon secours, les maisons proches furent conservées ; ledit maistre mis prisonnier pour les dommages et intérestz, et fut la dicte fontayne du tout abolye.

Galleryes et chaffaulx extraordinaires

450Et sy on feit en l’église Nostre Dame, oultre les galeries, chauffaulx et montées ordinaires, des grandes galleries et (p. 157) chauffaulx aux deux grands costiers du coeur, fondez sur les chezes des chanoynes, qui coustèrent CM l.

Maisons bruslées

451Les logis de la ville de Reims estans marquez pour le train advenir, advint inopinément et de cas fortuit le feu eschappé au bout hault de la rue du Jard, où est le grand portail de l’église des Frères Prescheurs, proche la rue de la Poterne, le lundy suyvant à mesme heure ; qui brusla et endommagea environ XX petites maisons non de grand pris.

Station, première du roy entrant à Reims ; entrée célèbre du roy Loys XIII^e en la ville de Reims ; Deffault des princes de Lorraine et de Guise

452Pour la réception du roy, les préparations furent commancées à la Bouverye, comme de coustume ; mais les maistres des cérémonyes ne le trouvant bon le firent descendre et faire sa station en une halle ou téastre qui fut faict hastyvement, couverte et environné de planches et assemblage de gros boys en forme de pavillon, garny de troys grans escaliers compris celly de derrier, posée sur le pavé, au devant des deux maisons attenant la grande porte de la cour Sainct Eloy, tirant vers la Montaigne ; laquelle halle et téastre fut richement tapissé avec les deux chambres haultes des dittes maisons : où il arriva recepvant les harangues et submissions ordinaires et voyant passer touttes les trouppes, tant noblesse, bourgeoisie que de guerre, le jeudy XIV^e octobre 1610, une heure après mydy. Et y fut environ troys heures. Puis jusques passé cinq heures du soir fit son entrée célèbre, très magnificque et joyeuse, avec grande allégresse et debvoir des habittans de Reims ; où y avoit entre aultre chose une compaignie de cinquante jeunes hommes richement montez et habillez tous d’une mesme parure. Laquelle entrée fut enrichie et aornée d’un merveilleu nombre de braves hommes de guerre, tant de pied que de cheval, revenuz de ceste brave armée envoyée devant la ville de Juillet (sic), soubz la conduitte du Sieur de la Chastre169. En ceste entrée estoient la plus part des princes de France, mesme y estoit revenu Monsieur le prince de Condé ; excepté Messieurs de la maison de Lorraine et de Guyse qui ne s’y trouvèrent, ny mesme Monsieur l’archevesque de Reims.

Sacre170

453Et ainsy le roy en ce bel ordre conduy en l’église Nostre Dame et recue soubz le grand portail au dedans de la dite église, puis conduy au choeur d’icelle, et d’illecq au palays. Le sabmedy suyvant qui estoit la veille de son sacre, fut à vespres en ladite église, où après fut audit lieu instruict et remonstré, puis confirmé et confessé, et le landemain qui estoit le dymanche XVII^e octobre, veille sainct Luc, fut sacré par le ministère de Monsieur le Cardinal de Joyeuse171, avec toutes les magnificences, cérémonies et solempnitées requises et ordinaires. Pourquoy les services et dévotions de la feste de la dédicace furent fort interrompuz et diminuez. L’église Nostre Dame estoit partout tapissée, tant hault que bas, ensemble le palays ; n’y fut jamais aultant de tapisserie pour une foys, et la plus part faict très richement, tout d’or, d’argent et de soye.

454Plusieurs bons habittans n’estoient joyeulx de ce que le dit sieur archevesque de Reims avoit laissé perdre ceste belle occasion de n’avoir sacré le roy comme à luy deue la préférence, et à son déffault Monsieur l’évesque de Soissons ; qui en furent eulx deux absents, mais avoit esté de la voulonté de la royne, mère du roy, que le dit sieur cardinal de Joyeuse fit ce sainct office ; comme il fut ordonné et générallement achevée avec joye et action de grâce, non par ceux qui y receurent des coups de bastons, car les coups de bastons n’y estoient espargné à ceulx qui s’en approchoient de trop près.

Débat de ceulx de la compaignie du Chesne

455Ce jour après mydy y eut querelle entre la compaignie de ceulx du Chesne, qui estoit de quelque cent cinquante hommes, contre quelques gens des gardes du roy, reportant la saincte Ampoulle à Sainct Remy, pour la hacquenet blanche sur laquelle estoit monté Monsieur l’Espaignol, grand prieur, qui portoit ce beau et sainct joyau, où y eut plusieurs blécez ; mais (p. 158) ceulx du Chesne emmenèrent la dite hacquenet toute nue, sans selle ny bride, maintenant leur appartenir.

Pompes et magnificque convoye ; le roy faict chevalier du Sainct Esprit

456Et le landemain, estant le roy revestu tout de blanc, de drap d’argent ou semblable estoffe, monté sur un petit cheval blanc, se transporta avec toute la noblesse, braves souysses et aultre garde, à Sainct Remy où il ouyt la messe. Ce mesme jour, après les vespres, sortit du palays avec une très grande magnificence, le préceddant la royne, sa mère, et aultres princes, puis marchant en admirable ordre tous Messieurs les chevalliers du Sainct Esprit, tant ecclésiastiques que laycques, en nombre d’environ trente, revestus de somptueulx aornements et habillements merveilleusement riches, aultant et plus qu’on ne le pourroit excogiter, le roy les suyvant ; le tout marchant à piedz en la plus belle et excellente majesté qu’on ne le scauroit veoir ; et ainsy entrèrent en l’église Nostre Dame par les grans portaulx ; et le roy fut faict chevallier du Sainct Esprit avec quelques aultres, où y eut plus grande triumphe qui se puisse veoir ; puis retournèrent au palays, le roi revestu comme chevallier.

Allée du roy et de la royne au Cosson

457Le mardy suyvant, XIX^e octobre, le roy partit de Reims à neuf heures du matin, et la royne quelques heures après, estant dans leur coche ou carrosse, et s’en allèrent avec leur noblesse disner au Cosson, où firent donner baptesme, comme on disoit, à l’enffant de Monsieur le barron du Tour, sieur du dit Cosson ; puis ce jour revindrent à Reims.

Partement du roy pour Corbeny puis Parys

458Et le landemain, qui estoit le mercredy, le roy se partit du matin du dit Reims et fut disner à Roucy, puis gister à Corbeny, où le landemain, qui estoit le jeudy, toucha grand nombre de malades vexés des escrouelles, et tient-on qu’il en toucha en nombre bien six cens qui estoient venuz de tout costé, mesme de pays estrangé ; Dieu leur donne l’assistance du Sainct Esprit, bonne, heureuse et longue vie ; pour pouvoir régir le royaulme de France en bonne paix, à la gloire de Dieu et à nostre salut ! Du dit Corbeny, s’en retournèrent à Parys.

Fraiz du Sacre

459Ce pendant les fraiz du dit Sacre, pour les habittans dudit Reims, coustèrent aultant que troys des préceddens sacres, jusques à la somme de dix-huict mille livres et plus.

460En ce temps on construisoit la ville de Charleville près Maizières aux despens de plusieurs172.

Adventz

461Les sermons des advents furent preschez par un très docte jésuyst, nommé le père Estienne, qui interpréta très doctement la délivrance du peuple d’Israël et sortye d’Egypte, avec les dix playes advenues, où feit très merveilleux sermons fort moraux, de belle et profonde doctrine.

1611

Trespas de Monsieur Gérard de La Lobbe, curé de Sainct Jacques173

462Le mercredy XVI^e febvrier, cinq heures du matin, premier jour de caresme 1611, décedda vénérable et scientificque personne Monsieur Gérard de la Lobbe, prebtre, docteur en théologie, aagé d’environ quatre-vingts ans, très vigilent pasteur, curé de Sainct Jacques de Reims ; ayant deument, sainctement et très doctement s’acquitté de sa charge de curé l’espace d’environ quarante-cinq ans ; faict tout ce temps grand debvoir de prescher et annoncer la parolle de Dieu, de souvent cathéchiser et endoctriner la jeunesse, (p. 159) et tout aultre debvoir d’un bon et vray curé ; aymant et chérissant, après l’honneur de Dieu, unicquement ses paroissiens et réciproquement fort aimé d’eulx ; zélé au possible pour l’honneur de Dieu ; faict et escrit beaulcoup de beaux œuvres et canticques spirituels ; et finalement avoit pourveu d’un bon et signalé successeur en son lieu, aulcunement digne de sa suytte. Rendit son âme à Dieu avec grande dévotion, attention, submission, bon sens, mémoire, entendement, et parlant jusques à la fin, tellement que sa fin a rendu tesmoignage exemplaire de sa saincte vie par ses discours, prières, remonstrances et beaux exemples qu’il a monstré jusques à ses dernières parolles qu’il prononça, disant : Adoramus te Christe (tenant la croix) ; In manus tuas, Domine ; Bone pastor, panis vere, et le reste. Fut son corps posé devant la porte du presbytère jusques à cinq heures de relevé ; d’où il fut enlevé par Monsieur le digne curé de Sainct Symphorian, chancelier de l’Université, doyen des curez de Reims, et Monsieur le curé du dit Sainct Jacques, porté avec un honnorable convoye autour de la paroisse, accoustumé de la procession : puis enterré au devant du grand aultel du dit Sainct Jacques, préalablement posé devant l’image du crucifix, où fut chanté par deux enfans, par troys foys, et répété par le clergé : Te, Domine Jesu, quaesumus famulo tuo subveni, et le reste. Lequel, en toute sa vie, a souffert beaulcoup de tribulations et travaulx, tant spirituelz, temporelz que corporelz, signamment durant les troubles passez, ayant le tout vaincu par patience ; spéciallement affligé de pierres, gravelle, et portant gros fardeau de rupture. Son depportement tellement recommandable, méritant grandement estre enrollé et mis au nombre de la vie des hommes illustrissimes. Dieu luy face la grâce de prier pour nous, ses paroissiens, affin que par sa bonne vie, exemple et remonstrances, aydez de la grace de Dieu, le puissions ensuivre et parvenir ensemble au royaulme des cieulx ! Amen,

O quam preciosa in conspectu Domini mors sanctorum ejus ; Et iterum :
In memoria eterna erit justus ab auditione mala non timebit.
C’est pourquoy je ne fais difficulté de dire bis :
Sancte Gerarde Remis, precor, ora pro nobis ; Amen.

Joyau donné à l’église de Sainct Jacques

463Le dimanche VI^e jour du moys de mars suyvant, fin des vigilles chanté du second service solempnel du dit deffunct sieur curé, fut gratuictement donné et aulmoné à la dite église de Sainct Jacques, par vénérable et discrette personne Monsieur Anthoine Beauchesne, prebtre chanoyne et naguères soubzchantre de l’Eglise Nostre Dame de Reims, oncle du dit Monsieur Anthoine Bossumet, successeur en la dite cure, un beau et signalé joyau : qui estoit un porte-Dieu ou ciboir d’argent doré, magnificquement élabouré, qui peut valoir [ ] livres tournois. Ce qu’il donna de bonne voulonté et grande libéralité (p. 160), en la présence de plusieurs des signalez paroissiens et aultres assemblez au revestier, pour servir à porter Dieu aux malades et aornement à icelle église ; Dieu luy veuille rémunérer, et faire la grâce à son dit Monsieur son nepveu d’en pouvoir bien et longuement user à son salut et de tous ses paroissiens !

464L’yver fut fort pluvyeu, humide, venteu et nébuleu, causant grandes neiges. Mais la fin de febvrier et commancement de mars fut beau et doulx temps.

Course de pauvres

465Régnoit encor grande course de jeunes hommes mandians, tant de guerre que aultres faignéans, importunans les personnes dans les églises à leur donner, apportans grande incommodité, interrompans les dévotions, et sy personne ny donnoit ordre ny police. Dieu y veuille bien pourveoir !

Caresme

466Les sermons du caresme furent preschez à Nostre Dame par ce très docte et très élocquent jésuyst le père Machault, devant mentionné, qui feit tous ses sermons très admirables et de grande instruction ; y ayant tousjours merveilleu nombre d’assistans, ce qu’il feit avec très grand contentement ; Dieu le veuille assister et rémunérer !

467Le sabmedy XIV^e mai 1611, fut à Nostre Dame chanté le service et bout de l’an du feu roy Henry IV^e. Les vigilles chantez la veille comme de coustume.

Grande chaleur et seicheresse ; vignes gellées

468Peu auparavant, la grande challeur et seicheresse extraordinaire continuant, depuis le fin de febvrier jusques au X^e may, sans tomber eaue, excepté seullement quelque petit nuage de grésil le jour du vendredy sainct, tousjours faisant grande chaleur et touffeur : en sorte qu’on ne pouvoit labourer ny semer. Les vignes houées de bonne heure, croissant de grande habondance et fort résyneuses ; mais les tardyves houées et plusieurs demourées sans houes, ne croissoient que de force et demouroient courtes et de peu d’espérance : mesme les mars ne pouvant lever et les petitz seigles des terres de Champaigne, sans humeurs, ne pouvant croistre et tournez à rien faulte de pluyes. Advint le lundy IX^e may, premier jour des Rogations, faisant encor grande chaleur toute la matynée jusques sur les quatre heures du soir, que le vent tourna venant du costé du septentrion. Commancèrent de grandes froigdures, continuant les jours suyvans, tellement que le jeudy, jour de l’Ascension, encor qu’il feit fort secq, la pluspart des vignes des bas lieux furent gellées et perduz, avec aulcunes des haulx lieux et moyens de la Montaigne de Reims et aultres contrées : où y eut un très grand dommaige, d’aultant qu’elles estoient prest à lyer. Ce qui causa grande facherye à plusieurs et non à ceulx qui estoient fort chargez de vin, n’ayans vignes à eulx, n’estans subjectz à fraiz et fassons. Il y a longtemps un hors de mémoire qu’il ne s’estoit veu un sy chaulx et tel printemps et de sy longue durée, ce qui ne faisoit bon présage (p. 161).

Déceds et convoye de Simon Yorland : trouble entre les arquebusiers et les arbalestriers

469Le mardy XXIV^e de may 1611, dernière feste de Pentecostes, une heure après mydy, fut enterré au grand cymetier Sainct Jacques de Reims le corps d’un nommé Symon Yoland, maistre de l’hostellerie des Grandes Meulles, luy vivant bon pillier de table, de rusticque et joyeuse vie, aymans fort les compaignies, qui pour plusieurs excès baccussins devint ydropicque, combien qu’il fut encor jeunehomme, de bonne volonté et réputation, fort gros, replecque et pellecaviste ; au convoye duquel estoit grosse compaignie, d’aultant qu’il estoit des compaignies des harquebuziers et arbalestriers de Reims. Incontinant son corps levé de devant sa porte, y eut grand trouble et esmotion entre les ditz arquebuziers et arbalestriers, pour à qui marcheroient les premiers après les parens. Vouloient les ditz arbalestriers forcer la prévention de la harquebuze, roy, cappittaynes et compaignie d’iceulx arquebuziers ; mais n’y peurent advenir, synon que tout le long du dit convoye faire noises, disputtes, cryment, trouble, batterye et grand effroy, jusques au devant du dit cymetier, avec une merveilleuse et scandaleuse insolance ; mais furent sy bien opposez, que les dits arbalestriers n’entrèrent au dit cymetier et retournèrent à leur jardin par l’huys de derrier, comme frustrez de leur prétendue victoire. Dieu les veuille accorder !

Octave

470Les octaves de feste Dieu furent preschez par un très admirable capuchin, nommé le P. Basile d’Estampes, aagé d’environ XXXV ans. Lequel fit les sermons sur le psalme Dominus regit me, de matière et doctrine des plus profondes et excellentes qui se puisse avoir auparavant entendue, et nonobstant de très saincte et familière instruction ; fort naïf en discours, geste et science. Le tout au grand contentement, admiration et applaudissement du grand nombre de personnes qui y assistoit chacun jour. Le quel capuchin s’est depuis retiré et délaissé son ordre, comme volontaire.

Procession en l’église Sainct Denys

471Le VI^e juin, mardy des octaves de la feste du Sainct Sacrement suyvant, fut faict, à dix heures du matin, la première procession en l’église et préhault de Sainct Denys de Reims, de la fondation du dit Monsieur Fournier, princier de Metz.

Continuation du nouveau canal

472En ce temps, on continuoit le canal de la rivière de Vesle, depuis Sillery jusques proche la ville de Reims ; ensemble les estangs du dit Sillery qui estoient commencez dessous deux ans passez ; et y avoit grand nombre d’ouvriers.

Seicheresse, cheresse du foing

473La grande seicheresse se continuant jusques au VIII^e juin, sans avoir pluye, synon une doulce nuée d’eau seullement le jour de la Trinité ; la quelle seicheresse causa enchérir le grain et aultres vivres, jusques sur la mye juin, que le tout vint à modérer, à cause de la doulce pluye advenant. Les vignes qui n’avoient esté gellées estoient fort belles, le verjus augmentant à merveille, la moisson fort belle et de bon bled ; pareillement les mars croissant et multipliant contre le jugement passé. Toutesfoys le foing estoit fort cher, d’aultant plus qu’il en estoit peu, pour la dite seicheresse : pourquoy touttes les bestes n’en mangèrent pas (p. 162).

Mariage

474Le dymanche VII^e aoust 1611, nostre plus jeune fille, Jehanne Pussot, fut espousée à Claude Richier ; charpentier, en l’église Sainct Jacques, par Monsieur Bossumet, curé du dit lieu. Le festin faict à l’hostellerie des Grandes Moeulles. Les fraiz de bouche coustèrent environ DL l. t.

Aornement donné par le roy à l’église Nostre Dame

475Le dymanche XVIII^e septembre suyvant, fut en l’église Nostre Dame de Reims, par Messieurs les chanoynes, faict prières solempnelles, processions et célébré la messe du Sainct Esprit, pour la santé et prospérité du roy et de la royne sa mère, en recognoissance du bienfait par eulx en la dite église, savoir : de tout l’aornement et parement du grand aultel et accompaignement d’icelluy, ensemble de quatre chappes, la chasuble, les deux thuniques pour les diacre et soubsdiacre, dix petites thuniques pour les enffans de cœur, et une pour celluy qui porte le calice ; coutynes, mantelletz, cussins, couvertures des retrainctz, cyboires et aultres choses accoustumées en chapelle bien garnye : le tout de matière et estoffe blanche très riche et bien eslabourée, avec le calice et le livre du sainct évangille fort précieux, en sorte que rien n’y manque : marquez par tout des armoiries du roy de France et de Navarre ; en laquelle procession fut porté le joyau qu’il avoit donné à son sacre, assçavoir l’ymage du chef Monsieur sainct Loys ; Dieu leur veuil rénumérer, donner bonne, longue et heureuse vie ! Amen.

Bonne vendange

476La chaleur et beau temps continuant, fut cause que la vendange commança dès la fin du moys d’aoust, mais dura jusques au jour sainct Denys, à cause des grandes pluyes qui survindrent sur le mittant d’icelle : pourquoy fut fort pénible et de grands fraiz, diminuant la force et la bonté du vin. Fut en bonne quantité, esgalle à peu près à l’année passée, saulf les lieux où les vignes avoient esté gellées. Les poinssons ne valloient que XXX sols la pièce. La queue de vin, comme nouveau, XX l. Le vieil XXX. Le seigle L sols le septier. Le froment IV l. et l’avoine XL sols.

477Au commencement du moys d’octobre 1611, décedda Monsieur le duc de Mayenne à Soissons. Sa femme aussy décedda peu après174.

Réparation du grand portail de l’église Nostre Dame de Reims

478Sur la fin du moys d’octobre et commencement du moys de novembre 1611, on commançoit à faire les eschaffaulx pour réparer le portail de l’église Nostre Dame de Reims, et principallement la grande voulte du grand portail, où la pluspart des pierres estoient corrompues et en pièces, et grande partie de figures de dessoubs tombées. Ce qui fut marchandé à réparer par Messieurs du chappittre, des denyers que le roy et la royne sa mère avoient donnés pour ce faire : et entrepris faire par un maistre de Laon, nommé Vincent Bourgeois, maistre masson, qui en devoit avoir MMMM D l., à tout faire et fournir à ses despens, saulf le boys pour les eschaffaulx que Messieurs livroient sans diminution de la dite somme : ce qui me sembloit bien peu pour deument faire cette réparation.

479Au moys de novembre 1611 décedda Monsieur le duc d’Orléans, frère du roy et jeune adolescent (p. 163).

Fondation faicte par Françoys Le Gay à l’église Sainct Jacques

480Vendredy XXIII^e décembre 1611, dix heures du matin, fut accordé et passé contract par devant et signé Brisset et Taillet, notaires royaulx, demourans à Reims, au logis de honnorable homme Françoys Le Gay, bourgeoys de Reims, la fondation par luy faict (estant en son lit malade), de quatre vicaires en l’église paroissialle de Sainct Jacques du dit Reims, pour y faire le service tout ainsy qu’il se faict en l’église paroissialle de Sainct Hilaire du dit Reims, fondé par deffuncte la demoiselle Dallemont ; ensemble la procession du dymanche des octaves de la feste Dieu, troys saluts, l’un le jour de la feste de l’Assomption de la vierge Marie ; l’aultre le jour de la feste de la Nativité et la III^e le dymanche des Rameaux ; avec six sermons aux bons jours de l’an, heures de mydy, deux obits et quelques aultres services et charges : le tout mentionné au dit contract. Pourquoy faire, a délivré la somme de MMMMM C l. avec aultres bienfaictz par luy, pour subvenir aux aornemens et décoration de la dite église : ensemble promesse de bastyre de neuf à ses despens bien et deument la place appelée la Recommandise proche la maison presbytéralle, qui luy a esté donné pour ce faire, et pour y loger et accomoder à tousjours les dits quatre vicaires ainsy par luy fondez. De la quelle maladye ne releva et décedda le matin XXVIII^e du dit moys, jour de la feste des Inocens. Dieu luy veuille rénumérer et mettre son ame en repos ! Amen.

Adventz

481Les sermons des adventz de la dite année 1611 furent preschez en l’église Nostre Dame par ledit très docte et admirable capuchin, nommé le père Basile d’Estampes, assez jeune homme, qui feit tous ses sermons de la création de l’homme, la dignité et excellence d’icelluy, estant en estat d’ignorance ; son misérable estat par sa cheutte et malheur survenu par son pesché, l’énormité d’icelluy affin de le fuyr, et comme chacun en est héritier, et le moyen de son relief par la venue de nostre Saulveur en ce monde ; où il traicta des plus haultes et excellentes matières (ne laissant rien en arrier), qui s’est de longtemps ouy. Et le tout toutesfoys nayvement vuydé et familiairement appropriée : au grand contentement du grand peuple y assistant, et l’estymant des plus excellentz de tous les préceddens. Dieu le veuille assister ! Lequel fict la très docte oraison funèbre du service du dit Françoys Le Gay, le lundi II^e janvier 1612. Depuis s’est licencié et dispensé de soy-même, comme devant est dit. Qui stat, videat ne cadat.

1612

Assiette d’une première pierre de la maison des vicaires de Sainct Jacques

482Le X^e jour du moys de febvrier 1612, honorable homme Nicolas Coquillart, bourgeoys de Reims, a posé la première pierre des fondations de la maison construicte au lieu appellé Recommandise de Sainct Jacques, pour le logement des quatre vicaires d’icelle église, suyvant la fondation dessus ditte de son beau-père Françoys Le Gay (et non achevée) suyvant icelle et intention d’icelluy Le Gay.

483Le caresme fut presché par Monsieur Parent, cathédral, ayant peu d’auditeurs, nonobstant sa suffisance, à cause que père Basille, capuchin, preschoit à Sainct Pierre aux Nones.

Bataille des cocqs ; emprisonnement de Jehan Baussonnet

484Aux derniers jours gras, qui estoient au commancement du moys de mars 1612, fut faict plusieurs batailles de cocqs par plusieurs habittans de ceste ville de Reims et en plusieurs endroictz ; la première sous-tenue par Jehan Baussonnet, surnommé Maroqin, conroyeur de cuyrs, et par Jehan Mittouart, chappellier, au logis de la Rouge Maison parvy ; et la dernière, qui estoit le lundy gras, soustenue par ledict Baussonnet, Pierre le Grand et aultres (p. 164) en son logis du Petit-Parys, en la Coulture, où y avoit grand nombre d’habittans, grande partye mandez par les suppotz susnommez, menant grande joye, récréation et bon festin. L’après mydy firent leur monstre aulcuns à cheval avec les instrumens de Bacchus, le roy, qui estoit ledit Baussonnet, richement revestu et coronné, beuvans en tous quartiers où ilz allèrent, crians : le Roy boy et vive le Roy. De quoy plusieurs en rioient et les aultres estymoient follye, attendu l’age de cest homme et non enffant. Et ce estant faict contre la deffence de Monsieur le bailly de Reims et sans sa permission, à la poursuytte et requeste du procureur fiscal, furent lesditz suppostz poursuyvis, ledit roy mis prisonnier, ledict Le Grand absent craignant la détention de sa personne ; les aultres solicitans, nonobstant récusation, opposition, renvoye, demande, protestation de se prendre au juge en son pur et privé nom, appellation et touttes aultres actes de justice, dont ilz furent débouttez ; le procès faict entre les partyes et envoyé à la cour. Ce pendant ledit roy demeurant prisonnier, où ledict Le Grand ne manqua de solicitude.

Grande triumphe à Parys

485En ce temps l’on faisoit grand triumphe, magnificence, jouttes, ballays et aultres réjoyssance à Paris pour l’allyance faicte du roy de France Loys XIII^e, avec la fille d’Espaigne, et aultres alliances175. Dieu veuille que le tout puisse réussir à son honneur et au repos des royaulmes d’iceulx !

Déceds de Monsieur l’abbé de Sainct Nicaise

486Le vendredy XXX^e mars suyvant fut à Sainct Nicaise de Reims sonnée la beemort, et faict service de l’enterrage de Monsieur l’abbé dudict Sainct Nicaise et de Clugny, qui estoit Claude de Guise, fort ancien abbé176.

Elargissement dudict Baussonnet

487Audict temps, sçavoir le lundy XXVI^e jour dudict moys d’apvril, ledict Jehan Baussonnet fut eslargy de prison en vertu de l’arrest de la cour de parlement à Paris, donné le XII^e dudict mois d’apvril, à la charge de se représenter en personne au jour que la cause sera plaidé, qui est au premier jour playdoyable d’après Quasymodo ; tellement qu’il fut justement cinq sepmaines prisonnier.

Belle fontaine

488Audict temps, durant la foire de coulture, par un Allemant se monstroit une fontaine fort magnificque et de grande et belle invention, que chacun admiroit en une loge bastye derier et attenant le Ponceau ; ce qui méritoit d’estre veu, et moyennant un solz pour chacune personne ; et sur la fin ne prenoit que six deniers tournois.

Election des quatre vicaires de Sainct Jacques pour la première foys

489Le dymanche XIII^e may suyvant, fin de la grande messe chantée en ladicte église de Sainct Jacques de Reims, fut par les curé et paroissiens nommé et esleu les quatre premiers vicaires pour ladicte fondation dudict François Le Gay : aulcuns desquelz ne sçavoient chanter et peu de voix, chose contraire à la très bonne volonté et intention dudict deffunct. Dieu leur vueille assister à ce qu’ilz s’en puissent acquitter !

Obit fondé par Monsieur Dorigny

490Et sy fut conclud ledict jour que Monsieur Dorrigny, thésaurier de l’église Nostre Dame de Reims, seroit receu à la fondation d’un obit par chacun an en ladicte église de Sainct Jacques, où son père et parens sont inhumez.

Octaves preschées

491Les sermons de l’octave du Sainct Sacrement preschez par le très docte père Gonthier, jésuytte ; lesquelz sermons furent très admirablement plus angélicques que humains, sur la suffisante démonstrance et approbation de la réelle présence du corps de Nostre Saulveur contenu au Sainct Sacrement de l’aultel, où n’y a que replicquer sans évydente malice ; le tout au grand contentement du grand nombre de personnes y assistant.

Joyau des archers

492Le dymanche I^er jour de juillet 1612, les archers de la ville de Reims présentèrent leur joyau de vaisselle d’argent, vallant environ DC l. tournois, où ilz avoient invité les archers des treize villes. Furent ledit jour (p. 165) à la grande messe en l’église Nostre Dame, qui fut célébré solempnellement, n’estant seullement que troys petites compaignies avec ceulx dudict Reims, durant ladicte messe.

Revenu des arquebuziers de Reims

493Et ledit jour, fin des vespres, revint la trouppe des arquebuziers dudict Reims en grand triumphe et recueil d’une très honnorable compaignie, tant de pied que de cheval, du joyau de Sézanne en Brye, présenté par les harquebuziers dudit lieu ; estant ledit joyau de vaisselle d’argent, le tout estymé deux mil cinq cens livres tournois ; duquel ceulx de Reims eurent l’honneur, d’aultant qu’ilz emportèrent les principaux pour mil dix huit livres tournois de vaisselle d’argent avec les deux planches, comme ayant faict les meilleurs coups.

Continuation du joyau des archers

494Le landemain du matin, lesditz archers en leur jardin commancèrent leur jeu ouvert par Monsieur de Montlaurent, capitaine de Reims, et par allées accoustumées, où n’estoient lesdittes quatre bandes, savoir ceulx de Reims, ceulx de Chaalons, ceulx de Rethel et ceulx de La Fère ; ceulx des autres villes mandez ne comparant, au grand intérest des présentans ledict joyau. Toutesfoys lesditz présens et comparans tirèrent tant et le landemain, pour la valleur de LXXII escus seullement, que ceulx de Rethel eurent l’honneur et emportèrent le principal et meilleur pris, au grand regret des aultres et signamment de ceulx dudit Reims, qui furent condampnez aux despens.

Mariage de Guillaume Pussot

495Le lundy XXI^e juillet 1612, nostre filz Guillaume Pussot fut espousée à Barbe Cocquet, fille de Guillaume Cocquet, en l’église Sainct Jacques, par Monsieur Bossumet, curé de Sainct Jacques, pour l’absence de Monsieur Fliche, curé de Sainct Hilaire. Le festin faict en l’hostellerye des Grandes Moeulles. Les fraiz de bouche coustèrent environ pour ma part CCLX l. tournois, à cause de quelques personnes que j’avois plus que ledit Cocquet.

Vignes escoullées

496Les moys de juillet et aoust furent fort chaulx ; les vignes fort escoulées, tant pour le commancement d’icelle challeur que pour avoir esté les raisins, dès leur naissance et jusques après la fleur, nourriz de froigdure, et continué de grande seicheresse et grans ventz.

497Es moys d’aoust et septembre, la nef de Sainct Eloy avec le petit clocher furent bastis et couvers, à la perte des ouvriers.

Testament

498Le mercredy XII^e septembre 1612, ma femme feit son testament et ordonnance de dernière volonté par devant et signé Jehan Taillet et Brisset, notaires royaulx, demourans à Reims ; lequel Taillet a le regrès et mynutte pour y avoir recour quand besoing sera.

Vignes seichées

499Sur la fin du moys de septembre, après avoir faict le temps de chaleur et beau et sec temps cy dessus, feit troys à quatre jours de grandes et continuelles pluyes avec quelques matynées froigdes et grans ventz, qui fut cause de faire seicher les feuilles de plusieurs vignes et principallement des bas lieux, quasy par tous terroirs, et sy le fruict n’estoit encor en maturité : pourquoy y eut grande perte, avec aulcunes qui estoient battues de gresle. Ce qui diminua beaulcoup l’attente et espérance d’avoir quantité et bonté de vin, ensemble diminution du pris des poinssons. La vendange dura jusques proche de la Toussaint, qui fut fort humide ; les vendangeresses, hostiers et chartiers fort chers, d’aultant que chascun voulloit vendanger partout, à cause d’icelle despouille ; et sy le vin fut petit en qualité, y avoit beaulcoup de grappes rendant peu de vin. Je recueilly environ XLIII poinssons de vin, avec grans fraiz. Dieu en soit loué ! Il y avoit beaulcoup de seigle germé à cause de l’humidité de la moisson, dont plusieurs furent germez sur le pied, estant encor debout.

Capuchins réinstalez

500Les Capuchins réinstalez à Reims au lieu et collège des Escrevez, et y commancèrent à faire le service le dymanche XXI^e octobre 1612.

L’evesque de Liège déterré, en l’église Nostre Dame

501En ce temps le corps de l’evesque de Liège, nommé Albert, fut descouvert, qui dès quatre cents dix neuf ans estoit inhumé en l’église Nostre Dame de Reims, en dessoubz de (p. 166) l’entrée et passage du pupistre, estant dans un cercueil ou bière de pierre rompue par le pied177. Et le sabmedy III^e novembre 1612, jour de sainct Hubert, au soir, fut avec ladite bière de pierre tiré de sa fosse, et le tout mis et encloz dans un coffre de boys bien ferré et fermé de serrures à clefz, et posé sur la dite fosse avec tréteaux couvert d’un drap de velour rouge, avec quatre cierges ardans en chacun coing. Et le landemain IV^e du dit moys, dymanche de la procession généralle qui fut faicte fort matin, seullement à l’entour du choeur et nef et deux foys autour du préhault, sans sortir d’icelle église à cause de l’injure du temps : fin de laquelle fut chanté solempnellement proche dudit corps, en mélodieux faux bourdons le psalme Laudate Dominum in sanctis ejus, et le reste ; puis le respond O Constantia martyrum, puis les Te Deum, les versets et orraisons ordinaires ; le tout démonstrant qu’on le tenoit pour sanctifié et canonisé, ce qui avoit esté amplement déclaré par Monsieur Parent, cathédral, en sa prédication qu’il avait faict auparavant ladite procession où estoit l’évesque de Sainct Brion178, faisant le ministère ; puis célébra fort honorablement avec grande solempnité la messe du sainct Esprit, suyvant la coustume d’icelle procession ; et fut tiré quelques pétars sur les rempars en signe de joye.

502Durant les louanges, fut transporté, mis et posé sur lesdits tréteaux au derier de l’aigle dudit choeur au lieu où on met la chappelle ardente pour les trespassez ; lesdits corps, bière et coffre de boys couvert d’un drap blanc, ledit drap de velours rouge au dessus, et dessus estoit posé savoir : au droict de sa teste un chappeau rouge de cardinal sur un cussain de satin rouge ; au long dudict drap l’une des petites croix de ladite église avec le baston ; au mittant estoit une petite mittre de taffetas blanc et au dessus de ses pieds une couronne sur un pareil cussin, et lesdits quatre cierges de cire blanche ardans aux quatre coings. Lequel, dès ce temps passé quatre cent dix neuf ans, avoit esté occis ou blecé à mort par ses hayneurs, au lieu où est encor posé une croix de pierre en laquelle est maintenant un croison de fer, appellée la Croix-l’Evesque, hors la ville de Reims, au droict de l’église et monastère de Sainct Pierre aux Nonnes ; puis enteré comme dessus. Tout ce faict se faisoit à la diligence et vouloir de l’archiduc, son altesse Albert d’Autriche, qui avoit pour son espouse l’infante d’Espaigne, seigneur des Pays-Bas179 ; par la personne de Monsieur Grammaye, doyen de Brucelle et chanoyne de Liège, son commis, ayant charge de faire transporter ledit corps audit Brucelle ; lequel commis garny de tout pouvoir mesme du roy de France. Ce pendant eu plusieurs oppositions non de Messieurs du chappittre de l’église Nostre Dame de Reims, d’aultant qu’ils estoient d’accords, mais de Messieurs les gens du roy de ceste ville de Reims et aultres, pourquoy convint retourner en court ; et toutes permissions confirmées et accordées, fut le dit corps (savoir qui n’estoit que ses os, le reste consumé en pouldre) tiré de ladite pierre et mis en un coffre de boys couvert, comme dessus, levé et porté, en forme de procession généralle dudict choeur au long de la nef et de la voysine du costé du trésor, sortant par le portail de laditte église, proche la chappelle du sainct Laict, au cloistre le jeudy XXII^e novembre 1612, jour de saincte Cécile, fin des vespres : avec son de grosses cloches et grandes cérémonies ; mais fort désordonnée et interrompue à cause des pluyes et injure du temps, lors fort incommode, avec l’oppression de grand nombre de personnes y estant. La ditte pierre ainsy rompue par le pied venant audit coeur, que plusieurs alloient baiser. Nonobstant, fut laditte procession et le dit corps ainsy porté par douze à quatorze religieulx mendians, continué jusques dans l’église Sainct André du Bourg de porte Serre où il fut posé et laissé la nuict suyvant. Et estant ainsy posé retourna ladite procession en ladite église Nostre Dame, reportant en forme de chasse quelque partye desdits os et relicques ; mais comme les choses ne tournent toujours à prouffict et contentement de chacun, advint que, laditte procession avec ledit corps sortant ainsy de la ditte ville et la grande affluence et oppression des dittes personnes le suyvant de près, passant sur le pont-levys de laditte porte attenant le corps de garde, poussèrent la garde qui est de planches de bout, à costier dudict pont-levys du costé de laditte ville, laquelle garde estoit ja invéterée et aulcunement corrompue, tomba dans le fossé avec plusieurs hommes, des quelz en fut plusieurs de blécez (p. 167).

503Quant à tout le faict, les uns le tenoient pour louable et pieux, et les aultres le tenoient pour supersticieux : comme souventes foys à telle chose les personnes sont de jugement contraire.

504Durant lequel chemin, en ladite procession, se chantoit, après le Veni Creator, le grand pseaulme Beati immaculati in via, savoir : chacun verset par deux chantres, sur le hault VIII^e ton, répettant fin de chacun par les chantres, en faubourdon ou contre-pointz de musicque, le premier verset de Beati immaculati in via ; lequel ne convenoit pas à tous, signamment aux pauvres porteurs des ordres mandians, ainsy chargez et oppressez, car ils estoient (comme plusieurs aultres) non immaculez, ains bien mouillez, crottez et embouez, un desquels y laissa sa pantouffle. Et sy furent comme les sonneurs mal payez de leurs travaux par la chicheté dudict commis. Le landemain fut ledict corps ou relicques par ledict sieur commis et son train mis en caroce, et mené et conduy où sa charge et commission le portoit. Dieu vueil que tout ce faict tourne en son honneur, gloire, et au salut et consolacion de tout le monde ! Les six chanoynes qui l’avoient conduy jusques audit lieu, revindrent fort contans avec chacun une belle chayne d’or et aultres bienfaictz, sans le gros donné pour le chappittre comme on disoit.

Temps et advents

505Le temps, depuis le commancement de la vendange jusques à ce faict, tousjours pluvieulx et humide. Le vin nouveau valloit XX à XXIV l. la queue, touschant ceulx de la Montaigne, et ceulx de la rivière de Marne plus chers ; mais ceulx de Beaulne fort chers, d’aultant qu’ils estoient bons. Les adventz preschez à Nostre Dame par un docteur séculier de Parys, petit homme et esloquent, nommé Monsieur [ ], qui fit tous les sermons des jours fériaulx sur ce texte : Omnes scitientes venite ad aquas : discourant bravement et morallement au grand contentement des auditeurs sur les sept sacrements de l’Eglise. Mais chose desplorable, avoit les jours ouvriers peu d’auditeurs, encor qu’il méritoit bien d’estre oy de grand nombre de personnes, comme il estoit seullement les jours de festes et dymanches.

1613

Réparation du portail de Nostre Dame de Reims

506Le second jour de l’an 1613, on commança à deffaire l’eschaffault qui avoit servy à la réparation du portail de Nostre Dame, estans les réparations faictes et receues et l’entrepreneur deschargé ; et ne perdit rien, et y eut prouffit encore que contre droict on le fit payer XXV l. pour la desmolition de l’eschaffault ; ce qu’il n’estoit tenu faire suyvant la considération de son marché.

Vents, pluyes et doulx temps, bon marché des herbages

507Les grandes pluyes et grans vents orrageulx continuans, de sorte que jusques à mye janvier 1613 ne fut troys jours suyvans sans pleuvoir et fit merveilleux orrages, nottamment le jour des Ynocens. Le jeudy X^e janvier après mydy, fut grandes impétuosités de pluyes et vents, et encore le sabmedy veille sainct Remy et sainct Hilaire, trois heures après mydy : auxquels jours fut faict grans dégats aux couvertures, tuyaulx de chemynées, vittres, plusieurs jeux de paulme, murailles, courtynes de ville et aultres bastymens en ceste ville de Reims fonduz, comme aussy hors ceste ville, et grand nombre d’arbres arrachez et abbatuz. En sorte qu’on ne veit de longtemps un yvert continuer aultant en pluyes, ventz et orrages. Nonobstant, ce temps de mye janvier estant fort doulx et chaulx, en sorte que les choux et herbages montoient en semence, les fleurs renouvellans, les arbres advançans, et les grans vents parfoys recommançans ; tellement que les choux, porreaux, oignons et aultres herbages estoient à fort bon marché, au mescontentement des jardiniers.

Prières en chacune église de Reims

508A cause duquel temps orrageux fut ordonné et faict prières publiques en chacune des églises de Reims, durant huit jours ; commancées le dymanche jour de sainct Remy et sainct Hilaire, en chacune une heure durant alternativement, et fin des vespres partout procession ; puis le dernier jour, dymanche feste de saint Sébastien, faict procession généralle. Durant la quelle sepmaine le temps se remit en bon poinct, faisant beau et doulx contre le naturel de l’hyver. Dieu veuille que le tout vienne à bien !

L’ange du petit clocher Nostre Dame descendu et remonté

509Et le landemain fut descendu l’ange du dessus du petit clocher de Nostre Dame pour le raccomoder, d’aultant qu’il estoit offencé et aulcunement desrompu des orrages et vents susdits ; puis relevé et remis en son lieu le III^e jour du moys de mars suyvant. Lequel ange estoit de matière d’arrain appelé chaudrelat, qui fut redoré, et contient six pieds et demy de roy haulteur où environ, et la croix six pieds dix poulces (p. 168).

Duelz à Parys

510En ce temps se feit plusieurs duelz à Parys et aultres choses prodigieuses causant présage de malheur. Dieu nous en préserve par sa grâce ! Amen.

Changement du nom de frère par les moynes, mandians et aultres

511Audit temps et auparavant commança à courrir un grand abus de présumption par les moynes des ordres mandians et aultres, qui délaissans la coustume de s’appeler ou faire appeler frères, à l’imitation des Jésuystes s’appelloient, qualifioient et se faisoient nommer pères : plustost par arrogance que par humilité et amour fraternelle ; mesprisant ainsy ceste belle qualité de frères, sy ancienne et de tout temps observée, mesme dès leur institution première. Comme en pareil les prebtres, quelques sages ou ignorants que ce fut, se nommoient tousjours maistres, laissant leur nom de messire, sy ancien.

Maladie et mort des chatz

512Durant cest hiver, courroit une maladie aux chatz, la plus grande partie devenant galleux, principallement en la teste et au col, de sorte que la pluspart en moururent hideusement. Chose desmontrant l’yver n’estre certain, menassant quelque aultre mal advenir. Dieu nous en préserve par sa grâce !

Brigues déplorables ; débats pour les élections

513Ceste année, le premier jour de caresme ne fut de longtemps si grand nombre de brigueurs pour l’élection des eschevyns, qu’il n’y en eut le dit jour au Temple et ailleur ; et furent les brigues plus fortes et desraisonnées que auparavant n’avoient esté, au grand regret des gens de bien et vrays cytoyens, ce qui estoit aussy chose desplorable. Et le mardy d’après le dymanche des Brandons, en l’assemblée des paroisses, au son des grosses cloches accoustumé, fut en l’église Sainct Jacques grand débat et contention entre les électeurs des hommes, pour l’élection et nomination d’un lieutenant180 et aultres, comme aussy (non si grande) fut en l’église Sainct Pierre le Vieil, au regret que dessuz.

Rentrée aux biens ecclésiastiques

514En ce temps régnoit encor chose desplorable, c’est que plusieurs estoient poursuyvis par Messieurs les ecclésiastiques et signamment par Messieurs du chappitre de Nostre Dame, ayant pouvoir par arretz de rentrer aux héritages provenans des églises, par cy devant venduz de quelque laps de temps que ce fut, nonobstant la grande joyssance qu’en eussent les détenteurs, ny les augmentations, améliorations et réparations y faictz. Estoient les détenteurs contrainctz de quitter les dits héritages, encor que soixante ans et plus ils eussent esté venduz, en leur remboursant seulement le pris premier et principal de la vendition, dont plusieurs estoient en grand esmoy. Pourquoy bienheureux qui n’a que faire à eulx pour le temporel ! Estant véritable le proverbe disant : Opes ecclesie, aquilarum plume.

Caresme

515Le caresme fut presché à Nostre Dame par le dit devant nommé sous quatorze ans, Monsieur Triplot, archidiacre de Laon, qui feit tous ses sermons sur le subject : Sanctus, sanctus, sanctus Dominus, Deus sabaoth ; démonstrant que Nostre Seigneur est nostre vray chef et capitaine et nous tous ses soldatz, que pour le suyvre convient tous vertueusement et patiemment souffrir et batailler pour lui jusques à la mort ; exortant avoir souvent mémoir d’icelle pour fuyr le vice et le péché ; en démonstrant et approuvant évidemment le grand Jugement Dernier, le malheur des dampnez, la récompense des vrais soldatz en paradis ; et sur la fin, la manière de faire une bonne et asseurée pénitence, pour y parvenir. Ne s’aydant que bien peu des évangilles de chacun jour, tellement que sur ce petit texte et subject feit tous ses sermons des plus belles matières qui se puissent oyr ; avec des très doctes, pieuses et admirables instructions et remonstrances haultes et nonobstant fort nayves, populaires et prouffitables ; au grand contentement d’un très grand nombre d’auditeurs y assistant chacun jour, jugeant qu’il n’en pouvoit avoir eu de meilleurs. Et s’y estoit tenu et réputté de très bonne vie. Dieu le vueil rénumérer !

Beau temps et gresle

516Tout ce temps fut fort beau et sec, mesme la saincte sepmaine, les festes de sepmaine, les festes de Pasques ensemble, durant la foire et longtemps après jusques au III^e may, qui feit une nuée de greslons gastant les vignes d’Ormes, Coulommes, Pargny, Joy et Villedommange, avec plusieurs terroirs de la Montaigne, où y eut grande perte, les gects n’ayant que troys poulces de longueur (p. 169).

Clinquantz deffenduz

517En ce temps les clinquantz, passemens d’or et d’argent et aultres choses furent estroictement deffenduz à porter, et fut l’édict publié au siège royal et présidial de Reims, le lundy VI^e may 1613, durant l’audience.

Chapelles ; confirmation

518Au dit temps on construisoit les chappelles de l’église Sainct Pierre le Vieil, pour l’eslargissement d’icelle, du costé de main gaulche à costier du grand portail. Les jeudy, vendredy et sabmedy devant la Trinité 1613, le sacrement de confirmation et aultres affaires fut administré en ceste ville par un naguères évesque, abbé d’Yvry, commis par Monsieur nostre archevesque ; et sy fict le dit jour le service, chantant fort honorablement et solempnellement la grande messe en l’église Nostre Dame.

Octaves de la feste Dieu preschées

519Ceste année, le jour de la feste Dieu écheut le VI^e juin, jour de sainct Claude, comme il estoit sous trente-six ans, l’année 1577. Les octaves de ceste feste Dieu furent preschées par ce très docte père Gonthier, sur seullement ces mots : Homo quidam fecit cenam et vocavit multos, sur lesquels feit très admirables sermons selon sa coustume : où prouva suffisamment et refusta toutes les calomnyes, mensonges et faulcetées de toutes les hérésies advancées par les héréticques et religionnaires de nostre temps, et signamment celles vomyes contre le sainct sacrement de l’aultel : au grand contentement du grand nombre de peuple y assistant.

Pluyes, nuages, greslons ; cheresse d’eschalatz

520Le moys de juin fut fort pluvyeu de nuages et greslons avec quelques froigdes matynées ; pour quoy on charioit malaisément dans les boys, qui fut cause que le boys de busches et fagotz estoit cher et principallement les eschalatz, lesquels on ne pouvoit cherrier ; qui fut cause que grande partye des vignes de ce pays demourèrent à ficher que bien tard, et en avoit-on grande nécessité dont plusieurs estoient en grand esmoy. Et tous moindres qu’ils estoient, on les vendoit XII l. le cent ; encore faict à faict qu’on les faisoit ; et n’en avoit pas qui voulloit. Pourquoy y eut grande perte aux vignes.

Nuées de greslons

521Et sy furent les vignes avec les bleds en ces quartiers fort greslées le dymanche VII^e juillet, où y eut encor grande perte. Et sy elles escoullèrent fort à cause de leur jaunissure provenant du temps ainsy pluvyeu, nébuleu et fort inconstant ; continuant lequel temps pluvyeu jusques enfin de juillet, en sorte qu’on ne pouvoit moissonner, ny returcer les vignes qui estoient pleynes d’herbes. Pourquoy on faisoit prières en toutes les églises de Reims, en chacune une heure alternative, comme cy devant.

Adjudication des ouvrages de la navigation au droit de la ville de Reims

522Et le lundy XXII^e juillet, jour de la Magdaleine, fut en l’hostel de ville, par Monsieur Descures et Monsieur de Lormes délivré ce qui est à faire touschant la navigation, depuis le molin de Huon entrant et passant dans la ville de Reims, et en sortant jusques au molin Bruslé, en la présence de Messieurs du conseil dudit Reims et plusieurs gens y assistant. Laquelle délivrance fut faicte à M^e Jehan David d’Orléans, adjudicataire et entrepreneur, selon la cédulle proclamatoire et devys de ce faict, moyennant la somme de LXXII M l. Et sy avoit esté peu auparavant délivré plusieurs aultres ouvrages, ponts et chaulcées, à faire en ces quartiers, pour l’usage et utilité de ce pays. Le tout selon la volonté du roy.

Crois posée au lieu desyné pour les Capuchins

523Le dymanche XVIII^e aoust 1613, du matin, fut faict procession généralle, non du tour ordinaire seullement ; sortant de l’église Nostre Dame, et précédent le clergé estoit porté de plat par grand nombre d’hommes laiz, une grande et grosse croix peinte d’environ XXV pieds de longueur, laquelle auparavant estoit mise et posé sur deux tréteaux au chœur d’icelle église ; laquelle procession continuant, passant dans l’église des Frères Prescheurs, puis venant au devant de la porte du jardin du grand Jart, fut laditte grande croix plantée debout et posée avec grande solempnité sur la rue attenant la ditte porte, en signal que dans ledit jardin estoit desyné place pour y loger les Capuchins, à l’advenir, après l’église et bastymens faicts (p. 170) selon leur commodité et nécessité. Ce faict laditte procession continuant retourna en la dite église Nostre Dame par la porte Sainct Denys ; et rentrée, fut chantée et célébrée solempnellement la messe du Sainct Esprit comme de coustume. Mais pour décoration de laquelle procession plusieurs des deux rues du Jard tapissèrent tellement et selon leur moyen ; et aulcuns voulant aorner de quelque chappeau de fleurs la croix du Jard appellée la croix Godart, dressant eschelle pour y monter un garçon, firent rompre et tomber tout le croison d’icelle croix, au regret de plusieurs. Nulle commodité sans incommodité. Dieu veuille que le tout tourne à sa gloire et à nostre salut ! Amen.

Monsieur de Nevers

524Le dymanche XXII^e septembre 1613, Monsieur de Nevers nostre gouverneur passa par ceste ville revenant de long pays s’en allant à Parys, et fut receu de bonne volonté et honnorable compaignie, auquel pays eu quelque contention.

Vignes seichées, course de vers, petite naissance aux vignes de la rivière

525Après tout ce temps ainsy pluvyeu et nébuleu, le moys d’aoust passé d’assez bonne disposition, mais variable comme devant, advint que tous les troys sepmaines premières de septembre fut le temps fort sec, venteu, grand hasle et de grandes froigdures y gellant quasy tous les matins ; en sorte que les raisins ne murissoient que de force, grande partye des vignes bruslées, les feuilles et raisins seichessans ; de sorte que grande partye devenoit à rien, avec grande cource de vers qui les mangeoient, et principallement où elles estoient les plus belles, pour n’avoir esté greslées, comme à Janvry, Germigny, Viller-Allerant, Rilly, Chaigny, Ludes et aultres lieux ; et toutes celles returcées et rognées sur le tard devindrent seiches devant leur maturitée, et par la faulte des vignerons estants lontemps en moisson ; en sorte que il y eut une très grande perte. On ne veit jamais en la rivière de Marne aussy petit recueil à la Montaigne. A la sainct Remy les vaisseaulx ne valloient que XX à XXII sols pièce, et sy le marian avoit esté cher durant l’esté ; pourquoy les pauvres tonneliers furent arriérez. On fut occasionné de vendanger trop tost à cause des dittes despouilles et aussy craignant la pluye, d’aultant qu’il y avoit long temps qu’il faisoit beau. Et qui eut pensé la continuation du beau temps, on eut tardé de huit jours touschant les haults lieux ; et ceulx qui tardèrent eurent du bon vin, et fut la vendange achevée à la sainct Denys par beau et chault temps. Ce nonobstant y eut ceste année grande partye des vins verts, et sy plusieurs en eurent peu ; des quels je fus du nombre et ne recueillys que XXVI poinssons de vin. Dieu en soit loué ! Le vin nouveau valloit après la vendange, pour les bons LX l. la queue, et le moyen XL, et le commun XXX l. Le seigle XL sols le septier, le froment LX s. et l’avoine XXII.

Enchère des fermes

526En ce temps les fermes des XX^e et IV^e estoient rudement payées, d’aultant que les fermiers l’avoient extraordinairement monté et délivré à hault pris, à l’envye l’un de l’aultre. Pourquoi le menu peuple estoit en esmoy, à cause que la pluspart des taverniers avoient abbatuz le bouchon, ne pouvant chevir, les dits fermiers tenans ainsy rigueur.

Son des prières institué et fondé

527En ce temps, au moys d’octobre 1613, fut commancé et fondé par deux chanoynes de Reims le son des prières au matin, à midy et au soir, par le tintement de neuf coups de la grosse cloche appellée Richarde, de l’église Nostre Dame, incitant le peuple à prier Dieu comme se faict en plusieurs église conventuelles, de tout temps, Dieu en soit loué !

Décedz de Hugues Raulet

528Le sabmedy matin, II^e novembre, jour de la commémoration des Ames, décedda Hugues Raulet, nostre gendre, malade d’une débilité et abondance de flegmes ; receut tous ses sacremens avec bon sens ; entendement et parlant jusques au dernier souspire, qui faict croire qu’il est bien heureulx, avec la grâce de Dieu ; et est inhumé au grand cymetier de Sainct Jacques, à main droite du costier de l’entrée de la chapelle. Requiescat in pace ! Amen.

Aornemens donnés à l’église Nostre Dame

529Le landemain qui (p. 171) estoit le dymanche de la procession généralle, fut mis et paré le grand aultel de l’église Nostre Dame des aornemens couleur de rouge donné avec les chappes, tunicques, chasuble et relicquair par l’archiduc, en faveur de sainct Albert, cy devant mentionné, et apporté par Monsieur l’esvesque [ ]. Dieu lui vueil rénumérer !

Adventz

530L’advent fut presché par Monsieur Gomont, curé de Sainct Estienne de Reims, sur le XII^e chappittre de l’Apocalypse, commençant sur la veue du VII^e ange donnant de la trompette et jusques à l’enfantement de la femme qui enfante un fils masle. Sur quoy feit très doctes sermons fort moraux et populaires : ce nonobstant avoit peu d’auditeurs, au grand regret des gens de bien. Au temps de l’advent 1613, fut donné arrest de nos seigneurs du grand conseil privé en faveur des fermiers, portant permission à chacun de fréquenter les tavernes, voir festes et dymanches, saulf seullement durant le service divin, au regret de plusieurs.

Le livre des évangiles donné à l’église Sainct Jacques

531Et en la messe à mynuict suyvant, fut en l’église Sainct Jacques porté la première foys le livre des évangilles couvert d’argent doré et de velours rouge, sur l’aigle, et y chanté l’évangille de la ditte messe, ensemble le parrage, et depuis en continuant. Le dit livre faict faire et donné par le dit Coquillart des deniers du dit feu Françoys Le Gay. Dieu lui vueil rénumérer !

1614

Bonne foire

532On n’a veu de longtemps foire aux vingtz jours aussi bonne et affluentes que celle de ceste année 1614, tant en lart, porcz gras, que grande quantité de vins, à cause de la rigueur des fermiers devant mentionné ; ce que chacun admiroit.

Indulgence plenyère

533Les dymanche, lundy et mardy gras IX^e, X^e, XI^e febvrier 1614, fut la première foys célébré les pardons et indulgence plényère en la chappelle des jésuystes de ceste ville ; ce qui fut solempnisé avec grande dévotion et affluence du peuple.

Bruict de guère

534Sur le commancement du caresme fut un doubte de guerre, sur quelque disputte de Monsieur de Nevers et aultres contre ceulx de la citadelle de Maizières : pourquoy le canon fut mené au devant d’icelle citadelle ; mais le tout appaisé, comme sembloit.

Visitation des églises ; nouveaux brevyaires

535Et le jeudy XX^e febvrier suyvant, Monsieur Aubert, archidiacre, et Monsieur Le Beg, pénitencier, faisans leurs visitations par les églises de Reims, firent sur les troys heures après mydy visitation en l’église Sainct Jacques ; ce qui fut faict avec bel ordre et solempnité ordinaire. En ce temps se faisoient à Reims brévyaires nouveaux, lesquels on imprimoit avec réformation et de quelque nonsemblance aux anciens, et pour le deffault aussy d’iceulx anciens, le nombre en estant failly.

Continuation de la doubte de guère

536Continuant la doubte de guère tout le temps de caresme et encore depuis, le sieur de Nevers s’estoit emparé de la ville et citadelle de Maizières, et sy grande partye des princes de France estoient joinctz avec luy, faisant partye ensemble et retirez de la court, comme indignez et malcontans181 ; lesquels par Monsieur le prince de Condé firent leurs lettres à la royne, mère du roy et régente, l’advertissant de leur mescontantement et prétentions, demandans entre aultres choses les estats estre tenuz. Sur laquelle lettre la royne leur feit une signalée, sage et ample response, selon que le tout en est imprimé. Et ne sachant le peuple à quoy tout cela tendoit, synon que présage de contention entre eulx ; encore que plusieurs estymoient que ce n’estoient que feintise pour parvenir à aultre but et entreprise. Pourquoy sur laquelle doubte, on ne laissoit ès ville de ces quartiers et principallement en ceste ville de Reims de faire bonne et exacte garde, tant de nuict que de jour, voir aultant que sy l’ennemy estoit aux portes. (Que Dieu ne veuil !) Joinct que se tenoit gens de guère tant d’une part que d’aultre, menassant quelque révoltement. Dieu veuil donner sa paix à tous et le tout réunir ! Amen. Cause pourquoy ne fut de la mémoire des hommes une sy moindre foire de coulture que celle de ce temps.

Long et continuel yver

537Il y a longtemps qu’on n’avoit veu un sy long yvert que le présent, continuant tousjours en gellée et en neige, depuis la veille sainct Martin et jusques passé tout le moys de mars 1614, tellement que plusieurs estoient en esmoy et signamment les mal provus de boys qui fut fort cher. Et le peuple oppressé et travaillé en ladite garde ainsy nuict et jour, et pour obvier aux guernisons.

Caresme

538Le caresme fut presché à Nostre Dame par un très docte et très admirable jésusyt, nommé le P. Jacquynot pourquoy suys contrainct de dire qu’il est un des meilleurs et des plus excellens des préceddens, sans diminution de leurs excelences : qui est chose miraculeuse d’un homme d’un tel sçavoir ; au grand contentement du grand nombre d’auditeurs qu’il avoit tous les jours. Dieu en soit loué !

539Le bled valloit XLV sols le septier, le froment IV l., l’avoine XXX s. et le vin commun XL l. (p. 172).

Prise de Soissons

540Les dits princes ensemble s’emparèrent de la ville de Soissons, où se retirent avec grand nombre de gens d’armes tant dedans que dehors, soubz prétexte de quelque conférence, comme on tenoit, et parce que la gensdarmerye eslevée par eulx gastoit merveilleusement les villages où ils estoient ; mesme les habittans de Soissons n’estoient les maistres en leurs maisons.

Venue de Monsieur de Reims

541Advint à Reims Monsieur le barron du Tour182, soy disant ayant charge du roy et de la royne, sa mère, du gouvernement de ceste ville et aultres lieux, ce qui fut différé attendant le sceu de la volonté du roy et de le royne, sur le faict prudemment y envoyé par Messieurs du conseil de la ditte ville, et joinct l’opposition et bon vouloir de Mgr l’archevesque de Reims. Tant pour ce, que pour aultre chose à nous incongnue, le dit sieur s’achemyna à Reims et y entra avec bon recueil, le dymanche fin des vespres XX^e apvril 1614. Et fut de pouvoir donné au barron du Tour, rendu nul. Lequel archevesque se partir de Reims le mercredy veille de l’Ascention, VII^e may, et retourna en poste à Parys.

Commissaires pour l’accord de Saincte Menehoul

542Et le landemain de l’Ascention, vendredy, arrivèrent en ceste ville de Reims Messieurs les commissaires depputtez pour l’accord d’entre le roy, la régente et les princes ; les commissaires garniz d’or et d’argent pour en faire distribution aux dits princes, suyvant le dit accord, et leur faire signer ; pourquoy se transportèrent de Reims à Chaalons et Saincte Menehoul, où estoit Monsieur le prince de Condé et aultres183. Dieu veuille que le tout puisse terminer à son honneur et gloire, et au repos du royaulme de France !

543Les dits troubles furent assopis, de la grâce de Dieu et de la diligence et prudence des dits sieurs commissaires. Dieu en soit loué !

Continuation du grand et long yver

544Ce pendant la grande froydure de gellée et neige continuoit, en sorte que les vignes ne poussoient non plus qu’au cœur d’yvert ; et sy les bleds sur terre demouroient tout court. Ce qui mettoit le peuple en esmoy et faisant enchérir le grain.

Changement des cappitaines des harquebuziers

545Le vendredy de relevé XVI^e may 1614, fut au jardin des harquebuziers nommés et esleus pour cappitaine en chef, Nicaise Serval, qui n’estoit que lieutenant, Ouldart Bachellier pour lieutenant, qui n’estoit qu’enseigne ; et Jehan Frizon pour cappitaine enseigne. Lequel changement fut à cause de l’extrême maladie advenue à Gérard Frizon, son père, lors cappitaine en chef, fort pleinct du peuple ; où il perdit premièrement une jambe par un catère quelque temps auparavant, et portoit une jambe de boys ; et puis le dit catère continuant, fut perclus de l’aultre jambe et tout le corps fut débilité. Dieu le veuille assister et tous aultres affligez ! Lequel cappitaine Frizon morut et fut enterré en l’église Sainct Pierre le Vieil le jeudy XXII^e may 1614. Dieu veuille avoir son âme !

546Grande course de verruelle régnoit lors aux petitz enffantz.

Octaves

547Les octaves du Sainct Sacrement furent preschées par un très docte capuchin, nommé le père Juvénal, faisant ses sermons par problesmes tirez de Sanson, sur la réelle présence ; ensemble l’adoration et révérence que debvons au Sainct Sacrement de l’aultel, et de la diligence que debvons faire et apporter en le recepvant. Le tout plein de belles et louables instructions, au contentement du peuple y assistant en bon nombre.

Procession du Recteur advancée

548Le dymanche suyvant, les octaves de la feste Dieu, VIII^e juin, jour de sainct Médart 1614, Monsieur le recteur, qui estoit Monsieur Nicolas Thullier, fict et advança sa procession en l’église Sainct Jacques ; et la prédication faicte en la Croix de la Coulture par Monsieur Palmurot, curé de Dormans, sur le verset de l’évangille du jour : Hic peccatores recepit, où feit fort belles remonstrances ; et fut aussy advancé à cause que le dit recteur fut receu docteur au dit temps, où la veille d’icelle procession.

Mort de Monsieur le chevalyer de Guise ; venue de Monsieur de Nevers ; les estats

549Et le X^e jour du dit moys de juin, fut, en l’église Nostre Dame, sonné la beemort et laisse des grosses cloches pour le déceds de feu Monsieur le chevalyer de Guise, naguères mort et tué avec plusieurs aultres, tant tuez que blécez, d’une pièce de canon en faisant l’esprouve, effondrée à [ ] proche Brucelle184. Qui fut cause de grand deuil ; lequel chevalyer estoit proveu de l’abbaye de Sainct Nicaise de Reims. J’escryvois lors en malaise, à cause du catère qui m’estoit tombé le jeudy devant la Pentecostes ; lequel m’aténua grandement. Dieu en soit loué ! Le sabmedy 21 juin 1614, Monsieur de Nevers vint à Reims, en triumphe accoustumé. Sur la fin du moys de juillet 1614, les estats furent publiés tenir à Sens en Bourgogne, et fut nommé gens en ceste ville pour y comparoir.

Joyau des arquebuziers

550Le lundy XI^e aoust 1614, au jardin des arquebuziers de Reims, fut tiré un joyau de cent escuz en vaisselle d’argent, par soixante chevalliers du dit jardin, en cinq bandes de troys allées et troys planches ; où Jehan Nureau, le jeune, gaigna les deux plus signalez pièces des première et seconde planches, qui estoient deux belles aiguières d’argent : et sy eurent, tant luy que ceulx de sa bande, plusieurs aultres pièces, dont en receurent joye et contentement.

Bastyment des Capuchins

551En ce temps on bastissoit l’église et maison des Capuchins, au dit lieu du grand jardin du Jard. Mais les ouvriers ne s’en louoient et avoient peu de contentement, n’y prenant grand plaisir.

Veruelle

552La maladie de véruelle continuant fort rigoureusement et extraordinaire fut cause de la mort de grande partye des enffants, tant grans que petits, chose desplorable (p. 173).

Aornement verd

553Le dymanche XXVI^e septembre 1614, fut le grand aultel de l’église Nostre Dame pour la première foys paré et aorné des paremens de velour et taffetas verd donné par Monsieur l’archidiacre Aulbert, esquels partout sont ses armoiries.

Monnoye haulsée

554En ce temps l’or et l’argent monnoyez montoient en pris, tellement que le premier jour d’octobre suyvant, les escuz d’or eurent cour à IV l. pièces, et le reste à l’équipolent.

Vendange tardyve

555La vendange fort tardyve en ces quartiers, et sy fut fort humide et pluvyeuse durant jusques proche le I^er novembre, tellement que le vin, pour la Montaigne, fut d’assez petite qualité et quantité, du moins pour aulcuns. De sorte que ne recueillys qu’environ XXV poinssons de vin, encor avec grans fraiz ; aulcuns en recueillirent bonne quantité. Dieu en soit loué ! Ne valloit la queue de vin que depuis XXX l. jusques à XL, et les plus excellens LXV l.

Les estats

556Les estats se tenoient à Parys, en ce temps de fin d’octobre et novembre 1614185.

Fondation à Sainct Jacques par vefve Noblet

557Le dymanche premier des adventz de ceste année 1614, eschéant le jour de feste sainct André, fut la première foys solempnisé et célébré en l’église de Sainct Jacques le service solempnel de la dite feste sainct André, comme le jour de l’Ascention nostre Seigneur ; selon le désir et volonté de dame Magdaleine, vefve de André Noblet, suyvant la fondation qu’elle en a faict ou prétend faire pour tous, les jours de la dite feste sainct André, chacune année, le dernier de novembre. Pourquoy fut ainsy commencé le sabmedy et dymanche susdit, délaissant le service du dit dymanche premier des adventz, synon que mémoir ; ce qui ne pleut à chacun, diminuant ainsy le service du dit jour de dymanche qui est solempnel, pour la volonté particulière d’une seule femme. Vray est que le dit jour escheoit peu souvent pour tel changement. Dieu en soit loué !

Descryment populaire des monnoyes

558En ce temps faisoit grandes et continuelles pluyes et grandes difficultés de monnoyes, le peuple les voulant descryer sans aulcunes adresses, tellement qu’on estoit en grande peine quand il falloit payer, ou recepvoir quelque chose que ce fut.

Adventz

559Les adventz furent preschez à Nostre Dame par le très docte père Gonthier, jésuyst, par sermons très admirables, comme est sa coustume ; monstrant les mistères qui se trouvent au bénéfice de l’incarnation du Filz de Dieu, sur le subject de la salutation angélique, scavoir, l’Ave Maria. Le tout de grande édification au grand nombre d’auditeurs qu’il avoit chacun jour. Dieu le veuil rénumérer !

1615

Descryment des monnoyes

560La grande affliction et difficulté desdites monnoyes continuant, en sorte que le peuple ne savoit que faire ; seullement, fut, le mardy XVII^e febvrier 1615, à son de trompe publié de par le roy le descryment de touttes les monnoyes, excepté celles de France : l’escu soleil mis à LXXV sols et le ducat Henry à IV l. ; l’argent blanc monnoyé continué, et toutes aultres monnoyes d’aultre que de France portez au billon, mesme les ducatz à deux testes et philippes dalles quelques bonnes qu’elles fussent, couppez et mises audit billon. Ce qui causa grande perte, signament aux pauvres gens. Et y avoit changeurs en ceste ville en plusieurs endroitz ; mais fut forgé plusieurs quarts d’escuz pour satisfaire à faciliter les payemens au lieu des descryez monnoyes et soulagement du peuple : iceux quarts d’escu mis à XVI s. pièce, et sy on tenoit qu’il n’y avoit que pour X s. d’argent, ne paisant le pois des anciens. La plus grande perte fut aux liards de Nevers, Bouillon, Condé, Conty, qui estoient de fin cuyvre, appellez gros liars, qui avoient cours en grande affluence, ne voyant quasy aultre menue monnoye ; le peuple estimant en avoir perte à cause du haulsement journalier de la pluspart de toutes aultres pièces, furent aussy descryez et mis à X sols la livre, tellement qu’ils ne revenoient à guères plus d’un denier pièce. Qui fut le plus facheu et grand moleste.

Orgues de Sainct Jacques

561Tout ce temps et moys de febvrier, fit de grandes froigdures de gellée et grandes neiges ; et durant tout cest yvert jusques en fin du dit moys de febvrier. On raccomoda les orgues de Sainct Jacques et le petit jeu de corne pendant à la devanture. Ce qui couta au moins DCC l., au mescontentement de plusieurs paroissiens, à cause du peu de fond qu’il y avoit à la bource.

Envoye des billonneurs

562Les dits changeurs et billonneurs, envieulx l’un de l’aultre (p. 174), se faisoient faire deffense à son de trompe et par les carefours, en peyne de grosses amandes, de ne se plus entremettre de ce faict, et au peuple de n’y aller, de jour en aultre ; tantost ceulx de Porte Cère à ceulx du Mars, et puis ceulx du Mars à ceulx de Porte Cère tellement qu’il y avoit peu d’adresse, s’y faisant mocquer d’eulx, et le peuple en peyne comme devant. Enfin ceulx du Mars firent venir commissaire, sergens et trompettes de Chaalons, faisant (estans à cheval et cry publicque) réytératifve deffense à ceulx de Porte Cère ; et mesme informoient contre eulx des mésusances de leur prétendue charge, qui faisoit croire au peuple qu’il y avoit de l’abus et mauvais luchre.

Duel deffendu

563Le mardy-gras III^e mars 1615, deux jeunes gentils hommes des ceste ville ou voisins se poursuyvirent en duel et pour peu de choses ; et estant sortis hors la ville proche des monts d’Arènes, mesme mis les habillemens bas, prêtz à exécuter leur mauvais vouloir, furent empeschez par Monsieur le procureur du roy et aultres de sa suyte ; tellement que le tout fut appaisé, saulf l’intérest de Dieu et du roy.

564La grande froigdure continuant tellement qu’on ne pouvoit labourer.

Brigues fortes

565Le premier jour de caresme, IV^e mars, les brigues au Temple, pour l’eslection des eschevins, ne furent jamais sy fortes et grandes, et plus que devant ; en sorte que ce n’estoit pas faict à quatre heures après midy.

Fortune de feu en l’église Sainct Jacques

566La nuict d’entre le sabmedy et dymanche XV^e mars 1615, le feu print sur l’aultel de Nostre Dame, en l’église Sainct Jacques ; tellement qu’il brusla et consomma du tout la belle ymage de Notre Dame, revestue de trois robbes et aornées d’enrichissemens, comme est la coustume de l’Almareisse, selon la dévotion du sexte fémynin. Ensemble fut consommé la grande courtyne de toille blanche qui environnoit ceste ymage hors le service, et un peu de la nappe proche icelle aussy bruslée : sans pouvoir savoir d’où venoit la faulte, d’aultant que sa lumière ardante de nuict estoit posée comme de coustume arière du dit aultel et mise sur l’acoudoir de la clausure, qui est entre le dessoubz du crucifix et la cherze à prescher, qui ne pouvoit offencer en rien. Et sy a apparence que ce ne fut que depuis le mynuict, d’aultant qu’il y avoit le soir jusques bien tard, en la dite église, gens qui se confessoient. Tellement qu’il y eut perte d’environ cent livres, et estoit le second dymanche de caresme.

Pardons et indulgences

567Le jeudy suyvant, jour de sainct Joseph en la dicte église, fut pour la première foys solempnisé les pardons et indulgences de plenyère rémission obtenuz à Rome par le filz de Symon Tourmant, maistre charpentier, demourant à Reims, le dict fils jeune religieulx à Sainct Thierry, à tous ceulx de la confrérie et ceulx qui visiteront dévotement la dite église et chappelle de sainct Joseph es jours de la dite feste, aussy le premier jour de may, jour de Nativité Notre Dame, jour de sainct Symon et sainct Judes, jour de la feste de tous les Saincts ; et aultres charges mentionnés en la bulle par lui rapportée. Dieu en soit loué !

Enchère de harencz et de boeur

568Sur la fin du caresme on ne pouvoit trouver de harencz soretz, et le poisson fort cher et principallement le boeur, à cause que le bestial estoit mal noury : faulte que les pâties estoient faillies pour la longueur de l’yver ; en fut vendu XIV s. la livre.

Bénédiction de l’ymage Notre Dame

569La veille de Pasques XVIII^e apvril, après mydy, en l’église Sainct Jacques, fut faict bénédiction à l’ymage Notre Dame faicte de neuf, mis au lieu de l’ancienne cy devant fortuictement bruslé, et icelle nouvelle peinte, bénite par Monsieur le curé, son chappellain et aultres.

Caresme

570Les sermons du caresme preschez à Nostre Dame par le très docte et très eslocquent jésuyste le père Gontier ; sermons angéliques et merveilleux selon sa coustume, sur les évangilles aulcunement de chacun jour ; où il réfuta amplement et clairement sur chacun poinct et passaige de l’escriture saincte, tous les hérésies du très impudent Calvyn ; démonstrant par ses livres mesmes touttes ses faulcetés et meschantes oppinions aisées à juger : au grand contentement du grand nombre d’assistans qu’il y avoit journellement, et non au contentement des héréticques et libertins.

Beau temps, gellée

571Les vendredy sainct, sabmedy et jour de Pasques, le temps se mit en grande chaleur ; tellement que les vignez commancèrent à poulser et les boutons croistre, en sorte que l’on voyoit le raisin. Mais le landemain de Pasques, le temps se remit encore au froig ; tellement que le mardy suyvant feit une gellée blanche forte, de sorte que les bas lieux furent la pluspart perduz.

572Le jeudy XXIII^e apvril 1615, Monsieur Daniel Hotoman, prebstre, print possession de l’abbaye de Sainct Nicaise.

Décedz de Jehanne Pussot, vefve Raulet

573Environ le mynuict, devant le jour du mercredy de la foire de Coulture, pénultiesme apvril, décedda nostre fille Jehanne Pussot, vefve de Hugues Raulet, me délaissant quatre enffans ; laquelle morut malade de troys moys auparavant (p. 175) d’une fiebvre, catère et tous assiduelles : tellement qu’on estymoit avoir getté ses poumons par la bouche en forme de flegmes et ordures. Ayant bon sens, mémoir, ferme parolle, entendement jusques aux derniers soupirs. Et est enterrée au grand cymetier proche deffunct son marit. Dieu veuil avoir leurs ames ! Et le jeudy VII^e may suyvant, je pris la garde bourgeoise de ses quatre enffans.

Forte gellée

574La gellée continuant, spécialement reprise le II^e may et jusques au dymanche XVII^e may, qu’il gelloit à glace tous les jours : tellement que touttes les vignes des bas lieux et principallement celles de la rivière de Marne touttes perdues et noircies, et mesme en plusieurs haulz lieux et quasy en tous pays. Finallement le peuple se mettant en prières par touttes les églises alternatyvement une heure, le dit dymanche, le temps par la grâce de Dieu, se remit en bonne nature. Et y eut mesme quelques seigles gellés et le reste conservé contre tout jugement humain. Dieu en soit loué et bénict ! Amen. Et le chaulx temps continuant jusques au lendemain de Pentecostes, qui se remit en froigdure, de sorte que le jour sainct Barnabé il y eut encore quelques vignes gellées. Dieu veuille conserver le reste !

575Au moys de juin, les harquebuziers de ceste ville estans au joyau de Chasteau-Thierry, innopynément un jeune compaignon harquebuzier, nommé Guillaume Potze, fut tué d’un coup de harquebuse.

Grande seicheresse

576Les moys de juin et juillet fort secz et de grande chaleur en sorte que plusieurs verjus aux vignes furent cuitz et seichez ; tellement que de long temps n’y avoit eu telle seicheresse et mesme tout le moys d’aoust.

Feu extraordinaire

577Au commancement duquel le feu print au bas du bourg de Chastel en Portian, où grand nombre de maisons furent bruslées, mesme l’église et les cloches fondues. Et sur la fin du dit moys, quasy le reste des faulx bourgs encor bruslez, où y eut merveilleuse perte et dommage, et pareil en quelques villages, ne sachant au vray d’où pouvoit provenir ce faict.

Bonne garde ; Rouge ruelle

578En ce temps on estoit en armes, faisant bonne garde en touttes les villes, à cause de quelque révolte d’aucuns princes contre le roy, sur la difficulté de son mariage, comme on disoit. Dieu veuil le tout accorder ! Régnoit grande cource de rouge ruelle aux petitz enffans, dont en morut grand nombre.

Procession oultre l’ordinaire

579La première sepmaine de septembre, se faisoient prières en touttes les églises, alternativement en chacun une heure, comme devant ; et le dymanche VI^e septembre, fut faict une belle et extraordinaire procession générale, portant la plus grande partye des chasses et relicquaires et dignités des corps sainctz ; mesme descendu dès le vendredy précédent le corps Monsieur sainct Remy et aultres, le tout rentré en l’église Nostre Dame en bon ordre et revestuz d’aulbes ; où estoient les pellerins de Monsieur sainct Jacques et grand nombre de jeunes enffans des deux sextes, revestuz de blanc, qui la précédoient : où fut chanté honorablement la grande messe du jour de Toussainctz. Et tout le jour, mesme la veille, solempnisé de mesme et en toutes les églises de Reims, priant Dieu nous faire un accord ; car la gensdarmerye molestoit fort ce pays.

Continuation de chaleur et seicheresse ; bonne vendange

580Et sy la grande seicheresse se continuoit, ne pouvant avoir de pluye qu’il sembloit à tous estre très nécessaire. Dieu y veuil pourveoir ! Amen. Ce nonobstant (chose miraculeuse) c’est que encor que tout le moys de septembre fut fort beau, sec, faisant grande chaleur et touffeur, les raisins des vignes ne laissoient de bien meurir, avec bon accroissement. En sorte que toute la vendange fut achevée avant la sainct Remy, laquelle fut fort chaude et hastée, tellement qu’il n’y avoit esté veu du vivant des hommes de ce temps ; les raisins et grains d’iceulx aussi gros et meurs sans avoir d’eaue, seullement que de la froigdure et seicheresse, comme devant est dict. En sorte qu’il fut recueilly encor une foys aultant de vin que l’année passé, et fut fort excellent en bonté, et recueilly heureusement nonobstant les troubles. Pourquoy les poinssons neufz de XX s. la pièce vindrent à XL s.

Continuation des troubles186

581Le Prince de Condé et aultres se bandoient contre le roy, où ny avoit faulte de volleurs. Lesquels princes surprindrent par trahison et s’emparent de Chasteau-Thierry, d’Esparnay, Neufchastel, Soissons, qui tenoit pour eulx, et de plusieurs aultres petites villes et forts, faisans rages principallement en la Brye avec extorsion et volleryes desplorables. Le roy n’y donnant ordre, à cause qu’il estoit fort loing de nous pour le faict de son mariage, où il estoit avec ses forces et sa mère. Et avoit esté publié arrest contre lesdits princes et gens de leur suyte, à se retirer dedans un moys, à peine de tous édicts portez par icelluy : ce qu’aulcuns firent, touschant les petitz ; mais le prince de Condé, se disant roy de France, oultre ce que dessus, se faisoit payer les gabelles, tailles, subsides, imposts, péages et aultres, comme roy, où il avoit domination. Dont le peuple estoit en grand esmoy (p. 176).

Refuz de garnison à Reims

582Le lundy XXVI^e octobre 1615, le Neufchastel fut repris, à la diligence de Monsieur de La Viefville, soy disant gouverneur de Reims187 ; où fut mené deux pièces de canon du dit Reims et ramenèrent quelques prisonniers, signamment un nommé Servat qui se disoit gouverneur du dit lieu, mais capitaine des volleurs et recelleurs de leurs buttins ; où y eut grande perte pour les pauvres habittans. Et voyant le dit sieur de La Viefville qu’on ne vouloit audit Reims recepvoir ses compaignies de carabins et aultres pour garnison, s’en départit indigné et mal contant. Et fit ruyner et destruyre une grande partye des villages des environs de Reims, par vollerye, pillage, ransonnements et aultres grandes extortions ; et signamment le bourg d’Attigny et aultres, qui furent par luy grandement pillez usant de toutte cruaulté ; avec les volleurs d’Esparnay qui ne cessoient de voller ; tellement qu’on n’osoit sortir de la ville. Le sieur Desnoyers, lieutenant de Roberonet, d’Esparnay, en estant expulsé, se garnit de quelques XL à C hommes de cheval, pour mettre ordre aux volleurs estants logez à Sept-Saulx. La nuict du XXI^e novembre 1615, furent desconfiz et mis en routte par grand nombre de ceulx d’Esparnay.

583Le sieur Desnoyers eust sa resvange contre ceulx d’Esparnay.

584Peu devant le sieur barron du Tour s’estant présenté au dit Reims pour y gouverner, mais fut remercié des habittans ne voullant nullement de garnison.

Feuz de joye

585Le dymanche pénultiesme de novembre, fut chanté les Te Deum et faict les feuz de joye avecq les solempnités requises accoustumées, en action de grâces et réjoyssance de l’entrée en France de la royne de France, qui est l’infante d’Espagne conjoincte avecq le roy : pareillement de la conjonction de la fille de France au fils du roy d’Espagne188. Dieu en soit loué !

Adventz

586Les adventz furent preschez à Nostre Dame par Monsieur Gaulmont, curé de Saint Michel, homme docte, qui fit ses prédications sur les évangilles de chacun dymanche du dict temps. Mais avoit peu d’auditteurs, mesprisans la mignardise de son langaige, joinct qu’il y avoit un fort bon prédicateur en l’église de Sainct Pierre le Vieil, qui estoit le prieur des Augustins.

Troubles

587Les troubles continuans, eut grande extortion des gensdarmes et volleurs, ransonnement et desvoyes sur les pauvres villaigeois et gens frecquantans les champs.

1616

588L’yvert fut fort doulx, jusques au XIX^e janvier 1616 tombant grande quantité de neige, et une très forte gellée durant un moys.

Trève

589La trève fut publiée entre le roy et les princes le sadmedy XIII^e febvrier, pour jusques au premier jour de mars suyvant, et la gensdarmerye licenciée se retiroit chacun en son particulier, soubz l’espérance d’un bon accord189. Dieu veuille le tout paciffier !

Charesme

590Le charesme fut presché à Nostre Dame par le dessus dit Monsieur Gaulmont, curé de Sainct Estienne, qui avoit eu peu d’aulditteurs à cause de l’augustin qui preschoit à Sainct Pierre.

Gensdarmes

591Durant le temps, les volleurs, tant d’Esparnay que d’aultres, pilloient, ransonnoient plus que devant ; qui fut cause que la foire de Coulture fut de forte petite vallue.

592En ce temps, je fis faire le goulotz en la maison tenant en la Croix d’Or.

Gellée

593La gellée avoit gasté une grande partye du boys des vignes. Ce nonobstant, les vignes ne laissèrent de pousser et jecter grand nombre de raisins, monstrant selon la naissance avoir grande année de vin ; mesme le commancement du moys de may qui fut beau et chault. Mais le vent se tournant et venant du septentrion, les IX^e, X^e et XI^e jours du dict moys, fit grande froiydure et gellée, qui estoit les rogations ; de sorte que la pluspart des vignes, tant hault que bas, furent perdues et rendues seiches.

La paix

594Et le vendredy suyvant, landemain de l’Ascention, fut publiée la paix ou l’accord entre le roy et les princes. La publication faicte par Vuillot, greffier du siège, accompagné de bon nombre de sergents royaulx et six trompettes, tous à cheval, seullement le cheval du greffier ayant hausse.

Catharaques ostées

595Le jeudy veille de la Magadaleyne, les catharacques de mes yeux furent ravallées par un nommé Monsieur Gérard, lorain de nation, où, par la grâce de Dieu, je recouvray un peu de veue pour aulcunement me pouvoir conduyre. Dieu en soit loué !

596En ce temps, le dit prince de Condé fut pris prisonnier de par le roy, au grand regret des aultres princes, ses complices et adhérants (p. 177).

Décedz de ma femme

597Le lundy XIV^e novembre 1616, environ les dix heures du matin, décedda Marye Pinchart, ma femme ; ayant receu tous ses sacremens, et parlant jusques à la fin avec bon entendement, rendit l’esprit fort doulcement ; ayant esté longuement malade, dès le charesme précédant. Enterrée avec ses père et mère. Dieu veuille avoir son âme ! Amen.

L’entrée de Reims refusée à Madame de Nevers

598Au mesme temps estoit grand trouble en France à cause du révoltement des princes y continuant ; et, commandant pour le roy en ceste ville Monsieur le marquis de la Vielville, en ce temps et au mesme jour, refusa l’entrée à Madame de Nevers en ceste ville, la quelle luy demandoit seullement passage, toute enceinte comme elle estoit : et fut contraincte se réfugier aux bourgs de Porte Sère, en faisant plusieurs menaces ; qui estoit un sujet de trahizon, comme il s’est conjuré depuis en la personne de Monsieur de Nevers, son marit.

1617

Contract d’apprentissage

599Le XIV^e janvier 1617, il y a contract chez Pierre Gentil, par lequel appert que j’ay loué en apprantissage Claude Rollet, mon myneur, à Jehan Quillart, tanneur, pour troys ans, moyennant la somme de XXX livres pour lesditz troys ans : dont il a receu comptant de moy la somme de XV livres, et les aultres XV livres doibs donner au bout de l’an. Et au bout desditz troys ans me doibt rendre le contract que l’ay payé, avec quittance. Je luy ay payé les aultres XV livres le VIII Janvier 1618, par sa quittance fin du contract.

Obstination des princes

600Dès lors le dit sieur de Nevers, avec les aultres princes, se déclara contre le roy, sur quelque malfondé prétexte, et s’emparèrent de Laon, Soissons, Maisières, La Fère, Rethel, Chastel-en-Portian, et de plusieurs aultres villes et chasteaulx de ces quartiers, nonobstant plusieurs grâces et pardons que leur faisoit le roy, moyennant leur convertion et bonne submission ; comme porté est par plusieurs arretz renduz contre eulx : où ne voulurent entendre, eulx se fortifians de grand nombre de gens de guerre, tant Françoys qu’estrangers, pillant, ransonnant et usant de toutes cruaultez et dégatz. Pourquoy y fut de sa majesté commis la personne de Monsieur le duc de Guyse, avec plusieurs grans personnages, chefs de guère, et grosse armée garnye d’artillerye et munitions, qui assiégèrent le chastel de Richecourt et les desmolirent, puis assiégèrent ledit Chastel-en-Portian. Ce qui se faisoit environ la mye mars 1617.

Caresme

601Le caresme fut presché à Nostre Dame par ledict père Daniel, mynime ; ce très docte et très excellent prédicateur et des meilleurs de tous, comme est dit de luy, ayant presché auparavant savoir le caresme 1602, et sy avoit presché les adventz 1616 ; interprétant le Domine ne premier, faisant tous ses sermons merveilleux et très admirables au grand contentement de merveilleu nombre d’auditeurs chacun jour. Dieu le veuille assister !

Doulx yver et bon marché des herbaiges ; foire petite

602Ceste année, fut bonne quantité tant de bled que de vin, nonobstant la gellée susditte et contre l’oppinion de tous (s’il y eut eu bon règne), dont la ditte guère en dissipa beaulcoup. Ne fut point d’yver, et ne gellée que bien peu de petites gellées blanches, et le plus doulx yver qui s’est veu de nostre temps ; cause de bon marché de choulx, oignons, poreaux et aultres herbaiges et verdures, n’en ayant que de long temps veu aultant comme chose extraordinaire. Il ne fut faict foire de Coulture que comme un petit marché, sans loges que une petite aux joylliers, et n’y vint personne que un peu de Troyens.

Rethel rendu

603Puis, au moys d’apvril suyvant, fut assiégé, battue et rendue au roy la ville de Rethel : le tout avec composition comme ledit Chastel-en-Portian. Où convint audit sieur de Guise augmenter ses forces, tant d’hommes que d’artilleryes et munitions ; nonobstant ne peurent aller assiéger Maizières, à cause de l’injure du temps. D’aultant que tout ledit moys d’apvril ne feit que pleuvoir et en grande abondance ; tellement que toute laditte armée fut merveilleusement fatiguée, estant ordinairement les soldatz en l’eaue, boue et fange aux tranchées jusques à mye jambes, et mesme les chemyns de Rethel et Maizières tout inondez et pleins d’eaue. Pourquoy fut mis toutes les artilleryes ès magazins et serrez audit Rethel, attendant meilleur temps et seicheresse. Et s’en alla grande partye de laditte armée pour empescher les forces des reistres estrangers qui s’achemynoient et s’efforsoient d’entrer en France pour lesditz princes rebelles, du costé de la Lorayne et Verdun.

Soissons campé

604Et au mesme temps que l’on battoit ledit Rethel, on battoit aussy la ville de Soissons, et estoit assiégée et battue par Monsieur le conte d’Auverne et le marquis d’Ancre, contre lequel principallement estoit le prétexte des princes, avec le dessaing qu’ilz avaient contre Madame la royne, mère du roy ; dans lequel Soissons estoit ledit prince du Mayenne qui s’y deffendoit vivement et courageusement, s’obstinant plus que devant (Dieu le veuille bien inspirer et tous les autres rebelles), selon qu’il sembloit.

Mort du Maréchal d’Ancre

605Mais le tout fut incontinent (p. 178) changé. C’est que ledit marquis d’Ancre fut tué à Paris, et son corps piteusement traicté, comme estymé avoir esté cause de tout le trouble devant, et pour avoir grandement abusé et séduy sa majesté190. Laquelle donna paix et pardon à tous lesditz princes et leurs alliez, les réinstallant à leurs honneurs, biens, estatz, gouvernement, charges et commandemens, comme devant. Et fut despenduz les tableaux de plusieurs qui estoient penduz et les testes tranchées en effigie, en la potence du marché au bled, lesquels avoient esté condampnez du sieur de Comartin.

Testament

606Mon testament est faict cejourd’huy 26^e may, par devant Taillet et Brisset. Lequel Taillet a le regrès, duquel j’ay la grosse levé, pour me servir.

Octaves

607Les octaves du Sainct Sacrement furent preschées par ledit Monsieur Parent, qui fit merveilleuses prédications sur ce verset : Memoriam fecit mirabilium suorum, etc.

La femme du marquis d’Ancre exécutée

608Au moys de juillet 1617, fut exécutée et décapitée à Paris la femme du marquis d’Ancre, comme estant sorcière, et convaincue de grans maulx, comme on disoit ; puis son corps bruslé et les cendres gettez au vent191. Dieu veuille pourveoir à tout !

Chère vendange diminution des poinssons ; affluence de souris

609Et nonobstant touttes les ruynes de guère, le seigle ne valloit que XL sols le septier et le vin XX livres la queue. Il y avoit eu belle monstre et grande naissance aux vignes, mais par l’humidité et froigdure du moys d’apvril furent transis et eurent maulvaise nourriture ; de sorte que la fleur fut loingtaine, tardive ; et puis les moys de septembre et octobre fort pluvyeux, comme avoit esté le commancement de la moisson, en sorte que rien ne pouvoit meurir ; et ne fut point quasy d’aultres fruictz de quelques espèces que ce fut. Et dura la vendange jusques proche de la Toussainctz ; le temps si incommode, chéresse de vendangeresses, vivres et chartriers, tellement qu’on eut grande peyne d’icelle. Et les vins fort petitz, en assez bonne quantité. Les vaisseaulx et poinssons qu’on avoit auparavant estymez si chers, revindrent à bon marché, jusques à XXV sols pièce, où plusieurs tonnelliers furent trompez. Je n’en receuilly que XL poinssons, à cause que les haulx lieux avoient esté fort escoullez. La moisson pareillement fort fâcheuse, où estoient grande partye des bleds couchez et allictez par l’injure du temps ; pourquoy le bled, tant seigle que froment, ne furent si bons que les années précédentes et vint à enchérir, à cause aussy que en plusieurs lieux et pays furent les grains semez sur terre, fort mangez des souris qui régnoient en telle quantité et habondance que ne s’estoit veu des vivans ; chose prodigieuse, merveilleuse et inaudicte, comme pugnition extraordinaire. Et convint à plusieurs resemer sur le printemps. Dieu nous veuille présever de plus grans maulx ! Amen.

Les estats tenus à Rouen

610En ce temps les estatz se tenoient à Rouen192 où le roy se transporta. Dieu y veuille assister et le tout conduire !

Installation des Religieuses du Val des Escolliers

611Et le dymanche XIX^e novembre 1617, jour de saincte Elizabeth, les religieuses de Sainct Estienne les Soissons furent du tout installées au Val des Escolliers de Reims ; qui quelque peu de temps auparavant y estoient venues et en avoient permutté ou aultrement changez aux religieulx de Sainct Paul dudit Val des Escolliers ; ce que Messieurs les Jésuystz ne purent jamais faire, nonobstant leur grande affection, solicitude et prétentions. Et pourquoy Messieurs de Nostre Dame, fin des vespres, ce dit jour, y furent en honorable procession. Lesquelles religieuses estoient pour la pluspart bossues, boitteuses ou aultrement contrefaictes selon le corps, mais dévottes et droictes selon l’esprit. Dieu les veuille maintenir en dévotion et assister de sa sainte grâce !

Jubilé

612Le dymanche IV^e décembre, premier des adventz, fut à Reims célébré le grand et entier jubilé du sainct Père le pape Paul V^e, lequel fut solempnisé avec toutes les solempnités requises, et dura quinze jours de grande dévotion. Dieu en soit loué ! Amen.

Adventz

613Les advents furent preschez à Nostre Dame par ledit Monsieur Parent sur les épistres sainct Paul aux Romains : qui feit très doctes, belles et admirables prédications. Dieu en soit loué !

Accident merveilleux

614En ce temps feit un grand déluge de plusieurs estangs proche l’un de l’autre à Irson, estant celluy du dessus rompu et rompant de véhémence les aultres du dessoubz, causant telle inondation qu’il y eut grand nombre de personnes submergez et noyez, de tout sexe et aage, mesme plusieurs petitz enffans, et ruyne de plusieurs bastymens, et bien perduz, chose horrible et espouvantable. Dieu nous en veuille préserver et tous aultres !

Cheresse et bancqueroutiers

615En ce temps, l’on tenoit qu’il estoit paix par tout le monde, mesme aux infidelles en Turquie. Mais les vivres fort chers, pour le deffault de fruictz. Et ès gras jours suyvans plusieurs noxtables habittans de ceste ville firent bancqueroute et habandon, tant pour les fermes que aultres grosses debtes et mauvais mesnage, tant d’eulx, que pour avoir voulu monter leurs enffans et pourveoir trop grandement (p. 179).

1618

Incendie à Parys et à Boursau

616Le 1^er jour de mars 1618, la grande salle du palais de Parys fut bruslé et consommé par le feu, avec ses deppandances, comme papiers, marchandises, retraictes, mesme la pierre de marbre réduitte en esclatz, où y eut tant en bastyment que aultres choses grande et merveilleuse perte. Et sy au mesme [ ] le chasteau de Boursau fut aussy bruslé.

Caresme

617Le caresme fut presché à Nostre Dame par un docteur séculier le plus admirable des préceddens, nommé Monsieur François Garson. Et est impossible d’en trouver de plus profond et naïf en matière merveilleuse et très admirable, tant pour sa bonne vie que très saincte et angélicque doctrine, sans mespris des devantiers : et vuida fort proprement et ententivement les plus haultes matières de toute la saincte théologie, au grand applaudissement d’un merveilleu peuple qui jornellement y assistoit.

Décedz de Madame de Nevers

618En ce temps, mourut à Paris Madame de Nevers et fut son service faict à Reims en l’église de Nostre Dame aux despens de la ville, savoir : les vigilles le dymanche premier apvril, jour de la Passion, et le landemain les messes. Le tout célébré avec telle magnificence que pour un roy. Dieu luy face miséricorde ! Amen.

Foire sans prouffict

619La foire de la Coulture fut de peu de prouffict, signament pour les vendeurs, contre ce qu’on estymoit peu auparavant ; mais pour ce que le vin estoit en mespris et de peu d’estyme, avec le temps d’icelle fort pluvyeu, froigdure, greslons, neiges et injure de temps ; causant grande incommodité, et plusieurs condampnez aux despens et grand renvoye de marchandises.

Concille des Carmes ; attruchement du provincial

620Le concille provincial des Carmes tenu à Reims et commancé le dymanche Cantate, XIII^e may 1618, et fut tenu et célébré avec bel ordre. Où les deux dymanches préceddens, preschèrent aux paroisses plusieurs doctes religieulx dudit ordre ; entre aultres, à Nostre Dame, le docte, devant nommé, Anastase, provincial, qui avoit presché les adventz de l’année 1589 et le caresme suyvant 1590 ; et sy avoit presché ledit dymanche de Misericordia dernier, qui feit un très docte sermon, au contentement d’un grand nombre d’auditeurs. Pourquoy le dymanche suyvant, savoir Dominica Jubilate, VI^e du dit moys, preschant en la présence d’une merveilleuse assemblée et compaignie comme devant, et luy fourny d’une très belle et docte matière et remonstrance, environ le tiers de son sermon, s’attrucha et s’oublia d’une telle sorte que ne sceut plus que dire : et demoura tellement confuz, encor qu’il s’inclina par troys ou quatre foys en la cherze, pensant recouvrer sa mémoir, et soy relevant aultant de foys pour rentrer en discour ; ce nonobstant ne peult aultre chose dire que de prier l’assistance de le vouloir excuser et avec grand regret supporter cette infirmité ; protestant qu’elle ne luy avoit jamais advenue, encore qu’il y eut environ quarante ans qu’il exersoit la prédication. Et avec un merveilleu desplaisir se tourna vers l’ymage du crucifix, priant Dieu luy vouloir pardonner ; et ses grans regretz et lamentations desplorables, tant envers Dieu que envers le peuple, finies, descendit de la dicte cherze chargé de grandes angoisses. Dieu le veuille assister et fortifier son esprit et sens spirituelz ! Amen.

Enchère des grains ; esmotion populaire

621Le printemps fut fort froigd et humide, spéciallement le moys d’apvril et jusques passé mye may, où feit gellée, neige, greslons et froigde pluye, de sorte que les biens de dessus terre eurent fort à souffrir. Pourquoy les grains enchérirent, et fut le seigle monté jusques environ C solz le septier, et principallement à cause qu’il s’enlevoit par les forains, au mescontentement du menu peuple qui estoit en esmoy. Tellement que le 18 dudit moys de may, plusieurs pauvres mal advisez, sur (p. 180) le soir, continuant de nuict, entrèrent furieusement au logis de [ ] Mymyn, au bourg Sainct Denys, proche la croix ; où firent grande extortion, tant à luy comme à sa sœur, soubz prétexte qu’il y avoit (disoient-ilz) forains à qui ledit Mymyn avoit vendu quantité de seigle et n’en vouloit vendre aux pauvres de la ville. Et y firent tel désordre que le pauvre Mymyn ne pensa mieulx mourir, soy recommandant à Dieu, pouvoit bien dire : Non timebis a timore nocturno. En quoy Messieurs du siège mirent la main, et furent pugnis en ce qu’il fut possible, dont un eut le fouet, les aultres fugitifz, les aultres bannys et en grande peine.

Bonne quantité de froment et mars

622Le commancement de la moisson fort pluvyeuse et humide, en sorte que les seigles, en plusieurs lieux, estoient ordes, pleins d’herbes, et furent partie germez. Mais y eut grande quantité de froment, orge, avoyne et aultres mars qui furent très bons et de telle quantité que ne s’est veu passé long temps. Ce nonobstant les vignes des haults lieux demouroient jaulnes et grande partie des sepeau secz, tirant à mourir, et en tel estat que de long temps on n’avoit veu les vignes si laides et deffaictes. Mais les bas lieux estoient belles, verdes et raisineuses, donnant encor espérance de quelque bonne vendange, moyennant la grâce de Dieu.

Mariage d’Elizabeth Raulet

623Nostre fille, Elisabeth Raulet, fut espousée en l’église Sainct Jacques, avec Jehan Quillart, le dymanche du matin XXVI^e aoust 1618.

L’entrée du filz de Monsieur de Nevers

624Le XII^e septembre 1618, le filz de Monsieur de Nevers, aagé d’environ [ ] ans193, proveu du gouvernement de Brye et Champaigne à la survivance de son père, feit son entrée en ceste ville de Reims, en grande triumphe, par la porte à Veesle : qui fut receu très grandement et honorablement aultant qu’il fut possible et comme le roy mesme, ainsy que sa majesté l’avoit mandé faire. Dieu les veuil assister et nous aussy ! De laquelle ville en sortit en coche, le vendredy suyvant, par la mesme porte. Dieu le veuil conduyre et croistre en bien vertueu ! Amen194.

Venue de Mr l’archevesque et son commis

625Le lundy jour de sainct Remy, chef d’octobre 1618, Monsieur de Sainct Denys, nostre archevesque, vint en ceste ville de Reims, qui emmena Monsieur Giffort195, évesque d’Archidal, pour suffragant à Reims, homme très docte, éloquent et d’othorité, pour gouverner l’église de Reims soubz ledict sieur archevesque. Lequel sieur évesque fit une très docte première prédication le dymanche suyvant, du matin, en l’église Nostre Dame, sur l’évangile du jour ; et administra les jours d’après le sacrement de confirmation : le tout au grand contentement du peuple. Dieu le veuil assister et luy faire la grâce de bien continuer et deument s’acquitter de sa charge, à son salut et de son trouppeau ! Amen.

Belle vendange

626La vendange fut fort belle, sans pluye, encore qu’elle fut tardive et dura jusques proche la Toussaintz. Les vins ne furent guère meilleurs que ceulx de l’année précédente, mais de plus belle couleur, à cause du beau temps du moys de septembre et octobre : la quantité un peu moindre que l’année passée ; qui furent peu requis, contre l’espoir de chacun qui les estymoit de bon pris auparavant la vendange. Et fut la recueille fort chère, tant en vendange que aultres fraiz. Touttes foys les tonnelliers furent encor trompez et frustrez de leur attente, lesquels estymoient les poinssons valoir davantage, et ne vallèrent que XXIV et XXV solz pièce, sur la fin, à cause qu’il y avoit quantité de crappes, mais peu grevées et peu rendans ; joinct qu’il y en avoit peu aux haulx lieux, à cause de laditte jaunissure et seicheresse des sépeaux tendant à mourir. Le seigle valloit IV l. le septier, à cause qu’il en fut peu recueilly ; le froment C solz ; l’orge L et l’avoine XXX, encor qu’il en fut beaulcoup recueilly, comme dit est.

Chappelle de Sainct Pierre bénite

627Le XIII^e de novembre suyvant, mardy, jour de sainct Brice, la chappelle neufve dessus nommé la chappelle de l’église Sainct Pierre le Vieil fut bénitte et l’autel consacré par ledit sieur suffragant, avec belle solempnité, cérémonies et dévotions requises et accoustumées.

Estoille à la grande queue

628Durant le moys de décembre suyvant, nuictamment estoit au ciel une comette que le peuple appelle estoille à la grande queue, fort lumineuse et quasy de mesme celle qui se monstroit environ le temps de la journée sainct Laurent et prinse de Sainct Quentin, long temps y a196. Dieu nous face la grâce de ne présager rien que de bon ! Amen.

Advent

629L’advent fut presché en l’église de Nostre Dame par un docteur de Parys, nommé Monsieur [ ], qui feit tous les sermons sur l’évangille que la Magdaleine alla trouver Nostre Seigneur au logis de Symon le pharisien, et triompha sur les troys parties de la pénitence ; homme très docte et de belle instruction. Dieu le veuil rénumérer (p. 180) !

Multiplication des Capuchins

630En ce temps, le nombre des Capuchins augmentoit fort et y avoit presse à s’en faire recepvoir, aussy bien ailleurs comme en ceste ville. Chose admirable, car estoient pour la plus part enffans de bonnes et grands maisons, et n’estoit pas receu qui voulloit, ou qu’avec grande peine et faveur. Dieu les veuil assister !

Augmentation du collège des Jésuystz

631Et pareillement augmentoit le collège des Jésuystz et s’engrandissoient en place et bastymentz, tellement que tant firent que malgré les paroissiens ils posseddèrent l’église, place et cymetier de Sainct Maurice, accomodant le tout avec leur maison. Et mesme bastyssoient grande place à Cormonstreuil, leur servant de réceptacle et déambulatoir.

1619

Caresme

632Le caresme fut encor presché par le très docte et très admirable Monsieur Garson197, qui avoit jà presché le caresme précédent, lequel fit tous ses sermons sur tous les chappittres de l’apocalipse, les sermons les plus admirables qui ayent jamais esté faictz à Reims, de très haultes matières et merveilleuses instructions et de nayves interprétations, ne laissant rien à dire qui ne fut très doctement et entièrement vuidé en sy haultes matières, au grand contententement d’un merveilleux nombre de persones qui y assistoit tous les jours. Dieu le veuil rénumérer et assister !

Grand bruict de guerre ; moindre foire et pluye

633Au mesme temps estoit grand bruict de guerre, et faisoit le roy merveilleux amas de gensdarmes, sans encor pouvoir cognoistre la cause, synon que l’empire estoit vaccant. Et sy sa majesté estoit indigné à l’encontre du sieur d’Espernon et ses adhérans, qui détenoient la ville de Metz198, rebellant saditte majesté et aultres faictz par lui commis contre la volonté d’icelle. Le tout menassant grand trouble advenir. Dieu par sa grace y veuille pourveoir et y donner remède : car le pauvre peuple, et signamment les villageoys, estoit en souffrance de la tyrannie de plusieurs gensdarmeries. Pourquoy la foire de la Coulture fut de peu de vallue. Touttesfoys y avoit grande quantité de marchandises et grand nombre de vendeurs, mais quasy point d’acheteurs, tellement que la pluspart furent condampnez aux despens. Pour la pluye qui tomba le pénultième jour de may 1619 et nuict précédente, jour de feste Dieu, la procession accoustumé ne laissa d’estre faicte assez incommodément et sans chappes ; sans touttesfoys tomber eaue durant qu’elle fut hors de l’église et jusques qu’elle fut rentrée, grâces à Dieu.

Octaves

634Les octaves furent preschez par ledit Monsieur Parent, des cérémonies de la messe, pleines de belles doctrines, non toutesfoys si amplement dilattez, pour le peu de temps, comme avoit faict de longtemps deffunct Monsieur Morus, ayant plus de temps et de loisir pour ce faire.

Gellée et grosse nuée

635Les vignes qui avoient esté gellées d’yver, et sy le furent d’esté pour l’inconstance et froigdure du printemps, tellement qu’elles ne gettoient que de force, causant peu de naissance à la montaigne ; mais celles de la rivière de Marne estoient fort belles et de grande monstre. Le moys de may comme les précédentz, saulf le commencement, fut fort froigd, et jusques partie du commancement de juin, le temps se mettant en chaleur, causant le dymanche, durant les vespres, IX^e juin 1619, une grosse nuée de pluye, greslons et tonnerre ; telle que d’un merveilleux coup tomba contre la Porte aux Ferrons, sur la maison Nicolas Le Fricque, celle d’attenant et en plusieurs aultres lieux de Reims et ailleurs hors la ville, où fit plusieurs fractions et dégatz. Dieu nous en veuille préserver !

Décedz de Monsieur le Besgue

636Le mercredi XXVI^e de juin 1619, décéda Monsieur Jehan le Besgue, chanoine et pénitentier de l’église de Reims, docteur en théologie, chancellier de l’Université, possédant plusieurs et grand nombre de bénéfices, homme fort ancien et de grans moyens. Et fut enterré le landemain, fin des vespres, au cloistre Nostre Dame, conduy d’un grand et honnorable convoye, voire extraordinaire. Dieu veuil avoir son ame (p. 182) !

Le vin a mespris

637Il y avoit lors sur terre grande quantité de grains de toutte espèce, aultant que de long temps on avoit veu. Mais la moisson et recueil fort facheuse et pluvyeuse, saulf la première sepmaine des seigles, quelque peu de pluye au commencement ; tellement que ceulx qui se hastèrent eurent fort bon seigle. Car advint, au fort d’icelle moisson, le temps sy addonné en pluye continuant en grande affluence, que grande partie des seigles et commancement des froments furent grandement germez. Venant au fort des fromentz, le temps se mit en chaleur sur la mye aoust, sy grande que les vignes seichessoient tant en feuilles que les verjus qui se cuisoient aux sépeaulx, et principallement les oultremers et verjus des treilles, choses inaccoustumées. Et grand nombre de sépeaulx des vignes, signament ceulx qui avoient esté jaulnes de l’année passée, estoient encore jaulnes en ce temps ; en sorte que la pluspart moururent, demourant les places en savartz. Mais celles de la rivière de Marne se maintenant tousjours en bon estat, nonobstant ceste injure temporelle, causa bonne espérance d’une affluente vendange en ce lieu, comme il y avoit apparence. Et nonobstant tout ceste incommodité aux vignes de la Montaigne, les vins estoient à grand mespris et n’en tenoit-on grand conte, chose inaudicte.

Couleuvres aux feuilles des arbres. Verruelle

638En ce temps s’apparoissoit aux feuilles de plusieurs arbres, et signamment à celle des pommiers, plusieurs caractères et figures de couleuvres, lézards et crappaulx marquez en icelles, causant esmerveiller le peuple. Durant lequel temps, estoit grande cource de veruelle aux petitz enffans, et peu en estoient exempts.

Bisayeul. Baptesmes

639Le dimanche, du matin, premier jour de septembre 1619, je fus, par la grâce de Dieu, faict bisayeul ou tayon par le moyen de l’heureulx enfantement et accouchement de Elisabeth Raulet, femme de Jehan Quillart : laquelle enfanta une fille que tins sur les fontz avec ma fille Perette, femme de Nicolas de Laistre. Et luy donnasmes le nom de Perrette. Dieu en soit loué ! Amen. Et pareillement d’une aultre fille dont fut accouchée Nicolle Fouasse, femme de Jehan de Laistre, le mardy X^e dudit moys ; laquelle fut baptisée sur les fontz de Sainct Denys, et fut nommée par la vefve Henry Fouasse, mère d’icelle Nicolle, et par Mancorps, son gendre, Catherine. Et iterum, d’une autre fille, de laquelle fut accouchée Jehanne de Laistre, femme de Nicolas faciot. Laquelle fut baptisée aux mesmes fontz et nommée par moy et ma fille Perrette, Barbe ; baptisée par Monsieur Martinet, l’un des vicaires, pour absence de Monsieur le chappellein, le jour de saincte Barbe, IV^e décembre.

Contagion

640Le lundy IX^e septembre 1619, on commença à faire bonne garde aux portes de Reims, pour empescher d’y entrer ceulx qui venoient de Parys, à cause de la contagion dont elle estoit affligée, pareillement Amyens et aultres lieux. Dieu nous en veuille préserver ! Amen.

Enchérissement des fermes

641En ce temps, le peuple de ceste ville de Reims estoit en esmoy et grandement troublé pour la rigueur inauditte des fermiers, faisant monter les fermes à l’envye l’une de l’aultre à sy hault pris que chacun en estoit estonné. Pourquoy inventoient journellement inventions nouvelles causant extraordinaires rigueurs sur le peuple, affin de n’y perdre, ains y avoir grand prouffict ; dont plusieurs d’eulx en devindrent fort riches et oppulens, au grand regret et pleintes des habitans qui n’avoit accoustumé ceste inauditte rigueur. Dieu veuil le tout soulager ! Amen.

Petite vendange. Mespris du vin continué

642Et le temps inconstant continuant, encor que la vendange ne fut sy tardifve qu’on n’estymoit, sy est-ce qu’il n’y eut que bien peu de vin à la Montaigne et moins encor qu’on avoit espéré. Et sy fut petit en qualité ; à cause pourquoy n’estoit requis non plus que les vieulx, desquels on ne tenoit grand compte. Joinct que ceulx de la rivière de Marne estoient beaulcoup meilleurs et en merveilleuse quantité. Les poinssons à Reims ne valloient à la vendange que de XX à XXIV s. pièce. En tout, je ne recueilly que XVI poinssons de vin. Dieu en soit loué et bénit ! Amen.

643Peu auparavant la sainct Luc, Monsieur le suffragant revint à Reims, faisant grand debvoir.

Excellent joueur de picque

644En ce temps, estoit à Reims un brave jeune homme fort adroict à manier la picque, allebarde et aultres armes : qui en monstroit fort dextrement plusieurs jeunes homes et compagnons à les manier, moyennant chacun une pistolle par troys moys. Et y avoit grand nombre d’apprentifs qui s’y délectoient, la pluspart de bonne maisons et notables habittans : chose admirable ; d’aultant qu’il ne s’estoit de la vie des hommes veu un sy habille, subtil, agille et sy adroict joueur et manieur de telles armes. Ce qui s’exerçoit en la grand court de Sainct Denys, quelquefoys en la grange de la ville, et aultres lieux où bon leur sembloit. Où y avoit grand plaisir, comme à chose digne de veoir. Dieu les veuille tous assister (p. 183) !

Feu à Sainct Souplet ; curement de fossé

645Le soir du XXX^e d’octobre 1619, fut bruslé le corps de logis du chastel de Sainct Souplet, où y eut grande perte mobiliaire et en bastyment. En ce temps, on commençoit à curer les fossés d’entre porte à Veesle, tirant à porte Mars, par les manantz des villages de l’eelection de Reims.

Livre bruslé

646Et le sabmedy, IX^e novembre suyvant, au marché au bled, fut bruslé judiciairement, avec toutes les solempnités criminelles, un meschant livre imprymé de naguère et composé par quelques pernitieux incongnuz qui en semoient en plusieurs lieux, blasphémant contre la foy de l’église, à la perte des âmes, et tendant à l’athéisme : composé soubz le nom d’un pauvre simple homme nommé Frenot, inocent de ce détestable faict.

Orage et grand vent

647Le temps depuis la vendange fut fort beau et sec jusques à la fin de novembre, causant les eaues fort courtes, tellement qu’on ne pouvoit moudre qu’avec grande peine et difficulté. Mais sur la fin se mit en pluye avec grans ventz et impétueux, de sorte que le soir du XXVI^e novembre, le molin à vent du dessus le rempart fut desrompu, et principalement la vollée, où y eut grande perte.

Adventz

648En ce temps des adventz, preschoit à Nostre Dame, tous les jours, Monsieur le souffragant qui feit tous ou la pluspart de ses sermons très admirables, comme est sa coustume, et de merveilleux scavoir, sur le Domine né premier. Dieu le veuille assister à ce qu’il puisse le tout achever à son honneur et au salut du peuple de Reims ! Amen.

Exact descryment des monnoyes du Pays-Bas

649En ce temps, la monnoye de France estoit exactement à mespris et descryé au Pays-Bas ; en sorte qu’ils coupoient tous les quartz d’escuz et aultres pièces. Qui fut cause que réitératifve deffense fut faicte de leur monnoye ; mesme les doublons appellé pistolles doubles et simples d’Espaigne furent descryez à plus de leur taux, qui estoient tant cherres et requises plus que les escus sol. Ce qui fut descryé rigoreusement, et deffense d’en présenter, en peine d’une merveilleuse et grosse amende et confiscation des pièces, et aultres peines portez par l’ordonnance, causant peine au pauvre peuple.

Rigueur des fermiers

650Et sy les fermes furent tellement exercé à la rigueur qu’il falloit payer du tout les solz pour livre. Mesme les villageois qui avoient vendu leur vin à la foire des vingt jours furent contraincts payer ; pourquoy on les feit tous adjourner et convenir par devant Messieurs les eeleuz, un après aultres, de tous les villages de l’eelection de Reims : qui aymèrent mieulx payer que de soustenir un appel à la cour, craignans les fraiz. Ainsy faisoient les fermiers leur grand prouffict au contempnement de la saincte institution des foires, ny pouvant remédier d’aultant que grande partye des notables bourgeoys qui pouvoient aider et empescher ceste rigueur et corruption, estoient priviligez, ne s’en donnoient de peine, ne se souciant de la peine du publicq. Dieu y veuille remédier par sa grace !

Vins a mespris

651Et sy les vins estoient à mespris plus que devant, tellement que fus contrainct vendre ce que j’en avois des deux années précédentes, à XX deniers le pot ; d’aultant qu’il ne se pouvoit plus rencaver à prouffict. Je n’estois pas seul et y en avoit bien d’aultres que moy qui en estoient en peine. Dieu en soit loué et remercié ! Le seigle ne valloit que XXXV sols, le froment L et l’avoine XXV ; tellement qu’il faisoit bon vivre, mais n’y avoit grand gain pour les pauvres gens qui estoient la pluspart à rien faire, faulte de besongne et d’occupation.

1620

Sermons du Caresme

652Les sermons du caresme de ceste année furent preschez par ledit sieur souffragant, d’une merveilleuse doctrine et plus admirables que devant, et d’une profonde théologie, quasy comme chose inaudicte. Dieu le veuil assister !

Jubilé et grand pardon

653Le grand jubilé fut donné du sainct Père, pour prier Dieu pour la manutention de l’Eglise contre la force des hérétiques appelez Huguenotz, qui s’efforçoient de guérir contre icelle, et signamment aux Allemaignes199 ; et fut célébré en ceste ville, en grande dévotion, le dymanche de la Passion, V^e apvril 1620 (p. 184).

Réparation de nostre fosse

654Au commancement du moys de juin 1620, la fosse de nostre prine qui estoit fondue fut refaicte par Gibrian Caré, maistre masson, et estant curé jusques à l’eaue, fut rehaulsée de troys pieds haulteur en sa rotondité ; puis couverte d’une voulte ronde en forme de cul de chaudron : le tout de croyes. La clef et coronnement du dessus est au milieu d’entre le siège et l’estache de la gultière. Quand il la fauldra vuider, ne fault que lever le pavé et quelque pied et demy de terre en cest endroict, on trouvera la dicte clef et coronnement d’environ six croyes qu’il fault lever sans toucher aux aultres du dessoubz ; par où on la pourra facillement curer à l’advenir, sans faire tort à icelle fosse.

Octaves

655Les octaves du Sainct Sacrement furent preschez par un très docte jésuyst, qui feit très admirable démonstration de la vérité et réelle présence du corps de nostre Sauveur contenu audit sacrement de l’aultel ; sermons, dis-je, plus divins que humains, au grand contentement du grand nombre des assistans. Lequel se nommoit le père [ ]. Dieu le veuille assister !

Trouble

656Mais y avoit grand trouble en France, en ce que la pluspart de Messieurs les princes avec la royne, mère du roy, se retiroient de la court, faisoient grand amas de gens de guère et munitions contre icelluy, comme on disoit, soubz prétexte d’un mignon du roy nommé [ ] : quasy en sorte des derniers troubles par le marquis d’Ancre. Le tout causant moleste au peuple et causant faire bonne garde aux villes de ce quartier, et principalement en ceste ville de Reims ; entre aultres choses pour ce que le roy, environ mye juillet, avoit mandé, comme on disoit, qu’on ne laissat entrer Monsieur l’archevesque en ceste ville : ce qui tenoit le peuple en esmoy, ne sachant vrayment le subject de ceste menée. Dieu y veuil pourveoir ! Amen.

Pluyes

657Tout ce temps estoit fort humide et pleuvoit en grande affluence, tellement qu’on ne pouvoit moissonner.

Processions et prieres

658Fut institué par Monsieur le souffragant, durant quatre sepmaines, belles procession et prières aux quatre églises désignées par sepmaines, où le clergé et le peuple de chacune église, tant cannoniales, conventuelles que paroisses, faisoient processions et prières alternatives, savoir deux chacun jour. Et furent continuez depuis d’aultres quatre sepmaines, seullement changeant d’églises. Durant ceste continuation on bruyoit de paix. Dieu nous la donne par sa grâce !

Rigueur des fermiers

659Mais la rigueur des fermiers augmentoit plus que devant, et faisoient payer le solz pour livre entièrement, mesme de toutes les foires qui s’estoient passez des cinq années passez ; comme n’ayant force la saincteté de l’institution des foires qu’après les huict années du bail de Claude Aubert, fermier, passez, comme mentionné est en l’arrest qu’il a obtenu contre Messieurs de la ville de Reims. Ce qui causoit grand trouble et fascherie aux ayant cause, et causant grans malheurs et offences et merveilleux fraiz à laditte ville. Dieu y veuil remédier, à la consolation de son pauvre peuple ! Amen.

Dédicace de l’église des Capuchins

660Le mardy XVIII^e d’aoust 1620, fut dédié et consacré l’église des frères Capuchins par ledit sieur souffragant, avec très belles et très honorables cérémonies et dévotions populaires. Dieu en soit loué !

Louanges

661Le jeudy suyvant fut à Nostre Dame solempnellement chanté les Te Deum, remerciant Dieu pour la conservation du roy et victoire de ses ennemis à la deffaicte voulant passer au pont de Sé200 qui tenoit pour sa mère, comme on disoit, et refusant le passage à sa majesté, où il perdit du premier beaulcoup de gens, grans seigneurs et noblesse. Mais la continuation fut, par la grâce de Dieu, heureuse, deffeit grand nombre d’iceulx ennemis et les chefs prisonniers, pour en faire bonne justice exemplaire, comme le faict le requiert (p. 185).

Mort de Monsieur de Ronay

662Ce trouble estant aulcunement appaisé par la grâce de Dieu et grand espoir de paix, comme les gens de guerre commencoient à se retirer, advint le jeudy III^e septembre suyvant, que la compaignie de Monsieur le baron de Ronay et celle de Monsieur de la Neufville-aux-Boys, en contention sur la prévention du logement et quelque desdaing d’ailleur, aulcuns d’eux mutinez s’entrebatirent. En sorte que ledit de Ronay y fut tué à coups de picques, dont aulcuns furent emmenez prisonniers en ceste ville. Lequel barron estoit celluy qui avoit tué en duel Monsieur de Tincourt, cy devant le VI^e juillet 1594. Ceste mutinerie fut entre les villages de Thil et Pouillon, les Sainct Thierry au Mont d’Or. Voilà un eschantillon du reliqua de la guerre. Dieu nous en préserve par sa grâce ! Lesquels venoient de Cormicy qu’ils avoient forcez pour le refus de l’entré, où ils vescurent troys jours à leur discrétion (« ou sans discrétion » ajouté après coup par matière de plaisanterie), et y firent grand dommage.

Femme possédée

663En ce temps et d’assez long temps estoit en ceste ville une pauvre belle et jeune femme possédée du malin esprit, qui l’affligeoit journellement d’une merveilleuse, cruelle et estrange fasson. Laquelle estoit des environs de Chartres, et fut emmenée par son marit et son frère, homme d’église, qui en faisoient tout debvoir. Et après l’avoir menée en plusieurs villes, villages et lieux de dévotions, tendant à son éjection et délivrance, ne pouvant trouver personne pour l’entreprendre ; pourquoy l’emmenèrent à Reims, où elle fut pieusement reçue et exorcisée, avec les neuvaines ordinaires en plusieurs églises, par les vénérables, pieuses et discrettes personnes, ledit sieur souffragant, le sieur abbé de Sainct Nicaise, Monsieur Loiseau carme, et plusieurs aultres doctes et bons personnages, tant séculier que régulier, qui faisoient avec grans travaulx et haustérité debvoir de la délivrer et conjurer l’ennemy. Ce qui dura long temps, nonobstant le changement de lieux, continuation, augmentation et redoublement des prières, façons de faire et toutes choses nécessaires et ordinaires à telz affaires. Dieu les veuille tous assister ! Amen. Nonobstant ne fut délivré.

Meurtre déplorable

664Durant ce temps y eut un grand malheur ; c’est que le sabmedy XXVI^e de septembre, fut du matin trouvé sur les remparts un moyne de Sainct Nicaise, surnommé le Blanc, qui estoit mort cruellement tué, massacré et fort desplayé par tout le corps, mal vestu et sans avoir que bien peu de sang en la place ; ce qui faisoit présumer qu’il n’avoit esté tué en ce lieu. Plusieurs sortes de justiciers y mirent la main ; et fut inominieusement enterré, attendant plus ample cognoissance de ce forfaict. Dieu y veuille pourveoir !

Entrée de la Royne

665Le mardy VI^e octobre 1620, la royne de France venant de Nostre Dame de Lyesse, vint en ceste ville de Reims avec la sœur du roy ; lesquelles furent receues le plus honnorablement et magnificquement que faire se peult, veu le peu de loisir qu’on eut pour les préparations à ce nécessaires, et comme quasy son entrée célébré : conduys et assistées d’une merveilleuse et belle compaignie, entrant par Porte Mars et descendues en l’église Nostre Dame, où fut chanté les Te Deum, et d’illecq conduictes à Sainct Pierre aux Nonnes, avec toutes les cérémonies requises. Et en sortit le vendredy suyvant, heure de mydy, et conduicte à Fismes. Dieu la conserve par sa grâce !

Petite vendange

666Les vignes furent fort escoullées, et y avoit grande quantité de crappes, aultant que de longtemps on n’avoit veu, mais peu chargées de grains ; tellement qu’ils diminuèrent tous les jours. Puis vint grande chaleur, seicheresse et beau temps continuant jusques après la sainct Denys, tellement qu’il fut petite vendange ; fort belle pour la rivière de Marne, et la première sepmaine pour la Montaigne et ès environs de Reims. Mais la seconde sepmaine, le mardy jour de sainct Gérard, le temps se meit en pluye, et toute laditte sepmaine ; en sorte que le reste de la vendange fut fort pénible et de grans fraiz. Le vin médiocrement bon. Et n’en recueilly que XXXI poinssons. Le commun vallant XL livres la queue ; le bled seigle XXXVI sols le septier, le froment LX sols, l’avoine XXIII, et l’orge XXXII sols le septier.

Fondation de Jacques Leriche

667Le mercredy XXV^e novembre 1620, jour de feste saincte Catherine, du matin, fut la première foys en l’église Sainct Jacques, au grand autel, célébré et chanté solempnellement la messe en l’honneur de Dieu et en la mémoire de Madame saincte Catherine (p. 186), et icelle célébré comme les messes des bons jours ; de la fondation de Jehan Le Riche, libraire, comme on disoit, pour icelle entretenir tousjours, chacun jour de laditte feste. Dieu luy donne rémunération de sa grâce et face que laditte messe puisse ainsy continuer sans diminution de la célébrité de ceste première foys : le tout à son honneur, à sa gloire et au salut des paroissiens de la dite église ! Amen.

Sermons des adventz

668Les sermons des advents furent preschez à Nostre Dame par un très admirable docteur séculier, cathédral de Beauvais, nommé Monsieur [ ] qui feit tous ses sermons sur ce mot : Sic Deus dilexit mondum ; assisté et ouy chacun jour d’un très grand nombre d’auditeurs pour sa merveilleuse doctrine et bienséance. Toutesfoys fut du commancement assez mal receu de Messieurs du Chappittre, pour l’absence de Monsieur le souffragant qui l’avoit faict venir pour ce faire. Dieu le veuille bien conduire et assister ! Monsieur Desjardins, chanoine, le reçeut en son logis, après avoir esté quelques journées en lieu non convenable à telz personnages.

1621

Visitation de M. le souffragant en l’église Sainct Jacques

669Le jeudy XXI^e janvier 1621, jour de saincte Agnez, Monsieur le souffragant feit sa visitation en l’église Sainct Jacques et cymetiers d’icelle, avec touttes les solempnités requises ; mesme amplifié d’une belle instruction et remonstrance soubz le portail du chœur ; ensemble célébra la messe basse, puis administra le sacrement de confirmation à tous ceulx qui se présentèrent. Le tout faict et achevé fort honorablement. Puis s’en retourna disner en son logis, conduy et mené de son coche. Dieu le veuille assister ! Amen. Avoit faict deffence à tous les prestres de la paroisse et aultres survenans de célébrer la messe sur et en l’aultel sainct Claude de la dicte église, d’aultant qu’il n’y avoit nulles relicques et dignités que ce fuit soubz la table d’icelluy aultel, comme y doibt avoir. Pourquoy fut dès lors desnuez et délaissé, sans nappes et couvertures accoustumez, affin de ne contrevenir à sa deffence, jusques au sabmedy VI^e febvrier suyvant, que ledit sieur souffragant vint icelluy aultel renouveller de sainctes bénédictions et consécrations ; y apportant et apposant des sainctes relicques de plusieurs martirs soubz la table dudict aultel, avec les prières et cérémonies ordinaires et nécessaires à telz affaires, et faictes avec grandes révérances et dévotions, accompaigniés d’une belle remonstrance et doctrine sur ce faict, comme est sa coustume et prudence : tellement que ce faict le rendit, comme tous aultres ses oeupvres, digne de sa charge. Puis à l’instant y célébra audit aultel dévotement la messe basse en la mémoire de Monsieur sainct Claude, et après plusieurs aultres remonstrances s’en retourna en son logis. Dieu le veuille assister et rénumérer de sagesse et bénédiction ! Amen.

Grande froigdure après doulx temps

670En ce temps faisoit une grande et merveilleuse froigdure et gellée, en sorte que les artisans ne pouvoient besongner, encor que le mois de janvier passé eut esté fort doulx, pluvieulx et du tout humide.

Garde et doubte de guerre ; le conte Palatin

671On faisoit garde de nuict et de jour à cause de quelques rébelions faictes au roy par ceulx de la Rochelle et aultres huguenotz201, comme on disoit. Pourquoy on craignoit avoir la guerre, mais par la grâce de Dieu le tout fut passé et appaisé. En ce temps le conte Palatin qui s’efforçoit d’estre empereur, n’eut du meilleur, car son armée fut deffaicte et mise en routte par le sieur Dubucquoy et aultres, dont en risée en fut faict chanson202.

Caresme ; Octaves

672Les sermons de caresme furent preschez par le très docte curé de Sainct Jehan en Grève, qui avoit presché les adventz de l’année 1617 : qui feit fort beaux sermons et de belle doctrine. Dieu le veuil assister (p. 187) ! Les octaves du Sainct Sacrement de l’aultel furent preschez par un très docte capuchin, nommé le père [ ], gardien du couvent de [ ], qui feit tous ses sermons de la grande amour que Dieu nous porte en diverses sortes, de nous avoir donné ce divin sacrement. Le tout plein de merveilleuses et savantes instructions. Dieu le veuil assister !

Rébellion des huguenotz

673En ce temps la rébellion des huguenotz de la Rochelle, Sainct Jean d’Angely203 et aultres, fut plus grande que devant, nonobstant la conservation, grâce et permission de leur liberté continué par le roy : ne se voulant ranger à son obéissance. Pourquoy sa majesté feit camper ladite ville de Sainct Jean d’Angely et boucher celle de la Rochelle, et faict grande ordonnance et déclaration contre tous lesditz huguenotz, complices et adhérans, avec les peynes y contenues pour les contrevenans. Dieu veuil assister le roy et son bon conseil ! Amen.

Course de besches aux vignes

674Il estoit grande quantité des besches aux vignes, y faisant grand dommage ; en sorte qu’on fut contrainct faire commandement à tous villages de faire debvoir, en peine d’amande, à les esplucher les matins et soirs de quelques jours que ce fut. Et les gluys à les lyer coustoient VI sols la pièce ; d’aultant qu’il estoit peu de putit (sic), pour la longueur de l’yver qui dura jusques au moys de juin. Pourquoy on ne commança à lyer les vignes que proche la fin dudit moys, que la fleur commança à paroistre.

Décedz de Monsieur le cardinal de Guise, nostre archevesque

675Le dernier jour dudit moys de juin, une heure après mydy, fut sonné à Nostre Dame la beemort, et pareillement en touttes les aultres églises, pour le décès de Monsieur le cardinal de Guise, sieur de Sainct Denys, nostre archevesque, que Dieu absolve : décedda à Xaintes, au camp de Sainct Jehan d’Angely204.

La venue de son corps. Contention

676Le dimanche XVIII^e juillet, jour de sainct Arnould 1621, fut emmené le corps dudit sieur cardinal archevesque en ceste ville de Reims. Pour lequel recepvoir et aller au devant se préparent Messieurs du clerjé, tant des chappittres, convents, mendians, paroisses, mesme les Capuchins, Université et tous aultres corps dudit clerjé, avec bon nombre de bons citoyens. A laquelle préparation survint un débat et gargouille entre les sieurs du chappittre Nostre Dame et les moines de Sainct Remy, sur la levé dudict corps ; et d’aultant que peu auparavant lesdits sieurs du chappittre avoient depposé de toutes ses charges et offices cest homme digne de sa charge, ledict sieur souffragant, au grand regret des gens de bien, et qui s’estoit réfugié et retiré avec lesdits moynes et religieulx à Sainct Remy, où il fut receu y faisant aulcunement sa demourance. Lesquels religieulx le prièrent quelques jours auparavant, que comme évesque qu’il estoit, il feit la charge épiscopale à la réception dudit corps, affin de le faire conduire, convoyer et entrer par la porte de Fléchambault audit Sainct Remy, comme de coustume. Et pour contrarier ce faict par lesdits sieurs de chappittre, attendirent jusques à ce jour de l’arrivée dudit corps, à mander audit souffragant qu’il feit cette charge et office pour eulx, lui envoyant quelque mittre, aornement et chose convenable pour ce faire. Ce qui causa ce trouble, prest à s’entrebattre, causant grand scandalle, murmur et désordre et fâcherie aux conducteurs du corps. Mesme qu’il fallut que Messieurs les gens du roy en disposassent aulcunement ; n’en pouvant venir à bout ledit souffragant, quittant l’entreprise de ladite charge, voyant ce trouble et scandale ainsy grand continuant. Tousjours querélant et disputant, sortirent tous en division pesle mesle par la porte de Flechambault. Vindrent tellement quellement les sieurs du chappittre, accompaignié du clerjé, saluer et recepvoir le corps qui estoit sur le chemin au dessus de Courcelancy tirant à Fléchambault ; les religieulx de Sainct Remy n’y estans plus, et s’en estoient retournez par là où (p. 188) ils estoient venuz. Où y avoit grande confusion et doléance populaire. Car lesdits religieulx avoient fait toutes préparations honnorables, requises et nécessaires audit Sainct Remy, pour la réception du corps ; et estoit la chappelle ardente, l’aultel, grand chandellier, couronne et entrée du chœur, le tout garny de torches, cierges et flambeaux ardentz, avec armoiries partout, attendant l’arrivée du corps, et les officiers de Sainct Remy, jusques aux sonneurs, revestus de noir. Et Madame de Sainct Pierre, sa sœur, estant adverty dudit trouble, noise et débat à qui l’aura, feit déclarer qu’elle n’entendoit qu’il fut porté ny à Sainct Remy, ny à Nostre Dame, ains qu’elle le vouloit avoir à son église. Duquel chemin, il fut pris et convoyé par ledit clerjé entrant par la porte à Veesle, conduy et mené par un chariot de deuil tiré par six chevaulx blancs revestus de velour noir, comme de coustume à telz grans princes et seigneurs et comme on l’avoit emmené. Le tout, nonobstant ce trouble, faict et conduy fort honnorablement et en bon ordre et dévotion, en l’église dudit Sainct Pierre. Mais on tenoit que les torches ardantes audit convoye, mesme les armoiries, estoient de Sainct Remy : ce que regrestoient lesdits religieulx, principallement du sy bon debvoir qu’ils avoient faict et préparé, pour n’avoir à eulx de rien servy. A cause ceste contention et désordre, Monsieur le lieutenant des habittans, qui estoit honnorable homme Nicolas Cocquillart205, avec sa compaignie, demourèrent audit Sainct Remy avec ledit sieur souffragant, attendant le corps, tellement qu’il n’y avoit que grande confusion ; au grand regret de tous les gens de bien, voyant que pour ce faire, on avoit délaissé la belle, honnorable et dévote procession qui se devoit faire devant et après les vespres, aux capuchins, comme estoit ordonné, ; continué et faict chacun jour, commancé long temps devant et continuant les dévotions, faisant prières solempnelles ès églises, députtés par chacun jour de la sepmaine priant Dieu par le roy et la disposition de ses affaires, afféré en ses entreprises contre les huguenotz rebelles de la Rochelle et aultres ennemis de l’Eglise. Ce qu’on avoit moyen de ce faire auparavant que de s’assembler pour faire tel désordre ; d’aultant que ledit corps n’arriva que bien tard. Et les gens de bien remémoroient ce qu’autrefoys avoit presché deffunct Monsieur Morus (que Dieu absolve), disant que l’Eglise ne serait jamais ruynée que par les ecclésiastiques mesme.

O que bien a propos est ce desiné
Disant ce grand Monsieur Morus en tème :
Que l’Eglise ne sera jamais ryuné
Que par les eclésiastiques mesme

677Mais le tout, de près considéré, me semble estre vray, aussy ce que dict le proverbe : Male parta, pejus dilabuntur. Dieu veuil avoir son ame et le tout accorder ! Amen.

Beau temps et pluye

678Ce jour fut fort beau et chault, donnant bonne espérance de pouvoir le landemain commancer la moisson qui se tardoit à cause de l’humidité des jours préceddens, le temps fort incommode pour les biens de la terre : dont on fut frustré, car la nuict et landemain suyvant pleut à grande habondance. De quoy plusieurs (encor que gens de bien fusent) jugeoient (peult estre témérairement et mal à propos) que c’estoit en pugnition de ce désordre passé par lesdits sieurs ecclésiastiques. A Dieu le jugement, non nobis !

Demande

679Durant ce temps et devant ce jour, on ne cessoit de me demander sy je n’avois rien escry de l’entrée et convoye de feu Monsieur le cardinal de Loraine, affin de scavoir quelles cérémonies y avoient esté faictes, pour faire le mesme. A ce présent de question, respondant que n’en avois faict mémoir, encor qu’avois veu et considéré le tout, mesme la fasson de son enterrement, mais estoit à cause que j’estois alors jeune marié occuppé à aultre vaccation ; et voyant aussy le peu d’adresse qu’il y avoit pour la dévotion, causant grand et merveilleu murmur entre le peuple ; d’aultant que le convoye, encor que honnorable fut, où estoit un merveilleu nombre de torches et choses requises à telz affaires (p. 189), on y portoit seullement un fanthomme fort laid et contrefaict en forme d’archevesque et cardinal, sur une forme de lict d’honneur porté par des hommes non visibles : où y avoit plus dérision que dévotion.

680Ce pendant le corps estoit au revestier de Nostre Dame, n’ayant compaignie que de l’aulmosnier du mauvais riche et de deux chandelliers garnis de cierges, le plus souvent sans feu ; ce que le peuple détestoit. Pourquoy me tay du surplus.

Convoye et logement du corps

681Le dymanche suyvant, jour de feste sainct Jacques, après les vespres qui furent chantez dès une heure, fut le corps dudit sieur archevesque, cardinal de Guyse, levé dudict Sainct Pierre et remis sur ledit chariot, convoyé d’un très honorable convoye de tout le clerjé, mesmes de religieulx de Sainct Remy. Où y avoit tous les devans dits avec grand nombre d’hommes et enffans revestuz de longues robes et chapperons de deuil, portant chacun une torche ; avec grand nombre de semynaires ayant surplis et un chapperon de drap noir sur le dos ; aussy toutes les torches des mestiers de la juridiction dudit sieur ; le préceddant ledit sieur souffragant, revestu d’une chape de velour noir, les orfrois de blanc, et d’une mittre blanche ; suyvy d’un merveilleu nombre de gens honnorables et multitude populaire. Le tout passant en bon ordre le long du Bourg Sainct Denys, par devant la Croix saint Victor, remontant par la Porte aux Ferrons, et faict tout le reste du tour des processions ordinaires, entrant dans l’église Nostre Dame, porté au chœur où fut chanté ses vigilles ; le tout estant solempnellement paré, ainsy que telle chose le requiert. Le landemain, du matin, fut, par Monsieur le souffragant, chanté la messe de Requiem en musique, avec l’orraison funèbre par Monsieur Parent. Puis après la recommandise, le corps mis en la fosse ou cavitté auprès du corps de feu Monsieur le cardinal de Lorraine. Ex cunctis domibus hic est sola sua domus. Et le landemain, scavoir le mardy, aussi du matin, fut encor chanté par ledit sieur souffragant semblable messe de Requiem, sans recommandise en fin, ni Libera, seulement la chappelle ardante garnye de cierges ardans et non les torches qui y estoient le jour préceddent entre les deux aultels. Requiescat in pace. Amen. Et episcopatum ejus accipiat alter. Ses pauvres officiers et serviteurs s’en retournèrent merveilleusement tristes et desplorables. Dieu les veuille pourveoir et consoler, et tous pauvres affligez ! Pourquoy réytérativement ne laisseray de dire que :

Amour de seigneurs n’est héritage ;
Qui trop s’y fye n’est pas sage.

Guillaume le Filz

682Le lundy fut les nopces de Marye Jacquetel avec Guillaume Le Filz.

Jubilé

683Le grand jubilé universel de nostre sainct Père le pape Grégoire XV^e fut célébré en ceste ville de Reims le dimanche XIX^e septembre 1621, en grande dévotion comme telle chose le requiert206. Toutesfoys en plusieurs paroisses, signamment en l’église Sainct Jacques, sans augmenter le service que comme un aultre jour, que seullement la grande messe, mis les chappes rouges, et ledict service assez confusément faict et contre la coustume du passé. Mais en l’église Nostre Dame fut le service fort honorablement célébré, tant en cérémonies que en sonnage. Dieu en soit loué et remercié ! Amen.

Cheutte des fermier et caution

684Sur la fin du mois d’aoust passé, ledict Claude Aulbert, fermier, estant aulcunement dépossédé de ses fermes, fut poursuyvy pour les arrérages, et sa caution qui estoit Monsieur de Muyre rendu insolvable : n’estant guère aymez des habittans pour les extortions d’iceulx, et jusques estans causes par leurs meschantes inventions de faire payer totalement le solz pour livre, mesme de ce qui se vendoit durant les foires, sans en quitter un denier de quelques sommes que ce fut ; et par ce moyen payant ferme de la ferme. Dont en payay à un nommé Tartarin, commis à la recepte, XXVIII l. IV s. Ce pendant que ledit Aulbert (p. 190) estoit prisonnier à Parys, et tous ses biens et ceulx de sa caution exécutez, venduz et mis en routte, et furent les fermes publiez à sa folle-enchère. Voilà que c’est des orgueilleux, arrogans, ne pensans qu’à s’enrichir et se faire grans aux despens du pauvre peuple. Dieu résiste aux orgueilleux, et tousjours maulvaise entreprise sur son aulteur redonde.

Décedz de Monsieur le duc de Mayenne

685Sur la fin du moys de septembre 1621, les nouvelles vindrent en ceste ville de Reims de la mort de Monsieur le duc du Mayenne, tué d’un coup de mousquet, dans les tranchées au devant de la ville de Monthauban, assiégée par sa conduicte soubz sa majesté207 ; ce coup donnant en sa teste, visitant icelles tranchées avec Monsieur le duc de Guyse et aultres ; duquel coup tomba mort aux piedz dudit sieur de Guyse, au grand regret du roy et de toute la France : qui fut grande perte, d’aultant que c’estoit le chef fort adroit de ceste entreprise et très affectionné à la deffense de l’Eglise contre les héréticques huguenotz. Dieu veuil avoir son ame et fortifier le roy d’un aultre bon conducteur, le tout à la gloire de Dieu ! Amen.

Confirmation provisionnelle des foires

686Le premier jour d’octobre suyvant, fut publié par les carefours de Reims le rétablissement et fermeté de la franchise des foires, ainsy que de tout temps elles ont été franches en toute la ville et faulxbourgs, nonobstant la rage du fermier Aulbert, complices, adhérans et son meschant conseil, qui s’estoient efforcez de les abolir par leurs tyrannies cy-devant, et sans que Messieurs de la ville pour quelques solicitudes qu’ils ont peu faire en eussent peu venir à bout. Ce néantmoins par la grâce de Dieu et libéralité du roy, de sa pure volonté en un moment a ordonné qu’elles seront observées et maintenues en leurs ordres et franchises accoustumées de tout temps, et ainsy que ses bons ayeulx roys en ont cy-devant ordonné et gratifié les ayans causes. Dieu en soit loué ! Tellement que les meschants qui les ont voulu destruire eulx mesmes, et in laqueum cadat in ipsum. Nonobstant ce, les fermiers ne laissoient pas aultre astuce de molester comme devant, desquels fus du nombre. Dieu soit loué !

Victoire obtenue par le roy

687Le lundy XI^e octobre suyvant, fut à Nostre Dame, fin des vespres, chanté solempnellement les Te Deum, remerciant Dieu de la victoire obtenue par le roy et ses gens contre grand nombre d’ennemis qui se mettoient en peine de ravitailler et renforcer Monthauban208, tant d’hommes que munitions : qui furent tous deffaicts et mis en routte et le buttin gaigné.

Vendange tardyve

688L’esté fut sy inconstant qu’il ne fut troys jours suyvant sans pleuvoir, mesme la vendange très difficile et humide, pour celle de la Montaigne encor que les fruictz n’estoient en bonne maturité. Ceulx de la Rivière eurent assez beau temps et froigd causant gellée ès jours de la sainct Luc, qui feit despouiller les bas-lieux : pourquoy on fut contrainct vendanger plus tost qu’on espéroit, tous telz que les raisins estoient. Le tout avec grans fraiz et chéresse de vendangeresse (p. 191) et voicture, pour la grande incommodité et tardiveté d’icelle vendange, tellement qu’elle dura jusques en novembre. Et y eut grande diminution pour la quantité, et petit en qualité, en sorte que les poinssons ne valloient que dix-neuf et vingt solz pièce au grand regret des pauvres tonnelliers et aultres. Je n’y recueilly que XXIII poinssons de vin. Et ne valloit le commun que XXX l. la queue, et le meilleur LX l. Le froment valloit LXXV s. le septier ; le seigle XLV s. et l’avoine XXVI s.

Advent

689L’advent fur presché à Nostre Dame par un très excellent mynyme venu de Rethel, que l’on disoit estre frère à la vefve l’eesleu Martin, naguère déceddé en ceste ville. Lequel mynyme feit tous ses sermons sur la vie et les faicts de Josué ; matière fort propre et convenable au temps régnant lors, et selon que le tout estoit par luy doctement et très sagement adapté ; au grand contentement des auditeurs qui le confessoient très admirable et digne grandement d’estre ouy et escouté, comme il estoit.

1622

Camp levé de devant Monthauban

690Et durant ce temps, il convint au roy lever son camp de devant ledict Monthauban, tant pour l’injure du temps d’yver que pour les grandes maladies le molestant. A quoy plusieurs jugeoient présumptivement qu’il y avoit en icelluy camp quelque Anathema in medio vestri, comme fut trouvé au camp dudit puissant et vaillant Josué209. Dieu veuille le tout conduire te assister le roy et tout son peuple, avec particulièrement ledit bon mynyme ! Amen.

691Les prières pour le roy se continuant furent redoublées, en sorte que en plusieurs églises, tant conventuelles que paroissiales, une après aultre, on faisoit les prières de quarante heures, savoir : dix heures chacun jour à une église seullement ; commançant le dymanche à six heures du matin par une belle et honnorable procession, portant le Sainct Sacrement de l’aultel en grande révérence ; puis, depuis huict heures jusques à six heures du soir, tousjours deux hommes d’église ou religieulx à genoulx l’espace d’une heure à faire prière au devant du grand aultel où estoit reposé le Sainct Sacrement ; l’église fort bien paré tant de belles tapisseries que luminaires et riches aornements. Continuant ledit dymanche, lundy, mardy et mercredy, et fin des vespres de chacun jour, y estoit chanté un très dévot salut ; puis, fin des vespres, les mercredys, faict une semblable procession et salut : où y avoit merveilleuse dévotion et affluence de gens. Dont la dernière sepmaine se feit en l’église Sainct Jacques, laquelle eut cest honneur de surpasser en debvoir toutes les préceddentes. Qui fut commancé le dymanche gras, VI^e janvier 1622.

692Durant ces belles prières, le roy revint à Parys en grande triumphe et entrée célèbre. Dieu en soit loué et le roy honoré ! Amen.

Espousaille non accoustumée

693Le VIII^e mars 1622, mardy d’après le dymanche de mye caresme, furent fiancez à Sainct Jacques deux jeunes gens, savoir : un cousturier et une (p. 192) cousturière, qui s’estoient auparavant conjoinctz charnellement ; et le landemain furent espousez en ladite église. Le tout par sentence de justice contre ledit cousturier qui ne vouloit consentir de la prendre, pourquoy il estoit de long temps prisonnier. Sur ce, de l’advis et consentement de Messieurs les magistrats ecclésiastiques et de leurs ordonnances, furent ainsy espousez, en temps extraordinaire. Dieu leur donne sa paix et accroistre leur amitié ! Amen.

Caresme

694Le caresme fut presché à Nostre Dame par ledit très excellent mynyme, qui avoit presché les derniers advents, où se rendit très admirable et merveilleux en doctrine ; pourquoy le grand nombre d’auditeurs journaliers l’admiroit à merveille, estymant qu’il estoit impossible d’en trouver un qui le puisse surpasser en doctrine. Dieu le veuille assister et conduire !

Bon marché de soretz

695Durant ledit caresme, le poisson fut fort cher. Et le moys de mars fut inconstant, en sorte que les laboureurs et vignerons ne pouvoient que bien peu besongner. La morue ne valloit guère, les harencs blancs rares et chers ; mais vint grande abondance de soretz qui estoient fort bons et à petit pris, ne vallant le cent que XXVIII sols ; qui feit que ledit caresme fut assez aisément passé, touschant le vivre.

696En ce temps, le roy se partit de Parys, ayant délibération de rassaillir Monthauban ; comme on disoit. Pourquoy les préparations se faisoient. Dieu le veuille conduire et assister en ses desseints !

Cheresse de verdure

697L’yver fut fort long, de fortes et grandes gellées, temps inconstant, en sorte qu’on ne pouvoit trouver herbes jusques long temps après Pasques. Et sy le bois de chauffage estoit requis, vallant III l. X s. l’anneau et tout aultre boys de mesme ; le boeur VIII s. la livre ; le froment C s. ; le seigle L s. et l’avoine XXX s. le septier.

Petite foire de Coulture

698La foire de Coulture de peu de vallue, à cause de l’humidité et froigdure du temps fort inconstant, ne pouvant cherrier qu’avec grans fraiz et incommoditez. Pourquoy plusieurs furent condampnez aux despens.

Venue de Monsieur de Reims ; victoire

699Le dymanche XXIV^e apvril 1622, ledit sieur souffragant revint à Reims, fort honorablement receu, qui venoit de prescher le caresme à Parys ; durant lequel, de par la grâce de Dieu, du roy et de Monsieur de Guyse, fut faict archevesque de Reims, comme estant digne de ceste charge. Dieu luy face la grâce de longtemps pouvoir continuer son bon debvoir ! Rapporta coppie de la relation faicte par Monsieur le mareschal de Vitry tout ce qui s’est passé en la victoire obtenue par le roy contre les rebelles commandez par Monsieur de Soubize, en l’isle de Rez210. Ce qu’il feit imprimer dès le landemain, en ceste ville par Nicolas Constant. Et en action de grâce, fut le mercredy suyvant faict procession honnorable par Messieurs du chappistre, le tout accoustumé, fin des vespres ; puis chanté solempnellement les Te Deum, sans Exaudiat. Dieu en soit loué !

Attentat déplorable

700Le dymanche VIII^e may 1622, environ le midy, le filz de Monsieur de Berrieu, sieur de Gueulx, accompaigné de son beau-frère le baron de Bouvan et aultres, poursuyvant, voulant battre en duel le (p. 193) sieur de Muyson, pour quelque noise particulière ; le vint contraindre, par plusieurs fois, sortir de sa maison de Muyson où il estoit en la compaignie du sieur de Lafuye, demeurant à la Malle, paroisse de Sainct Brice, et aultres. Et estant entre ledit Muyson et les Vaultes, le combat de ces deux ne se feit, ains à l’instant, sur quelques propos contentieux tenuz entre le baron de Bouvan et le sieur de Lafuye, soudainement mirent la main à l’espée et se tuèrent l’un l’aultre, n’ayant chacun que bien peu d’heures à respirer, le plus jusques au landemain du matin. O mort dangereuse ! Quelle pernitieuse noblesse, qui pour un petit propos ou desmantir, veullent perdre âme, corps, biens et honneur ! En quoy il appert qu’ils ne se soucioient de Dieu, du roy, ny de leur salut, n’entendans ce beau mot de Nothisolitos, grégoys, qui sonne à nostre usage : Congnois toy bien (nottez ces mots). Que s’ils eussent bien congnuz, n’eussent desgénérez de noblesse provenant de vertus, pour entrer en ceste misérable et exécrable follie. Deus ultionum Dominus, Deus ultionum libere egit (Ps 93). Ce nonobstant, les cloches de Sainct Hilaire ne furent jamais aultant branlez qu’elles furent au service dudit barron qui n’estoit enterré en ceste ville.

Bisayeul triple

701Et le sabmedy suyvant, XIV^e may, veille de Pentecostes, je fus triple bisayeul, à cause que Marie Jacquetel estant accouché d’un filz qui me fut présenté pour le faire baptizer ; lequel je nommay sur les fonts de l’église Sainct Jacques, avec ma fille Margueritte, Jehan. Le baptesme administré par Monsieur Nicolas Fruter, nostre chappelain. Dieu luy donne son sainct esprit et face la grâce d’estre homme de bien ! Amen.

Chanson à quatre

Un huguenot un gros monsieur attrape,
En luy disant : Tu galoppe le pape.
De ce propos le Monsieur s’esmerveille,
Et en tenant son asne par l’aureille :
Non, non, dit-il, advançant sa carrière ;
Voicy Calvin et Baize là derrière.

Des processions recommancées

702Le dymanche XXII^e may, bon jour de la Trinité, fut recommancé les processions et prières pour le roy, tout ainsy qu’on faisoit l’année passée, en églises désynées, tous les jours de la sepmaine.

Octaves

703Les octaves de la feste Dieu furent preschez par ledit Monsieur Parent, sur le verset : Panem coeli dedit eis, panem angelorum manducavit homo ; faisant très doctes prédications et belles instructions sur la vérité du Sainct Sacrement figuré par la manne donné aux enffants d’Israël. Dieu le veuille assister !

Faulte en l’église Sainct Jacques

704Le VI^e juin, le service propre de la feste Monsieur sainct Claude, accoustumé de tout temps, chanté et célébré en l’église Sainct Jacques selon les beaux livres y estans et ordonnez de nos anciens curez, chappelains, clercz et paroissiens (que Dieu absolve), l’ayant ainsy maintenu avec la confrairie jusques à ce temps en belle et louable jubilation et dévotion. Patres nostri annuciaverunt nobis (Ps 45). Fut ledit service, par la négligence ou nonchalance de Messieurs du clergé dudit lieu, du tout aboly et délaissé, tellement qu’il ne fut chanté et célébré que bien petitement et fort simplement, du commun des confesseurs, voir sans Credo. Le tout au grand regret de plusieurs bons confraires et aultres qui tenoient ce faict comme chose à mespriser et digne de repréhention. Dieu et Monsieur sainct Claude y veuillent pourveoir ! Amen (p. 194).

705Ceste négligence et nonchalance, faulte d’attention et dévotion desdits sieurs du clergé, estoit admémoriser de ce qu’avoit aultrefoys dict deffunct Monsieur Morus, disant, comme par cy devant est dict, que l’Eglise ne seroit jamais ruyné que par les ecclésiastiques mesme. Domine da nobis auxilium de tribulatione, quia vana salus hominis (Ps 107).

Course de besches

706Ce jour, comme la veille au soir, fut fort cruel aux biens de la terre, donnant forte inundation à merveille de grande pluye froigde, l’air bien desréglé. Ce nonobstant y avoit tant de besches aux vignes en sy grande multitude que de longtemps n’avoit esté veue. Et sy on n’en pouvoit venir à bout ; et sy y avoit fort peu de monstre et peu de raisins, en sorte qu’on n’espéroit que bien petite recueille. Dieu y veuille pourveoir !

Nouveaux officiers

707En ce temps, Messieurs les eschevins de Reims mirent sus et en usage officiers annelleurs de boys de buches, mesureurs du charbon au poinsson, et de plusieurs aultres choses qui se vendoient audict Reims ; mesme defendoient à tous d’avoir anneau à eulx en leur maison, quelque marchant de boys que ce fut ; et falloit que le marchant vendeur payat un solz pour le mesurage et annellage de chacun anneau de boys et poinsson de charbon : au grand regret des vendeurs ; de quoy y eut plusieurs opposans. Ce nonobstant ne laissoient lesditz sieurs eschevins de comdampner à payer tous les contrevenans et aux despens.

Vignes jaunes

708La continuation de la froigde pluye et injure du temps causoit les vignes grandement jaunire et mal partir, donnant peu de couraige aux tonnelliers de travailler.

Mon aage de 78 ans

709Puisqu’il a pleu à Dieu par sa grande libéralité, m’avoir faict la grâce d’estre parvenu à ce bon jour de dymanche préceddent la feste de Monsieur sainct Jehan Baptiste, accomplissement de la soixante-dix-huitième année de mon aage ; et que en pareil jour de l’année 1544 il me mit sur terre par ma naissance, laquelle année a tousjours esté depuis appellée l’année des « Bourguignons »211, après l’année des « faulces allarmes » ; aujourd’huy luy en rend grâce et le remercy très humblement, moy pauvre misérable pécheur enclin à mal faire, inutil à tout bien, et ingrat de ses bienfaictz ; le priant qu’il luy plaise par sa bonté infinie, me prendre à bonne fin et me faire la grâce que je puisse achever le reste de mes jours à son honneur et à sa gloire, à mon salut, consolation et salut de toute ma famille. Amen. Benedic anima mea Domino, et omnia que intra me sunt nomini sancto ejus (Ps 102).

Anniversaire du sieur cardinal de Guise

710Les lundy et mardy XXI^e juin 1622, le service appelé bout de l’an ou anniversaire du sieur cardinal de Guise, nostre archevesque, fut solempnellement faict et célébré en l’église Nostre Dame, ainsy que telle chose le requiert. Requiescat in pace ! Amen.

711Continuation de grande froigdure nébuleuze, la pluspart le vent tourné en septentrion, donnant à souffrir aux biens de la terre et principallement aux vignes (que Dieu garde) (p. 195).

Ruyne et pugnition de Négrepelisse

712Pour la rebellion des habittans et ceulx de Nègrepelisse, rebelle à sa majesté, située à troys lieues de Montauban, fut laditte ville, les X^e et XI^e juin 1622, du tout ruynée mis à feu et sang, où y eut exemplaire et merveilleuse pugnition de sorte inauditte212. Dieu veuille convertir les aultres ! Et peu après, par la négligence ou infidélité de ceulx que le roy avoit commis devant, Montauban fut ravitaillé et fortifié comme devant comme on disoit.

Entreprises odieuses

713Et y eut quelque mauvaise entreprise en la ville de Chaalons par quelques mauvais habittans, environ mye juillet, mais par la grâce de Dieu le tout fut heureusement descouvert et les entrepreneurs pugnis.

714En ce temps et devant, par la grâce de Dieu, Messieurs les missionnaires gaignoient fort sur les ministres et signalez huguenotz, et par leur debvoir les réduisoient au petit pied et en confusion.

Canonisation

715Le dymanche XXIV^e juillet fut haultement en l’église et maison des Jésuyttes solempnisé la canonisation des bienheureulx sainct Ignace et sainct François-Xavier213, où fut faict belles cérémonies et prières, avec une honnorable et dévote procession généralle et extraordinaire, conduicte dudit lieu en l’église Nostre Dame, et la messe y chanté par Monsieur l’archevesque auparavant souffragant ; et n’y estoit espargné les parades, enseignes, guidons, trompettes, viollons et aultres embellissements, tant qu’il leur fut possible, avec toutes les préparations requises à l’aornement d’icelle solempnité. Et sy Messieurs du chappittre y furent encor le landemain, jour de feste sainct Jacques, en procession, où y avoit pardon. Quant à la superfluité, nec laudo, nec vitupero. Dieu veuil le tout accepter !

Mauvais bruict ; le Palatin à Sedan ; amas de gensdarmerie

716Le temps estoit remis en bonne chaleur, mais les villageois estoient en grande peine d’emmener et saulver leur meilleur meuble, à cause du bruict de quelque armée estrangère qui s’efforçoit d’entrer en France pour la part des rebelles ; et sy estoit le commancement de la moisson. Lesquelz estrangers estoient reistres et aultres chevalliers avec gens de piedz en grand nombre, qui gastoient tout le pays où ilz passoient. Les chefz estoient le Palatin214 qui s’estoit réfugié à Sedan, le conte Mansuel215 et un aultre que on disoit estre évesque renié, soy disant amy de Dieu et ennemy des presbtres ; et vindrent sans opposition jusques près de Verdun. Et tenoit-on que Monsieur de Bouillon, sieur de Sedan216, les avoit faict venir avec belles, mais inasseurées promesses, pour penser faire rompre les desseincts du roy où il estoit occupé. Pourquoy le roy y feit venir le sieur de Nevers, nostre gouverneur, et aultres grans seigneurs ayant grande armée françoise, avec toute la noblesse de par deça, qui se mirent en bon debvoir pour empescher iceulx ennemis d’entrer davantage ; les amusant doulcement, attendans l’amas complect et meure délibération. Mais les amas causoient grandes pertes et ruynes où ilz estoient, ruynant les biens de la terre, tant par dégatz que par le feu en plusieurs lieux ; et principallement à Aubenton, où y eut grand nombre de maisons et granges pleines de grain, foings et boys bruslées, où Monsieur de Nevers et sa compaignie estoit logé, où y eut perte merveilleuse et quasy inestimable. Lesquelz estrangers ne passèrent plus avant en France et tirèrent vers le Pays-Bas (p. 196), qui fut cause de licencier une partie de la gensdarmerie françoise, et l’aultre partie mise en garnison ès petites villes, bourgs et bons villages de ces quartiers et frontière, attendant la résolution de sa majesté217. Et dès leur venue et jusques à aultre ordonnance, on leur faisoit pain de munition tant en ceste ville qu’à Chaalons et d’aultres lieux ; et leur menoit-on en grande quantité et à suffisance telle, que quelque foys, pour estre vieil cuict, on estoit contrainct le vendre et distribuer à bien moindre prix qu’il ne coustoit. Tellement que tous ces dégatz furent cause que le grain renchérit de beaucoup. Et sy il y avoit merveilleusement peu de fruict aux vignes, encor que les moys d’aoust et de septembre furent bons, chaulx et gracieulx.

Cherche de la loupve de pierre

717En ce temps, Messieurs de Reims feirent chercher et fut trouvé un lieu en la muraille de la ville, au droict du chasteau de Porte Mars218, en la vouslure où estoit d’ancienneté, en pierres taillées, les figures d’une loupve allaictant deux jeunes enffans, réprésentans Rémus et Romulus fort bien et anciennement taillez, et aultres anticquités trouvez en ce lieu. Ce que plusieurs admiroient.

Délivrance du quatrième

718Et le mercredi XXI^e septembre, jour de sainct Mathieu, de relevé, la ferme du quatrième de Reims fut publié et délivré à bon nombre de taverniers dudict Reims, à 25 000 l., sans aultre charge ny franchise. Et sy ledict Nicolas Cocquillart estoit encor lieutenant des habittans219, dont le menu peuple estoit en esmoy de ceste délivrance pour la crainte de la rigueur des adjudicataires. Dieu y veuille pourveoir !

719La vendange fut assez belle, ainsmiroir petite en quantité, mais assez bonne en qualité, à cause du temps des deux moys préceddens et beau temps jusques au millieu d’icelle. Et ne recueilly que la quantité de l’année 1620. Durant laquelle présente vendange les villages estoient fort affligez de gensdarmes, qui fut cause qu’on vendangea plus tost qu’on ne debvoit, qui fut durant la sainct Remy et jusques la sainct Luc. Dieu en soit loué et remercié !

Service du comte de Rethellois

720Le service de feu Monsieur le conte de Rethelloys, filz aisnel du sieur de Nevers, faict et célébré en l’église Nostre Dame de Reims, les dimanche et lundy, XIII^e et XIV^e novembre 1622. Le tout faict aux despens de la ville, en grande solempnité et grans fraiz, avec grand nombre de luminaire, le tout de cire blanche, et doubles armoiries blanches en chacun, avec la musicque, l’orraison funèbre faict par [ ].

721En ce temps ou peu après, estoit grand bruict de paix et accord avec les rebelles de la Rochelle, Monthauban, Montpellier et de ces quartiers-là.

Advents

722Les advents furent preschez par un très docte et magnificque augustin des plus sçavants des préceddents, qui feit tous ses sermons très admirables sur le troisiesme chappittre de l’exode, touchant la vocation de Moyse ; au grand contentement du grand nombre d’assistants journaliers. Dieu le veuil assister et faire le mesme au caresme prochain, comme il prétend, avec la grâce de Dieu ! Lequel docteur se nommoit Monsieur Bourdon.

1623

Revenue du roy à Paris

723Sur le commancement de l’année 1623, le roy revint à Paris en grande triumphe et jubilation, au grand contentement des Parisiens. Dieu en soit loué (p. 197) !

Réception du sieur archevesque de Reims, par procureur. Sa revenue à Reims

724Le XXV^e janvier jour de la conversion sainct Paul, 1623, fin des vespres, ledict archevesque fut receu du chappitre de Reims, en la personne de Monsieur Bernard, son procureur, luy n’estant encore revenu de Parys, où il estoit allé saluer et remercier le roy. Laquelle réception fut faicte aucunement avec toutes les solempnités requises et accoutusmés, mesme d’une belle et briefve remonstrance par Monsieur Dozet ; puis en action de grâce chanté les Te Deum, sans orgues, avec le tintement des deux grosses cloches et aultres. Dieu le veuille assister et tout son troupeau ! Amen. Revenant en ceste ville, vint à Courville, d’illecq revint à Reims, fin des vespres, le lundy penultiesme de janvier 1623 ; le devançant une très belle et honnorable compaignie, de la ditte ville, tant ecclésiastiques, de justice, Monsieur le lieutenant et sa compaignie, marchans, bourgeois, que aultres gens de cheval bien montez : et icceluy ainsy conduy en bon ordre jusques à Sainct Pierre aux Nonnes. Lequel sieur archevesque et duc de Reims (et non abbé de Sainct Remy) se nommoit Gabriel de Saincte-Marie, qui auparavant estoit religieu bénédictin, constitué évesque d’Arcidal et souffragant à Reims (comme devant est dit), et puis par la grâce de Dieu, du roy et de ses autres bienfaicteurs, ainsy eslevé en ceste dignité, archevesque et duc de Reims, premier pair de France, etc. Benedictus qui venit in nomine Domini ; alleluia ! Toutesfoys semble que aulcuns pour ce faict fussent réduictz mal contant, par cet œuvre non révéré comme les aultres aultant :

Pourquoy ne se fault estonner ;
Oncques poulles n’aime chapon.
Se fault de garde bien donner :
Oncques putuin n’aime prendon

725Et le sabmedy XI^e febvrier suyvant, fin des vespres, feit son entrée ducalle par la porte Mars, conduy et mené en triumphe jusques à Sainct Remy (combien qu’il n’en fut abbé). Le tout bien ordonné avec toutes les honneurs, révérences, applaudissemens et submissions tant qu’il fut possible, selon la mode et métode de celle de feu Monsieur le cardinal de Guise, massacré à Bloys (que Dieu absolve !) ; mesme semblable faict de Messieurs de l’Université ; encor que le temps fut incommode, pour la grande et nébuleuse froigdure avec grande neige sur terre. Pourquoy ledit sieur n’estoit à cheval, ains en une cheze, porté par deux hommes et deux aultres de relay, vestuz honnestement de couleur violette, son cheval et monture le préceddant.

726Et le lendemain, dymanche de Septuagésime, vint dudict Sainct Remy très honorablement (porté comme dessus), à pieds aulcunement nuds, portant le livre accoustumé et receu par Messieurs au devant de Saincte Catherine, selon l’ordinaire, de là à l’église Nostre Dame. Où après toutes les cérémonies requises et accoustumées faictes, mesme celle surpassant en excellance et signification (pour sa petitesse) toutes les aultres, savoir : le feu mis à la pomme d’estouppes (p. 198) par Monsieur le chantre, luy disant : Pater, sic transit gloria mundi. Ce qui ne se feit si proprement comme devant, tant pour n’estant ladite pomme si bien façonné, le feu sy adroictement mis, que pour trop durant le bruslement. Et après ce sainct service faict et achevé, le disné très excellent se feit en la grande salle de son palays, en telle magnificence et contentement que la chose le requiert.

Ce bon pasteur très vigilant
Veillera sur nous, Dieu aydant ;
Troupeau soubz pasteur endormy,
Est en danger de l’ennemy.
Rougissent aujourd’huy
Tous ceux qui ont de luy
Empesché l’advance ;
Puisqu’il a pleu au roy
L’honorer, tant de soy
Que de sa clémence.

727Mais, hélas ! le dernier déceddé n’a eu cest heur de parvenir à telle entrée sy célèbre, encor que dès sa jeunesse et adolescence jusques à son décès avoit esté maintenu à la confirmation de ceste dignité et aultres, tant par le règne des révérands cardinal de Pellevé, Monsieur du Becq, que du présent, au soulagement des affaires de sa charge. Et s’estant (ledit sieur Gabriel) sy bien acquitté de son debvoir, estant souffragant, cum honore et onere, qu’il a mérité par la grâce de Dieu et ses bienfaicteurs parvenir en ceste dignité, heureuse et onéreuse autorité.

Priant nostre Dieu luy faire la grace
Parvenir au lieu et suyvre la trace
De ses bons ayeulx ; desquelz faict mémoire,
Septiesme juillet, feste bien notoire.
Laudate Dominum in sanctis ejus !

728Et comme ma petite devise dict : nulle commodité sans incommodité.

Envieulx

729Et comme les choses sont sujettes à mutation, nonobstant le triumphe de ce bon prélat et les bonnes mynes qu’on luy faisoit, ne laissoit soubz mains plusieurs secretz ennemis envieulx de son heur. Joinct que ce qu’il en avoit faict, on tenoit que partie provenoit du conseil des jeunes adulateurs domestiques, ne se donnant garde de ce reproche : Consilium juvenum facit Roboam egenum. Ce qui le faisoit souvent voyager à Parys pour se deffendre aux traverses qu’on luy dressoit, et par gens signalez où il avoit forte affaire. Pourquoy y avoit apparence, qu’il estoit plus en repos vivant doulcement en sa souffragance, qu’il n’a faict depuis qu’il est archevesque et duc de Reims. Non bene pro toto libertas venditur auro. Et qui trop embrasse mal estreing. Dieu le veuil assister !

Nuée et tonnoir

730Le dymanche XII^e febvrier, fin des vespres, feit une petite nuée de gresle bien froigde et tonna troys coups, le troisiesme assez gros : chose extraordinaire.

Chose malséante au chappittre

731En ce temps, au très vénérable nombre des sieurs du chappitre, en avoit aulcuns, hommes torduz et fort boicteux, et iceulx souvent constituez et installez en office au très auguste service divin, qui se célèbre ordinairement surpassant en excellence et décoration tous les aultres (ou la pluspart) des églises de France (sans iceulx mespriser). Au reste n’y a faulte en eux de mynes gestueuses et odieuses, portant barbes et moustaches relevés à la soldate, au desaornement dudict tant beau et honorable service, et au mescontentement des gens de bien qui ont en recommandation l’honneur et service de Dieu. A quoy luy plaise pourveoir ! Amen. Domine, dilexi decorem domus tue (Ps. XXVe).

Catéchisme à Sainct Jacques

732En ce temps et dès les années 1621, 1622 et continuant en 1623, on catéchisoit les festes et dymanches en l’église Sainct Jacques par ce très docte jésuyt nommé le père Maillefer, nastif de ceste ville. Lesquelz cathéchismes il faisoit et discouroit, tous en la forme, parolles, substance et manière que ceulx primitifs, de long temps faictz par deffunct Monsieur maistre Gérard de la Lobbe, curé dudict (p. 199) Sainct Jacques (que Dieu absolve), et signamment sur le Sainct Sacrement de l’aultel, l’adoration deue à Dieu, l’adoration et vénération des sainctes images, honneur et respect à la Vierge, prière aux sainctz, le respect envers les ecclésiasticques, aux princes, magistratz et aultres gens de bien, saincts encore vivans, et toutes aultres salutaires et admirables doctrines ; encor qu’il y eut un peu de superfluyté sur le discours des histoires qu’il allégoit touschant l’exaltation de la dame de la Gualère nouvellement déceddé, ce qu’on trouvoit ridicule. Que sy le bon père Maillefer eut esté lors et dès ce temps, il eut esté réputté héréticque, schismaticque, lutérien et calviniste ; comme on réputoit ledit bienheureu et très docte curé de Sainct Jacques, qui estoit ainsy mesprisé, vilipendé et injurié ; mesme par grande partie de ses signalez paroissiens à luy mal affectionnez, quoyque lourdaulx, ignarts, esbetez fussent ; mesme aulcuns des prestres du lieu (chose desplorable), tous ainsy aveuglez en la foy et mistere de nostre religion.

Signalez paroissiens lours et esbetez

733O que l’ignorance feit de peyne à sa patience ! Et parce que tous les pointz qu’il touschoit en la forme et pareille très véritable et sustancielle doctrine que celle maintenant presché et divulgué par ledit très docte père Maillefer, sage et dévot personnage, n’estoit encor en usage, par la rareté, et peu de docteurs et bons prédicateurs n’ayant lors cours en France et principallement en ceste ville, auparavant le règne de feu Monsieur le cardinal de Lorraine (que Dieu absolve).

Ce bon pasteur et très vigilant,
A veillé sur nous tous, en allant
Posséder la joye, son seigneur,
Où il repose avec honneur.
Obtine nobis gaudia, qui possides cum gloria. Amen.

734Le premier qui feit catéchisme en ceste ville avec ledit sieur la Lobbe préceddant, fut un premier jésuyt venu à Reims qu’on nommoit frère Emond Ogier, que ledit sieur cardinal de Lorraine avoit amené. Pourquoy se trouvoit par telles gens ceste heureuse doctrine et forme de catéchisme maulvaise, comme inaudicte, et la jugeoient (témérairement) hérésie, par leur lourd et brutal advis. Joinct qu’il n’y avoit esté nouvelle, de leur temps et devant, ny ouy parler de catéchisme, synon que par les lutériens, calvinistes et huguenotz, qui en faisoient quelque profession, selon leur guyse et métode de faulce doctrine pleine de mensonges, libertinement erronées, pour gaigner et séduyre le peuple. Depuis lequel temps, environ septante ans, pour à quoy résister et contrepoincter, Dieu a, de sa grâce, suscité, enrichi et doté la France d’un merveilleu et admirable nombre de bons et signalez prélats, pasteurs scientificques, docteurs scavans au possible en telle plénitude, et inombrables habondans en excellence, qui ne se trouvera avoir jamais régné en un mesme temps ; qui combatoient divinement et réfuttoient tous ces semeurs de zizanies ; faisant toucher au doigt et à veue d’œuille descouvrir leur faulceté, mensonges et erreurs, encor que le nombre d’iceulx héréticques surpassat quasy celluy des bons catholicques. En quoy Dieu a monstré en cet âge l’énergie de ses merveilles incompréhensibles : pourquoy : Sit nomen Domini benedictum !

Caresme

735Le caresme fut presché par ledit très docte et très admirable augustin qui avoit presché les adventz préceddents, et n’avoit faulte d’auditeurs pour sa belle, merveilleuse et nayve doctrine, non moindre que les préceddents. Dieu soit loué (p. 200) !

Course de vers, chenilles, besches : nuée de gros greslons

736Tout l’yver fut fort bien tempéré, ensemble les moys de mars, apvril et jusques à mye may ; mais le XV^e le temps se meit en froigdure, continuant en diversité assez longtemps, cause de retarder la croissance des biens de la terre. Et sy avoit grande affluance de besches aux vignes qui les molestèrent merveilleusement et feirent grand dommage. La pluspart des arbres fructueux furent renduz secs par la vermine des vers et affluence de chenilles provenans des brouillars et importunité du dit moys de may. Le vin valloit LXXX l. la queue, le froment C solz, le seigle fort bon LXV solz, et l’avoine XXX solz le septier. Sur la mye juin le temps se mit en bonne disposition et chaleur, tellement que le mercredi XIV^e juin, veille du Sainct Sacrement, après mydi, feit une nuée dont le tonnoire tomba dans l’église de Besanne ; et incontinant après mynuict suyvant, en feit une plus forte de merveilleux esclaires et tonnoirs, accompaigné de gros greslons en grande affluence et impétuosité effroyable. Toutesfoys en ces quartiers ne feit grand mal aux biens de la terre, que Dieu de sa grâce a conservé ; seullement quelques petitz dommages passant en ceste ville et spéciallement aux jardiniers. Dieu les veuille récompenser et donner patience ! Et nonobstant l’injure du temps, la procession ne laissa d’estre faicte heureusement et sans chappes, à cause de l’incommodité ; demourant toutesfoys le temps en bonne chaleur.

Octaves

737Les octaves de la feste Dieu furent preschés par un merveilleu et très docte jésuit nommé le père [ ] sur l’istoire de Thobie, accommodant ce texte sur la vérité du Sainct Sacrement de l’aultel, monstrant admirablement le grand bien qu’il revient de souvent dignement communier, et les grands maulx qui proviennent de communier indignement ; faisant tous ses sermons très admirables, pleins de belles propositions, arguments et preuves très suffisantes, fort nayfs, très dignes d’entendre et de grande édification : au très grand contentement du grand nombre des assistans auditeurs.

Diminution à Sainct Jacques

738A la Pentecostes, en juin 1623, les Kirie Eleison, qu’on souloit chanter les bons jours et festes solempnelles, savoir Kirie fons bonitatis et virginitatis, ensemble le Cuncti (p. 201) potens, furent par les clercs de l’église Sainct Jacques abolis et délaissez, n’estans plus en usage en ladicte église, selon et par leur volonté particulière.

Nuées

739Es moys de juin et juillet se feit plusieurs maulvaises nuées, entre autres une le jour sainct Jacques, qui feit grande perte et dommages en plusieurs lieux et principallement aux vignes d’Ormes, Coulommes et Pargny ; nostre Chevillon fort greslé et plusieurs aultres endroitcz de la Montaigne et aultres lieux de la France, où y eut merveilleux dommages tant du vent que des greslons.

Caducité

740Au commancement du moys d’aoust 1623, commança auculnement la perclusion de mes membres, en sorte que je ne pouvois plus ayder n’y m’abilier, me faisant toutes nuicts souffrir grande peine et douleur (et amplium eorum labor et dolor). Dieu soit loué et remercié !

Verruelle et contagion

741Grande cource de veruelle régnoit lors fort rigoureuse aux petitz enffans, dont grand nombre en moururent. Et sy la contagion estoit merveilleuse en la ville de Parys et aultres lieux de la France. Dieu nous en veuille préserver par sa grace ! Amen.

Adieu à ma cherze

742Fin des matines, le dymanche III^e septembre 1623, à cause de ma caducité, desbilité et forte maladie, je dis adieu à ma cherze et place en l’église Sainct Jacques, laquelle par la grâce de Dieu j’ay entretenu et possédé l’espace d’environ cinquante-cinq ans ; et en icelle par longues années veu assiduellement faire moultz beaulx et honnorables services passant en renommée les aultres paroisses (sans mespris d’icelles).

743Mais novissime (à mon très grand regret), veue aussy faite par les quatre vicaires, ce que désire ne plus veoir, souvent très pernicieux services, indignes d’estre appellez louanges et services, mais ample et maulvaise mocqueries, desplorablement advancez tant baccuchivement que par ignardise, faictz et gestes désordonnez ; priant Dieu, comme j’ay tousjours prié, à ce qu’ilz se puissent deument acquitter de leur charge, leur envoyer le Sainct Esprit, à ce qu’ilz puissent luy faire agréable service. Mais je n’ay esté et ne suys digne d’estre exaucé. Pourquoy, Domine miserere nobis ! Amen.

J’ai veu fort long temps, en l’église Sainct Jacques,
Journellement il sembloit estre à Pasques ;
Mais maintenant, hélas ! viciarielement,
Le service se faict, le bon Dieu scait comment.
Où le vin commande,
Nul bien y amande.

Gros arbre tombé

744Et le mardy, du matin, XVIII^e septembre 1623, le gros arbre de la Coulture, qui estoit orme très ancien, caducq et invétéré, fut abattu, rompu et tombé par terre par le vent, et vendu cent d’or solz tournois (sic). Et le jour sainct Brice suyvant, XIII^e novembre, furent les vestiges abattus, desracinés et arrachés, d’aultant qu’il estoit rompu par le mittant de la tige, du tout creu et tellement envieilly, qu’il ne restoit au corps quasy que l’escorce ; toutesfoys le pied encor fort gros et grandement enraciné : et la vente au prouffict de l’église Sainct Jacques.

Advent

745L’advent fut presché à Nostre Dame par ce très docte Monsieur Petitpied, chanoine de Reims, qui feit tous ses sermons très admirables, de grande instruction populaire, sur le Benedic IIe, psalme CIII^e. Et toutesfoys y avoit petite assistance les jours ouvriers ; mais est à estymer que c’estoit à cause de la grande froigdure et injure du temps. Dieu le veuil assister !

746Le froment valloit LXX solz ; le seigle, qui estoit fort bon, LV solz ; et l’avoine XL sols le septier. Mais la chair et tout aultre vivre estoient fort chers.

1624

Feu à Sainct Anthoine

747Le premier jour de l’an 1624, de nuict, le feu print à un bastyment attenant l’église Sainct Anthoine, par le mauvais gouvernement des religieuses qui estoient bachusivement traictez, le maistre absent, qui se nommoit [ ] Coquillart, estant lors à Parys. Et fut le comble et aultres choses bruslez ; grâce à Dieu et à son bon secours, le reste sauvé avec bonne diligence (p. 202).

Tonnoir

748Nonobstant la grande froigdure qu’il faisoit, le XIX^e janvier 1624, après midy, fut grand tonnoir à la terre Sainct Thierry, avec une nuée de gresle et quelque neige consécutive.

Convoye confuz

749Le VIII^e febvrier 1624, y eut grande confusion au convoye du corps de Jehan Jouet que l’on portoit enterrer au grand cymetier de Sainct Jacques, à cause que Monsieur le curé et son clerjé l’ayant levé, veulant cheminer chantant près du corps, et Monsieur le lieutenant des habittans avec sa compaignie du guet forceant et prenant place entre ledict clerjé et icelluy corps, en expulsant le clergé avec grand débat et confusion ; oultre les arbalestriers forceant aussy, voulant aller devant la compaignie des boulangers, causant grande oppression, scandale, noises et débatz ; tellement qu’ilz chemynoient avec plusieurs altes, tous en masse et grand trouble, s’injuriant et se mocquant l’un de l’aultre avec grande insolance. Où y eut que murmure, tant pour eulx que à tout le peuple présent, causant piteux de profundis et pauvres prières : chose desplorable. Dieu y veuille à l’advenir pourveoir ! Amen.

Fort yvert

750Cest yvert fut fort rude et continuel en forte gellée et grande froigdure, et principallement ès moys de janvier et février continuant. Advint les sabmedi et dimanche gras, 18 febvrier 1624, qu’il néga de telle affluence et grande quantité qu’on n’avoit veu depuis 58 ans ou 59, tousjours depuis appellée l’année des grandes neiges et grans buttinemens aux grandes rivières, ruyne de plusieurs notables pontz et molins à bras, signamment à la rivière de Loire.

Caresme

751Le caresme fut presché à Nostre-Dame par un très docte et très admirable jésuyst nommé le père [ ], homme d’un merveilleux savoir ; de sorte qu’il faisoit estymer et juger qu’il n’y en avoit eu auparavant luy un meilleur et plus signalé, ny ayant plus d’auditeurs, comme il méritoit, chose précieuse. Dieu le veuille assister !

Chéresse de boys

752Laquelle forte gellée continua, hormis troys jours en mye mars de chaleur, jusques au jour sainct Marc tombant doulce et aymable pluye, rien n’estant hors le bouton, ny advancé non plus que à Noël. Ce qui fut cause de grandement enchérir le boys de chauffage, tellement qu’il fut vendu des fagotz XV livres le cent.

Tumulte à Sainct-Jacques

753Le dymanche XII^e de may suyvant, fin de la grande messe chantée en l’église Sainct Jacques de Reims, fut, au revestier et dehors, assemblé la pluspart des paroissiens en merveilleu nombre, pour la réception d’un jeune vicaire au lieu d’un nommé Monsieur Fournier, et une brigue contraire pour un aultre non sy capable que celuy qu’on y voudroit installer : qui fut cause d’un grand tumulte et désordre, avec merveilleu bruict, insolence et débat, tant pour ce que pour accident d’un aultre qu’on vouloit expulser ; la compaignie tellement troublée, que la séparation s’en feit avec grande contention. Dieu veuil le tout apaiser à son honneur et à sa gloire ! Amen, et changer les incapables à des meilleurs qui se puissent acquitter de leur charge, selon l’ordonnance du deffunct fondateur et la règle de la fondation, gardant cecy (p. 203).

Chacun seroit sage et heureux,
Sans ces deux adjoints sy et mais.
Mais je ne veois homme jamais
Qui n’en aye un ou tous les deux.

Mots dorés

Varo s’enquit à Apollo
En quoy faisant il seroit sage.
Et il respondit à Varo
Nothizolitos cet langage
Grégois qui sonne à nostre usage :
Congnois toi bien (notte ces mots).
Car rien ne vault le personnage
Qui n’entend Nothizolitos.
Qui n’entend pour rien ne s’eslève ;
Qui ne l’entend sans aesles vole.
Qui l’entend n’a rien qui le grève ;
Qui ne l’entend de peu s’ affole.
Qui l’entend de vie vient au rolle ;
Qui ne l’entend sans vivre vit.
Qui l’entend Dieu au ciel accolle ;
Qui ne l’entend, feu le ravit.
On dit qu’il y a des bigottes
Qui sont soustenues de bigotz.
Ils ne cuident pas estre sotz,
Non font les bigottes estre sottes ;
Mais ils ont plus de sotz propos
Que laboureurs qui portent hottes :
Tous sotz ne portent pas marottes.
Viennent sans argent
Homère et Virgile,
Leurs sens entregent
Sera vain et vile.
C’est tout évangile
Ce qu’un riche dict ;
A cil qui n’a pile,
Chacun contredict.

Ouvrage à Porte Mars

754En ce temps de printemps 1624, on construisoit la voulte et arche de la porte Mars pour passer de rempar en rempar sans descendre en la rue, comme on faisoit cy devant, et ainsy que naguère on a faict à la porte de Dieu Lumière : chose très utile. Dieu en soit garde et de toute la ville !

Baptisement

755Le jour de Pentecostes, XXVI^e may suyvant, je tins sur les fontz de l’église Sainct Jacques le filz de Jehan de Laistre qui fut baptisé par M^e Nicolas Fruste, nostre chappellain. Lequel je nommay avec ma fille Marguerite, Jehan220.

Procession (de la Pompelle)221

756Le landemain, la procession faicte par le clerjé de Sainct Thimoté fut merveilleuse, affluente en nombre de peuple, et honoré de la personne de Monsieur l’archevesque qui célébra la messe, aorné de sa prédication ; où estoient Monsieur de Sillery222, partye de ses enffans et plusieurs noblesses qui y avoient faict faire de neuf une petite chapelle. Laquelle procession, joinct le beau temps, fut la plus célèbre qu’il ne c’estoit veue auparavant. Dieu soit loué !

Madame de Sainct-Pierre

757Audit temps, sur la fin de may, Madame de Sainct Pierre partit de ceste ville, pour estre présente à la possession que prenoit Madame sa niepce du monastère de [ ] ; et revenant feit visitation de plusieurs monastères et aultres beaux lieux des environs de Reims ; puis de la maison de Baslieu, rentra à Reims avec honnorable compaignie le mardy IV^e juin ; et après, ayant aussy visité plusieurs des principaulx monastères d’icelle ville, rentra ledit jour sur le soir en son hostel. Dieu luy veuil maintenir et garder !

Octaves

758Les octaves de la feste Dieu furent preschez par un aultre très excellent jesuyst nommé [ ], qui ne diminua du précédent en excellence sur la vérité du Sainct Sacrement de l’aultel, et en auditeurs.

759La grande seicheresse et chaleur continuoient à merveille, tellement que les avoines et jardins avoient fort temps, le reste se portoit bien. Dieu en soit loué !

Respis de deux ans et plus

760Nonobstant c’est escrit dessous deux ans, touchant mon age, Dieu de sa grâce m’a donné respis jusques à ce jourd’huy, dimanche devant la feste Monsieur sainct Jehan Baptiste 1624, où de sa libéralité je me porte en bonne santé selon l’âge et caducité, ayant cedit jour atteing quatre-vingts ans. Dieu en soit loué et remercié ! Ne projicias me in tempore senectutis ; cum defecerit virtus mea, ne derelinquas me, Domine Ps. 70223.

Baptisement

761Le lendemain de feste sainct Jehan Baptiste, fut faict grand triumphe en la Coulture par plusieurs maistres tonnelliers, au baptisement du filz de Jehan Chevalier, vinaigrier, avec grandes cérémonies extraordinaires, son de cloches, de pétarts, harquebuses et choses non agréables à plusieurs : sed multi in navigate ejus gaudebant ; aultres : multiplicasti gentem, non magnificasti letitiam (p. 204).

Grosse cloche à Nostre Dame

762Ledit jour sainct Jehan, la compaigne de la grosse cloche Nostre Dame fut fondue et faicte de neuf par un maistre fondeur venant de Laon et son charpentier aussy. Laquelle fut bénicte de Monsieur l’archevesque, par son commis ledit Monsieur Parent, avec les grandes solempnités requises, le dimanche XIV^e juillet suyvant.

Venue de la Royne

763Le dimanche d’après suyvant, la royne venant de Nostre Dame de Liesse avec plusieurs princesses entrèrent en ceste ville, entre neuf et dix heures du soir, avec bon et honorable recueil, conduicts avec falotz et chandelles à Sainct Pierre. Le landemain, jour de la Magdaleine, fin des vespres, fut faire ses dévotions en l’église Nostre Dame, de là à Sainct Estienne aux Nonnes et aultres lieux. Et le lendemain, jour sainct Nicaise, environ les dix heures du matin, partirent de ceste ville prendre gist à Fer. Dieu la veuille conduire et son train !

Grande seicheresse

764La grande chaleur continuant fut sy forte et véhémente, que le jour saincte Anne, vendredy XXVII^e juillet, la pluspart des vignes furent bruslées et les feuilles desseichées ; en sorte que le fruict n’alloit en augmentant, et y avoit peu d’espérance d’avoir bon recueil ; mais Dieu est pardessus.

Inconvéniens

765En ce temps se commeit en peu de jours plusieurs meurtres, mortz innopinez, noyez, estouffez et aultres inconvéniens. Dieu nous face miséricorde !

Dissenterie ou corance ; mort de Doyen Pussot

766Aussy le moys d’aoust, continuant la grande chaleur, feit grande course de maladie appellée corance qui fut fort cruelle en ceste ville. Cruelle et grande mortalité régnoit fort, en sorte que chacun jour mouroient grand nombre de personnes, et spécialement les petits enffants, tellement que on deffendit de sonner la beemort. Les ouvriers et les vendeurs de bierres ne pouvoient suffire et les vendoient à leur volonté. De laquelle maladie morut Doyen Pussot, filz aisnel de Claude Pussot, estudiant aux jésuytz qui eut une fort belle, doulce et heureuse fin, admirable à plusieurs. Et le voyant en agonie, pour consolation de la tristesse et résolution, je dis ces mots : j’ayme mieulx veoir en cest estat Doyen Pussot que de le veoir prestre ignart et indévot. Incontinant rendit l’âme à Dieu doulcement. Requiescat in pace ! Amen. Et fut enterré au petit cymetier, du matin, le jour sainct Augustin. A peste, fame et bello, libera nos, Domine. Puis, le petit Nicolas Pussot, filz de nostre Jehan Pussot, en morut. Puis après en décedda ledit Jehan Pussot, le matin, IX^e septembre, et enterré au petit cymetier, au devant de l’épitaffe Monsieur de Beyne, vis-à-vis du petit portail d’attenant. Puis le petit Guillaume, filz de Gérard Jacquetel, le XII^e suyvant, pour lequel je dis : O qu’heureux es, petit Guillaume Jacquetel, de veoir en paradis Monsieur Sainct Jacques tel ! Le XIV^e, en morut l’aisnel dudit deffunct Jehan Pussot, lequel j’avois tenu sur les fontz. En morut aussy la petite Thomasse, seconde fille de Claude Richer, le XVIII^e suyvant. Et le mesme jour morurent deux chanoines de l’église Nostre Dame, scavoir Monsieur Beuglot, de longtemps catereu, et Monsieur Payot, naguères très vigilant et diligent fabrician d’icelle église. Requiescant in pace ! En morut encore, à Sillery, Monsieur le chancellier de France, seigneur dudit lieu, le 1^er octobre.

Bonne moyenne vendange

767La vendange fut heureusement faicte et achevée à la sainct Rémy ; les vins fort bons, à cause de la continuation des extresmes et extraordinaires chaleurs et seicheresse, et recueilly moyenne quantité, un peu plus que l’année passée. Dieu en soit loué !

Procession générale

768A cause de ceste cource et cruelle maladie, pour implorer Dieu de sa miséricorde, fut, le dymanche VI^e octobre ondit an, faict une célèbre et très honnorable procession générale. Entre aultres chasses et relicques en fort bon nombre y fut porté la chasse contenant le corps de Monsieur sainct Remy, le tout en forme qui fut faicte au commancement de la Ligue, et aultres semblables faictes devant et depuis, scavoir le VI^e septembre 1615. Laquelle procession fut faicte avec grande dévotion, les rues tapissées, les pélerins de Sainct Jacques la devanceant, et par toutes les églises, la veille et le jour solempnisez du service comme le jour de la feste de tous les saincts ; toutesfoys, en quelques paroisses, ledict service plus précipité et hasté, démonstrant (p. 205) que nulle commodité sans incommodité. Je dis cela à cause qu’il ne s’est jamais faict quelque augmentation pour la dévotion, qu’il n’ayt apporté à aultre et ordinaire quelque diminution. Dieu par sa bonté nous veuille (indignes) exaulcer ! Amen. Finalement

Miroir beau

Mourir convient, c’est chose sure ;
Souvent advient, selon nature ;
Nul n’en revient de pourriture :
Et n’en souvient à créature.

Mort Monsieur Boucher

769Combien que, par la grace de Dieu, ceste course de maladie fut un peu adoucie, ne laissoit pas d’en mourir plusieurs ; entre aultres en mourut M. Boucher, chanoine et prévost de Nostre Dame, abbé de Tenaille, le II^e novembre suyvant. Grande perte pour les pauvres, d’aultant qu’il estoit fort bon aulmosnier et ayant résiné sa prévosté à un de ses nepveux aussy chanoine, homme contrefaict et fort boitteu. Et sy avoit commancé un bastyment enrichy d’une belle porte et devanture, prétendant faire belle sa maison qu’on appelle la Pourcelète (duquel il n’a veu le parachef).

Rumination pour les bastissants

770Ce qui me faict souvenir de ce qui est escrit au Deutéronome (se me semble, XXVIII^e chap.) où il faict mention des malédictions donné à ceulx qui ne garderont les commandemens de Dieu, entre aultres dict : vous bastyrez maisons et vous ny habyterez point ; non que veuil tourner ce faict au préjudice de l’honneur de quelque personne que ce soit, mais pour que cela advient souvent, et quasy comme un proverbe on tient que les personnes qui bastient, incontinant s’en vont mourir.

Raisons présumptives

771O ! que sy j’estois capable d’en donner quelque cause et raison pourquoy, je voudrois commancer la cause principalle, scavoir : la voulonté de Dieu et son arrest donné de tout temps. Aultre raison, des causes secondes, est que plusieurs bastient avec telle affection mondaine et curieuse attention, que nuict et jour n’ont aultre pensés qu’à cet ouvrage et entreprise, n’ayant loisir de penser à Dieu, ny à leur salut, ne pensant à ce que dict Monsieur sainct Paul : nous n’avont point icy de citée permanente ; pourquoy la mort les faict cesser. Aultre raison est que c’est chose onéreuse de bastire maintenant, pour deux causes principallement : scavoir, tant pour la rareté et chéresse des matériaux, boys et manneuvres, que pour l’infidélité des ouvriers, et se prenant souventes foys à maulvais et facheux entrepreneurs, leur cause riottes, procès, querelles et facheries telles, qu’ilz en finent leurs jours.

Danger aux construisants

772Aultre raison est qu’ilz prendront advis de quelques ouvriers sur ce qu’ilz voudront faire et bastire selon leurs souhaitz, leur demandant : ne ferai-je pas bien cela pour tel pris, qu’ilz désirent suyvant leur prétendu moyen. L’ouvrier dira que ouy, craignant le desgoutter de ceste entreprise ; et quand le bastyment est à demy faict, toute la somme y estant employé, fault pour achever le reste trouver encore pareille somme, le plus souvent prendre à intérest et contre son pouvoir, contrainct perdre ou diminuer son petit traficque dont il vivoit ; et puis, avoir une cage sans oiseaux et en payer louage extraordinaire, luy causant ennuitz mortelz. Oultre, on veoit peu de jeunes hommes (s’ilz ne sont bien fondez) qui s’immissent de vouloir bastire, quelques riches qu’ilz soient, ayment mieulx tenir maison de louaige et employer leur argent au traficque de bled, vin et aultre marchandise (p. 206), que de l’employer à faire bastire. Ce qui faict plustost par gens de bon age, et la besongne durant trop longtemps, avec les facheries cy dessus, et les contentions qu’on peult avoir avec les voisins à cause des incommodités et empeschementz qu’ilz en receoivent, faict qu’ils n’en joyssent que bien peu, ou point du tout, joinct leur bas aage.

773Se pourroit trouver plusieurs aultres raisons qui seroit trop long discours, les laissant à ruminer à plus méditans que moy qui sy voudroient occuper. Je dis cecy, quoyqu’improprement soit discouru, pour faire entendre que la plupart des principalles maisons de Reims et bastymens d’icelles qui ont esté construictz et bastis depuis ma congnoissance, y est advenu ce que dessus. Pourquoy qui achepte paix, porcz gras et maison, faict certainement fort bien, choisit et achepte (sans toucher le IV^e que plusieurs scavent). Nisi Dominus edificaverit domum, in vanum laboraverunt qui edificant eam. Ps. 126.

Bulle de pape Paul V^e

774La forme et moyen pourquoy le Pape Paul V^e excommunia les Venisiens en l’année cy-devant 1606 comme mentionné est par la bulle de laquelle la déclaration ensuit. Bulle de Pape Paul V^e contre le Duc224, Sénat et république de Venise avec la protestation dudict Duc et Senat traduit de latin en françois, par l’imprimerie de Jehan Petot 1606. Bulle.

775Paul Evesque, Serviteur des Serviteurs de Dieu. A noz très chers et vénérables frères et Patriarches, archevesques, évesques, et noz filz bienaiméz les vicaires abbez, prieurs et aultres Prélats tant séculiers réguliers et aultres personnes ecclesiastiques contitués et establis par toute la républicque et Seigneurie de Venise, salut et bénédiction apostolique. Nous avons entendu que le Duc et Sénat de la république et seigneurie de Venise ont depuis quelques années faict en leurs conseils, plusieurs et divers décrets et statuts contraires, non seulement à l’authorité du sainct Siège apostolique, liberté et immunité de l’Eglise, aux Conciles généraulx et sacrez canons, mais aussi aux constitutions et décrets des Pontifes romains. Et entres aultres qu’environ le XXIII^e may de l’année 1602, prenans occasion de certain procès et differend meu entre le docteur F. Zabarella d’une part et les moynes du monastère dit de Pravilia de l’ordre de sainct Benoist aultrement de St Justine au diocèse de Padoue, d’aultre part, ils auroient ordonné que les susditz moynes, dès lors et à l’adbvenir n’auroient aulcune action pour, sousbz quelque tiltre ou couleur que ce soit esté, préférez sur les biens ecclésiastiques possédez par personnes laycques à tiltre d’emphitéose et ne pourroient par droict de préférence ou de réunion de la propriété avec l’usufruict ou distinction des personnes composées en l’investiture ou pour quelque aultres causes se vendique la propriété desditz biens, mais seullement le droict de la seigneurie directe déclaration que cela auroit lieu doresnavant aussy bien pour les personnes ecclésiastiques, monastères et aultres lieux pieux estans en leur seigneurie et terres de leur obéissance (p. 207). Et environ le dixiesme de janvier 1603, renouvelans comme ilz disoient certains statuts et décrets faictz par leurs prédécesseurs, portans que aulcun, soit lay ou ecclésiastique, ne puisse bastir eglises, monastères, hospitaux et aultres lieux pieux et de dévotion, sans permission spéciale de la seigneurie. Ils auroient derechef ordonné en leur Conseil que le mesme auroit lieu en tout ce qui est de leur sujétion a peine aux contrevenans d’exil ou de prison perpétuelle et de confiscation du fond et vendition des édifices. Et oultre ledict Duc et Sénat le XXVI^e mars 1605, suyvant un autre décret faict par le même Sénat en l’année 1536225 par lequel comme ils asseuroient estoient expressément prohibé qu’aulcun sous certaines peines contenues auxdits décrets n’eut a aliéner en la ditte ville et duché de Venise ni laisser par testaments ou donations entre vifs aulcuns biens immeubles pour cause pies, ny les obliger en hypothèques ni en faveur d’icelle sinon pour un certain temps y exprimé ce qui n’auroit été auparavant reçu ny mis en usage auroit derechef non seulement fait la même défense mais aussi prohibé expressément les aliénations desdists biens immeubles faictes en faveur des personnes ecclésiastiques sans la permission dudict Sénat, auroient davantage étendu le dit décret et peine contenus en icelluy en toutes les terres de leur obéissance et fait publier en tous les lieux et villes de leur seigneurie ordinaire et en tous lesditz biens immeubles qui se trouveront avoir esté vendus ou aliénés oultre la peine de nullité soit confisquez et venduz et le prix d’icellui divisé entre le magistrat exécutant la teneur du dit décret, ses officiers et le dénonciateur et aultres comme on nous a rapporté estre plus au long contenu auxdits décrets et mandemants desdits Duc et Sénat ; d’abondant auroient lesditz Duc et Sénat faict emprisonné Scipion Saracenis chanoine de Vincence et Brandolinus Valdonarius de Fornoue abbé du monastère et abbaye dite de Nervesa au diocèse de Tarasse226 personnes constituez en dignité ecclésiastique et ce pour quelque crime qu’on prétend avoir été commis en la ville de Vincence et aultres lieux sous prétexte que la congnoissance leur appartient et que cela est de leur juridiction se fondant sur certains privilèges accordés comme ils prétendent ausdicts Duc et Sénat par aulcuns de nos prédécesseurs papes en quoi il préjudicie au droict des églises et contreviennent à la liberté et immunité ecclésiastique et autorité du saint siège apostolique et parce ce que cela tourne au grand scandal de l’Eglise et à la perdition des ames desditz Duc et Sénat voire qu’ayant été faire publier les susdictz décrets et statuts ils ont par là encouru les censures ecclésiastiques ordonnées par les sacrez canons des conciles généraux et par les décrets et constitutions des pontifes romains et la peine de privation (p. 208) des biens et fiefs qu’ilz tiennent de l’Eglise desquelles peines et censures ils ne peuvent être absouts ou déchargés par nous ou notre successeur qui sera lors ; et que d’abondans ils sont inhabiles et incapables de jouir du bénéfice de ladite absolution jusqu’à ce que actuellement ils aient révoqué les dits statuts et décretz par eulx faictz publier et remis tout ce qui s’en est ensuivy en son premier état par ce qu’aussi le dit Duc et Sénat après plusieurs paternelles admonitions qui leur ont été faictes de nostre part n’ont tenu compte de révoquer lesdits décretz et statuts et qu’ils retiennent encore prisonniers les dits chanoine Saracenis et abbé Brandolinus et qu’ils n’ont fait état de les mettre comme ils devoient es mains de notre nonce et du saint siège apostolique près desdits Duc et Sénat. Nous qui ne debvont nullement souffrir que la liberté et immmunité de l’Eglise et nostre auctorité et du saint siège apostolique fut violée et mesprisée en suivant les décretz et plusieurs conciles généraulx et les exemples de nos prédécesseurs Innocent III^ème, Honoré II^ème, Grégoire IX^ème, Alexandre IV^ème, Clément IV^ème, Martin IV^ème, Boniface VIII^ème, Boniface IX^ème, Martin V^ème, Nicolas V^ème et aultres pontifes romains qui ont tenu le saint siège avant nous aucuns desquels n’ont révoqué semblables statuts comme nuls de soy et desclarées nul et de nulle force et vertus comme faict contre la liberté et immunité de l’Eglise et les aultres sont passés plus oultre jusqu’à excommunier les aulteurs de pareils statuts et ordonnances ayant meurement délibéré sur ce faict avec nos très vénérables frères les cardinaulx de la saincte église romaine, de leur conseil et consentement (encore que les) susdictz décretz et mandements soient de soy nuls et de nul effect nous n’avons nonobstant iceulx déclarés nuls et de nulle force et vertu et comme tel déclairons qu’aulcun n’est tenu à l’observation d’iceulx et en outre sont lesdicts Duc et Sénat dans XXIV jours à compter du jour de la publication des présentes en ceste cité desquels nous leur en assignons huit pour le premier, huit pour le second et les aultres huit pour le troisième et dernier délai et pour monition canonique ne révocquent publiquement les susdits décretz et font ce qui y est contenu et que s’en est ensuivy cessant toutes excuses et exceptions et que les font cesser et effacer de leurs archives et registres et lieux où ils auroient esté mis et faictz publié par eulx et déclairés publiquement en toutes les terres de leur obéissance ; qu’aulcuns ne soit tenu à l’observation d’iceulx et ne remettent tout ce qui s’en est ensuivy en son premier estat et s’ils ne promettent de plus entre prendre à l’advenir de faire pareils décretz et statuts contre la liberté et immunité de l’Eglise, contre nostre auctorité et du saint siège apostolique et nous rendre certains de ladite révocation, cassation, restitution et promesse et sy en effect ilz ne mettent lesdits chanoine et abbé es mains dudit nonce en l’autorité de Dieu tout puissant et des très heureux apostres saint Pierre et saint Paul avons dès maintenant et comme dès lors excommunié disons et déclarons excommunié le Duc et Sénat de la république de Venise (p. 209) qui sont à présent ou qui seront cy après leurs conseils et adhérants et chacun d’eulx encore qui ne soient nommez en ces présentes et comme si leurs noms et de chacun d’iceulx y estoient spécialement exprimés et sans qu’ilz puissent obtenir absolution ny estre déchargez de ladicte sentence d’excommunication qu’en l’article de la mort, et non par aultre que par nous ou le pape qui sera lors sans qu’ilz se puissent prévaloir d’aulculne faculté à eulx concédée ou à concéder en général ou à chacun d’eulx en particulier ; et s’il arrive qu’en ceste extrémité aulcuns d’eulx soit absoubz de ladicte sentence d’excommunication lequel par après retourne en convalescence il retombera en laditte excommunication jusques ce qu’en tant qu’en lui sera il ayt obéi et néantmoins s’il meurt après avoir obtenu la dite absolution qu’il soit privé de la sépulture de l’église jusques à ce qu’on est obéi à notre mandement. Et sy lesditz Duc et Sénat trois jours après que lesditz XXIV jours seront expirez, endurcissant leur coeur (ce qui n’advienne) endurent ladite sentence d’excommunication sans obéir à icelle dès maintenant et comme dès lors nous avons mis et mettons à l’interdit de l’Eglise la cité de Venise et les aultres villes, bourgs, chasteaux et seigneuries et tous lieux quelconques et généralement tout le domaine temporel de ladicte Républicque durant lequel interdit ne pourra en ladite cité de Venise et aultres villes, bourgs, chasteaux et seigneuries de ladicte Républicque dire es églises et lieux de dévotion, oratoires privez et chappelles domestiques, ny en public ny en particulier aulcunes messes solemnelles ou non solemnelles, ny célébrer l’office divin sinon en cas à nous permis et réservé et lors seulement es églises et non ailleurs mesme à porte close sans son de cloches et sans que lesditz excommuniez et interditz y puissent assister et non aultrement quelques indults et privilèges apostoliques qui ayent été concédez à quelques églises tant séculières que régulières et quelques exemptions qu’elles ayent et qu’elles soient immédiatement sujectes au saint siège apostolique et encore qu’elles dépendent du patronage ou fondation et dotation desditz Duc et Sénat non en général seulement et sous le nom de Républicque mais un chacun en particulier des citoyens et subjetz d’icelle de tous les fiefs et biens qu’ilz teinnent de l’Eglise à quelque tiltre que ce soit et les déclairons peinés et décheus desditz biens et fiefs et de tous privilèges qui pourroient leur avoir esté concédé et octroyé par aulcun de noz prédécesseurs notamment de congnoistre en certains cas des crymes et délictz des personnes ecclésiastiques. Et toutesfois si lesditz Duc et Sénat (p. 210) s’endurcissent plus longtemps s’opiniastrent en leur coutumace nous réservons spécialement à nous et à noz successeurs papes la faculté d’aggraver et réagraver les censures et peines ecclésiastiques à l’encontre d’eulx et leurs adhérants et ceulx qui leur porteront aide, conseil et faveur, et de recourir à d’aultres remèdes en temps oportun, et procéder contre eulx selon la disposition des sainctz canons nonobstant quelconques constitutions et ordonnances apostoliques, privilèges, indults, octroys et aultres lettres apostoliques en faveur desdistz Duc et Sénat en général ou aultres personnes en particulier, notamment celles en vertu desquelles ilz prétendent ne pouvoir estre interditz, suspendus ny excommuniez, quoyque lesdittes lectres en fassent expresse mention et de mot à mot. Etant dérogatoire des dérogatoires et aultres causes comme aussy tous aultres décretz, et spécialement toutes facultez d’absouldre es cas réservez à nous et au sainct siège à eulx accordez au contraire par noz prédécesseurs et approuvez et confirmez par nous et le sainct siège apostolique, ausquelz tous et à chacun d’iceulx, nous avons dérogé et dérogeons, et à toutes choses à ce contraires, et afin que ces présentes puissent parvenir à la congnoissance de tous, nous vous commettons et a chacun de vous très expressément enjoignons et mandons qu’en vertu de la saincte obéissance que vous devez au sainct siège et sous l’apréhention du dernier jugement, d’interdicte de l’entré de l’église, de suspention de vos charges et de la perception des fruictz et revenus de voz maisons patriarchalles, archiépiscopales et épiscopalles. Quant à vous noz frères les Patriarches, archevesques et evesques et de privation des dignitez, offices et bénéfices ecclésiastiques quelz qui soient par vous possédez à présent, et d’inhabilité pour les posséder à l’advenir, et en ce qui regarde vous noz fils les vicaires et aultres susnommez qu’à peine d’encourir les peines qu’en cas de contravention nous estimerons necessaires dès que vous aurez receu les présentes ou qu’aultrement elles seront venues en vostre congnoissance, vous avez par vous ou par aultres à les faire publier solemnellement chacun en son église et lorsqu’il y aura plus grand nombre et affluance de peuple ; et icelles faire afficher es portes de vosdites églises. Et en oultre voulons que partout on adjoute pareille foy aux doubles et coppies d’icelles mesme imprimez pourvu qu’elles soient signées de la main de quelque notaire public et scellé du scel de quelque personne constituée en dignité ecclésiastique comme à l’original mesme s’il estoit exibé et monstré. Et que ces présentes ou le double et coppies d’icelles, mesme imprimez comme dit est, estantz affichés aux portes de l’église de latran et basilique du prince des apostres, et de nostre chancelerie apostolique, et publiées au champ de flore, come il est accoustumé, ayent aultant de force envers ledict Duc et Sénat, et tous aultres, et vous tous en général et chacun respectivement comme si elles estoient personnellement adressées, intimées, et présentées à par chacun d’eulx et de vous. Donné à Rome à Saint Pierre sous (p. 211) l’aneau du pescheur le XVII^e avril 1606 et l’an premier de nostre pontificat.

776Vu Vestrius Barbianus

Protestation227 du Duc et Sénat de Venise contre la bulle du pape Paul V^e

777Léonardus Donatus par la grâce de Dieu Duc de Venise aux très honorez Patriarches, archevesques, evesques, abbez, prieurs, recteurs des églises paroissialles et aultres prélats ecclésiastiques de toute nostre Républicque et seigneurie de Venise, salut. Nous avons entendu que par le commandement de nostre très sainct père Paul V^e, certain bref auroit esté fulminé et publié à Rome le XVII^e avril dernier, contre nostre personne Sénat et seigneurie, et à vous adressé pour faire publier es villes et terres de nostre obéissance et subjection. Et pourtant nous qui sommes obligez de conserver la tranquilité et repos de l’estat et gouvernement auquel nous sommes ordonnez et establis de Dieu et de maintenir l’auctorité de nostre république, laquelle après la Majesté divine ne recongnoist supérieur au temporel. Protestons par ces présentes devant Dieu et tout le monde, que nous n’avons rien obmis de ce qui a esté de nostre debvoir, pour faire congnoistre à sa saincteté la justice et équité de nos droictz, tant par nostre ambassadeur ordinaire à Rome et par lectres par lesquelles nous avons suffisamment respondu aux précédentz brefs qu’elle nous adressez, que par aultre ambassadeur extraordinaire envoyé par nous exprès sur ce subject, mais ayant recongneu que sa saincteté a tousjours mesprisé noz remonstrances, et sans vouloir ouyr noz très justes raisons, a décerné ce bref contre tout droict, contre ce que l’escriture saincte, la doctrine des sainctz pères et les sainctz canons enseignent au préjudice de la puissance séculière que Dieu nous a mise en main, et de la liberté de nostre République, affin de troubler non sans un grand scandal la vie, les biens et honneurs dont noz fidèles subjects joyssent paisiblement et tranquillement soubz nostre auctorité. Nous ne doutons nullement de tenir le susdit bref pour illégitime, et de soy nul de faict et de droict. Et pourtant n’avons estymé nécessaire d’y apporter les remèdes dont noz prédecesseurs et les aultres princes de la Crestienté ont usé contre les papes lorsqu’ilz ont excédé leur pouvoir. Nous asseurans que vous et noz aultres fidèles subjects et tout le monde ne jugera aultant, et comme jusqu’icy vous avez diligemment veillé au soing des ames de noz subjectz et songneusement travaillé à entretenir le service divin en son entier que cy après vous continuerez en ce mesme debvoir de vrais et bons pasteurs attendu que nostre intention est de persister à la saincte foy catholique et apostolique et continuer tousjours en la révérance accoustumée envers la saincte Eglise romaine. Sy vous mandons que vous avez à faire afficher ces présentes aux lieux plus apparents de ceste ville et aultres de nostre obéissance affin qu’elles puissent venir en la congnoissance de tous noz subjectz et de tous ceulx qui ont ouy parler dudict bref voire parvenir jusqu’aux aureilles de nostre sainct père duquel nous prions Dieu vouloir esclairer l’entendement par son sainct esprit affin qu’il puisse [voir] la nulité de tout ce qu’il a faict contre nous et qu’ayant recongnu la justice et équité de nostre cause, il nous donne subject de continuer en l’observation et respect que noz prédécesseurs et toute la République (p. 212) ont jusques icy rendu au sainct siège apostolique, auquel ils se sont tousjours monstrez très affectionnez. Donné en nostre Palais le sixiesme may quatregine228 (sic), l’an de nostre Seigneur Mil six cens six.

778Oultre est imprimé un petit livre touschant le différent d’entre le pape Paul V^e, et la sérénissime Républicque de Venise

779A Francfort pour Pierre Juvenon 1606, duquel la teneur ensuyt.

Différent d’entre le pape Paul V^e, et la sérénissime Republicque de Venise, a Francfort

780Premièrement, les Venisiens d’ancienneté pour les inconveniens qui pourroient survenir en leur Républicque, ont tousjours mis ordre qu’il ne se bastist aulcuns monastères, églises, colleiges, confréries, sociétez ou congrégations sans le sceu et permission du Sénat de la Républicque. Lesditz seigneurs de Venise ont tousjours voulu scavoir et congnoistre qui et quelles sortes de personnes de gens d’Eglise venoient pour demourer en leur Républicque. Lesquelles coustumes et ordonnances anciennes auroient esté confirmés en divers temps et saisons comme en l’an 1337, 1515, 1561 et ratifians de nouveau les mesmes ordonnances pour seureté des aultres villes de leur obéissance en l’an 1603.

781Pour le second ladicte Républicque a aussy tousjours estymé, que comme de tout temps par cy devant elle s’estoit conservé exemplairement, elle devoit encore se conserver semblablement a l’advenir par l’usage d’une sincère et incorruptible justice administrée à ses subjects. Et affin qu’elle ne vint à estre troublé par usurpation indue, et par forfayt et offence d’aultruy, s’estant souvent trouvé en divers délitz atroces et énormes gens ecclésiasticques. Lesquelz avec la bonne vie et mœurs (comme est leur debvoir) auroient a estre exemptez de la justice criminelle. La Républicque toutesfoys n’a pas laissé d’en user contre eulx aultant que la tranquilité publicque la peu requérir. Leur octroyant néantmoins exemption des magistratz et delicts communs pour favoriser à cet ordre à l’exemple des princes voisins, tenant néantmoins les meschants en crainte et fisant droict à ceulx qui sont offencez, exerçant ainsy la puissance que Dieu luy a donné dès sa naissance jusques au temps présent, sans aulcune interruption de juger et pugnir en griefs cryants toutes sortes de personnes ecclésiastiques de quelque degré et ordre quelle soit et ainsy à continuer d’exercer et jouyr avec le repos public de la liberté dépendante de son beau domaine. Ladicte Républicque a de tout temps préveu de tenir ses subjects abondans en possessions et biens stables pour l’utilité et seureté publicque et ayant aperceu que dès 300 ans les ecclésiasticques s’agrandissoient au détriment public suyvant les anciennes ordonnances de l’an 1333, a ordonné qu’il ne fut donné ou laissé aux églises aulcun stable à perpétuité en la ville et duché de Venise, et s’il en estoit (p. 213) laissé après certain terme de temps qu’il fut vendu demeurant le prix aux églises ce qui a esté diversement observé jusques à l’an 1536, quelle fut establie en ceste forme, que pas un n’eust a laissé aux gens d’église biens immeubles, synon pour deux années durant lequel temps ils se doibvent vendre et si cela n’estoit faict par les ecclésiastiques, le magistrat doit prendre la charge d’en faire l’exécution, ce qui auroit pour le bien public de tout l’estat de Venise esté confirmé en l’an 1605. Adjoutant que pas un de la ville de Venise, ou en l’estat ne peut (soubz quelque couleur que ce fut) vendre, donner ou en aucune sorte aliéner à personne ecclésiastique biens immeubles, sans licence du Sénat, qui se concéderont en la mesme sorte qu’elle est concédée es aliénations des biens publics et toute aliénation aultrement faicte soit nulle, et les biens stables confisquez avec peine aux notaires. Et considérant le dit Sénat que de jour en jour lesditz ecclésiastiques s’agrandissoient et enrichissoient par le moyen des grandes acquisitions qu’ilz faisoient au détriment universel de toute la République, le sénat délibéra sur le subject d’une controverse menés entre les moynes de pra [ ]229 que les ecclésiastiques puissent s’approprier les biens des laicz par droit de prélation de lignée et consolidation du proufit, saulf toutesfoys leur droict. Lesquelles ordonnances, status et coustumes auroient esté usitez plus de 200 ans auparavant en ladicte République de Venise. Ce à quoy les papes passez n’ont jamais contredit ny répliqué, ayant en très bonne congnoissance desdittes coustumes et ordonnances, tellement que pas un des papes n’y ayant jamais contredit, ils les ont tacitement tous approuvez et mesme par le passé lesdittes coustumes ont esté beaucoup plus estroitement observées qu’elles ne sont à présent, deux desquelles ordonnances ont esté veues du Pape Clément VIII^e l’une en l’an 1602, l’aultre en l’an 1603.

782Ce nonobstant tout le consentement des papes passez, cela a totalement desplu au pape Paul V^e lequel, pour quelques raisons incongnues, dès le commancement de son pontificat il luy a plu d’examiner les loys et jugements de ladicte République de Venise et en la fin du moys d’octobre 1605, en l’audience ordinaire, se plaignit à l’ambassadeur de ceste République de ce que du temps du siège vaquant elle n’avoit fait une loy qui deffend aux Ecclésiastiques d’acquérir bien immeubles. Adjoutant que combien qu’elle fut establie en vertu d’une aultre [puissance] les canons toutesfoys rendent invalide tant la vieille que la nouvelle. Partant vouloit en toute sorte qu’elle fut adnullée, commandant à l’ambassadeur de notifier ceste ferme voulonté à la République. Ce qu’ayant faict et reçu ordre du Sénat de rendre conte au pape des raisons et causes (p. 214) et de la justice de la loy, ensemble de la puissance que la République a déclaré telles et semblables ordonnances, le pape se tenant à sa délibération, dict ouvertement qu’il escomptoit, pour donner quelque satisfaction et non pour mettre telles raisons en considération aulcune, et conclut que sa voulonté estoit d’envoyer un monitoire de bref à Venise et monstra une excommunication qu’il avoit faict imprimer contre une aultre ville, donnant à entendre en semblable cause de ne vouloir responce ou allégation de raisons, mais prompte obéissance. Et adjouta une aultre plainte pour la rétention faict es moys de devant d’un chanoine de Vincence, et de l’abbé de [ ] disant vouloir qu’ilz fussent remys par devant la Cour ecclésiastique et que sy la République a privilèges de juger les ecclésiastiques, ils ne s’étendent pas jusqu’à telles sortes de personnes, ny a telle qualité de délicts, pour lesquelz les susdictz estoient emprisonnez.

783Or le faict pourquoy ces deux personnages estoient emprisonnez est tel. Baudelino Valdemarino Abbé de Nervesa fut accusé et imputé d’avoir exercé plusieurs actes tiranniques sur les biens et sur les femmes des habittans des terres voisines d’alentour de luy, et d’avoir faict mourir plusieurs personnes par poison, et entre aultres un religieulx prestre son domestique, d’avoir baillé le poison au père et au frère, d’avoir faict tuer plusieurs hommes, d’avoir la compaignie charnelle et continué avec une sienne sœur naturelle, d’avoir exercé plusieurs actes d’art magique et meschans pour venir à bout de ses vilénies et pour aultres causes qui ne se peuvent raconter sans horreur plus particulièrement comme appert par les dénonces et plaintes faictes par diverses personnes contre luy.

784Quant à Scipion Saracino chanoine de Vincence, il a esté imputé d’avoir avec mespris rompu les sceaulx publics des recteurs de Vincence, mis sur la chancellie (sic) de l’Evesché durant le siège vaquant pour garde et seureté des escritures et droictz de l’evesché à la requeste et instance du chancellier d’icelluy, et de plus d’avoir deshonoré une gentil dame vesfve d’une des principalles familles de Vincence, en jettant de la villenie et ordure sur sa porte et sur les murs de sa maison, après avoir tenté un bien long temps sa chasteté par des moyens indécens et illicites, et ce avec scandal public, car mesme ne s’abstenoit il pas es églises d’user de ses traités tentatifs de paillardise. Voilà les faicts pourquoy ces personnages restoient détenus prisonniers. Or le pape cependant continuant en son premier propos advertit l’ambassadeur qu’il vouloit qu’il persuada à la République de Venise de laisser à ses raisons et de luy obéir entièrement. Puis quelques jours après adjouta de nouvelles querelles pour la loy escrite cy dessus qui défend de bastir églises sans licence et vint tout résolument à se restraindre sur ce point qu’il vouloit que les deux loys susdittes fussent révocquées et les deux prisonniers remis à son nonce demeurant à Venise. Puis le X^e décembre 1606 auparavant faict dressé deux brefs, l’un sur les deux loys et l’aultre sur le jugement des ecclésiastiques, donna charge à son nonce qu’il eut à les présenter. Mais le nonce230 possible meut de ce que le sénat avoit (p. 215) ces mesmes jours jà esleu un ambassadeur extraordinaire pour essayer par toutes voyes d’humilité de [fléchir] sa saincteté d’une telle résolution et qu’elle puisse devant congnoissance de cause et de l’induire à se mieulx informer. Et premièrement devant que venir à l’ascention, defféra la présentation desditz brefs, chose qui ne fut pas approuvée par le pape qui lui dépescha en diligence un impératif commandement de les présenter immédiatement par quoy le jour de la nativité de nostre Seigneur que le duc Grimany estoit pour rendre l’ame à Dieu231, et que la Seigneurie estoit assemblée avec les sénateurs dont aulcuns d’iceulx auroient receus le très sainct sacrement de l’eucharistie et aultres estoient pour le recepvoir, ledict nonce demanda audiance et présenta deux brefz scelez, lesquelz ne furent point ouverts à cause de la mort du duc qui advint le jour d’après, jusque après l’eslection du nouveau Duc. Et iceulx estant ouvers se trouvèrent de mesme teneur et contenoient estre venu à la congnoissance du pape que la République, en ses conseils, avoit ordonné beaucoup de choses contre la liberté ecclésiastique et contre l’auctorité du siège apostolique, et en particulier avoit estendu sur tout son domaine quelques loys qui n’estoient faictes que pour la ville seulle de Venise, comme celles de ne bastir point des églises, des monastères et lieux de dévotion. Et une aultre qui deffendoit aliénation des biens laicz aux ecclésiastiques sans licence du Sénat. Lesquelles choses pour estre contraires à la liberté ecclésiastique il déclaroit nulles et de nulle valeur, tellement que qui les a ordonnées a encouru es censures de l’Eglise, commandant soubz peine d’excommunication qu’elles soient révoquées et annulées menassant s’il n’estoit obéy de procéder plus oultre.

Responce de Senat de Venise aux deux brefs du Pape

785A quoy le Sénat le XXVIII^e de janvier 1606 a respondu d’avoir avec douleur et merveille entendu sur les lectres de sa saincteté que les loys de la République heureusement observées par tant de siècles et non reprises par aulcuns de ces prédécesseurs, le révoqués desquelles feroit renverser les fondemens du gouvernement, soit taxé maintenant comme contraire à l’autorité du siège apostolique et ceulx qui les ont constituez, hommes d’excellente piété et de grand mérite envers le siège apostolique qui sont au ciel, soient taxez pour violateurs de la liberté ecclésiastique. Remonstre d’avoir suyvant l’exortation de sa sa saincteté examiné les loix vieilles et nouvelles et n’avoir trouvé en icelles choses qu’elle n’eust peu ordonner par autorité du souverain prince. Et ayant tousché quelque particulier point de ses raisons conclud que la République n’a point encouru aulcunes censures, et que sa saincteté pleine de piété et de religion, ne vouldra pas sans congnoissance de cause persister a ses menaces.

Conclusion

786Voilà Messieurs en brefs vrayes sources et originelles qui [mena] des parties à [être] près de s’entre guerroyer l’ung l’aultre, sa saincteté vouloit (p. 216) garder et conserver les droictz et libertez ecclésiastiques, ceux de Venise se veullent avec la conservation des gens d’Eglise, maintenir et entretenir aussy leurs subjects et tout leur domaine es aulcuns privilèges, droictz, us et coustumes du pays. Dieu vueille aux uns et aux aultres toucher le cœur pour vivre par cy après en bonne vision et concorde.

787Depuis j’ay entendu d’un honorable personnage que l’orrigine de toute l’affaire des Vénitiens provient d’un faict particulier (comme y a présumptive apparance), qui est qu’un jour, Monsieur le nonce estoit en propos et devys avec un des sénateurs, devisans, sur quelque poinct de ce différent232 ; et comme les devises invectivement se montèrent entre eulx, le nonce dict : sy j’estois pape, je vous empescherois bien de faire telle chose. Le sénateur respondant : si j’estois duc, je vous garderois bien d’entreprendre sur nous telle chose. Or est advenu que ledict sieur nonce est parvenu en ceste dignité, et ledict sénateur devenu duc en mesme temps. Lors peult-estre restoit entre eulx quelque petite animosité (car ce sont les hommes, resciant gentes quum homines sunt). M’a aussy apris présumptivement cedict honnorable homme, que, par la grâce de Dieu, de l’entremise, libéralité, sagesse et prudence de ce bon et magnanime roy de France et de Navarre Henri IV^e (que Dieu absolve), avec aultres, et aydez de belles processions et bonnes prières qui furent faictes lors (à ce subject), le tout fut paisiblement accordé. Dieu en soit loué ! Quant à l’asseurance dadvantage de la vérité de ce faict, et orrigine d’icelluy, je m’en tai ; d’autant que cela est oultre ma plus grande cognoissance, joinct que sont affaires des grands.

788Laissons cela, changeons de batterie pour tuer le temps, et prenons aultres devis.

Quinze petites questions et responces

789Pourquoy je mets en advent plusieurs petites questions curieuses, familières et non énigmatiques (quoyque mal polies soient) ; mais pour inciter aultres qui les pourront corriger, augmenter et mieulx que moy amplifier et dilater à l’advenir (comme en toute chose y a commencement). C’est à savoir :

7901° Pourquoy le prebstre, pour dire le Confiteor au commencement de la messe, se tire arrier de l’aultel ?

791- C’est qu’il se déclaire et monstre indigne de l’entreprise qu’il prétend faire en ce sainct et très auguste sacrifice de la messe, pourquoy ainsy se confesse (s’il l’entend).

7922° Pourquoy les Kirie eleison et Alleluya se dient en langue grec, et aultres, non en latin, comme en pareils aultres mots de la messe ?

793- Pour ce qu’on ne scauroit comprendre deument ny parfaictement la signification et vraie substance et étimologie d’iceulx ; pourquoy on est contrainct les laisser dire et chanter en leur langue naturelle.

7943° Pourquoy commançant l’évangille on dit Secundum Lucam, et ainsy des aultres, sans dire : Sanctum Lucam (p. 217) ?

795- Pour ce qu’il n’y a rien de plus sainct que Dieu et son sainct évangille.

7964° Pourquoy on se lève debout chantant les cantiques de Benedictus, Magnificat, Nunc dimittis, et Sursum corda.

797- A cause que sont canticques de l’évangille mesme, se monstrant plus promptz à la deffence d’icelluy, et le cœur eslevé plus que devant à Dieu et à l’attention de ce sainct sacrifice de la messe.

7985° Pourquoy on ne chante jamais les articles du Credo haultement, seulement le simbole du concille de Nicé qui se chante à haulte voix solemnelle, et ne faisant mention de la descente aux enfers ?

799- Démonstrant que la colection des douze articles d’icelluy fut faicte par les Apostres en secret, lorsqu’ils ne s’osoient asseurement monstrer et déclairer, pour la malice enragé des Juifz. Mais le simbole du concille de Nicé se chante comme dessus, en exaltant la victoire que l’Eglise a eue alencontre de toutes les hérésies qui ont débattu et escrit contre iceulx articles, excepté sur celuy de la descente aux enfers qui n’a oncques esté debattu, pourquoy n’est contenu audict simbole de Nicé. Toutesfoys plusieurs sont d’advis qu’il seroit besoing de l’adjouter audict simbole, pour le règne de maintenant, où est grand nombre de doubteurs et icelluy article déguisans.

8006° Pourquoy celuy de sainct Athanase233 ne se chante que comme un pseaulme seullement, encor qu’il soit fort amplement dilaté ?

801- Pour ce qu’il est faict et composé par un homme seullement, comme David les pseaulmes.

8027° Pourquoy le Te Deum laudamus se chante plus solemnellement que le simbole de sainct Athanase ?

803- A cause qu’il est composé et faict par deux des plus notables et saincts docteurs de l’Eglise catholicque.

8048° Pourquoy on coule ouvrant les courtines de l’aultel, quand on veult lever le corps de Nostre Seigneur en la messe ?

805- Démonstrant que le ciel s’ouvre en descendant (sans quitter le ciel), Dieu et ses Anges assistans à ce divin sacrifice.

8069° Pourquoy le Pater noster se die et chante bas et hault, et quelque foys à genoulx et aultres foys debout ?

807- En la messe on la chante hault comme oraison principalle et dominicalle, pour ce qu’on doibt tous estre à genoulx, comme l’exortoit faire à ses paroissiens Monsieur Gérard de la Lobbe, ancien curé de Sainct-Jacques (que Dieu absolve). Aux preces et prières secrettes, on la dict bas et chacun en son particulier ; et à matine, devant l’évangile, on doibt estre debout comme estant aussy de l’évangile.

80810° Pourquoy, en l’église Nostre Dame, on ne donne la bénédiction au grand aultel, fin de la messe, après Ite Missa est (p. 218) ?

809- Pour ce que c’est affaire à Monsieur l’archevesque de donner la bénédiction, non aux chanoines.

81011° Pourquoy on ne reçeoit en tout le diocèse et églises de Reims, aulcuns hymnes à matine, seullement un aux laudes en caresme ?

811- Pour démonstrer et signifier que l’église de Reims est plus ancienne que l’invention et réception des hymnes en l’église.

81212° Pourquoy en tout temps de Pasques on chante Alleluya en toute chose ; mesme, ès dymanches et festes, deux Alleluya à la messe, excepté le bon jour et toute la première sepmaine, qui est, comme l’ordinaire, d’un seul Alleluya après le respond ou grez [i.e. graduel] de la messe ?

813- Pour ce que ledit bon jour et toute la sepmaine représente encore l’Eglise militante ; et tout le reste dudict temps représente l’Eglise triomphante, où il n’y a faulte de dévotion, mélodie, armonie et attention, représenté par le beau service qu’on doibt faire en l’église.

81413° Pourquoy aux deux évangiles appellez les parages, l’un dict que sainct Joseph estoit filz de Jacob, et l’aultre dict qu’il estoit filz d’Hely ; et sont tous deux véritables et d’accords ?

815- Pour ce que la femme vefve lors n’ayant d’enffant de son premier marit, que sy elle se remarioit et eut enffant du second, falloit qu’il portant le nom du premier marit selon la coustume.

81614° Pourquoy on donne à laver les mains aux baptesmes des petitz enffans ?

817- Pour démonstrer que tous les assistans et chacun de nous doibt estre innocent, netz et blanchys comme ce petit enffant présent régénéré.

81815° Que méritent ceulx qui prient volontiers Dieu pour les trespassez ?

819- Ils méritent qu’on prie Dieu pour eulx après leur déceds.

De telle mesure
Que mesurerez :
Ainsy, chose sure,
Mesurez serez.

Responce erronée

820Lesquelz articles estans en minutte aulcunement dressez sans responces, pour instruction les monstray à ce petit Boulart, jeune clerc ; ce qu’il déclaira aulcunement à M. L [ ] geol ; lequel arrogamment lui feit responce, disant : « Jehan Pussot radotte. » Et iterum dict : « Va, Jehan Pussot est un vieil radotteur. » Voilà une sage responce pour un tel homme.

Ainsi par sa présumption,
Faict responce fantastique ;
Comme ne trouvant rien de bon,
S’il ne vient de sa boutique.

Procession générale

821Pour parachef des prières et continuelles processions qui se faisoient journellement durant ceste cource de maladie et discenterie, fut le dimanche XXIV^e novembre 1624, jour de la translation Monsieur sainct Jacques, faict procession générale, remerciant Dieu de ce qu’il luy a pleu par sa bonté la faire cesser, au soulagement et consolation de son pauvre peuple. Pourquoy, agimus tibi gratias.

822Rien au monde de stable, subject à augmentation et diminution, ainsy que le dict le sage Cathon234.

Motz dorez

Qui veult orloge maintenir,
Jeune femme à grez servir,
Vieille maison entretenir,
Et pauvres parens ayder :
C’est toujours à recommancer.

Disoit encor

Ne souffre à ta femme pour rien,
De mettre son pied dessus le tien ;
Le landemain la bonne beste
Le voudra mettre sur ta teste (p. 220).

Adventz

823Les sermons des adventz de ladite année 1624 furent faictz par ledit sieur archevesque, de merveilleuse doctrine comme est sa coustume ; de la pénitence, sur la pénitence du roy Ezechias et Mennacez. Où n’y avoit place agréable qui vouloit, pour l’affluence des auditeurs. Mais alternativement estoit soulagé quelques jours des prédications de Monsieur Gaumont, curé de Sainct Estienne, homme très docte, toutesfoys n’avoit en ses sermons telle affluence. Dieu les veuille rénumérer de sa grâce, faveur et bénédiction ! Amen.

Convoye honorable

824Le lundi IX^e décembre 1624, neuf heures du matin, fut convoyé d’un honnorable convoye, comme telle chose le requiert, le corps dudict deffunct Monsieur de Sillery, qui avoit esté auparavant emmené aux Jesuystz depuis son déceds. Et fut ainsy conduy jusques hors la ville, d’où il fut mené où il est inhumé. Dieu veuil avoir son ame !

Proverbes

Et va où tu veulx,
Mourir où tu doibs ;
Pour gaigner les cieulx,
Charitable sois.
Car il fault tous mourir.
Sage, fol, sot, vuir, pauvres, riches aussi périr ;
En délaissant leur tant chère chevance,
Mesme à ceulx dont ilz n’on cognoissance.
Et relinquent alienis divicias suas (Ps. 48).
O ! combien il est malheureux le désir
De vouloir estre grand pour avoir plaisir,
Puis devenir rien et en terre pourir,
N’emportant nul bien, encor moins de vertu.
Ergo : beati pauperes spiritu.
O ! que ce sont de beaux estatz
De gaigner la vie de ses bratz.

Pour la grande bonté du vin de maintenant,
Le service en Sainct Jacques se fait pire que devant,
Où va l’honneur de Dieu négligemment,
Et sy n’y a personne y donnant règlement,
Combien dangereux est l’impugnité vrayement !
Mais : Quod difertur, nonaufertur.
Comme un bon ouvrier, ayant quelque moyen,
Ne vouldra soy lier en sy petit lien :
Ainsy un bon docteur scavant, sage et prudent,
Ne sera pas doubteur de ce qu’il entreprent.
Pourquoy se fault passer ce qu’on peult avoir ;
Faulte de sage en cherre, ignare y convient veoir.
Et male, ce dit la glose ordinaire :
C’est pourquoy je ne me puis taire.

J’ayme bien les gens d’église,
Mais non en eulx l’ignardise ;
C’est chose monstrueuse de veoir
Ecclésiastiques rien scavoir.

Ceux qui chantent sans mesure
Ni mélodie,
Ils se rendent non sure
De la chanterie
[variante :
De chanter sans mélodie,
C’est en vain la chanterie].

825Et dixerunt : non videbit Dominus, nec intelliget Deus Jacob (Ps. 93) ; ressemblent à ceux qui dient : boute, boute, le Dieu de Jacob ne veoit goutte. Multi dicunt : quis ostendit nobis bona (Ps. 4). Domine, inosce illis, quia nesciunt quid faciunt. Quod difertur, non aufertur235 (p. 219).

Oraison dominicale236

Père de nous, qui es la hault ès cieulx,
Sanctifié soit ton nom précieux :
Advienne tost ton sainct règne parfaict :
Ton veuil en terre ainsy qu’au ciel soit faict :
A ce jourd’huy sois nous tant débonnaire
De nous donner nostre pain ordinaire :
Pardonne-nous les maulx vers toy commis,
Comme faisons à tous noz ennemis :
Et ne permect, en ce bas territoire,
Tentation sur nous avoir victoire :
Mais du malin cauteleu et subtil,
Délivre-nous, ô Père ! Ainsy soit-il.

Ave Maria

Salut, Vierge Marie,
De grace très amplie,
Dieu est avecques toy :
Tu es sur toute femme
Benicte, ô saincte Dame :
Ton fruict benict de soy,
O mater Dei, memento mei !Amen.
[note : c’est la reprise ordinaire de feu
Ce grand Monsieur Picart, preschant en tout lieu ;
Faisant grand debvoir (de la grace de Dieu),
Pour tout héritage a le ciel esleu.
Resquiescat in pace ! Amen.

Antiquité. Grâces anciennes qu’on chantoit encor, fin du repas, au temps de mon adolescence

Nous renderons grâces au Dieu de lassus
De la bien venue de son fliz Jesus,
Qui naquist de vierge sans corruption
Et pour nous souffrit la mort et passion.
Kirie eleison, Kirie, Criste, Kirie eleison !
Adam, notre père, nous meit en danger,
De la pomme chère qu’il voulut manger :
Pourquoy estions tous en damnation,
Mais le filz Marie nous a faict pardon.
Kirie eleison, Kirie, Criste, Kirie eleison !
Prions tous ensemble pour nostre bon roy.
Que Dieu par sa grâce augmente la foy
Catholicque, avecque bénédiction,
Et vuir son peuple en dévotion.
Kirie eleison, Kirie, Criste, Kirie eleison !
[note : ce couplet se pourra mettre le III^e, pour en tout en avoir cinq].
Ores, nous prierons tous généralement
Pour père et pour mère et pour tout parent,
Pour ces pauvres ames qui sont en prison,
Que Dieu, par sa grâce, leur face pardon.
Kirie eleison, Kirie, Criste, Kirie eleison !
Bien venus soyons, deboutz et assiz,
Les vieux et les jeunes, les grans, les petitz.
De la bonne chère Dieu remercions,
Beuvons après grâces, gaignons les pardons sainct Boniface.
Kirie eleison, Kirie, Criste, Kirie eleison (p. 221) !

826Belle prière à moy convenable selon mon aage et caducité, tirée des chansons à quatre du livre II^e du recueil

Hélas ! mon Dieu, ton ire s’est tournée
Vers moy, ton serf, qui me poursuit sans cesse.
La peur que j’ay, faict que l’ame estonnée
Donne à mon cœur une extreme destresse.
Le sens me fault et vertu me délaisse,
Tousjours estant douleur devant mes yeux.
Je te réclame et appelle en tous lieux,
Pour mettre fin à l’ennuy qui me poinct.
Sy tu ne veux (hélas, hélas) m’envoyer mieux,
Au moins, mon Dieu, ne m’abandonne point !

827Autre séquence sur la chanterie. Le cyne poétique237

Le Cyne poétique
Qui est le mieux chantant, Sur la ryve aquatique
Va sa mort lamantant :
Las ! tel chant me plait bien,
Qui est semblable au mien.
Las ! (bis)…
Car ayant atteinct l’age
Quatre-vingtz ans passez,
Dieu m’a donné usage
D’estre contant assez [note : le contant est riche en ce monde]
Recepvant grans secours
Sur la fin de mes jours,
Recepvant (bis)…
Bon Jesus pacificque
Et seigneur tout-puissant,
Fait mercy deificque
A moy pauvre servant,
Pour me mettre, hélas !
En repos et soulas !
Pour me mettre (bis)…

1625

Bruict de guerre

828Au moys de janvier 1625, estoit grand bruict de guerre advenir à l’encontre du roy d’Espaigne ; non de la part du roy de France, qui ne demande que la paix en ce royaulme : priant Dieu, luy vouloir maintenir, garder et assister en ses desseinctz et entreprises ayder (p. 222).

Yvert doulx. Prix des choux, grains et vins. Affluence des nyds de chenilles

829Cet yvert de 1624 et 1625 fut merveilleusement doulx et humide, ne cessant de pleuvoir en grande habondance et ventz impétueux, depuis la fin d’octobre 1624 continuant jusques après mie febvrier 1625 ; seullement deux ou trois matinées de petite blanche gellée, encore ce n’estoit qu’eaue. En sorte que tout poussoit et croissoit, mesme les fleurs et violettes, comme en esté : tellement qu’il fut semblable à celluy des années 1616 et 1617, voir encor plus doulx et gracieux ; causant, comme devant, bon marché des choux (qui montoient en semence), oignons, porreaux et aultres verdures, mesme les bleds sur terre nouez. De quoy le peuple s’esmerveilloit grandement, comme n’ayant point d’yvert : chose convenable aux pauvres gens, mal pourveuz de boys. Le vin moyen valloit XL l. la queue ; le froment IV l. X solz ; le seigle L solz et l’avoine XXX solz le septier. On n’a veu longtemps aultant de nyds de chenilles aux arbres, comme y en avoit durant cest yvert et sur le printemps, ce qui ne faisoit présumer chose de bon. Mais la bonté de Dieu est par dessus tout (p. 223).

Meurtre desplorable

830Le vendredy VII^e febvrier 1625, furent enterrez honnorablement Monsieur Oudart Fremin, chanoine de Reims, avec son petit bien jeune serviteur innocent, qui avoit esté trouvez massacrez et tuez de quelques jours préceddentz IV^e febvrier 1625, devant la cave de leur maison (qui est le petit Sainct Martin) ; pris, pillé et emporté tout son or et argent et aultres meubles. Lequel estoit homme de condition assez mécanique, solitaire et de peu de fraiz, ne s’osant bien faire à soy mesme (Ve soli), toutesfoys grand rentier et pécunieu (cause de cet accident). Dieu leur face pardon ! Et relinquent alienis divicias suas. Les meurtriers et larrons non encore descouverts et incongnuz ; ce qu’on solicitoit en diligence, y ayant moyen pour ce faire.

A juventute mea

831Retournons au temps de mon adolescence, estant jeune escolier, où n’estoit encor l’usage ès escritures de tant de sortes de marques, scavoir : parentèzes, accents, virgules, apostrophes, diffetongues et aultres semblables remarques, mesme de prononciation des quantités en la chanterie, comme maintenant font, plutost par présumption qu’aultrement, jeunes gens d’Eglise : au désavantage de l’honneur de tous les bons et saincts docteurs, lecteurs et chantres du temps passé, qui ont réglé l’Eglise selon les bons et beaux livres qui en sont faictz et sont encore à présent. Auquel temps, estoit l’émologuation des Coustumes de Reims et aultres238.

Régent dangereux, Né d’argent

832Et estoit au collège des Bons-Enfants un signalé régent239, fort renommé en science et excédant en bruict par dessus les aultres. Inventa avec ses complices et adhérants l’usage, ou du moins augmenta de beaucoup ces façons de remarques innaudictes. Mesme mirent sus la manière de prononcer sur la cognoissance de la différence de S contre le C, en plusieurs motz ; comme, au lieu qu’on disoit Celum, ils prononcent Chelum ; et plusieurs aultres prononciations lors non accoutumé. Dont plusieurs gens de bien s’en formalisoient, et principalement sur la chanterie. Que sy ceste prononciation est nécessaire, conséquemment seroit nécessaire faire quelque marque et distinction pour la prononciation d’entre S et le C qui sont souvent mal à propos confusément appliquez ès escritures.

Retranchement de la lettre K

833Aussy ostèrent l’usage de la lettre K de tous les motz où il estoit mis et conjoinct ; comme Catherine, calendrier et plusieurs aultres : soustenant, qu’il ne doibt servir ny estre applicqué que à Kirie eleison seullement, comme se prouvoit par une règle latine qu’on tenoit lors, laquelle (à mon grand regré) s’est esvanouie de ma mémoire. Et maintenant on a remis le K en plus grand usage et sans comparaison qu’il n’estoit lors. Et commença aussi l’usage de plusieurs aultres nouvelles prononciations des lectures et escriture, par le moyen dudit signalé régent, qui ne se nommoit aultrement vulgairement que Monsieur le Né d’argent, d’aultant qu’il avoit eu le né coupé et en avoit un d’argent. Et comme estant en partie cause de l’invention de ces nouvelles choses, le faisoit ainsi grandement renommer.

Instruction maulvaise

834Mais estant recherché de près, fut trouvé qu’il gastoit et de faict gasta grand nombre de jeunesse et d’aultres gens par instruction de meslange luthérienne et calviniste : en sorte qu’il fut expulsé de ceste ville tant judiciairement que aultrement ; tellement qu’il fut conduy à Paris où il fut bruslé. Et sur l’exécution de telz personnages estoit une chanson courante, composé sur (p. 224) le chant de leur pseaulme : Domine, dominus noster, où estoit ces motz : qu’ils estoient gettez à la voyerie avec le Né d’argent.

Briseurs d’images240

835De ces adhérants en ceste ville estoient plusieurs hommes et gens de mestier qui ne cessoient nuictamment que vacquer à rauder, rompre les croix, images et toutes choses pieuses et de dévotion ; dont aulcunes vestiges sont encor apparantes, comme celles de la Magdeleine et du Parvy, celle de Caillet au petit cymetier de Sainct Jacques, avec les images de la devanture du grand cymetier, la croix de bois au dessoubz de l’église Sainct Martin et plusieurs aultres. Et estant appréhendez, suyvant le désir, volonté et commandement de Monsieur le cardinal de Lorraine, nostre archevesque, convaincuz et aulcuns condampnez à mort pour leurs mauvaises entreprises, séditions et déportements, se portant appellans furent menez à Paris, d’où furent renvoyez gayement absoubz, eulx se mocquants plus que devant, par ce que alors estoient pares cum paribus. C’estoit après le temps que Monsieur l’ancien prince de Condé241 avec Monsieur du Plessis, bailly d’Orléans (grand seigneur), estoient prisonniers audit Orléans, et condampnez (pour ceste religion), prestz à estre exécutez à mort, touttes les préparations ja faictes ;

Echappe qui peult

836N’eut, en peu d’heure, survenue la maladie et mort du roy François second242 (que Dieu absolve), pourquoy lesditz grans seigneurs furent délivrez et mis en liberté.

Nouveau imprimeur

837Environ ce temps aussy estoit audict Reims un bon et signalé imprimeur, que Monsieur le cardinal de Lorraine avoit tiré de la ville de Lion, qui se nommoit Monsieur Bacquenois, homme digne de sa charge (comme ses œuvres le monstrent encor)243 ; qui avoit un brave et grand serviteur menant et conduissant soubz luy toutes ses affaires et principallement le faict de l’imprimerie, mais fort notté de ceste nouvelle religion, qui se nommoit Geoffroy244 [ ] ; soubz lequel et par lequel se passoit beaulcoups d’abus et pas de clercz.

Sortie de Théodore de Bèze245

838Car Théodore de Bèze estant encor vivant, qui souvent s’acheminoit en ceste ville, ordinairement receu logeant au logis du viel Monsieur de Bransecourt, maintenant appellé la maison Monsieur de Muyre246. Et un jour, une heure de relevée, ainsy que j’allois à l’escolle d’un escrivain, au Sainct Esprit, à l’entrée du Marché aux chevaulx, m’arestay au devant de ladicte maison ; où estoit grand nombre de personnes regardans, pour ce que ledict Théodore de Bèze estant sur son partement, venant de conférer avec Monsieur le cardinal de Lorraine (que Dieu absolve), mectant le pied à l’estrier, dict haultement, parlant à son hoste ledict sieur de Bransecourt, présent toute la compaignie, ces motz que j’entendis facilement, disant : « si j’avois telle élocquence que Monsieur le cardinal de Lorraine, j’esperrerois convertire et rendre moictié des personnes de la France à la religion de laquelle fay profession ».

839Et voilà principallement d’où vient le commancement à Reims de la religion luthérienne et calviniste, n’estant encore eschepy le mot de huguenot. Lesquelz luthériens, calvinistes et leurs adhérants commençoient à gringnoder et improprement chanter les pseaulmes Marot seullement, car ceulx de Bèze n’estoient encore escloz ny parfaictz, qui en a mis cent en ryme et chansons, oultre les cinquante dudict Marot. Ceste religion ainsy pullulente, prenant accroissement en France environ l’année 1562 et devant.

Entré du mot de Huguenot

840La ville d’Orléans, entre aultres, en estant fort infectée, et y en avoit plusieurs signalez ministres y preschant solempnellement et par ordre (toutesfoys sans son de cloche audit Orléans, qui leur estoit interdict). Entre lesquelz et le plus renommé, qui faisoit ordinairement le cathéchisme à midy, estoit homme rousseau, de grand savoir, qui se nommoit (p. 225) Monsieur Hugues Suzois, prieur des Rosières, en ces quartiers, qui a faict beaucoup d’escris ; pourquoy fut par plusieurs foys mené au roy (comme on disoit), pour se justifier de plusieurs poinctz qu’on luy mettoit sus selon ses escriptures ; de quoy n’eut pour ce aultre peine. Et depuis ay esté adverty de bonne part, que sur la fin il s’est remis en bon estat et mort, deuement converty en la foy catholicque, comme bon crestien. Dieu le vueil et avoir son ame ! Pourquoy plusieurs ont estymé et tiennent que ce mot qui est maintenant en règne, scavoir huguenot ou huguenau, est tiré desryvant de ce nom Hugues247 ;

Invention du mot de poltron

841Comme le mot de poltron, qui n’avoit esté ouy auparavant la mort de ce grand, vaillant et généreux chef d’armes Monsieur de Guyse, qui fut frappé à mort d’un coup de pistollet par ce misérable Poltrot Guymeret248, au camp devant la ville d’Orléans, soubz le nouyer du coing, à l’entrée d’Olivet, proche ladicte ville. Dieu veuil avoir son ame !

842Dans laquelle ville estoient ledict prince de Condé, Madame de Longue Ville, sa seconde femme249, l’admiral Dandelot250, Mouy251 et plusieurs grans seigneurs de leur sexte et religion. Et est à noter que leurs presches se faisoient par ordre, sçavoir à sept heures du matin, puis à neuf heures, le catéchisme à mydy, et à vespres les grandes prières.

Bonne règle sur mauvais cas

843Je dis cecy pour ce que durant lesquelz presches et prierres, speciallement en la ville de la Rochelle, personne ne s’eust osé trouver sur le pavé en rue publicque sans grande et légitime excuse.

Passage de Madame la duchesse de Ferare

844Durant ce temps, Madame la vieille duchesse de Ferare, sœure du feu roy François premier de ce nom252, passant et allant en plusieurs lieux de la France, faisoit faire presche par tout (encore que ce faict fut estrictement deffendu à tous aultres, sy grand qu’il fut). On tenoit qu’elle avoit bien six vingt ans, et ne laissoit (sans lunettes) de facilement lyre au plus petitz caractères que ce fut : chose admirable au peuple de ce temps ! Et y avoit (qu’elle feit prescher sur la rivière de Loire) un prédicant interdit de par le roy, en peine de la vie, lequel se nommoit Monsieur Pinseu, évesque d’Espaigne, renié et réfugié en France ; ce qui lui estoit particulièrement permis pour le respect de sa qualité et grande princesse.

Ces ministres preschementeurs,
Avec leur preschementerie,
Alloient preschementant doubteurs,
Preschant doctrine de flatterie.

Comparaison (p. 227)

845Comme les pièces de deux solz six deniers, appelées pièces de six blancs, fabriquées au règne du roy Charles IX (que Dieu absolve !), j’entend les pièces poisantes ou à poiser, comme on disoit, qui estoient et sont encor bonnes et de bon alloy ; mais par l’avarice d’aulcuns marchants qui en feirent venir grande quantité de petites légères qu’on appeloit gribouris, non de telle matière, pois ny fabrication que les dessus dittes, que le peuple incontinant vint à mespriser et desgoutter, en sorte qu’elles furent cause de descrier populairement et les bonnes et les mauvaises, comme se veoid encor maintenant.

846Ainsy les pseaulmes de la translation et composition de Clément Marot et Théodore de Bèze, encor que cet œuvre fort labourieu ne se pouvant faire que par gens lettrez et d’esprit253, sy est-ce à cause des faultes estant en iceulx (p. 228), recongneues et reveues par la saincte Eglise, mère des bons et vrais catholiques, les a à bon droict condamnés et déclarés hérésie, et deffendu l’usage d’iceulx, tant en ce qui est bon que maulvais ensemble.

847De mesme, les œuvres tant à louer de ce grand Erasme, pour y avoir entremeslé quelque petit discours contre aulcuns moynes, et un grand nombre de livres pareillement deffendu, mesme par les sacrez concilz, et principallement celluy de Trante, meurement deslibéré, les ont tous déclarés apocriphes, censurez et de nulle valeur, aussy bien ce qui y est bon que maulvais, et selon aussy la qualité des aulteurs254.

Conclusion

848Si la conséquence est admissible, fauldroit délaisser, quitter et aborer toutes ces remarques, prononciations, inventions de nouveaultés susdittes et inaudictes, signamment les quantités de la lecture en chantant, comme estant inventés ou du moins grandement amplifiés par ledict régent, Monsieur le Né d’argent, ses complices et adhérants, ne vallants guère d’argent : comme est montré par leur procès, exécution, supplice, et demeurez manans et habittans de la voirie, ainsy que devant est traicté. Si on veult avoir esgard à la qualité des aulteurs et leurs œuvres deffendues tant bonnes que maulvaises : toutesfoys je me resoubz à la délibération de la saincte Eglise catholicque, apostolicque et romaine, n’en voullant prendre aultre soing que le passe temps et esvitant oisiveté.

Advis

849Mais quand je debverois estre réputté et estymé tel qu’il plaira aux estymateurs, je ne puis que ne déclairer par mon zèle et advis, moy indigne, que sans desroger à la saincteté de l’Eglise, ma mère, pour le gouvernement du temporel d’icelle, le règlement des Vénisiens, selon l’ordre de la sérénissime républicque de Venise, en est meilleur, scavoir : que les ecclésiastiques ne doibvent posséder aultres héritages mondains que rentes et argent suffisant pour leur entreténement, vitum et vestitum, annuelz et nécessaires, l’un plus que l’aultre selon leur ordre, grandeur, dignité, degretz, offices et bénéfices ; sans estre occupez et subjects à tant d’affaires mondaines, leur causant distraction, pour tant d’empeschements, corrompants leur prière, dévotion et attention qu’ilz doibvent avoir au service de Dieu, où ilz sont spécialement tenuz et obligez en peine de péril de leur salut, et sans estre tant distraicts, oultre les entretenements des églises, par tant de sortes de gens, scavoir : fermiers, admodiateurs, soliciteurs, laboureurs, vignerons, massons, charpentiers, couvreurs et plusieurs aultres ; mesme marchans, marchandises, trocs, hazards, vaches, brebis, oysons à moictié, voir aulcuns composés de fer (ainsy que gens méscaniques et avaricieux font) ; desrogeant à l’excellence de la saincteté de leur ordre et qualité ; faisant bresche occulaire à la saincteté et intégrité ecclésiastique. Je scay qu’ilz diront que ce n’est à faire à gens de ma qualité à y trouver à dire. Pour responce, je dis seullement : Et male ; car s’ilz ne faisoient la faulte publicquement, répréhension n’y auroit lieu. C’est chose desplorable, quand il fault que gens de petite qualité arguent leurs faictz et déportementz. Sy les petitz se taisent, les pierres parleront. Cecy s’adresse principallement à jeunes ecclésiasticques, encor que le mot de prestre signifie ancien, sinon d’age, soit de mœurs : ce que je désire pour eulx, priant Dieu leur donner son Sainct Esprit, pour lui faire service agréable ! Amen.

Surprise fal [ ] ie de la ville de Genève ; Monsieur Spiphame et explorateurs pendus (p. 225)

850Alors estoit en la ville de Genève leur grand évesque et principal ministre nommé Monsieur Spiphame, auparavant évesque de Nevers renié, qui gouvernoit tout l’église dudit Genève : lequel y fut pendu et estranglé avec deux explorateurs255, voulant et pensant trahire ladicte ville, à la poursuitte de Monsieur de Guyse, faignant mener grosse armée à Malte s’amassant proche de la ville de Lyon. Mais l’entreprise fut descouverte par le jeu ignart desditz deux explorateurs, n’entendans bien jouer leurs personnages. L’un desquelz estoit enffant d’une bonne maison de la ville de Baugency, où je demourois lors, qui m’estoit bon amys, fort bon soldat, bien lettré et de grand sçavoir. Lequel, peu devant que de recepvoir le suplice, escrivit unes lettres à sa mère et à sa sœure, adressant à (p. 226) moi comme familier et amys d’icelles, apporté par un habittant de Genève qui estoit natif de laditte ville de Baugency, venant veoir ses parens.

851Dans laquelle lettre estoit entre aultres affaires ses regretz de sa fortune : car il n’y avoit qu’environ trois sepmaines qu’il estoit partie d’avec nous, retournant à l’armée d’où il estoit revenu ; mais s’atristant de ce que son beau père, homme ancien, ne tenoit de lui grand conte, après m’avoir déclaré ses affaires, faict son testament au prouffict de sa dicte sœure qui estoit demeurante à nostre logis, se despartit ainsy de nous avec grand deuil. Ne fut pas plustot à l’armée (où il avoit grand crédit et renommée), qu’il fut choisy et envoyé à Genève avec son compaignon explorateur en ceste commission.

Les enffants maltois

852Et l’entreprise estant descouverte et ceste exécution faicte, l’armée fut rompue, et les gens de guerre renvoyez et licenciez, qu’on appeloit par ironie les enffans maltois ; desquelz y en avoit de ceste ville de Reims qui me vindrent visiter et recongnoistre (pour leur pénurie) audict Baugency ; lesquelz estoient fort langoureux et mal habittuez, et principalement ce pauvre Jehan Alardin, compaignon tanneur, frère de la femme Servais Mynel, qui mouroit de faim lorsqu’il me vint saluer.

Huguenotz atristez

853De ceste trahison et exécution, les luthériens, calvinistes et huguenotz de la France estoient en grand esmoy, tristes et comme muetz, ne guasouillant comme devant.

Mocquerie des huguenotz

854Mais relevant leurs cornes et cacquets, pour revange, firent courir grand bruict plustot par mocquerie qu’aultrement, comme est leur coustume, disant : que Monsieur le cardinal de Lorraine preschant devant et en la présence du roy, le premier dymanche de Caresme, sur la tentation au désert, avoit dict, respondant au tentateur, ces mots : « Vien ça, diable mon amy, ne scais-tu pas qu’il est escrit : tu ne tenteras poinct le Seigneur ton Dieu ». Ce que j’ai tousjours estymé imposture et menterie sortant de leur malice ; car le personnage estoit plus sage et discret.

Prédication

855Toutesfoys moy estant revenu en ceste ville et quelque temps passé, estant avec mes compaignons à disner audevant de l’esglise des Frères Prescheurs, ledict dymanche premier de caresme suyvant, après leur avoir faict ce discour de risée, et le sermon sonnant, y allasmes tous. Auquel sermon, ledict prédicateur du lieu mesme feit pareille faulte et proféra ces mesmes parolles de mon amy : pourquoy comme folastres sur la fin sortismes en risée. Je dy cela, non pour mocquerie, mais pour se donner de guarde en parlant : car la langue est plus subtille que l’entendement.

La parolle de soy est bien produitte,
Si elle n’est meilleure à dire que dicte.

Grosses cloches de l’église de Nostre Dame de Reims

856Par la grâce de Dieu, j’ay encore en mon entendement, jugement et aureilles le son et ton des deux anciennes grosses cloches de l’église Nostre Dame de Reims ; j’entend de celles qui estoient auparavant celles que deffunct Monsieur Pierre Deschamps refondit, desquelles la grosse est encore en règne. Car je certify qu’elles estoient un ton plus grosses qu’elles n’ont esté depuis ainsy refondues ; mais lors la grosse estoit de longtemps rompue et cassée, tellement qu’elles furent plusieurs années à sonner faisant bon, tron ; et dès lors n’estoit la petite de sy bon comme avoit esté la grosse (p. 227) ; et enfin fut laditte petite rompue.

Fraction de la petite ancienne ; Qualité du fondeur

857Pourquoy Messieurs les firent refondre par ledict Monsieur Pierre Deschamps fort expert et adroict en cet art, qui se tenoit au Barbastre. Lequel n’avoit poinct d’enffant, homme grave, de belle grandeur et représentation, capitaine-enseigne des harquebusiers de Reims, tournant et maniant l’enseigne bravement et adextrement quand elle estoit en ses mains. Mais ses devises ordinaires affirmés avec jurement, ce qui ne luy coustoit rien, car il prenoit cela sur le sien par coustume et habitude, ès assemblés desdits harquebusiers, monstres et aultres bravades ; estoit revestu de piedz en teste, l’une des foys tout de satin blanc, et aultres foys alternativement tout de satin rouge, tant il aymoit l’excellence. Et ayant ainsy refondu lesdittes deux cloches, desquelles la petite n’a eu sy bon ton que la grosse qui est encore en son entière, combien qu’elles eussent esté coulées ensemble. La cause, je m’en rapporte à mieulx entenduz que moy.

L’apropriation d’icelles

858Quant à son salaire, n’en ay mémoire. Mais scai-je bien qu’elles furent levées et rependues prestes à sonner par feu mon oncle Claude Pussot, qui en eut pour salaire cinq cens livres tournois ; quoy faisant, par fortune y eut l’espaule rompue ; et Monsieur Pierre Doynet qui feit toute la ferrure.

Celles de la Magdeleine refondues ; Diminution de celles de Nostre-Dame

859Ce faict, incontinant après, ledict Deschamps refondit les deux de l’église de la Magdeleine. Et en beuvant les vins du marché et convention d’icelles, sans contraincte, ledict fondeur dict, en affirmant cum juramento, selon sa coustume, qu’il avoit menty plus de quatre à six milliers à celle de Nostre Dame ; ce qui démonstre encor qu’elles ne sont sy grosses qu’elles estoient auparavant et anciennement, et comme est affirmé par mon jugement.

La grosse de la Madgeleine deux foys refondue

860Et ayant en son logis ainsy refondu celles de la Magdeleine, les mena au lieu, où on ne voulut recepvoir la grosse, n’estant aussy recevable. Ce qu’il ramena, et la fondit de rechef ; encor y avoit-il forme de noyau qui n’estoit souldé en icelle, faisant que le son frizoit. Toutesfoys on s’en est servi jusques à la refonte dernière.

Advis sur la dernière refondue

861Quant à la petite des deux grosses de Nostre Dame, dernière refondue, me semble qu’elle est trop grosse d’environ un quart de ton ; que sy elle eut esté un peu raccourcie, elle eut eue une bien meilleure armonie (sauf meilleur advis). Pourquoy fut longtemps sans réception. Mais qui y a affaire s’y entende ; c’est la devise de feu mon oncle Nicolas Le Moyne, riche boulanger, attenant des Deux-Anges.

1625 suite (p. 229)

Regret

862Un très grand regret à moy s’est formé ces jours de feste des bonnes Pasques et de la glorieuse résurrection de Nostre-Seigneur, 1625 ; pour ce que, en la très dévotte, admirable et célèbre procession du matin, le corps dudit Seigneur et Sainct Sacrement de l’aultel y fut inrévérément porté par le prévost chanoyne qui estoit homme fort boicteu et contrefaict ; ce qui desrogeoit fort à l’excellence de ce beau, très sainct service et auguste cérémonie : au grand regret du dévot et merveilleux nombre d’assistans. Mais quoy ! fault conséder et confesser que ne méritons pas mieulx. Dieu y veuille pourveoir, à son honneur ! Amen.

Caresme presché

863Les sermons de ce caresme furent preschez en l’église Nostre Dame par un très docte et admirable mynime, venu du convent de Rethel, nommé le père [ ] ; des plus excellents des préceddents. Et sy en estoit un aultre très docte, faisant à Sainct Denys les sermons des trespassez ; et un aultre assez facessieu, preschant à Sainct Remy et ès églises de ce ban. Dieu les veuille assister !

Course de gensdarmerie ; Monsieur le conte d’Auvergne

864Durant ce temps, régnoit grand nombre de gensdarmerie molestant grandement les villageois. Et sy les charetiers n’osoient sortir de la ville, à cause qu’on leur prenoit les chevaulx, faignant par commissions bonnes ou faulces de les mener à l’armée : en quoy y avoit pauvre adresse et grande vollerie. Monsieur le conte d’Auvergne vint en ceste ville le mardy de Pasques, qui avoit grande charge et commandement sur ceste gensdarmerie (comme on disoit).

Venu de Monsieur de Fescan

865Sur la fin dudit caresme, Monsieur de Fescan, filz de Monsieur de Guyse, fut emmené en ceste ville pour l’inicier aux estudes et parvenir à l’archiépiscopat ; et print possession de l’abbaye de Sainct Remy. Dieu luy veuille bien appeler, conduire et dresser à son salut et au nostre ! Amen.

Foires ; Maulvaise gellée

866Le vendredy suyvant, fut publié à Reims les deux foires en l’an à Charleville. Ceste foire de coulture fut fort orde, le temps venteu et pluvieu. Car dès la mie febvrier susdite, le temps se mettant en froigdure, grans vents et grandes neiges, avec forte gellée et givre ; en sorte que les vignes furent gellées, et quasy partout, mais en plusieurs les bouttons seullement et le boys conservé, et aultres le boys et les boutons gellez ensemble, encor qu’ilz n’estoient advancés non plus qu’en plein ivert. De quoy le peuple estoit estonné, comme chose inaudite. Ceste inconstance dura tout le caresme, en sorte que les laboureurs et vignerons ne pouvoient bien ni asseurément besongner. Et furent les ouvrages fort tardez, et ladite foire fort incommode, au grand regret des marchants.

Déceds de Monsieur Bossumet, curé de Sainct Jacques

867Le lundy, du matin, XXI^e apvril 1625, landemain de Jubilate, morut ledit Monsieur Bossumet, curé de Sainct Jacques, d’une forte pleurésie, malade seullement de sept à huict jours, laissant grand nombre d’or et d’argent. Et fut enterré fort honorablement proche son oncle, en l’église Sainct Pierre. Et relinquent alienis divicias suas. Requiescat in pace ! Amen.

Réception de Monsieur Mogis, curé de Sainct-Jacques

868En ceste cure, au lieu duquel, y fut proveu de la personne de Monsieur Pierre Mogis, docteur en théologie, naguère curé de la Magdeleine, homme très docte, et se meit en possession le jeudy, fin des matines, premier jour de may, feste de la dédicace d’icelle église ; feit la grande procession et célébra solemnellement la grande messe, avec toutes les solemnités requises. Dieu le veuille assister et tous ses paroissiens ! Amen. Ceste réception faicte, promptement le saluai, disant : Monsieur, soyez le bien-venu.

Salutation

Dieu bénisse vostre entrée,
Donnant issue bienheureuse
En ceste charge ordonnée,
Salutaire et onéreuse,
Pour vostre troupeau bienaymé
Paistre en voye gracieuse,
Et parvenir unanime en vie future glorieuse !
Deus custodiat introitum tuum et exitum tuum !

Beau temps

869Le moy de may estant bien disposé et en grande chaleur, causant aux vignes (p. 230) grande naissance et quantité de raisins, le plus produisant d’ambas et sur la souche, à cause de ladicte gellée. Mais sur la fin, les XXIV^e et XXV^e et aultres jours suyvants, le temps se changeant en froigdure, pluye greslons, grands ventz ; le tout n’estant prouffitable aux biens de la terre, rompant les bratz des vignes devant la liaison. Et sy les besches les molestoient, comme l’affluence des chenilles aux arbres, les rendant sans fruictz. Pourquoy n’y avoit grande espérance de recueiller grande chose, saulf la providence de Dieu.

Procession

870A cause de l’injure de ce temps, fut faicte une honorable procession générale, le mercredy, jour de feste sainct Barnabé, avec grande assistance et dévotion populaire : chose admirable de la bonté de Dieu ! Car ce faict ne fut pas plustot advisé, délibéré et conclud de ce faire, que mesme, dès la veille, le temps commença à se mettre en bonne disposition et chaleur, à la consolation du peuple. Ce qui est par plusieurs foys le semblable advenu en mon temps : Dieu en soit loué et remercié ! Ce qui démonstre qu’il est bon se munire de bonne heure par prière et avoir recour à sa bonté. Deus, da nobis auxilium de tribulatione, quia vana salus hominis. Ps. 107256.

Plainte de la (Lairesse) sur mon jardin

871Toutesfoys fault dire que ne sommes dignes d’estre exaucez ; car ce beau temps n’eut pas longue durée, et fut tout le reste dudict moys de juin fort nébuleu, n’estant guère de jours sans pleuvoir. Le tout contraire aux biens de la terre, continuant jusques en mie juillet.

Les meurtriers de Monsieur Flamain

872Sur la fin du moys de may suyvant, plusieurs meurtriers dudit Monsieur Flamain et son serviteur furent emprisonnez sur quelques indices ; qui estoient troys habittans de ceste ville, et tant poursuyvis qu’ilz furent convaincuz du faict et condampnez d’estre eulx troys rompuz et rouez, le sabmedy XXVIII^e juin. Et estans pretz à exécuter et sortir de prison pour les mener faire amande honnorable au devant de l’église Nostre Dame, deux desquelz déclairèrent que le troisième estoit inocent du faict et ne s’y avoit trouvé, et qu’il n’y avoit qu’eulx deux seullement. Et sur ce, l’un déclaira encor qu’il y avoit en sa maison en plusieurs endroicts nombre d’or et d’argent cachez en terre, en provenant : où fut mené ; montra les places, ce qui fut trouvé : déclairant que son compaignon en avoit aussy (ce qu’il nya), sy sa femme qui s’estoit absenté ne l’avoit emporté. De là furent menez après la dicte amande honorable sur l’eschaffault au marché au bled et exécutez fort tard ; d’aultant que Messieurs les juges et conseillers, attendu ceste déclaration, furent fort empeschez et eulx rassemblez sur icelle, et délaissé encor en prison secrète ledict troisième (qui estoit le sergent serviteur ordinaire de la justice des marchans), pour le faict d’icelluy congnoistre plus amplement ; joinct que c’estoit le plus chargé et accusé dudict faict. Sur ce, Messieurs en ayant deslibéré et donné quelque jugement, le receurent pour appelant, et incontinant mené à Parys ; où sur ses interrogatoires, souffrit et endura beaucoup de peines, puis [ ].

Grande chaleur

873Depuis ladicte mye juillet, la grande chaleur et seicheresse continuant, et pour le facheu temps passé, n’y demoura quasy rien aux vignes et aussy peu que de la (p. 231) vie des vivants on a veu, comme en 1598, 1601, 1607 ; mais les vivres bien à meilleur marché ès dictes années que la présente.

Grande perte par le feu aux Maisneux

874Et advint le vendredy XVII^e aoust, que le feu print au village des Maisneux, et quasy toute la rue depuis l’église tirant vers Reims, en peu d’heures, bruslée ; où il y eut merveilleuse perte, Dieu leur donne patience et nous en préserve, par sa grâce !

Cource de fiebvre

875Sur la fin du moys d’aoust, la grande chaleur continuant, advint une cource de maladie de fiebvre estrange, et quasy partout, en sorte que peu des maisons en estoient exentes (cource bien mauvaise et rigoreuse, continuant le moys de septembre, et quasy incongnue aux médecins). Dieu y veuil pourveoir ! Amen.

Pris des grains et vin nouveau

876En ce temps et sur la fin de l’esté, les vins vielz qui estoient sy excellents en bonté, pour estre mœurs, comme on disoit, et signamment ceulx des mauvaises caves, prindrent le goust d’esté ; ce qui les feit mespriser, où il y eut grande perte. Le froment valoit VIII l., le seigle C solz, l’orge IV l. et l’avoine XLV solz le septier. Le vin nouveau commun LX l., encor qu’il fut de petite qualité, comme dict est. Et estoit le pauvre peuple en grand esmoy. Ne recueilly que huict poinssons de vin bien verd et petit en bonté.

Advents

877Les advents en l’église Nostre Dame furent preschez par un merveilleu et très admirable capuchin, nommé le père Athanase, très excellent personnage et le plus admirable qui ay testé jamais en ceste charge et vocation, ayant journellement auditeurs en tel nombre que l’église estoit pleine en ses lieux ordinaires, et jugé par la multitude qu’il n’y en avoit eu jamais un tel en ceste affaire ; doué de toute circonstance propre et nécessaire à telz personnages, et estymé le meilleur de tous, sans jactance ny diminution de l’excellence et honneur des préceddents. Lequel feit ses sermons de chacune sepmaine sur le pauvre serviteur ou fermier auquel son seigneur demandoit compte, et principalement sur sa résolution, disant : Scio quid faciam, et ces motz de la conclusion : Facite amicos, etc. ; le tout avec telle admiration, que chacun estoit esmerveillé de sa doctrine et inaudicte éloquence. Et les dimanches, les faisoit sur les évangiles. Ce qui fut un merveilleu don en la ville de Reims. Dieu luy veuil continuer ses grâces et à nous ! Amen.

Sy on me faisoit épitaphe, ce que ne désir, ne voudroit aultre langage

Le 0^e mars257 1626
Cy devant gist de Jehan Pussot le corps.
† De son ame (priant) soyez records
Requiescat in pace ! Amen.

Ordre sur la conservation du droict des églises paroissiales contre l’usurpation et actraction des moynes, religieux conventuelz et aultres

878En ce temps fut mis en lumière certain traicté contenant [ ] articles d’une saincte affection et résolution de tous Messieurs les archevesques, évesques et aultres preslatz de la France, pour donner ordre à ce qu’il soit deffendu, interdict et prohibé à tous moynes, religieux, conventuels de quelque ordre que ce soit, mesme Jésuytz et Capuchins, de s’imisser ni entreprendre l’exercice de l’administration des sacrements de l’église, ny de congnoistre du faict des consciences par la confession sacramentelle et auriculaire, et en délaisser du tout la charge et exercice à Messieurs les curez des paroisses, leurs chappellains et commis, pryvatyvement à toutes aultres personnes ecclésiasticques régulières, affin que chacun s’entretienne et demeure en sa paroisse ; et faire cesser et exterminer le désordre et abus qui maintenant règne, par je ne scay quelle prétention de dévotion sentant plustôt la curiosité ou ypochrisie ; mesme par je ne scay quelles filles dévotes meslées de bigottes ambabouinées, d’aulcuns prebtres apostez selon leur voulonté : en sorte que les paroisses sont fort affaiblies et diminuées par la négligence de telz de tout sexte, au grand intérest de la solitude et fermeté de l’Eglise ; car les religieux estant hors du monde, ne doibvent connoistre des choses mondaines et spécialement de ce qui est contenu…

879Fin du journalier.