Rapport n^o 183. La participation des Canadiens aux opérations dans le nord-ouest de l’Europe

Partie IV : La première armée canadienne à la poursuite de l’ennemi 23 août - 30 septembre 1944. [Extraits]1

La 2^e division d’infanterie canadienne investit Dunkerque

12002. Revenons maintenant aux divisions d’infanterie du II^e corps canadien3. Durant la première semaine de septembre, comme nous l’avons vu, la 3^e division d’infanterie canadienne4 s’apprêtait à investir les ports de Boulogne et de Calais aux mains de l’ennemi. Le compte rendu de la réduction de ces forteresses figure dans un rapport suivant (n^o 184). La 2^e division d’infanterie5 qui était au repos et en réapprovisionnement depuis le 2 septembre, dans le secteur de Dieppe, recevait alors l’ordre d’avancer suivant l’itinéraire Eu – Abbeville – Montreuil – Samer – Desvres – Ardres, de passer à travers la 3^e division d’infanterie canadienne, en direction de Dunkerque, sur l’axe Ostende – Blankenberge, dans le but de nettoyer la bande côtière entre Dunkerque et la frontière hollandaise. La division serait ensuite réorganisée dans le secteur Ostende – Blankenberge (Instruction du II^e corps canadien aux commandants de division. 4 septembre 1944).

2Conformément à ces instructions, la division mit fin à son séjour à Dieppe le 6 septembre et exécuta un mouvement sans incidents, passant par Montreuil, pour rejoindre une zone de regroupement établie dans la forêt de Tournehem, à 10 miles au nord-ouest de Saint-Omer. Tout au long du trajet, les formations canadiennes reçurent, ce que l’état-major de la division décrivit comme « de loin, notre accueil le plus enthousiaste ».

3201. La résistance inattendue avec laquelle l’ennemi maintenait ses positions à Boulogne et à Calais conduisit le II^e Corps à modifier ses plans durant la première semaine de septembre. Le 5 septembre, la 3^e division avait été assignée à pourchasser l’ennemi de Boulogne – Calais – Dunkerque ; le lendemain, elle recevait pour mission de « détruire l’ennemi du secteur Boulogne – Calais » ; le 7 septembre, la poursuite à travers le secteur de Dunkerque incombait à la 2^e division d’infanterie (mission confiée à titre d’essai lors de la conférence de division tenue à Dieppe le 5 septembre. La 5^e brigade6 d’infanterie canadienne devait procéder à un regroupement en forêt d’Éperlecques, au sud-ouest de Dunkerque. La 6^e brigade d’infanterie canadienne7 recevait l’ordre de prendre Furnes (avec les Fusiliers du Mont-Royal), La Panne (avec le Queen’s Own Cameron Highlanders of Canada) et Nieuport (avec le South Saskatchewan Regiment), trois villes côtières entre Dunkerque et Ostende). Aucune opération n’était prévue pour la 4^e brigade8 qui devait faire mouvement vers la forêt de Tournehem où elle resterait temporairement en réserve. Les combats destinés à réduire Dunkerque ne semblent pas avoir été décidés à ce moment-là.

17. Carte des opérations de la 1re armée canadienne commandée par le général Crerar.

4202. La 5^e brigade d’infanterie canadienne prit la tête de la division, de Montreuil à son secteur de regroupement dans la forêt d’Éperlecques, à 7 miles au sud de Bourbourg-ville9. Le rapport du 8^e régiment de reconnaissance canadien10 (8^th Canadian Recce Regiment) concernant les positions ennemies à Bourbourg-ville et Gravelines faisait état de la destruction des ponts par explosif. Les trois bataillons furent détournés et dirigés de façon à ce qu’ils puissent s’emparer de carrefours et d’un pont situés sur la route conduisant à Bourbourg-ville. Le Royal Highland Regiment of Canada, dans son mouvement, s’empara du site du premier pont et le Régiment de Maisonneuve l’emprunta pour s’emparer d’un autre près de Bourbourg-ville. Le bataillon convergea vers Saint-Folquin le 7 septembre et était à minuit au nord du canal de Bourbourg. Dans la ville, l’église offrait à l’ennemi un excellent poste d’observation et tous les abords pouvaient être couverts de la place du marché ; la route, le long de laquelle les troupes canadiennes avançaient, était balayée par deux canons de 88 mm11 en batterie à l’intérieur de la ville. Cependant, dans la nuit du 8 septembre, la place était nette, après que le bataillon eut enregistré des pertes dont trois tués. Sur ces entrefaites, les Calgary Highlanders étaient dirigés au nord-est de Loon-Plage (7 septembre). Le bataillon avançait derrière le Régiment de Maisonneuve, croyant que le régiment de Canadiens français était dans Bourbourg-ville. Le renseignement s’avéra erroné et les Calgary Highlanders reçurent alors l’ordre d’attaquer la gare située au nord de la ville. La progression fut lente et difficile car, en raison des champs inondés, la colonne devait rester à découvert sur la route, soumise à un dur bombardement. Néanmoins, après de grandes difficultés et des retards consécutifs à des renseignements erronés, les Calgary Highlanders finirent par s’établir tout autour de la gare et se préparèrent à faire mouvement le lendemain matin vers Loon-Plage. Le Royal Highland of Canada coupa le chemin emprunté par le Régiment de Maisonneuve, prit la direction de l’est vers Bergues mais les routes menant à Coppenaxfort ayant été déclarées fermées en raison de la démolition d’un pont franchissant le canal de Bourbourg, le bataillon fut dirigé via Looberghe vers le Grand-Millebrugghe, situé à trois miles à l’ouest de Bergues.

5203. Conformément aux instructions du 5 septembre, la 6^e brigade quitta Dieppe, le 6 septembre, en deux étapes, faisant halte à Bois Jean au sud de Montreuil et atteignant Louches à trois miles au nord-ouest de Tournehem, retardée par une pluie battante cette nuit-là. À 3 h 00, l’état-major de la 2^e division d’infanterie canadienne lui donnait l’ordre de prendre Dunkerque. En opération préliminaire, les Camerons firent mouvement contre Gravelines. Cependant, avant la tombée de la nuit, une modification intervenue dans les plans de la division assignait à la 5^e brigade la prise de Gravelines et redonnait à la 6^e brigade ses objectifs antérieurs de Nieuport, Furnes et La Panne. De bonne heure dans la matinée du 8 septembre, la brigade avança vers le nord-est, ne rencontrant aucun obstacle à l’exception de quelques tirs d’artillerie lors de son passage au sud de Bergues. Les Fusiliers du Mont-Royal se dirigèrent à pied directement vers leur objectif Furnes, de même le South Saskatchewan Regiment vers Nieuport tandis que les Camerons of Canada progressaient à bord de véhicules pour gagner du temps, contournant le South Saskatchewan Regiment, afin de prendre position dans le secteur ouest de Nieuport.

6204. En raison de l’existence de basses terres, l’ennemi avait pu inonder de larges espaces autour de Dunkerque. En conséquence, le mouvement des troupes devait s’effectuer à découvert sur les routes surélevées, ce qui limitait sérieusement les opérations de reconnaissance et de patrouille. Ainsi contraintes à opérer sur des terres ou des routes exondées, les forces canadiennes subirent des bombardements d’artillerie plus dangereux qu’à l’habitude. Le 8 septembre, la mission de la 5^e brigade contribuait au bouclage de la garnison allemande de Dunkerque, estimée à quelque 9 à 10 000 hommes, par le verrouillage des voies d’accès à la ville à l’ouest et au sud-ouest. L’ennemi possédait des avant-postes dans un large périmètre qui couvrait Loon-Plage, Mardyck, Spycker et Bergues, avec de nombreuses escouades et des positions d’artilleries disséminées entre ces divers postes. La réduction de ces avant-postes devint la préoccupation immédiate de la brigade. Tôt dans la matinée du 8 septembre, les Calgary Highlanders quittèrent Bourbourg et se dirigèrent en compagnies d’assaut vers Loon-Plage. En traversant le lieu-dit Les Planches, un groupe de maisons à mi-chemin de Loon-Plage, les compagnies12 se livrèrent à du saute-mouton vers leur objectif, rencontrant une résistance corsée. Il y eut de durs combats aux abords de Loon-Plage, lesquels laissaient présager un assaut coûteux. Une attaque menée par la compagnie « D » sur le flanc gauche à l’ouest, dans le but de parvenir à moins d’un demi-mile du centre de la ville, se solda par une violente réaction de l’ennemi. Avant que le Régiment de Maisonneuve n’arrive pour soutenir les attaquants, le régiment des Calgary Highlanders dut retirer ses trois compagnies avancées dont les effectifs étaient seulement de 30 chacune, car les hommes étaient sans nourriture et sans eau depuis près de deux jours. Une infiltration ennemie provoqua quelque souci dans la nuit du 8 au 9 septembre mais, le matin suivant, les défenseurs se retirèrent et l’entrée dans Loon-Plage s’opéra sans difficulté.

7Le Royal Highland of Canada utilisant la compagnie « C » et un peloton « C » du 8^th Recce Regiment pour prendre Coppenaxfort dut progresser sur la route en raison de l’inondation des champs. Toutes les routes surplombaient d’environ huit pieds13 les terres environnantes et étaient constamment surveillées depuis les fortins ennemis plus élevés. La semaine suivante, les Calgary Highlanders restèrent au contact de l’ennemi, utilisant Loon-Plage comme base pour lancer leurs patrouilles et pousser vers Mardyck situé à trois miles au nord-est. La position fut finalement prise le 17 septembre et sa conquête marqua la fin des opérations de la 5^e brigade d’infanterie canadienne contre les ouvrages défensifs de Dunkerque.

18. La « forteresse » allemande de Dunkerque protégée par la zone inondée.

8205. L’avance du Royal Highland of Canada vers le Grand-Millebrugghe fut contenue le 8 septembre par une présence constante de l’ennemi à Coppenaxfort, là où le canal de Bourbourg s’incurve vers Dunkerque. Pendant que la majeure partie du bataillon restait groupée à Looberghe, la compagnie « C » et un peloton du 8^th Recce Regiment furent détachés pour venir à bout de cet îlot de résistance. Les attaquants évoluant vers Coppenaxfort à partir de Bourbourg-ville étaient confrontés à un problème particulièrement difficile. La seule ligne d’avance possible à travers les champs et les fermes inondées était une route surélevée longeant parallèlement le sud du canal de Bourbourg. Sur 5 000 mètres, la route et le canal étaient tous deux en ligne droite, comme une flèche, et seuls quelques arbres permettaient d’échapper à l’observation de l’ennemi. Quand la force légère avança, bien échelonnée, sous un tir nourri, le véhicule blindé de tête fut éliminé et la compagnie fut contrainte de s’arrêter à quelque 500 yards14 de son objectif. C’est seulement à la nuit tombée qu’il lui fut possible de se dégager et de rejoindre une ferme où des sols plus élevés permirent le déploiement et le retranchement. Aux premières lueurs du 9 septembre, l’attaque fut reprise et la compagnie poussa de l’avant pour trouver le village évacué.

9Le lendemain, le Royal Highland of Canada progressa le long du canal de la Haute-Colme sur le territoire de Grand-Millebrugghe où il resta jusqu’au 13 septembre, essuyant continuellement le feu de l’artillerie et des mortiers tandis qu’il nettoyait la résistance ennemie dans les environs immédiats.

10Spycker, situé à un mile au nord-ouest, fut occupé le 12 septembre à l’issue de l’attaque conduite par deux compagnies. Immédiatement, l’ennemi contre-attaqua et, durant deux jours, Spycker et le Grand-Millebrugghe furent soumis au feu continuel de l’artillerie et des mortiers, l’ennemi ayant retourné son artillerie côtière et porté son tir à l’intérieur des terres. Dans la nuit du 13 au 14 septembre, le Royal Highland of Canada fut contraint d’évacuer Spycker et le bataillon se replia à Bourbourg-ville. Son repli fut couvert par le Régiment de Maisonneuve qui, depuis le 11 septembre, avait été engagé au nettoyage du secteur Socx – Hooge Weld – Steene au sud-ouest de Bergues. Il n’y eut pas davantage d’activité sur le front tenu par cette brigade jusqu’à sa relève par la 4^th Special Service Brigade britannique, le 17 septembre.

11206. Comme nous l’avons déjà vu, la 6^e brigade d’infanterie canadienne avait beaucoup mieux réussi pour atteindre ses objectifs, à savoir Furnes, Nieuport et La Panne. La Belgian White Brigade15 (ou Brigade blanche belge – appellation donnée au mouvement de résistance belge) avait nettoyé Nieuport de ses ennemis à 16 h 00 le 8 septembre. L’importance des renseignements communiqués aux troupes canadiennes de libération par des membres des forces clandestines belges est bien mis en lumière par l’aide apportée au South Saskatchewan Regiment (Rapport du 8 septembre 1944) :

« À 1 h 00 du matin, un représentant de la Brigade Blanche, arrivé à l’état-major de la brigade, annonça que la ville était nettoyée depuis le 8 septembre à 16 h 00 et avertit le commandant G.B. Buchanan que pas mal de routes étaient minées. Il produisit ensuite un plan détaillé des défenses ennemies et des secteurs minés. Il déclara que les forces ennemies étaient approximativement au nombre de 400 en position à l’ouest de la rivière et de 2 à 300 à l’est de la rivière, qu’elles appartenaient à une batterie d’artillerie qui était stationnée dans ce secteur depuis trois ans et demi et avait été renforcée par des éléments épars issus de toutes armes qui avaient retraité des secteurs de Dieppe et de la Seine […] ».

12207. Les projets de la brigade pour le 9 septembre étaient de balayer le secteur de Nieuport à La Panne, une étendue s’étirant sur 8 miles, soit un secteur côtier renfermant nombre de positions ennemies puissamment fortifiées. Les Camerons of Canada ayant démarré de Oost-Duinkerke Bains à 3 h 00 du matin le 9 septembre, nettoyèrent la route côtière jusque La Panne Bains, y entrèrent et consolidèrent leur position à La Panne avant midi. De nouveau, des civils belges donnèrent des renseignements sur la localisation des mines, des postes de mitrailleuses et parfois sur les positions de l’artillerie côtière allemande, apportant ainsi une aide considérable16.

13Le lendemain, les Camerons, essayant d’avancer à l’ouest de La Panne, rencontrèrent de la résistance ennemie mais réussirent à occuper une partie des défenses du « Mur de l’Atlantique » sur le territoire belge. L’abri fourni par les casemates désertées fut particulièrement bienvenu, l’ennemi utilisant alors un canon côtier de gros calibre et des pièces anti-aériennes. Les Fusiliers du Mont-Royal, suivant l’axe intérieur, firent mouvement, le 10 septembre, de Furnes vers les positions ennemies d’Adinkerke, au sud de La Panne, nettoyant au passage le secteur d’Oost-Duinkerke. Ils chevauchaient alors la route côtière qui, à cet endroit, s’incurve en provenance de La Panne. La mission du bataillon était d’apporter son concours au maintien de la pression sur l’ennemi. Les deux jours suivants, les deux bataillons, dirigés sur la ligne de front Bray-Dunes – Ghyvelde, progressèrent lentement face à une résistance ennemie déterminée.

14208. Plus loin au nord-est, le South Saskatchewan Regiment avait découvert que l’ennemi était solidement établi le long de la côte au nord et au nord-ouest de Nieuport. La mission du bataillon était de nettoyer le secteur de la ligne Nieuport – Oost-Duinkerke jusqu’à la côte. C’était un secteur où il était difficile d’opérer. Les dunes de sable et les plages étaient truffées de mines et de nids de mitrailleuses et, à cet endroit situé à un mile à l’ouest de Nieuport Bains, l’ennemi tenait solidement un ouvrage fortifié.

15Il était prévu que le South Saskatchewan Regiment attaque ce centre de résistance. Tôt dans la matinée du 10 septembre, une tentative des compagnies « A » et « B » échoua. L’ennemi avait trouvé le moyen de s’enterrer dans des abris bétonnés reliés entre eux par des tunnels. Dans le courant de la journée, un ultimatum sommant le commandant de la garnison à la reddition fut envoyé et rejeté par une réponse cassante des Allemands : « Il n’en est pas question » et dans un anglais approximatif : « It is indisgustable »17. Une seconde attaque débuta en début de soirée : la compagnie « A » monta à l’assaut et atteignit ses premiers objectifs. Le manque de munitions, consécutif à la lenteur de l’approvisionnement des premières lignes, empêcha la mise en œuvre d’un barrage d’artillerie préliminaire.

16Une seconde phase commença le 11 septembre à 4 h 00 du matin avec la compagnie « B » qui s’engagea sur le flanc droit mais après deux heures d’efforts, sous le tir des fusils et des mitrailleuses ennemies, les compagnies qui avaient peu progressé reçurent l’ordre de se retirer. Pour la plupart des troupes attaquantes, c’était leur premier vrai contact avec l’ennemi et l’échec de la tentative fut largement imputable, ce fut reconnu, au manque de détermination des jeunes officiers et des soldats novices. Dans la matinée, il fut décidé de renvoyer les compagnies sur les positions gagnées durant la nuit dans le but d’obliger l’ennemi à dévoiler ses intentions. La journée se passa en reconnaissances intensives dans la perspective de nouvelles approches. De l’artillerie antiaérienne légère et antichar fut apportée en soutien mais elle s’avéra inefficace en raison du sol très meuble et des dunes de sable. Un bombardement aérien effectué par Typhoons18 à 18 h 00 manqua le principal élément défensif.

17209. Le 12 septembre, une instruction émanant du II^e Corps canadien ordonnait de façon catégorique à la 2^e division d’infanterie canadienne de :

• Nettoyer la poche ennemie subsistant à Nieuport Bains H 4794 ; et d’

• Achever l’investissement de Dunkerque.

18Dans la matinée, le commandant de la brigade (général J.G. Gauvreau) passa en revue le South Saskatchewan Regiment et fit observer que les troupes devaient approcher beaucoup plus près de leurs objectifs. Une troisième compagnie « C » fut amenée de Nieuport afin d’accroître la pression sur l’ennemi et, dans la soirée, une nouvelle demande de reddition fut envoyée. L’ultimatum donnait aux défenseurs l’information de la reddition de la ville du Havre et, ce qui probablement frappa le plus les esprits, la preuve de la capitulation obtenue par le Essex Scottish Regiment (4^e brigade) d’un centre de résistance situé à trois miles plus haut sur la côte à Westende. La présentation du livre de solde ayant appartenu au commandant ennemi de cette position capturée semble avoir été un élément décisif dans la négociation de la reddition de cet ouvrage fortifié. Des garanties furent accordées concernant l’évacuation des blessés, la protection des prisonniers et le transport de l’équipement des officiers. La capitulation était effective dans la matinée du 13 septembre et le South Saskatchewan Regiment avança ce jour-là pour rejoindre le restant de la 6^e brigade d’infanterie canadienne dans le secteur est de Bray-Dunes.

19210. Les tentatives de progression opérées par ces deux autres bataillons le 11 septembre avaient rencontré un mince succès. Même les patrouilles de nuit avaient été immobilisées par des tirs de mortiers et de mitrailleuses guidés par des fusées éclairantes. Le secteur de Nieuport étant maintenant nettoyé, le général commandant la 2^e division d’infanterie donna l’ordre au commandant de la brigade d’envoyer rapidement le Camerons of Canada pour nettoyer Bray-Dunes et progresser le long de la route menant à Bray-Dunes Plage. Le bataillon projeta une attaque sur le flanc droit avec deux compagnies à travers les dunes de sable par le chemin de la côte, tandis qu’une troisième s’infiltrait et ouvrait la voie à la compagnie restante afin que celle-ci puisse se frayer un chemin à travers la ville. Cette tentative qui fut lancée à l’aube, le 13 septembre, pour pénétrer la résistance ennemie, se solda par un échec, de même une seconde attaque engagée plus tard dans la journée par un assaut à trois compagnies à partir de la position des Fusiliers du Mont-Royal, 500 yards à l’est de Ghyvelde, ne rencontra pas un meilleur succès. L’ennemi tenait encore la route côtière principale à l’est de Bray-Dunes bien que la compagnie « C » se soit emparée à cet endroit d’un barrage routier, pouvant revendiquer dans le même temps la mort de 150 ennemis. Les Camerons reçurent de nouveau l’ordre d’achever le nettoyage du village aux premières lueurs du jour, le 14 septembre, et de pousser en direction des terres exondées au nord et vers Bray-Dunes Plage. Une opération nocturne fut cependant de nouveau infructueuse et, dans la soirée du 14 septembre, le village n’était toujours pas pris. Les interventions aériennes des Typhoons contribuèrent à affaiblir le moral de l’ennemi mais, de toute évidence, la coordination avec les troupes terrestres avait besoin d’être améliorée, comme l’indique le rapport dressé par l’état-major de la 6^e brigade :

« Dans le courant de la journée, des appuis aériens furent réclamés. Deux attaques furent opérées par Typhoons, une dans le secteur des Camerons of Canada, une autre dans celui des Fusiliers du Mont-Royal. L’effet produit sur le moral de l’ennemi fut important, selon les prisonniers de guerre. Des difficultés de timing sont signalées par les chefs de corps. Les compagnies de tête aimeraient un signal convenu pour ouvrir le feu ainsi qu’un signal leur indiquant le lancement de la dernière bombe ou le dernier piqué de l’aviation. L’infanterie n’est pas pressée de ‘‘suivre’’ une attaque aérienne, étant donné qu’il lui est impossible de savoir quand celle-ci prend fin ».

20211. Le South Saskatchewan Regiment, arrivé le 13 septembre en provenance du secteur de Nieuport, reçut l’ordre de s’emparer des terres exondées et de l’église situées immédiatement au nord-est de Bray-Dunes. Le bataillon intervint par une attaque nocturne silencieuse et, vers 5 h 00, le 15 septembre, l’objectif était consolidé. Les Camerons of Canada prirent ensuite le relais et entrèrent dans Bray-Dunes, pendant que le South Saskatchewan Regiment poussait jusqu’à la côte pour nettoyer Bray-Dunes Plage, une mission accomplie à 12 h 00.

19. Scène de liesse dans un village de Flandre : la population fête ses libérateurs.

21Ghyvelde qui avait résisté à une attaque menée par les Fusiliers du Mont-Royal le 13 septembre – le manque de renseignements et un appui d’artillerie insuffisant étant responsables de cet échec – fut réduit avec succès par ce même bataillon qui avait bénéficié de 48 heures de reconnaissances soigneusement opérées et d’un soutien d’artillerie suffisant. Le bataillon des Canadiens français perdit seulement une douzaine d’hommes mais s’empara de 119 prisonniers.

22212. La prise de Ghyvelde, de Bray-Dunes et de Bray-Dunes Plage marqua la limite ouest de la tentative effectuée par la 6^e brigade d’infanterie canadienne pour atteindre Dunkerque et mit fin aux opérations de la brigade dans ce secteur. Dans la matinée du 15 septembre, le général commandant la division annonça que la 2^e division d’infanterie canadienne devait relever la 53^e division d’infanterie19 à Anvers. Les deux jours suivants, les unités restèrent inactives, accrochées à leurs positions, leurs patrouilles rapportant que l’ennemi renforçait ses lignes défensives fortifiées tout le long du front. Il était évident que ce dernier avait l’intention de tenir un périmètre bien défendu autour de Dunkerque.

23Avant la prise en charge du secteur par la force de relève – la 4^th Special Service Brigade – le 18 septembre, le général Gauvreau élabora une étude consacrée aux opérations auxquelles les bataillons avaient récemment pris part. Les enseignements tirés fournissaient une indication sur les raisons de l’échec de la brigade dans l’accomplissement de ses objectifs :

« Les trois chefs de corps ont planché : le commandant G.B. Buchanan (South Saskatchewan Regiment) pour l’attaque de nuit, le lieutenant-colonel R. Thompson (Camerons of C.) pour le nettoyage du village et le commandant J.P. Sauve (Fusiliers du Mont-Royal) pour l’attaque de jour avec tir de soutien. Le lieutenant-colonel S.H. Dobell apporta des remarques pertinentes sur l’utilisation spécifique de l’artillerie et de l’aviation. Leurs conclusions peuvent être résumées comme suit :
– La nécessité de disposer de renseignements exacts et précis ;
– Chaque plan d’attaque doit être simple et soutenu par un feu maximum ;
– L’agressivité et la détermination sont essentielles pour le succès de toute opération ;
– La nécessité d’approvisionner chaque homme en nourriture et en eau quand les troupes sont impliquées dans des missions d’infiltration ; et
– L’importance d’une bonne intercommunication, 18 batteries inutilisées auraient dû être apportées au poste de commandement de compagnie. »

20. 8 septembre 1944. Les Canadiens français du régiment de Maisonneuve (élément de la 5^e brigade de la 2^e DI) font leur entrée à Bourbourg.

24213. Jusqu’au 9 septembre, la 4^e brigade d’infanterie canadienne prit une faible part aux activités de la division. Dans la soirée du 8 septembre, la brigade reçut l’ordre de faire mouvement vers le secteur d’Ostende. Conduite par le Essex Scottish Regiment, la brigade traversa Saint-Omer, contourna Bergues et continua à travers Furnes vers Ghistelles situé à 4 miles d’Ostende à l’intérieur des terres. Le Essex Scottish Regiment avança et occupa Ostende sans incident « après une aide considérable du maquis belge qui semblait même plus coopératif que le maquis français ». Le retrait inattendu des Allemands fut une source de grande satisfaction car un examen des défenses sophistiquées de la ville et du secteur environnant montra combien eût été redoutable une mission qui se serait présentée face à une résistance ennemie déterminée.

25Le Royal Hamilton Light Infantry avança dans la partie nord du port, nettoyant les abris des sous-marins et le secteur des docks, sécurisant les intersections fluviales et la base d’hydravions, et poussa vers l’est en direction de Clemskerke et De Haan. Dans l’intervalle, le Royal Regiment of Canada, parti de Ghistelles, entra en contact avec des éléments de la 4^e division blindée canadienne et s’engagea dans le secteur de Bruges. Le régiment reçut ensuite l’ordre d’occuper les villages et les villes du secteur côtier jusqu’au canal de Bruges–Nieumunster, Wenduyne, Blankenberge et Uytkerke. Dans la nuit du 9 au 10 septembre, les patrouilles accomplirent leurs missions sans difficulté, recevant partout un accueil enthousiaste de la population civile.

26214. Le 10 septembre, des éléments de reconnaissance du Royal Regiment of Canada constatèrent que si la rive ouest du canal Zeebrugge-Bruges avait été désertée par l’ennemi, ce dernier était par contre solidement implanté sur la rive est. C’est la raison pour laquelle le bataillon demeura à l’ouest du canal, contenant l’ennemi et empêchant la retraite des unités allemandes de Bruges par les routes de cette zone. Toutefois, de bonne heure le 11 septembre, le régiment reçut l’ordre d’avancer vers Bruges pour prêter assistance à la 4^e division blindée canadienne20 chargée de prendre cette ville historique. Suivant l’itinéraire passant par Stalhille, les Royals se regroupèrent à Saint-André et occupèrent leurs positions sur la route principale menant à l’ouest, en prévision de l’assaut. La 4^e division blindée envisageait de couper les chemins de la retraite allemande à l’est et au nord-est.

27215. Pendant ce temps, le Royal Hamilton Light Infantry qui avait occupé et nettoyé un large secteur à l’est d’Ostende, avança le 11 septembre par Oudebrugge, Westkerke et Jabbeke pour prendre position au sud de Bruges, dans la perspective de participer à la prochaine attaque. Mais à la grande satisfaction à la fois des troupes assaillantes et de la population civile, une attaque avec préparation d’artillerie ne s’avéra pas nécessaire. Tôt dans la matinée du 12 septembre, il fut constaté que l’ennemi avait battu en retraite, épargnant la vieille cité à l’exception de ses ponts, et les éléments du 18^e bataillon d’automitrailleuses canadien (12^th Manitoba Dragoons)21, suivis de près par les éléments de la 4^e brigade d’infanterie, entrèrent dans la ville sans rencontrer de résistance, pour être accueillis, non sans ferveur, par une population en liesse.

28216. Pour le 3^e bataillon de la 4^e brigade d’infanterie canadienne, le Essex Scottish Regiment, la mission était plus ardue. Le 10 septembre, le régiment, ayant sous son commandement une partie du Toronto Scottish Régiment (M.G.)22, reçut l’ordre d’avancer d’Ostende à Westende pour s’emparer d’un centre de résistance situé dans les dunes entre Westende Bains et Lombartzyde. De nombreux civils ayant travaillé sur cette position donnèrent des renseignements précis sur ses défenses. Les deux premiers jours virent un échange continu de tirs. Les Allemands possédaient quatre vieux canons de marine français, un certain nombre de batteries antiaériennes accouplées et des pièces antichar auxquels le Essex Scottish Regiment répliqua dans les meilleurs termes avec ses mortiers, ses canons antichar et un appui d’artillerie dont des Seventeen Pounder23 et des Bofors24. La position en elle-même était très solide et contrôlait toute la contrée environnante. Ce que l’on croyait être initialement des dunes de sable était en réalité des abris et des emplacements bétonnés recouverts de sable. Dans la matinée du 11 septembre, tandis que le siège se poursuivait, l’ensemble du bataillon était positionné sur trois côtés, le quatrième étant la mer. l’ennemi utilisait des canons de fort calibre avec une charge de tir à blanc, sans grand résultat.

29217. Le 12 septembre, le tir canadien augmenta en intensité tandis que celui des défenseurs déclinait. À 12 h 45, des drapeaux blancs apparurent et le commandant de la garnison demanda les conditions pour une reddition. Par conséquent, le Essex Scottish Regiment économisa un assaut d’infanterie contre la forteresse qui, devant la résistance d’une garnison déterminée, lui aurait été très coûteux en hommes. La victoire était à bon compte, comme le souligne le chef de corps du Essex Scottish Regiment :

« Avant que le commandant de la garnison ne sorte, la place commençait à fourmiller d’Allemands qui s’attroupaient devant l’entrée principale. Le commandant sortit et j’acceptais une reddition inconditionnelle. Pendant qu’une compagnie gérait les prisonniers, les autres avançaient dans les positions pour fouiller le secteur. Tout était bien entendu souterrain et le bataillon disparut dans les catacombes. Le butin fut absolument époustouflant. De ce que je vis du stock de munitions et de nourriture, ils auraient pu tenir pendant des semaines. Les cantonnements, tous souterrains, étaient des plus luxueux et remplis de pièces d’ameublement civils de toutes sortes, la plupart prises chez les villageois. Je n’ai pas encore le dénombrement complet des armes mais le nombre de prisonniers s’établit à 316, y compris 9 officiers et 16 blessés. Nos pertes pour l’ensemble de cette opération se chiffrent à 2 tués et 3 blessés légers ».
(Lettre du lieutenant-colonel P.W. Bennett au colonel Prince,
13 septembre 1944).

30218. Les défenseurs extérieurs de Dunkerque étaient maintenant concentrés sur la ville de Bergues, à 5 miles au sud-est du port. Conformément au plan consistant à maintenir la pression sur la garnison de Dunkerque jusqu’à ce que l’équipement en artillerie plus lourde, en vue d’un assaut, soit dégagé des opérations menées dans les autres ports de la Manche, la 4^e brigade d’infanterie canadienne se dirigea vers cette ville tenue farouchement. (La directive opérationnelle du II^e corps canadien, en date du 12 septembre, donnait pour instruction à la 2^e division d’infanterie canadienne d’envisager la prise de Dunkerque par assaut avec l’appui de bombardiers lourds, immédiatement après l’achèvement de la prise de Boulogne. Ce plan ne s’opposait pas à une prise de Dunkerque par infiltration si l’occasion s’en présentait.)

31Dans la matinée du 13 septembre, la 4^e brigade – moins le Essex Scottish Regiment – était relevée à Bruges par la 4^e Division blindée canadienne et retournait en France dans la région de Bergues. Le territoire au sud-est de la ville avait été inondé par l’ennemi qui tenait la rive nord du canal de la Colme et du canal de Bergues à Furnes, tous deux traversant Bergues. La brigade prévoyait que le Royal Regiment of Canada établisse une tête de pont de l’autre côté du canal de Bergues, le Royal Hamilton Light Infantry devant attaquer la ville à la tombée de la nuit. De leurs positions à l’ouest de Warhem, deux compagnies du Royal Regiment of Canada se préparèrent à franchir le canal de Bergues à Furnes et s’introduisirent derrière la ville afin d’être prêtes à une attaque nocturne.

32219. Bien que les Royals aient opéré avec succès la traversée durant la nuit et fait quelque 25 prisonniers, l’attaque du Royal Hamilton Light Infantry – prévue pour commencer à 4 h 30 le 15 septembre – nécessita des délais supplémentaires pour le nettoyage de vastes champs de mines. Dans le même temps, l’ennemi incendia un important dépôt d’essence qui illumina le ciel et empêcha les compagnies d’atteindre leurs positions de départ. Les tentatives pour franchir le canal échouèrent le 15 septembre et le Royal Regiment of Canada rencontra une résistance accrue. En conséquence, le Essex Scottish Regiment qui avait été placé en réserve pour l’assaut ne fut pas engagé. Dans la matinée, des ordres furent reçus, prévoyant pour le lendemain, le départ de la 4^e brigade d’infanterie canadienne pour le secteur d’Anvers et l’attaque de Bergues fut ainsi décommandée. Mais l’attaque de la brigade n’avait pas été inutile. Le jour suivant, 16 septembre, le 8^th Regiment Recce (14^th Canadian Hussars) entra dans Bergues à 11 h 00, l’ennemi s’étant retiré. Le 16 septembre, la 4^e brigade – la première formation de la 2^e division d’infanterie canadienne à participer à la relève de la 53^e division d’infanterie – fit mouvement vers Anvers et s’attribua les responsabilités de la 71^e brigade d’infanterie britannique pour le verrouillage de ce secteur.

21. Sur le canal de Bourbourg, le régiment canadien de Maisonneuve reconstruit le pont auquel son nom restera attaché.

Rapport n^o 184. La participation des Canadiens aux opérations dans le nord-ouest de l’Europe

Partie V : Le nettoyage des ports de la Manche 3 septembre 1944 - 6 février 1945 [Extraits]

Dunkerque est contenu

33136. Dunkerque figurait initialement sur la liste des ports destinés à être pris par la 1^re armée canadienne mais étant donné l’impérieuse nécessité de pouvoir disposer d’Anvers, le petit port perdit beaucoup de son intérêt. Plutôt que d’employer à sa réduction des forces bigrement nécessaires ailleurs, il fut décidé de contenir sa garnison à l’intérieur d’un large périmètre. Ainsi, la dernière région du nord de la France abandonnée au Boche en 1940 – après que les forces expéditionnaires britanniques eurent été évacuées à partir des plages – était vouée à être la dernière région libérée de la République française.

34137. Pas plus tard que le 13 septembre, le commandant en chef, écrivant au général Crerar25, mettait encore Dunkerque sur le même plan que Boulogne et Calais en termes de priorité :

« Les choses importantes sont maintenant :
– La prise de Boulogne, de Dunkerque et de Calais ; et
– La mise en œuvre d’opérations destinées à nous permettre d’utiliser le port d’Anvers ».
(Lettre du maréchal Montgomery26 au général de corps d’armée Crerar. 13 septembre 1944)

35Mais plus tard dans la journée, le commandant en chef envoyait un message qui montrait un revirement : « Prochaine utilisation d’Anvers tellement urgente que je m’apprête à renoncer aux opérations contre Calais et Dunkerque ».

36Le lendemain (14 septembre), le général Montgomery décidait :

« Dunkerque doit être abandonné pour un règlement ultérieur ; pour le moment, il sera purement et simplement masqué ».
(Instruction M. 525)

37En conséquence, le général Crerar communiqua une instruction à ses commandants de corps :

« Aucun assaut délibéré sur Dunkerque ne sera entrepris ; ce port sera cependant minutieusement contenu (La 4^th Special Service Brigade est en cours de transfert au II^e corps canadien à cet effet) et la garnison sera invitée à se rendre par de nombreux bombardements aériens et terrestres et par des tracts ».
(Instruction en date du 15 septembre 1944)

38Le 27 septembre, la politique du commandant en chef était la suivante :

« L’aile gauche de l’armée canadienne achèvera les opérations qui sont maintenant en cours pour nous permettre d’utiliser les ports de Boulogne et de Calais. Dunkerque sera masqué et fera l’objet d’un règlement ultérieur ».
(Instruction M. 527)

39138. De même que la politique envers le port historique, les forces assiégeantes changèrent également. Nous avons vu (Rapport n^o 183) comment la 2^e division d’infanterie canadienne prit d’abord contact avec les défenseurs et cadenassa progressivement la garnison. Mais cette division avait rendez-vous avec Anvers et il était nécessaire de relever les éléments du général Foulkes27 qui assiégeaient encore la ville – les 5^e et 6^e brigades d’infanterie. La 4^e brigade d’infanterie canadienne avait été rappelée pour faire mouvement vers Anvers, le 16 septembre. Le 15 septembre, les ordres furent communiqués pour la relève de la 6^e brigade.

40139. La garnison de Dunkerque était un amalgame d’éléments de l’armée de terre, de la marine et de l’aviation, estimés à quelque 12 000 hommes, s’appuyant sur un potentiel de 170 canons. Les éléments de l’armée de terre comprenaient une partie de la 226^e division d’infanterie détachée du LXVII^e Korps28 d’infanterie pour la défense de la ville. (Rapport d’interrogatoire du général Otto Sponheimer).

41Bien que de fortes présomptions accréditaient l’idée que le général de division von Kluge29, commandant de cette division, était le commandant de la forteresse, des indications contradictoires laissaient supposer qu’un officier supérieur de la marine, le vice-amiral Frisius30, commandait la forteresse, ceci malgré un rapport signalant qu’un convoi de véhicules aperçu à proximité du port avait apporté un général de l’armée de terre. (Plus tard, des indications indiscutables établirent le fait que c’était bien le vice-amiral Frisius qui commandait la garnison).

42Une version différente fut fournie par un chef de bataillon allemand tombé entre nos mains. Il affirma qu’il avait entendu ceci :

« Après qu’un colonel (nom inconnu)31 eut pris le commandement de Dunkerque et prêté le serment réglementaire spécifique aux commandants des garnisons assiégées, arriva une certaine division (inconnue) dont le commandant, en sa qualité d’officier supérieur, souhaita reprendre les pouvoirs de commandant de garnison ; le colonel n’était pas disposé à céder et, en définitive, le commandant de la division quitta Dunkerque avec une partie de son état-major, laissant sa division derrière lui. »
(14 septembre 1944)

43Bien que l’identité du commandant de la forteresse fût imprécise, il n’y avait aucun doute sur le fait qu’une puissante garnison tenait le port car, le 16 septembre, de nouveaux prisonniers tombés entre nos mains confirmaient la présence, non seulement d’éléments de la 226^e division d’infanterie mais aussi de personnels de la 49^e division d’infanterie.

16 septembre 1944. La 4^th Special Service Brigade relève la 2^e division d’infanterie canadienne

44140. Dans la soirée du 16 septembre, la 4^th Special Service Brigade arriva dans le secteur pour le siège et le lendemain, la 107^th Heavy Anti-Aircraft Brigade – brigade antiaérienne lourde – (à l’exception du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment) passa sous le commandement de la 2^e division d’infanterie canadienne.

45Quand coururent des rumeurs évoquant des tentatives d’évacuation de la garnison allemande par vedettes, le général Foulkes décida, en geste d’adieu, d’envoyer un ultimatum au commandant de la garnison – qu’il adressa au « commandant en chef de la garnison de Dunkerque, le général de division von Kluge ou son représentant » – lui demandant de se rendre sans conditions ou d’en affronter les conséquences (17 septembre 1944). Aucune réponse n’étant parvenue à 11 h 00 le 18 septembre, la brigade antiaérienne et tous les canons utilisables ainsi que les mortiers tirèrent cinq coups chacun sur les défenses ennemies. L’ennemi réagit violemment en faisant feu de tous ses canons. Postérieurement, un message de refus, émanant du commandant de la forteresse et signé « von Kluge » fut reçu. Cette signature donnait satisfaction aux officiers du service de renseignement car il semblait confirmer leurs déductions selon lesquelles le général de division von Kluge était le commandant de la forteresse.

46La 4^th Special Service Brigade commença à relever les Canadiens de bonne heure le 18 septembre, permettant à la 5^e brigade d’infanterie canadienne de partir pour Anvers à 6 h 00. À 21 h 00, la 6^e brigade d’infanterie canadienne était aussi relevée. La relève fut exécutée discrètement, conformément aux ordres adressés par le général Crerar au général Simonds :

« Le départ de la 2^e division d’infanterie canadienne et l’affectation de la 4^th Special Service Brigade pour assiéger Dunkerque devraient être menés de façon à ce que l’ennemi n’obtienne pas d’indications précises sur le moindre de nos projets offensifs envers cette localité ».
(Message C110. 15 septembre 1944)

26 septembre 1944. La 154^e brigade d’infanterie prend la relève

47141. Les quatre corps francs de la 4^th Special Service Brigade ne devaient pas rester longtemps dans le rôle d’assiégeants. Tant qu’ils furent là, ils se livrèrent à de nombreuses patrouilles dirigées contre le territoire ennemi et rendirent la vie des assiégés très pénible par des tirs de mortiers […]. Mais ces troupes des opérations spéciales furent demandées ailleurs pour une mission qui convenait mieux à leur spécialité, à savoir l’assaut envisagé sur l’île de Walcheren dans l’embouchure du Schelde32. Le 23 septembre, le général Leicester, commandant la 4^th Special Service Brigade, fut briefé par le général Simonds en vue de cette mission. Il lui fut dit que sa brigade serait relevée le 26 septembre par la 154^e brigade de la 51^e division d’infanterie, de façon à lui donner le temps de s’exercer à un débarquement. À minuit, dans la nuit du 26 au 27 septembre, la relève était en cours.

Le rôle du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment

48142. Le retrait de la 2^e division d’infanterie canadienne ne mit pas fin à la participation des Canadiens au siège de Dunkerque. Le 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment (régiment d’artillerie antiaérienne lourde) fit mouvement de Calais vers Dunkerque le 30 septembre, ayant achevé sa mission d’appui auprès de la 3^e division d’infanterie canadienne engagée dans l’opération Undergo33. Il était prévu que cette division experte dans l’assaut reviendrait prendre Dunkerque après avoir nettoyé la poche ennemie au nord du canal Léopold et ce projet venait s’ajouter à leur participation à cette opération héroïque dénommée Switchback (« montagnes russes »). Dans cette affaire toutefois, les Canadiens français de la division n’avaient pas encore été vus sur la côte de la Manche ; les artilleurs du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment étaient les seuls Canadiens à prendre une part prolongée aux opérations du siège. Le journal tenu par la 11^e batterie du régiment décrit l’organisation et le rôle des forces assiégeantes à cette date :

« La situation est ici dans ses grandes lignes la suivante : une brigade de la 51^e division d’infanterie contient le port de Dunkerque sur un front étroit. La 107^e brigade antiaérienne est la formation d’artillerie en appui. Il y a aussi un bataillon du génie, un peloton antichar et une batterie de projecteurs. […]. Notre travail est harassant, jour et nuit ».

49143. Une carte portant en surimpression les défenses fut mise à disposition des assiégeants, indiquant la plupart des positions ennemies. Les prévisions de tirs étaient établies chaque jour, sur des cibles sélectionnées par la brigade, et les officiers commandant les postes d’observation régimentaires surveillaient les tirs qu’ils proposaient eux-mêmes.

50Les conditions étaient déplorables car toutes les basses terres environnant Dunkerque avaient été inondées par les Allemands. Le 2 octobre, la batterie qui tenait un journal remarquait : « S’il vient à tomber un peu de pluie, les conditions de vie seront quasi insupportables car il n’existe pas de sols surélevés et le drainage est impossible. » Le jour suivant, elle relatait avec tristesse : « Il semble que la pluie devienne notre lot quotidien… Il suffit de trois jours pour que les positions des troupes deviennent marécageuses. » On lit le jour suivant : « les hommes devraient avoir des bottes en caoutchouc car ils ne peuvent pas tenir longtemps debout. Ils doivent tous les jours écoper les fosses des canons car l’eau arrive à hauteur des plates-formes. » Sans doute était-il préférable que les artilleurs ne sachent pas à cette époque que leurs bien-aimés « 3.7s »34 pointeraient leurs longs canons vers la forteresse jusqu’en février 1945.

51144. Au fil des semaines, les détachements de canonniers du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment continuèrent d’améliorer leurs positions, écopant leurs batteries détrempées et tirant des centaines de salves contre les défenses ennemies. De nombreux problèmes d’ordre technique, en liaison avec l’emploi de ces canons antiaériens lourds en usage terrestre s’avéraient embarrassants jusqu’à ce que des solutions fussent trouvées. (Par exemple, les projectiles ordinaires, 208 et 214, ne donnaient pas satisfaction sur le plan du tir car ils n’étaient pas fiables pour un éclatement lors de l’impact au sol. Il aurait fallu un projectile à percussion, comme le 117, destiné à éclater au contact. Pendant un temps, ces obus à percussion ne furent pas disponibles). De même, les artilleurs durent utiliser leur équipement radar de façon nouvelle et originale. Deux stations de radars antiaériens furent ainsi utilisées pour suivre la trajectoire des ballons lâchés en vue de constater les conditions météorologiques : l’information obtenue était alors incorporée dans les « télégrammes météo » et utilisée pour en déduire les corrections de tir à appliquer. (2 octobre 1944).

52145. Le 3 octobre 1944, l’artillerie reçut l’ordre de suspendre ses tirs pendant la tenue des négociations en vue de régler l’évacuation de la population civile. Le calme régna de 7 h 00 à 13 h 45. Puis, à 15 h 30, les tirs furent de nouveau arrêtés et une trêve prit effet à 18 h 00 le 3 octobre jusqu’à 6 h 00 le 6 octobre.

53Un compte rendu officiel présente les conditions de la trêve :

a) 36 heures de 6 h 00 le 4 octobre à 18 h 00 le 5 octobre pour le déplacement des civils avec une prolongation de 12 heures réparties au début et à la fin pour permettre au commandant allemand de nettoyer et de réparer le chemin utilisé pour l’évacuation et, après le passage des civils, de le rendre inutilisable et de le miner de nouveau.
b) Cessation des hostilités de 18 h 00 le 3 octobre à 6 h 00 le 6 octobre, période durant laquelle il ne sera pas apporté de changement dans le dispositif militaire et où il n’y aura aucun acte d’hostilité. Assurance était donnée qu’il n’y aurait aucune reconnaissance aérienne et aucune activité navale dans un périmètre déterminé.
(Affaires civiles. État-major de la 1^re armée canadienne, octobre 1944)

54146. Le récit de l’évacuation figure dans le même rapport :

« L’évacuation s’est déroulée selon le plan prévu. À 6 h 00, le 4 octobre, il pleuvait beaucoup et le déplacement des civils fut lent jusque dans l’après-midi. Le jour suivant cependant, le mouvement s’accéléra durant la journée et une prolongation de 4 heures fut décrétée pour compenser une interruption équivalente provoquée par l’effondrement temporaire d’un pont. 17 500 personnes furent évacuées, 500 habitants environ restant à Dunkerque. Parmi les évacués, il y en eut 150 transportés sur civières, dont des soldats allemands et canadiens blessés. Tout le personnel de l’hôpital et les ambulances civiles furent évacués. Un grand nombre de fermiers sortirent avec leur chariot et leur cheptel, et la plupart des évacués transportaient une masse considérable de bagages.
Au total, 218 camions divers furent finalement mobilisés, parmi lesquels un certain nombre appartenant aux Affaires civiles et gardés en réserve pour décongestionner l’afflux. Environ 8 000 réfugiés furent dirigés par train vers Lille, le reste étant dispersé localement. Il n’y eut aucun incident fâcheux. Un homme âgé est décédé de mort naturelle et deux bébés sont nés durant l’évacuation. Une rapide vérification de sécurité fut effectuée au poste de contrôle et des contrôles supplémentaires furent opérés par les FFI dans les trains et les camions. Le dispositif mis en place s’est avéré suffisant même si, dans les moments de grande affluence, il aurait fallu augmenter le nombre de camions à charger simultanément. »

La 1^re brigade blindée indépendante tchécoslovaque relève la 154^e brigade d’infanterie (6-9 octobre 1944)

55147. Le 6 octobre, de nouvelles troupes vinrent relever les « Jocks » de la 154^e brigade d’infanterie. C’était la brigade blindée indépendante tchécoslovaque35, commandée par le général de division A. Liska. Le général Liska exerçait son commandement sur deux régiments blindés36, un escadron blindé de reconnaissance, un bataillon motorisé, un régiment d’artillerie de campagne, une batterie antichar, des éléments du génie et des transmissions. Parmi ces hommes, il y avait beaucoup de vétérans des 1^er et 2^e régiments tchécoslovaques qui avaient servi dans l’armée française en 1940 et qui avaient rejoint le Royaume-Uni lors de cet été désastreux. Avec l’arrivée des Tchèques, la 1^re armée canadienne englobait maintenant des unités et des formations de la plupart des nations alliées combattant dans le nord-ouest de l’Europe, offrant ainsi leurs compétences à tous ceux qui œuvraient avec un remarquable succès.

56148. Le 7 octobre, l’état-major de la 1^re armée publia une instruction d’opérations définissant la mission de la 1^re brigade blindée indépendante tchécoslovaque face à la garnison ennemie après la relève de la 154^e brigade d’infanterie. La garnison devait être contenue hermétiquement et invitée à se rendre. Cette mission devait être menée par patrouilles, bombardements d’artillerie et guerre psychologique ; elle devait aussi empêcher toute arrivée de renforts ou de ravitaillement par mer ou par air. Il était clairement interdit de monter une quelconque opération d’assaut contre la forteresse ou encore d’envoyer un ultimatum à la garnison allemande. Conformément à cette instruction, la relève de la 154^e brigade d’infanterie par la 1^re brigade blindée indépendante tchécoslovaque fut achevée le 9 octobre.

57149. À cette date, conformément aux conclusions de la réunion tenue le 6 octobre au quartier général du régiment d’artillerie, le 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment exerçait une double activité : le bombardement de cibles terrestres et, avec le 109^th Heavy Anti-Aircraft Regiment, une action antiaérienne. Ces tirs étaient destinés à contrer toute tentative ennemie d’obtenir des renforts et du ravitaillement par air, à éliminer son aviation, si possible, et à rendre difficile et dangereux tout parachutage précis de matériel. À cet effet, chaque régiment détacha un peloton pour fonctionner dans son rôle d’origine. Un « comité de réception » de canons Bofors fut promptement mis en place pour préparer un accueil nourri à toute activité aérienne ennemie qui essaierait d’approcher à basse altitude. Il fut donné ordre à l’artillerie lourde et légère de se préparer à engager le combat contre tout appareil qui serait repéré par les faisceaux des projecteurs qui eux aussi se tenaient prêts. La méthode d’intervention définie lors de cette conférence n’était pas très orthodoxe :

« Il y avait, durant notre séjour à Dunkerque l’idée que deux unités… assureraient à part égale un service antiaérien, ces unités déployant en conséquence les postes de radar et de commandement. Le but était principalement d’aider les canons Bofors à atteindre leur cible et il fut suggéré qu’une pièce de chaque unité antiaérienne tirerait un projectile traçant toutes les dix secondes et qu’ensuite les Bofors feraient feu sur la ligne ainsi tracée. »
(Source : A History of 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment p. 45-46)

58Ce plan fut vite abandonné et un autre adopté qui s’avéra plus performant :

« Le rôle antiaérien fut confié aux seuls canonniers des Bofors qui furent les premiers à ouvrir le feu sur des avions postaux le 26 octobre et descendirent les trois appareils qui se présentèrent cette nuit-là. C’est pour cette raison que l’activité aérienne ennemie fut pratiquement nulle. » (Ibid)

59150. Durant la soirée du 9 octobre, alors que les Tchèques étaient opérationnels depuis moins d’un jour, une patrouille ennemie déclencha la première offensive du siège. Une force estimée à 40-60 hommes surgit du périmètre à proximité de Loon-Plage : ils volèrent un char dont l’équipage était parti en patrouille et en incendièrent deux autres. La réplique à cette sortie se concrétisa par une contre-attaque menée par sept chars et un groupe de FFI, avec l’appui du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment. La mini-bataille qui s’ensuivit se prolongea jusqu’au lendemain. (Un compte rendu pittoresque de cette attaque fut publié en première page du journal La Voix du Nord daté de Lille le 12 octobre 1944). L’historique du régiment rapporte l’affaire :

« Se doutant probablement que les forces assiégeantes avaient changé et soucieux de découvrir qui maintenant tenait la place, les Allemands sortirent en force vers Loon-Plage, passèrent les lignes et y établirent leurs positions ; une contre-attaque conduite le 10 octobre fut appuyée par le régiment qui tira environ 2 000 coups et permit de regagner le terrain perdu ».

60151. Dans la nuit du 19 au 20 octobre, les assiégés, apparemment encore animés de la même « rage teutonne », attaquèrent l’une de nos localités défendues à trois kilomètres à l’est de Loon-Plage. Le groupe d’assaut ennemi (« Stossgruppe ») était composé approximativement de 300 hommes. L’assaut fut lancé par deux compagnies ayant manifestement pour intention de détruire le poste de défense qui avait été entièrement reconnu par des patrouilles ennemies au cours des trois nuits précédentes. Une troisième compagnie était tenue en réserve. Les attaquants étaient armés de carabines automatiques, de fusils, de grenades à main, d’engins incendiaires, de Panzerfaust37 et de mines. Un canon anti-char hippomobile, du type connu des Allemands sous le nom de Püppchen (« poupée ») appuyait aussi l’attaque. L’alerte occasionna une grande agitation au sein des batteries canadiennes. Des demandes de tirs défensifs furent immédiatement émises par des représentants du 7^th Royal Tanks basé à Loon-Plage et, avant la fin de la nuit, pas moins de 2 000 coups furent tirés.

« L’ennemi, soit une force d’une compagnie ou du quart [sic] attaqua les positions de l’escadron… Des postes furent dévastés sous le feu des mitrailleuses, des grenades, d’une couverture de mortiers et de tirs de 88. Un 88 fut utilisé en appui. Nous avons enregistré des pertes et l’ennemi fit des prisonniers. Tout est calme maintenant mais nous nous attendons à une recrudescence de l’activité ».

61L’officier en charge du compte rendu rapporte :

« Total récapitulatif : un officier manquant ; hommes de troupe et sous-officiers : 2 tués. 8 manquants, 8 blessés. C’est plutôt important au regard des effectifs du poste qui s’élevaient à environ 20 hommes. Les FFI ont 2 tués et 17 manquants ».

62152. Être traité de la sorte n’était pas tolérable et le 7^th Royal Tanks conçut une vengeance pour rétablir la situation :

« Le 7^th Royal Tanks a l’intention d’attaquer avec l’appui des FFI et de l’artillerie sur des objectifs limités, le 24 octobre 1944, dans le but de détruire des centres de résistance ennemis et d’obtenir des renseignements locaux. Nos forces ne resteront pas sur les objectifs atteints mais retourneront à la fin de l’opération dans le secteur actuellement tenu ».

63L’heure H fixée pour l’opération « Waddle » était 14 h 00. Des officiers d’observation du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment devaient avancer avec les deux groupes d’assaut. L’opération fut exécutée avec succès. Un peloton du 7^th Royal Tanks pénétra de 200 yards38 à l’intérieur de Grande-Synthe et bombarda le village sans réplique de l’ennemi. Les FFI et un détachement de l’armée française entrèrent au Petit-Prédembourg et trouvèrent ce site vide. Divers bâtiments d’une ferme et du Grand-Prédembourg furent pris pour cible afin que l’ennemi ne puisse les utiliser. Les troupes ayant effectué cette incursion furent de retour dans nos lignes avant 16 h 30.

22. La presse régionale relate les événements militaires du front de Dunkerque.

64153. Le succès de ce raid donna l’idée d’une seconde tentative. Il semblait opportun au général Liska que cette attaque fût mise en œuvre le 28 octobre, jour de la fête de l’indépendance tchécoslovaque39. Les Tchèques tenaient le flanc est du périmètre avec le 1^st Czechoslovakian Motor Battalion sur la droite et le 2^nd Czechoslovakian Armoured Regiment sur la gauche. Ils avaient l’intention d’attaquer des objectifs limités avec les blindés, le bataillon motorisé ayant au préalable attiré l’attention de l’ennemi par une attaque de diversion. La manœuvre de diversion devait démarrer à 6 h 30, l’attaque principale étant prévue à 9 h 00. Le 125^th Light Anti-Aircraft Regiment devait déranger l’ennemi, au sud, par des patrouilles énergiques avec l’appui du tir d’une batterie du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment. Une mission d’observation aérienne fut utilisée pour diriger le tir durant l’opération car il avait été fait appel aux pièces du 109^th Heavy Anti-Aircraft Regiment et à deux batteries du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment. L’attaque, lancée dans la matinée d’une journée claire et ensoleillée, fut admirablement couronnée de succès. Les diversions effectuées par le 125^th Light Anti-Aircraft Regiment et le 1^st Czechoslovakian Motor Battalion eurent pour résultat la capture d’un officier allemand et de 27 hommes de troupe et sous-officiers. Les pertes tchèques s’élevaient à 2 tués et 15 blessés. L’opération principale est décrite dans un rapport de situation régimentaire établi le lendemain matin :

« Flanc droit. Une forte résistance a retardé l’atteinte de l’objectif. Les flancs central et gauche se comportèrent bien : objectifs tous atteints. Prisonniers de guerre ramassés dans le secteur : 4 officiers et 200 hommes de troupe et sous-officiers. Pertes du 2^nd Armoured Regiment : un équipage mis hors de combat. Un half-track et un engin blindé de reconnaissance reçurent des obus de plein fouet. Un officier d’observation a reçu une balle dans les jambes ».

65Le fait que l’attaque ait obligé l’ennemi à ouvrir le feu, le contraignant à épuiser ses munitions limitées constitue un résultat important de l’opération. Le général Liska félicita les artilleurs pour leur excellent travail :

« Je souhaite vous exprimer tous mes remerciements pour le magnifique soutien que vos régiments ont apporté à notre brigade ce matin.
Le tir précis et le minutage exact ont eu deux principaux effets : ils ont démoralisé les Fritz et encouragé nos hommes qui, prenant conscience de l’efficacité du soutien de l’artillerie, sont allés de l’avant et ont réussi à mettre l’ennemi en déroute ».

66154. Il y eut deux raids supplémentaires sur les positions ennemies, le premier le 3 novembre et le second le 5 novembre. Le premier consista en une petite expédition conduite par le 7^th Royal Tanks sur une ferme tenue par l’ennemi. Trois Allemands furent tués et le reste de la garnison prit la fuite laissant sur place équipement et armes. L’opération du 5 novembre fut une expédition plus élaborée : une reconnaissance en force du 2^nd Czechoslovakian Armoured Regiment accompagné d’une compagnie motorisée et de deux pelotons de tankistes temporairement transformés en fantassins. La mission du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment était de s’attaquer à des batteries ennemies, le tir étant guidé par un officier d’artillerie volant à bord d’un avion d’observation. L’attaque se révéla coûteuse comme l’indique le rapport parvenu au 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment à 16 h 35 :

« Nos troupes sont maintenant revenues mais trois ou quatre chars sont restés enlisés. Des efforts sont en cours pour les récupérer. Nos pertes s’élèvent à 60 hommes, celles des ennemis à 160 prisonniers et beaucoup de tués. L’infanterie ennemie essaie encore d’avancer ».

67En raison des lourdes pertes enregistrées de part et d’autre, une trêve fut négociée de 12 h 00 à 19 h 00 le lendemain (6 novembre) pour permettre l’inhumation des morts et la récupération des blessés.

Le siège hivernal

68155. Tous ces accrochages avec les défenseurs de la forteresse confirmaient que la situation était dans une impasse :

« L’ennemi ne sortira certainement pas en force, de même que nous ne pouvons certainement pas nous emparer de la ville avec notre actuelle configuration de forces terrestres ou notre potentiel en termes d’appui aérien et d’artillerie. Des deux côtés, chacun peut exploiter les faiblesses de l’autre, comme l’ont démontré les raids nocturnes de l’ennemi dans le secteur ouest et l’étonnant succès, à l’est, de la brigade blindée autonome tchécoslovaque, le jour de la fête de leur Indépendance. Le balancier penche en faveur des assiégeants qui sont mieux équipés et en meilleure forme sur le plan physique et moral ».
(Quartier général. Journal. 31 octobre 1944)

69156. En attendant, les artilleurs canadiens venaient à bout des difficultés issues d’une guerre de siège statique. Le premier souci était la boue :

« Dès la première semaine de notre arrivée, deux ou trois pluies torrentielles nous laissaient entrevoir comment les choses prendraient tournure et, à la fin du mois d’octobre, chacun put réaliser combien étaient vrais les récits qu’ils avaient entendus à propos de la boue française et flamande lors de la Première Guerre mondiale. Les fosses des canons s’effondraient et les pièces glissaient quand elles faisaient feu ; avoir un poste de commandement en extérieur était impossible ; les véhicules s’embourbaient en permanence dès qu’ils quittaient la route principale ; et les voies secondaires ainsi que les positions des batteries devinrent bientôt des bourbiers impraticables ».
(Source : A History of 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment, p. 40)

70Mais le 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment était partisan d’un bon niveau de vie :

« Nos déploiements initiaux à Dunkerque étaient tous en plein air. Les postes de commandement étaient sous tente et les bivouacs établis dans des trous creusés à même le sol et recouverts de bâches goudronnées ou de tapis de sol. Très vite, les postes de commandement furent installés dans les bâtiments existants les plus proches ; quand c’était possible, les hommes étaient cantonnés chez l’habitant ce qui ne pouvait pas se pratiquer sur les emplacements d’artillerie. Cependant, près de Saint-Omer, les Allemands avaient fort opportunément laissé un aérodrome couvert de petits baraquements et il y avait, éparpillés sur tout le littoral et en campagne, des sites et des habitations désertés par les Allemands et remplis de mobilier. À la fin de notre séjour à Dunkerque, chacune de nos positions était un mini-village ; les hommes possédaient leurs baraquements, variant selon la préférence de chacun, du bungalow individuel à une structure plus élaborée pourvue d’un grenier et susceptible de loger plus d’une douzaine de personnes ; tous les logements étaient équipés de lits, tables, chaises, cuvettes de toilette, miroirs, calorifères, radios et même rideaux aux fenêtres sans compter le plus grand assortiment de photos de pin-up. Les postes de commandement étaient établis dans des baraquements similaires, et ceux qui se trouvaient dans des granges avaient été améliorés à en être méconnaissables, abstraction faite des lits pliants pour les officiers d’artillerie de service. Tous les baraquements avaient l’éclairage électrique, branché sur le secteur, avec le secours de 1098 générateurs en cas de défaillance du secteur, ce qui se produisait lors de grand vent ou lors des tirs des batteries. Des planchers reliaient les baraquements entre eux et partout ailleurs où l’on voulait se rendre sans les emprunter, ce qui était souvent nécessaire, cela signifiait une marche pénible avec de la boue jusqu’aux chevilles. Les munitions étaient déchargées sur la route principale puis transportées aux batteries par des petites voies ferrées provenant des anciens aérodromes allemands. Un bulldozer bouchait les trous, nettoyait les routes et élevait des murs de terre autour des batteries et contre les baraquements pour les protéger de l’effet de souffle. Une ou deux unités construisit ses propres voies d’accès. Chaque position et chaque zone de transport avaient leur propre réfectoire et leur cantine, décorés avec goût et meublés, susceptibles d’offrir des places assises à une unité pendant un moment, approvisionnés par le NAAFI40 et le YMCA41 et alimentés en fruits frais et en bière belge. Les camions « Liberty » (Permissionnaires) allaient régulièrement à Ypres, Poperinghe et Saint-Omer. Durant un temps, il n’y eut pas de liaisons avec Lille qui devint, seulement à partir du 1^er décembre, le centre « officiel » de permission où l’on servait à dîner et à souper aux hommes de la brigade, libérés de leurs obligations de service ; plus tard, ils recevaient des casse-croûtes, après quoi les retardataires se pressaient de monter à bord de véhicules qui les ramenaient sur le front. M. McKenzie organisa un théâtre du YMCA à Zegerscappel, offrant à chaque séance 250 places assises et projetant deux films par semaine. L’état-major avait fait construire des douches pleines de courants d’air et avec un système d’écoulement d’eau instable mais pour le moins « détersif » quand il fonctionnait.
(Source : A History of 2^nd Canadian heavy Anti-Aircraft Regiment, p. 43-44)

71157. Le huitième jour de novembre vit l’inauguration d’une bien agréable coutume :

« Huit infirmières canadiennes arrivèrent de l’hôpital canadien de Saint-Omer en qualité d’invitées du régiment. Le chef de corps et les trois officiers commandant les batteries étaient chargés de les accueillir. Après leur avoir offert le café au mess des officiers de l’état-major, le groupe se divisa, deux infirmières étant allouées à chaque batterie, deux d’entre elles restant au quartier général. Les invitées restèrent dans les batteries pour la journée et on leur montra tous les points dignes d’intérêt du ressort d’un régiment d’artillerie antiaérien. Dans la soirée, le groupe se réunit au mess des officiers en compagnie de deux officiers de chaque batterie. Des boissons furent servies ainsi qu’un souper.
C’était tellement une bonne idée qu’elle fut reconduite deux jours plus tard et les visites ultérieures devinrent partie intégrante de la vie sociale du régiment. » (Ibid)

72158. L’historique du régiment rapporte avec tristesse l’inconvénient issu de la routine de cette vie sédentaire :

« Comme on pouvait s’y attendre, avec la généralisation de conditions de vie plus ou moins sédentaires, resurgit la détestable rengaine militaire du ‘‘Briquez vos pompes’’ ». (Ibid)

73Le changement est perceptible à la lecture des ordres concernant l’habillement et le comportement :

a) L’habillement, à l’extérieur des positions de combat et de leur périmètre d’enceinte ou des bureaux, consistera en tenues de combat, ceintures de toile, socquettes, bérets et armes individuelles
b) Cependant, les ceintures de tissu et les socquettes ne doivent pas être portées le lundi. Ce jour-là, elles devront être lavées ; et
c) Chacun devra faire l’effort de conserver une apparence élégante et militaire.
(Ordres n^o 82, 11 octobre 1944)
Dans la boue des Flandres, le régiment se situait ainsi, sur les plans de l’élégance et du fonctionnement, au même niveau que celui des sites antiaériens statiques de Grande-Bretagne.
(Source : A History of 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment p. 10 et 44)

74159. Tandis que se poursuivait le siège de Dunkerque, l’essentiel de la 1^re armée canadienne avait bien avancé en Hollande et en Allemagne. De ce fait, le quartier général de l’armée se trouvait maintenant éloigné, de façon gênante, des assiégeants occupant des postes isolés. Par conséquent, le 27 novembre, le 21^e groupe d’armées prit directement sous son commandement la 1^re brigade indépendante blindée tchèque et la 1^re armée canadienne fut ainsi relevée de toute responsabilité concernant les opérations autour de Dunkerque.

75160. Le luxe tout à fait relatif qui présidait sur les sites des batteries, avec les cantonnements dans des baraquements et les délices des permissions à Lille, commençait à devenir pesant :

« En juin 1941, le régiment se désespérait de ne pas quitter le Canada ; en 1943, il s’étonnait de ne pas aller plus loin que l’Angleterre ; et en décembre 1944, il semblait impossible qu’il ne puisse y avoir d’autre univers que celui de Dunkerque. Sa seule consolation était que le reste de l’armée canadienne passait également un hiver sédentaire, même si les combats des Ardennes suscitaient le désir naturel de voir davantage d’action que Dunkerque n’en procurait ».
(Source : A History of 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment p. 46)

76Il y eut cependant une occasion où les artilleurs furent tout ce qu’il y a de plus reconnaissants d’être à Dunkerque plutôt qu’engagés dans une guerre de mouvement :

« À Noël, chacun se félicitait des confortables baraquements et cantines, et la fête fut vraiment bien célébrée par des dîners avec poulet, dinde et crème glacée au menu, suivis (et dans certains cas précédés) de chants, d’acclamations et de témoignages de camaraderie pas seulement issus de la consommation de bons alcools ». (Ibid)

77161. Janvier, mois de grands vents, un sol gelé en profondeur, beaucoup de neige et un froid glacial, fut le dernier mois de présence à Dunkerque du 2^nd Canadian Heavy Anti-Aircraft Regiment. Le 31 janvier, les canons d’une batterie furent désactivés et, le 6 février, les deux autres batteries retirèrent leurs pièces de 3,7 inches pour aller rejoindre un camp d’entraînement antiaérien afin de renouer avec une activité qu’ils n’avaient pas pratiquée depuis longtemps. Ainsi se termina la participation des Canadiens au siège de Dunkerque.

78162. Les Tchèques cependant avaient reçu en renfort un autre bataillon de tanks, un régiment d’artillerie, une compagnie de transport motorisée et une compagnie de sapeurs. Curieusement, les membres de ces nouvelles unités avaient été recrutés dans l’armée allemande. C’étaient des ressortissants tchécoslovaques qui avaient été enrôlés de force dans l’armée allemande lors de l’occupation de la Tchécoslovaquie et qui avaient été faits prisonniers par les Anglais durant les batailles de Normandie. Les Tchèques poursuivirent le siège avec ces unités additionnelles.

79163. Les assiégeants furent parfaitement informés de la situation à l’intérieur de la forteresse allemande lors d’un échange de prisonniers qui eut lieu au mois d’avril ; des soldats et des aviateurs alliés dressèrent à leur retour le tableau de la vie dans la « zone d’influence » de l’amiral Frisius. La nourriture était maigre et la ration des prisonniers était déplorable à moins qu’ils acceptassent de travailler au ramassage des légumes ou des betteraves à sucre. Pour les blessés et les malades, les conditions de vie étaient pitoyables :

« Les soins médicaux étaient mauvais et il y avait dans les hôpitaux un déficit de matériel médical responsable de la mort de plusieurs soldats alliés et d’un nombre considérable de soldats allemands. L’atmosphère de l’hôpital est délétère en raison du manque de produits pharmaceutiques et de pansements ».
(Source : Historical Note on the Operations of 1^st Czechoslovak Independent Armoured Brigade Group in Northwest Europe. Sep 44 - May 45)

La discipline était d’une incroyable dureté et la condamnation à mort était une peine fréquemment prononcée. Sur les 12 000 hommes de la garnison, seulement 8 000 étaient en capacité de combattre, 3 000 étant inaptes pour raisons médicales et 1 000 – pour la plupart Polonais et Autrichiens – considérés comme insuffisamment fiables et auxquels on ne confiait pas d’armes. (Ibid).

80164. À 20 h 50 dans la soirée du 4 mai 1945, un message impatiemment attendu fut transmis par le 21^e groupe d’armée :

« Toutes les opérations offensives cesseront dès réception de ce message. Des ordres seront donnés à toutes les troupes pour un cessez-le-feu à 8 h 00 demain, samedi 5 mai. Les conditions détaillées de la reddition allemande, conclues aujourd’hui sur le front du 21^e groupe d’armée, suivent. Il est à signaler que ces dispositions s’appliquent uniquement au front du 21^e groupe d’armée et, pour l’instant, ne concernent pas Dunkerque ».
(Quartier général de la 1^re armée canadienne. 4 mai 1945)

81La guerre sur la côte de la Manche n’était pourtant pas encore terminée. Ce n’est que deux jours plus tard, le 7 mai 1945, que le général de division Liska accepta la reddition de la garnison et envoya ses forces pour occuper la ville. La côte de la Manche était libérée et les Tchèques pouvaient maintenant retourner dans leur patrie qui venait d’être libérée par les forces américaines et russes après six années d’asservissement nazi :

« Les Allemands considéraient leur occupation de Dunkerque, depuis que le maréchal Alexander en avait quitté la plage, comme le symbole de la défaite irréversible des Britanniques. Il ne leur restait plus dans cet esprit qu’à simplement occuper la ville. Il est tout à fait symbolique que l’armée qui regarde se désagréger à Dunkerque une fraction de l’armée allemande soit celle du premier peuple d’Europe à avoir souffert de l’avidité suicidaire du pouvoir de l’Allemagne ».
(Source : « War » n^o 94, « Return via Dunkirk » p. 10)

82165. À la fin du mois de septembre 1944, la 1^re armée canadienne avait nettoyé la côte de la Manche de la Seine au canal Léopold, laissant seulement Dunkerque aux mains de l’ennemi. Il n’y avait plus de Mur de l’Atlantique en France et en Belgique. Les trois grands ports fortifiés, Le Havre, Boulogne et Calais étaient tombés dans la tourmente, malgré leur imposante artillerie, leurs garnisons et les ordres du Führer. En essayant de tenir ces trois ports, les Allemands avaient perdu 30 000 hommes, auxquels il fallait ajouter les 12 000 enfermés dans Dunkerque. […]