1Être bourgeois dans une ville de l’époque médiévale et moderne, c’est se prévaloir d’un statut juridique défini par la ville, qui combine droits et devoirs et qui marque l’appartenance de l’individu à une communauté de personnes et d’intérêts1. Ce statut, garanti par les franchises ou privilèges locaux, s’applique dans différentes sphères, géographique, judiciaire, professionnelle, fiscale et politique. Plus qu’un simple habitant, le bourgeois de la ville d’Ancien Régime est un citoyen dont le statut ouvre un certain nombre d’honneurs. Chaque ville fixant les modalités de son droit de bourgeoisie, il convient d’en déterminer le contenu pratique pour en mesurer l’attractivité réelle dans la société urbaine.

La bourgeoisie, ou les bénéfices d’une protection judiciaire étendue

2L’enracinement géographique du bourgeois de la Renaissance à sa ville est un lien devenu désuet avec l’accroissement de la mobilité des hommes. Au XVII^e siècle, les chroniqueurs valenciennois relèvent comme une curiosité du passé un acte de 1423 qui précise que « en ce temps, nul bourgeois ne pouvait quitter la ville pour s’en aller habiter ailleurs, sans congé du Magistrat (= échevins) »2. Le fait de naître bourgeois ou de prendre la bourgeoisie de Valenciennes n’exclut donc pas la mobilité géographique, usuelle par exemple chez les grands marchands qui partent résider à Anvers ou ailleurs pour leurs affaires. Le lien de citoyenneté entre le bourgeois et sa ville passe d’abord par la protection offerte par la justice municipale.

Une protection très large de la personne et des biens des bourgeois

3L’attachement judiciaire du bourgeois à sa ville est une réalité essentielle des honneurs de la bourgeoisie : le bourgeois ne peut être jugé ailleurs que devant son échevinage et il échappe, à l’extérieur, à la saisie de ses biens ou à la prison pour dettes, principale cause d’emprisonnement à l’époque moderne. Pilier de son statut, la protection de sa personne et ses biens, assurée par l’autorité municipale, reste très vivace aux XVI^e et XVII^e siècles. Les « registres des bourgeois et choses communes » sont emplis de cas de menaces, blessures, arrestations ou saisies de biens commises sur des bourgeois de la ville et sanctionnées par les échevins. Simon Le Boucq, prévôt de la ville et commentateur de ses coutumes politiques, rappelle dans une description de Vallentiennes que les bourgeois doivent être « tellement libres en corps et biens, que l’on adjourne ceux qui leur auroient faict quelque tort ou interest » pour les punir de prison ou les bannir3. La coutume locale sanctionne du bannissement perpétuel « tous ceulx non bourgeois ne filz de bourgeois qui ocisent le bourgeois ou fils de bourgeois »4. La ville peut aussi ajourner devant ses échevins les habitants des communautés rurales de la prévôté de Valenciennes. Les bourgeois y disposent de terres et sont à la fois créditeurs, partenaires commerciaux et receveurs fiscaux des villageois, d’où la fréquence des litiges, blessures ou saisies les opposant. La ville peut interdire aux ruraux indélicats des environs l’accès à ses murs, mais elle a perdu depuis 1458 le droit d’abattre en représailles leurs maisons5. Le temps des descentes violentes des bourgeois sur un village est révolu, et c’est toujours la justice échevinale qui maintient, plus pacifiquement, sa prééminence sur les campagnes.

4La protection offerte par la ville à ses bourgeois est une solidarité réciproque. Un bourgeois peut être arrêté à l’extérieur au titre des dettes commerciales ou financières de sa ville. En 1545, un bourgeois de Valenciennes est retenu prisonnier à Amiens, en France, à cause d’une somme confisquée en 1521 à l’occasion de la guerre par un officier valenciennois de Charles Quint. La ville multiplie alors les démarches auprès du souverain pour être déchargée vis-à-vis des créditeurs d’Amiens, et elle accorde en attendant une aide de 200 Livres à l’épouse du prisonnier6. Une menace similaire plane sur les bourgeois en déplacement lors des difficiles années 1570. Ruinée par la révolte de 1566, le siège de 1566-1567 et les pillages répétés des garnisons, la ville suspend le paiement des annuités des rentes qu’elle a constituées. La dette municipale gonfle rapidement et atteint en 1575 la somme énorme de 300000 Livres, l’équivalent plusieurs années de recettes du budget. Des créditeurs étrangers impayés menacent alors les échevins « de faire arrester leurs bourgeois et inhabitans allans et venans à leurs affaires, ce que tourneroit au grand préjudicie et dommaige d’iceulx et de leur trafficq et négociation de marchandise et par conséquent la totalle désolation d’icelle ville ». Inquiètes, les autorités municipales obtiennent du roi Philippe II un moratoire sur les arrestations pour dette, à charge d’apurer les comptes et de lever des taxes sur différentes marchandises pour combler le déficit7. Privilège des bourgeois et rayonnement commercial de la ville sont à ce prix.

Des privilèges judiciaires battus en brèche par la répression du protestantisme

5Si les privilèges médiévaux et immémoriaux des villes garantissent à leurs bourgeois d’être jugés uniquement par leurs pairs échevins, le développement de la Réforme à partir des années 1520 et la répression des hérésies protestantes ouvrent un nouveau débat de compétence entre pouvoir municipal, pouvoir central et pouvoir ecclésiastique, et entraînent la remise en cause des privilèges judiciaires des bourgeois. Viscéralement hostile aux nouvelles idées religieuses, le très catholique Charles Quint prévoit la peine de mort contre tout hérétique et la confiscation complète de ses biens au profit du souverain par un placard d’octobre 1529 et une ordonnance de novembre 1549, quitte à empiéter sur les vieilles franchises de ses villes des Pays-Bas8.

6À Valenciennes, les premiers grands procès pour hérésie, en 1542, 1545 et 1549, se déroulent sous le signe du consensus entre les autorités municipales chargées de prononcer les sentences, flanquées depuis 1544 d’un conseil inquisitorial composé de juristes et patriciens locaux, et l’officier du souverain, le prévôt-le-comte, responsable de l’administration et de la vente des biens confisqués aux condamnés. Le privilège de non-confiscation des bourgeois est alors levé sans contestation et un brasseur, un orfèvre ainsi qu’une veuve de marchand, tous bourgeois de statut, perdent leurs biens lors de cette première vague répressive9.

7Mais le développement rapide et massif du calvinisme à Valenciennes dans les années 1550-1560 relance la répression et fait voler en éclat le consensus des années 1540. Avec la reprise des procès en 1561, l’archevêque de Cambrai ouvre l’offensive en réclamant la juridiction des personnes suspectées, mais il est débouté en 1563 : l’échevinage de Valenciennes rappelle que « tous bourgeois, manans et habitans de ceste ville doibvent estre traictez et démenez pour tous cas pardevant leur bourg et Loy de ceste ville […] mesmes en matière d’hérésie ». Le pouvoir central parvient cependant à briser l’opposition des échevins sur deux points, l’utilisation de la torture contre les bourgeois et la confiscation de leurs biens. Le prévôt-le-comte, appuyé par la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite de Parme, sœur de Philippe II, qui se méfie de la tiédeur des autorités municipales à appliquer dans toute sa rigueur la législation anti-protestante, pratique la politique du fait accompli, avec l’aide de la commission inquisitoriale réactivée en 1562 et placée sous son autorité directe10.

8Le dernier volet du démantèlement des privilèges judiciaires des bourgeois intervient après la révolte de 1566 et la reprise de la ville en mars 1567 par les troupes espagnoles. Les franchises urbaines et les responsables municipaux sont suspendus jusqu’en 1574, tandis que les condamnations et les confiscations déciment la communauté calviniste. Mais quand l’échevinage retrouve ses compétences pour la justice civile et criminelle en 1574, le droit de juger les cas d’hérésie lui échappe définitivement au profit d’une commission placée sous l’autorité du gouverneur de la province, qui prononce la confiscation des biens en cas de bannissement ou de peine de mort11. À la différence de sa voisine loyaliste, Lille, Valenciennes, ville rebelle, n’a pu maintenir les droits de sa bourgeoisie. Mis à mal par la diffusion du calvinisme, le compromis entre le prince et sa ville est finalement restauré au prix d’un affaiblissement des privilèges judiciaires des bourgeois.

Bourgeoisie et fiscalité : entre avantages et arrangements

9Outre ses privilèges judiciaires, le bourgeois bénéficie d’avantages fiscaux variables en fonction de ses activités.

Des exemptions non négligeables sur la fiscalité indirecte

10Le privilège de 1397, confirmé en 1447 par le duc de Bourgogne, exempte les bourgeois de la fiscalité indirecte pesant dans la prévôté de Valenciennes sur différentes marchandises circulant sur les routes (les cauchies ou chaussées), navigant le long des pontons de l’Escaut ou passant les portes de la ville. Or les intérêts des bourgeois dans le pays circonvoisin sont nombreux : l’hinterland fournit alimentation, céréales, bétail, matériaux de construction, chanvre pour les cordiers, fil de laine pour les sayetteurs, et les marchandises du grand commerce transitent par les chaussées rurales. Les taxes en question, cauchiages, wisnaiges ou pontenaiges, sont donc acquittées par les ruraux et les marchands étrangers, à moins que ces derniers ne réussissent à déclarer leur marchandise sous le nom de quelque bourgeois local. Ainsi, en aval de Valenciennes, les collecteurs de Fresnes-sur-Escaut qui perçoivent un droit de pontenaige sur les marchandises chargées sur les bateaux, « toutefois désirant demorer bons voisins et amis à ceste ville (de Valenciennes) n’avoient jusques ors prétendue ne faict lever ledict droit » sur les marchandises des bourgeois. Mais lésés par les fausses déclarations, ils se plaignent en 1590 aux échevins que « l’estranger passe et eschappe sans payer le droict au fermier du pontenaige ». Ne pouvant confisquer les marchandises concernées (privilège de bourgeoisie oblige) sans s’exposer aux sanctions judiciaires de Valenciennes, ils ne peuvent que demander la liste des propriétaires de marchandises chargées en ville12.

11Cependant, en ville, le bourgeois comme le simple manant acquitte sa part de la charge fiscale sur les produits alimentaires (bière, vin, sel, fromage, beurre, harengs notamment) et sur les productions de textiles et de cuir. Cette fiscalité indirecte, en particulier celle sur les boissons, assure une part de plus en plus importante des recettes de la ville. Celle-ci fait une chasse active aux fraudeurs, toujours très nombreux. Ses sergents mettent à l’amende les habitants qui fréquentent les cabarets des villages limitrophes de la banlieue, Saint-Saulve, Anzin ou Marly, où se boit une bière détaxée13. Mais la charge fiscale moyenne de la maltôte des bières, la principale boisson consommée, s’avère diluée sur l’ensemble de la population urbaine, avec un montant moyen modeste de 3 Livres par an et par tête au début du XVII^e siècle.

Une bourgeoisie aisée protégée de la fiscalité directe

12La bourgeoisie est aussi protégée des prélèvements de la fiscalité directe. Si les campagnes du Hainaut financent leur part des aides versées au souverain par la levée d’une taille personnelle, Valenciennes puise dans les recettes de sa fiscalité indirecte pour fournir sa contribution. Et la succession des bourgeois échappe aussi aux droits comtaux et féodaux sur les biens meubles ou immeubles dans la ville comme dans le plat-pays. Enfin, le pouvoir central n’obtient jamais de pouvoir taxer de manière permanente le commerce ou les exportations, sauf lors de courtes périodes de guerre. Intéressé à faire peser la fiscalité sur les nantis, le prince cherche le moyen d’en tirer de quoi financer ses guerres14.

13Les biens immobiliers, cœur des fortunes bourgeoises, deviennent alors un enjeu pour des villes de plus en plus sollicitées financièrement par le souverain. Avec une demande d’aide de 12000 écus (environ 46000 Livres) exigée par les Habsbourg en 1497 et un arriéré de 120000 Livres dans les caisses municipales en 1498, Valenciennes doit demander à ses citoyens une contribution exceptionnelle et inédite. C’est pourquoi il « fut résould […] de taxer les principaux bourgeois suivans leurs moiens, comme 1, 40, 50, 60 Livres et plus ». Cette mesure nouvelle soulève une vive opposition des intéressés mais les échevins sévissent et bannissent deux bourgeois mutins15. L’affaire est symptomatique du refus de la fiscalité directe. Celle-ci est réintroduite avec le 100^e denier sur la valeur-capital des biens immobiliers et rentiers, en 1569, toujours de manière exceptionnelle et autoritaire, par la volonté du duc d’Albe et en dépit de l’opposition générale des « bonnes villes » des Pays-Bas.

14Les villes utilisent un moyen plus souple, la constitution de rentes, pour fournir les aides et contributions de plus en plus importantes demandées par les ducs de Bourgogne puis par leurs successeurs les rois d’Espagne, engagés dans un conflit long avec la France. Le compromis entre le prince et sa « bonne ville » est de nature financière. Le premier y trouve son crédit, échappant aux longues négociations des aides lors des États provinciaux qui réunissent les représentants des nobles, du clergé et des villes. La ville s’exécute en constituant des rentes héritières ou viagères dont les souscripteurs volontaires ou forcés sont les bourgeois aisés16. En place d’une taxe stérile, ceux-ci avancent au prince un capital en échange d’un versement annuel soit perpétuel et transmissible à 6,25 % (la rente héritière au denier 16), soit viager à 10 % (la pension au denier 10). Charles Quint reçoit ainsi de Valenciennes 189200 Livres en huit émissions de rentes entre mars 1522 et janvier 1556. Mais ce système alourdit l’endettement de la ville qui, en cas d’incapacité de remboursement (c’est le cas au milieu des années 1570), doit demander au souverain l’octroi de nouvelles taxes sur les produits de consommation, réparties sur l’ensemble de la population urbaine. Le recours à la fiscalité indirecte permet de préserver le revenu rentier des franges supérieures de la société, qui tirent ainsi avantage de ce mécanisme de la dette publique.

15Occasionnellement, la ville peut emprunter des fonds avec ou sans constitution de rente auprès des corps de métiers locaux et des marchands-banquiers italiens établis à Anvers, plate-forme financière des Pays-Bas. Elle sollicite aussi exceptionnellement et directement ses bourgeois les plus fortunés, comme en 1600 pour le soutien des armées des Archiducs engagés en Flandre au siège d’Ostende17.

16Hostiles à une fiscalité proportionnelle à leur fortune, dont le 100^e denier est le premier avatar moderne, les bourgeois collaborent activement aux autres formes de financement à destination du pouvoir central. La rente et le prêt constituent logiquement des produits financiers importants dans les patrimoines de bourgeois étroitement liés à la destinée de cet État moderne gourmand de ressources.

Une citoyenneté politique et militaire

La direction politique de la ville

17Le statut de bourgeoisie ouvre des droits politiques, peut-être les plus anciens. Les citoyens de Valenciennes ont le droit de s’administrer par eux-mêmes depuis les franchises ou Paix de 1114 qui instituent échevins et jurés, obligatoirement choisis parmi les bourgeois. Mais l’accès de ceux-ci aux fonctions politiques ne se limite pas aux 13 sièges de l’échevinage. Les deux conseils de la ville sont aussi peuplés de bourgeois. Le grand conseil, mentionné dès 1302, regroupe 100 à 200 hommes « représentant tout le corps d’icelle ville », et « auquel conseil tout bourgeois […] a voix et puissance de délibérer et de dire son opinion »18. Institué en 1498, le conseil particulier, restreint à 25 membres, est une antichambre de l’échevinage.

18La ville délègue nombre de fonctions administratives, financières et sociales. En sus des clercs et juristes professionnels qui assistent les échevins, une centaine de bourgeois sont commis ou gagés pour effectuer différentes tâches, entre autres signer les dépenses (quatre bourgeois), garder les clés du coffre des privilèges (huit bourgeois), manier les deniers municipaux (deux bourgeois appelés massards), auditer les comptes, entretenir les ouvrages de la ville, garder l’artillerie et les munitions (quatre bourgeois), gérer l’assistance municipale (six bourgeois), les charités de paroisse (quatre bourgeois par paroisse) et les hôpitaux et maisons de bienfaisance (deux bourgeois par établissement), superviser la santé (un chirurgien et un docteur en médecine) et surveiller les quartiers (trente connétables de rue, à raison de deux par rue importante).

19Au XVI^e siècle, l’effectif des bourgeois qui animent le corps politique urbain, habilité à administrer, légiférer, lever des taxes, juger, assister les pauvres, contrôler la vie économique, s’élève donc à 300 ou 350 personnes. Il s’agit donc d’une fraction réservée de la bourgeoisie de statut numériquement moins nombreuse que celle habilitée à porter les armes.

Le service des armes : une pratique bourgeoise

20Pour défendre les franchises, protéger les remparts et les portes, sécuriser les rues et encadrer les cérémonies publiques, la ville ne veut surtout pas dépendre d’une garnison qu’elle devrait financer, loger et subir, avec son inévitable lot de vols, de violences et de viols. C’est pourtant une catastrophe dont Valenciennes fait les frais entre 1567 et 1576, en hébergeant soldats espagnols et allemands en punition de sa rébellion.

21Hormis cette parenthèse douloureuse, la sécurité et la défense font partie des missions confiées aux bourgeois19. Ce sont des confréries de bourgeois, soumises à l’échevinage à qui elles prêtent serment d’assistance, qui forment la garde civique. Comme de nombreuses villes des Pays-Bas20, Valenciennes compte dès le XIV^e siècle trois Serments, les arbalétriers, les archers de saint Sébastien et les canonniers. Ils sont renforcés d’une seconde compagnie d’archers de sainte Chrétienne et encore complétés au XVI^e siècle par les arquebusiers ou « Bons Vouloirs » et par les joueurs d’épée ou « Gladiateurs ». Ces cinq ou six confréries militaires mobilisent près de 300 volontaires bourgeois (dont une moitié d’arquebusiers) à la veille de la révolte de 1566.

22La création des compagnies bourgeoises en 1564 et l’augmentation de leurs effectifs de 300 à 1800 hommes lors de la réconciliation de Valenciennes avec Philippe II d’Espagne en 1579, réduisent l’importance militaire des anciennes confréries sermentées. Celles-ci se recentrent sur l’encadrement des cérémonies publiques et processions, et elles développent une activité festive et ludique. Les dimanches et jours de fête, les confrères rivalisent pour l’attribution du titre honorifique de « roi ». Ils s’entraînent au tir sur des cibles d’étain appelées « joyaulx » ou « oyselets » dans leurs « jardins de plaisance », de longues parcelles de terrain situées dans la paroisse Saint-Jacques ou dans les fossés de la ville.

23Les compagnies bourgeoises constituent une force armée auxiliaire en ville et à l’extérieur. Elles sont sollicitées lorsque le terrain des opérations militaires est proche, comme lors du siège de Cambrai en 1595. Elles font l’objet d’une réglementation pointilleuse et d’une grande attention de la part des échevins en période de troubles intérieurs (en 1579) ou de conflit extérieur (en 1622, après la rupture de la trêve de 1609 avec les Provinces-Unies, et en 1635, avec la reprise de la guerre franco-espagnole)21. Le soldat-bourgeois porte l’épée au côté et l’arquebuse sur l’épaule, armes dont il est propriétaire et qu’il ne peut aliéner. Il doit se présenter en armes à son poste de surveillance (l’hôtel de ville, les remparts, les portes des murailles). Venir désarmé est considéré comme un acte de résistance au service, et « thirer aulcun coup de harquebouze sans cause légitime » est sanctionné, de crainte d’être pris par les habitants pour le signal d’une émotion populaire ou d’une sédition. Entre obligation de service et restriction de l’usage de leurs armes, les compagnies bourgeoises portent les prémices d’une mise en sommeil de la sécurité bourgeoise, réactivée lors des dangers rapprochés, comme les sièges subis par Valenciennes en 1656 et en 1677. La conquête française de 1677 entraîne leur dissolution définitive, au profit d’une garnison, tandis que les Serments sont maintenus dans leur rôle de parade22. L’auto sécurité bourgeoise a vécu.

24La bourgeoisie en armes ne peut être réduite, à l’époque espagnole, à un élément de la vie festive urbaine. Le siège de 1566-1567 est soutenu par les seules forces locales, qui tiennent tête durant trois mois aux armées et aux canons de Philippe II. La milice est aussi un instrument de sédition et de rébellion dans les années 1560 et 1570, dans le contexte de guerre civile et lutte entre protestants et catholiques. Lorsque Valenciennes clarifie définitivement sa position politique en choisissant la réconciliation avec Philippe II en 1579, un contrôle accru et pesant des échevins et du représentant du roi vient ôter définitivement aux milices bourgeoises leurs velléités d’expression politique. Les honneurs de bourgeoisie, qu’ils soient militaires, judiciaires ou fiscaux, ne résistent donc pas à la mise en place de l’État moderne : les conséquences de la révolte protestante entraînent des remaniements importants au détriment d’une partie de ces privilèges. Le statut lui-même en est-il affecté ?