1Le dépouillement des archives de ces deux groupements régionaux a conduit à examiner à un autre niveau non seulement leur fonctionnement, mais aussi le degré d’intensité de leurs liens avec l’UIMM, leur part dans l’élaboration de la politique générale du patronat de la métallurgie, et naturellement les réactions des industriels, puisque leurs adhérents ne sont pas des chambres syndicales, mais des chefs d’entreprise.

2Les archives de la Chambre syndicale des industries métallurgiques du Rhône, peu exploitées1, ne sont consultables qu’au siège lyonnais. Celles du Groupe des industries métallurgiques et mécaniques de la région parisienne (GIM), rigoureusement classées et déposées pour l’essentiel aux Archives nationales2, sont utilement complétées par celles des groupements de banlieue.

La naissance des deux organisations

3La première voit le jour à l’automne 1871. Au sortir du conflit franco-allemand, des maîtres fondeurs lyonnais prennent l’habitude de se réunir deux fois par mois dans un café de la place des Jacobins afin de s’entretenir de questions communes à leur profession. Ils convoquent ensuite des collègues et clients constructeurs mécaniciens. En septembre 1872, l’un des patrons, Alphonse Duvergier, propose de créer une association qui prend le nom d’Association Métallurgique du Rhône. Elle réunit alors quatorze personnes3, sorte de club privé que l’on peut assimiler, toute proportion gardée, aux premiers moments du CFF en 1864. Le successeur d’Alphonse Duvergier, Victor Averly (1879), transforme, suite à la loi du 21 mars 1884, l’Association métallurgique en syndicat professionnel. Elle rassemble progressivement les syndicats de constructeurs-mécaniciens, de chaudronniers, de maîtres-fondeurs, de constructeurs d’automobiles et de toutes les industries se rattachant à la métallurgie4. Elle adhère en 1886 à l’Union des Chambres syndicales lyonnaises, fondée en juin 1885, qui regroupe une quinzaine de syndicats professionnels.

4L’absence d’archives sur les débuts de l’association ne permet que des hypothèses sur les motivations des fondateurs. Les difficultés des années 1870 ont pu pousser à l’union, ce qui est le cas pour un certain nombre de métiers. En fait, la situation est très diverse dans l’industrie métallurgique : inquiétante pour la sidérurgie notamment de 1879 à 18875, elle est moins catastrophique, semble-t-il, pour la métallurgie de transformation, qui est à l’origine du groupe patronal. La reprise s’affirme à Lyon comme dans le reste de la France durant la dernière décennie du XIX^e siècle et s’accompagne d’une augmentation des adhésions. Les premiers dirigeants, souhaitant réguler la profession sur les plans économique et social, veulent à la fois consolider la solidarité professionnelle et défendre les intérêts des métallurgistes, comme le précise l’article 3 des statuts de 1873 : « développer, dans toutes les circonstances de la vie industrielle et commerciale, de bons rapports individuels entre tous et la pratique de la solidarité professionnelle dans les questions d’intérêt général ; intervenir pour élever le plus possible le niveau de l’enseignement professionnel des jeunes gens et adultes […], rechercher par tous les moyens pratiques l’amélioration entre le capital et le travail, dans un but de détente, de pacification, de concorde sociales. D’une manière générale, aider à l’organisation patronale et ouvrière dans le but d’éviter des conflits préjudiciables à tous ». Les objectifs ne varient guère tout au long de la période étudiée. Toutefois, « solutionner par tous les moyens les conflits » semble devenir une priorité après les grèves de 19066. L’Association métallurgique rejoint en 1911 la dizaine de syndicats régionaux qui fait déjà partie de l’UIMM7. Les délégués rhodaniens8 ne sont jusqu’en 1915 pas très assidus aux réunions nationales.

5Ce sont les grèves du début de l’année 1917 dans plusieurs usines de la région parisienne9 qui motivent la création du groupe parisien. Après avoir consulté la Chambre syndicale des constructeurs d’automobiles, le ministre de l’Armement, Albert Thomas, a décidé de réglementer « en partie les salaires pour les fabrications de guerre de la région parisienne ». Le salaire minimum horaire d’embauchage et de travail aux pièces est fixé pour les ouvriers non professionnels et « une catégorie restreinte de professionnels de capacité moyenne »10. Cela engendre un débat entre Louis Renault, qui souhaite faire passer à chaque ouvrier un examen permettant le classement, et Charles Laurent, qui préfère la constitution de comités régionaux ayant pour mission de fixer les taux minima de salaires tout en insistant sur la coordination nécessaire entre les différents comités, « les solutions données à beaucoup de questions d’apparence régionales (ayant) par suite une répercussion dans toute la France ». La détermination des régions s’avère complexe, spécialement pour la région parisienne, qui doit englober non seulement des communes du département de la Seine, mais aussi certaines communes de Seine-et-Oise. Finalement le groupement régional des industriels de la région parisienne (GIRP) se constitue à l’initiative des industriels parisiens et Louis Renault en accepte momentanément la présidence11. Il rassemble les industries de l’automobile, des métaux, des constructions mécaniques et électriques, de la fonderie… Il s’attelle immédiatement à la réglementation des salaires et entame des discussions avec Albert Thomas. Le GIRP fait partie de l’UIMM dès sa création. Leurs relations sont tout de suite très étroites, puisque le deuxième président du groupe, Pierre Richemond12, est en même temps vice-président de l’UIMM avant d’en devenir le président en 192513. Vu l’importance de la métallurgie parisienne, le GIRP devenu le GIM en mars 1920 joue un rôle spécifique.

6Le déséquilibre provoqué par la Première Guerre mondiale suscite des problèmes importants de réadaptation économique, compte tenu de l’instabilité des conditions de fabrication et des échanges engendrant celle des conditions de rémunération du travail. Au même moment est mise en place la Confédération générale de la production française, qui provoque des remous et des restructurations au sein des organisations patronales. Ainsi, le ministre Étienne Clémentel a impulsé une réunion, le 7 avril 1919, de vingt-huit syndicats de la métallurgie dans un nouveau groupement des Mécaniciens, Chaudronniers et Fondeurs, dont Tobie Robatel est élu vice-président. Quelques jours plus tard, le 12 avril, quatre groupes affiliés à l’UIMM ont fondé un autre groupement de la construction mécanique, toujours sous la présidence du ministre. L’Association du Rhône déclare alors que « les véritables transformateurs de métaux sont dans le groupe du 7 avril et non dans celui du 12, dont quelques membres ont des intérêts dans le Comité des Forges », le président Robatel précisant « qu’il ne peut faire partie de deux groupements de même but et d’intérêts tout opposés, et que l’Union n’a qu’à faire disparaître cette dualité inutile »14. Le besoin de resserrer les liens avec ses adhérents s’impose à l’UIMM. C’est pourquoi Alfred Lambert-Ribot et son collaborateur pour les questions sociales, Henri Siméon, rencontrent le 1^er décembre 1919 les principaux présidents des groupes de l’Association du Rhône, devenue depuis octobre la Chambre syndicale des industries métallurgiques du Rhône15. Il leur faut démontrer que les questions générales et nationales ne peuvent être traitées efficacement que par des organismes nationaux. Le président Robatel leur rétorque que la CGPF répond à ces vœux et que le groupement XIII, présidé par Niclausse, est en train de former « une Fédération de syndicats visant à l’institution de comptoirs d’achats en commun et à une Fédération de tous les constructeurs de France pour la défense de leurs intérêts communs16 ». Lambert-Ribot l’assure du désir de réconciliation de l’Union et qu’il se trompe sur la CGPF. « Organisme mal équilibré », destiné à un rôle exclusivement économique, elle ne s’occupe pas des questions sociales et est formée de commerçants et d’industriels, qui n’ont pas les mêmes intérêts. Or, en restreignant ses compétences aux questions sociales, ouvrières et fiscales et en limitant ainsi les frictions entre les diverses branches, l’Union augmentera son efficacité et sa cohésion. Cette argumentation finit par convaincre leur interlocuteur. Villey, le directeur parisien, n’a pas ces états d’âme : le double aspect « d’une organisation rationnelle de l’organisation syndicale des employeurs » prend en compte « la division du travail et doit assurer dans de meilleures conditions la défense des intérêts du patronat »17.

7Réussite de la politique de l’Union, intensification des rapports lors des crises ? Toujours est-il que, après la guerre, l’assistance des Lyonnais au comité devient beaucoup plus régulière et que les relations sont très cordiales et étroites. Certes, l’avis de l’Union est parfois discuté, mais son appui est totalement indispensable lors des discussions sur les grands projets sociaux et lors des conflits. Persuadés que seule une forte cohésion patronale permet de mieux faire face aux revendications ouvrières et à l’État18, les patrons lyonnais reconnaissent que le rôle de groupe de pression au niveau politique ne peut se jouer qu’à Paris et au niveau national. Et là, l’UIMM ne peut qu’approuver.

8Les industriels des métaux sont encouragés à s’inscrire à la fois à plusieurs chambres professionnelles nationales, si la diversité de leurs fabrications l’exige, et au syndicat régional. La division du travail oblige à confier certains aspects de l’activité syndicale aux chambres régionales, les autres étant du ressort des chambres professionnelles : « Il ne faut pas s’effrayer de cette légère complication et des charges qui en résultent […]. La spécialisation n’est-elle pas la loi du progrès ? »19. Dans la région parisienne, la séparation s’effectue facilement en raison de l’intensité de la vie syndicale et de la présence dans la capitale des sièges nationaux des groupements professionnels. En province, le groupe régional intervient aussi dans le domaine technique et économique pour présenter l’aspect local des différentes questions. L’UIMM doit assurer, autant que possible, une politique générale ouvrière adaptée aux situations locales et éviter « toute rupture d’équilibre dans la situation de la main-d’œuvre »20.

Se syndiquer, désormais une nécessité ?

9La Première Guerre mondiale et la collaboration de l’UIMM avec les pouvoirs publics stimulent les adhésions, qui font plus que doubler entre 1914 et 191921. L’Association rhodanienne organise les usines de guerre, établit des rapports avec l’Inspection des forges, des commissions mixtes pour l’étude des salaires imposés par le ministre de l’Armement et pour le règlement des conflits du travail. Ensuite, elle est partie prenante dans la reconstruction. Les commandes de guerre ont eu pour effet la création ou le développement d’entreprises mais aussi l’arrivée de firmes repliées comme Hotchkiss, Renault ou la Compagnie électro-mécanique. Le succès s’amplifie immédiatement après le conflit et s’intègre dans un mouvement plus général. La renaissance du mouvement ouvrier, l’ingérence croissante de l’État, les discussions autour des premières conventions collectives poussent les métallurgistes à s’unir et à donner de nouvelles structures à leur organisation. Les dirigeants parisiens entament parallèlement une politique de recrutement, notamment par la diffusion de circulaires démontrant les bienfaits pour un industriel de sa participation aux différents organes syndicaux, régionaux et professionnels22. Propagande efficace : le GIRP passe de 123 membres adhérents occupant plus de 49 000 ouvriers à sa création à 933 établissements et 169 830 ouvriers dès la fin de l’année 192023. Devenu le 1er mars 1920 le Groupe des Industries Métallurgiques, Mécaniques et Connexes de la Région Parisienne (GIM), il s’adresse aux seules industries des métaux sur un rayon s’étendant à 60 km des anciennes fortifications de Paris et se consacre exclusivement aux questions d’ordre social et ouvrier24. En 1921, il rassemble 1003 adhérents avec un effectif de 172 292 salariés, soit 44 % des effectifs de la métallurgie de la région parisienne25. À Lyon, le degré de représentativité est très inférieur puisqu’en 1920-1921, seuls 11,5 % des métallurgistes du département du Rhône font partie de la Chambre. Si les adhésions au groupe parisien croissent jusqu’en 1932, le reflux à Lyon débute dès les années 1920, alors que le nombre des établissements métallurgiques s’accroît de plus de 10 % dans le département. Le conseil de direction attribue ce déclin au départ des usines installées pendant la guerre, mais il se prolonge jusqu’en 1939. La crise économique entraîne la disparition de firmes et la diminution de 28 % des effectifs des adhérents de la CSIMR entre 1929 et 193126. Certains secteurs sont plus touchés que d’autres : les industries électriques perdent 35 % de leur personnel en 1931, la fonderie 27 %, les constructions mécaniques 25 %, l’automobile et la tréfilerie 22 %, les constructions métalliques 20 %27. Toutefois, en l’absence d’information sur le nombre de salariés employés par les adhérents en 1938-1939, il est difficile de parler de déclin de la CSIMR, les phénomènes de concentration des entreprises devant être pris en compte.

10Comme la CSIMR, le GIM connaît une régression à cause de la crise, mais pas tout à fait au même moment, les effectifs sont pratiquement stables entre 1929 et 1931 et ne chutent qu’en 1932 et 1933 (de plus de 62 000 salariés par rapport à 1930, soit une baisse de 25 % des effectifs). La reprise économique à la veille du deuxième conflit mondial est accompagnée d’un quasi-triplement des adhésions entre 1936 et 1939.

11L’une des raisons du succès du groupement parisien réside sans doute dans l’efficacité de ses réseaux locaux. En effet, la vie industrielle extrêmement active dans nombre de communes de la banlieue parisienne donne naissance à des groupements locaux interprofessionnels dans le cadre de la loi de 1901. Devant résoudre des questions purement locales, ils représentent les industriels auprès des différents services municipaux tout en assurant une coordination entre les différents établissements. Ils s’intéressent notamment aux questions fiscales municipales, aux octrois et au fonctionnement des services publics (distribution d’eau, d’électricité, de gaz.). Ils interviennent fréquemment auprès des services de transport pour mieux ajuster leurs prestations aux besoins de l’industrie et auprès des pouvoirs publics pour améliorer les communications entre Paris et la banlieue. Ils créent également un certain nombre de services pour leurs adhérents : organismes locaux pour l’achat de fournitures industrielles, service de placement, œuvres sociales pour le personnel ouvrier, développement de l’enseignement professionnel. L’Association interprofessionnelle des industriels de Suresnes-Puteaux-Saint-Cloud se forme la première en 191830. En 1924, onze groupements sont dénombrés31, situés bien sûr dans des communes très industrialisées. Cependant un certain nombre d’entre elles, surtout dans le sud de l’agglomération, ne sont pas encore concernées. Le groupe de Pantin-Aubervilliers n’apparaît qu’en 1926. Les métallurgistes, majoritairement adhérents du GIM, y sont très actifs, fournissant la moitié des présidents en 1924. À Argenteuil, Saint-Denis, Suresnes-Puteaux et La Courneuve, présidents et vice-présidents appartiennent tous à la métallurgie. L’intérêt de l’implantation locale se comprend à la lecture des archives des organisations de Saint-Denis et d’Aubervilliers.

Carte 1-3. Groupements locaux de la région parisienne en 1936

12Le Groupement des industriels de la région de Saint-Denis, mis sur pied dès juin 1919, est créé officiellement le 14 février 1920 par Charles Rau, président fondateur des Forges et Ateliers de la Fournaise, à la suite des grèves de 1919. Durant l’entre-deux-guerres, les métallurgistes représentent 65 % des membres (répertoriés) du conseil d’administration, et 45 % des sociétés qu’ils dirigent font partie du GIM. Toutes les grosses firmes métallurgiques dionysiennes sont représentées à un moment ou à un autre au conseil de direction, mais quelques-unes de manière constante : Hotchkiss, Christofle et la Compagnie française des métaux. Jusqu’en 1937, puis à partir de 1940, ce sont des métallurgistes qui occupent le poste de président : Charles Rau, Georges Bertault32, puis pendant la guerre Georges Aubagnac33, soit trois présidents sur quatre. Ils sont à la tête d’entreprises relativement importantes puisque les effectifs varient entre 100 et 400 salariés.

13L’assemblée constitutive du groupe de Pantin-Aubervilliers a lieu, au siège de l’UIMM, le 23 mars 1926 sous la direction de Paul Bloch, président du Groupement des industries de La Courneuve et industriel à Aubervilliers, en présence des représentants de 33 établissements, effectif passé à 44 en mai34 et 74 en juillet35 suivants. Trois métallurgistes siègent au conseil d’administration dont le président, André Franck. Les métallurgistes semblent moins nombreux dans ces communes qu’à Saint-Denis, mais leur nombre est difficile à déterminer précisément, faute de sources.

Graphique 1-8. Les établissements adhérents aux Groupes des industriels de Pantin-Aubervilliers et Saint-Denis

14Les relations avec le GIM sont permanentes (correspondance, réunions, visites). Le groupe régional coordonne éventuellement les revendications, par exemple pour les octrois36, ou s’appuie sur les groupements de banlieue lorsque sont entamées des campagnes de propagande généralement dirigées contre « les campagnes subversives des révolutionnaires »37. Ses enquêtes sur les salaires servent de référence à l’ensemble des professions. Les rapports s’intensifient lors des grèves de 1936. Le GIM, sentant la nécessité d’assurer une meilleure communication avec les adhérents et voulant juguler le mécontentement de ses troupes, désire renforcer son organisation afin de tisser des liens plus étroits avec les adhérents de banlieue et avec les entreprises petites et moyennes38. Les liaisons locales de banlieue sont organisées en 1937 pour ces raisons. Le système est complété à la fin de novembre 1938, en accord avec la CGPF, par la création d’une commission de liaison des groupements interprofessionnels de banlieue comprenant aussi les correspondants des liaisons locales. D’ailleurs, le fonctionnement de celles-ci se conjugue avec celui de ces groupements, mais il n’y a pas de fusion complète39.

15L’implantation locale comporte des avantages. C’est un moyen de resserrer les liens verticaux entre l’industriel et les différents niveaux de l’organisation syndicale notamment pour faire respecter la discipline. Cela encourage parallèlement, d’une part les liens horizontaux entre organisations locales, d’autre part entre celles-ci et les divers services et institutions municipales. La prépondérance des métallurgistes dans ces groupements renforce bien sûr leur emprise.

16Comme aux autres niveaux de l’organisation patronale, les ressources évoluent en fonction des effectifs des établissements puisque les cotisations sont calculées à partir du chiffre total des appointements. Le conseil d’administration du GIM en fixe annuellement le taux : 2 % dans les années 192040, 3 % dans les années 1930. À Lyon, s’y ajoutent une cotisation fixe et annuelle41, les cotisations des membres honoraires (25 F) et des membres d’honneur (20 F), les dons, les revenus des biens et valeurs et enfin les droits perçus par les divers services du syndicat. L’assemblée générale du GIM se réserve seulement le droit de voter des cotisations exceptionnelles.

17Une part des ressources de la CSIMR est reversée à l’Union42. L’augmentation et la modification de la base de la cotisation entraînent des discussions en 1933, et les Lyonnais obtiennent partiellement gain de cause. La crise des années 1930 a provoqué une baisse très importante de leurs recettes : en un an, ils ont enregistré une chute de 110 millions de F.

18L’ajustement aux vœux des adhérents et aux impératifs de la conjoncture s’effectue parallèlement à l’évolution de l’organisation nationale.

L’organisation régionale : convergences et divergences

19À l’origine, la direction de l’organisation lyonnaise est assurée par un conseil d’administration se réunissant mensuellement43, dont l’effectif est égal au cinquième environ de l’ensemble des adhérents. Élu en assemblée générale par scrutin de liste sur présentation du conseil en place44, il est renouvelable par tiers tous les ans et les membres sortants sont rééligibles. Un seul associé d’une même maison peut faire partie du conseil. Le bureau est constitué d’un président, de quatre vice-présidents, de deux secrétaires généraux et d’un secrétaire adjoint, d’un trésorier général et d’un trésorier adjoint. En octobre 1919, dans la nouvelle Chambre syndicale des industries métallurgiques du Rhône, les membres se répartissent en dix ou onze groupes45 désormais plus autonomes. Cette décision est prise devant la menace de scission du groupe de la Construction métallique et dans le contexte de réforme de l’organisation patronale. Le conseil d’administration de la CSIMR, renouvelable chaque année, se compose des présidents de chaque groupe (avec voix élective) qui dispose aussi de représentants (avec voix consultative)46. Les groupes, dirigés par un bureau renouvelé annuellement et composé à l’image de celui de la Chambre, ont une vie propre47, mais l’exécution de leurs décisions est subordonnée à l’approbation du conseil d’administration de la Chambre. Seule cette dernière possède la personnalité juridique ; les groupes ne peuvent ni faire de manifestations extérieures isolément, ni posséder et gérer des fonds. La CSIMR est toujours dominée par les constructeurs mécaniciens (22 % des membres), mais les représentants de la construction électrique (17,4 %), des fondeurs, des constructions métalliques et de l’automobile (13 % chacun) forment des groupes importants.

20Cette organisation par secteurs professionnels se retrouve au GIM qui, lui, est divisé en 23 sections48, puis en 27 en 1936, les fondeurs s’étant scindé en trois sections, auxquelles s’ajoute celle des fabricants de scies. Cela montre l’extrême diversité de la métallurgie parisienne. Ces sections correspondent à peu près exactement à la nomenclature des chambres nationales. Le bureau de chaque section se compose des présidents des chambres syndicales des fabrications correspondantes, ce qui assure des rapports directs entre les différents organismes. L’industriel de la métallurgie, comme nous l’avons vu, doit adhérer, si ses fabrications touchent plusieurs spécialités, à plusieurs chambres nationales, et aussi à plusieurs sections du groupe régional. Cela permet, selon les circonstances, de s’intéresser à une seule spécialité (rôle de la section) ou à plusieurs (rôle du groupe), si les questions soulevées prennent un caractère de généralité. Pour l’ensemble de la profession, les intérêts professionnels intéressant la corporation sont défendus par les chambres nationales, les intérêts régionaux d’ordre général49 par le groupement régional. L’efficacité de la chambre syndicale régionale dépend du soutien national.

21Au GIM, le nombre de représentants est fonction du nombre d’adhérents de chacune des sections ; s’y ajoutent aussi des représentants supplémentaires pour toute section dont l’ensemble des adhérents emploie un nombre de salariés supérieurs à 500050.

22Par la suite, les statuts s’adaptent à l’évolution du syndicat. Le bureau lyonnais s’élargit en 1925 de huit à onze membres et change de nom51. Une nouvelle catégorie d’adhérents situés en dehors du Rhône est acceptée en 1927. La majorité pour l’élection du bureau est redéfinie en juillet 193452. Enfin en 1937, et comme au niveau national, plus de pouvoirs sont donnés aux petits patrons : deux ou trois candidatures nouvelles pour le poste de vice-président sont proposées par le président Georges Villiers53. Dans la région parisienne, le mécontentement du petit patronat bouleverse davantage l’organisation. Certes, dès l’origine, il compose une partie non négligeable des troupes du syndicat parisien, qui estime lui être directement profitable. En effet, les firmes les plus importantes ont beaucoup plus de facilités pour se procurer directement toutes les informations par leurs propres services sociaux. Les grèves de 1936 soulignent les besoins et les insatisfactions des PME particulièrement sur le plan de la représentation syndicale. La conclusion de l’accord Matignon soulève beaucoup d’inquiétude chez leurs dirigeants, qui s’estiment trahis par les signataires, membres du grand patronat, d’autant que les charges engendrées par son exécution sont plus douloureusement ressenties dans les petites entreprises54. Il semble essentiel à l’organisation de maintenir l’unité patronale et donc de prendre en compte la contestation nationale menée par Paul Brenot55, président de la Chambre syndicale des industries radio-électriques, qu’il représente au conseil d’administration du GIM. Brenot propose, lors de l’assemblée générale du 9 juillet 1936, un plan de réorganisation de l’ensemble du patronat avec la formation d’un Comité intersyndical, manière de court-circuiter la CGPF jugée inadaptée à la situation nouvelle et à la solde du grand patronat. Il n’est finalement entendu que partiellement56. Cela se termine par la création du Comité de prévoyance et d’action sociales. Au niveau de la métallurgie parisienne, la direction, mettant en avant la nécessité de l’homogénéité de l’activité syndicale57, élabore avec Léon-Georges Pinet58 un projet de meilleure intégration des petits et moyens industriels au sein de l’organisation. La scission est évitée, les PMI restant à l’intérieur du groupe tout en se singularisant. Ainsi le Groupement PMI Boissière naît en juillet 1936. Présidé par Léon-Georges Pinet59, il fonctionne comme une section du GIM en matière sociale et de manière autonome en matière économique. La création de ce groupe impose une réorganisation intérieure du GIM. Dès le mois de septembre 1936, un comité de direction se constitue au sein du conseil d’administration. Dix-huit membres sur vingt-cinq appartiennent au groupe PMI. Leurs représentants sont également présents, voire prépondérants, dans toutes les commissions, notamment celle de la main-d’œuvre, et dans les liaisons locales. Le président et le premier vice-président font partie, tous les deux, de la petite industrie. Les succès remportés par le groupe PMI Boissière jouent un rôle d’impulsion sur les adhésions au GIM, qui triplent entre 1937 et 1939, mais aussi dans la généralisation des groupements PMI au sein d’autres professions et d’autres régions60. Garder les PMI et ainsi éviter l’éclatement a été une question vitale pour le groupe parisien.

23À la veille de la guerre, la modification des statuts de la CSIMR porte essentiellement sur la composition du conseil de direction, dont les membres de droit sont, comme dans la région parisienne, les présidents et des représentants élus par chaque groupe61.

24Comme pour l’organisation nationale, des commissions, non autonomes financièrement, sont mises en place pour résoudre des problèmes spécifiques. Cinq commissions existent à la CSIMR en 1919 : apprentissage, études ouvrières, études économiques et sociales62, publicité et bulletin, organisation financière et juridique. Formées essentiellement des membres du conseil, elles comptent éventuellement d’autres adhérents. Elles ont la possibilité d’être assistées d’un personnel spécialisé, peu nombreux par rapport à celui des services nationaux, qu’elles peuvent solliciter sur un problème particulier. Certaines doivent leur création aux nécessités de l’heure : commissions des grèves en 1920, des allocations familiales en 1923, de l’organisation scientifique du travail en 1927, de la normalisation en 1932 à l’initiative du groupe de la construction mécanique.

25Le GIM, étant un syndicat beaucoup plus important, possède une organisation ressemblant à celle de l’UIMM. Il comprend des services techniques, qui regroupent les sections d’études et de statistiques, d’emploi-formation, de sécurité et de conditions de travail, d’action sociale, des services de documentation et d’études, et un service des relations (liaisons locales, liaisons avec les autres groupements, visite aux entreprises). Les activités du GIM sont de deux types. D’une part, il assume l’information, la défense de ses adhérents devant les juridictions sociales, leur représentation dans un grand nombre d’organismes publics ou privés et dans les négociations, d’autre part, il améliore les conditions de travail des salariés avec l’objectif de préserver la paix sociale dans les entreprises et de rationaliser la production. Ainsi est créée, le 1^er mars 1920, la Caisse de compensation des allocations familiales de la région parisienne63. Le GIM encourage également le développement des œuvres sociales dans les entreprises (mutuelles, cantines, crèches…) et assiste les entreprises dans les problèmes d’emploi et de formation.

26Compte tenu de ces services très étoffés, le rôle des permanents est plus important à Paris qu’à Lyon, où les présidents et parfois les vice-présidents paraissent exercer la réalité du pouvoir. Étienne Villey, docteur en droit, très influencé par Robert Pinot dans le choix de sa carrière d’agent patronal, occupe le secrétariat général du GIM de 1920 à 1958. Animé par la volonté d’instaurer la paix sociale, il est un directeur très actif, mais aussi un théoricien de l’action patronale. Il a en effet soutenu en 1923 une thèse de droit sur L’organisation professionnelle des employeurs dans l’industrie française64. Délégué spécial du GIM à l’UIMM, il assiste ponctuellement aux réunions du comité de direction.

27Toutefois, le bureau joue un rôle primordial dans les deux régions.

28Les présidents et les vice-présidents sont dans leur très grande majorité à la tête d’entreprises familiales de plus de 100 salariés. Paul Chaleil semble faire exception parmi les présidents, puisqu’il dirige la société Rateau, encore que nous ne connaissions pas ses rapports avec Auguste Rateau. Cette situation est plus fréquente pour les vice-présidents parisiens, dont trois au moins sont à la tête de groupes plus importants : Lazare Levi pour Thomson Houston, Charles Nicaise pour Lorraine Dietrich, Georges Vésier pour la Compagnie française des métaux.

29La formation des dirigeants rhodaniens paraît moins prestigieuse que celle de leurs homologues parisiens qui sortent, à quelques exceptions près, des Grandes Écoles parisiennes. Tous ceux dont la formation est connue sont ingénieurs, sauf Edmond Weitz qui a suivi des études de droit et d’économie, sans mention précise de son cursus. La moitié des dirigeants du GIM est diplômée de l’École centrale, ce qui confirme l’idée que ce type de formation prévaut chez les chefs d’entreprise familiale. Parmi les vice-présidents, quatre sont polytechniciens, dont deux issus des Grands Corps. À Lyon, plus de 66 % des formations sont inconnues, en partie du fait que les dirigeants n’ont pas fréquenté les Grandes Écoles. Tobie Robatel sort de l’École centrale de Lyon après avoir suivi les cours de l’École de la Martinière. Georges Villiers, dont le destin devient par la suite national, est diplômé de l’École des mines de Saint-Étienne.

30Si les Lyonnais sont mieux implantés dans les institutions locales, Tribunal et Chambre de commerce (44,4 % dont Tobie Robatel, qui siège à la Chambre et au Tribunal)65, Union des Chambres syndicales, les Parisiens président souvent plusieurs syndicats importants : par exemple, le Syndicat des industries mécaniques de France pour Paul Chaleil ou le Syndicat national de découpage et emboutissage des métaux pour Louis Roullier.

31Autre différence, plus de 58 % du conseil de direction du groupe parisien appartiennent à l’UIMM. Tous les présidents du GIM sont vice-présidents de l’Union et l’un d’eux, Pierre Richemond, préside même à ses destinées de 1925 à 1937. Seuls les présidents lyonnais sont membres de droit de l’Union. L’implantation locale est aussi une caractéristique de la région parisienne : les présidents de sept groupements de banlieue participent au conseil66.

32La plupart des présidents sont d’abord membres de l’organisation avant d’occuper ce poste. Dans la région parisienne, le premier bureau est marqué par la présence du secteur automobile avec le baron Charles Petiet (constructeur : Aries), le trésorier Paul Kellner (carrosserie) et le secrétaire Auguste Dutreux (cycles et accessoires automobiles). Le secteur de la mécanique a deux représentants notables, Pierre Richemond et le vice-président, Henri Ernault67. Ce secteur domine dans le Rhône. Ainsi, dans ces deux groupes régionaux, les transformateurs, particulièrement ceux de la mécanique et de l’automobile, l’emportent, ce qui n’est pas le cas à l’UIMM dont le bureau se compose majoritairement de représentants des grosses entreprises de la métallurgie lourde, et, parmi les secteurs nouveaux, de ceux des Forces hydrauliques et du Gros appareillage électrique.

33Le personnel dirigeant est très stable : en moyenne, dix ans de présence pour les présidents et vice-présidents lyonnais entre 1912 et 1951, neuf ans pour les présidents et onze ans pour les vice-présidents68 parisiens entre 1918 et 1952. Certains ont eu une longévité remarquable : dix-sept à dix-huit ans pour Edmond Weitz et Pierre Richemond ou pour les vice-présidents François Baverey (Rochet-Schneider) et Maurice Goudard (Solex). Si Paul Chaleil ou Georges Villiers sont restés peu de temps, c’est en raison d’événements extérieurs. Le premier est tué sur les routes de l’exode, le second est devenu maire de Lyon en 1941. Dans ce domaine, la longueur des mandats des présidents de l’UIMM est similaire : onze ans en moyenne avec un record pour les présidents de la Libération, 20 ans pour Roland Labbé et 23 ans pour Marcel Meunier.

Tableau 1-5. Les présidents rhodaniens et parisiens

34Pour l’UIMM, le cadre régional est le mieux adapté à l’étude et aux solutions des questions ouvrières notamment en matière de salaires et de grèves, alors que les préoccupations professionnelles d’ordre général sont du ressort des organisations nationales. Cette structure pyramidale permet de concilier la diversité des intérêts et d’élaborer une politique commune. La place particulière du groupe parisien lui donne une prépondérance certaine et des relations privilégiées avec l’Union. Cela le conduit à jouer un rôle national notamment en servant de modèle lors des négociations salariales. Le GIM a d’ailleurs des rapports directs avec d’autres chambres régionales. Les dirigeants se rencontrent lors des réunions parisiennes, mais, à partir de 1936, les contacts s’accélèrent. Signe de ces relations privilégiées, l’invitation de Robert Clément à Lyon en novembre 1937. Ces liens témoignent-ils d’une certaine insuffisance de l’UIMM comme structure de coordination ou au contraire de l’étroite collaboration des deux organismes qui se répartissent les tâches ? L’analyse des différentes actions menées permettra de mieux cerner le rôle des diverses organisations.

35Une organisation interne performante ne forme qu’un des aspects de la stratégie patronale. Défendre les chefs d’entreprise dans un environnement souvent difficile exige de mettre au point des techniques et des tactiques pour tenter d’infléchir les décisions dans un sens conforme aux inclinations idéologiques et aux intérêts du groupe. Influer sur un pouvoir politique dont le champ d’action s’élargit sans cesse, établir un rapport de force favorable vis-à-vis des autres agents économiques signifie que les dirigeants de l’UIMM ne peuvent se contenter de leurs réseaux habituels fondés sur la famille, les relations, les connivences… Il faut agir sur d’autres fronts en empruntant des voies diverses.