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Les armuriers de l’État

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Patrick Mortal

– 8 – La nation restaurée, ingrate et prodigue

Texte intégral

Couverture d’une brochure de 1946

Couverture d’une brochure de 1946

Archives CFDT MAS et H. Berry, op. cit.

1L’urgence politique, la poursuite de la guerre, les besoins de la Reconstruction exigent dès les premiers jours de la Libération une réorganisation et une mobilisation des travailleurs des arsenaux. Les militants communistes s’investissent alors sans compter et prennent en main l’activité.

2Après la fin des combats le communiste Charles Tillon, ministre de l’Armement, relance l’idée d’offices nationaux conçus, à travers la reconversion des productions, comme un outil s’ajoutant au secteur nationalisé dans les mains de l’État. Autrement dit le parti communiste adopte l’orientation de la CGT d’avant-guerre. Mais ni l’État, ni les partis de la « Troisième Force », ni l’Union soviétique ne veulent de ce projet là et les militants du courant résistant sont éliminés sous un déluge de révocations et d’exclusions. La République, alors, à défaut d’être sociale, élabore dans le conflit un nouveau statut dans lequel le salaire joue le premier rôle, organisant la promotion des travailleurs plutôt que de leur donner au pouvoir la participation que leurs sacrifices leur faisaient espérer.

La reconstitution des forces

  • 1 H. Berry et alii, op. cit.

3La « Fédération nationale des travailleurs de l’État de France et des Territoires d’Outre-Mer » voit formellement le jour à son congrès de septembre 1945 avec Dadot pour secrétaire général. En mai, elle revendiquera 135 000 adhérents. Suivant les décisions confédérales et les choix d’une conférence préparatoire de janvier 1945, elle organise toutes les catégories dans un syndicat unique par établissement. La brochure commémorative de la FNTE déjà évoquée précisera plus tard que cela correspond « à la participation du mouvement syndical aux organismes de direction et de gestion des entreprises »1. Comme l’intervention à la tribune de la conférence de janvier de représentants des ministres des trois armes, cela montre surtout la continuité politique avec la Fédération d’avant guerre et l’Union fédérative d’avant l’autre. L’unité résistante permet au parti communiste de reprendre le flambeau qui éclairait l’alliance confédérée des syndicalistes révolutionnaires et des réformistes : le syndicat est l’organisation de toute la classe ouvrière, l’ébauche d’une république populaire dont le chemin passe par l’élargissement du secteur étatisé, préfiguration de l’avenir collectiviste et outil de contrôle de l’industrie dans son ensemble.

4La restauration des forces s’opère cependant au fur et à mesure de la libération des villes, la CGT étant la seule véritable puissance organisée dans les arsenaux. L’épuration est modérée, plus d’une affaire se dégonflant à l’analyse, et les peines demeurant mesurées. A l’inverse, toutes les sanctions prises contre des ouvriers pour délit d’opinion ou de Résistance sont annulées, y compris, par décision du ministre de la Guerre du 29 novembre 1944, pour des faits antérieurs à juillet 1940. Les survivants regagnent donc les établissements. Mais l’essentiel reste la capacité des arsenaux à jouer leur rôle, certes pas comme principaux fournisseurs de l’armée – on en n’est pas là – mais en contribuant malgré tout. Le général Billotte félicitera le personnel de Saint-Étienne de son « effort pour fournir des armes françaises à son armée ».

5A Tulle, dès août 1944 un « comité technique (...) sous l’égide de la CGT » et comprenant « des techniciens, agents de maîtrise et ouvriers » seconde la direction. En fait, le parti communiste suit de très près les possibilités de la reconstruction de l’outil, comme en témoigne un rapport de janvier 1945 signé du « responsable syndical du parti ». A Saint-Étienne des « comités de production » sont présentés le 2 novembre 1944 au nouveau conseil syndical : « un comité directeur comprenant quatorze membres pris dans la direction, la maîtrise et le personnel ouvrier et [des] sous comités d’atelier comprenant deux agents de maîtrise et deux délégués d’atelier » ; le syndicat chrétien est associé à chaque niveau. Le conseil ratifie les noms des heureux élus au comité directeur, dont Varenne et Aubert : la priorité à la production exige des hommes de confiance, les résistants. Le conseil du 14 novembre, élargi à la maîtrise, aux dessinateurs et aux employés est présidé par le nouveau secrétaire, Louis Cussonnet : une seule question, le congrès du 25 novembre, dont le sujet majeur est la production. Chaque atelier fournira un rapport, les « responsables » se réuniront avant le congrès pour préparer les « directives à donner ». Sur la base d’un rapport de l’Union départementale, on envisage ensuite de « mettre à l’honneur » ceux qui auront bien travaillé, et l’on insiste sur la « nécessité absolue de l’entente entre agents de maîtrise et délégués ». Vient enfin l’appel à « faire la chasse aux bobardiers et à ceux qui critiquent ». Le ton du secrétaire est celui du chef. L’on voit bien sourdre le modèle soviétique avec les tableaux d’honneur. Mais l’on ne peut s’empêcher de penser aussi à l’énergie des représentants en mission de l’An II... Entré en 1915 à la manufacture, trois fois emprisonné, chef et modèle, Cussonnet est aussi, au fond, sous le verni, le dernier représentant d’une génération d’anciens bons élèves de la communale et de l’école d’apprentissage, gardiens de l’esprit républicain patriote. Les ordres se succèdent : « Cussonnet explique le rôle des délégués qui est très dur s’ils veulent faire leur devoir. Il faut qu’ils soient vigilants et qu’ils dénoncent tous les coupables, chefs, ouvriers ou ouvrières qui jouent encore un rôle dans la cinquième colonne ». Le 23 décembre, les délégués refusent le cadeau de Noël du directeur : une augmentation en paiement de leurs fonctions, « vu la responsabilité qu’ils ont et l’appui qu’ils apportent à la maîtrise ». Le 29, à propos du ravitaillement, le secrétaire invite, sous la présidence du directeur, « tous les bons camarades à être vigilants et à étouffer dans l’œuf tout mouvement ou toute pétition qui pourrait être dirigée contre ceux qui nous aident et que l’on voudrait remplacer » et, retenant un instant les seuls membres du conseil : « les délégués ne doivent pas empiéter sur le rôle qu’ont à jouer les agents de maîtrise, ils doivent les aider dans tous les cas, mais ne pas diminuer leur influence sur les ouvriers pour que la discipline ne s’en ressente pas ».

6Le 6 janvier 1945 Dadot est accueilli par une « assemblée d’information » placée sous la présidence d’honneur de Ramier et des internés et déportés, et sous la présidence effective du préfet et du directeur. Cussonnet rappelle « les rapports étroits que nous avons avec la direction » et « l’harmonie qui règne au comité de production » mais sans oublier les résultats obtenus : congés, primes, frais médicaux… Le directeur de Vals, en fin de réunion, « remercie les ouvriers de leur activité et de leur bonne compréhension du moment » et se satisfait de la « discipline » et de la « dignité » de la réunion… Dadot, lors de ses visites dans « toutes les manus de France, (…) a constaté que toutes les organisations n’ont pas fait ce qu’elles auraient dû faire, c’est à dire l’unité, et il invite les techniciens, agents de maîtrise, employés, à rentrer à la Fédération des travailleurs de l’État ». Mais il fait aussi la différence entre Tarbes et Saint-Étienne et les autres établissements, qui trop souvent « n’ont pas encore constitué leur comité de production [et où] l’épuration n’est pas faite, un grand malaise règne de ce fait et cela marche très mal ».

  • 2 Le journal conserve son titre bien qu’il ait été celui d’un journal destiné par Vichy aux prisonnie (...)

7D’un établissement à l’autre, les syndicats uniques se mettent en place, non sans nuances. A Saint-Étienne, cinq sections ont des secrétaires élus par atelier ou secteur de l’usine. Le bureau est réélu, entérinant la constitution d’une seule organisation pour toutes les catégories. Le nouveau secrétariat reconduit Cussonnet à sa tête, mais outre l’adjoint, Bastide, sont élus un secrétaire « jeune » et une secrétaire « femme ». A Tulle, l’unité inter-catégorielle est justifiée par un article du Trait d’Union de décembre 19462 : « Produire est la loi de notre renaissance, usons de cette nouvelle méthode de travail qui consiste à unir dans des discussions communes et pour un même but : ingénieurs, techniciens, agents de maîtrise, employés, ouvriers ». Mais selon les statuts adoptés en AG le 28 juin 1945 et déclarés à la direction le 6 août les sections sont définies par catégories, en lien avec les statuts fédéraux : ouvriers, employés, agents de maîtrise, techniciens et projeteurs, ingénieurs. Le nombre de sections régressera jusqu’aux années 1950 où elles ne seront plus que trois : ouvriers, techniciens, employés. Autonomes dans leurs domaines, ces sections s’interdisent toute décision à l’échelle de l’ensemble du personnel. Les conflits seront arbitrés par le Syndicat unique. Les PV de ce dernier sont conservés dans un cahier différent de ceux de la section ouvrière, en fait l’ancien syndicat ouvrier, qui continue à fonctionner au moins jusqu’en 1950. La commission administrative est constituée de représentants des sections. A Châtellerault, la tradition unitaire facilite sans aucun doute la naissance du « syndicat du personnel (maîtrise, fonctionnaires et ouvriers) » de la MAC.

8Double pouvoir ? Contrôle ouvrier ? La garde civique républicaine de Roanne assure la sécurité des établissements, les comités patriotiques de Saint-Étienne « donnent la main » au comité de gestion, tandis qu’un « corps des inspecteurs patriotiques » visite les sous-traitants, vérifie les marchés, conseille la manufacture. Bientôt, le ravitaillement, l’aide aux anciens, aux FFI, aux déportés, occupe les syndicalistes. Le patrimoine de l’établissement permet à Tulle de construire un lotissement sur les pentes de Virevialle. Michel Barras note à Roanne l’existence de sept organes de presse, dont les bulletins du syndicat, Le Travailleur de l’Arsenal, du PCF, Notre voix, de la CFTC, Travail et syndicat… A Tulle, le Trait d’Union doit répondre aux « critiques » et aux « exigences » : « Tout est bon pour exhaler leur mauvaise foi : patates, pinard, vélo, pantoufles, voilà surtout leur grand dada ! Quelque chose cloche dans un service quelconque, le responsable : c’est le syndicat ; ils oublient souvent, les pauvres, que le syndicat ne peut se substituer à la direction (je dois dire en passant que nous nous chargeons à l’avenir et à la même place de situer les responsabilités) ». C’est que sans doute elles ne sont plus très claires. Lorsque l’AG du syndicat adopte un horaire permettant de plus longues journées compte tenu des pénuries de courant, les syndiqués de l’annexe de Brive renvoient leur carte et s’attirent une réplique sous le titre « discipline ». A Saint-Étienne, le 17 mars 1945 le secrétaire fédéral Henry Brunet, venu notamment dénoncer les grèves, obtient du délégué de la forge qu’il s’engage à « châtier » un meneur « s’il le découvre », tout en plaidant : « ce n’est pas bien méchant ».

9L’idéologie qui cimente la collectivité est trahie par le compte rendu que signe l’ex-dirigeant de l’ombre Varenne d’une réception par une assemblée extraordinaire, le 15 janvier 1945, d’une délégation syndicale venue d’URSS. Le directeur de Vals souhaite la bienvenue et entraîne les 5 000 présents à crier avec lui « Vive la Russie, Vive la France ! ». Cussonnet raconte « les luttes sanglantes » de l’URSS de 1905 à « nos jours ». Varenne termine ainsi : « La clique nous fait entendre un morceau bien senti et le camarade Sonnoview prend la parole. (…) Il nous explique ce qu’est la CGT en Russie groupant 25 millions de membres, tout est syndiqué, de l’ingénieur au manœuvre et même le directeur. La CGT commande tout, elle a ses hôpitaux, ses cliniques, ses maisons de repos qui pour le moment rendent de grands services pour soigner les soldats. Des ouvriers prennent des initiatives pour augmenter sans cesse la production et de ce fait sont inscrits au tableau d’honneur. Dans beaucoup de villes ils se sont transformés en soldats, c’est ainsi que Leningrad, Moscou, Stalingrad ont été défendues par ceux-là mêmes qui fabriquaient armes et munitions, c’est ce patriotisme ardent qui a sauvé la patrie et qui avec l’aide des alliés écrasera à jamais le nazisme exécré.

10Ouvriers français produisez toujours davantage, doublez, triplez la production et avec nous construisez un monde nouveau fait de paix et de fraternité.

11La fanfare attaque à nouveau la Marseillaise parmi les bravos, les baisers des femmes envoyés aux cégétistes russes et ceux de la camarade Koltchéwa envoyés à tous les ouvriers, la Marseillaise est reprise par tout le personnel en délire, si bien qu’on n’entend plus les canards de notre chère et jeune fanfare.

12La camarade Drevet des Femmes de France apporte le salut de celles-ci aux femmes russes, des gerbes de fleurs sont offertes, les applaudissements crépitent et la séance est levée par notre camarade Cussonnet (qui baigne dans son jus).

13Vive la CGT internationale ; vive l’URSS ; vive la France ».

  • 3 Voir Alf Lüdtke, « Le domaine réservé : affirmation de l’autonomie ouvrière et politique chez les o (...)
  • 4 P. Héritier, op. cit., p. 217.

14Ainsi le syndicat mobilise-t-il au milieu de tant d’efforts une catharsis d’autant plus nécessaire que la communauté blessée aspire à reconstituer cet entre soi par lequel les collectivités ouvrières tout à la fois se soudent, se distinguent et se signalent. La contrepartie est une délégation totale de pouvoir aux chefs naturels, le délégué, le député…3. L’humour du secrétaire de séance signifie toute la distance de cet homme d’expérience devant un univers intellectuel qui est alors celui qui est possible et efficace, même s’il fait sourire – ce dont, d’ailleurs, on a bien besoin ! Briser cet unanimisme est un tabou. Lorsque le 17 janvier l’on apprend que la JOC a distribué un tract réclamant des délégués « jeunes » dans les ateliers sans en avoir « référé » au directeur ni aux organisations4 le procès-verbal s’indigne : « il est anormal à une époque où nous faisons tout pour l’unité qu’il y ait des gamins qui cherchent à amener la pagaïe ». Et Cussonnet de proposer, sans être contredit ni suivi, un tribunal d’honneur, « un pour les chefs, un pour les ouvriers ». La manufacture restera le « champion » de la production.

15L’arrivée au ministère de l’Armement de Charles Tillon va donner à cette configuration des forces un autre souffle.

Charles Tillon, les Comités mixtes à la production et le retour du projet des offices nationaux

  • 5 DBMOF et J. Jolly, Dictionnaire des Parlementaires, op. cit., et l’Encyclopédie du XXe siècle, Ency (...)

16Charles Tillon5, brièvement en charge de l’Air, est ministre de l’Armement du gouvernement investi le 23 novembre 1945 et le reste après le départ de de Gaulle dans les gouvernements Gouin et Bidault, avant de passer à la Reconstruction sous Ramadier. Il est ainsi ministre jusqu’au 2 mai 1947, avec une interruption d’un mois pendant le gouvernement Blum (décembre 1946-janvier 1947). Principal chef de la Résistance communiste, il retrouve aux arsenaux un personnel dont il a commandé les dirigeants naturels au combat.

  • 6 Le parti le considère comme membre de droit depuis l’affaire du Guichen, c’est à dire… avant la cré (...)

17A Rennes, où il est né le 3 juillet 1897, il a été brièvement élève de Pierre Brizon, puis apprenti à l’arsenal. Engagé en 1916, marin, maintenu sous les drapeaux après l’armistice, il navigue sur le Guichen, chargé de ravitailler les troupes qui combattent la révolution bolchevique. La révolte de son équipage lui donne le titre de « marin de la Mer Noire » et l’envoie au bagne pour cinq ans. Revenu à l’usine, il est en 1923 permanent de l’Union départementale CGTU d’Ile et Vilaine, élu à la commission exécutive fédérale en 1931. Il rejoint formellement le parti communiste en 19216, entre au Comité central en 1932, est élu député en 1936. De 1941 à 1944 il est secrétaire clandestin du parti et fondateur des FTPF. Après guerre, il devient maire d’Aubervilliers. Mais ce qui fait le personnage, c’est le contraste entre une extraordinaire fidélité à un idéal et une permanente dissidence. Bagnard en 1919, arrêté par les franquistes en 1939, il est cette même année un des 9 députés communistes que l’on ne parvient pas à saisir, et appelle dès le 17 juin 1940 à la résistance. Cette divergence avec le parti s’efface avec la réorganisation de celui-ci, il en devient le dirigeant militaire.

  • 7 DBMOF, ainsi que Michel Dreyfus, PCF, crises et dissidences, Complexe, Bruxelles, 1990, 287 p.
  • 8 C. Tillon, Un procès... op. cit.

18Ministre, il s’entoure d’anciens résistants, est accusé de renouveler le corps des officiers à leur profit, et entre en désaccord avec le parti sur les crédits militaires. Victime d’une purge stalinienne en 1951, il est rétrogradé à la base. Réhabilité en 1957, il est exclu en 1970 après avoir condamné la normalisation en Tchécoslovaquie et critiqué le parti, mais avant de révéler à la presse que G. Marchais a été travailleur volontaire pendant la guerre7. Il représente au sein du parti un courant « résistant » qui conserve une cohésion morale, subissant les attaques de l’adversaire de classe, mais aussi exclusions et sanctions lors d’affaires montées comme des procès de Moscou8. A Tulle, si proche de Limoges où le « Tito du Limousin », Guingouin, vieil adversaire de Léon Mauvais, rapporteur au comité central contre Tillon, est exclu en 1952, l’on trouve encore en 1974 dans le journal de la cellule Clovis Chirin, l’Avenir de la MAT, cette phrase : « Dans une autre période pas plus facile que celle-ci, il y eut des ministres communistes, les travailleurs de l’État dépendaient de l’un d’eux : Charles Tillon, personne ici à la MAT ne s’en plaint ; personne, ni l’OS, ni l’ingénieur ».

19Lorsqu’il arrive à l’Armement, c’est la paix. La bataille de la production a désormais pour objectifs de reconstruire et de sauver des emplois. Il faut dire que les effectifs cumulés de l’armement terrestre, aérien et maritime sont de l’ordre de 200 000. A Saint-Étienne, une réunion de la direction et des dirigeants du syndicat décide en mars 1946 de « modifier les décisions de la note ministérielle, de faire à la faveur de ce licenciement une épuration complète de l’établissement ». L’on établit en conséquence une liste des « déficients », mais certains demandent qu’on laisse la responsabilité de cette liste à la direction. Pour finir, la maîtrise établit des listes soumises aux délégués. D’autres s’inquiètent pour les plus âgés ou les anciens combattants diminués physiquement : on leur répond qu’il serait « illogique » de les rejeter « s’ils rendent un travail normal », mais que l’intérêt général doit l’emporter dans le cas contraire. D’autres enfin demandent que soient licenciées les femmes mariées, et cette fois le syndicat estime que cette position n’est pas syndicale. De même, il est unanimement scandalisé de voir portée sur certaines listes une mention de l’appartenance à une organisation chrétienne. En fin de compte « seront licenciées les personnes ne donnant pas satisfaction dans leur travail, montrant de la mauvaise volonté, ou une mauvaise tenue au point de vue mœurs, moralité. A rendement égal, la femme mariée sera licenciée avant la femme seule ». Chacun comprend cependant que ça ne peut pas durer ainsi alors même que le budget de l’armement de l’Armée de terre passe, si on en croit un discours de Tillon à Roanne, de 12 milliards de francs à 3 entre septembre 1945 et mars 1946.

  • 9 Tulle le 29 avril 1946. Le terme de comité d’organisation n’est pas une allusion aux organismes pat (...)

20Aussi le ministre demande-t-il à la Fédération si elle est prête à entreprendre en liaison avec lui la reconversion des arsenaux vers des productions civiles. Aussitôt les dirigeants de celle-ci, notamment Henry Brunet, entreprennent une tournée d’explication dans les syndicats, envisageant des « comités d’organisation qui donneront une autonomie à chaque établissement »9. Le 17 mars 1945 à Saint-Étienne Brunet disait déjà : « la transformation des usines d’État en régie autonome, c’est-à-dire qu’elles s’administrent d’elles mêmes, permettrait de payer plus rationnellement (…) ». Au départ cependant existent des comités de gestion dans certains établissements, on l’a vu, auxquels s’ajoutent des comités d’entreprise puisque l’ordonnance du 22 février 1945 est appliquée dans les arsenaux. Les limites de cette dernière institution n’échappent pas aux syndicalistes. En avril 1945, à Tulle, le secrétaire de la section ouvrière exprime sa déception : « la question sociale tiendra la plus grande place et, au point de vue direction, seul le droit de suggestion sera retenu ». La Fédération conseille aux syndicats de laisser leur secrétaire en dehors du CE, afin de préserver son indépendance. Un autre dispositif est nécessaire, il aura trois piliers.

  • 10 Ou Le Queinnec dans d’autres sources.
  • 11 Les passions retombées, Y. Cayre écrit : « Ce tulliste de vieille souche, profondément humain, alla (...)
  • 12 « Délégation du mardi 8 octobre 1946 ». PV non signé, les noms des membres de la délégation en exer (...)

21La coopération directions-syndicats est reconduite : Brisorgueil et de Vals restent en place. A Tulle, le syndicat juge la direction incapable de relancer l’activité. Un technicien de la CGT, Salagnac, propose à la section ouvrière une réforme « qui permettrait d’un côté un meilleur rendement et de l’autre côté une meilleure rétribution pour ceux qui voudraient travailler ». Il s’agit de rétablir le travail au devis sur une base de 20 % de bonification pour l’ouvrier réalisant la pièce dans le temps de référence. Puis il élabore avec le syndicat un « plan de réorganisation administratif et technique » avec une comptabilité analytique. Ce plan est alors défendu par le syndicat, malgré les réticences du secrétaire des agents de maîtrise, Goutte. Mais rien n’est possible sans une direction de confiance. Aussi le 8 octobre 1946 une délégation comprenant les secrétaires de toutes les sections dirigée par le secrétaire général Antoine Parel est-elle reçue par le chef de cabinet de Tillon, Le Quennec10, en présence d’un officier supérieur et du directeur. Il s’agit officiellement de défendre le plan de réorganisation. En réalité, l’on discute là du remplacement du sous-directeur jugé incompétent par le syndicat, lequel emporte la décision11. Puis on demande à Rasemont et Salagnac de sortir de la pièce, et Parel propose qu’ils soient respectivement chef de service de l’atelier central et adjoint. Il obtient satisfaction. Salagnac pourra de fait diriger la relance de l’activité. Tout de même, le chef de service ensuite proposé pour la forge n’est pas accepté. « Nous nous sommes inclinés devant des arguments »12. Le PV de cette réunion par le Trait d’Union révèle qu’elle a eu lieu à l’initiative du ministère. La position de force du syndicat s’expliquerait par des rapports défaillants rendus par la direction à l’autorité et démontés « chiffres en main » par la délégation. Une phrase de Parel à propos du comité mixte est significative : « sa création récente fait dévier la discussion sur des sujets de moindre importance et le syndicat a été obligé d’intervenir ». C’est donc bien le rapport direction-syndicat qui est décisif. Le numéro de février 1947 du Trait d’union présentera les décisions de l’été 1946 avec un humour involontairement noir : « Pour ne pas effrayer la famille, il était entendu qu’une certaine discrétion devait être observée et ceci pour laisser toute l’autorité au directeur, seul qualifié pour administrer certaines potions un peu amères !... Justice nous soit rendue, notre journal a été bien sage ». Evidemment, tout le problème est dans ce respect des pudeurs de la famille : l’autorité reste à la direction, même si elle est temporairement transférée en pratique.

22Second pilier, les comités mixtes à la production (CMP) ont été expérimentés par Tillon dans la construction aéronautique. Ils sont institués dans tous les établissements d’au moins cent salariés avant son arrivée à l’Armement par décret du 4 août 1945. Mais l’organisation pratique par le décret du 26 février 1946 lui revient. En théorie, ces comités n’ont qu’un pouvoir de suggestion et d’information. Mais leur structure en fait une contribution irremplaçable à l’organisation de la production. Ils centralisent l’information dans ses moindres détails et réalisent le consensus politique à la base. Quand le consensus disparaîtra, les comités cesseront d’exister, laissant place à la hiérarchie traditionnelle.

23Le comité mixte de chaque établissement est présidé par le directeur assisté du sous-directeur, un représentant ouvrier assurant le secrétariat. Il est le sommet d’une pyramide de sous-comités par sections au nombre maximum de six, dont un sous-comité du service administratif. Les membres ouvriers et agent de maîtrise élus et le chef d’atelier et son adjoint qui composent un sous-comité sont donc directement au contact des problèmes. Ils se réunissent chaque semaine et gèrent l’activité comme la reconversion des productions. Les décisions sont prises à la majorité des 2/3, mais le directeur peut faire appel à l’autorité supérieure. Les comptes rendus de réunions de comités et sous-comités conservés montrent une succession de décisions techniques au niveau des sous-comités qui ont compétence dans leur section. Les comités discutent plus souvent sans trancher. Les comptes rendus montrent notamment comment est alors pratiquée une politique de formation selon les besoins ; dans les circonstances, cela conduit à une promotion pour un nombre important d’ouvriers. C’est ainsi que les nouvelles productions sont lancées par des ouvriers qualifiés des ateliers centraux, pendant que l’on forme de manière accélérée des non professionnels destinés à les remplacer et à les libérer pour d’autres tâches. Les demandes d’apprentis et d’ouvriers sortant d’apprentissage se multiplient. Autrement dit, les comités fonctionnent comme un système de direction d’autant plus efficace que les délégués présents ont déjà sondé et préparé le terrain auprès des exécutants. Ils ne font pourtant pas toujours l’unanimité : à Tulle, en janvier 1948, les contremaîtres quittent les réunions.

24Le comité mixte est élu annuellement par section et par catégorie sur proposition syndicale au scrutin uninominal à deux tours et il est possible de voter pour des candidats présentés sur des listes différentes pour le titulaire et le suppléant. Ces élus peuvent être révoqués par pétition d’une majorité de leur corps électoral, ce qui est relativement facile à l’échelle de quelques ateliers. Le CMP d’établissement se compose des élus de tous les sous-comités. A Saint-Étienne, lors d’un premier scrutin, les membres du comité sont élus par tous les électeurs de l’établissement ; c’est le résultat d’un choix de la CGT face à la présentation de candidats par la CFTC : si tout le personnel vote, ceux-ci n’ont aucune chance, alors qu’à l’échelle d’une section, ils peuvent être crédibles. Le directeur et le ministère couvrent la procédure adoptée, mais la CFTC en appelle au Tribunal d’instance qui tranche en sa faveur.

25L’efficacité est la conséquence du soutien syndical. A Saint-Étienne, se réunit dès avant l’élection du comité un « conseil technique » dont les procès-verbaux sont rédigés dans le cahier des réunions syndicales, et qui prépare et alimente le travail du comité et des sous-comités. C’est lui qui établit le contact avec le comité de gestion d’une entreprise locale, L’Ecrou, gérée par ses salariés depuis la fuite du patron, et à la recherche de machines. A Tulle, constatant que plusieurs ateliers composent chaque section et qu’il est impossible de les représenter tous aux sous-comités, la section ouvrière du syndicat décide de constituer des sous-commissions qui auront pour tâche de renseigner les sous-comités. Enfin, si les débats des comités sont censés se limiter aux suggestions concernant la production à l’exclusion explicite des questions salariales, dans des usines où l’on travaille au devis et où existent de nombreuses primes, cela n’a évidemment guère de sens et n’est pas respecté.

  • 13 Une conférence des CMP de l’aéronautique est véritablement la première du genre en 1945.

26Les CMP ne sont toutefois pas une construction purement pragmatique. Invité à présenter le travail accompli dans l’aéronautique lors de la première conférence « de la production d’armement », Ducret, « attaché au cabinet du ministre », en donne cette description théorique13 : « Les comités mixtes sont nés en URSS sous une forme bien particulière, et personne ne peut plus douter que le stakhanovisme a été une des grandes raisons de la puissance industrielle de l’URSS. Dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne et les États-Unis, les Comités mixtes à la production sont nés dans la guerre. En Grande-Bretagne, en 1941, une forte poussée des ouvriers, des industriels, pensant de la même façon pour la défense de leur pays, a permis des accords particuliers qui ont abouti à créer à l’intérieur des entreprises un organisme dont le but était d’accélérer le cadence de production : le « comité mixte à la production », un outil merveilleux(…). En 1942 existaient en Grande-Bretagne 2 000 Comités mixtes à la production (…) » La suite du paragraphe décrit la situation des États Unis (« 18 000 comités »). Bref, les CMP sont certes des instruments d’un certain pouvoir ouvrier, mais pas des outils révolutionnaires contre l’économie de marché. Leur combat est au service de la nation tout entière et sans contrepartie.

  • 14 Les usines d’armement et la reconstruction en France, bilan d’activité présenté par Charles Tillon,(...)

27Le dernier pilier est la reconversion vers des productions civiles, impulsée par une tournée du ministre dans les établissements. Le charisme de cet homme dont on connaît l’indépendance d’esprit, capable de toucher aux manivelles en visitant les ateliers comme d’évoquer la « bonne odeur » de l’huile de coupe font beaucoup pour galvaniser au delà même de la mouvance communiste et cégétiste. L’unanimisme transparaît dans une brochure publiée en 194614 : « c’est aussi cette amitié patriotique acquise dans la Résistance et qui fait, dans nos établissements militaires, tendre la main par les grands techniciens de l’armée au manœuvre qui siège au comité mixte où il apporte ses propositions (…) comme un hommage qu’il rend à ceux dont le savoir serait peu, s’il n’était prolongé par la peine des hommes ».

28Cette mise à l’honneur prend une dimension particulière avec la tenue de conférences nationales de la production ou conférences des CMP. Celles-ci rassemblent les arsenaux des trois armes, mais aussi diverses sociétés nationales (Renault, SNECMA) ou privées (par exemple Hispano, à Tarbes, aurait un CMP). Tenues annuellement, d’abord à l’initiative du ministère, mais dès 1947 de la seule CGT, elles sont l’occasion de débats et ont une vocation publicitaire et propagandiste, ne serait-ce que par l’émulation qu’elles suscitent de fait entre les établissements. Cette cohésion est portée par des concepts dont la couverture de la brochure de 1946, représentée en ouverture de ce chapitre, rend bien compte : l’alliance ouvrière et paysanne, lointain écho des affiches soviétiques et volonté unitaire dans une société encore fortement rurale, le modernisme, voire l’avant-gardisme alors que la mécanisation de l’agriculture reste à faire, le concept de la prospérité par le travail, le sentiment national marqué par l’adjectif « française » et par le losange Renault du tracteur qui suggère une cohésion des entreprises appartenant à l’État ; cette illustration fait surtout contraste avec celles de Vichy, montrant une France rurale traditionnelle et paisible au premier plan, et l’activité artisanale et industrielle au second. En mai 1950, devant les risques de licenciements, la fédération CGT organise encore une « conférence des fabrications de paix ».

Quelques productions civiles de divers établissements

Tulle (MAT)

Brouettes, canons de fusil de chasse pour Saint-Étienne, fusils de chasse montés, petit outillage (diverses clés à molette), mandrins de tours, meubles, socs et talons de charrue…

Saint-Étienne (MAS)

Fusil de chasse, outillage (pinces, clés à molette), toupies à bois, métiers à tisser, pièces de machines à coudre...

Châtellerault (MAC)

Raboteuses à bois, mortaiseuses, serrures de chambre froide, variateurs de vitesse (1500), haveuses, moteurs de motos (7000), affûteuses Guillet, machines à calculer.

Roanne (ARE)

Machines outils, notamment tours Cazeneuve et fraiseuses (1250 Cazeneuve et 1700 machines ARE), Presses, outillage de précision (palmers), serrures (200 000), meubles, matériel ferroviaire, et surtout des tracteurs de marque la française pour Société française de matériel agricole de Vierzon (1700 pour 50 % du chiffre d’affaires.

Tarbes (ATR)

Tracteurs Richard, cisailles, postes de soudure, compresseurs, machines outils (tours Scullford, fraiseuses, étaux limeurs, machines à fileter Cridan), presses GSP et presses lourdes (35 tonnes).

Lyon

Pièces détachées pour tracteurs Continental.

Rennes

Batteuses Guillotin, moissonneuses-batteuses-lieuses, rouleaux de tôle, presses.

Levallois

Machines à tailler GSP, fraiseuses SACM, fraiseuses-meuleuses, machines à cigarettes, métiers à tisser et à filer.

Puteaux

Perceuses multibroches, machines de chocolaterie.

Bourges

Pompes à huile, vérins, compresseurs, graisseurs de tracteurs, pièces de machines à coudre, meubles.

Sources : brochures éditées lors des conférences, monographies

  • 15 « La production de tous les tracteurs DEFA représente globalement pour cette période 50 % du chiffr (...)

29Les productions civiles sont poursuivies au moins jusqu’en 1953. Elles n’empêchent nullement les établissements de produire des armes. Cependant, elles représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires en 195015. Le cas le plus fréquent est celui d’entreprises publiques ou privées qui passent commandes pour s’équiper, ou pour satisfaire la demande en sous-traitant. A ce stade, elles posent une multitude de problèmes : la concurrence s’inquiète, les investissements nécessaires conduisent à des dépenses que le budget ne parvient pas à contrôler, certains partenaires ne sont pas appréciés par les syndicalistes comme ceux de Saint-Étienne qui protestent contre une commande en sous-traitance de la maison Singer, qui « travaille pour les Américains » ; ce serait aller « contre nos intérêts au plan local et même national ».

30Le secrétaire du CMP de Tulle, Salagnac bien sûr, fait ce bilan lors de la conférence nationale des 27 et 28 septembre 1947 : « Aujourd’hui, sous l’impulsion donnée par l’organisation syndicale, grâce à l’effort de tous et aux résultats obtenus par le CMP, notre établissement vit par ses propres moyens. (...) Les commandes militaires représentent seulement 10 % des commandes civiles. (...) La charge actuelle de nos fabrications est telle que nous sommes obligés d’envisager un embauchage assez sérieux (…) Mais il faut surtout pouvoir démontrer que nous voulons et nous pouvons vivre uniquement de notre travail. Et pour cela il faut voir clair dans la maison. Il faut que la CI [comptabilité Industrielle] soit en mesure de donner tous les renseignements nécessaires et en particulier les prix de revient de chaque commande. Il faut que les sous-comités donnent l’impulsion nécessaire (…). Il faut que la direction et le personnel (en franche collaboration) utilisent à fond le merveilleux instrument de travail qu’est le CMP et ses sous-comités.

31Mais il faut aussi que l’État facilite notre tâche en donnant à nos établissements un nouveau statut mieux adapté aux règles de la vie industrielle, et qui nous permette d’avoir une gestion plus saine. En un mot nous demandons que l’État nous laisse travailler comme travaille l’industrie privée et nous sommes certains que tous ensemble, nous démontrerons facilement que nos établissements peuvent être largement rentables ».

32Le technicien Salagnac n’aura pourtant pas l’honneur de diriger la manufacture vers les perspectives qu’il trace. Il sera tout de même ingénieur de l’armement, en passant brillamment le concours de 1949. La description qu’il donne ici montre que la reconversion des arsenaux – le cas de Tulle n’est pas isolé – est en grande partie faite dès la fin des années 1940. Leur réorientation vers des productions uniquement militaires sera donc un retour en arrière. Cependant cette réussite demande à être nuancée. M. Barras note à propos de Roanne que si les tracteurs rapportent dans un premier temps, en revanche, à partir de 1950, à cause de la concurrence et des incertitudes monétaires, les prix baissent et les ventes sont déficitaires. Le « merveilleux instrument » ne suffit d’ailleurs pas. Encore faudrait-il que les établissements soient affranchis des règles de la comptabilité publique et du budget. C’est tout le sens de la revendication de l’autonomie de gestion et du projet « d’offices nationaux » que défend alors le ministre.

33Il l’explique clairement au Véld’hiv le 23 mai 1946 : « actuellement, les établissements d’État et les arsenaux n’ont pas le droit de vendre ce qu’ils fabriquent. De plus, ils sont gérés de façon administrative, et il est impossible d’organiser rationnellement la production. Eh bien ! Nous, nous voulons transformer les établissements d’État et faire qu’ils soient gérés avec une autonomie financière comparable à celle de nos sociétés nationales et de toutes les sociétés privées. Il y a des gens qui nous accusent de vouloir tout étatiser. Mais c’est le contraire ! Je veux désétatiser les établissements d’État. Je veux les gérer comme des entreprises industrielles, naturellement sous le contrôle de l’État, comme nos sociétés nationales ». Significativement, le paragraphe qui suit porte le titre : « L’inspection des Finances ne veut pas ! » Et Tillon de répondre avec pugnacité : « Néanmoins, à force de ténacité, nous ferons aboutir notre projet de transformation des arsenaux et établissements d’État en offices nationaux, gérés comme des établissements privés, avec une comptabilité recettes et dépenses, et utilisation des bénéfices pour l’amélioration du sort des personnels ». Le ministre envisage de rendre au personnel 80 % des bénéfices par le biais des œuvres sociales ou par la constitution d’un fonds de réserve, ou encore par la construction de maisons devenant la propriété des salariés – tous projets bien proches des préoccupations de syndicats qui s’intéressent au logement, aux colonies de vacances… C’est bien la problématique d’A. Thomas que l’on retrouve ici.

34Le projet de loi déposé par le ministre en mars 1946 prévoit la création d’offices nationaux dont la mission essentielle est la fabrication des armements et qui recevront de l’État leurs biens immobiliers et mobiliers, ainsi qu’une avance remboursable de 3 200 millions de francs. Ce seront des établissements à caractère industriel et commercial, dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière sous le contrôle du ministre de l’Armement et de deux commissaires aux comptes. Chaque office national sera dirigé par un PDG et un conseil d’administration. Ceux ci pourront prendre des participations dans des sociétés industrielles ou commerciales. La gestion pourra à tout moment être contrôlée par les ministres de l’Armement, des Finances, de l’Economie nationale, qui recevront un état indicatif annuel des prévisions de recettes et dépenses et approuveront les comptes. Un fonds de réserve sera constitué par prélèvement sur le produit net. Les ressources financières seront assurées par la vente des produits de l’exploitation et le crédit. Enfin l’ordonnance instituant les CE s’appliquera aux offices nationaux.

35L’objectif ainsi poursuivi est évidemment de pouvoir affronter le marché des productions civiles – ce qui donne à ces offices un contenu totalement différent de celui qu’aura plus tard le GIAT, dont la fonction est d’affronter le marché mondial de l’armement – dans un contexte d’extension globale du secteur nationalisé ; comme autrefois pour Thomas, c’est en filigrane la conception d’une économie dirigée dans le cadre du marché qui apparaît. En même temps, on conserverait le potentiel des arsenaux pour le cas de guerre. Mieux même, si l’on en croit le rapport de Tillon à la conférence de la production de 1946 : « La transformation (…) substituerait les méthodes de l’industrie privée, du commerce, aux méthodes de gestion souvent défectueuses et périmées des établissements d’État. [Elle] ne manquerait pas d’introduire dans les établissements intéressés un courant d’émulation favorable à l’augmentation de la production et permettrait de réaliser d’appréciables économies de temps et de matière sans sacrifier la qualité traditionnelle des fabrications ». Ici, Charles Tillon sort des conceptions de son illustre prédécesseur, non pas du côté d’un collectivisme exacerbé, mais bien d’un hommage à l’économie concurrentielle.

36Le long débat qui suit suscite des prises de position des mouvements chrétiens. Les députés MRP Pierre Pflimlin et Pierre Schneiter déposent une proposition qui prévoit que les établissements industriels et commerciaux relèvent du droit privé, avec l’autonomie financière et comptable, mais un contrôle plus étroit serait assuré par un conseil supérieur des exploitations publiques et des entreprises nationales, et les anciens arsenaux conserveraient leur monopole, l’obligation d’équilibre de leurs comptes, et ne pourraient pas prendre de participations dans d’autres entreprises. La CFTC, naissante dans les arsenaux, paraît pour sa part fort réticente à la désétatisation. En janvier 1949, une commission fédérale rappelle que le système a fait ses preuves au cours des deux guerres, et que « les établissements ne doivent pas se substituer aux usines de l’industrie privée, sans cela ils n’auraient plus leur raison d’être ». Néanmoins, les syndicalistes chrétiens admettent que ces établissements doivent pouvoir répondre à des commandes civiles en temps de paix. Ils proposent donc une commission nationale chargée « du côté commercial de l’affaire », un renforcement de la responsabilité des directeurs, et une modification des règles budgétaires laissant à la libre disposition de la commission par exemple 25 % du chapitre de l’Armement, enfin la création d’un plan comptable. Ils ajoutent qu’il faut cesser de commander des études ou des fabrications au secteur privé, et réserver à la production nationale une partie des fabrications modernes au sein des armements occidentaux normalisés. Bien sûr, en 1949, la situation n’est déjà plus tout à fait la même. Mais l’on voit bien la crainte de ces syndicalistes pour leur statut et la « raison d’être » des arsenaux.

37Les débats s’enlisent. L’État rentrera en pleine possession de ses arsenaux ainsi préservés et remis en marche en leur confiant de nouvelles fabrications militaires, mais aussi en s’attaquant dès la décennie 1950 au démantèlement progressif d’un complexe industriel décidément trop dangereux par ce qu’il contient de virtualités subversives…

Le rêve déchiré, le patriotisme révoqué

38La rupture de 1947 est l’occasion du déclenchement d’un triple processus qui renvoie le syndicalisme des arsenaux à des tâches purement revendicatives : affrontement, division, répression.

39Les arsenaux sont bien sûr impliqués dans les grèves de la fin 1947. Mais l’on reste prudent dans certains sites, comme celui de Tulle, où l’on reprend vite le travail. A Châtellerault, l’on attend la constitution du comité national de grève, le 30 novembre, pour s’engager. Le vote pour la grève est acquis par 1 026 voix contre 891 sur un effectif de 2 461, et le pourcentage de grévistes n’atteint pas les 40 %. A Saint-Étienne, cependant, même si l’assemblée générale ne décide la grève que le 26 novembre, alors que le pays est déjà en ébullition, ce mouvement restera comme la première occasion où la MAS se sera retrouvée à l’avant-garde de la classe ouvrière locale. La CGT a soigneusement préparé l’assemblée générale qui doit décider : l’on mobilise le prestige des résistants, l’on donne le soin de convaincre à un dirigeant moins en vue que Cussonnet, l’on n’hésite pas devant un long exposé historique des débats syndicaux des décennies antérieures... et pourtant, le vote par déplacement dans la salle est confus, personne ne compte, les journaux donnent le lendemain des descriptions divergentes, même si la majorité pour la grève dans l’AG n’est pas en elle-même discutée. Un scrutin secret organisé en ville par un « Comité d’action syndicaliste » et le directeur « agissant en tant qu’inspecteur du Travail » voit tout de même 1 693 salariés venir voter contre le mouvement, sur un effectif de 4 983 : 33 %.

40Ces difficultés sont la sanction d’une division déjà bien avancée. D’une part, les lendemains de la guerre voient surgir la CFTC dans de nombreux établissements : Tulle, Saint-Étienne, Roanne... Tillon reconnaît sa représentativité en la recevant le 26 mars 1946. Dans la CGT même, la tendance Force Ouvrière se renforce et constitue après la scission un syndicat à dominante ouvrière, bien que marqué par une forte présence dans la maîtrise, notamment du fait de l’âge des fondateurs. Encore quelques temps, et en 1953 une élection aux commissions de réforme donnera 84 sièges à la CGT, 30 à FO, 2 à la CFTC. Respectivement, les organisations seront alors présentes dans 26, 22 et 18 établissements.

41Les événements de 1947 à Saint-Étienne révèlent les ressorts de ces clivages. Ici FO est emmenée par « Gonin père » et la CFTC par « Gonin fils », selon l’expression des PV de la CGT. Gonin fils, ce sera dans dix-sept ans Marcel Gonin, l’un des principaux fondateurs de la CFDT. Les deux organisations s’associent dans le comité opposé à la grève, qu’elle jugent essentiellement politique et téléguidée par le PCF. C’est ici la résurgence du débat sur l’indépendance syndicale, mais le fils, très proche au fond du père, ne peut se contenter de l’aspect vieillot d’une tendance issue de la CGT et qui regroupe notamment des hommes qui ont animé le syndicat légal sous l’Occupation. Cette division des rangs ouvriers facilite sans doute l’ambiance de malaise qui marque parfois cette lutte en donnant de l’importance aux accusations (Gonin traité d’admirateur du régime nazi), menaces (un tract d’origine inconnue condamne à mort Cussonnet et le secrétaire de l’UD-CGT), provocations diverses... Pourtant, il s’agit d’une authentique mobilisation, nourrie par la revendication salariale que la CGT jusqu’ici peinait à contenir.

  • 16 Michel Olagnier, « 1947, les jeunes dans la bataille pour la vie », in Cahier d’Histoire Sociale, n(...)

42Le 29 novembre 12 000 personnes manifestent en ville. Michel Olagnier, ouvrier à la MAS et secrétaire fédéral de l’Union de la jeunesse républicaine de France, témoigne en 1997. Il mentionne une banderole portant « Jeunes, les luttes du peuple sont les nôtres » et parle d’un immense cortège. Celui-ci s’avance vers la préfecture et affronte les forces de l’ordre. Au milieu des gaz lacrymogènes, la bagarre dure trois heures. Le 8e Régiment de Chasseurs Alpins, armé d’automitrailleuses, est sollicité. M. Olagnier rapporte le cri d’un jeune soldat : « je suis à l’armée pour défendre la France, mais tirer sur des Français, ça je ne peux pas (...) Et les soldats de Saint-Étienne ne tirèrent pas sur le peuple de Saint-Étienne. Ils fraternisèrent avec les manifestants et retournèrent leurs automitrailleuses contre les argousins du gouvernement ». Soldats, manifestants, automitrailleuses couvertes de jeunes chantant le « Salut au Dix-septième » « marchent vers la gare qui avait été reprise par les forces de police », et mettent la garde mobile en fuite sans coup férir16. Sans mentionner l’affaire du régiment, le procès-verbal de l’AG suivante confirme le combat victorieux autour de la gare. Le lendemain, la grève est bien installée à la manufacture… et deux militants sont mis à l’honneur pour leur attitude « vaillante », dont « le plus jeune, ancien FTPF qui a su continuer dans la paix (…) » n’est autre que Michel Olagnier, et le plus âgé… Louis Cussonnet.

43Ce dernier reprend le leadership des assemblées du personnel. Le comité de grève organise la surveillance des locaux, les piquets de grève et les équipes qui occupent tour à tour. Il s’efforce de contenir des militants parfois un peu rapides, comme ces « jeunes » – encore ! – qui brutalisent par erreur un gréviste surpris en train de travailler : c’est bénévolement qu’il nettoyait les toilettes ! Le comité édite une carte de gréviste qui est pointée chaque jour. Mais surtout il veille à ce que les paies du début du mois de décembre soient assurées en négociant durement avec la direction qui refuse d’abord de les effectuer dans une usine occupée, puis cède finalement. Les AG sont présidées alternativement par un ouvrier, un agent de maîtrise, un employé. Des femmes rejoignent le mouvement. A peine un ancien de l’Armée Secrète regrette-il la faible participation aux tâches de ses camarades de combat que plusieurs se portent volontaires… Le comité organise encore le soutien aux autres usines de l’agglomération, voire de la région.

44Le comité national de grève appelle à la reprise du travail le 10 décembre. Le bilan est maigre, le principe mais non pas le montant d’un nouveau minimum vital étant accepté, et une prime venant pour une part compenser la perte de salaire due à la grève. On est loin de l’échelle mobile et d’une avance de 25 % sur l’augmentation prévue. Selon les documents du comité national de grève, garantie aurait été donnée qu’il n’y aurait pas de sanctions. A la MAS, le comité appelle à la reprise pour le jeudi 11 décembre, au terme d’un communiqué polémique envers la CFTC et Force Ouvrière. Les jours suivants, le directeur Galdemar exclut temporairement jusqu’à décision du ministre le tourneur Louis Cussonnet, « responsable de l’utilisation malgré les ordres formels du directeur du matériel automobile de la manufacture pour des besoins autres que ceux du service ». Ce seront finalement 14 militants qui seront définitivement révoqués, dont Cussonnet et Varenne. Aubert, suspendu, semble avoir réchappé, puisqu’il est secrétaire général du syndicat en 1949. La CGT proteste et argumente que la promesse d’impunité n’est pas tenue. Les adversaires chrétiens et Force Ouvrière se démarquent aussi de cette répression. Mais rien n’arrêtera plus la reprise en main qui s’amorce à ce moment là.

45Un décret du 25 juillet 1949, réduit le pouvoir des CMP et modifie leur mode d’élection de sorte à sur-représenter les minorités par un suffrage proportionnel à l’échelle de l’établissement, supprimant la révocabilité des élus et le collège cadre, les déclarant exclusifs des comités d’entreprise qui, jusque-là, cohabitaient. Les CMP sont chargés d’installer de premiers comités d’hygiène et de sécurité, dont l’élection se substituera à la leur en 1956 pour déterminer les droits relatifs de chaque organisation. Un courrier du ministère à la direction de Roanne montre que dès février 1947 l’autorité tente de ramener les CMP à leurs strictes prérogatives : « l’étude des suggestions émises dans le but d’améliorer le rendement ». Nouveau rappel à l’ordre le 10 novembre 1949. Les CMP sont aussi victimes de la démobilisation générale, et dès mai 1949 le Trait d’Union se plaint à Tulle : « le CMP est endormi ». En 1956, le Travailleur de l’État réclame que les CMP et les CE fonctionnent normalement : en fait, c’est fini.

  • 17 Pineau et Hervoir, op. cit., Le Patriote poitevin, 7 janvier 1950 et suivants.
  • 18 C. Lombard, op. cit.
  • 19 Voir notamment Paul Bonnecarrere, Par le sang versé, France-Loisirs, Paris, 1968, 459 p., page 260. (...)

46La guerre froide et celle d’Indochine changent le sens de l’exigence de la reconversion des arsenaux. Le Travailleur de l’État rend compte des efforts de la Fédération pour animer les comités de paix dans la foulée de l’appel de Stockholm lancé en mars 1950. A Châtellerault le Patriote poitevin plaide pour la continuation de la reconversion17. Un groupe de femmes de la MAC fait circuler un appel pour la paix. Le « Comité de défense de la paix » est constitué, soutient les dockers qui ont refusé de charger des navires américains transportant des armes et lance un nouvel appel : « La manufacture va travailler pour la guerre… Suivez l’exemple de nos frères de lutte. Unissez-vous pour exiger que la manufacture de Châtellerault travaille pour la paix. Qu’elle produise des machines à coudre, des tracteurs, des machines à laver (…) et même des fusils… de chasse ». En réponse, le directeur prend explicitement position pour la production de guerre. L’organe de la Fédération communiste révèle le 16 juin 1951 la rupture des relations entre la CGT et la direction. Brisorgueil a quitté ses fonctions le 1er mars 195118. Son successeur interdit les collectes que la CGT organise pour un cadeau d’adieu, après avoir fait appel aux CRS, à peine arrivé, pour briser une grève de protestation contre le licenciement du secrétaire du syndicat. A Tulle, en 1950, une manifestation est l’occasion de violents affrontements et c’est de sa prison que le secrétaire du syndicat, Jean Roche, écrit le 1er juillet au directeur : « (…) j’ai écrit et j’ai dit que les armes fabriquées à la manufacture sont des armes de guerre civile et de basse police. J’ai dit aux travailleurs (…) que ces armes seraient utilisées contre eux ou contre d’autres ouvriers (…). Les événements de Tulle ne m’ont pas démenti. (…) J’ai dit et j’ai écrit que les ouvriers de la manu très hautement qualifiés peuvent et veulent faire autre chose que des armes de guerre. Notre pays a besoin de beaucoup d’outillage pour son relèvement et faire mieux vivre notre peuple, mais il n’a aucun besoin d’armes de crimes, pas plus de celles qui sont faites à la manufacture de Tulle que de celles (étrangères) que l’on voudrait débarquer dans les ports. Nos enfants ont besoin de beurre, pas de canons ». Et de dénoncer la « guerre de brigandage qui est menée au Vietnam ». Roche n’est pas seul à être révoqué : Marcel Rigout aussi, qui pourtant entrait hier à quinze ans dans la Résistance. A Roanne, le 23 mai 1951, deux manifestations tentent de s’opposer au départ d’un train d’armement et affrontent la police, tandis que 256 ouvriers seulement suivent le mot d’ordre de grève. Une vingtaine d’arrestations s’ensuivent. Cette opposition aux guerres coloniales va-t-elle jusqu’au sabotage ? Les témoignages sur la guerre d’Indochine n’en mentionnent que très peu de trace19. En revanche, les liens entre les communistes vietnamiens et le PCF sont d’évidence et mutuellement revendiqués.

  • 20 La signature nominale est hélas illisible.

47Dès 1949, la Sécurité militaire s’inquiète de la situation dans les arsenaux. Michel Barras montre la succession des directives trouvées dans les archives de l’arsenal de Roanne. En janvier 1950 l’institution signale qu’un « parti extrémiste » cherche à saboter la production de guerre. En 1951, la diffusion de journaux dans les établissements est réglementée et sont interdits à la fois Le Travailleur de l’État et la presse communiste, et l’année suivante les sanctions sont fixées de l’avertissement à une semaine de mise à pied. Le directeur de Châtellerault reçoit une directive de la DEFA portant le maximum de la mise à pied à deux semaines. Le Travailleur de l’État rapporte en février 1951 la biographie de Madeleine Capitaine, de la manufacture de Levallois, révoquée pour avoir manifesté contre la venue d’Eisenhower à Paris : résistante, révoquée sous l’Occupation et déportée, elle avait été réintégrée « dès sa libération du camp de la mort » ; les noms de 8 autres femmes révoquées sont cités à Roanne, Toulouse, Tarbes, Alger. Une circulaire ministérielle no 10.175 PC/DEFA/P3 du 6 décembre 1951 organise le contrôle du recrutement, et sera rappelée par une note du secrétariat d’État à la Guerre le 6 octobre 1952 : « (…) les décisions de rejet de candidature ou de licenciement motivées par un visa défavorable doivent être libellées sans qu’aucune mention soit faite de l’enquête de sécurité militaire. Il y aura lieu à l’avenir d’aviser chacun des intéressés qu’il ne remplit pas (ou plus) les conditions administratives requises pour être employé dans un établissement militaire. Cette formule doit être employée à l’exclusion de tout autre »20. Cette consigne est rigoureusement appliquée et la formule tristement célèbre parmi les syndicalistes.

  • 21 L’ERGMA a été créé en 1946 pour gérer et entretenir une partie du matériel américain récupéré après (...)

481952 multiplie les agressions contre le courant résistant. Dans le monde communiste s’ouvrent les affaires Tillon, Marty, Guingouin... Dans le pays, la crise de la Troisième Force, une quasi vacance d’autorité, conduit au gouvernement de centre droit de Pinay. Au début de l’année, le directeur de la MAC reprend dans une note de service un message de la DEFA : « La CGT a adressé ordre de grève pour 12 février. Cette grève est destinée à protester contre interdiction par le gouvernement de la manifestation du 10 février 1952 ; il ne s’agit donc pas d’une grève de revendications professionnelles, mais d’une grève politique que le gouvernement ne peut tolérer. Notifier au personnel que, dans ces conditions, ceux qui ne travailleront pas le 12 février 1952 seront considérés comme ayant rompu leur contrat ». En effet, plus de deux cents ouvriers de l’établissement de matériel de La Maltournée seront mis à pied21, et cinquante révoqués. Le secrétaire d’État à la Guerre écrit alors sous le sceau « secret/confidentiel » au directeur de la MAC, lui demandant de « [me] faire connaître d’extrême urgence : – l’heure à laquelle vous seraient parvenues les premières instructions. – de quelles autorités elles émanaient. – le contenu in extenso de ce premier communiqué. Il y aura lieu de préciser également l’heure à laquelle vous avez reçu le message de référence ». Le texte est signé par ordre d’un ingénieur militaire, pour le directeur de la DEFA et le secrétaire d’État et agrafé à la note de service. L’État-major et la sécurité militaire auraient-ils agi sans avertir le ministre ? De ce même mois de février 1952, date une note d’information à ne « pas diffuser », à entête du deuxième bureau de l’État-major de la quatrième région militaire, adressé aux chefs de corps et conservé dans le même dossier de la DGA. Cette longue note explique que, sous couvert d’indépendance nationale et de défense de la paix, le parti communiste poursuit un « but réel » : lutter contre l’effort national de réarmement et, si possible, dissocier le système de défense atlantique dans lequel la France est engagée. La suite détaille l’état d’esprit de la population par rapport à la présence américaine et les modalités de l’action communiste. Jacques Duclos ayant été arrêté en marge de la manifestation du 28 mai 1952 contre la présence en France du général américain Ridgway, la CGT appelle à une demi-heure de grève. Le nombre de grévistes est très limité. A l’Assemblée nationale, le 13 juin, interpellé par le député de Tulle Jean Monthalat, le secrétaire d’État à la Guerre estime que sur près de 10 000 ouvriers des arsenaux des trois branches, seuls 511 « ont jugé bon de suivre les mots d’ordre d’agitation ». Ces 511 sont mis à pied, 316 à Tulle et 195 à Saint-Étienne. Le ministre annonce leur réintégration progressive mais ajoute : « quant aux agitateurs professionnels, je le déclare tout net, je ne les reprendrai pas. Je suis heureux de le redire, ils ne seront certainement qu’une très petite minorité ».

49Les enquêtes et les fiches sur les personnels se multiplient. Ainsi, le 28 janvier 1952, la DEFA écrit-elle au directeur de la MAC à propos de 3 candidats à l’embauche : « compte tenu des renseignements recueillis sur les intéressés, il n’y a pas lieu de procéder à leur embauchage ». De nombreuses fiches comportent ainsi un avis défavorable non explicité. A Tulle, un secrétaire de l’Union locale CGT, Pierre Baffet, est embauché après avoir réussi les essais professionnels le 3 décembre 1951 et révoqué le soir même sans motif. A Châtellerault, l’on constate que l’enquête sur deux salariés n’a pas été réalisée ; il faut donc surseoir à toute décision, mais on lance une recherche de candidature pour les remplacer. Une fiche du 1er septembre 1952 concerne un secrétaire du syndicat CGT : « Secrétaire du syndicat ouvrier CGT depuis avril 1951, exerce ses fonctions syndicales avec tact et correction. Etait considéré auparavant comme un ouvrier de qualité professionnelle moyenne, faisant preuve de bonne volonté et ayant de bonnes relations avec ses chefs et ses camarades. Sans opposition pour le maintien ». Cette fiche est signée du directeur. Les fiches établies sur le personnel de l’école d’apprentissage ne concernent pas seulement les apprentis, mais aussi les moniteurs. La décision à prendre ne paraît pas toujours évidente : « Probe, de bonne conduite et moralité, les renseignements recueillis sur son compte lui sont favorables. Politiquement, il est représenté comme ayant une activité assez discrète au sein du PCF. Mais on ignore s’il est inscrit au parti » ? !

50Au cours des premières années 1950, la Fédération estime qu’environ 500 militants sont révoqués. Chiffre bien difficile à apprécier : il concerne l’ensemble des établissements, y compris ceux de l’Air et de la Marine. Mais surtout, les licenciements pour d’autres motifs ne sont pas absents au même moment. Ce qui compte ne fait cependant pas le moindre doute : ce sont systématiquement les dirigeants communistes, qui sont en général les responsables de la CGT, qui sont ainsi exclus des établissements de la Défense nationale.

51Ces révocations massives suscitent des protestations. CFTC et Force Ouvrière les condamnent même si elles refusent de s’associer au type de grève que lance la CGT. Les syndicats d’autres professions, les instances locales, les élus politiques, parfois même, comme à Tulle en septembre 1954, les autorités ecclésiastiques protestent. En vain. Un jugement est rendu à Limoges le 7 décembre 1956, condamnant clairement l’exclusion de 12 militants de Tulle le 26 mai 1954. Les attendus mentionnent explicitement que le licenciement a eu pour but de démanteler le syndicat. Mais l’administration n’exécute pas le jugement.

52Pour les travailleurs de l’État ces révocations sont une rupture dont la trace s’imprime durablement : c’est la légitimité même de la République qui est en jeu. Paradoxe : alors même que de nombreux leaders résistants quittent les arsenaux la brimade que constitue leur sanction va renforcer la référence résistante dans la conscience collective. La césure est d’autant plus profonde que les références et les repères se noient dans un tourbillon dont on comprend mal les raisons pourtant irrésistibles : marginalisation du courant résistant, crise à la tête de la CGT. En juin 1952, la répression frappe au plus haut tandis que les comptes se règlent au même sommet : deux secrétaires confédéraux sont arrêtés, Frachon passe à la clandestinité. Soupçonné de « titisme », un troisième secrétaire, Dellac, démissionne. Duclos libéré, Frachon déclare en privé « encore une ou deux victoires comme celle-ci, et il n’y aura plus de CGT ». La CGT se trouve dès ce moment réduite au rôle que lui assigne la République parlementaire : porter les revendications strictement économiques de la classe ouvrière. En 1955, Pierre Lebrun défend dans la confédération l’idée qu’elle ne peut limiter ses perspectives à un catalogue revendicatif, mais doit promouvoir un plan d’ensemble, proposition écrasée dans les votes. Ainsi se trouve exclue au plan confédéral la fonction politique que la CGT s’était assignée depuis sa création. S’ouvre alors une période où, défendant contre toute évidence la thèse d’une paupérisation absolue de la classe ouvrière, la CGT contribue à la confiner dans une revendication salariale destinée à un certain succès dans les années qui vont s’ouvrir, celles de l’expansion… et de la croissance des revenus ouvriers ! Mais l’organisation ne se positionnera plus en pratique comme force contestataire au cours du reste du XXe siècle. Pour les travailleurs de l’État, ce basculement reste évidemment de l’ordre du non-dit. Comment en serait-il autrement ?

53La réintégration de tous les révoqués devient alors pour eux une revendication symbolique, une composante de leur culture profonde, et au-delà de la solidarité le signe de leur engagement continué.

54La simple description de ces faits aurait sans doute été jugée inacceptable il y a quelques années à peine, tant l’élimination du noyau issu de la Résistance était une négation du consensus symbolique qui cimentait la nation tout entière. L’essentiel est pourtant trop évident. Une autre évidence surgit forcément : le consensus qui permet la continuation du système doit être refondé. Et c’est justement ce qui se passe à l’aube de l’expansion.

Le statut des « décrets salariaux »

  • 22 Cette expression est reprise par les syndicalistes de toutes options comme une évidence.
  • 23 Cette question fait cependant l’objet d’une polémique entre syndicat et ministère : ce dernier prét (...)
  • 24 Le Travailleur de l’État, H. Berry et alii, op. cit., M. Branciard, op. cit.

55Ce qui faisait la distinction des ouvriers de l’État tend à s’effacer – tous les salariés ont une retraite, des congés, une protection sociale, des représentants – et le rôle politique auquel ils prétendaient leur est dénié. Il faut donc reconstruire leur identité. Ce qu’ils vont maintenant considérer comme « le cœur »22 de leur statut, ce sont les décrets salariaux, essentiellement celui du 22 mai 1951, signé par le président du Conseil Henri Queuille et par le ministre de la Défense Jules Moch : « Les taux des salaires des ouvriers de la Défense nationale en service en métropole sont déterminés d’après les salaires pratiqués dans l’industrie métallurgique privée et nationalisée de la région parisienne, à égalité pour les ouvriers en service dans cette région et par référence à ces salaires pour les ouvriers en service en province. Les abattements subis en province sont ceux fixés par les textes réglementaires applicables aux salariés du commerce et de l’industrie ». Il s’agit donc d’une mesure de circonstance, tranchant une question posée par la fin du régime de fixation des salaires par l’État, qui risquait de créer de trop grands écarts selon les régions. Mais la solution trouvée est avantageuse, les salaires de référence renvoyant à des négociations paritaires régulières dans le secteur où le rapport des forces est le plus favorable aux travailleurs23. La première application du décret en septembre 1951 fait augmenter les salaires de 17 %, ce qui marque les mémoires, même si l’inflation réduit la portée de cette hausse. Ce décret apparaît de plus comme un succès des organisations syndicales sur le long terme. Le « salaire national » est une très ancienne revendication de la CGT. La CFTC a pour sa part repris ce mot d’ordre lors de son congrès fédéral de 1949, alors que sa Confédération réclame le retour à la libre discussion des salaires. C’est d’ailleurs cette organisation qui propose lors d’une audience à la DEFA obtenue en 1950 de modifier le décret de 1897 qui prévoit de fixer les salaires par référence aux salaires régionaux par la formule suivante : « le taux est déterminé par l’administration d’après les salaires pratiqués dans les industries métallurgiques de la région parisienne, ces derniers comprenant une indemnité régionale décroissante suivant la région, à l’image de l’indemnité différentielle des fonctionnaires ». La référence aux fonctionnaires donne pleinement son sens statutaire au problème. Ce n’est évidemment pas cette partie de la formule qui est finalement reprise dans le décret24.

  • 25 Il y a alors trois députés communistes travailleurs de l’État selon H. Berry et alii, op. cit.

56Deux propositions de loi sont déposées, la première par un député MRP, Alfred Coste-Floret, l’autre par le groupe communiste25. Celle du MRP, en fait rédigée par la CFTC, reprend la formule citée, la justifiant par l’exigence supérieure des essais professionnels des ouvriers des arsenaux et par référence à la situation dans le secteur nationalisé ; celle du parti communiste reprend la référence à la métallurgie parisienne, mais propose aussi la suppression des abattements de zone, et le taux maximum de prime pour tous. Cette prime des ouvriers de la Défense est alors de 16 % à Paris et de 10 % en province. En clair, le parti communiste propose l’égalité pure et simple des salaires, exigence jugée « démagogique » par la CFTC et « irrecevable » par le ministre. Pourtant, ce dernier s’engage à publier un décret « avant le 20 mai ». C’est qu’il y a urgence : à Cherbourg, des débrayages quotidiens d’une heure sont largement suivis, et surtout à Brest, une grève va durer trente et un jours. Le décret du 22 mai est donc une victoire revendicative des salariés. De même, la décision du 1er avril 1953 qui relève à 12 % la prime des ouvriers de province est la conséquence d’une agitation maintenue dans le cadre de l’application du texte.

  • 26 Ces abattements sont des cœfficients de minoration des salaires fixés lors des négociations paritai (...)

57En effet, tout n’est pas réglé en 1951. Les limites du décret sont importantes et surtout son imprécision se révèle à l’expérience. Limites : les précaires conservent des salaires régionaux. Au demeurant, la garantie des décrets entrera au fil du temps en contradiction avec des revendications plus élaborées d’échelle mobile ou d’augmentations égales. C’est la rançon d’une référence certes positive, mais néanmoins extérieure à la profession, qui interdit en quelque sorte d’imaginer. Dès le congrès d’août 1951, la Fédération de la CGT publie un manifeste qui est obligé de séparer les principes des revendications immédiates. Au plan des principes sont revendiqués un salaire minimum, l’échelle mobile et la suppression des zones ; au plan pratique, c’est l’application du décret qui est demandée, ainsi que la réunion de la commission interministérielle des salaires pour déterminer exactement quels sont les salaires réels moyens payés dans la région parisienne. Imprécisions : outre le maintien des abattements de zones26, le décret ne fixe que dans son principe la correspondance des qualifications. A quel échelon faut-il la situer ? Quel est le niveau d’équivalence des plus petites catégories ? Ces débats rebondissent à chaque sortie d’un nouveau « bordereau de salaire », document établissant les rémunérations une ou plusieurs fois par an. Cette publication fait d’ailleurs elle-même l’objet de discussions : quelle est la date d’effet des ajustements intervenus après une évolution des salaires parisiens ?

58Le décret de 1951 est pourtant aussi autre chose : le symbole même du statut de travailleur de l’État, lieu de la discussion majeure avec l’État employeur. Le salarié de l’État s’inscrit dans la société par le salaire, alors que celui d’avant s’y inscrivait par le droit à la retraite. Au fond, ce nouveau statut est celui de l’ère de la société de consommation. Ici encore, il s’agit bien d’une question politique tranchée au sommet de l’État dans une situation économique, sociale et – pourrait-on dire – sociétale donnée.

59La Cinquième République viendra modifier le décret de 1951 par celui du 31 janvier 1967 qui règle une partie du contentieux. Les augmentations sont désormais prévues à date régulière tous les six mois avec effet au 1er avril et au 1er octobre, et le calcul s’effectue en moyenne pondérée, et non par catégorie : les salaires progressent désormais tous au même rythme.

  • 27 Le Travailleur de l’État supplément au numéro 92, 1963, et divers. Édition méthodique du Bulletin O (...)
  • 28 C. Lombard, op. cit.

60D’autres textes harmonisent le statut avec l’époque27. La hiérarchie ouvrière est repensée. Depuis l’instruction du 10 juillet 1953 les ouvriers relevant du décret de 1897 sont embauchés en souscrivant un contrat. Ils doivent toujours être de nationalité française. Pendant un an, ils sont journaliers ou temporaires ; ensuite seulement ils commencent à cotiser pour leur retraite. Ils sont alors appelés auxiliaires. La notion de titulaire apparaît dans les textes sans être définie, mais pas dans les registres des effectifs, sauf dans ceux donnés pour Châtellerault par C. Lombard28, qui la montrent en extinction. Le mot « auxiliaire » disparaîtra par la suite : les salariés de l’époque du GIAT sont dénommés dans les registres d’effectifs « réglementés », ce qui laisse penser que les mots peuvent éloigner de l’État : un « auxiliaire » est presque un fonctionnaire, un « réglementé » presque un vestige quand s’annoncent les déréglementations. En tout cas, les règles de priorité d’embauche sont rappelées : un poste vacant est d’abord pourvu par un apprenti, ou un salarié muté, ou revenant du service militaire. Ensuite, 3 registres d’embauchage sont établis, dans l’ordre d’abord les ouvriers ayant déjà travaillé pour l’État ou la Guerre à la même place, et ayant obtenu une note moyenne d’au moins 12/20 pour les 3 années antérieures à leur licenciement, puis les ouvriers ayant appartenu à divers organismes de la Guerre ou de la Défense nationale dans d’autres lieux, et enfin les autres. L’appel est fait dans l’ordre des registres et par ordre décroissant des notes obtenues pour les deux premiers. En clair, comme le recrutement des écoles continue à privilégier les enfants du personnel, l’embauche vise toujours à maintenir la cohésion d’un cadre permanent restreint.

61La notion de commissionnement n’existe plus, ce qui ne signifie pas que l’ancienneté ne soit pas prise en compte. Mais les conditions du licenciement sont déterminées par un décret du 20 mai 1953 qui suscite des protestations syndicales en refusant la retraite aux licenciés de moins de 60 ans et en multipliant les différences d’indemnisation, de préavis… De plus les indemnités sont retirées en cas de proposition d’embauche, l’ouvrier étant obligé d’accepter tout emploi proposé : la propagande protestataire évoque la notion de « STO ».

62La classification des ouvriers fait l’objet de débats longs et complexes. En 1945, cinq classes d’ouvriers sont délimitées. Mais, à la fin de 1947, la hiérarchie est revue pour correspondre à celle prévue pour l’industrie par l’accord Parodi. Il en résulte huit catégories, elles-mêmes subdivisées en huit échelons. La huitième, souvent appelée « hors classe », est la plus élevée. En 1951 la catégorie1 correspond à la qualification de manœuvre, les catégories 3 et 4 à la qualification d’ouvrier spécialisé. Qu’est-ce que la catégorie 2 dans ces conditions ? En fait, les catégories inférieures ont été multipliées pour freiner la revendication salariale. Ainsi les syndicats revendiqueront pendant plusieurs années le classement en catégorie 3 des ouvrières des cartoucheries. Les autres catégories, en revanche, correspondent pour la 5e à la qualification d’ouvrier professionnel de première catégorie (le « P1 »), la sixième au « P2 », la septième au « P3 » et la dernière à la qualification d’ouvrier hautement qualifié (« OHQ »). Dans la réalité, les catégories inférieures ont très peu d’existence. La première peut être tenue pour résiduelle dès 1950, la seconde pour quantité négligeable. Les troisième et quatrième sont les niveaux de recrutement, les apprentis sortant de l’école en catégorie quatre en début de période, cinq à la fin. Le passage d’une catégorie à l’autre se fait en principe après la réussite à un essai professionnel, sauf pour les plus basses qui ne correspondent pas à une qualification. Pour les ouvriers spécialisés, il n’y a donc pas d’essai, mais un stage d’au moins quatre mois sanctionné par une note qui affecte l’ouvrier à une classe. Les essais sont notés par une commission des essais composée d’un représentant de la direction, de deux officiers, deux agents de maîtrise et de un à trois ouvriers désignés par les syndicats. La note est bonifiée de un ou deux points après 12 ou 16 ans d’ancienneté dans le groupe d’origine. C’est donc dans certaines limites la garantie d’une certaine progression de carrière. D’autre part, l’avancement par échelon reste appliqué selon le décret de 1897, à l’ancienneté avec trois ans de délai, ou au choix avec un an jusqu’au cinquième et deux ans au delà. Une commission d’avancement contrôle également ce processus, dont les représentants ouvriers sont nommés par les syndicats.

63Quelques autres dispositions peuvent en leur temps paraître plus favorables que la loi. Les congés annuels sont en 1953 de trente jours pour les fonctionnaires et les mensuels en général, pourvu qu’ils soient majeurs de 21 ans. Les ouvriers ayant un an ou plus d’ancienneté ont droit selon leur ancienneté à des congés de 24 à 26 jours ouvrables, payés comme s’ils avaient été présents au travail, disposition parfois avantageuse. Les apprentis ont un régime particulier lorsqu’ils ont moins d’un an d’ancienneté. Diverses dispositions prévoient en outre des congés exceptionnels, pour les administrateurs de la Sécurité sociale ou pour les pompiers, mais aussi, dès 1957, congé éducation et formation syndicale, non rémunéré mais autorisé.

64Le régime de sécurité sociale est fixé par deux décrets du 28 juin 1947 et une instruction du 25 mai 1952. On notera le temps écoulé entre la décision et sa mise en œuvre. C’est, pour une part, le résultat du choix de continuer à définir chaque salarié en fonction de son régime de pension. Celui-ci est fixé par une loi d’août 1949. Il aura donc paru sage d’attendre. Les dispositions concernant le congé maladie demeurent favorables : le plein salaire est garanti pendant trois mois, le demi salaire ou, selon les charges de familles, les deux tiers, pendant trois ans. Suivent trois ans de congés sans salaire pendant lesquels l’ouvrier conserve son emploi. Le régime de retraite qui avait tant compté dans les phases précédentes est pour l’essentiel ramené au cadre général, la spécificité du régime restant l’âge de départ, maintenu à soixante ans, et la période de référence de 30 années de service. Un abattement s’applique toutefois sur le calcul de la pension : ce régime sera amélioré par un décret du 24 septembre 1965 qui rapprochera le régime des travailleurs de l’État de celui des fonctionnaires en leur garantissant un calcul de la pension sur la base de 2 % par annuité, à concurrence de 75 % du salaire de référence.

65Il faut enfin mentionner l’instruction du 11 février 1959 qui fixe les rapports de l’administration avec les syndicats. Le texte reprend les principes déjà établis : « L’administration militaire ne saurait être appelée à reconnaître un syndicat, mais elle décide de la nature de ses relations avec tel ou tel organisme de cette sorte », et notamment le niveau des responsabilités est hiérarchisé : « les requêtes et revendications syndicales doivent avoir un caractère exclusivement corporatif ou professionnel, elles doivent être particulières à la situation du personnel représenté par le syndicat intervenant. Pour toutes les questions d’ordre général, il appartient aux syndicats de s’adresser à leurs fédérations respectives ». De plus, les directeurs d’établissements « doivent refuser de recevoir toutes les requêtes de caractère exclusivement politique ou injurieuses à l’égard des institutions ou des personnes ». Rapprochement saisissant entre le politique et l’injurieux ! Les rôles respectifs des délégués syndicaux d’établissement et des représentants fédéraux sont très précisément délimités. Mais l’essentiel est dans les moyens mis à disposition. Des autorisations d’absence peuvent être accordées par les directions d’établissements aux secrétaires et délégués. Cela concerne d’une part les audiences auprès de la direction et d’autre part, pour les organisations représentatives, soit CGT, CFTC, CGT-FO et Fédération autonome, les secrétaires et délégués dans les limites fixées par la réglementation. Les salaires sont maintenus, les primes payées au taux moyen et pour un ouvrier au devis, la base est le salaire d’un ouvrier du même groupe et de même ancienneté. En 1959, les autorisations d’absences s’échelonnent de 16 heures à deux temps complet selon la taille des établissements. De plus, au plan national, les trois principales fédérations ont droit à 2 secrétaires syndicaux en absence complète rémunérée et les autonomes à un. Au plan des entreprises, les droits des secrétaires de syndicats s’ajoutent aux heures de délégation. A partir de 1968, un secrétaire a droit à un temps complet dans un établissement de 1 000 salariés ou plus, et deux secrétaires s’il en a plus de 2 000. Même en tenant compte de quelques mesures régressives en 1977 et des progrès réalisés sur ce plan dans l’ensemble de l’industrie, ce sont des conditions très avantageuses.

66Enfin, si les réunions syndicales sont par principe interdites dans les locaux, des autorisations particulières peuvent être données, sous réserve évidemment d’ordres du jour strictement corporatifs et en dehors du temps de travail. L’article 29 de l’instruction prévoit que, dans les établissements « comptant un nombre relativement important de personnels civils », un local peut être mis en permanence à la disposition de chacune des organisations syndicales. La direction peut à tout moment pénétrer dans ce local pour s’assurer du caractère purement corporatif des documents qu’il contient, disposition inappliquée. L’affichage syndical est par ailleurs organisé. Le droit syndical installé de fait depuis la bataille transformant les amicales en syndicats est donc ainsi codifié, dix ans avant que la loi issue du constat de Grenelle ne reconnaisse la section syndicale dans les autres établissements industriels.

  • 29 Pour une étude détaillée, on se reportera à la thèse qui sert de support à ce travail. Les valeurs (...)

67L’ensemble de ces abondantes mesures met les travailleurs de l’État sur les rails d’une réelle promotion sociale. Celle-ci se mesure pour la fin du XXe siècle, sur le temps long, par le salaire et l’évolution des qualifications. Quelques graphiques peuvent en rendre compte29.

Evolution des salaires horaires en francs 2000 (bordereaux)

Evolution des salaires horaires en francs 2000 (bordereaux)

Source : Bordereaux de salaires, Le Travailleur de l’État

68Deux inflexions doivent être détaillées : la hausse brutale que produit l’accord signé en 1968, qui s’applique à partir de l’année précédente, et le dérochage, puis la stagnation qui suit le blocage des salaires dès 1978. Cela peut être représenté de deux manières :

Evolution du salaire horaire médian depuis 1968 (francs 2000)

Evolution du salaire horaire médian depuis 1968 (francs 2000)

Variation des salaires horaires depuis 1968 (francs 2000)

Variation des salaires horaires depuis 1968 (francs 2000)

Répartition des ouvriers de la DGA par catégories en 1989

Répartition des ouvriers de la DGA par catégories en 1989

Source : Le Travailleur de l’État n° 771

69Des représentations graphiques au niveau des établissements révèlent du mouvement à l’œuvre : le haut des graphiques, autrement dit les catégories supérieures, colonise le bas :

Evolution des qualifications ouvrières à la MAT (1950-1990)

Evolution des qualifications ouvrières à la MAT (1950-1990)

Source : Service du personnel MAT

Evolution des qualifications ouvrières à la MAS (1977-1986)

Evolution des qualifications ouvrières à la MAS (1977-1986)

Source : archives CGT MAS

70Les promotions individuelles sont parfois spectaculaires. Nombreux sont ceux qui en bénéficient à leur échelle. Quelques remarquables réussites entretiennent la conscience des bâtons de maréchal au fond des cartables. Les « écoles d’apprentissage » ou Ecoles de Formation Technique demeurent attachées aux établissements. Elles forment des ouvriers pour l’État, mais aussi pour les industries locales. Lorsque le ministère envisage leur suppression au cours des années 1980, chacun comprend qu’il s’agit d’une agression contre le statut des travailleurs. Le système comprend trois niveaux. Au sommet, l’ENSAR (Ecole nationale supérieure d’armement) et l’ETS (Ecole technique supérieure) situées à Arcueil ont pour mission de former les deux corps d’ingénieurs. Le vivier de recrutement de la première, c’est l’Ecole polytechnique. Au niveau intermédiaire, une école technique, l’ETN 1, également à Arcueil, recrute sur concours des apprentis, et en fait des techniciens de bureau d’études, de laboratoire et de bureau de fabrication. Les meilleurs sont orientés vers l’ETS, qui forme les ingénieurs des travaux, en fait les adjoints des ingénieurs d’armement issus de l’ENSAR. L’ETS est ainsi le chemin de la plus haute promotion ouvrière possible. Sur le même plan intermédiaire que l’ETN 1, l’Ecole technique normale de Saint-Étienne, l’ETN 2, a pour mission de recycler des ouvriers professionnels en techniciens, le concours étant préparé par les cours du soir de « promotion du travail ».

71A la base, des Ecoles spécialisées et l’école centrale de pyrotechnie de Bourges viennent compléter le dispositif des écoles d’apprentissage. A partir de 1951, ces dernières sont rattachées directement aux directeurs des établissements et non plus à la DEFA. La durée de l’apprentissage est de trois ans en fin de période au lieu de deux, et des formations à de nouveaux métiers, notamment dans le domaine de l’électronique, s’ajoutent aux formations aux métiers de base de la métallurgie. Le concours d’entrée est ouvert aux candidats de niveau BEPC âgé de 15 à 17 ans. Ce système de formation tend à s’ouvrir à des élèves extérieurs à la Défense au cours de la période.

72Michel Barras annonce, au bilan de l’école de Roanne, la carrière de 30 anciens apprentis devenus ingénieurs, de 300 devenus techniciens à divers niveaux, et de « nombreux » autres devenus enseignants dans les établissements techniques de l’Education nationale, issus des promotions de 1951 à 1987, date du dernier concours de recrutement. L’école de Roanne devient d’ailleurs en 1994 un Groupement d’intérêt économique partenaire de la Chambre de commerce et d’industrie, en charge de missions de formations continue.

73Le numéro de MAS Info du 16 octobre 1974 donne une description de l’ETN 2 qui forme depuis 1952 les ouvriers professionnels aux métiers de techniciens. 850 techniciens sont sortis de ses rangs entre 1952 et 1974. Le recrutement se fait par concours parmi les professionnels des établissements âgés de 25 à 40 ans. Les promotions sont au total d’une trentaine de personnes pour toute la France. La scolarité se déroule en trois phases depuis 1971 : une période probatoire effectuée dans les écoles de formation technique des établissements de Bourges, Paris, Roanne, Tulle et Toulouse, pendant laquelle, par groupe d’une douzaine au maximum, les étudiants reçoivent à la fois une initiation théorique et une formation pratique à d’autres professions que la leur. C’est ensuite une commission réunie à Saint-Étienne qui décide de l’entrée en « première année ». L’enseignement est alors dispensé par les ingénieurs, cadres et techniciens de la manufacture. Enfin la « deuxième année » est effectuée dans les établissements sous forme de stages à l’issue desquels les futurs techniciens sont orientés vers les spécialisations déficitaires. Chaque année est conclue par des épreuves, la seconde par l’obtention du brevet technique de l’école pour ceux dont la note est d’au moins 12. Ceux-ci sont alors inscrits sur la liste d’aptitude au grade de technicien d’études et de fabrication de l’Armement terrestre. C’est notamment parmi eux que l’on recrutera les chefs d’équipe, mais d’autres horizons leur sont aussi ouverts. Les chemins de la promotion sont ainsi nettement tracés : le manœuvre peut devenir ouvrier spécialisé, celui-ci ouvrier professionnel, puisqu’on lui ouvre notamment au cours de la période les portes des écoles d’apprentissage, et les meilleurs professionnels peuvent espérer devenir techniciens. Il est même des carrières plus fulgurantes.

74Un exemple : MF est aujourd’hui retraité. Interrogé en juillet 2001, il a bien voulu retracer sa carrière. Il entre en 1952 à l’école d’apprentissage de la manufacture de Tulle, et en sort en 1955, sixième sur 25, avec une qualification d’ajusteur-fraiseur. Il est affecté en atelier. Un conflit survient pendant son apprentissage et c’est son professeur de première année qui prend sa défense contre la vindicte d’anciens professionnels au moment de l’examen. Son rang modeste ne lui permet toutefois pas de continuer son cursus dans les écoles, et le service national l’envoie en Algérie. Revenu en 1958, il reprend le travail de janvier 1959 à 1960. Puis, de 1960 à 1965, il reprend ses études en passant par trois écoles : l’Ecole professionnelle d’Armement de Limoges, l’ETN d’Arcueil, d’où il sort pour entrer à l’ETS. Il est alors affecté à l’Ecole de pyrotechnie de Bourges avec le grade de lieutenant : il est ingénieur technique de l’Armement (ITA). Il gravit ensuite les échelons jusqu’au grade d’ingénieur en chef d’études techniques d’Armement, correspondant à celui de colonel. En 1991, ayant sa retraite militaire, il peut s’embaucher comme ingénieur civil chez GIAT-Industries. Il n’est pas tout-à-fait au sommet de la pyramide : un petit nombre devient ingénieur général…

75Certes, ces promotions remarquables ne concernent qu’une partie du personnel, uniquement des hommes, les femmes étant encore embauchées au bas de la catégorie IV en fin de période et ne dépassant que rarement la sixième. Mais elles demeurent possibles et sont souvent citées en exemple, signes d’une pratique républicaine de l’ascension sociale au mérite. Même ceux qui n’en bénéficient pas se retrouvent dans une démarche générale qui, pour eux, se concrétise par le simple passage d’un échelon à l’autre, d’une classe à l’autre.

76Pourtant, déjà, plus rien n’est comme avant.

Bibliographie

Les sources de ce chapitre sont :

– Notamment les monographies et ouvrages cités en bibliographie de : Barras, Berry, Cayre, Héritier, Lombard, Pineau et Hervoir.

Sources originales :

– Archives CGT MAS et MAT, CFDT MAS.

– DGA, Châtellerault, Registre 10, 002.17 – 20069 ; 1.1.0.01.01.05.6 (1940-1956) ;

– R 395 1.2.0.04.20.13.5, carton 4.

Notes

1 H. Berry et alii, op. cit.

2 Le journal conserve son titre bien qu’il ait été celui d’un journal destiné par Vichy aux prisonniers : « on nous a volé la milice, la Marseillaise, le titre de notre journal, nous le reprenons ».

3 Voir Alf Lüdtke, « Le domaine réservé : affirmation de l’autonomie ouvrière et politique chez les ouvriers d’usine en Allemagne à la fin du XIXe siècle », in Patrick Fridenson, Ss. dir., Industrialisation et Sociétés 1880-1970, collection Mouvement Social, Éditions de l’Atelier, Paris, 1997, 272 p.

4 P. Héritier, op. cit., p. 217.

5 DBMOF et J. Jolly, Dictionnaire des Parlementaires, op. cit., et l’Encyclopédie du XXe siècle, Encyclopaedia universalis, Réunion des Musées nationaux, Montparnasse multimédia, Cd-Rom, Paris, 1999.
– Charles Tillon, La Révolte vient de loin, Paris, Union générale d’éditions, 1979, 445 p.
– On chantait rouge, Laffont, Paris, 1977.
– Charles Tillon. Un « Procès de Moscou » à Paris, précédé de l’Interrogation, par Raymond Jean, Paris, Éditions du Seuil, 1971, Un procès de Moscou…, op. cit.

6 Le parti le considère comme membre de droit depuis l’affaire du Guichen, c’est à dire… avant la création du parti !

7 DBMOF, ainsi que Michel Dreyfus, PCF, crises et dissidences, Complexe, Bruxelles, 1990, 287 p.

8 C. Tillon, Un procès... op. cit.

9 Tulle le 29 avril 1946. Le terme de comité d’organisation n’est pas une allusion aux organismes patronaux de l’Occupation, mais il renvoie au concept d’économie dirigée.

10 Ou Le Queinnec dans d’autres sources.

11 Les passions retombées, Y. Cayre écrit : « Ce tulliste de vieille souche, profondément humain, allait poursuivre à la DEFA à Paris dès le 1er janvier 1947, une brillante carrière au poste d’ingénieur général ». Y. Cayre, op. cit.

12 « Délégation du mardi 8 octobre 1946 ». PV non signé, les noms des membres de la délégation en exergue. CGT MAT, dossier « Comités mixtes à la production ».

13 Une conférence des CMP de l’aéronautique est véritablement la première du genre en 1945.

14 Les usines d’armement et la reconstruction en France, bilan d’activité présenté par Charles Tillon, ministre de l’Armement le 23 mai 1946 au Vélodrome d’hiver, broché, Éditions France d’Abord, Paris, 1946.

15 « La production de tous les tracteurs DEFA représente globalement pour cette période 50 % du chiffre d’affaires ». M. Barras, op. cit.

16 Michel Olagnier, « 1947, les jeunes dans la bataille pour la vie », in Cahier d’Histoire Sociale, no 42, décembre 1997.

17 Pineau et Hervoir, op. cit., Le Patriote poitevin, 7 janvier 1950 et suivants.

18 C. Lombard, op. cit.

19 Voir notamment Paul Bonnecarrere, Par le sang versé, France-Loisirs, Paris, 1968, 459 p., page 260. L’auteur évoque le cas de grenades n’explosant que pour livrer des tracts signés de l’UFF.

20 La signature nominale est hélas illisible.

21 L’ERGMA a été créé en 1946 pour gérer et entretenir une partie du matériel américain récupéré après guerre, notamment les jeeps. Il sera fermé en 1979. La Maltournée est située dans le Val de Marne.

22 Cette expression est reprise par les syndicalistes de toutes options comme une évidence.

23 Cette question fait cependant l’objet d’une polémique entre syndicat et ministère : ce dernier prétend ne pas tenir compte du secteur nationalisé pour l’application du décret. (Numéro spécial du Travailleur de l’État, broché, avril 1960)

24 Le Travailleur de l’État, H. Berry et alii, op. cit., M. Branciard, op. cit.

25 Il y a alors trois députés communistes travailleurs de l’État selon H. Berry et alii, op. cit.

26 Ces abattements sont des cœfficients de minoration des salaires fixés lors des négociations paritaires de manière à tenir compte, en théorie, des inégalités du coût de la vie et des pratiques salariales différentes selon les régions. Créés sous Vichy et appliqués aux travailleurs de l’État par un décret du 19 juin 1943, ils sont réaménagés plusieurs fois après la Libération.

27 Le Travailleur de l’État supplément au numéro 92, 1963, et divers. Édition méthodique du Bulletin Officiel des Armées.

28 C. Lombard, op. cit.

29 Pour une étude détaillée, on se reportera à la thèse qui sert de support à ce travail. Les valeurs du graphique s’entendent en salaire brut. Les données comparatives (le SMIG-SMIC) sont tirées de Liaisons Sociales, no spé. 9723 du 9 mai 1986, dernier ajustement de l’année. La référence du franc 2000 est celle de l’INSEE en pouvoir d’achat.

Table des illustrations

Titre Couverture d’une brochure de 1946
Crédits Archives CFDT MAS et H. Berry, op. cit.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/57156/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 168k
Titre Evolution des salaires horaires en francs 2000 (bordereaux)
Crédits Source : Bordereaux de salaires, Le Travailleur de l’État
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/57156/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 60k
Titre Evolution du salaire horaire médian depuis 1968 (francs 2000)
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/57156/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 64k
Titre Variation des salaires horaires depuis 1968 (francs 2000)
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/57156/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 52k
Titre Répartition des ouvriers de la DGA par catégories en 1989
Crédits Source : Le Travailleur de l’État n° 771
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/57156/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 28k
Titre Evolution des qualifications ouvrières à la MAT (1950-1990)
Crédits Source : Service du personnel MAT
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/57156/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 48k
Titre Evolution des qualifications ouvrières à la MAS (1977-1986)
Crédits Source : archives CGT MAS
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/57156/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 35k

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