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Les armuriers de l’État

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Patrick Mortal

– 6 – Le communisme surgit de la guerre (1914-1938)

Texte intégral

« Pour hâter la paix... »

« Pour hâter la paix... »

AN F7/13358

1Ce petit papillon rédigé à la mine de crayon a été trouvé le 18 décembre 1917 devant la station centrale de la MAT, à quelques centaines de mètres de l’établissement principal. Sans doute était-il roulé comme un billet de loterie pour mieux passer de main en main, signe de l’état d’esprit de militants conscients des limites de l’action légale, un courant clairement anti-patriotique et dans le sillage du bolchevisme. L’armistice provisoire de Brest-Litovsk a trois jours, et même si la paix reste à négocier à l’Est, pour ces socialistes pacifistes là, c’est un signal. Quel est l’effet réel de ce papillon ?

  • 1 Jean-Louis Robert : – Les ouvriers à Paris et le mouvement ouvrier parisien pendant la Grande guerr (...)

2La double surprise du retournement des syndicats et partis socialistes en 1914 et de la force de tenir de la population française alors que la révolution éclate en Europe, a conduit les auteurs sur un étrange chemin. Jean-Louis Robert montre comment les velléités pacifistes s’effacent quand l’avance ennemie se fait trop pressante. Il décrit aussi l’ultime sursaut gréviste de 1918, emmené par des militants pacifistes et révolutionnaires – ce « geste ». Rassurante hypothèse : la République a conservé l’adhésion des ouvriers. Le projet communiste était donc voué à l’échec, une illusion au passé1.

3On en oublierait presque que la raison de tout ce remueménage, c’est justement que le communisme qui n’était guère plus que l’écho du spectre dont Marx sentait le souffle en 1848, est devenu, après guerre, une puissance. On oublierait presque que cette République que l’on voudrait grandie ne retrouve nul consensus et meurt sans gloire après quelques spasmes. Si l’on admet que les arsenaux ont un rôle décisif dans la mobilisation industrielle qui fait – littéralement – cette guerre là, ce qui s’y passe montre clairement comment une génération de militants ouvriers, pour la première fois, se constitue contre la République. Cela, c’est le communisme... réellement existant.

Les peuples des arsenaux en guerre

4En juillet 1915, les seuls établissements dépendant de l’Inspection des fabrications emploient 79 102 personnes, dont 26 % d’ouvriers civils, 19 % d’ouvrières, 5 % de sursitaires à l’appel, 50 % d’ouvriers militaires détachés de leur dépôt. Ce noyau ne représentera que 5 % du million et demi de travailleurs de la guerre, mais c’est le centre organisateur de la mobilisation industrielle.

  • 2 La date de promulgation est le 17 août 1915.

5L’État-major envoie d’abord les mobilisés au front sans trop de détail, et réorganise les affectations du personnel des arsenaux sans s’embarrasser des statuts et règlements. Cette attitude est aux antipodes des prévisions des ingénieurs de l’Armement, mais qu’importe si la guerre est courte. L’allongement du temps de travail et quelques primes devraient assurer la production. Ce qui compte, c’est l’unité de l’élan. A tel point que le 4 juillet 1915, le ministre fait établir un état des hommes maintenus à l’usine, révélant l’inquiétude qui domine alors : on veut débusquer les « embusqués ». Le 13 août 1915, enfin, Millerand fait voter la loi proposée par le radical Dalbiez2, permettant l’affectation à l’arrière de 500 000 mobilisés qualifiés. Les conditions sont l’exercice d’une profession pendant au moins un an dans un établissement similaire à celui vers lequel ils sont dirigés, ou dans le cas de soldats déjà détachés, d’être acceptés par la commission paritaire.

6Ces affectés spéciaux représenteront 30 % du total de la main d’œuvre de guerre, environ 50 % dans les arsenaux. La géographie industrielle de l’époque fait que la plupart sont originaires de la région parisienne ou du nord de la France : souvent adhérents des syndicats de la très contestataire Fédération de la métallurgie dirigée par Merrheim, de tradition guesdiste pour ceux du Nord, ils sont rompus aux luttes sociales. Leur arrivée du front est douloureuse, comme en témoigne le député radical socialiste Merlin le 8 juin 1916 : « Des hommes, arrivés après 17 heures de voyage dans un grand centre métallurgique, n’étaient même pas attendus. Ils ne peuvent trouver à se loger qu’avec les plus grandes difficultés. La nourriture est hors de prix. Le salaire est de 4,25 F par jour pour un travail de 10 heures.

7A Bourges, les manœuvres gagnent 4,50 F par jour. Le logement dans des baraquements humides, et sur de la mauvaise paille, étant impossible à supporter pour des hommes de 48 ans, on est forcé de chercher une chambre en ville ; on ne trouve que des taudis très chers. De plus, on fait payer le prix fort pour la nourriture et la population exploite d’autant plus que nos salaires font baisser le niveau des salaires civils ».

8(…)J’ai pu voir à Bourges des mobilisés sous la tente, dans une plaine boueuse, obligés de se rendre tous les jours à l’usine dans de pareilles conditions ».

  • 3 Arnaud Renoux, Ss. dir. Eck, Jean-François, Le syndicalisme ouvrier dans les établissements militai (...)

9Ce sont des militaires et des ouvriers à la fois. Ils sont censés porter des brassards et des signes de leur grade. Mais ils ont les mêmes problèmes que les autres ouvriers. A l’usine, ils ont théoriquement une situation équivalente. Thomas y veillera. Mais dans les arsenaux, cette égalité a des effets pervers : une circulaire du 24 novembre 1915 confirme la continuité du statut des ouvriers du cadre permanent, et renvoie les mobilisés au droit privé et au statut des mobilisés de l’industrie. Le jeu de l’ancienneté et des primes permet aux premiers d’améliorer leur salaire. Le résultat est à Bourges, selon A. Renoux, un salaire moyen mensuel de 340 F pour un ouvrier de l’État, et de 300 F pour un mobilisé3. La revendication « à travail égal, salaire égal » sera un ciment du groupe des mobilisés.

10Le statut militaire a une conséquence de taille. Selon la formule d’une circulaire à la direction des Forges du 30 juillet 1915, « il conviendra de faire remarquer à l’ouvrier que, si sa conduite à l’atelier ou en ville peut être un mauvais exemple pour ses camarades, si elle est susceptible de nuire directement ou indirectement à l’intensité de la production, il sera du devoir de l’autorité militaire de le renvoyer à son dépôt.

11(…) l’individu qui ne donne pas satisfaction à l’usine n’y est pas à sa place. (…).

12Il est recommandé de ne pas abuser de la menace de renvoi au front (…) ».

  • 4 F. Thebaud : – « Ouvrières de Guerre », in 14-18, le magazine de la Grande Guerre, no 1, avril-mai (...)
  • 5 362 879 exactement, soit 23 % de la main d’œuvre des usines de guerre, d’après les chiffres du mini (...)
  • 6 Cl. Larronde, op. cit. et d’après Maurice Darmagnac : Nouvelle République des Hautes Pyrénées, dive (...)

13Le mythe de la munitionnette à l’avant-garde de l’indépendance des femmes a vécu. Françoise Thébaud a montré comment la guerre a brisé l’élan féministe de la Belle Epoque4. Le clairon de l’armistice sonne le retour au foyer. Au plus fort de la guerre, elles sont 400 0005, mais au total, les femmes ne représentent jamais plus de 40 % de la main d’œuvre. Dans les cartoucheries et les ateliers de chargement d’obus, elles ont toujours constitué une grande part du personnel, et l’on embauche à Tarbes, Toulouse, Valence, Bourges... Beaucoup sont des migrantes ballottées par le vent mauvais qui balaie le continent ; à Tarbes, elles viennent de 13 départements dont ceux qui sont occupés. Mais il y a surtout la misère : l’allocation versée aux femmes de mobilisés est de 1,25 F par jour et 0,50 F par enfant, quand le salaire moyen est de 4F par jour pour les hommes. Le patriotisme ? Pas au sens de la propagande, mais une prise de responsabilité : il faut « faire quelque chose ». Au jour de la paix, les résistances au licenciement seront peu nombreuses. A Tarbes les veuves de guerre écrivent au ministre le 5 mai 1919 : « Beaucoup d’entre nous sont sans métier. Qu’allons-nous devenir si on nous renvoie ? Nulle autre industrie à Tarbes. Certaines d’entre nous ont leurs parents à charge, des enfants à élever. La France ne devrait pas oublier que nos maris se sont sacrifiés pour sa cause »6.

  • 7 Catherine Omnes, Ouvrières parisiennes, marché du travail et trajectoires professionnelles au XXe s (...)

14Albert Thomas a beau être pour l’égalité, il n’en estime pas moins normal de déduire du salaire des femmes le « coût de revient de toutes les modifications à l’outillage, à l’organisation du travail, à la surveillance, et de façon générale les frais supplémentaires entraînés par la substitution de la main d’œuvre féminine à la main d’œuvre masculine » ; aussi la différence à qualification égale est-elle maintenue par le tarif du 16 janvier 1917. Catherine Omnès cite un tarif de novembre 1917 qui maintiendrait un écart avec les salaires horaires masculins variant entre 22,2 % et 26,7 %7. La revendication du Syndicat des métaux ne rattrape pas le ministre socialiste, puisqu’elle ne réduit l’écart que pour les manœuvres, et l’augmente pour les professionnel(le)s.

15Les ouvrières sont classées comme « artificières » ou « usineuses », c’est à dire non professionnelles. Les ouvrières de la cartoucherie de Tarbes chargent 275 millions de cartouches pendant la guerre ; leurs postes, pénibles, sont dangereux : 8 femmes parmi les décès par explosion, et une majorité parmi les blessés. Rares sont les transgressions de la qualification. Toutefois certaines travaillent sur des machines jusque-là réservées aux hommes : C. Lombard note la présence à la MAC d’ouvrières du canon… A Tarbes aussi des métiers considérés comme masculins sont pratiqués par des femmes, comme ces ouvrières qui usinent des obus de moyen calibre.

  • 8 Lysis est le pseudonyme d’Eugène Letailleur. Son journal La démocratie nouvelle mène en 1919 une ca (...)
  • 9 Ibidem.

16L’ambiance moralisatrice pèse sur ces ouvrières. Le cas le plus flagrant est celui de ces quatre articles de basse polémique publiés sous le pseudonyme de Lysis par le journal la Démocratie Nouvelle en janvier 19198 ; dirigées contre Thomas, ils dénoncent la « nuée de dactylos, de secrétaires » et autres embauchées à l’Arsenal de Roanne, preuve que c’est un lieu de mauvaise vie aux frais de l’État9. Mêmes les avancées sociales sont ambiguës dans leurs motivations. F. Thébaud les rappelle : selon une formule d’A. Thomas lui-même dans une circulaire du 1er juillet 1917, les femmes sont « une réserve d’avenir qui doit être sauvegardée dans son intégrité ». Des chambres d’allaitement et des crèches sont instituées, ainsi que, pour celles qui ont au moins six mois d’ancienneté, un congé maternité de quatre semaines à plein salaire et quatre à demi salaire. Des sièges sont aménagés, des temps de repos prévus. Le congé en cas de permission du mari ou d’un parent au premier degré est justifié par « l’heureux effet moral que ces quelques jours de vie de famille peuvent avoir sur l’esprit des mobilisés ». Ces dispositions, ajoutées au salaire tout de même supérieur dans l’armement, provoquent jalousies et polémiques. On ne les embauche pas définitivement parce qu’on craint qu’elles n’abusent de leurs permissions, et les médecins s’inquiètent des risques encourus par les procréatrices dans l’univers usinier… Mais tout de même, une fois constatées les limites de l’esprit du temps, les critiques mêmes ne montrent-elles pas que ces innovations, loin d’être luxueuses, comptent cependant pour ces femmes, constituent une forme de reconnaissance qui tranche avec ce qu’elles connaissent ?

17Le combatif Syndicat des métaux de Bourges débat en 1917 de l’admission des femmes dans ses rangs. Il a d’abord voté pour. Mais lors de la réunion du 27 mai, un intervenant explique : » La femme, impulsive, nerveuse, facilement impressionnable, pourrait quelquefois exagérer le sens des paroles des militants. Il montre l’ampleur que pourraient prendre les moindres petites grèves chez les femmes à moralité douteuse, toujours heureuses lorsqu’il s’agit de faire du bruit et de se livrer à des manifestations »… et de citer la rapidité avec laquelle le mouvement féminin se propage à Paris. Bref, combatives, les femmes de Bourges ne sont pas contrôlables. Or, elles ne risquent pas d’être envoyées au front. La motion tendant à faire admettre les femmes au syndicat est finalement repoussée au motif que « la femme peut manifester, faire grève et porter ainsi tort au syndicat ».

18Deux dirigeants de l’aile gauche du Syndicat, Caillaux et Cauët, organisent malgré tout le 1er février 1918 une réunion dans une salle « bondée de femmes ». Cinquante ouvrières de la Pyrotechnie sont là et les deux syndicalistes proclament que « la femme est l’égale de l’homme », donnent la Russie en exemple et appellent à une révolution pour « arrêter toute cette boucherie ». Ils signalent une grève des ouvrières de la fonderie qui ont refusé de travailler sur deux machines, et l’on demande des collectrices. Nouvelle réunion le dimanche suivant, avec selon les rapports de 65 à 80 personnes, dont 50 ou 60 femmes. La décision d’une réunion régulière est prise, qui se tiendra dans un café. La lecture de l’Humanité et de La Vague est conseillée, à la sortie sont distribués le journal Le Malthusien et des brochures : « les moyens d’éviter la grossesse », et d’autres à caractère syndical. Le 17 février, le rapport du commissaire spécial parle clairement d’une réunion de femmes du Syndicat des métaux. Cette fois, un cahier de revendications est établi, portant sur les salaires, le travail à la tâche, les retenues de salaire de 1,50 F lorsque les ouvrières prennent une heure de sortie pendant le travail. Mais la revendication qui provoque un « tumulte infernal » est celle du renvoi au front d’un chef d’équipe. Des conflits ont éclaté à propos de deux responsables. Le premier a dû s’enfuir par une porte dérobée. L’autre a eu moins de chance : suivi par une manifestation à la sortie de 10 heures, il a été frappé par une ouvrière, ainsi qu’une autre personne accourue à son secours. Ce chef d’équipe est accusé d’être « trop libre pendant le travail avec certaines ouvrières », et une ouvrière l’informe qu’elle ne veut pas « recevoir d’ordre d’un chef d’équipe ». Ces incidents sont le signal d’une agitation qui se généralise. Au mois de mars encore, 70 ouvrières écoutent une conférence donnée par Marcelle Capy, secrétaire du journal La Vague.

19Difficile entrée dans le système disciplinaire ! le 26 novembre 1917 à Toulouse, 800 personnes dont la moitié de femmes protestent contre une réduction de salaire, mais aussi contre les sanctions frappant les ouvrières « surprises à causer en dehors de leur atelier ».

  • 10 Le Travailleur de l’État du 1er avril 1916.

20Pour de nombreux dirigeants syndicaux la question de la présence des femmes se pose en termes de gestion de la cohabitation de catégories différentes. Dans un article du Travailleur de l’État10, le secrétaire du Syndicat de Saint-Étienne, Lebraly, explique que l’éventualité d’un syndicat proprement féminin a été posée et finalement repoussée. Mais il se prononce en faveur d’ateliers séparés : cela éviterait les conflits entre hommes et femmes qui font un même travail pour un salaire différent et des rapports hiérarchiques malsains, certaines femmes « peu intéressantes » obtenant des situations privilégiées ou un meilleur travail selon leur « cote » ou « dans un but qu’on devine facilement ». Lebraly note cependant que les femmes apprennent à l’usine des notions de « sociologie » qui les rendront pour l’avenir « moins soumises ». Il semble bien que le débat plus feutré qui se déroule à Toulouse en novembre 1917 ait le même sens : une majorité des adhérents de la cartoucherie et de l’arsenal se prononce contre l’organisation de sections par atelier, pour ne pas diviser le syndicat. En fait, cela aurait isolé les adhérentes des ateliers féminins de la cartoucherie.

21Merrheim, pour sa part, déclare le 10 décembre 1916 à Cherbourg : « (…) l’emploi des femmes constitue un grave danger pour l’avenir de la classe ouvrière ; lorsque les hommes reviendront du front, il leur sera difficile de lutter contre ces dernières, qui auront acquis une certaine habileté et toucheront des salaires inférieurs ». Déclaration plus modérée qu’il n’y paraît, puisqu’elle entérine la capacité des femmes à acquérir ce qui ne doit surtout pas être appelé qualification !

22A Tulle, les effectifs féminins tombent de 850 en novembre 1918 à 20 le 15 décembre. A Châtellerault, de 1 564 en 1918, à 189 en 1919. Mais à Tarbes, où les femmes ont toujours été nombreuses, où l’action revendicative a été forte, l’on conserve les ouvrières d’avant guerre, et leur maintien lors des licenciements de 1921 suscite des protestations… Aux autres, dès le 13 novembre Loucheur propose des conditions de retour à la maison : sous réserve de quitter l’établissement avant le 5 décembre, elles touchent une indemnité d’un mois de salaire augmentée d’une journée pour quatre mois de présence. Le voyage est gratuit pour elles-mêmes et leurs enfants. C. Larronde signale que ces propositions, mises aux voix, ont recueilli 3 400 approbations sur 4 865 femmes. Le délai sera prolongé jusqu’au 20 juin 1919 pour les veuves et orphelines de guerre. Ces femmes là, malgré tout, ont su se faire respecter. D’ailleurs les rapports de police de tout le pays notent avec attention, pendant toute la guerre, le nombre de femmes adhérentes des syndicats ou présentes aux réunions.

23Enfin les travailleurs étrangers représentent une part non négligeable des effectifs : Polonais, Espagnols, Portugais (6 000), Italiens (3 à 4 000), Monténégrins, Suisses, Grecs (12 000) ou Chinois (20 000), et, catégorie un peu particulière : les Alsaciens-Lorrains, français de choix, mais pas toujours perçus comme tels ; les coloniaux enfin, recrutés comme civils ou militaires. Il s’agit là d’une main d’œuvre militarisée et séparée des autres travailleurs. Les étrangers affectés à Tarbes sont parmi les moins mal lotis. Ils le doivent au directeur, qui écrit au ministre une lettre que cite C. Larronde : « Il semble que l’on pourrait prendre les mesures générales ci-après : ces ouvriers seraient logés à la caserne Reffye que l’infanterie évacuerait. Cette caserne de 1 400 places est la plus voisine de l’Atelier (distance : 1km environ). La surveillance des ouvriers serait exercée par 3 officiers et 20 gradés fournis par le corps de garnison de Tarbes ; il y aurait en outre un poste de police. La nourriture des ouvriers avec repas de jour et de nuit, serait assurée par le régiment d’infanterie ». Ainsi fait-on, et la caserne reçoit en juillet 1915 un millier d’ouvriers militaires de toutes origines. En fait, tous ne logent pas dans les 1 400 places, non totalement évacuées par la troupe, mais dans des abris construits dans la cour, dénommés « baraquements Adrian ». Les baraquements sont ailleurs construits en plein champ, au mieux : le camp chinois de Saint-Étienne ne s’appelle pas pour rien « le Marais ». A Roanne le nombre d’étrangers est plus important qu’ailleurs. Celui des baraquements aussi. M. Barras en publie une photographie : de tristes cabanes en bois. Dans cette ville, l’on emploie même au chantier des prisonniers de guerre. Cela paraît exceptionnel dans les arsenaux et les cas recensés par les monographies sont l’occasion de dénoncer… leur faible productivité.

  • 11 Notamment M. Barras, op. cit. et CL. Lombard, op. cit.
  • 12 Le terrassier français touche alors 0,80 F de l’heure.

24L’exemple de la communauté chinoise a été le mieux observé11 : la presse se fait l’écho de la surprise des habitants des bonnes villes devant ces hôtes exotiques, et les conditions de leur venue sont souvent décrites. Elles font l’objet d’un accord de fait entre les gouvernements français et chinois. Un aventurier, Georges Truptil, en négocie les termes avec le syndicat pékinois Wei Min. Les travailleurs ont un contrat de 3 ans, qui prévoit leur prise en charge par l’État, qui doit les loger et les nourrir. Chacun y trouve son compte, comme le dit joliment M. Barras : Truptil touche des honoraires, le syndicat chinois reçoit 100 F par travailleur embarqué, la Défense nationale recrute près de 50 000 ouvriers, et ces derniers sont payés. En fait, ils le sont moins que les français. Le ministère évalue à 36 F par semaine le coût total du Chinois, soit 5,14 F par jour tout compris. Ce coût tient compte de la somme que les établissements doivent reverser pour les frais de recrutement et des retenues sur salaire. La comptabilité de l’Atelier de Roanne étudiée par M. Barras donne des détails : un terrassier touchant 5 F par journée de 10 heures12 reçoit 2,50 F une fois déduits les frais de nourriture, d’habillement, et une cotisation maladie. L’État procède aux versements à la caisse de retraite prévus par la loi de 1910, et le travailleur peut effectuer les siens. L’établissement peut en principe l’aider à envoyer une part de ce qui lui reste à sa famille par l’intermédiaire d’une banque. A la MAC, selon C. Lombard, le salaire de 5 F est un minimum garanti par l’accord, mais quelques ouvriers réussissent à se classer comme professionnels et des mensualités sont versées sur un compte en banque, en supplément du salaire. Il se peut que les 300 ouvriers chinois de Châtellerault soient mieux traités que les 1 200 de Roanne.

25Les Chinois ont leurs cabanes Adrian réservées, à Roanne dans le prolongement de celles des prisonniers de guerre, à la MAC sur le terrain de l’annexe de la Brelandière, pratiquement dans l’usine. Ils font généralement la cuisine eux-mêmes, même s’ils ont parfois accès aux cantines militaires. Une communauté surveillée de près : il existe des « prisons pour les Chinois », comme en témoigne un ancien de l’ARE interrogé par M. Barras.

26Les étrangers restent au sens littéral cantonnés en dehors de toute revendication collective, mais les Chinois de Châtellerault se révoltent les 28 et 29 décembre 1916 et délivrent de force un prisonnier. Il faut 50 soldats pour en venir à bout, qui font usage de leurs armes, blessant 3 ouvriers. Il y a 14 arrestations et 31 expulsions via Marseille, et un caporal interprète prend le commandement de ceux qui restent. Les syndicalistes, pourtant, n’évoquent les étrangers que pour exiger leur renvoi au profit des locaux, voire pour tenter de détourner contre eux l’agressivité de ceux qui critiquent leur action.

  • 13 Le contenu précis de cet appel mentionné mais non conservé dans le dossier des AN reste une énigme.

27A Bourges, l’Amicale des Alsaciens-Lorrains du Cher a pour président un professeur de lycée, Masson ; elle adhère à la Fédération des sociétés des Alsaciens-Lorrains de France, ajoute à des activités d’entraide des initiatives pieuses, et se mêle aux activités patriotiques. En novembre 1916, quelques-uns des 50 Alsaciens-Lorrains travaillant à l’atelier de pyrotechnie la rejoignent. Dans un courrier « au conseiller d’État et au commissaire général de la Sûreté nationale », le président Masson dénonce l’intolérance des syndicalistes pacifistes à l’égard « des travailleurs ne partageant pas leurs idées ». Les amicalistes se plaignent de vexations et se disent « indignés plus encore que d’être traités de Boches par l’attitude et les propos anti-patriotiques des syndiqués ». Lorsque l’association prétend organiser, avec le soutien des autorités, une manifestation patriotique, les affiches tricolores sont lacérées à peine collées, et une contre-manifestation tente d’interrompre la conférence en chantant « l’Internationale ». Un amicaliste est frappé et insulté à son poste de travail par des syndiqués et des ouvrières « excitées par eux ». Masson dénonce là un « foyer de propagande ennemie, ainsi qu’en témoignent les cris de « A bas la France, vive la Prusse ! »… cela confirme « les propos tenus aux permissionnaires, les menaces adressées aux jeunes soldats en prévision de la répression militaire, le terrorisme qui s’exerce en vue de la limitation de la production ». Lorsque l’Amicale décide de faire contresigner un « Appel de Nancy au président Wilson »13, « le syndicat des métallurgistes redoubl[a] de menaces et de persécutions tout en présentant les revendications françaises sur l’Alsace-Lorraine comme le seul obstacle à une paix immédiate ». Finalement la plupart des ouvriers quittent l’association. Le 30 avril 1918, alors que monte la tension dans les usines de guerre, Masson appelle à la répression dans une lettre au directeur ; si deux réunions fréquentées par 1 500 ouvriers ont décidé de chômer le premier Mai, « l’immense majorité des 10 000 ouvriers ne demandent pas mieux que de travailler » ; il réclame une intervention militaire. Le même dossier de police contient des dénonciations d’ouvriers ne travaillant pas, de « conduites » faites à des ouvriers qui ont « déplu » en « produisant plus que le syndicat ne l’autorise ».

28Une majorité des ouvriers étrangers est licenciée dès février-mars 1919.

29Les trois acteurs du drame qui se joue au cours de la guerre sont ainsi les ouvriers du cadre permanent solidement encadrés par la Fédération du personnel civil, alors couramment désignée comme celle « des Etablissements militaires », les mobilisés de l’arrière proches de la Fédération des Métaux, et les femmes dont l’organisation demeure un enjeu constant.

Le basculement vers le pacifisme révolutionnaire

  • 14 G. Lefranc, op. cit., on retiendra sur ces questions : Pierre Monatte, Trois scissions syndicales, (...)

30Le mouvement général qui conduit à la rupture de l’Union Sacrée, aux grèves de 1917 et 1918, à l’émergence d’un projet révolutionnaire et à la formation du parti communiste est connu14. Les minoritaires de la première heure au sein d’une CGT très affaiblie par la mobilisation sont parfois bien proches des arsenaux : la Fédération de la métallurgie de Merrheim, ou l’animateur de la revue La Vague, adhérent de la Fédération des instituteurs, certes, mais aussi député de Rennes, Pierre Brizon… Le premier participe à la conférence de Zimmerwald qui donne en 1915 une impulsion à la création de Spartacus en Allemagne et en France du Comité pour la reprise des relations internationales. Ce dernier comprend une section socialiste et une section syndicaliste qui devient le Comité de défense syndicaliste.

31Au parti socialiste, la majorité et la minorité emmenée par Jean Longuet sont presque à égalité fin 1916 et la participation gouvernementale de Guesde et Sembat est suspendue. L’organisation parisienne surtout est en crise ouverte, la banlieue rougeoyante – dont la commune de Voilin et de l’arsenal, Puteaux – l’emportant sur Paris-centre encore timide.

32La CGT tient trois conférences pendant la guerre : celle d’août 1915 soutient l’orientation de L. Jouhaux, l’opposition ne recueillant que 27 voix sur 79. Celle de décembre 1916 salue unanimement la position de Wilson pour une paix sans annexions. La troisième, à Clermont-Ferrand, en décembre 1917, est marquée par une audience renforcée de la minorité, mais aboutit à une motion presque unanime, réclamant une paix sans annexions : c’est la réconciliation de Merrheim et de Jouhaux. C’est donc sans les Métaux que le Comité de défense syndicaliste, maintenant dirigé par un anarcho-syndicaliste du bâtiment parisien, Péricat, organise les 19 et 20 mai 1918, à Saint-Étienne, un congrès contre la guerre, qui précipite les grèves de la Loire sans relancer celles qui s’achèvent alors à Paris.

  • 15 La loi Mourier du 10 août 1917, prévoit le renvoi dans les unités combattantes des mobilisés détach (...)

33Car des vagues de grèves ponctuent les dernières années de la guerre. La première est celle du printemps 1917. L’hiver voit la seconde et cette fois, ce sont les usines de guerre qui sont au premier rang. Ces grèves sont encore essentiellement revendicatives. La troisième, au printemps 1918, met l’exigence de la fin des hostilités avant la revendication salariale. L’alchimie qui provoque cette explosion est décrite par J-L. Robert comme le mélange d’un sentiment national inquiet de la durée d’un conflit où les Français paient le plus lourd tribut, d’une espérance socialiste en écho à la révolution d’octobre, et d’un sursaut de dignité ouvrière. Parmi les causes immédiates, il y a la répression : la loi Mourier15 fait peser sur un grand nombre la menace de renvoi au front. Mais l’avant garde politique du mouvement lui donne aussi un autre sens : le premier rôle est tenu par les délégués d’atelier, dont une majorité est composée de membres de la SFIO.

34Dans les arsenaux, dès la veille de la guerre, face à l’intransigeance de l’État patron, des divisions apparaissent. A une majorité de partisans de l’action parlementaire, parfois réticents devant la réorganisation décidée en 1912 par la CGT qui privilégie les Unions départementales loin des bourses et des élus locaux, s’opposent des militants plus combatifs défendant le principe de la double adhésion (interprofessionnelle locale ou départementale, et fédérale). Plusieurs scissions temporaires se produisent : à Bourges, à Vincennes, tandis qu’à Douai les professionnels modérés s’opposent dans le syndicat aux manœuvres anarchisants. A l’arsenal de Lyon un groupe dénonce le syndicat « plus que réformiste », et prend l’appellation de « Comité de défense syndicale ». Mais début 1914 l’autorité fédérale reste considérée : pour revendiquer la « semaine anglaise », ici préférée à celle des huit heures, une grève du samedi après-midi est appelée, puis annulée car « le ministre n’a pas voulu faire d’histoire ; c’est la cause pour laquelle Viviani a insisté pour que la discussion ait lieu avant les vacances ». Juillet 14 !

  • 16 Xavier Badefort, « Les Tullistes face à une guerre obsédante », Revue des Lettres, Sciences et Arts (...)

35La Fédération de la Guerre et l’Union fédérative, Berlier et Gervaise resteront fidèles à leur méthode. Interrompue après août 1914, la parution du Travailleur de l’État reprend en janvier 1916, réaction à l’interdiction des réunions : « nous pensions qu’on daignerait nous faire crédit ». Mais il faut d’abord gagner la guerre, et comme l’écrit encore Berlier le 11 septembre 1916 dans La Bataille, « demain, quand la situation sera redevenue normale, nous nous occuperons à nouveau de la défense de nos intérêts corporatifs. Et peut-être aurons-nous quelques droits de plus de presser les pouvoirs publics (...) ». C’est la position de Jouhaux. Les dirigeants s’investissent dans la commission consultative du travail, tentent de négocier des hausses de salaire. En 1916 encore, des syndicats d’établissements répondent positivement aux appels à la délation du ministre contre les « embusqués ». Lorsqu’à Tarbes les mobilisés protestent en réunion syndicale contre les sanctions qui les frappent, on les accuse d’anarchisme et l’on justifie la répression des « absences irrégulières ». L’énergie syndicale est largement accaparée par la mise sur pied d’initiatives d’entraide, restaurants et magasins coopératifs et autres « comités de secours »16.

  • 17 Ce rapport n’est ni signé ni daté. Il est conservé en triple exemplaire sous la mention « police gé (...)

36Plus tôt qu’on ne le dit, ce positionnement est à contre courant d’une partie dynamique de l’opinion ouvrière. Un rapport de police de 1918 qui couvre toute la guerre mentionne un meeting de l’Union des syndicats de la Seine à la Bourse du Travail de Paris le 12 décembre 1915 où 2 000 personnes entendent des « discours les plus violents contre la guerre », des cris « A bas la guerre ! » et des exclamations : « Que les métallurgistes fassent la grève générale, ce sera la fin de la guerre et la révolution »17. A Brest dès le mois de mai 1915 sont tenus en réunion des discours pacifistes, voire défaitistes. En 1916 une « Union amicale des établissements militaires de Puteaux » prend le titre de syndicat, avec 1 400 adhérents, dont 350 femmes. Le siège est à la mairie, celle de Voilin. A Tarbes une grève de quelques heures riposte à une baisse de salaire en juin 1915, à Valence on envisage pour la même raison de « battre la flegme »… mouvements féminins dans les deux cas…

37Mais c’est une faille plus profonde que révèlera la lettre signée d’un « poilu aux armées » le 18 septembre 1918, une victime des renvois au front suivant l’échec des grèves de mai. Ce soldat dit apprécier l’honnêteté de Berlier. « Le nombre des victimes de nos mouvements le navre, et il pense qu’on pourrait éviter de donner au gouvernement l’occasion de frapper si fort. Mais est-ce que là haut, sur le front, il n’y en a pas, des victimes ? Et des victimes qui ignorent pourquoi coule leur sang. Alors que nous savons que notre souffrance n’aura pas été inutile ». Il raille ensuite les réformistes « méthodistes », qui font de « longs, volumineux et nombreux rapports et mémoires, que par application de leur méthode verbiale (sic), ils adressent aux pouvoirs publics (…), [où ils menacent parfois] d’une action énergique. (...) Nos deux méthodes syndicalistes se complètent l’une par l’autre. (…) Que chaque organisation ait une ligne de conduite conforme au tempérament de ses militants (…) ». C’est que l’une après l’autre les organisations militantes des arsenaux de terre sont passées au pacifisme au printemps 1918, y compris celles de la Fédération des établissements militaires.

38Ce n’est pas sans raison que le congrès des minoritaires est prévu à Saint-Étienne en mai 1918. La capitale du premier bassin d’industrie non occupé est le théâtre d’une agitation constante depuis qu’une mobilisation générale des travailleurs a empêché, en novembre 1917, le renvoi au front du leader le plus connu, Clovis Andrieu, affecté chez Holzer à Firminy. Un Comité intercorporatif des industries de guerre de la Loire s’est constitué autour des métallos début 1917. Ce Comité et l’Union départementale CGT que dirige Flageollet « marchent ensemble ». Le 1er Mai 1918 ayant été chômé à l’appel de la CGT, des militants sont réprimés : c’est le signal d’une violente grève départementale : on affronte la police, on renverse des tramways... A Roanne, malgré une documentation squelettique, il semble bien y avoir certains jours des milliers de grévistes, une minorité toutefois de l’énorme personnel. Au delà de la répression, l’une des causes du mouvement est le rappel de nouvelles classes. Aussi la revendication de la paix passe-t-elle clairement devant tout autre. Commencée le 18 mai, la grève est pourtant terminée dès le 28 pour cause d’isolement.

  • 18 Est-ce le futur secrétaire syndical ?
  • 19 Est-ce le futur député communiste ?

39La MAS n’est pas le centre organisateur de l’action, mais elle n’en est pas absente. En mai, le secrétaire syndical Lebraly est opposé au mouvement et refuse d’envoyer des délégués au congrès minoritaire. L’informateur du commissaire de police a rencontré Lebraly et son adjoint, Bonnet : « Flageollet nous fait l’effet d’un haricot, il nous fait c... [sic] ». Les dirigeants du Syndicat du personnel civil considèrent que le Comité de défense syndicaliste « fait une œuvre néfaste de division ». Mais ils constatent aussi que la « section des Métaux » fait une campagne pour gagner des adhérents de la manufacture à leur syndicat. Ce que confirme un rapport de police de synthèse du 30 mai : « une organisation remarquable qui semble être en France le pendant de celle qui a abouti à désorganiser la Russie (…) a vécu longtemps et s’est développée à l’abri de la Fédération des métaux ». Par le biais du comité intercorporatif, la vingtaine de militants qui composent ce groupe sont rattachés au Comité de défense syndicaliste de Paris. Ce sont ainsi des adhérents des Métaux qui animent la grève à la MAS. Cela explique pourquoi le 16 mai l’Union syndicale des ouvriers sur métaux se solidarise des ouvriers de la manufacture nationale sanctionnés : c’est « un droit pour la classe ouvrière de manifester ses sentiments en ce jour du 1er Mai, et ce sans porter nullement atteinte à la défense nationale puisque déjà à l’occasion de Noël, jour de l’An et Pacques (sic), l’on a forcé le personnel à un chômage obligatoire »... humour anarchiste ! Les listes des militants réprimés sont significatives. Le 24 mai, tandis que la troupe disperse de petits groupes de manifestants qui se présentent systématiquement aux portes de la MAS aux heures d’entrée et de sortie, 3 arrestations ont lieu, dont celle d’un conseiller municipal socialiste, Meurgey ; les trois interpellés sont immédiatement « réglés » par le colonel directeur. Parmi les militants arrêtés et comptabilisés le 27 mai, accusés qui de désertion, qui de provocation de militaires à la désertion, on trouve 2 typographes et un ajusteur appartenant au personnel, tandis que l’on recherche un autre ajusteur accusé d’entrave à la liberté du travail. Un certain Cussonnet de la classe 1914, détaché à la manufacture, est pour sa part inculpé d’outrages à commandant de la force publique18. Le 4 juin, un rapport du commissaire central mentionne les ouvriers qui, en plus de ceux que l’on a arrêtés et qui seront jugés, doivent simplement recevoir leur ordre d’appel ; 6 ouvriers de la manufacture sont cités, dont l’un est noté anarchiste, et un autre, Tranchant19, considéré comme très dangereux car il chercherait à reconstituer l’Union départementale et l’Union des métaux avec les anarchistes.

40Pourtant, au début du mouvement de fin mai, à la différence du 1er Mai, la manufacture semblait réticente à la grève. Le comité de grève, dans un document non daté, « informe l’usine étatique d’arrêter sa production pour éviter une intervention des grévistes ». Cette injonction à la direction ne signifie pas l’absence de grévistes dans l’établissement, mais elle signifie quand même que la production continue. Le 23 mai, une manifestation de 2 000 personnes tente de s’opposer au départ des mobilisés rappelés. La troupe est sabre au clair, un gendarme blessé, on entend deux coups de revolver. L’on se rassemble alors à la Bourse du Travail, avant d’aller en masse à la sortie des ateliers de la MAS. La troupe charge et disperse les manifestants. Le commissaire est atteint de deux coups de couteaux et d’un coup de revolver, mais – dit le rapport – son état est sans gravité ! De nouveaux incidents se produisent lors de la rentrée des ouvriers. Le 25, à la veille de la reprise, on parle encore, dans les réunions de la Bourse du Travail, de faire de la propagande à la manufacture, notamment pour protester contre le refus de paiement de plusieurs grévistes. Le colonel directeur aurait déclaré à une délégation syndicale venu le rencontrer à ce sujet qu’une « barrière infranchissable lui interdisait de discuter avec des ouvriers qui devenaient complices des Boches ». Une protestation est aussitôt envoyée au député Voilin. Cela n’empêche pas la réunion de 17 h d’appeler à la reprise du travail.

41Minoritaire dans le personnel, ce mouvement aura entraîné les militants les plus déterminés et le Syndicat du personnel civil de Lebraly, loyaliste, conforme au sentiment majoritaire, n’aura pourtant pas été en mesure de s’y opposer.

  • 20 A. Renoux, op. cit.
  • 21 Eugène Lucain a 44 ans en 1914. Il a refusé en 1912 de voter l’engagement de la CGT contre la guerr (...)

42Au sein de l’immense complexe de Bourges20 le syndicat du cadre permanent est dirigé par Eugène Lucain21. En 1915 il tire 4 000 exemplaires de son bulletin La Défense, et le 27 février 1916 il vote un ordre du jour assurant « le sous-secrétaire d’É- tat aux Munitions qu’il peut compter, comme par le passé, sur le concours dévoué de tous les ouvriers des établissements militaires, afin de hâter une paix victorieuse, qui assurera aux peuples les garanties nécessaires pour éviter le retour de semblables tueries, dont la principale sera la déchéance du militarisme prussien ». Ce syndicat est encore présenté par la police comme « encouragé par le général Gages, directeur » en 1918.

43Mais dès 1915, les mobilisés du Nord ont leur propre « section syndicale », et constituent une « section socialiste de Bourges ». Selon les rapports de police « ces cinquante militants sont plus à craindre que tous les syndiqués, nombreux mais endormis, du syndicat de Bourges », d’autant qu’ils sont « partisans avant tout de la fin immédiate des hostilités, de la paix sans conditions et de la reprise des relations internationales ». Ils « ne se plaisent que dans l’action ». Autres affectés spéciaux, les mécaniciens de la Seine retrouvent là des dirigeants anarcho-syndicalistes, anciens secrétaires de syndicats : Edmond Daguerre, Paul Dalstein, Charles Cauët, Raphaël Caillaux. Ensemble, ces deux groupes constituent un Syndicat « des métallurgistes et parties similaires » qui édite le Bulletin du syndicat des métallurgistes, se donne pour secrétaire un modéré du Nord, Adolphe Van Gysel, et adhère au Comité de défense syndicaliste. Toutefois les dirigeants demandent aux anarchistes les plus radicaux de se différencier du syndicat pour mener leur propagande pacifiste, et ces derniers créent un groupe éphémère : CQFD (Ce qu’il faut dire). En mai 1918, les Métaux compteront 4 500 adhérents, les Etablissements militaires 3 500.

44Dès le 1er Mai 1917, les Métaux sont assez influents pour appeler à la grève avec un tract titré « A bas l’Union Sacrée, à bas la guerre ! ». Le syndicat de Lucain n’appelle pas, mais lors de sa réunion, une « tempête d’applaudissements » salue la lettre d’un syndiqué qui demande que l’on chôme le 1er Mai. « Tous les assistants veulent fêter ce jour et se trouvent, par la même, en accord avec les camarades russes ». La grève est un succès, une manifestation résiste aux charges de cavalerie, un orateur fait l’éloge du Comité de défense syndicaliste. Le 5 mai, 1 200 ouvrières de la Pyrotechnie ralentissent la cadence et menacent de ne pas reprendre le travail…

45C’est le début d’une longue crise. En ville des conférences anarchistes ou socialistes attirent des leaders nationaux, et il y aurait 400 abonnés à La Vague. Dans les deux syndicats, les dirigeants sont bousculés par une mobilisation qu’ils s’efforcent d’orienter ou de contenir. Van Gysel obtient ainsi la démission du trop radical Daguerre du poste de délégué de la fonderie, tandis qu’aux Etablissements militaires Lucain essuie des critiques, menace de démissionner quand le conseil syndical se prononce pour une « conférence internationale », et doit finalement accepter d’être chaperonné dans toutes ses démarches. Mais en même temps, les deux syndicats participent avec 12 autres de cinq départements à un « Comité intercorporatif du Centre » dont le but est de « dressé (sic) les travailleurs contre la guerre et de mené (resic) une campagne énergique pour la faire cesser ».

46Le 16 janvier 1918, des ouvriers des classes 13 et 14 sont renvoyés dans leurs dépôts. Le jour même, ils se réunissent spontanément, certains bloquent les accès de la fonderie et s’en prennent à un contremaître. Le 20, le Comité intercorporatif rassemble 2 000 à 4 000 personnes selon les sources, qui approuvent une déclaration contre la guerre et pour la grève, annonçant sans vergogne que seuls les syndicats conservent l’autorité nécessaire pour « dicter les grandes lignes de l’histoire nationale ». « Aucun doute, le mouvement aura lieu, nous avons tracé un schéma de marche, tout est arrêté d’avance. Est-ce que vous nous faites confiance ? (oui répond l’assemblée) (…) ». Ce même jour, Cauët est élu secrétaire général des Métaux et Daguerre secrétaire adjoint. « Nous seuls, les ouvriers, sommes comme nos camarades maximalistes russes, capables de faire un paix durable, c’est à dire une paix internationale ouvrière et non une paix capitaliste ».

47Le 8 février, après des altercations avec la maîtrise, une réunion se prolonge par une manifestation devant le domicile du directeur. On chante l’Internationale, on crie « Vive la grève ! » et on conspue le colonel… Le lendemain, 600 manifestants parcourent la ville et donnent des coups de pieds dans les portes de la fonderie. A l’intérieur, les ouvriers abandonnent « en majeure partie » le travail et se réunissent dans les cours. A l’atelier des Dardanelles, on chante l’Internationale à tue-tête devant la maîtrise impuissante. Le 10, un millier de salariés sont réunis à l’appel du Syndicat du personnel civil. Virmot « déplore les conduites faites aux chefs d’équipe ». Van Gysel, présent, approuve l’appel au calme : les ouvriers doivent « n’obéir qu’au mot d’ordre qui sera donné par les militants (… et) lorsque le mouvement sera déclenché, il ne cessera que lorsque tous nos camarades des tranchées seront revenus parmi nous ». Le préfet annonce une insurrection au ministre de l’Intérieur : « le parti révolutionnaire est en possession d’engins (grenades, bombes, armes…) »… tandis que se poursuit l’agitation : grève la nuit du 23 mars, visite d’Andrieu aux minoritaires du syndicat Lucain… Le 28 mars, Cauët annonce que le Syndicat des métaux envisage une nouvelle grève de 24 ou 48 heures pour le 1er Mai.

48Le 14 avril, une réunion du Syndicat du personnel civil rassemble 350 à 400 personnes sous la présidence de l’anarchiste Légeret. C’est un débat entre ce dernier et les deux dirigeants du syndicat, Lucain et Virmot, qui font écho à la conférence de Clermont-Ferrand de la CGT : obliger le gouvernement à faire connaître ses buts de guerre, imposer une conférence internationale et une paix rapide sans annexions ni indemnité. Mais Virmot « ne veut pas consentir à subir la botte allemande » et veut « avant tout une paix honorable et non paix à tout prix, si nous ne voulons pas perdre pour toujours les libertés que nous avons conquises ». Lucain se déclare « partisan de la paix comme tout le monde, mais pas d’une paix russe, pas d’une paix boiteuse à n’importe quel prix ; il veut une paix honorable pour la France et la République ». Pour Légeret « La guerre est un crime mondial, il ne faut plus de nationalités, plus de frontières (…) » ; il réclame « la cessation immédiate de la guerre par tous les moyens et la paix des peuples ». Pour finir, « A l’unanimité des 300 assistants moins 6 voix l’assemblée décide que la thèse des minoritaires [doit] être celle du Syndicat des établissements militaires ». En conséquence, il est décidé de chômer le 1er Mai, et de faire prendre la décision par référendum. Le résultat donne 800 voix pour contre 700 ; en conséquence de quoi Lucain, qui jusque là parlait d’infraction à la discipline syndicale, la CGT n’appelant pas au plan national, invite les membres du syndicat à chômer « en signe de protestation contre la guerre ».

49Le 1er Mai, 20 000 manifestants déferlent dans les rues de Bourges, aux cris de « A bas la guerre, vive la paix » et au chant de l’Internationale, drapeaux rouges en tête. La cavalerie permet l’accès aux ateliers des non grévistes, mais ne peut disperser la foule. Il y aurait environ un tiers de grévistes. Ambiance un peu trouble : au lieudit La Fourchette, un propriétaire dont le jardin aurait été saccagé tire et fait trois blessés. Le ministre décide la fermeture de l’Atelier de construction pour le 2 mai. Mais le 3, de violentes altercations opposent grévistes et non grévistes du 1er tandis qu’en ville s’élèvent des protestations. 17 arrestations ont eu lieu, 13 mobilisés, 2 civils et 2 femmes. 6 de ces personnes ont été laissées en liberté provisoire. Le général commandant la région demande le passage en conseil de guerre de plusieurs ouvriers et ouvrières, le renvoi de plusieurs autres. Ce sont leurs propos qui leur sont reprochés : « Il faudrait tirer sur les grands chefs et la guerre serait finie », « A bas la guerre », ou encore : « Viens ici, vieille vache », un outrage au gendarme ainsi interpellé ! Des ouvrières sont mises à pied par décision ministérielle et expulsées du logement qu’elles occupaient tandis que Cauët écrit au directeur pour s’étonner d’être épargné par la répression.

50Les événements se précipitent alors. La région parisienne connaît une floraison de grèves. Le congrès des minoritaires de la CGT s’annonce à Saint-Étienne et les deux syndicats y seront représentés. Le 16 mai, en application de la loi Mourier, 350 mobilisés sont renvoyés au front. Le soir, 1 500 à 2 000 ouvriers réunis à la Bourse du Travail répondent unanimement à Cauët qui leur demande de se solidariser avec les parisiens et « affirme à nouveau que la classe ouvrière fait grève pour obtenir la fin de la guerre. Bourges commence, mais demain il y aura la Nièvre, la Loire, et tous les centres ouvriers. Il conseille à ceux qui ont reçu leur feuille de route de ne pas rejoindre et annonce que demain matin on ne reprendra pas le travail ». C’est la grève, avec un « comité » ou « bureau » de grève – selon les sources – à sa tête. On annonce une grève illimitée jusqu’à ce que « le gouvernement entame les négociations de paix ». La commission administrative du Syndicat du personnel civil, pour sa part, vote ce même jour un chômage de 48 heures par 38 voix contre 4.

51Les événements du samedi 17 au mercredi 22 sanctionnent l’échec du mouvement, qui ne semble jamais entraîner plus de 2 000 grévistes. La troupe empêche les rassemblements sur la voie publique, les réunions se multiplient en ville, mais dès le 19 la Fédération des Métaux obtient un vote de reprise en assemblée générale, malgré « l’opposition d’un groupe important d’exaltés », vote confirmé le soir malgré les efforts de Légeret de retour du congrès de Saint-Étienne. Le 21 mai, à 11 heures, la permanence syndicale de la rue des Lauriers se transforme en réunion d’information où Cauët défend la décision des conseils des trois organisations de Bourges participant à l’action : la reprise du travail pour le mercredi 22 au matin. Cauët, Caillaux et Légeret doivent reconnaître que « ce n’est pas une poignée de grévistes qui peuvent mener la lutte ». Ils se heurtent cependant à beaucoup, notamment des jeunes et des femmes. La discussion se prolonge jusqu’à 20 heures, tumultueuse, et les 800 assistants se séparent sans décision. Un dernier meeting est dispersé par les autorités sans incidents le 22.

52Au total, une liste des ouvriers quittant alors les ateliers par mesure disciplinaire comprend 40 noms, dont Dalstein, Cauët, Brantus, Daguerre, Légeret... Le rapport de bilan du 23 mai annonce que seuls 20 rappelés sur 350 n’ont pas encore répondu à l’appel à cette date.

53Les mois qui suivent sont lourds. Un syndicat formé de démissionnaires des deux autres se donne pour objectif de défendre la liberté du travail. Le Comité intercorporatif disparaît. Les réunions se font rares et peu fréquentées. Le Syndicat des métaux peine à remplacer ses dirigeants. Van Gysel, redevenu secrétaire, invite Merrheim qui se voit reprocher « très amèrement » l’échec du mouvement : « Le syndicat de Bourges avait été complètement abandonné, mal renseigné par la fédération ». Dès l’automne, pourtant, le syndicat se réorganise. Le 14 novembre, 300 personnes réunies « célèbrent la fin de la guerre, et non pas la victoire ». Mais comme prévu le syndicat disparaît et Van Gysel appelle les adhérents demeurant dans les établissements à rejoindre le syndicat du cadre permanent qui pourra rassembler 800 personnes le 22. Lucain répond à ses détracteurs dans le Travailleur de l’État : « Nous avons à, Bourges, payé un assez large tribut aux événements (…). Pourquoi ? Parce qu’il y avait dans nos établissements un état d’esprit contre lequel il ne nous a pas été possible, alors que nous avions conscience de la catastrophe, de faire prévaloir notre point de vue. A quelle cause attribuer notre impuissance ? » Il n’en trouvera finalement qu’une : les gens ne viennent pas aux réunions syndicales poser les questions qui auraient pu l’être.

54A Tarbes sont rassemblés près de 1 400 ouvriers et ouvrières de la Guerre. Ici le basculement vers les positions pacifistes s’opère au sein du syndicat du personnel civil demeuré sans concurrence, avec un millier de membres en septembre 1915, de 7 000 à 7 600 en 1916 et 1917 : plus d’un salarié sur deux. Lorsque le secrétaire de 1915, Corbin, sera marginalisé par les plus radicaux, il ira créer un syndicat à Bagnères de Bigorre, puis se précipitera à l’annexe de Pau : « il n’est nullement besoin, devant les résultats obtenus, de se livrer à des manifestations » – trop tard : le retard du train de Corbin ayant laissé les ouvrières devant la porte de la salle de réunion fermée par la direction, elles sont allées chanter l’Internationale devant la préfecture ! Le syndicat jaune lancé par la direction ne parvient pas à enrayer la contestation, et fin 1917 600 ouvrières apprennent l’alignement des salaires de Pau sur ceux de Tarbes : une victoire, un peu tempérée par le licenciement de quatre manifestantes.

  • 22 Pour toute la guerre, 12 mort(e)s et 85 blessé(e)s selon Cl. Larronde.

55Le tournant du syndicat s’amorce dès la fin de 1916. Le 30 juin, le bureau rappelle encore que « Si le personnel a des droits auxquels les pouvoirs publics donneront satisfaction, il ne doit pas oublier qu’il a surtout, à l’heure actuelle, des devoirs impérieux à remplir » « Sic », ajoute le préfet dans sa lettre au ministre de l’Intérieur. Mais en face du secrétaire Corbin s’agitent des hommes notés comme « anarchistes » ou « libertaires » par les rapports de police : Simon, Dutiron, Vital... Or l’effervescence est grande. Entre 1 000 et 3 000 personnes selon les sources écoutent le député Pédebidou. Les accidents du travail entretiennent la tension22. La question qui exerce une constante pression à la grève est celle des salaires féminins. L’application de la loi Mourier semble faire passer les mobilisés du côté des femmes. Le 28 octobre 1917, Corbin doit partager le pouvoir avec Simon et les 1er et 4 novembre, deux réunions d’un millier de personnes, élisent au milieu d’un grand tumulte et de revendications salariales multipliées un nouveau bureau : Simon, secrétaire, Dutiron et Vital prennent les rênes. Corbin accepte cependant le poste de secrétaire adjoint. Ensemble ils temporisent d’abord, tentent de négocier, acceptent l’échéance fixée par Loucheur à fin janvier pour revoir les salaires... Le 22 février 1918, il n’est plus temps d’attendre. L’augmentation espérée n’est pas venue, et l’exigence d’un franc par jour se heurte à un refus du directeur : les ouvrières de la 6e division cessent le travail vers 17 heures, attendent dans la rue l’équipe de nuit qui se joint à la grève, entraînent un « petit nombre d’autres ouvrières », et une manifestation parcourt l’arsenal aux cris de « A bas la guerre, vive la paix, rendez nous nos poilus ! ». Selon le commissaire spécial, l’on chante « l’Internationale, la Marseillaise, le « Pinard » [?], et d’autres chansons qui sont inconnues », et l’on injurie officiers et surveillants. Aucun homme ne participe à cette révolte, mais les femmes « paraissent surexcitées », improvisent des drapeaux avec des mouchoirs, donnent « une sarabande » devant les bureaux de la direction, tentent d’en enfoncer les portes, et deux surveillants sont « violentés ». En tête, « de jeunes ouvrières (…) particulièrement violentes ».

56La direction reçoit les délégués, obtient que l’on rejoigne les lieux de travail des ouvrières, leur paie la nuit à condition qu’elles cessent de manifester. Celles de Tarbes rentrent chez elles, mais celles de Lourdes ou de Bagnères passent la nuit à l’arsenal. Toutes se retrouvent à 6 h 30 devant des portes fermées et gardées. Dutiron les entraîne à la Bourse du Travail. 200 personnes parcourent ensuite la ville, vont injurier chez lui le chef de la division, se rendent à la préfecture, puis font le tour des casernes « dans le but de se faire approuver par les militaires(…) ». De retour à la Bourse à 17 h, elles apprennent que le ministre subordonne l’examen des revendications à la reprise du travail. Elles refusent, retournent à l’arsenal tenter d’entraîner de nouveaux grévistes, sans succès. Le lendemain 24 février, elles ne sont plus que 50 à entendre le compte rendu de Simon, de retour de Paris. Ce dernier les engage à reprendre le travail. Nouveau refus. Le 25 au matin, elles tentent de s’adresser aux ouvrières dès leur arrivée à la gare. Mais les gendarmes les en empêchent, et les dispersent.

57Une nouvelle réunion à la Bourse du Travail est présidée à 16h par Mlle Henry, et rassemble 400 personnes selon le préfet, 700 selon le commissaire. Elle reçoit la visite de Pichon, ancien secrétaire du syndicat, pour l’heure secrétaire de la Bourse. Venu les mettre en garde contre lui, Corbin est expulsé. Simon fait le compte rendu de son voyage à Paris et de la négociation qu’il a menée avec le ministre, tout en gardant le contact par téléphone avec les ouvrières : « Tout ce que j’ai pu obtenir, c’est (…) une indemnité de cherté de vie de 1 ou 2 francs par jour ». La Bourse a contacté le commandant de l’arsenal et vérifié auprès de lui le devis qui pourrait être la base de reprise du travail. Tout compris, cela ferait 8,50 F par jour. Les revendications sont ainsi rédigées, et Mlle Henry se fait applaudir en les annonçant : la journée à 8,50 F minimum, 1 F d’indemnité de vie chère, le renvoi du commandant Crispe, chef d’atelier, la reprise collective du travail sans aucune sanction. En fait, elles devront faire une demande individuelle, ce qui permet de compter 1 200 demandes sur 1 900 ouvrières de la 6e division. Pichon et Simon obtiennent le vote de la reprise du travail, ce dernier en menaçant de ne plus intervenir en leur faveur. C’est une belle victoire, après un mouvement qui semble avoir mobilisé bien plus que les seules participantes aux manifestations les plus violentes.

58Les dirigeants radicalisent ensuite le discours. Le 3 mars, Simon : « Nous sommes des moutons qui nous laissons mener avec des triques. Si nous nous laissons faire, ils nous mèneront tous à la boucherie. Donc, la paix à tout prix ». Le préfet l’informe en retour qu’il doit demander une autorisation avant de tenir réunion, et s’engager à ne pas traiter de questions autres que corporatives et professionnelles. Pourtant, défaillance des sources ou prudence des militants, nous n’avons pas trace de l’activité au mois de mai. Il faut attendre le 2 juillet pour qu’un rapport mentionne une réunion tenue à la Bourse du Travail, à l’instigation notamment de Dutiron, Simon, Vital et d’un certain Laplane. Des représentants de plusieurs entreprises de la ville, de l’Union locale de Bagnères, de l’Union départementale, décident d’envoyer deux délégués à un congrès national prévu à Versailles en vue de réclamer la paix à tout prix. Mais l’attitude du pouvoir a maintenant changé et, malgré une réunion de 250 personnes et une manifestation à la préfecture, Simon, Dutiron et Vital sont renvoyés à leur dépôt le 1er août. Le 11, il faut réorganiser le syndicat. A la Bourse du Travail, il y a 60 présents dont 8 à 10 femmes. Seules des réponses « nébuleuses » ont été obtenues de Berlier et Jouhaux à propos des départs de Simon, Dutiron et Vital. Le seul militant acceptant le poste de président pose une condition : que l’on ne parle ni de la guerre ni de politique dans les réunions. Il s’efforcera pourtant de démasquer les mouchards qui ont « desservi les camarades ».

59Toulouse est touchée par les grèves en mai 1917. A Rennes le 3mai 1918, 400 ouvriers et ouvrières en réunion décident d’envoyer le secrétaire du syndicat, Lacaille, avec une délégation auprès du ministre de l’Armement. Cela semble notamment provoqué par une réduction du salaire de certaines ouvrières que l’on a changé de poste. Le 6, les ouvriers et surtout les ouvrières estiment que l’offensive ayant repris, et avec elle la production, c’est le moment de revendiquer. « D’après des indications sérieuses, le mouvement serait déclenché par les ouvrières sur l’instigation d’un syndicat qui agit dans l’ombre et pourrait se tenir à l’écart. Une certaine agitation commence à se manifester dans les ateliers de La Courrouze, annexe de l’arsenal (…) ». La délégation envoyée revient de Paris en annonçant l’augmentation des salaires, mais les ouvrières de La Courrouze ne sont « jamais satisfaites ». Pendant l’été, la grève se déclare pour une indemnité de vie chère.

60Tulle et Châtellerault semblent plus calmes. Pour cette dernière ville, les sources sont très lacunaires. C’est par le dossier concernant Bourges que l’on apprend que lors d’une réunion des syndiqués des Métaux de la fonderie, le 16 février 1917, on lit une lettre de Prost, secrétaire des mécaniciens de la Seine, qui annonce qu’à Châtellerault « règne le même état d’esprit et qu’un Syndicat des métaux se dressera bientôt en face du Syndicat de la Guerre ». Cette prévision s’est-elle réalisée ?

61A Tulle, on ne note aucune grève importante pendant la guerre. La seule réunion assez nombreuse pour avoir laissé une trace se tient le 22 juin 1918, et rassemble dans les locaux de la Ruche Rouge, à l’initiative du parti socialiste, environ 2 000 personnes, pour la plupart ouvriers des usines d’armement, qui entendent des discours pacifistes et antimilitaristes. Il est trop tard, à cette date, pour participer au mouvement qui a touché Paris, la Loire et le Cher. Mais cette évolution du parti socialiste est significative en elle-même. Le 16 décembre 1917, Le Radical de la Corrèze annonce que « la gendarmerie a arrêté et conduit à Limoges deux ouvriers mobilisés à la Manufacture d’Armes de Tulle, nommés Charles Helfer (31 ans) et André Viart (29 ans), inculpés de propos défaitistes et d’excitation de militaires à la désobéissance ». Un rapport de police signale de plus qu’un tract a été trouvé au lendemain de l’arrestation de 2 ouvriers de la MAT « pour provocation de militaires à la désobéissance ». « Ce tract pourrait être une manifestation de quelques camarades de ces ouvriers, syndicalistes de la Ruche Rouge, Bourse du Travail indépendante de Tulle, affiliée à la CGT. Ces quelques camarades auraient eu à un moment l’intention de faire paraître un ordre du jour protestant contre l’arrestation de ces 2 ouvriers ». Il s’agit du papillon représenté en tête de ce chapitre. Helfer a été délégué lors d’un congrès fédéral à Paris, il est en 1917 secrétaire du « Comité d’action » créé par les organisations ouvrières de Tulle avec l’approbation du directeur pour répartir les denrées réquisitionnées. Le syndicat dément l’implication antimilitariste de son responsable et augmente la cotisation des adhérents pour venir en aide aux familles des emprisonnés. Le Travailleur de l’État annonce néanmoins l’inculpation des deux militants.

  • 23 Léon Bossavy (1881-1959) représentera le syndicat de Tulle à une conférence fédérale de la CGT, déb (...)
  • 24 Xavier Badefort, op. cit.

62Le 10 juin 1918, une perquisition est effectuée chez Paul Reliaud, limeur mobilisé à la manufacture. Une brochure des époux Mayoux, « Notre affaire », est saisie, ainsi que des tracts et divers matériels de propagande. Sont également impliqués par le juge une vingtaine d’ouvriers de la manufacture, dont Bossavy, ouvrier mobilisé et néanmoins secrétaire de la section du parti socialiste de Tulle23. Reliaud affirme être socialiste mais de tendance majoritaire. Malheureusement pour lui, sa feuille d’adhésion à la section de Tulle comprend des « déclarations de principes » datées du 12 août 1917 : « Les membres de la section, étant républicains, communistes et internationalistes (…) doivent considérer la paix internationale comme la condition essentielle et première de l’éclosion progressive et irrésistible de la société future : aussi le capitalisme et le militarisme doivent-ils être leurs plus directs ennemis ». Le basculement à gauche s’est opéré ici aussi24. Il sera d’ailleurs confirmé par l’adhésion à la troisième Internationale, dès 1920, de Léon Bossavy et d’Etienne Chambas, dont on retrouve ainsi la trace. L’un et l’autre seront candidats sur des listes communistes à diverses élections. Par delà les vicissitudes de la démobilisation, le basculement va s’inscrire dans la durée.

63Le 11 novembre 1918 entérine en réalité l’épuisement de tous les belligérants européens. La génération militante qui s’est constituée dans cet affrontement, tout spécialement les plus jeunes, au contact des éléments révolutionnaires restés pacifistes en 1914, s’est unifiée et forgée contre la République qui, littéralement, les menace de mort. C’est en France un fait totalement nouveau.

Les grandes illusions contradictoires

64D’un côté la disparition du ministère de l’Armement s’accompagne de dispositions qui semblent organiser un retour à la normale. De l’autre la génération militante issue de la Grande Guerre prépare la révolution. Du conflit de ces deux illusions naissent des malentendus et une certaine désorientation annonciatrice des faiblesses et des reclassements à venir.

65Un décret du 26 novembre 1918 fait de Loucheur le ministre de la Reconstitution industrielle. Les établissements de l’État sont mis à contribution. Roanne construit des logements et répare le matériel des chemins de fer de l’État. Tulle usine du matériel ferroviaire, des cardans, des pièces et des bâtis pour Japy, de l’outillage. Sortent des ateliers de Tarbes des wagons, des tombereaux, des machines à couper le tabac, de l’outillage, de la quincaillerie, des fraiseuses et des affûteuses, du mobilier métallique… Néanmoins, les établissements militaires ont vocation à retourner au ministère de la Guerre.

66Tenant compte de la frustration des syndicalistes dont le projet n’a pas été pris en compte, et surtout de la volonté de contrôle budgétaire des parlementaires, le décret du 6 novembre 1919 établit des conseils dans « chaque établissement constructeur de l’Artillerie constituant une même gestion collective ». Ils sont présidés par le directeur ou un représentant du ministre et « ont pour mission essentielle de rechercher et de mettre au point tous les perfectionnements et améliorations (…), principalement en ce qui concerne la qualité des produits, le rendement, le prix de revient des objets autres que ceux qui font l’objet de certaines commandes du ministre de la Guerre pour lesquelles les études sont réservées (…) au seul personnel de direction ». Ils ont accès à toutes informations nécessaires, y compris les justificatifs des dépenses, et examinent un rapport annuel établi par le directeur appuyé d’un bilan et d’un compte des profits et pertes, présentant les améliorations tant sur les prix de revient que sur le personnel, les services d’hygiène et d’assistance… Un conseil central est institué, sous la présidence du ministre. Les élus du personnel sont bien sûr minoritaires dans les conseils et la direction conserve son entier pouvoir de décision. C’est d’ailleurs elle qui convoque, ce qu’en général elle cessera très rapidement de faire ! De toutes façons les syndicalistes jugeront inutiles ces réunions qui les cantonnent dans un rôle de spectateurs.

67Au bout du compte, le service des fabrications est toujours sous l’autorité du ministre de la Guerre, la direction de l’Artillerie restant en même temps direction industrielle. C’est à cette incohérence que répond la création de la Direction des fabrications d’armements par le décret du 29 avril 1933. Les considérants renvoient à l’exigence d’un service des fabrications « puissamment organisé », et à la nécessité qu’il soit « entièrement distinct, ayant dans le cadre de l’organisation générale des armées, la même autonomie qu’ont les autres services (…) ». Les missions de la DFA sont la fabrication, les commandes au privé, les réparations et la préparation de la mobilisation industrielle. Elle comprend ainsi les établissements constructeurs et les établissements de recherche, l’Artillerie conservant les parcs, les entrepôts, les commissions de réception et d’expérimentation, les écoles spécialisées. Elle est bientôt dotée d’une comptabilité industrielle. Cette réorganisation va de pair avec celle de l’Inspection. Le décret du 6 juin 1933 institue les postes d’inspecteur de l’Armement de l’Armée, de la Mobilisation industrielle, et des Fabrications d’armement.

68Enfin la loi du 3 juillet 1935 confie à ce qui devient la « Direction des Etudes et Fabrications d’Armement » les recherches, études et expériences techniques demandées par l’État-major et la réalisation dans ses établissements, la mise en commande et la surveillance dans l’industrie privée des études et fabrications d’armement. L’article 3 place clairement le nouvel organisme sous les directives de l’État-major qui a l’initiative des études et recherches et fixe les conditions d’exécution des programmes de fabrications.

  • 25 André Dufoux, « Le rôle de la DEFA dans le renouveau de l’armement terrestre entre 1950 et 1958 », (...)

69La DEFA reste sous l’autorité du ministre de la Guerre, qui conserve le pouvoir de négociation avec les représentants des personnels. Cette structure indépendante enregistre par conséquent les leçons de la guerre : l’armement est un problème industriel distinct de la conduite des opérations militaires25. L’entrecroisement des autorités laisse pourtant place à des arbitrages qui ne sont pas toujours faciles. Bref, une réorganisation purement technique, loin des urgences que l’on ne veut pas voir revenir.

70L’illusion du retour à la normale se heurte pourtant à celle de l’imminence d’un changement de régime, voire d’époque.

  • 26 Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, Points, Seuil, Paris, 1986, 321 p.
    – H. Berr (...)

71La nouvelle génération militante est celle que G. Noiriel signale comme singulière, celle des expériences d’un siècle26. Voilin, délégué de la Seine au congrès de Tours, retrouve son siège de député en 1924, avant de devenir sénateur de 1927 à 1935. Il reste maire de Puteaux et semble rassembler la gauche sur son nom malgré une évolution qui le fait présenter comme communiste en 1920, puis adhérer au groupe socialiste à la Chambre. Unitaire et franc-maçon il n’aura pas trouvé a place au parti communiste. Léon Gervaise demande son remplacement à la tête de l’Union fédérative et un homme de la Guerre, Muliez, lui succède. A la Fédération du personnel civil, qui s’installe à Paris, la succession de Berlier est moins indolore. Le « vieux camarade », comme l’appelle le journal fédéral, est accusé de l’échec des de grèves de 1920 par les militants de la Loire. Son remplaçant, Louis Blot, est « un homme d’énergie (...) qui a montré qu’il était de son temps et à la hauteur des événements ». En 1928, Berlier apparaît comme secrétaire de la Fédération « confédérée » des retraités.

72La scission qui sépare en 1921, au congrès de Lille, la CGT « confédérée » de la CGT « unitaire » héritée des Comités syndicalistes révolutionnaires s’appuie ici sur les structures préexistantes. L’Union fédérative donne naissance le 8 janvier 1922 à la Fédération des travailleurs de l’État de France et des colonies, qui milite pour l’uniformisation des statuts de l’ensemble des salariés de l’État qui composent ses différentes sections fédérales. Elle conserve Muliez et Le Travailleur de l’État. Le congrès de la Fédération de la Guerre vote par 5 000 voix contre 520 l’adhésion à la CGTU et le 22 mars 1922 sont déposés les statuts de la Fédération unitaire des établissements militaires, qui édite La Tribune fédérale en partenariat avec les autres fédérations unitaires des travailleurs de l’État. Un cartel unitaire des services publics est en même temps constitué pour tenter de maintenir des ponts avec la Fédération des fonctionnaires qui a choisi l’autonomie. Les minoritaires du congrès de 1922 restent à la nouvelle fédération, mais des adhérents rejoignent les confédérés, dont L. Blot. Le secrétaire général est maintenant un tourneur, Trilleau, remplacé en 1923 par un ajusteur de Vincennes, Graulier.

73La Fédération unitaire regroupe 12 syndicats à sa fondation. L’Humanité lui accorde en 1924 8 000 adhérents et 27 syndicats. La Fédération confédérée regroupe plus de 20 000 adhérents de toutes professions, et la Section de la Guerre que dirige Jules Sourbet compterait selon Le Peuple de mai 1923 une quarantaine de syndicats. Les résultats des élections à la commission mixte consultative donnent une idée des rapports de forces et de leur évolution. En septembre 1923, sur 17 824 inscrits et 11 415 votants, Graulier, de la Fédération unitaire, obtient 6 678 voix contre 3 963 à Masson pour les confédérés. Or le rapport des forces s’inverse dès 1925. Il y a alors 3 scrutins :

– Première commission

CGT

4 716

CGTU

5 581

– Seconde commission

CGT

4 696

CGTU

2 536

– Élu ouvrier consultatif pour tous les établissements

CGT

9 277

CGTU

7 993

74La Fédération confédérée ne perdra plus la majorité dans les élections nationales. Si l’on s’en tient à une déclaration de Graulier à Versailles en 1927, la « la Fédération unitaire, par tous les moyens, même les plus énergiques, défend les revendications (…) » et les militants confédérés « se sont fait les commissaires de l’administration et ont accepté de constituer chez les travailleurs de l’État un syndicalisme de gouvernement ». En pratique, les confédérés ont reconstitué un groupe parlementaire, mais les unitaires entretiennent des relations avec quelques sénateurs et députés. Quand les premiers boycottent les élections aux conseils d’établissements de Paris, les seconds s’y font élire sans vergogne. Bien sûr chacun a ses symboles : le sou du soldat d’un côté, ou le refus de l’impôt sur les salaires – qui « ne sont pas un revenu », et de l’autre, les 21 jours de congés ou la titularisation des non titulaires – tropisme du modèle des fonctionnaires.

  • 27 DBMOF, op. cit.

75Dans les établissements quelques révocations et un bilan conflictuel après le soutien à la grève malheureuse des cheminots en 1920 n’empêchent pas le renouvellement des cadres ni l’envolée des unitaires et du PC (SFIC). Le syndicat de Roanne, déclaré le 8 juillet 1917, est tout entier unitaire en 1921 ; en son sein, la montée en puissance du parti communiste doit beaucoup aux trois frères Thévenoux, Jean-Marie, Marcel et Marius. Militants communistes et animateurs du syndicat unitaire, tous les trois connaîtront des révocations, définitives ou non. Marius Thévenoux (1er novembre 1898-28 mai 1976) est le pilier de la fratrie, il a milité en région parisienne, notamment chez Hotchkiss, et n’est entré à l’arsenal qu’en 1921. Il anime à la fois la coopérative « La Solidarité », l’ARAC, le parti et le syndicat. Il insiste au sein de ce dernier pour faire reparaître Le Travailleur de l’Arsenal que les syndicalistes révolutionnaires avaient abandonné. Il devient en 1924 secrétaire d’un syndicat de 200 adhérents. Il alterne cette responsabilité avec diverses missions de portée nationale de 1934 à 1946. C’est avec la délégation de la fédération des coopérateurs qu’il fait en 1935 le voyage de Moscou. Il sera deux fois secrétaire de la Fédération des travailleurs de l’État, en 1938 et 1939 et comme adjoint en 1946. Le 4 janvier 1926, le syndicat unitaire est toujours le seul à l’arsenal, avec 645 adhérents27.

  • 28 Voir :
    – Daniel Colson, Anarcho-syndicalisme et communisme, Saint-Etienne, 1920-1925, Université de (...)

76A Saint-Étienne aussi, lors des conflits de 1920, la police s’inquiète de l’intransigeance d’une amicale du personnel qui prend ses distances avec la Bourse du travail28. Mais Lebraly semble réussir à rallier les dissidents. Au syndicat des employés, dont la Fédération reste fixée à Bourges, c’est une tendance modérée qui l’emporte avec l’élection au secrétariat d’Emonet en octobre 1921. L’on se proclame alors d’une « neutralité absolue » dans le conflit qui oppose les deux tendances. En 1922, le syndicat ouvrier rejoint la CGTU avec son millier d’adhérents. Ses dirigeants accompagnent dans un premier temps les initiateurs un peu particuliers du parti communiste stéphanois, une alliance d’élus municipaux, Ferdinand Faure et Ernest Lafont, de syndicalistes anarchisants, de simples lecteurs de La Vague. Javelle, secrétaire du syndicat, et Jurine participent précocement aux réunions du parti. Mais dès 1922, en désaccord avec la dépendance politique du syndicat, de nombreux anarchistes quittent le parti communiste ainsi qu’une moitié de ses effectifs départementaux. Lorsqu’en janvier 1923 Faure et Lafont sont exclus, ils forment un « Parti unitaire communiste », plus tard « Union socialiste et communiste », auquel adhèrent tant Jurine que Lebraly.

77C’est à Saint-Étienne que se tient le congrès de fondation de la CGTU en 1922. Mais il consacre une première rupture de l’Union départementale dont le congrès suivant affirme : « Rejetant toute liaison organique avec les groupements philosophiques ou politiques, (…), l’UD pourra conclure des ententes librement consenties (…) avec les autres forces révolutionnaires du département (…) En conséquence l’UD, face à la décision de congrès de Saint-Étienne d’adhérer à l’ISR, déclare que tout en restant disciplinée, elle se fixera dans l’opposition au sein de la CGTU (…) ».Contre cette opposition, le parti communiste s’organise avec rigueur sous la houlette du jeune Benoit Frachon. Un militant de la MAS venu des Métaux, Lemaire, encadre des « conseils syndicaux » communistes, qui « seront une arme pour pénétrer les syndicats et empêcher l’œuvre anticommuniste du Comité de défense syndicaliste et du groupement des syndicalistes révolutionnaires ». Novembre 1924 voit le renversement de la majorité de l’UD unitaire. C’est M. Thévenoux qui a mené le débat au congrès, mais c’est Frachon qui prend les rênes. Les syndicalistes révolutionnaires Lorduron, secrétaire de l’UD, et son adjoint Porte, ce dernier ouvrier à la MAS, sont expulsés de la direction.

78Toutefois, vers 1925, la cellule d’entreprise de la MAS reste squelettique. L’homme nouveau, c’est son secrétaire Barthélémy Ramier, renvoyé au front en 1918, cofondateur du PC, secrétaire adjoint du syndicat unitaire en 1926. Il est surtout secrétaire du comité régional du PC en 1929, entre au Comité central en 1932, devient adjoint au maire en 1935, et fait alors le voyage de Moscou à l’invitation du soviet de cette ville. Enfin, le député Tranchant contribue très directement à l’organisation des cellules d’entreprises.

  • 29 « L’Empereur » Lucain finira par quitter les établissements militaires (DBMOF, op. cit.).

79A Bourges, Lucain est accusé en décembre 1919 par la section berruyère de la SFIO, pour avoir contredit publiquement Laudier à propos de l’intervention en Russie des armées alliées, « de pratiquer une basse besogne de division dans le parti à l’occasion des élections municipales comme il l’avait fait pour les élections législatives ». Il est exclu de la SFIO le 4 décembre, et l’on demande au syndicat de l’exclure aussi. L’UD et la Bourse soutiennent cette demande, acceptée finalement par une assemblée générale qui rassemble 500 personnes le 14 décembre29. Le nouveau bureau conserve Virmot comme secrétaire général, mais les adjoints sont deux hommes nouveaux, dont Venise Gosnat. Ce dernier est né le 3 novembre 1887. Entré à la CGT en 1907, à la SFIO et aux établissements militaires en 1911, mobilisé quelques mois en 1914, renvoyé au front le 15 mai 1915, il y fait circuler La Vague. En 1919, c’est clairement comme porte parole de la minorité révolutionnaire qu’il entre au secrétariat du syndicat. En 1921, il devient secrétaire général avec deux adjoints comme lui membres du conseil de la Fédération communiste du Cher. En janvier 1921, les révolutionnaires conquièrent l’Union départementale par un vote sur une motion présentée en commun par Gosnat et... Légeret. La scission syndicale, ici, sera simple.

  • 30 A. Renoux, op. cit.

80Dans le débat préparatoire au congrès de Tours de la SFIO, deux courants recueillent les suffrages des militants des établissements de la Guerre : les partisans de l’adhésion sans réserves à l’Internationale Communiste (Gosnat, Baraton…) et les longuettistes, partisans d’une nouvelle internationale, mais pas aux conditions posées par les Russes (Virmot, Chantelat…). Or, tous adhèrent finalement au parti communiste une fois celui-ci constitué, Virmot expliquant clairement son intention de suivre « ce courant irrésistible pour mieux le guider ». L’ex-majoritaire Virmot se retrouve donc avec l’anarchiste Légeret. Il n’est dès lors guère étonnant que les ouvriers des établissements militaires fournissent les principaux cadres communistes du Cher. Virmot et un autre militant des arsenaux sont trésorier et secrétaire du rayon communiste de Bourges. En 1925, la cellule de l’école de Pyrotechnie compterait 121 adhérents, celle de l’Atelier de construction une cinquantaine. Le bulletin réalisé par la première, L’Eclaireur Rouge, tiré à 2 000 exemplaires, défend les revendications, dénonce les chefs, rend compte des échanges avec une usine soviétique…30.

81Le Syndicat des établissements militaires adhère évidemment à la CGTU. Il regroupe selon A. Renoux 2 000 adhérents en 1922, 2 620 en 1927. Un petit syndicat confédéré créé par un conseiller municipal, lui même brièvement communiste, ne regroupe que quelques dizaines d’adhérents au départ. Toutefois, pour l’année 1925, un rapport de police donne environ 1 500 adhérents à la CGTU, contre 367 à la CGT. Lors de l’élection à la commission mixte, les unitaires remportent ici 2 195 voix, les confédérés 348. Le syndicat unitaire pourra se permettre en octobre 1925 d’appeler à ne plus exécuter les commandes de munitions pour la guerre du Rif. Quand à la suite d’une déclaration jugée provocatrice lors d’une manifestation V. Gosnat est révoqué le 30 juillet 1922, les ouvriers s’assemblent dans la cour de la « maison du peuple » et vont porter un ordre du jour à la direction, à la mairie et à la préfecture, dans un silence total, encadrés d’un service d’ordre repérable à ses brassards rouges. L’administration cède et Gosnat rentre avec sa famille par la grande porte des ateliers, avant d’entraîner les manifestants qui l’accompagnent à travers les rues de la ville. Mais il quitte finalement les arsenaux et la ville de Bourges pour devenir permanent syndical à Paris.

  • 31 Membre du Comité Central de 1929 à 1945, du Bureau Politique de 1929 à 1930 (DBMOF).

82Cette puissance prend parfois des allures sectaires. Gaston Cornavin (1894-1945)31 est élu par surprise aux législatives de 1924, alors qu’il n’était pas en tête de la liste du bloc ouvrier et paysan : les ouvriers des établissements militaires auront rayé la tête de liste pour le faire élire. Lorsque Virmot est évincé de la candidature par un non ouvrier de l’État, F. Boin, qui est élu, ce dernier est victime d’une campagne de diffamation puis exclu du parti. Ainsi, les militants de l’arsenal maintiennent-ils une sorte de monopole du communisme : le bastion est exclusif, peut-être à cause d’un héritage incertain : Virmot était « social-démocrate » pendant la guerre – Boin le lui reproche encore après son exclusion. Cornavin et Gosnat n’étaient pas au premier plan, Cherrier était trop jeune…

83A Tarbes, il ne reste guère que 2 000 personnes à l’arsenal en juillet 1919. Vital et Dutiron se retrouvent côte à côte avec Corbin et Pichon pour relancer l’organisation. Vital est mentionné en mars 1922 comme « un des chefs du parti communiste de Tarbes », par ailleurs à cette date secrétaire du Syndicat de l’arsenal et de la Bourse du Travail ; une douzaine de noms de militants de l’arsenal sont cités parmi les communistes repérés dès 1921, dont Aspe, « secrétaire du groupe tarbais », et Aveille, secrétaire général de la fédération départementale. Plusieurs écrivent dans le journal du parti : L’Eglantine.

84A Châtellerault le parti communiste n’aura pas une influence comparable. Candidat communiste aux élections législatives de 1928, 1932 et 1936, le modeleur Giraudeau, ouvrier de l’État, voit osciller son score entre 4,6 % et 9,6 % des voix. Dans l’immédiat après guerre, la confusion est extrême. Au moment de la déclaration de la Fédération unitaire, aucun syndicat n’est mentionné pour Châtellerault. Mais le comité de défense syndicaliste se constitue en syndicat le 27 octobre 1922 et, en décembre 2 listes sont en présence pour l’élection du conseil d’établissement, où les confédérés l’emportent nettement. Audinet est le candidat unitaire battu. Toutefois, les deux unions locales créent un comité d’entente qui permet de préserver l’unité des syndicats de chaque corporation, dont celui de la manufacture, fort de 800 à 900 adhérents sur environ 1 200 ouvriers. Or, il semble que la cellule communiste de la manufacture parviennent à influencer, voire à diriger ce syndicat, notamment par la présence au Conseil d’administration d’une nette majorité de sympathisants ou de militants de son bord. Cela n’empêche nullement les pratiques d’influence auprès des parlementaires et du ministère de continuer, notamment sous l’égide de Giraudeau, délégué en 1925 au congrès de la Fédération confédérée bien que leader communiste.

  • 32 A. Guasson, Heures maudites, journal de route d’un soldat de la guerre 1914-1918, Librairie du Trav (...)

85A Tulle, l’existence précoce et durable d’un syndicat confédéré est attestée. Néanmoins en 1920, la totalité de la Fédération socialiste de la Corrèze adhère au parti communiste. Or, on connaît le poids décisif des militants de la manufacture dans celle-ci. Un homme fait à cette époque le lien entre l’action syndicale et le mouvement communiste : Antoine Guasson. Né à Tulle en 1889, il n’est entré comme ajusteur à la manufacture qu’après avoir été blessé sur le front en 1915. Il a d’ailleurs écrit un ouvrage pacifiste32. Il entre au parti socialiste en 1912 et devient communiste en 1920, secrétaire du syndicat unitaire de la manufacture en 1921, puis membre de la commission exécutive fédérale. Il est par ailleurs secrétaire de la Bourse du Travail à partir de 1930. Il sera conseiller municipal de 1945 à 1959. Cependant, la tradition syndicaliste révolutionnaire n’a pas disparu de la manufacture : Chambas et Bossavy, l’un et l’autre communistes, la perpétuent, et surtout elle s’exprime à l’intérieur de la CGTU.

86Enfin, il faut mentionner l’accession au poste de secrétaire du syndicat de l’arsenal de Puteaux de Pierre Dadot, trésorier adjoint du premier bureau fédéral unitaire et futur député communiste du Front populaire.

87L’effort de l’Internationale communiste pour « bolcheviser » le PC et contrôler la CGTU fait surgir très vite un clivage majeur entre ceux qui conservent les principes du syndicalisme révolutionnaire et ceux qui ont rompu tout lien avec ce passé, d’un côté les anarchistes, blanquistes, ou proches de l’Union socialiste communiste, de l’autre en majorité des hommes nouveaux, pour qui l’adhésion au communisme est la première, à la fois en importance et dans le cycle de leur vie militante. La rupture entre les deux courants ramène précocement à la CGT un grand nombre des premiers, relativisant du même coup leur poids au sein du parti communiste, auquel ils continuent parfois d’adhérer. En 1924 est mis en place un « Comité mixte » composé de quatre membres du Bureau politique du PC et de quatre membres du bureau confédéral de la CGTU. Ces derniers entrent à leur tour au Bureau politique. La machine est en marche, qui aboutira en 1929 à la reconnaissance officielle du rôle dirigeant du parti par une motion soumise au congrès confédéral unitaire. Dès lors, les dirigeants communistes organisent directement à la fois l’intervention communiste à l’entreprise et le mouvement syndical unitaire : apparaissent alors les tracts à double entête. Ils sont, en quelque sorte, enfin seuls !

88A Saint-Étienne, Antonin Porte, secrétaire du syndicat unitaire de la MAS, du CSR et du Comité des marins de la Mer Noire est le principal animateur de l’opposition interne à la CGTU, qui se réunit souvent depuis 1924. Le 1er septembre 1925 est déclaré le « Syndicat général des ouvriers civils de la Manufacture d’armes de Saint-Etienne », dont le siège est à la Bourse du Travail, et qui adhère à la Fédération confédérée et à sa section de la guerre. L’article 2 des statuts stipule que « le syndicat n’adhère à aucune organisation politique et ne participera à aucun congrès politique, chacun de ses membres restant, à cet égard, libre de faire individuellement ce qui lui convient. Toutefois aucun fonctionnaire du syndicat ne devra se servir de son titre en dehors du syndicat et de la propagande syndicale ». Le secrétaire est le tourneur Louis Picon, Porte est archiviste. L’organisation revendique 368 adhérents dont 280 hommes et 88 femmes. La même année 1925, le syndicat unitaire dirigé par son secrétaire Gaucher déclare 540 adhérents dont 500 hommes et 40 femmes. Porte n’en restera pas là. Au début de la décennie suivante, on le retrouve tenant une réunion de propagande à Saint-Étienne en compagnie du nouveau secrétaire fédéral confédéré, Jules Sourbet. Il est ensuite mentionné par Le Travailleur de l’État comme secrétaire de la section fédérale de l’Artillerie. La CGT confédérée reçoit de plus, en 1927, l’adhésion du syndicat des employés, qui suit en cela l’attitude de la Fédération des fonctionnaires.

  • 33 A. Renoux, op. cit.

89A Roanne M. Barras note en 1926 la présence de deux organisations syndicales. Un rapport de police de 1934 indique que le syndicat de Marius Thévenoux reste largement dominant avec ses 375 adhérents déclarés, mais se trouve en face de nombreux syndicats confédérés : le Syndicat confédéré de l’ARE revendique 290 adhérents, avec Michelat, ex unitaire, pour secrétaire ; c’est une scission de la CGTU puisqu’en janvier elle revendiquait 645 adhérents ; le Syndicat des agents de maîtrise, créé le 1er janvier 1928, rassemble 57 adhérents en 1934, et celui des agents administratifs créé le 3 décembre 1927 en réunit alors une vingtaine. A Bourges, où vers 1930 les cellules communistes des établissements ne regroupent plus qu’une cinquantaine d’adhérents, et guère plus de 10 participants aux réunions, si la CGTU obtient encore 1 800 suffrages lors de l’élection à la commission mixte de 1931, les confédérés en attirent tout de même 500. La démobilisation est telle qu’une réunion commune des deux cellules, le 23 septembre 1931, voit s’affronter Virmot et Buvat qui défendent l’entrée dans la CGT confédérée pour en prendre la direction et ceux qui comme M. Cherrier, dirigeant de la cellule no 1 et responsable communiste régional, maintiennent des conditions préalables à l’unité… claquements de portes33.

  • 34 Jean Estorges ne doit pas être confondu avec un homonyme plus jeune qui restera comme martyr de la (...)

90Le 11 septembre 1929, la salle de l’Université populaire de Tulle retentit du « vacarme » et des « invectives » de l’assemblée générale unitaire. Le secrétaire général, Jean Estorges34, annonce d’emblée que le bureau de la CGTU a décidé que les syndicats unitaires seraient dirigés par le parti communiste et que, si l’assemblée adopte ce point de vue, il sera démissionnaire. Il est soutenu par 3 autres militants, et combattu par deux communistes, dont Guasson, qui a pourtant été élu délégué au congrès, avant le débat sur le fond ! Estorges est accusé de réformisme, ses contradicteurs d’avoir un jour déjeuné chez le député et ancien ministre radical Queuille. La réunion se termine dans le tumulte, sans décision, mais, le lendemain, Jean Estorges fait circuler une pétition dans les ateliers auprès des participants à l’assemblée de la veille, leur demandant de signer pour l’une ou l’autre thèse. Deux voix seulement sont favorables à la direction par le parti communiste. Guasson hésite, puis accepte finalement son mandat de délégué au congrès, mais le président de séance de l’assemblée générale, Antoine Estorges, transmet à la Fédération et à L’Humanité un ordre du jour qui proclame : « Le syndicat unitaire déclare qu’un parti politique quel qu’il soit ne doit ni monopoliser ni se substituer aux organisations syndicales, ce serait nier, par là même, les principes du syndicalisme où toutes les conceptions politiques et philosophiques sont admises ». En conséquence, Guasson devra rejoindre « la minorité qui s’est créée » et voter contre le bureau confédéral. Ici la minorité est la Ligue Syndicaliste regroupée autour de Rosmer et Monatte. L’aboutissement de ce débat est le retour à la CGT, le 15 janvier 1932, de la presque totalité du syndicat unitaire, Guasson ne trouvant qu’une douzaine de militants pour perpétuer la CGTU. Tous les acteurs de cette intrigue sont évidemment membres du PC, Estorges comme Guasson.

91Enfin, les Châtelleraudais font un peu figure d’exception avec leur unité localement maintenue. Ils n’en défendent pas moins leur conception dans les congrès de leurs fédérations respectives. C’est notamment le cas au congrès confédéré de 1927 où ils sont à l’origine du débat par leur proposition d’une « unité totale dans le courant de l’année ». Là aussi, la Fédération confédérée note à plusieurs reprises des adhésions venues de la maison d’à côté.

92Lorsque se profile la réunification syndicale et le Front Populaire, le paysage politique des arsenaux de terre est ainsi composé d’un premier plan où s’étalent les succès d’une CGT confédérée qui grignote peu à peu une influence unitaire bien entamée, et d’un arrière plan structuré par un militantisme communiste isolé mais divers, éprouvé, encore jeune cependant, tourné vers l’avenir quand le républicanisme gris et uniforme des dirigeants réformistes paraît frappé d’absolescence. Pourtant, le Front populaire n’est-il pas un retour de l’utopie d’une république populaire ?

Bibliographie

Les sources de ce chapitre sont :

– Notamment les monographies et ouvrages cités en bibliographie de : Barras, Berry et alii, Fort, Larronde, Lombard, Pineau et Hervoir, Renoux, Schaper.

Sources originales :

– AN 94 AP 62, dossier 3 ; AN : F7 12579, 13115, 13358, 13364, 13368, 13372, 13638, 13646, 13739.

– JO Débats Parlementaires, AN, séance du 8 juin 1916

– SHAT, 4W 209, 8N 37

– ADC 1M 66, 4 M 90

– ADL 1M315, 10M231, dossier « grèves générales », 10M 231, 362, 425, 445, 447 et 448

– Le Travailleur de l’État

– Archives CGT MAS, MAT et procès-verbaux du Syndicat des monnaies et médailles de Paris

– Catalogue de l’exposition du centenaire de l’ATS, DTAT, 1971, Bibliothèque Municipale de Tarbes.

Notes

1 Jean-Louis Robert : – Les ouvriers à Paris et le mouvement ouvrier parisien pendant la Grande guerre et l’immédiat après-guerre, thèse de doctorat d’État, Paris 1, 1989, 2220 p. La dernière expression est bien sûr de F. Furet.

2 La date de promulgation est le 17 août 1915.

3 Arnaud Renoux, Ss. dir. Eck, Jean-François, Le syndicalisme ouvrier dans les établissements militaires de Bourges entre 1914 et 1939, mémoire de Maîtrise, Tours, 1998, 162 p.

4 F. Thebaud : – « Ouvrières de Guerre », in 14-18, le magazine de la Grande Guerre, no 1, avril-mai 2001.
Les femmes au temps de la Guerre de 14, Paris, Stock, 1986, 319 p.
– « La Grande Guerre, le triomphe de la division sexuelle », in Histoire des Femmes en Occident – le XXe siècle, Ss dir. M. Perrot et G. Duby, Paris, Plon, 1992, G. Laterza et Figli Spa, Rome Bari, 1992, 4 vol.

5 362 879 exactement, soit 23 % de la main d’œuvre des usines de guerre, d’après les chiffres du ministère.

6 Cl. Larronde, op. cit. et d’après Maurice Darmagnac : Nouvelle République des Hautes Pyrénées, divers, février 1971.

7 Catherine Omnes, Ouvrières parisiennes, marché du travail et trajectoires professionnelles au XXe siècle, EEHESC, Paris, 1997, 374 p.

8 Lysis est le pseudonyme d’Eugène Letailleur. Son journal La démocratie nouvelle mène en 1919 une campagne anti-parlementaire et populiste qui le classe définitivement parmi les précurseurs du fascisme. Voir M. Barras, op. cit.

9 Ibidem.

10 Le Travailleur de l’État du 1er avril 1916.

11 Notamment M. Barras, op. cit. et CL. Lombard, op. cit.

12 Le terrassier français touche alors 0,80 F de l’heure.

13 Le contenu précis de cet appel mentionné mais non conservé dans le dossier des AN reste une énigme.

14 G. Lefranc, op. cit., on retiendra sur ces questions : Pierre Monatte, Trois scissions syndicales, Éditions Ouvrières, Paris, 1964. Annie Kriegel et Jean-Jacques Becker, 1914, La guerre et le mouvement ouvrier français, Paris, Kiosque, 1964, 243 p.
Jean-Louis Robert : – Les ouvriers à Paris et le mouvement ouvrier parisien pendant la Grande guerre et l’immédiat après-guerre, thèse de doctorat d’État, Paris 1, 1989, 2220 p.
– La scission syndicale de 1921, essai de reconnaissance des formes, Centre de Recherches d’Histoire des Mouvements Sociaux et du syndicalisme, Paris 1, 1980, 235 p., d’après une thèse de 3e cycle, Paris 1, 1975.
– Jean-Jacques Becker, Les Français dans la Grande Guerre, Laffont, Paris, 1980, 317 p.
– Laurent Batsch et Michel Bouvet, CGT, autour de la scission de 1921, La Brèche, Paris, 1983, 199 p.
– Jean-Jacques Becker et Stéphane Audouin-Rouzeau, Ss. dir., Les sociétés européennes et la guerre de 1914-1918, Paris X Nanterre, PUP X Nanterre, 1990, 256 p.

15 La loi Mourier du 10 août 1917, prévoit le renvoi dans les unités combattantes des mobilisés détachés à l’arrière des classes 1903 et suivantes, autrement dit de ceux qui ont jusqu’à 35 ans en 1918.

16 Xavier Badefort, « Les Tullistes face à une guerre obsédante », Revue des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze, tome 104, 2001.

17 Ce rapport n’est ni signé ni daté. Il est conservé en triple exemplaire sous la mention « police générale ».

18 Est-ce le futur secrétaire syndical ?

19 Est-ce le futur député communiste ?

20 A. Renoux, op. cit.

21 Eugène Lucain a 44 ans en 1914. Il a refusé en 1912 de voter l’engagement de la CGT contre la guerre. Il appartient pendant les hostilités à la commission mixte consultative du ministère de la Guerre. Depuis 1915, il est membre du Conseil fédéral du parti socialiste unifié (SFIO). (DBMOF, op. cit.).

22 Pour toute la guerre, 12 mort(e)s et 85 blessé(e)s selon Cl. Larronde.

23 Léon Bossavy (1881-1959) représentera le syndicat de Tulle à une conférence fédérale de la CGT, début 1919, avec Jaucent. Né en Haute-Vienne où il crée en 1905 la section SFIO de Saint Yrieix, affecté à Tulle en 1914, il y fait sa carrière politique. Comme Chambas, il fait un apprentissage à Paris. Secrétaire adjoint du syndicat de la manufacture, puis secrétaire de la Bourse du Travail et de la section socialiste, il accueille la création du parti communiste par un article enthousiaste : « J’adhère ». Mais il quitte vite la MAT. La fin de sa vie est endeuillée : son fils est une des victimes du 9 juin 1944. Il est président du Comité des martyrs à sa fondation (DBMOF, op. cit.).

24 Xavier Badefort, op. cit.

25 André Dufoux, « Le rôle de la DEFA dans le renouveau de l’armement terrestre entre 1950 et 1958 », in Maurice Vaisse ss. dir, La IVe République face aux problèmes d’armement, Actes du colloques de l’Ecole militaire des 29 et 30 septembre 1997, Centre d’histoire de la Défense, ADDIM, 1998, 648 p.

26 Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, Points, Seuil, Paris, 1986, 321 p.
– H. Berry, G. Nicolas, C. Perret et alii, op. cit
– Pineau et Hervoir, op. cit.
– William Fort, Histoire du syndicat des ouvriers des monnaies et médailles, 1899-1944, FNTE-CGT, Montreuil, sans date, 196 p.

27 DBMOF, op. cit.

28 Voir :
– Daniel Colson, Anarcho-syndicalisme et communisme, Saint-Etienne, 1920-1925, Université de Saint-Etienne, Centre d’Etudes Foreziennes, Atelier de création libertaire, Saint-Etienne, 1986.
– Etienne Fournial et alii, Saint-Etienne, histoire de la ville et de ses habitants, Horvath, St Just-la-Pendue, 1976, 427 p.
– Pierre Héritier, Roger Bonnevialle, Jacques Ion, Christian St. Sernin, 150 ans de luttes ouvrières dans le bassin stéphanois, éd. Le Champ du Possible, Paris, 1979, 356 p.
– M. Dreyfus, Histoire de la CGT, op. cit.

29 « L’Empereur » Lucain finira par quitter les établissements militaires (DBMOF, op. cit.).

30 A. Renoux, op. cit.

31 Membre du Comité Central de 1929 à 1945, du Bureau Politique de 1929 à 1930 (DBMOF).

32 A. Guasson, Heures maudites, journal de route d’un soldat de la guerre 1914-1918, Librairie du Travail, 1937. Antoine Guasson est décédé en 1969.

33 A. Renoux, op. cit.

34 Jean Estorges ne doit pas être confondu avec un homonyme plus jeune qui restera comme martyr de la Résistance.

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