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Les armuriers de l’État

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Patrick Mortal

– 5 – Un pivot du mouvement ouvrier français

Texte intégral

Tarbes avant 1914

Tarbes avant 1914

La manchette du Travailleur de l’État, « organe officiel de l’Union fédérative des travailleurs de l’État »

La manchette du Travailleur de l’État, « organe officiel de l’Union fédérative des travailleurs de l’État »

numéro 148 du 1er février 1913, 12e année

  • 1 JO, débats parlementaires, AN, séance du 17 nov. 1891. Cette gaffe déclenche un mouvement parlement (...)

1La loi de 1884 qui autorise les syndicats ne mentionne ni les travailleurs de l’État ni les fonctionnaires qui se verront dénier tout droit syndical par voie réglementaire. Le ministre du Commerce Roche explique à la Chambre le 17 novembre 1891 que si « les employés de l’État » se syndiquaient, ils le feraient « contre la Nation elle-même, contre l’intérêt général du pays, contre la souveraineté nationale »1. Les immatriculés n’ont pourtant pas un statut militaire. Quant aux « libres », comment leur imposer de périodiquement chercher du travail dans le privé et de revenir à la demande en laissant leur adhésion au vestiaire ? Que penser alors d’un corps permanent seul à ne pas avoir le droit de s’organiser ?

  • 2 Ibidem, séance du 22 mai 1894, Jean Vavasseur-Desperriers, République et liberté : Charles Jonnart, (...)

2Le 22 mai 1894, Le cabinet Casimir-Perier tombe sur une interpellation du socialiste Millerand et du monarchiste Ramel à propos du refus de donner aux cheminots de l’État le droit de participer au congrès de leur fédération. L’intransigeant ministre des Travaux publics Jonnart explique que « les agents de l’État peuvent être convaincus que leurs intérêts sont en bonnes mains lorsqu’ils sont entre les mains de la représentation nationale ». La Chambre invite le gouvernement à « faciliter l’exécution » de la loi sur les syndicats qu’elle estime devoir s’appliquer « aux ouvriers et employés de l’É- tat aussi bien qu’à ceux des industries privées ». De Ramel est précis : n’étant pas nommés par délégation d’autorité, ils n’ont aucune raison de ne pas bénéficier des mêmes droits que les autres travailleurs2. Les parlementaires ne se priveront pas de défendre ces « intérêts », tout en favorisant la naissance, malgré tout, des syndicats.

Germinal ou le grain de la Semeuse

  • 3 P. Pineau et N. Hervoir, op. cit.
  • 4 Yvonne Hémery, La vie ouvrière dans la région de Châtellerault de 1870 à 1895, mémoire de DES, Ss d (...)

3En 1882, à Châtellerault, le mémoire du directeur note que lorsque le laminage a été substitué à la forge à l’enclume, le devis des aiguiseurs a été « remanié », car « ils n’avaient pas à profiter d’une simplification de travail qui était due à l’emploi d’un nouvel engin (…) ». Et d’ajouter, précieuse litote : « La mutinerie de 1882 avait donc été tout à fait déraisonnable. Quelques renvois prononcés à propos en avaient eu facilement raison ». Mais la transformation du procès de production entraîne une tension continue, car il faut en permanence revoir les devis. Le bihebdomadaire, puis hebdomadaire socialiste L’Eclaireur de la Vienne se fait l’écho du sentiment ouvrier : les salaires sont diminués. Le numéro du 14 avril 1889 évoque une réduction de l’ordre de 25 à 50 %. De même, avec le devis, l’allongement de la journée pour une même production est lu par le numéro du 12 mai comme une réduction de salaire horaire. Le journal se fait enfin l’écho, les 1er et 15 décembre 1889, de l’affaire Grandry-Ménard. Grandry est un contrôleur critiqué par « un vieux forçat de la manufacture » parce qu’il contrôle le temps des ouvriers plutôt que l’état des armes. Bref, il applique les nouveaux règlements ! Ce contrôleur « intelligent », aurait dit le capitaine Ply, a néanmoins fait renvoyer l’ouvrier Ménard pour négligence et… ce dernier se retrouve au tribunal correctionnel, soutenu par ses camarades. La peine « minimum » lui est infligée : 8 jours de prison. L’Eclaireur du 22 décembre, tant que l’affaire est chaude, réclame la création d’une commission élue par le personnel pour traiter les litiges entre ouvriers et contrôleurs…3. Le numéro du 25 février 1894 mentionne un nouveau conflit : « Les ouvriers bronzeurs en apprenant qu’ils ne toucheraient que 3,75 F par jour pour 11 heures de travail, ont refusé de travailler » ; on leur promet 0,50 F de l’heure4.

4A Saint-Étienne surgit une question décisive : les armuriers se tournent vers le syndicat de leur profession ou de leur localité. Il existe une Chambre syndicale des ouvriers armuriers et similaires depuis 1890. Le commissaire chargé des syndicats est informé par un « indicateur particulier socialiste ». Ses rapports sont confirmés par les fiches de l’Office du Travail et le courrier préfectoral. Les 2, 3 et 4 mai 1897 s’est tenu en ville le congrès d’une Fédération des mouleurs de France. Son organisation stéphanoise créée en 1895 a « la réputation d’être celle où il existe le plus d’union ». 25 des 32 mouleurs sur fonte et cuivre de la MAS se sont syndiqués au congrès et les autres adhèrent lors du conflit. Ils refusent le travail aux pièces. En effet le directeur a fait procéder à des essais : lors du premier, alors que le salaire journalier est de 5,50 F pour 11 heures, les mouleurs ont gagné 6,05 F le premier jour et seulement 5 F le second ; au second 50 % des pièces ont été rebutées. Les 10 ouvriers impliqués vont donc se plaindre au directeur, arguant de la mauvaise qualité du bronze, et de ce que « le travail au système secret est très difficultueux [sic] ». « Ils savent bien », dit le commissaire, « que la Guerre ne confie pas au premier venu les secrets de la Défense nationale ». Le directeur congédie les 10, les 22 autres se solidarisent, tous sont licenciés. On est le 13 mai. Deux ouvriers vont proposer leurs services « chez Clair », et on leur annonce le samedi 15 qu’ils sont embauchés. Le 14, le directeur a invité les 60 personnes de la profession ayant récemment fait une demande d’embauche à la MAS à se présenter. Personne n’est venu. Le lundi 17, les deux embauchés du samedi « chez Clair » apprennent qu’il « n’y a pas de l’ouvrage pour eux » : la direction de la MAS est manifestement intervenue. Les grévistes constituent un comité de grève, tiennent en ville des réunions qui rassemblent jusqu’à cent personnes de la profession, parmi lesquelles des salariés de l’entreprise Barrouin, qui les dissuadent de plier. La Fédération, cependant, leur reproche de n’avoir pas tenté préalablement de parlementer, et hésite à verser l’aide statutaire à ces récents syndiqués. La réponse est un peu manœuvrière : « le syndicat a répondu le même jour que si, le plus souvent, il y a possibilité de parlementer dans l’industrie privée, avant de se mettre en grève, il n’en était point de même dans les établissements militaires où les ordres sont donnés – mais jamais discutés ». La revendication est précisée : maintien du salaire à la journée, ou au moins fixation d’un minimum garanti au prix d’une journée payée à l’heure. La Fédération met finalement la fonderie de la MAS à l’index et le comité de grève publie une affiche demandant aux mouleurs de la région de « ne pas se diriger sur Saint-Étienne ». Des contacts sont pris avec les mouleurs des autres villes d’arsenal et de Lille. La direction envisage de faire appel à des ouvriers militaires mais ne les trouve pas. Or, les ouvriers estiment qu’elle n’a guère que huit jours de production d’avance, et devra ensuite mettre 800 personnes en chômage technique. La Bourse du Travail offre aux grévistes une aide de 500 F et la municipalité stéphanoise, radicale et socialiste, leur attribue 1 000 F, mais le ministre de l’Intérieur, décidément très attentif, s’oppose à l’exécution de l’arrêté, « car il constitue une intervention illégale dans un conflit d’intérêts privés ».

5Le directeur propose finalement une transaction conclue le 25 mai : Les mouleurs auront un salaire journalier garanti, et sont réembauchés individuellement après l’avoir demandé par écrit.

6A Tulle, le parti guesdiste présente des candidats à la députation tandis que les blanquistes du Parti socialiste révolutionnaire d’Edouard Vaillant s’occupent des syndicats. L’Union socialiste révolutionnaire regroupe les deux courants dès 1901, puis la SFIO en 1905, qui voit naître « Le Populaire du Centre ». La Fédération de la Corrèze compte alors 233 adhérents.

  • 5 G. Dauger et D. Dayen, Histoire du Limousin contemporain, Corrèze, Creuse, Haute-Vienne, de 1789 à (...)

7Le militant de la MAT qui en est le secrétaire est campé à partir de 1907 par les rapports de police et le registre d’état-civil. Etienne Chambas (1865-1929) a passé quelques mois dans sa jeunesse à Paris où il a adhéré au Comité révolutionnaire central de Vaillant. Son père est manœuvre, sa mère sans profession, mais il est présenté à l’officier d’état civil par son oncle Etienne Mas, armurier. Il est entré à 11 ans à la manufacture, vers 1877. Immatriculé et « ouvrier particulièrement habile dans sa partie », il milite depuis 1886 et fonde en 1901 la Fédération de la Corrèze du PSR. Candidat aux municipales en 1892, puis en 1896, il est cette fois élu avec cinq autres socialistes. C’est en 1907 un homme installé, marié à une modeste commerçante, Georgette Delmas, père de 4 enfants. Il est membre du Syndicat du personnel civil de la manufacture qu’il a fondé en 1902. Il ne serait plus conseiller municipal à cette date, mais l’est de nouveau en 1908 et 1912, accompagné d’au moins un fidèle, Malaurie, syndicaliste métallurgiste. Il sera aussi candidat malheureux aux législatives de 1910 et 19145. Il cesse de participer au Conseil municipal en 1916, sans que l’on sache pourquoi, mais apparaîtra encore dans la vie politique locale après guerre.

8A l’Hôtel de Ville il est le porte parole des intérêts syndicaux, défendant par exemple le droit au travail des femmes, particulièrement misérables quand elles sont licenciées. En 1900, il signe comme président du « Syndicat de la métallurgie » l’état annuel tenu par le maire ; ce syndicat, fondé en 1893, représenté au congrès de fondation de la CGT, est subventionné par la Commune comme tous les syndicats. Jules Vaysse, un de ses initiateurs, sera cofondateur avec Chambas de la Bourse du Travail dissidente déclarée en septembre 1905 : la « Ruche Rouge », le Syndicat de la manufacture s’étant distingué de celui de la métallurgie en 1902.

  • 6 Maurice Dommanget, Edouard Vaillant, un grand socialiste, 1840-1915, la Table ronde, Paris, 1956, 5 (...)

9Le conflit des deux Bourses oppose socialistes et radicaux6. En effet, le maire a créé le 15 février 1899 une Bourse du Travail dont le but « est limité exclusivement à l’embauchage des ouvriers travailleurs, aux placements gratuits et aux renseignements concernant l’offre et la demande de travail ». Cette Bourse est ouverte à tous les syndicats ouvriers, aux syndicats patronaux et aux ouvriers non-syndiqués, mais il semble que les seuls syndicats ouvriers en désignent le « Comité général ». Dans ses débats « toute discussion politique, religieuse ou d’ordre économique général est interdite ». Cette Bourse est plus indépendante qu’une première Chambre syndicale qui, en 1885, se fixait pour but d’établir « les liens d’une solidarité fraternelle entre patrons et justiciables du Conseil des Prud’hommes » et définissait ainsi ses fonctions : « 1 °, la création d’un bureau d’embauchage, 2 °, l’intervention toute fraternelle entre patrons et ouvriers, 3 °, s’il survient un conflit entre patrons et ouvriers, il sera fait appel en conciliation devant les membres du syndicat ». La Bourse de 1899 n’est pourtant pas libre de toute présence patronale, bien que ce soit Chambas qui en ait défendu le principe au Conseil municipal en 1896. Il voulait alors créer un bureau de placement, en relation avec les Bourses du Travail d’autres localités, afin d’organiser le reclassement des ouvriers licenciés de la manufacture. Le syndicat de Chambas rappelle dans un article du Travailleur de l’État d’octobre 1903 les raisons du « conflit déjà vieux entre le syndicat et la Bourse du Travail » : cette dernière refuse de réviser ses statuts sur les questions de l’admission des syndicats patronaux, des discussions politiques, religieuses et d’ordre économique général, y compris en matière de travail, et de sa fonction unique de bureau de placement.

10Les deux Bourses cohabitent longuement. Le secrétaire de la plus ancienne est pendant des années le conseiller municipal radical-socialiste Auguste Chièze, qui participe à la conférence des Bourses de Bourges en 1904, toujours là en 1911. Les statuts de la dissidente « Ruche Rouge » indiquent la préexistence d’un « cercle ouvrier » qui lui confie ses locaux. Ils signalent aussi sans ambiguïté, par la volonté unitaire, l’indépendance syndicale, la référence aux congrès internationaux, l’influence du courant « Vaillantiste ». Les anarchistes absents, ce courant est à Tulle le représentant du syndicalisme révolutionnaire.

11Dès 1893 existe donc à Tulle un syndicat ainsi déclaré, dirigé par des militants socialistes, auquel adhèrent principalement – mais pas uniquement – des ouvriers de la manufacture. L’enjeu repéré à Saint-Étienne se retrouve donc.

  • 7 L’Eclaireur de la Vienne, cité par A. Guillon et P. Meunier : La Manufacture d’Armes de Châtellerau (...)

12A Châtellerault deux figures se partagent la notoriété, si l’on en croit A. Guillon et P. Meunier : le chanoine de Villeneuve, et Clément Krebs. Clément Krebs (1850-1914) est le fils d’un ouvrier de Klingenthal venu à pied jusqu’à Châtellerault au début du siècle. Monteur de sabres, entré à la manufacture probablement en 1863, c’est un rebelle, obstinément célibataire, libre penseur. Nommé chef d’atelier et sommé par le directeur d’abjurer ses idées, il préfère retourner à l’étau. Cofondateur d’un groupe d’études sociales, il adhère en 1883 au Parti ouvrier (FTS), de tendance broussiste, majoritaire à Châtellerault. En 1888, il est candidat lors de l’élection municipale avec 5 autres membres du Parti dont deux armuriers, l’aiguiseur Audinet et l’ajusteur Gomichon. Il n’est pourtant élu conseiller qu’en 1892, avec 8 autres socialistes, dont 3 armuriers. Plusieurs fois candidat malheureux à la députation, il recueille pourtant des scores croissants : 697 voix en 1889, 3 370 en 1893, après plusieurs meetings dans l’arrondissement, et une réunion de 1 500 personnes au chef lieu7. La compétition entre catholiques et socialistes donne son plein sens à ce per sonnage.

  • 8 Cité par Y. Hémery, op. cit.

13En 1875 les fastes de l’inauguration, à l’initiative du Comité catholique, du « Cercle catholique d’ouvriers », avec sa chorale, les fanfares des paroisses de Tours et Poitiers, l’évêque, dans une salle décorée de drapeaux tricolores et d’un autel fait de canons et de baïonnettes, sont ceux d’une fête officielle conservatrice aux objectifs affirmés. Le Comité veut, selon le Mémorial du Poitou, « raffermir le sentiment religieux » et « rapprocher les classes laborieuses des classes dirigeantes », légère nuance des intentions d’Albert de Mun, prônant « le dévouement de la classe dirigeante à la classe ouvrière ». Monseigneur Pie rappelle que : « (…) l’Evangile [est] l’unique traité de paix entre le patron et l’ouvrier, entre l’homme qui semble n’être venu au monde que pour posséder et jouir, et celui qui n’a pour partage que de travailler et de souffrir ». Ce Cercle a un « directeur », un vicomte. Et l’Echo de Châtellerault note que l’exposition d’une croix de la Légion d’Honneur et d’une médaille militaire brillamment ouvragées « attestent à la fois l’habileté de nos ouvriers de la manufacture d’armes de guerre et la bonne grâce avec laquelle leurs chefs se prêtent à tout ce qui peut augmenter l’éclat de nos fêtes publiques… ». En 1880, les 80 membres du Cercle sont sous l’autorité morale d’un président propriétaire, d’un prêtre et d’un directeur laïque, président du « comité ouvrier », Collet, armurier à la MAC8 ; ils animent notamment le patronage St. Joseph.

14L’Eclaireur jette un regard acerbe sur le rôle de l’Église dans la vie de la manufacture : avec tel ancien directeur, on aurait pu écrire au fronton « bagne, caserne, couvent », et avec celui de 1887, le dernier mot semble remis à l’honneur. Le journal proteste quand un le directeur veut fermer l’établissement le dimanche au prix d’une longue soirée de travail le samedi. Plus tard on lira : « Si l’on veut s’embaucher à la manufacture il faut absolument la recommandation d’un prêtre ». Exagération ?

  • 9 Pineau et Hervoir, op. cit.
  • 10 Ibidem, aux dates mentionnées.

15L’Eclaireur est vendu à la porte de l’établissement le samedi à quelques 900 exemplaires. Sous la signature du « vieux forçat » ou sous celle de « Georges Marcel », pseudonyme de Georges Marcellin Limousin, né en 1859, dirigeant socialiste local et conseiller municipal après 18929, il vilipende la passivité des ouvriers, qui craindraient d’être remplacés par des soldats en cas de grève (31 juillet 1887), dénonce les taudis et demande la construction de maisons ouvrières (23 octobre 1887), espère lors de la nomination du nouveau directeur que « l’on ne verra plus nommer chefs d’atelier des individus absolument incapables, que les maîtres ne passeront plus contrôleurs parce qu’on sait qu’il feront de la misère aux ouvriers » (30 octobre 1887). Il proteste contre les accidents du travail, parfois mortels, et contre l’absence de médecin à l’usine quand il constate que 17 ouvriers de l’atelier de bronzage sont tombés dans les bains en moins d’un mois (29 décembre 1889), exige que l’on embauche plutôt des ouvriers au chômage que des propriétaires ou des campagnards préférés pour leur supposée docilité10.

  • 11 L’ingénieur Watrin avait été défenestré en 1886.
  • 12 Le Socialiste, 9 octobre 1898, cité par J. Kergoat, Le parti socialiste de la Commune à nos jours, (...)

16Bien moins radicale est la polémique contre la décision d’embaucher des femmes. Les socialistes châtelleraudais sont moins avancés que les Tullistes : « (…). Vous mettez en avant la question d’humanité quand vous astreignez à faire travailler debout dans des ateliers où l’on grille en été et où l’on gèle en hivers nos mères, nos sœurs, nos compagnes. Quant à nous socialistes, nous espérons (…) que bientôt la révolution émancipatrice rendra à la femme sa véritable place au foyer, en donnant à l’homme de quoi élever sa famille. Souvenez-vous que l’exploitation a des limites et que ce sont des femmes qui ont entraîné les hommes à Decazeville. Pensez à Watrin »11. Que craint donc notre révolutionnaire ? Le congrès de 1898 de la CGT votera, il est vrai, le principe selon lequel « l’homme doit nourrir la femme », critiqué par Guesde soi-même : « Non, la place de la femme n’est pas plus au foyer qu’ailleurs »12. Ainsi la position du journal le classe-t-elle parmi les socialistes modérés. L’atelier féminin disparaît dès 1891.

  • 13 Pour l’ensemble des données tirées de l’Eclaireur de la Vienne, voir P. Pineau et N. Hervoir, op. c (...)
  • 14 L’Eclaireur de la Vienne, 31 mars 1889.

17L’Eclaireur du 7 août 1887 rapporte la réunion de la société coopérative de consommation alimentaire fondée 18 mois auparavant, forte à ce jour de 450 adhérents, « palliatif aux souffrances des travailleurs »13. La société est réservée aux ouvriers civils de la manufacture, qui sont exclus s’ils prennent des marchandises « non destinées à leur usage » ou à celui des personnes qu’ils ont à charge. Le Conseil d’administration de 12 membres est élu lors de l’AG annuelle, mais une moitié tirée au sort est renouvelable au bout de 6 mois, le caissier étant excepté. Un Comité de surveillance est élu dans les mêmes conditions pour un an. Les adhérents reçoivent un livret où sont portées toutes leurs opérations. Le paiement des crédits s’effectue à la première paie sauf dérogation acceptée. Les ouvriers quittant l’établissement pour la retraite ou par manque de travail peuvent rester adhérents et fixent eux-mêmes les conditions dans lesquelles ils s’acquitteront de leurs dettes éventuelles. Cette coopérative maintient ainsi la solidarité de tous les ouvriers par delà la précarité de leur condition. Elle admet d’ailleurs les divergences : lors du renouvellement du CA de 1889, la majorité obtient 360 voix contre 60 à une liste d’opposition14. Le mouvement socialiste anime aussi un « groupe d’étude et d’action politique et sociale », « La Solidarité », fort de moins d’une centaine de membres, et qui fonctionne comme un cercle d’abonnés à l’Eclaireur de la Vienne, organise des conférences, une bibliothèque, des enterrements civils, et reçoit en 1890 la mission d’organiser le congrès du Parti ouvrier.

18C’est l’occasion d’une scission entre les allemanistes et les broussistes jugés trop réformistes. A Châtellerault, la Fédération des travailleurs socialistes de l’Ouest emmenée par Ernest Bergeon est l’expression de cette dernière tendance. Né le 13 septembre 1863, Bergeon est armurier, autodidacte, « très laborieux, intelligent, d’un caractère froid et peu communicatif [mais c’est un policier qui écrit] ». Il est conseiller municipal depuis 1892, et secrétaire de l’Union fédérative des Chambres syndicales ouvrières formée deux ans plus tôt, officiellement sans les armuriers, ceux-ci n’ayant pas de syndicat. Il se revendique explicitement du « possibilisme ». Yvonne Hemery a pu reconstituer une liste de 24 militants de la ville particulièrement surveillés ; on trouve parmi eux 10 armuriers, dont un est mentionné comme « engagé », et deux sont conseillers municipaux. Pas étonnant que la direction de la manufacture interdise alors sous peine de renvoi les activités politiques pendant le travail, de même que les absences du 1er Mai ! Des renvois ont lieu effectivement, selon l’Eclaireur, en 1887, en 1889 ; le 29 juin 1894, c’est le conseiller municipal Gomichon qui est renvoyé pour avoir applaudi pendant son travail à l’assassinat du Président Carnot par l’anarchiste Caserio.

Le parlementaire et l’amicale

  • 15 Jean Jolly, Dictionnaire des Parlementaires Français (1889-1940), PUF, Paris, 1966. Jean Maitron, S (...)
  • 16 Charpentier poursuit alors une carrière de magistrat.
  • 17 Les socialistes retournent à la mairie en 1896, y sont majoritaires en 1901. Jules Ledin fait alors (...)

19Les progrès électoraux des socialistes sont au début de la dernière décennie du siècle contemporains de la grande débauche qui suit la fabrication du Lebel. Seuls les députés socialistes Girodet et Charpentier ont répondu à l’appel ce samedi 7 avril 1894 à la salle du Prado, avec un millier d’ouvriers de la manufacture de Saint-Étienne. Charpentier a déjà reçu des remerciements unanimes en janvier, dans cette même salle, pour avoir permis que soit soumis au Sénat le projet d’une retraite pour tous les ouvriers libres des établissements de l’État. Edmond Charpentier (Limoges, 1858 – St. Maur des Fossés, 1928)15 est inscrit au barreau de Lyon en 1886. Il plaide en défense de grévistes et de manifestants, milite pour l’application de la loi de 1884. Il est plusieurs fois délégué aux congrès du Parti Ouvrier, cofondateur du journal « Le Peuple » et, conseiller municipal de Lyon à partir de 1888, encourage alors les syndicats et la formation de la Bourse du Travail. Il démissionne pour s’installer à Saint-Étienne en 1892. Présenté par l’Union socialiste, il est élu député de la Loire en 1893, battu en 1898, réélu en 1902, et quitte définitivement la Chambre en 1910. D’abord inscrit au groupe républicain radical, il rejoint celui des socialistes parlementaires. Proche d’Aristide Briand, il abandonne la SFIO avant les élections de 190616. Girodet, maire de 1888 à 1892, est l’initiateur de la première Bourse du Travail stéphanoise17. Au Prado les députés s’engagent à intervenir auprès du ministre afin « que l’entreprise soit conservée à la MAS et que les ouvriers non-engagés participent à la caisse de retraite ». Le rapport du commissaire précise qu’il s’agit d’une réunion publique contre la mise en régie de la manufacture et le renvoi de quelques ouvriers.

  • 18 Jean Jolly, Dictionnaire des Parlementaires Français (1889-1940), PUF, Paris, 1966.

20Les réunions avec Charpentier qui vont suivre jusqu’en 1898 sont en réalité celles de l’Amicale du personnel civil. L’on sait en effet par un discours à l’enterrement en 1917 d’un « membre fondateur du Syndicat », Coignet, que celle-ci existe depuis 1894. En octobre 1896, 370 présents à l’une des rencontres désignent leurs représentants au congrès des Unions amicales qui se tiendra pour la troisième année consécutive à Paris. A cette occasion apparaissent les noms de ceux qui seront les dirigeants du Syndicat pour longtemps, Berlier et Pelissier. Le commissaire note qu’ils seront, avec Chavanis, délégués par « les syndiqués de Saint-Étienne »18.

  • 19 L’Eclaireur de la Vienne du 25 novembre 1894, cité par Y. Hémery, op. cit.

21Le député de Châtellerault Lavy, membre du Comité national du PO, intervient aussi début 1891 en défense des licenciés de l’établissement : interpellation du ministre, demande de leur donner du travail « en utilisant les ateliers qui vont être inoccupés ». Freycinet promet une indemnité – bien légère : une quinzaine de salaire. Le 29 octobre 1893, l’Eclaireur annonce qu’une pétition a été adressée au ministre de la Guerre par les ouvriers de Bourges « dans le but d’obtenir pour les ouvriers libres des manufactures une retraite après 25 ans de travail ». L’article est signé par un groupe d’ouvriers qui s’en remettent à la Chambre syndicale pour populariser cette pétition. Lorsqu’en avril le ministre annonce une indemnité de 250 F pour tout licencié ayant au moins 25 ans de service, les ouvriers libres de la MAC décident de « maintenir l’union avec les travailleurs des manufactures d’armes de l’État, pour l’obtention d’une pension de retraite (…) ». Nouvelle pétition et succession de réunions publiques rassemblant de 800 à 1 000 personnes. Le 12 novembre 1894, un autre socialiste, Prudent-Dervilliers, accuse à la Chambre le gouvernement d’avoir fait preuve d’imprévoyance, et exige une assurance contre le chômage, la journée de 8 heures et un salaire minimum19. Le 29 décembre 1895, au théâtre de la ville, l’entrée n’est autorisée qu’aux ouvriers de la MAC. Le commissaire compte 500 personnes, l’Eclaireur 1 500 ! Les délégués au congrès de Paris rendent compte de leur mandat, et le député de Poitiers Bazille, républicain opportuniste, des débats de la Chambre. L’ordre du jour voté stipule que « le personnel civil libre de la MAC, au nombre de 1 500 environ prie le ministre de la Guerre de vouloir bien, dans la répartition des crédits restés disponibles en 1895, distribuer les secours de préférence aux vieux ouvriers licenciés arrivés à la limite d’âge (55 ans). Il le prie en outre de vouloir bien, dans la préparation du projet de loi qu’il a promis de déposer pour la retraite des ouvriers, étudier l’assimilation des ouvriers libres aux ouvriers immatriculés (…). L’assemblée charge les députés de la Vienne présents de porter cet ordre du jour à M. le ministre de la Guerre ».

22Dès 1892 s’est constitué à la Chambre un groupe de 130 députés, bientôt rejoints par quelques sénateurs. C’est ce rapport de forces parlementaire qui conduit à la chute du cabinet en mai 1894. Le 12 juin suivant, à la Chambre, Marcel Sembat saisit la première occasion d’insister : « Mr. Le Président du Conseil a pris l’engagement de déposer un projet de loi visant le cas général des ouvriers et employés de l’État ; et on tient si bien à ne pas laisser s’évanouir cette promesse qu’un ordre du jour a été pris par la gauche républicaine au Sénat. Cet ordre du jour est conçu en termes assez impératifs : il demande que le projet de loi soit déposé dans le plus bref délai possible (…) ». C’est qu’il y a urgence en effet : le 10 juillet 1894, les députés débattent d’une loi attribuant des secours aux familles des licenciés de la MAT… et le premier congrès national du personnel civil libre se tient ce même mois ; les participants s’engagent à « convoquer dans des réunions publiques les députés et les sénateurs des départements et [à] les inviter à appuyer les revendications des ouvriers libres des manufactures ». En décembre 1895, la Chambre invite le gouvernement à étudier « des mesures propres à établir l’égalité au point de vue des conditions de retraite entre les ouvriers libres et les ouvriers engagés des manufactures de l’État ». En 1896 pourtant, le Sénat envisage encore, sans plus oser, de demander la dissolution des organisations déjà constituées et dénie le droit de grève aux ouvriers de l’État. Qui est ce « groupe parlementaire » qui accompagne de si près l’organisation ouvrière ?

23Le groupe qui suit les travaux du congrès du Personnel civil de 1898, année suivant l’obtention du statut, compte alors 152 membres. Certains sont présents : le député Pédebidou lit à la tribune une pétition des ouvrières de Tarbes demandant qu’à l’avenir une place leur soit réservée au congrès. Après une « ovation », un ordre du jour favorable est voté à l’unanimité : « Le congrès (…) remercie ces citoyennes de la façon chaleureuse et vraiment digne d’éloges avec laquelle elles ont présenté leur requête, les assure de toute sa sollicitude et déclare qu’il se ferait un devoir et un plaisir de les admettre dans le congrès actuel et dans ceux à venir ». Jean Marie Pédebidou est élu des Hautes Pyrénées ; ce médecin classé républicain progressiste a dû promettre à ses électeurs de siéger à gauche – cela allait mieux en le disant. Devenu sénateur, il présidera en 1919 le congrès radical-socialiste du département. Appartiennent encore au groupe des hommes comme Jules Duvau, banquier et notable châtelleraudais qui se dit républicain convaincu et ennemi résolu de toutes les idées collectivistes ; également député de la Vienne, Raymond Dupuytrem est un gros propriétaire terrien élu sous l’étiquette « indépendant » ; Stanislas Ferrand est député de la Seine, présenté par un « comité radical-socialiste anti-collectiviste », et a soutenu le projet de révision constitutionnelle ; venu du progressisme, adhérent au comité de protestation contre la mise à la retraite de Boulanger, le député de Tulle Léon Borie s’est fait élire parmi les radicaux, ce qui ne l’empêche pas d’être anti-dreyfusard. Evidemment, on trouve aussi des socialistes, et non des moindres puisque le nom de Vaillant apparaît : ses proches animent plusieurs amicales syndicales, l’arsenal de Bourges est au cœur de la classe ouvrière du Cher, sa terre de prédilection. Ils ne semblent pourtant pas alors dominer le groupe. Celui-ci est présidé par un personnage haut en couleurs, Le Hérissé.

  • 20 Bertrand Joly, Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français (1880-1900), Herv (...)
  • 21 Adolphe Robert, Edgar Bourloton, Gaston Cougny Ss. dir., Dictionnaire des Parlementaires français…,(...)

24Riche propriétaire et maire d’Antrain où il est né en 1857, près de Rennes, René Félix Le Hérissé est sorti de Saint Cyr en 1878, légitimiste comme il est de bon ton, plus tard (si peu) démissionnaire au grade de lieutenant, après avoir été élu sous la bannière républicaine lors d’une partielle en 1886. C’est chez lui qu’en 1887 Boulanger rencontre d’abord les royalistes Mackau et Martinprey, ce dernier condisciple de l’hôte à Saint Cyr. Il est donc un des rares républicains boulangistes à connaître dès le début les relations du général « Revanche » avec les monarchistes20. Membre du Comité républicain national dès sa fondation, il entre en 1888 au comité directeur de la Ligue des Patriotes, et préside la Fédération républicaine révisionniste. Il organise la première élection de Boulanger dans l’Aisne et conserve son propre siège en 1889 avec l’aide financière des royalistes. En 1893 encore, il est élu sur un programme révisionniste, contre un républicain et un socialiste. Il dirige le journal La Cocarde. A la Chambre, il siège à l’extrême gauche et est inscrit au groupe de la gauche démocratique, et… préside la commission de l’Armée. Anti-dreyfusard, il finira radical21. Ce groupe associe ainsi des élus de villes d’arsenal, un peu cocardiers avec une coloration populaire, et des socialistes qui saisissent l’occasion de faire avancer les droits des ouvriers de l’État, sans trop se mettre en avant.

  • 22 Compte rendu du Ve congrès du Personnel Civil des établissements militaires de l’Artillerie et du G (...)

25Le congrès de 1898 réunit des délégués de 16 villes d’arsenal. La petite brochure bleue qui rend compte des débats est intitulée « Compte Rendu du 5e congrès du Personnel civil des établissements militaires de l’Artillerie et du Génie tenu à Paris les 14, 15, 16, 17, 18 novembre 1898 ». Ni le mot « amicale », ni le mot « syndicat » n’apparaissent22. Peut-être certains des 25 délégués ne sont-ils pas encore organisés en amicale. Deux délégués des Poudres et Salpêtre se sont présentés au début du congrès, alors qu’ils ne cotisent plus, puis ont disparu ; le congrès missionne ses dirigeants pour régler le « différend (…) en ce qui concerne leur affiliation à l’Union amicale ». De plus Rennes et Besançon sont représentées par la délégation de Saint-Étienne. Au demeurant, il se peut que des amicales soient alors des associations de fait. Les rares traces de dépôt de statuts datent de 1900 pour Puteaux, et du carnet d’adhésion de l’Amicale de Châtellerault qui rappelle la date de fondation (1894) mais fait commencer les timbres en 1900. Le dirigeant de cette amicale, L. Abenoist, a laissé en 1900 une note dans laquelle il insiste pour des raisons polémiques sur le fait que « les congrès qui se sont succédés depuis 1894 ont toujours été organisés par les soins de l’Union amicale ». Il se trompe en affirmant que les établissements sont « représentés par une seule délégation comprenant un ou plusieurs membres, mais exclusivement que d’Union amicale ». Chambas et Vaysse représentent Tulle, et adhèrent encore en 1900 au Syndicat de la métallurgie. Une « commission centrale » est toujours fixée à Saint-Étienne à cette époque, mais à l’expérience, on lui ajoute en 1898 une « sous-commission » avec Paris, Puteaux et Vincennes, « afin qu’en cas d’urgence des démarches soient faites le plus tôt possible auprès des pouvoirs publics ». Enfin, chaque amicale envoie à la commission centrale un cinquième des cotisations, et pour couvrir les dépenses, chacune est taxée à proportion du nombre d’ouvriers de l’établissement, sans tenir compte du nombre d’adhérents.

26Le droit à l’existence de cette Union est encore un enjeu en 1898. Le député Stanislas Ferrand ne manque pas l’occasion de signaler qu’il est intervenu auprès du ministre en faveur de tel délégué dont le directeur avait refusé l’autorisation d’absence, et « que Monsieur le Ministre a mis [ce dernier] dans l’obligation de l’accorder, reconnaissant ainsi le droit de nous réunir pour discuter de nos revendications ». Cette année n’est pourtant pas une année comme les autres. Le statut vient d’être accordé. « Les chances de succès n’ont jamais été aussi grandes (…) ». Une délégation est reçue par le groupe parlementaire, puis par l’ancien ministre de la Guerre, et enfin par l’actuel, de Freycinet, sous les auspices du Président du groupe parlementaire.

27C’est donc la reconnaissance officielle des amicales. Ce type de rencontre à l’issue des congrès devient dès lors une institution : les délégués du congrès informent le ministre des « desideratas » des congressistes. L’ambiance sera pourtant parfois plus froide, ou chaude, c’est selon !

Compte Rendu de l’entrevue d’une délégation du congrès de 1898 de l’Union amicale des personnels civils avec le Ministre de la Guerre
A 4 heures, Monsieur Le Hérissé, Président du groupe parlementaire, accompagné de 10 de ses collègues, présente la délégation au Ministre de la Guerre ; Monsieur de Freycinet répond qu’il est très heureux de recevoir le congrès des établissements militaires et prie le rapporteur de bien vouloir exposer les revendications du congrès (…)
(…) les points saillants de nos travaux (…) : Liquidation de la pension des vieux ouvriers congédiés qui n’ont encore rien touché, obtenir pour eux le Franc journalier ; augmentation à 600 F pour les hommes et 400F pour les femmes, suppression des masses, soins médicaux et pharmaceutiques, indemnité journalière, etc. etc.
Monsieur de Freycinet trouve que ces réclamations ne sont pas exagérées ni utopistes, que toutes ces questions sont exposées sans passion et sans bruit, et qu’il les examinerait avec le plus grand soin. (…)
La délégation prend congé du Ministre sur ces paroles encourageantes, tandis que Messieurs les Députés se montraient particulièrement satisfaits de ce que le Congrès était reconnu officiellement par le Ministre de la Guerre, ce qui n’avait pas eu lieu jusqu’à ce jour.
PV signé le Président : Pélissier, le secrétaire : Bérard
Brochure de compte rendu du congrès de l’Union amicale
SHAT 4W208 et DGA, registre 10

Le statut du 26 février 1897

  • 23 Les données concernant les Cavaignac sont tirées des deux Dictionnaires des parlementaires français (...)

28Le député Godefroy Cavaignac23 n’a pu être présent lors de la rencontre des délégués avec le groupe parlementaire, bien qu’il en soit un membre éminent. Il s’en excuse, un malentendu sur l’heure… Ce sera le seul. Les délégués ont tenu à rencontrer l’ancien ministre avant son successeur. En effet, démissionnaire avec le cabinet Bourgeois le 19 avril 1896, il a élaboré le décret finalement daté du 26 février 1897. Cordiale entrevue...

29Les Cavaignac sont surtout restés pour leurs attitudes extrêmes, le père comme fusilleur des insurgés de juin 1848 et le fils pour avoir publié le « faux Henry » accusant Dreyfus. Pourtant la République est un quasi patrimoine chez eux, bien que le grand oncle fût général d’Empire avant d’être pair de France. Le grand père, conventionnel, fut régicide. Son fils Eugène, père de Godefroy, polytechnicien et insurgé déçu de 1830, répond par la négative à son colonel qui lui demande s’il se battrait contre les républicains. Aux révoltés de 1848 qu’il va réprimer il assène d’ailleurs un sermon républicain. Deux fois élu sous le second Empire, il refuse de prêter serment à l’empereur et donc de siéger.

30Son fils, né le 21 mai 1853 à Paris, lui ressemble : lauréat du concours général en 1867, il refuse de recevoir le prix de version grecque des mains de l’héritier de Napoléon III. En 1870 il est engagé volontaire et médaillé. Polytechnicien, maître des requêtes au Conseil d’État, il est député de la Sarthe en 1882, s’inscrit aux groupes de l’Union républicaine, puis de l’Union démocratique. Il entre au gouvernement comme sous-secrétaire d’État à la Guerre en 1885, rejoint les opportunistes et soutient Jules Ferry. En 1889, il vote les poursuites contre les boulangistes. En 1895, il est de nouveau ministre. Officier avant tout, il s’opposera à la révision du procès de Dreyfus, adhèrera à la « Patrie Française » et au groupe nationaliste à la Chambre. Intellectuel pourtant, il écrit un livre : « La formation de la Prusse contemporaine », et collabore à la Revue Historique et à la Revue des deux Mondes. Les motivations de Godefroy Cavaignac lorsqu’il rédige le décret ne peuvent faire de doute : il s’agit d’assurer l’armement de la Patrie en intégrant les ouvriers dans la République par des avantages suffisants pour les éloigner du socialisme, et constituer un nouveau corps d’État à la mesure des effectifs que l’immatriculation ne permet plus d’encadrer. Ce projet cousu de fil d’uniforme à la fois libère et corsète l’organisation ouvrière naissante.

  • 24 Le statut des « ouvriers à poste fixe » des poudres est fixé par l’ordonnance du 15 juillet 1818.

31Le décret du 26 février 1897 est donc signé par le ministre de la Guerre Billot et par le Président Félix Faure. Les considérants soulignent les raisons de l’obsolescence de l’immatriculation : « Jusqu’à la guerre de 1870, le personnel employé était beaucoup moins nombreux qu’aujourd’hui, et, dans l’effectif total, la proportion des immatriculés et ouvriers à poste fixe24 était relativement considérable. Cet état de choses se modifia profondément (…). Le nombre des ouvriers s’accrut alors dans des proportions jusque là inconnues, puis subit quelques années plus tard d’importantes réductions (…). Depuis cette époque ce nombre a forcément éprouvé de grandes et parfois de très subites variations, (…) mais il est toujours resté très notablement supérieur à ce qu’il était avant 1870. (…) Il advint ainsi que les pensionnés qui formaient la majorité du personnel ancien, ne constituèrent bientôt plus qu’un groupe très restreint dans le personnel nouveau. Composé seulement des contremaîtres, des chefs d’équipe et des ouvriers que l’État avait particulièrement intérêt à s’attacher définitivement, en raison de leur aptitude professionnelle, ce groupe prit dès lors son véritable caractère : celui d’un cadre d’élite assurant la continuité des traditions et permettant, le cas échéant, de donner à la fabrication tout le développement désirable (…) » Le maintien de l’immatriculation est donc jugé « nécessaire ». Les principales dispositions du texte répondent cependant aux préoccupations majeures des ouvriers et du système : le statut, les licenciements et la retraite. Elles représentent « le maximum de ce qu’il est actuellement possible de faire en faveur des ouvriers auxiliaires. Aller au delà serait effacer la légitime différence qu’il importe de maintenir entre eux et le cadre d’élite des pensionnés ».

32Le personnel, « exclusivement de nationalité française », est divisé en 3 catégories : les commissionnés, les auxiliaires et les journaliers. Le nombre des commissionnés est fixé par le ministre dans la limite d’au moins la moitié du personnel. Ils sont nommés par les directeurs des établissements, à l’ancienneté, sauf pour quelques catégories déterminées par le ministre, où le commissionnement se fait au choix. De premières instructions donnent aux directions le pouvoir de nommer les commissionnés « surtout en tenant compte de l’ancienneté et du mérite des services ». Mais en 1899, un amendement institue un conseil d’établissement composé du directeur, de deux officiers et de deux ouvriers élus parmi les commissionnés depuis 15 ans, qui émet un avis qui ne peut être modifié qu’au bénéfice de l’intéressé. Ce dernier reçoit alors un titre de commission signé du directeur. Sauf pour motif disciplinaire, « nul commissionné ne peut être licencié, tant que le licenciement peut porter sur des auxiliaires appartenant à la même profession que lui dans le même établissement ». En outre, si les soins médicaux sont donnés gratuitement à tous les ouvriers, cette mesure ne s’étend pas à leur famille – différence avec les immatriculés – et les seuls commissionnés ont droit à 6 mois de demi-traitement en cas de maladie non liée au service, tous les salariés dans le cas où la maladie résulte du service. Le ministre étendra le demi-traitement à tous les personnels dans tous les cas en 1905. Tous les salariés licenciés par manque de travail ont droit à une petite indemnité proportionnelle à leur temps de service. Enfin, le décret hiérarchise les sanctions : avertissement, exclusion temporaire, rétrogradation, déplacement d’office, renvoi définitif. C’est en général le directeur qui décide, mais seul le ministre peut prononcer le renvoi ou le retrait de la commission d’un commissionné.

  • 25 Depuis 1879, les immatriculés ont une pension qui dépend de la classe – il y en a deux – et du nomb (...)

33Un journalier devient auxiliaire après un an de présence, lorsque l’État concourt à ses versements à la Caisse des retraites, même s’il peut – à partir de 1908 – demander à cotiser dès la fin de son essai de 6 mois. Les versements sont de 4 % du salaire à la charge de l’ouvrier et d’une somme égale à la charge de l’État et sont obligatoires. L’ouvrier a le choix entre capitalisation et mutualisation, puisqu’il peut opter pour la « réserve de capital » ou « l’aliénation ». Mais les versements de l’État se font toujours à capital aliéné, et seule cette formule donne tous ses droits au salarié. C’est notamment une des conditions pour bénéficier du minimum garanti de la pension, à hauteur de 500 F pour les hommes et 360 F pour les femmes. Il faut aussi pour cela être entré dans le système avant l’âge de 30 ans pour les hommes et 25 ans pour les femmes. Cette pension est due à 60 ans pour les hommes, 55 pour les femmes, après 30 ans de services. A 25 ans de services, l’incapacité de travail reconnue donne droit à une pension complétée par l’État. Les veuves et les orphelins jusqu’à ce que le plus jeune ait 18 ans ont droit à une pension de réversion égale au tiers de celle de l’ouvrier. Le niveau de cette pension est ainsi fixé en dessous de celle des immatriculés qui s’échelonne depuis une loi du 31 juillet 1881 de 600 F à 1 100 F25.

34De plus, la date du 1er mars 1897 ouvre seulement une « période transitoire », pendant laquelle les pensions ne seront complétées par l’État qu’à la hauteur de 275 F pour les hommes et 198 F pour les femmes, plafond s’élevant chaque année jusqu’aux minima de 500 et 360 F au bout de 30 ans. Si l’on prend pour base les 5 F par jour garantis aux grévistes de la MAS en 1898, soit 1 560F par an, le montant de la retraite prévu pour 1927 est inférieur au tiers du salaire de 1898, celui de 1897 inférieur au 1/6. C’est là une pension bien chiche en vérité ! La revendication syndicale du franc journalier pour les retraités de la période transitoire trouve ici son sens.

35Ainsi ce statut est-il à plus d’un titre ambigu. Spécifiant que même « la commission ne crée aucun droit au maintien permanent au service de l’administration », il met la précarité en ordre, tout en étendant à un grand nombre de salariés des mesures sociales avancées, notamment les caractères obligatoire, mutualisé, solidaire et paritaire du financement de la retraite. Il façonne l’attachement des armuriers à l’État républicain. Ce dernier y compte bien : « En cas de cessation collective du travail dans un établissement, le directeur informera aussitôt les ouvriers, par voie d’affiche ou par insertion dans les journaux, que ceux qui n’auront pas repris le travail dans un délai de 2 jours (…), seront considérés comme ayant rompu leur contrat et pourront être rayés des contrôles ».

36Le rapport final du congrès de l’Union amicale de 1898 enregistre les avancées et les limites. Il suggère au groupe parlementaire : « vous voudrez bien nous indiquer d’une façon précise celles [de nos demandes] qui ont le plus de chance d’aboutir immédiatement au moyen d’une sélection ». Le moins que l’on puisse dire est que l’on n’est pas sur la voie du syndicalisme révolutionnaire ! Mais la méthode est en train de payer et le congrès insiste pour améliorer la retraite. Il veut aussi que les soins médicaux soient donnés à tous et à toutes les familles, et l’indemnité de maladie versée jusqu’au rétablissement ». Les mesures bienveillantes prises à l’égard de certaines catégories ont donné de tels résultats au point de vue humanitaire que le congrès manifeste le désir que tout le personnel ait droit aux soins médicaux (…) et aux traitements dans les établissements d’eaux thermales » – un privilège maintenu des immatriculés, corps dont on demande « l’extinction ». La suppression des masses de secours est revendiquée par le versement des sommes qui leur appartiennent comme première mise pour la constitution de sociétés de secours libres. Le congrès demande aussi que le commissionnement et les renvois se fassent exclusivement à l’ancienneté, et le réembauchage des vieux ouvriers licenciés depuis 1895 afin qu’ils puissent bénéficier du décret ! Il veut enfin que « le salaire de la femme soit relevé de manière à établir une proportion plus équitable entre la rémunération du travail de la femme et celui de l’homme » et critique les primes des chefs d’atelier et le travail aux pièces.

37Le décret de 1897 est complété ensuite : les dispositions de la loi de 1898 sur les accidents du travail sont intégrées à la réglementation à la demande des représentants ouvriers. Mais en défaveur des ouvriers, une circulaire du 6 juillet 1907 oblige le temporaire embauché pour une tâche précise ou pour remplacer un appelé à signer « une déclaration attestant qu’il sera de plein droit licencié dès l’achèvement de ce travail ». Communication de ce précieux document est faite aux syndicats afin d’éviter qu’ils ne réclament. Plus positivement, un décret du 9 avril 1906 accorde quinze jours de congés payés à tout le personnel. Enfin, à partir de 1908, le ministère cesse de nommer de nouveaux immatriculés. Le corps permanent des ouvriers de la Guerre est ainsi en voie d’unification.

38Cela ne règle pourtant pas la question de l’unité syndicale.

Reconnaissance et unité, le difficile combat de la Fédération de la guerre

39Le 4 mars 1900, à la MAC, un groupe d’ouvriers s’adresse au directeur : « La Chambre syndicale des ouvriers et employés de la Manufacture d’Armes de Châtellerault, fondée le 26 octobre 1899, conformément à la loi du 21 mars 1884, a l’honneur de porter à votre connaissance son existence. (…) Elle vous informe aussi que toutes les revendications que nous pourrions désirer vous seront soumises par l’intermédiaire d’une délégation, si la chose est possible ». Ont signé le secrétaire, Pageault, et le trésorier, Léon.

  • 26 Il n’y a qu’un seul congrès, nul ne concevant alors l’existence de plusieurs organisations.
  • 27 Cette sentence est à l’origine de la création du premier syndicat « jaune » à l’instigation de Schn (...)

40Consulté aussitôt, l’inspecteur permanent de l’Artillerie, le général Bourgneuf, répond le 19 mai. L’affaire est compliquée par le maintien de l’Union amicale dirigée par Abenoist à côté de la Chambre syndicale. Les deux groupements demandent une autorisation de se faire représenter au congrès national du personnel civil26. L’inspecteur joint une lettre du ministre de la Guerre, Galliffet : « (…) Aucune suite favorable ne peut être donnée à votre demande. L’administration de la Guerre n’entend pas par là empêcher les ouvriers de la manufacture de se grouper en syndicats professionnels, ainsi, d’ailleurs, que la loi du 21 mars 1884 leur en confère le droit. Mais, conformément à la sentence arbitrale, en date du 7 octobre 1899, rendue par M. Waldeck-Rousseau lors de sa médiation entre la société et les ouvriers du Creusot, l’administration n’est pas tenue de prendre le syndicat comme intermédiaire entre elles et les ouvriers ; elle entend donc conserver vis à vis de ceux-ci sa liberté d’action et, par suite, elle ne peut pas reconnaître à la Chambre Syndicale la qualité de mandataire des ouvriers de la Manufacture d’Armes de Châtellerault. (…) En ce qui concerne la reconnaissance des délégués [au congrès] il y a lieu de poser comme base de cette reconnaissance la nomination de ou des délégués par la majorité des ouvriers présents à l’établissement, c’est à dire la moitié plus 1 au minimum ». Par la sentence arbitrale citée27, le Président du Conseil a conclu à la nécessité de nommer des délégués représentatifs de la majorité du personnel. Mais l’élection de délégués par la majorité est vécue comme une atteinte à l’unité ouvrière par les militants. Elle pose aussi un problème au ministre : à quoi sert le partenariat, au principe du statut, entre le pouvoir et les congrès annuels des amicales, si l’organisation ouvrière n’est pas reconnue comme interlocutrice dans les établissements ?

41Le ministre envoie donc deux lettres classées « confidentiel » au directeur de la MAC. La première, datée du 1er juin 1900 répond aux questions de l’officier manifestement désarçonné : « (…) rien ne s’oppose à ce que plusieurs syndicats soient constitués et qu’un syndicat, fût-il unique, ne comprenne que la minorité des ouvriers (…). Toutefois, dans certaines circonstances et notamment lorsque les syndicats représenteront la majorité, il pourra y avoir intérêt pour les directeurs à accepter cet intermédiaire, dans le but de prévenir les difficultés (…). Dans le cas également où il ne s’agirait que de questions intéressant l’existence ou le fonctionnement même de ces syndicats, alors même qu’ils ne représenteraient pas le plus grand nombre, le directeur ne saurait opposer un refus à les entendre (…) ». La seconde lettre, datée du 11 février 1901, admet une représentation syndicale au niveau de l’établissement, et un cadre de négociation hiérarchisé : « Si vous ne devez pas accepter la discussion sur des questions de salaire ou autres dont je me réserve la solution, rien ne vous empêche d’expliquer les mesures que vous avez cru devoir prendre soit de votre propre initiative, soit par application des règlements en vigueur ». Second principe : « Dans le cas où un syndicat demande la révision ou la modification d’un règlement existant, vous ne pouvez que promettre de m’en référer ; si, au contraire, le syndicat se borne à soutenir qu’il n’a pas été fait une bonne application des règlements soit de votre fait soit de celui de vos subordonnés, il vous appartient de lui fournir telles explications utiles (…) ».

42En clair, l’arbitrage du Creusot ne permet pas de régler les relations entre la Guerre et ses ouvriers. En mars 1903, deux scrutins sont organisés à la MAC, le premier par l’Amicale pour savoir si les commissionnés et immatriculés doivent accepter une perte d’un jour de travail pour réduire les licenciements, et le second à la demande du ministre pour savoir si une demi journée de travail perdue serait acceptée ; le second vote est positif… laborieux refus du monopole syndical !

43La conception de l’administration s’ajuste donc. Une lettre confidentielle du Colonel Abaut, sous-inspecteur permanent, la confirme le 25 septembre 1903 : « Monsieur le ministre de la Guerre désire voir cesser partout l’état de tension qui paraît exister dans certains établissements, entre les chefs de service et les syndicats ouvriers. Il estime que ces syndicats, qui sont de droit pour les ouvriers, constituent un auxiliaire précieux pour le commandement, à condition qu’on se prête à leur fonctionnement, et qu’en maintenant tous les droits de l’autorité, on évite tout ce qui pourrait ressembler à des taquineries à leur égard. (…) en particulier, bien que l’objet des syndicats soit en principe limité à la défense des intérêts collectifs des ouvriers, on ne saurait refuser leur intervention toute officieuse pour la défense des intérêts particuliers (…) ». Encore en 1906, le 22 décembre, une lettre du ministre à l’inspecteur permanent s’appuie sur le règlement de 1904 et persiste : « (…) Je ne doute pas, d’autre part, que les représentants des syndicats professionnels aient à cœur de seconder le directeur dans sa tâche et de devenir pour lui des auxiliaires précieux pour l’exercice du commandement ; dans ce but, il serait très désirable qu’ils lui adressent avec confiance leurs revendications avant de m’en saisir (…) ».

44Pour autant, plusieurs organisations peuvent-elles participer à un congrès qui prétend représenter toute la profession ? A Châtellerault cela se règle à l’expérience : en 1901, les délégués de l’Amicale sont seuls autorisés à s’absenter avec salaire. En 1904, le ministre n’accorde qu’un seul délégué payé, mais maintient le salaire d’un immatriculé, Denier, mandaté au congrès de la mutualité française. L’année suivante, Lambert, désigné pour le Conseil supérieur du Travail, fait l’objet d’une injonction ministérielle au directeur : « autorisez le immédiatement à partir ». Pour le congrès de 1906, une réunification est intervenue à la MAC, mais un Syndicat des immatriculés envoie aussi une délégation à son congrès fédéral, et dans la suite des représentants de plusieurs organisations pourront participer avec salaire à leurs congrès ; en janvier 1907, deux représentants de deux organisations châtelleraudaises sont payés le temps d’une délégation au ministère. Enfin, une circulaire ministérielle de 1908 autorise la collecte des cotisations syndicales. Le consensus national sur la représentation des ouvriers de la Guerre transcende ainsi les aléas de la vie politique.

  • 28 L’agent de maîtrise, 3 ouvriers, une ouvrière, un employé.

45Un décret du 24 janvier 1901 crée une commission mixte consultative chargée de donner un avis sur les demandes et réclamations des syndicats et autres associations ouvrières. Ses membres sont nommés par arrêté ministériel. Devenue véritablement paritaire – sans que le mot soit écrit – en 1908, elle voit étendre ses attributions et comprend des délégués élus par les personnels de chaque catégorie28. Cependant, un décret de 1912 revient en arrière : le personnel n’est plus représenté que par 3 membres ou anciens membres du Parlement, qu’il est cependant possible de prendre alors parmi d’anciens ouvriers d’État. Les relations de la Fédération des personnels civils sont alors également dégradées avec le ministre et le Parlement. En fait, alors même que la CGT est en train de quitter les sentiers du syndicalisme révolutionnaire, les ouvriers de l’État s’intègrent mieux dans la centrale, ce qui contribue, paradoxalement, à durcir leur rapport avec leur employeur.

  • 29 Abenoist se revendique du nombre des adhérents fin 1899, c’est-à-dire avant la scission : 1 247.

46Dès le congrès de 1898 la question du mot a été posée par certains délégués : « Un délégué demande que l’on fasse précéder le titre de l’Union amicale du mot « syndicat (…). Les délégués ne croient pas que cela puisse se faire, et en donnent de longues explications qui sont approuvées par la majorité ». Mais cela laisse un vide. A Saint-Étienne aussi, en 1900, un Syndicat ouvert à « tout travailleur travaillant à la manufacture de l’État, ceci pour affirmer que la solidarité des travailleurs doit être universelle » veut établir des liens fraternels entre les ouvriers et leur « apprendre à s’aimer et à s’estimer » : « afin d’affirmer ses principes de solidarité, la Chambre syndicale de la Manufacture Nationale d’Armes déclare d’ores et déjà adhérer aux principes de la Fédération et pour cela s’engage à faire le nécessaire ». A Châtellerault, des militants socialistes s’impatientent, au point que quelques coups échangés le 7 janvier 1900 (une « manifestation sanglante » !) conduisent l’amicale de Saint-Étienne, alors en charge de l’Union, à écrire dans les jours suivants à celle de la MAC pour lui demander de rompre avec les « organisateurs de coup d’État », et lui signifier qu’elle ne veut pas que la politique s’insère dans l’organisation. Il faut dire qu’au congrès de 1899 la délégation du syndicat a été refoulée pour ne pas créer de précédent, et le Syndicat n’a pas en tant que tel cotisé à l’Union amicale. Il a pourtant une audience incontestable : il se crée dans une salle comble le 6 août 1899, et revendique l’assimilation de tous au régime des commissionnés et immatriculés pour la garantie maladie, revendication approuvée par la direction de l’établissement, puis demande la fin du travail aux pièces et l’assimilation du statut à celui des travailleurs des PTT. Le secrétaire écrit à la commission de Saint-Étienne pour défendre des revendications que l’Amicale refuse, et fait valoir qu’avec 850 adhérents, le Syndicat est l’organisation la plus représentative29. Abenoist, défend la pérennité du sigle comme une garantie d’indépendance, et s’accroche au décret du ministre de l’Intérieur légitimant l’Union amicale. L’Amicale, reconnue par l’Union et la direction, refuse toutes les avances du Syndicat. Mais en 1903, devant l’ampleur des licenciements, c’est elle qui l’invite à une réunion commune afin « d’éviter un véritable désastre ». Il faut encore 2 ans pour que l’Union syndicale rassemble les deux courants, mais entre temps le débat est nationalement tranché.

47Les statuts de la « Fédération nationale du personnel civil des établissements de la Guerre » sont déposés en 1901. Le siège est fixé pour l’année par chaque congrès, et le Conseil du syndicat de la ville choisie prend alors le titre de « Conseil d’administration de la Fédération nationale ». Les syndicats adhérents conservent leur autonomie pour les revendications qui sont du ressort des directeurs, mais « pour celles portant un intérêt collectif, ils sont tenus de les faire passer par la Fédération ». Chaque établissement ne pourra être représenté que par une seule organisation au congrès. L’article 10 spécifie que « les administrateurs des syndicats ne pourront se servir de leur titre ou de leur fonction audit syndicat pour soutenir une élection politique quelconque ou y briguer des suffrages. La même interdiction s’applique aux administrateurs de la Fédération ». Le siège est fixé pour cette année au 51 rue de Roanne à Saint-Étienne, siège de « l’Union Syndicale du Personnel Civil Libre » de la MAS dont les statuts ont été déposés le 8 juillet 1901 en Mairie de cette ville. Le premier conseil d’administration est donc à la fois celui du syndicat stéphanois et de la Fédération :

  • 30 Berlier est ignoré des monographies locales. Le DBMOF lui consacre un article squelettique.

48Berlier est destiné à diriger la Fédération jusqu’au lendemain de la Grande Guerre. C’est un personnage de première importance dans l’histoire même de la CGT30. Voici la composition de la Fédération :

Les syndicats fondateurs de la Fédération de la Guerre

Union Syndicale des ouvriers et employés

de la MAT (Tulle)

Unions Syndicales du Personnel civil (Libre)

du Personnel civil de la direction d’Artillerie de Vincennes
des établissements de l’Artillerie et du Génie de Vernon, de la MAS
(Saint-Etienne)
de l’Arsenal de Besançon
du Personnel civil de l’établissement de Chablis Meudon.

Syndicats du Personnel civil (Libre)

des établissements militaires de Puteaux, du Mt Valérien et de Versailles
du Personnel des établissements militaires de l’Artillerie de Lyon
de la Section Technique de Paris
des deux sexes des établissements militaires de Bourges, fonderie de canons, pyrotechnie, Arsenal.
des deux sexes des établissements militaires de Valence

Chambre syndicale

des Travailleurs de l’Atelier de Construction de Rennes

Syndicats de l’Union amicale du Personnel Civil Libre

des établissements militaires de Tarbes
de la Direction d’Artillerie de Douai
de la Direction d’Artillerie de Toulouse

Union amicale du personnel Civil Libre (syndicat ouvrier)

de la MAC de Châtellerault

Fédération ouvrière

des poudreries et raffineries de France

49Au congrès de 1904, il est décidé que tous les syndicats auront un titre unique : « Fédération des établissements de la Guerre, Syndicat de XXX, adhérent à l’Union fédérative des travailleurs de l’État et à la CGT ». Trois syndicats votent contre : Vernon, 32 adhérents, Châtellerault, bon dernier à s’appeler encore « amicale » avec « syndicat » entre parenthèses et Tulle où l’on était hier encore du Syndicat de la métallurgie. La Ruche Rouge, cette Bourse du Travail « indépendante », est créée l’année suivante pour maintenir l’unité interprofessionnelle.

50Cela n’empêche d’ailleurs pas la formation à la MAT du syndicat « des immatriculés et candidats à l’immatriculation », ni les comptables et dessinateurs de créer leur propre organisation.

51Car l’unité est un dur combat. Le congrès de 1898 avait déjà pris acte de la tenue à Bourges, en août, d’un congrès des employés, où avaient été élaborées des revendications « contraires aux nôtres », visant à rapprocher l’employé de la dignité de fonctionnaire dans l’espoir d’une retraite équivalente à celle que leur garantit la loi de 1853. Le député opportuniste Bazille défend ce projet à la Chambre et s’attire les foudres ouvrières : « (…) certains de nos collègues (…) penseraient qu’il doit être établi une différence entre les ouvriers de la plume ou du marteau, contrairement à nous (…) nous n’avons pas voulu établir (ce qui serait facile) que nous avons pour la plupart les aptitudes nécessaires pour faire, le cas échéant, des employés, alors que fort peu d’entre eux, au contraire, pourraient faire des ouvriers ; nous n’avons voulu voir que les principes, et par une soif bien compréhensible de justice et d’égalité [nous demandons] une réglementation unique des pensions de retraite ».

52Le congrès des 5 et 6 octobre 1901 adopte pourtant les statuts de la « Fédération Nationale des Employés Civils des établissements et services militaires du ministère de la Guerre », déposés le 10 à la Mairie de Puteaux. Cette fédération se propose de chercher « exclusivement les mesures économiques et les réformes législatives que peut réclamer l’intérêt général du personnel civil, employés des établissements (…) de la Guerre ». Le projet Bazille ne voit pas le jour, mais l’action syndicale obtient un statut propre à la majorité des employés par les décrets du 12 janvier 1906 sur la titularisation, améliorant par la même occasion les conditions de retraite, et du 11 mai 1907 sur l’avancement et les classifications. Subsistent pourtant des employés au statut militaire, et quelques « fonctionnaires » dont la retraite est fixée par la loi de 1853, dont le bénéfice est par la suite réclamé pour tous. Les employés ressortissant du décret de 1897 sont répartis en 4 classes par profession, parfois couronnées par une 5eme, employés de bureaux ou dessinateurs « principaux ». Outre ces deux catégories, sont concernés les expéditionnaires (sorte de sous employés de bureau), calqueurs (sous dessinateurs), experts en habillement, chimistes, surveillants, concierges, gardiens de champs de tir. L’avancement se fait à l’ancienneté et pour un dixième au choix, par établissement ou groupe d’établissements. Il consiste en une augmentation du traitement mensuel. Les examens exigés à l’entrée sont également décrits.

  • 31 Nancy, Lille, Puteaux, Tarbes, Toulouse, Marseille, Bourges, La Rochelle, Douai, Alger, Tulle, Oran (...)

53Cette fédération est sous influence : à l’ouverture, le congrès de 1905 au Musée Social est présidé par le général Abaut, représentant le ministre de la Guerre. 9 députés dont Le Hérissé, 5 sénateurs, le directeur de l’intendance du gouvernement militaire de Paris, celui de l’établissement de Vincennes, et deux autres officiers assistent aux travaux des 41 délégués venus de 16 villes31. Le ministre reçoit une délégation à l’issue du congrès, ainsi que le Sénat et la Chambre. Enfin un banquet réunit congressistes et personnalités civiles et militaires au son de la fanfare du 5e Régiment d’infanterie ! Les revendications sont, malgré tout, parfois en avance sur leur temps : on réclame notamment une échelle des salaires uniforme au plan national. A la fin de ses travaux, le congrès de l’année suivante exprime ses remerciements à la presse, « et tout particulièrement à « Radical » qui a toujours soutenu les revendications si légitimes des employés civils de la Guerre ». Le Président de la Fédération est Charles, le Secrétaire général Bunel.

  • 32 L’Humanité du 13 décembre 1911.

54Lancée, la machine à diviser ne s’arrête plus. Au « Syndicat des employés civils de l’Artillerie et du Génie » de Saint-Étienne déclaré en 1901 vient s’ajouter en 1903 une « Association syndicale des employés civils de l’artillerie et du génie du XIIIe corps d’armée », non confédérée, qui se divise elle-même lors de l’élection à la commission mixte de 191132. Un « Syndicat des agents techniques de la MAS » est déclaré en 1907 et adhère à la Fédération des fonctionnaires et à la CGT ; il regroupe une cinquantaine de chefs d’ateliers, contremaîtres et chefs d’équipe. Les immatriculés forment peu à peu leurs propres syndicats. Celui de Saint-Étienne est déclaré le 2 août 1903. En 1906, la nouvelle Bourse du Travail refuse de l’accueillir dans ses locaux, car le syndicat est « subventionné par le Conseil Municipal et n’est pas adhérent à la CGT ». Ce syndicat, qui crée finalement sa propre Bourse, probablement avec l’aide de l’industriel Arbel, ne s’éteindra qu’en 1937 faute d’adhérents. En 1903, c’est à la préfecture de la Loire que sont déposés les statuts de la « Fédération nationale des immatriculés de l’Artillerie », composée des syndicats de Tulle, Saint-Étienne, Châtellerault et Bourges.

  • 33 Ce syndicat classé « jaune » a son siège… rue du Pavillon Chinois !

55Le 18 mars 1905 ont par ailleurs été adoptés les statuts de la « Chambre syndicale des ouvriers professionnels libres de la MAS », qui ne peut établir son siège à la Bourse du Travail, d’où une protestation auprès du ministre du Commerce et de l’Industrie. Ce syndicat dirigé par Joseph Masson élit son conseil par groupes professionnels. Avant guerre, il participe à des congrès du personnel civil libre au Musée Social à Paris. C’est très probablement lui qui représente la MAS fin 1905 au congrès des « jaunes ». En tous cas Masson sera un leader du syndicalisme « indépendant ». Ses revendications ne distinguent pas nettement cette organisation. Elle peut s’interpréter comme une réaction d’ouvriers professionnels contre la hiérarchie statutaire qui se substitue à celle du métier33.

  • 34 L’aventure des « jaunes » des arsenaux conduit à une conclusion opposée à Zeev Sternhell qui fait d (...)

56Le congrès des « jaunes » dont rend brièvement compte le Travailleur de l’État de janvier 1906, introduit auprès du ministre par le député de Bourges Debeaune, ne représente pas plus de 400 syndiqués de 3 établissements, et le syndicat de Bourges rejoint alors les « rouges ». Il semble que les deux autres soient des dissidences de la CGT, liées à des questions de personnes. Mais en novembre 1907, un congrès réunit au Musée Social à la fois la Fédération des immatriculés et celle des professionnels. Les deux organisations constatent la « connexité des desiderata de leurs mandants » et établissent un programme unique de revendications. Ce regroupement est désigné souvent sous le terme de « jaune », comme tous ceux qui refusent l’adhésion à la CGT. Les quelques comptes-rendus conservés ne permettent pas de savoir s’il entretient des relations effectives avec la Fédération des jaunes de France créée en 1904 par Bietry et éditrice du journal Le Jaune. Il n’en partage en tous cas ni l’évolution anti-parlementaire ni l’agressivité contre la CGT et il poursuit son existence au delà de celle de cette fédération disparue en 191034.

57Un aperçu de la situation peut être donné pour 1907. A la MAC cohabitent l’Union syndicale du personnel civil libre (CGT), le Syndicat des employés civils de la région de l’Ouest (CGT), un Syndicat des immatriculés, un Syndicat des commissionnés, une Union des anciens apprentis qui va fusionner bientôt avec les immatriculés, soit 5 organisations. A la MAS, se côtoient l’Union syndicale du personnel civil libre (CGT, 1000 adhérents), le Syndicat des employés civils (CGT), le Syndicat des agents techniques (CGT, 53 membres), l’Association syndicale des employés, la Chambre syndicale des professionnels (310), et enfin le Syndicat des immatriculés (218), soit au moins 6 organisations. A la MAT, sont repérés l’Union syndicale (CGT, 500 adhérents), le Syndicat des immatriculés et candidats à l’immatriculation et le Syndicat des comptables et dessinateurs civils. Au plan national existent au moins 6 fédérations, 7 avec celle des fonctionnaires qui compte ici quelques représentants, 8 avec la » Fédération des ouvriers civils et ouvrières des magasins de la Guerre », créée en 1900 (500 adhérents, CGT). 5 sur 8 sont adhérentes à la CGT.

  • 35 11 475 recensés au congrès de 1913.

58Toutefois la Fédération CGT du personnel civil revendique 8 000 adhérents en 1906, son congrès rassemble alors 31 délégués venus de 25 établissements, elle domine largement toutes les autres. En 1908, l’élection des délégués à la commission mixte consultative oppose la liste « rouge » de la CGT à la liste « jaune » des immatriculés et professionnels, qui s’affichent comme « indépendants pour rallier les voix des non syndiqués et du syndicat jaune et représenter les professionnels par des professionnels ». Tous les candidats de la Fédération ouvrière CGT sont élus par 8 463 voix contre 1 801. Le résultat du vote des employés n’est pas conservé, mais la CGT des employés ne pouvait pas perdre. En 1913, la Fédération du personnel civil revendique près de 12 000 adhérents35, soit un taux de syndicalisation à la seule CGT de 60 %. Cette année là, le Syndicat des immatriculés de la MAC, faute d’avoir convaincu sa Fédération, qu’il juge trop faible, de rejoindre la CGT, se rallie seul à cette dernière.

59La constitution et la reconnaissance d’une fédération d’industrie face à l’État posent la question des modalités de son intégration dans la confédération qui veut unir tous les travailleurs. C’est d’ailleurs parce qu’elle partage ce projet que la fédération s’impose comme le véritable représentant des salariés. La réponse à cette question va cependant infléchir définitivement les idées de la CGT et de la gauche française en général.

Léon Gervaise et l’Union fédérative des travailleurs de l’État

60« L’Union fédérative des travailleurs de l’État » voit le jour à la Bourse du Travail de Paris le 29 août 1901. Elle adopte ses statuts en 1902 et tient son premier congrès en 1903. Elle s’est imposée contre l’idée, un temps majoritaire à la Confédération, qu’un regroupement des travailleurs de l’État fait double emploi avec la CGT, et les sépare donc du gros de la classe ouvrière. Lors du premier congrès, l’on recherche pourtant avec l’aide de Griffuelhes « les moyens les plus pratiques pour l’adhésion des organisations de l’Union à la Confédération ».

  • 36 Léon Gervaise n’a droit qu’à quelques lignes du DBMOF. Sa trace n’est repérée à ce jour que dans le (...)

61En effet, alors qu’à la CGT sont représentées des Bourses du Travail et des Fédérations il existe des syndicats nationaux non fédérés. Léon Gervaise, maître d’œuvre de l’Union avant d’en devenir secrétaire général, brise ainsi l’isolement de son Syndicat des Monnaies et médailles36. Il convainc une à une les fédérations qui vont constituer l’Union. Sans attendre l’achèvement de cette tâche paraît le premier numéro du Travailleur de l’État, organe de l’Union fédérative, daté d’avril 1902. Le sigle CGT n’apparaît pas dans la manchette des premiers numéros : certaines fédérations affiliées ne sont pas encore confédérées. Le congrès de la Guerre vote son adhésion à l’Union après avoir entendu les arguments de Gervaise le 3 juillet 1902. l’Union fédérative se compose bientôt en outre des Fédérations des magasins administratifs de la Guerre, des poudreries, de la Marine, des Tabacs et des ouvriers allumettiers – celle de Léon Jouhaux ; s’y ajoutent le Syndicat national des PTT et celui de Gervaise. 17 500 syndiqués seraient ainsi regroupés en 1903 et l’effectif se stabiliserait rapidement autour de 35 000.

62L’affaire n’est pourtant pas facilement acceptée, et la Bourse du Travail de Paris refuse même un moment ses locaux. Gervaise réfute les arguments qui conduisent à cette décision lors d’une assemblée générale du Syndicat des Monnaies et médailles, le 13 mai 1902 : « tout en restant solidaires avec le prolétariat organisé et tout en adhérant séparément à la CGT, il est nécessaire que les syndicats et fédérations des ouvriers de l’État fassent un bloc compact pour obtenir le succès des revendications communes ». Il signe aussi un article du premier numéro du journal de l’Union fédérative en réponse à l’accusation de particularisme : « (…) L’État patron n’est autre chose qu’une formidable puissance industrielle ; les contribuables en sont les actionnaires, les membres du Parlement sont les administrateurs élus par ces actionnaires, au petit bonheur le plus souvent, et les ministres ne sont que les délégués chargés de la gestion financière et morale des industries exploitées par l’État sous la forme de monopoles, qui constituent un embryon de la société future.

63Les ouvriers de l’État sont en même temps des actionnaires et il est tout naturel qu’ils se préoccupent d’exercer utilement leur droit de désigner les administrateurs qui doivent délibérer sur leur situation (…).

64(…) toute amélioration de notre sort à nous, travailleurs de l’État, doit avoir sa répercussion sur le prolétariat tout entier (…) ».

  • 37 Cf. Edouard Vaillant au congrès socialiste de Nancy d’août 1907 : « Les syndicats de fonctionnaires (...)

65Ayant le même patron, il est logique que les travailleurs de l’État s’organisent ensemble. Mais au-delà, si le but de la CGT est l’unité de la classe ouvrière pour l’abolition du salariat, cela passe par la collectivisation. Or que sont les établissements de l’État, sinon des entreprises collectivisées ? Le monopole sur lequel se fonde leur activité est donc l’ébauche du socialisme. On imagine l’effet sur l’esprit des syndicalistes révolutionnaires partisans de la disparition de l’État ! Déjà, dans le numéro de novembre 1902, un article signé d’un autre membre du Syndicat des Monnaies et médailles, à propos d’une grève des mineurs de Pennsylvanie, incite les adhérents à se faire remettre par les députés les éléments du budget les concernant : « Ce sera comme un premier pas de fait vers le contrôle des comptes publics par le public lui-même »37.

66A ceux qui reprochent à l’Union d’être sous la coupe de dirigeants politiques répond un autre article du même numéro : « Cette politique si nécessairement exclue, est celle qui consiste à prendre fait et cause pour telle ou telle chapelle, telle ou telle personnalité (…) c’est en somme la politique des partis, aussi dangereuse pour l’existence de nos syndicats que les questions religieuses ; car chacun songeant avec son tempérament beaucoup plus qu’avec son savoir refuse de rester groupé avec des gens dont les opinions sont contraires aux siennes ».

67La CGT peut donc avoir son propre projet et le faire valoir par tous moyens que les circonstances lui offrent, y compris les élus du « petit bonheur ». Il en est au fond de l’indépendance syndicale comme de la laïcité de l’école selon J. Ferry : laïque, non confessionnelle, non partisane, mais clairement républicaine. Ainsi, quatre ans avant la Charte d’Amiens, en se formant, l’Union fédérative des travailleurs de l’État définit-elle une conception du syndicalisme de masse alternative à celle qui prévaut alors dans la CGT, conception très proche d’une formule jaurésienne : la « République jusqu’au bout ».

68Pour Gervaise, l’État – ou peut-être plutôt la nation, à l’instar de la différenciation bientôt introduite dans les débats de la Fédération des fonctionnaires et déjà perceptible chez Vaillant – préfigure, comme propriétaire collectif, une société où seront collectivisés les moyens de production. Pour la majorité de la CGT, encore peu marquée par l’organisation rationnelle du travail et la grande entreprise, nourrie de références à Proudhon plutôt qu’à Blanqui, c’est l’association syndicale qui préfigure la république ouvrière. Il s’agit donc, fondamentalement, d’un clivage sur les rapports de la classe ouvrière à la nation, voire à la société universelle. La République existante est vouée selon le cas à la disparition ou au dépassement, fondue dans la grève générale ou dans la nation assimilée à la multitude des citoyens producteurs.

  • 38 Il s’agit évidemment des travailleurs des arsenaux de la Marine nationale.

69Le deuxième congrès de l’Union fédérative, juste après celui des Personnels civils de la Guerre, est encore en 1904 l’occasion d’un débat entre la Fédération de la Marine38 et celle de la Guerre. La Marine veut supprimer l’Union fédérative qui deviendrait une « section des travailleurs de l’État » ; le brestois Le Gall, défend la thèse du double emploi avec la CGT. Afin de s’intégrer dans le combat commun, il propose par ailleurs un plan d’organisation de la grève générale, avec comités de grève et sous-comités locaux en relation avec le Comité central de grève de Paris ; il propose que les syndicats des fédérations de l’Union interviennent dans ce sens au sein des diverses Bourses du Travail.

70Le congrès de la Guerre a pris une autre position : « Le congrès, reconnaissant qu’actuellement il est impossible de tenter la grève générale, donne mandat à ses délégués de faire une propagande active dans leurs syndicats respectifs, en faveur de ce mouvement économique qui seul peut faire aboutir nos revendications ». La caractérisation de « mouvement économique » est certes un rappel des termes utilisés par les anarchosyndicalistes pour distinguer la grève générale de l’action parlementaire. Mais c’est aussi une façon de dire à l’État patron que l’on n’accorde nulle dimension politique à ce mouvement purement revendicatif ! Le débat n’a eu lieu, évidemment, que parce qu’il est demandé par la Confédération. Les revendications qui ne peuvent aboutir que par ce « seul » mouvement sont les siennes. Celles des armuriers de l’État ont, tacite évidence, d’autres chemins. Au congrès de l’Union fédérative, le représentant de la Guerre, Chabany, de Saint-Étienne, « ne veut pas du tout que l’on englobe l’Union dans la CGT. Il entend que les ouvriers de l’État doivent rester autonomes et défendre eux-mêmes leurs intérêts, tout en faisant œuvre de solidarité envers les ouvriers de l’industrie privée quand il y a lieu de le faire ». La position de Gervaise n’est pas un simple point d’équilibre. Elle est conforme à sa prémonition de la société future : la fonction de l’Union fédérale est d’obtenir rapidement des réformes tout en éduquant ses membres, de « leur indiquer leur rôle social et les préparer à la révolution sociale que la Confédération se donne comme but ». Les travailleurs de l’État ont ainsi dans leur différence une mission particulière contenue. Par l’élargissement de leurs droits et de leur contrôle sur leur activité, ils sont en quelque sorte plus proches du but que ceux du privé, en avant garde de la réforme sociale.

71La Fédération de Marine n’accepte finalement de rester à l’Union fédérative qu’à la condition que soit votée une résolution demandant à la Confédération la création de la fameuse « section des travailleurs de l’État ». Voilà la CGT devant le choix : accepter l’Union fédérative, ou instituer une section. Or, le congrès de Montpellier, cette même année, décide que le Comité confédéral sera composé des deux sections des Bourses du Travail et des Fédérations. Si, pour la Marine, créer une « section » signifie s’intégrer dans la Confédération, pour celle-ci, cela remettrait en cause un équilibre déjà négocié. Faudrait-il dès lors prendre en compte trois composantes, donner aux Travailleurs de l’État autant de poids qu’aux Bourses et à l’ensemble des fédérations du privé ? Au demeurant, pour la majorité anarcho-syndicaliste du Comité confédéral, travailler pour l’État, c’est un peu travailler pour l’ennemi, et dans la société sans État que préfigure la CGT… où seraient ces travailleurs ? Gervaise peut dormir tranquille, la CGT ne risquera pas un tel débat. Ce seront pourtant toujours les fédérations qui seront, conformément aux statuts, représentées dans les instances confédérales. Gervaise lui même n’y sera présent qu’au titre de celles, comme les magasins de la Guerre, qui le mandateront à cet effet. D’ailleurs, le premier congrès de l’Union fédérative a simplement émis le vœu que les organisations qui la composent demandent leur adhésion à la CGT.

72Quant à la grève générale un ordre du jour est adopté, dont on mesurera la différence avec celui de la Guerre d’un œil d’ajusteur : « Le congrès des travailleurs de l’État, constatant que l’État patron ne tient aucun compte des revendications du personnel placé sous ses ordres, engage les délégués de toutes les organisations à faire une propagande active en faveur de la grève générale des travailleurs de l’État ». Cette innovation est au rebours des propositions de Le Gall sur les comités de grève. Ainsi, entre la conception confédérale de l’unité dans la grève et la stratégie des organisations de travailleurs de l’État, la Marine est en quelque sorte prisonnière de son statut.

73Cette année 1904, est celle de licenciements massifs et de la provocatrice déclaration du sénateur Waddington. Le Congrès de la Guerre ne peut laisser passer : « M. le Sénateur Waddington mentionne la concentration des établissements de l’Artillerie ou, pour parler plus net, la fermeture d’une partie des 19 usines de l’État. Cette question intéresse au plus haut point les ouvriers de nos arsenaux, car ils seront les premières victimes (…) ». S’appuyant sur une étude réalisée sur les cartoucheries par le syndicat de celle de Tarbes, un rapport est voté, daté du 29 juin, signé de Berlier et Chabany. Argumentaire bien proche de celui de l’inspecteur Enjalbert en fait : si l’on laissait l’Armement au privé,

  • Les frais généraux ne seraient pas diminués, car l’essentiel de l’encadrement est constitué par des officiers « pour la plupart détachés des corps de troupe en temps de paix ». Au demeurant, dans le cas d’une usine civile, il faut y ajouter… les dividendes.

  • Il n’y aurait pas encouragement à l’industrie : elle fournit déjà « les aciers et les laitons ». Surtout, il faudrait lui imposer l’obligation d’être toujours outillée et d’avoir toujours en magasin les approvisionnements au complet en vue d’une mobilisation.

  • Le prix de revient ne baisserait pas pour l’État, puisque les économies faites sur le dos des salariés seraient conservées à titre de bénéfices par les entrepreneurs ; pire, on courrait le risque de voir s’opérer une concentration verticale, les industriels les plus intéressés à l’achat des cartoucheries étant les producteurs d’acier ou de laiton, alors en position de monopole.

  • Ce système serait un frein à l’innovation, car ces industriels n’auraient pas intérêt à diminuer les quantités de matière. Au demeurant, la dispersion des cerveaux, l’étude des changements dans les munitions en fonction de la production et non plus du tir, seraient autant de handicaps, obligeant l’État à payer cher en brevets et honoraires.

74En fin de compte « l’État n’aurait rien à gagner à aliéner ses usines ; mais les ouvriers qui ont déjà sacrifié le meilleur de leur existence au service de l’État auraient tout à perdre (…) ». Communauté d’intérêt porteuse d’espoirs : « Enfin la tendance actuelle est de confier à l’État un certain nombre de monopoles ; l’État est déjà marchand de poudres, de tabacs, d’allumettes ; il sera demain marchand d’alcool et chargé, seul, des transports en chemin de fer, comme le demande la majorité de la nation ; il semble que la logique veut que, à plus forte raison, l’État reste son propre fournisseur pour une marchandise qui intéresse sa sécurité même ». On est alors sous le gouvernement du Bloc des Gauches, dominé par les radicaux et soutenu par les socialistes. S’annonce ainsi la revendication des « nationalisations industrielles » qui sera, sous l’autorité de Jouhaux, celle de la CGT des lendemains de guerre : dans le Travailleur de l’État de décembre 1912 Legardeur, du Syndicat des Postes, écrit que le syndicalisme « ne peut repousser la nationalisation de ses moyens d’instaurer le socialisme avec régime communiste ».

75Le « petit bonheur » électoral fait pourtant un malheur ! En 1907-1908, les syndicalistes ont le sentiment de ne plus rien tirer des parlementaires et des gouvernements hostiles à la CGT arrêtent et révoquent militants et grévistes... Chambas, accusé avec un militant des mécaniciens de la Seine d’avoir, au cours d’une réunion publique à Tulle, dénoncé un « gouvernement d’assassins » et ses « mouchards payés » – outrage au commissaire en fonction au fond de la salle – est traîné devant les tribunaux, muté à Châtellerault ; une vigoureuse campagne provoque la médiation de Clemenceau soi-même : Chambas s’en tire avec 25 F d’amende et rentre à la MAT. C’est alors le tour de Le Gall d’être exclu de l’arsenal de Brest, et quand un meeting vote à Bourges un « ordre du jour » constatant « que le gouvernement a plus d’égard pour des malfaiteurs que pour des militants ouvriers » le sous-secrétaire d’État Chéron diligente une enquête. Personne ne parvient à se rappeler qui a rédigé ce texte, voté en fin de réunion et qui n’a pas eu de retentissement…

  • 39 JO, Édition méthodique, no 65, 1933

76Le doute sur la fidélité des ouvriers de la Guerre est toutefois entretenu par la presse qui souligne la contradiction entre leur mission et les positions antimilitaristes de la CGT. Lorsqu’en octobre 1905 Le Matin et Le Gaulois imaginent un groupe socialiste spécial d’ouvriers de la MAT projetant de faire sauter l’établissement en cas de guerre, syndicalistes et socialistes protestent de leur fidélité. En mai 1907 Gervaise en personne réfute l’antipatriotisme dans Le Travailleur de l’État, limitant l’antimilitarisme aux soldats réprimant les grèves. Peine perdue. Une circulaire est éditée par le ministre de la Guerre le 1er octobre : « l’État ne pourrait sans danger certain, employer dans les établissements militaires des hommes qui, participant à cette organisation, se croiraient obligés de suspendre le fonctionnement de ces établissements au moment où ils seraient le plus nécessaire »39. Le député Voilin interpelle le gouvernement sur l’application de cette décision. Un vote s’ensuit, où plusieurs membres du groupe parlementaire approuvent le gouvernement. Au congrès de 1913, la Fédération rompt avec le groupe présidé par Le Hérissé, déjà critiqué pour sa modération, et en reconstitue un autre en écrivant aux députés de son choix. Voilin en sera le président.

  • 40 Jacques Girault Ss. dir., Ouvriers en Banlieue, XIXe-XXe siècles, Éditions de l’Atelier, Paris, 199 (...)

77Lucien Auguste Voilin (1870-1957) est né le 1er septembre 1870 à Paris. Il a travaillé à Paris, au Havre, à la fonderie de canons de Bourges. Secrétaire de la commission de contrôle de la Bourse du Travail de cette ville, il adhère au PSR vaillantiste à 24 ans. Sanctionné, il est muté à Puteaux, y devient secrétaire du syndicat de l’arsenal et l’un des fondateurs de la Bourse du Travail. Mandaté au Congrès d’Amiens par les mécaniciens de la Seine, il est également signalé comme coopérateur actif. Au plan politique, après avoir fondé l’Union des travailleurs socialistes à Puteaux, il est membre de la commission administrative permanente de la SFIO dès 1905. Il est député de la Seine entre 1910 et 1919 et maire de Puteaux à partir de 191240. L’histoire et la guerre prochaine viennent de le placer au principe de la genèse du réformisme français.

Voilin et Thomas, ou la guerre féconde

  • 41 G. Lefranc, Le mouvement syndical sous la Troisième République, Bibliothèque historique, Payot, Par (...)
  • 42 Madeleine Reberioux et Patrick Fridenson, « Albert Thomas, pivot du réformisme français », Le Mouve (...)

78Les premiers après Georges Lefranc41 à s’intéresser au rôle spécifique du ministre socialiste de l’Armement, Madeleine Reberioux et Patrick Fridenson donnent à un article de 1974 ce titre évocateur : « Albert Thomas, pivot du réformisme français », suivis bientôt par A. Hennebicque42. M. Barras dans son ouvrage sur Roanne lui consacre un long développement. Pourtant des chaînons manquent : le profil exact de l’Union Sacrée et le rôle actif des syndicats des ouvriers de la Guerre.

  • 43 J. Maitron, DBMO, op. cit. ; J. Joly, DPF, op. cit. ; G. Lefranc, J. Kergoat, op. cit. et Michel Dr (...)
  • 44 Madeleine Reberioux, La république radicale ? 1898-1914, Point, Seuil, Paris, 1975, 259 pages et MG (...)
  • 45 Cité par G. Lefranc, op. cit.
  • 46 Cité par M. Barras, op. cit.

79L’Union Sacrée : les deux Présidents du Conseil successifs, Viviani (né en 1863) et Briand (1862), comme Millerand (1859), ministre de la Guerre du premier, ont été des collaborateurs de Jaurès43, socialistes indépendants, membres du Parti socialiste français avant l’unité de 1905, du comité de rédaction de l’Humanité. Tous ont quitté le socialisme parce qu’il refusait de s’intégrer dans l’État. Tous ces parlementaires ont cependant partagé un moment la conception de Jaurès d’une république élargie à la sphère économique et sociale, de la « démocratie jusqu’au bout ». Briand, président du Conseil en 1909, dur avec les syndicalistes de gauche, favorise discrètement la nomination du nouvellement réformiste Niel à la tête de la CGT, vite remplacé par Jouhaux, et l’organisation du courant réformiste du syndicalisme dans un Comité d’union syndicaliste ouvertement approuvé par A. Thomas et dont Gervaise signe l’appel44. Viviani, ministre du Travail en 1906 parle d’un « ministère [qui doit] préparer des réformes sociales, (…) être l’avocat officiel et l’intermédiaire naturel des travailleurs auprès des législateurs »45. A. Thomas (1878-1932) est à la SFIO le continuateur naturel de Jaurès dont il a été un intime. Sous-secrétaire d’État aux Munitions, il prend le titre de ministre en 1916 quand les autres socialistes y renoncent. Dans son cabinet, A. Fontaine, en charge depuis 1899 de l’Office du Travail installé par Millerand, et F. Simiand, auteur d’un ouvrage intitulé : « La méthode positive en science économique ». L’apport spécifique de Thomas sera de vouloir réaliser dans la durée la synthèse entre une politique sociale et une stratégie industrielle de l’État. Dès le 22 octobre 1916 Le Réveil républicain publie le compte rendu d’un entretien avec le ministre signé du député radical socialiste de Roanne Fernand Merlin : « (…) La paix revenue (…) il y aura un moyen pour l’État d’offrir son concours à l’industrie nationale et de contribuer au relèvement d’après guerre. Sous quelle forme ? Fabrication directe, régie intéressée avec participation de l’État aux bénéfices, ce sont là des formules qui se régleront en temps opportun. Mais un fait est, dès maintenant, incontesté : l’industrie, le commerce auront besoin d’une rénovation complète et rapide »46.

  • 47 Cité par G. Lefranc, op. cit.

80Coté social, on a beaucoup décrit Thomas comme le mentor de Jouhaux. Il n’est pas certain que l’influence n’ait pas été à double sens. En tous cas, c’est bien Léon Jouhaux qui prononce à titre personnel le 4 août 1916, devant une réunion d’industriels et de commerçants, un discours de modernisation de l’économie, affirmant en introduction : « Le mouvement syndical doit devenir un mouvement de réalisation qui, selon la formule révolutionnaire de notre grand Proudhon « doit tendre à remettre dans les mains de la classe ouvrière la part qui lui revient dans l’administration de la production »47. Dès le mois de décembre 1916 la CGT adopte un texte-programme jugeant positif le rôle économique de l’État pendant la guerre, affirmant la nécessité d’un « développement illimité de la production » et du « retour à la Nation » des industries de base. La SFIO et la CGT, auxquelles vient s’adjoindre la Fédération nationale des coopératives de consommation, constituent un Comité d’action pour la défense des intérêts ouvriers, qui traitera des secours et du ravitaillement, mais aussi des perspectives de réorganisation économique après guerre, et un Comité pour la prévention du chômage fait se rencontrer dirigeants CGT et patronaux. Dans l’industrie de guerre, le ministre que l’on appelle parfois, coté syndical, le « Joffre de nos usines » met en place des structures paritaires : Comité du travail féminin, Commission consultative du travail pour assurer une protection sociale à la main d’œuvre, commissions d’arbitrage… Il institue des délégués d’ateliers (d’ailleurs vus comme des concurrents par les syndicalistes du secteur d’État), et n’hésite pas à fixer les salaires par voie d’autorité à partir de 1917.

  • 48 Mistral est membre en 1916 du Comité d’action pour la défense du socialisme de J. Longuet qui deman (...)
  • 49 Cité par A. Hennebicque, op. cit.

81Mais c’est la collaboration entre Thomas et le député socialiste membre de la commission de l’Armée Lucien Voilin qui fait surgir les concepts de « l’économie organisée » qui seront à l’avenir au centre des programmes de la gauche française. Voilin fait transmettre au ministre un rapport qui amende une proposition du député Mistral48 soutenue par plusieurs socialistes réclamant la réquisition des usines de guerre et la militarisation des soldats de l’arrière (6 août 1915). Car l’opinion s’indigne des bénéfices de guerre et soupçonne les affectés spéciaux d’être souvent des « embusqués ». Ce rapport est suivi par le ministre sur l’instauration d’un contrôle technique sur l’ensemble des usines d’armement et sur le statut des affectés spéciaux, qui seront civils au travail et militaires à la ville. Mais le ministère refuse la réquisition. Dans une note, Simiand écrit : » (…) peut-on réquisitionner l’esprit d’initiative, l’esprit de risque, si on enlève du jeu la condition du risque, c’est à dire l’enjeu ? »49. Le choix est donc fait de maintenir l’industrie de guerre privée, tout en l’encadrant. A la commission de la Chambre Voilin sauve le projet en remplaçant la réquisition par une « régie intéressée » des usines de guerre ; il établit donc un nouveau rapport qui sera accepté par le ministre, non sans difficultés : dans un premier temps, Thomas envisage un double prélèvement sur les bénéfices de guerre et le salaire des ouvriers mobilisés, devant constituer un fonds national des orphelins de guerre, et un fonds social destiné à la reconstitution industrielle d’après guerre. Voilin oppose alors un net refus dans une lettre du 5 juillet 1916 : « Mon cher ministre, (…) Qu’a voulu la commission ? A défaut de réquisition, c’est à dire de production en régie directe par l’É- tat, elle a proposé l’organisation d’une production par système de régie intéressée. (…) Régie intéressée, participation de l’État dans le bénéfice, tels sont les deux principes que la commission veut réclamer (…) ». Le modèle des arsenaux est évidemment sous-jacent, en un temps où la fin de leurs derniers entrepreneurs est encore présente aux esprits, même si ce sont les marchés publics qui seront ici adjugés… mais n’avait-on pas commencé ainsi deux siècles plus tôt ?

  • 50 Jean Louis Robert, Les Ouvriers, la Patrie et la Révolution, Paris 1914-1919, Annales Littéraires d (...)

82Voilin est en cours d’évolution vers la gauche : on le retrouve à l’action lors des grèves de 1917 et 1918, notamment à l’arsenal de Puteaux50. Mais le rapprochement, qui pourrait dès lors paraître surprenant, sanctionne aussi un glissement des positions de Thomas par rapport au patronat.

83Jusque là, des groupes d’industries, où les entreprises les plus importantes jouent le rôle de chefs de groupe, répartissent les commandes. L’État négocie les marchés au cas par cas, tout en encadrant la production : prix des approvisionnements, temps de travail, affectation de la main d’œuvre. Il impulse la modernisation, quitte à mordre sur la liberté de l’entreprise. Les services du ministère sont organisés dans cette perspective d’efficacité absolue : service ouvrier pour la main d’œuvre, service industriel pour la répartition des commandes… Mais les conflits sont constants : le ministère ne parvient pas à contrôler les prix, des industriels cherchent à vendre des productions non commandées, contestent parfois l’attribution des commandes…

  • 51 François de Wendel, député de Meurthe et Moselle.

84La discussion sur le contrôle technique à la Chambre, le 9 juin 1916, creuse le fossé. La loi stipule que les établissements ou parties d’établissement travaillant pour les fournitures de guerre seront « soumis au contrôle technique des fonctionnaires militaires ou civils, spécialement désignés à cet effet par le ministre intéressé » et que les agents chargés de ce contrôle technique surveilleront la production « à ses différents degrés : réception et utilisation des matières premières fournies par l’État, emploi de la main d’œuvre civile et militaire, utilisation de l’outillage, production intensive, réception des produits (…). Le service du contrôle technique, agent de liaison entre le services du ministère et les industriels, doit donner toutes indications susceptibles d’augmenter la puissance de production, ainsi que les moyens propres à économiser les deniers de l’État ». C’est le député de Wendel51 qui monte à la tribune :

Intervention du député François de Wendel lors de la séance du 9 juin 1916 (discussion du projet de loi Mistral-Voilin)
[sur le contrôle technique :]
Ce contrôle technique fonctionne déjà (…) Voilà bientôt 18 mois que Mr le Sous-secrétaire d’État s’attache à le perfectionner. Qu’espère-t-on faire de plus, de mieux ? Il ne suffit pas d’un simple trait de plume pour créer un personnel de contrôle technique (…). La présence auprès des directeurs et ingénieurs de contrôleurs qui, fatalement, s’ingèreront dans leurs affaires, s’immisceront dans la direction, les gênera et les découragera. On risque de leur voir prendre une attitude passive et de laisser aux contrôleurs le soin de montrer leurs talents (interruptions sur les bancs socialistes).
[sur l’intérêt limité :]
L’État renoncerait à utiliser un sentiment qui n’est peut-être pas un grand sentiment, mais qui n’est cependant pas moins l’un des plus puissants leviers humains, le sentiment de l’intérêt (exclamations sur les bancs du parti socialiste). J’expose une thèse un peu brutalement, mais exactement.
La conséquence ? Je suis convaincu, Messieurs, que dans les installations existantes, le très grand nombre d’industriels animés d’un esprit patriotique supérieur, continueront même si le projet est voté, à assurer loyalement la fabrication (sur les bancs du Parti Socialiste : « nous l’espérons bien »).
Mais je n’hésite pas à dire que dorénavant il deviendra difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver des capitaux pour créer des entreprises nouvelles. Et même dans les entreprises existantes, je ne serai pas surpris de voir graduellement, insensiblement, un calme relatif succéder à la fièvre qui y règne actuellement, une mentalité de fonctionnaires consciencieux, sans doute, mais plus ou moins indifférents, se substituer à l’esprit d’initiative que nous avons intérêt à conserver.
AN, 94 AP 62. JO, Assemblée Nationale

85La loi établissant le régime obligatoire de la régie intéressée pour les industries d’armement jusqu’à la paix est pourtant votée le 4 avril 1917 par 366 voix contre 31. Au profit des entrepreneurs, elle maintient en la contrôlant et en assurant la part de l’État la prime de motivation souvent évoquée par le ministre, et liée jusque là à chaque contrat ; elle offre de plus des facilités d’amortissement des investissements de guerre. Au bénéfice des ouvriers, elle consacre l’abandon du projet d’un impôt sur les salaires des mobilisés de l’arrière.

  • 52 Sylvie Schweitzer, André Citroën, 1878-1935, le risque et le défi, Fayard, Paris, 1992, 239 p.

86C’est donc une prise de distance par rapport à l’industrie privée qui se traduit aussi par la perspective d’un secteur d’État renforcé, non seulement pendant, mais après la guerre, afin d’éviter la constitution de monopoles qui s’imposeraient à l’État, et de peser sur les marchés. Fin 1916, Le ministre décide la construction d’un immense arsenal à Roanne. La gestion en sera difficile et controversée. Emile Hugoniot, qui a déjà rempli plusieurs missions industrielles, en est le premier directeur. Critiqué pour une gestion hasardeuse – manquant d’argent, il prend sur lui d’emprunter – il est remplacé en avril 1917 par Jean Maroger, qui sert l’État avec discrétion mais une efficacité que le successeur de Thomas juge insuffisante en 1918. Son remplaçant, André Citroën, se verra reprocher, lui, de surfacturer ses dépenses. Sa biographe, Sylvie Schweitzer, confirme qu’il travaille avec ses relations personnelles. Après guerre, une enquête réalisée à la demande de Thomas révèle des écarts de 100 %. C’est toutefois pour des transgressions bénignes que l’industriel est condamné : des litiges sur des délais de paiements, la gestion de la cantine…52

L’Arsenal de Roanne

L’Arsenal de Roanne

photographie vers 1960

  • 53 Voir Jean-Marie Moine, Les Barons du Fer, les maîtres de forges en Lorraine, Éditions Serpennoise, (...)

87Une partie de la presse dénonce le « collectivisme » du ministre de l’Armement. Deux rapports sont déposés en mars 1917 sur le bureau de chacune des Chambres : celui du sénateur Milliès-Lacroix reproche au ministre d’engager « des dépenses considérables en dehors de toute autorisation législative », repris par celui d’Albert Lebrun. L’attaque est donc signée : Albert Lebrun, ministre du Blocus et des Régions libérées, est aussi le député de Briey, proche du comité des Forges53. Se défendant au Sénat, Thomas argue de l’urgence de la guerre sans disconvenir des irrégularités, et reprend un argument d’Enjalbert : il y a des limites à l’investissement que l’on peut demander à des industriels qui ne peuvent savoir si le conflit durera assez pour les amortir, et de toutes façons, celui-ci durant finalement, la construction de l’ARE « donnera à l’État, au bout de quelques mois de fabrication, un établissement complètement amorti (…) ». Le 12 septembre, le remplacement de Thomas par son collaborateur venu du monde industriel, Loucheur, entérine le sens de classe de la rupture de l’Union Sacrée. Mais tout n’est pas dit.

  • 54 Pineau et Hervoir, op. cit.
  • 55 Le même jour, A. Thomas dépose une proposition de nationalisation des chemins de fer, qui seraient (...)
  • 56 Hippolyte Laudier, appelé Henri Laudier, est une figure du socialisme du Cher et du courant vaillan (...)

88En avril 1919, A. Thomas propose une transformation des arsenaux, visant à assurer l’emploi du personnel, à les tourner vers la reconstruction et à préserver le système d’ensemble dans le sein de l’État. Enjalbert avait eu déjà cette intuition en 1903-1906 : « S’il pouvait devenir nécessaire d’employer coûte que coûte un certain nombre d’ouvriers sans travail, c’est, semble-t-il, à des travaux d’utilité générale, de nature à augmenter la richesse et la production du pays qu’il faudrait les affecter ». Une position semblable est défendue et reçoit un début d’application à Châtellerault, et quand le ministère met un frein aux dépenses nécessaires à la reconversion, en janvier 1919, l’ingénieur Paul Leclerc, qui vient pourtant du privé – il était avant guerre chez Fives-Lille – demande dans le Mémorial du Poitou qu’on laisse « ces Manufactures faire des fabrications industrielles pendant la période de reconstitution »54. Pour que cette affectation soit possible dans le cadre de l’État et d’une économie de marché, Thomas propose que chaque établissement, société anonyme propriété exclusive de l’État, soit autonome, et dispose d’un fonds de roulement en actions et obligations. La gestion appartiendrait à un Conseil d’administration où l’État serait majoritaire, et où siègeraient des représentants des financeurs, des ouvriers, des Chambres de commerce ; un consortium des établissements serait placé sous la tutelle de la Présidence du Conseil. C’est l’ébauche d’un type de société nationale qui n’a, à l’époque, aucun modèle55. Il n’existe pas l’ombre d’une chance de voir cette proposition reprise par la Chambre « bleue horizon ». D’autres, comme celle du maire socialiste de Bourges, Laudier56, visent aussi à extraire les établissements des règles de la comptabilité publique sans les arracher à l’État.

89Thomas reçoit le soutien des syndicalistes de la Guerre, qui voient là une occasion de défendre l’emploi, mais aussi une confirmation de leur point de vue. Voilin assiste fin 1918 à une conférence fédérale qui discute de ce sujet et s’inquiète de sentir Loucheur « contre les établissements de la Guerre ». Une commission dirigée par le syndicat de Roanne revendique à la fois l’autonomie des établissements, « l’intégrité » [sic] du pouvoir pour le syndicat, une régénération totale des procédés de recrutement de la direction ; celle-ci « doit être dans l’établissement l’équivalent du Parlement dans l’État. Son droit de contrôle vis à vis du directeur est absolu, avec l’aide de la CGT et de la SFIO qui interviennent s’il y a lieu, auprès du gouvernement. Le syndicat peut monnayer sa confiance ou sa défiance (…) et obtenir ainsi un changement de direction (…) un membre du Conseil syndical doit avoir la notoriété, les immunités, les droits, la puissance, la considération et les privilèges des représentants actuels du peuple (…) ». Il s’agit d’une revendication extrême, la Fédération se contente de soutenir le projet Thomas.

  • 57 G. Lefranc, op. cit. et Histoire du Front Populaire, Payot, Paris, 1974.

90Mais comment ne pas voir la concordance avec le programme de la CGT sur les « nationalisations industrielles » avec une gestion par « des organes collectifs nouveaux dotés de la personnalité civile et administrés par des représentants qualifiés de producteurs et des consommateurs » ? Autour de Thomas et de la revue L’Information Sociale s’ébauche en 1919 « une tentative de pensée réformiste associant socialistes et syndicalistes », à laquelle G. Lefranc rend hommage, lui qui sera avec le groupe « Révolution Constructive » l’un des concepteurs du programme de la CGT des années 193057.

  • 58 Discours à la Chambre du 7 décembre 1916. La SDN ne sera proposée par le président Wilson que dans (...)

91Il convient pour finir de souligner la relative continuité du courant politique porteur de l’Union Sacrée. Les carrières parallèles de Briand et Thomas, l’un à la SDN, l’autre au Bureau international du Travail, peuvent être vues comme la marque de cette cohérence. Les deux hommes, comme leur maître Jaurès à la veille de la catastrophe, meurent – mais de mort naturelle – la même année, celle qui précède l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Fatidique année 1932, qui voit aussi le décès de Paul Mistral, l’un des premiers à défendre – en décembre 1916 – l’idée d’un « organisme international de juridiction et de sanction destiné à régler les conflits entre états » !58 Le ministère de l’Armement, avec tous les dangers qu’il comporte, ne se justifie plus le 12 novembre 1918. Mais la guerre a fait naître d’autres orages.

Bibliographie

Les sources de ce chapitre sont :

– Notamment les monographies et ouvrages cités en bibliographie de : Barras, Hémery, Pineau et Hervoir.

sources originales :

– AN F7 13638, 13739, 13644, et 13739.

– (Fonds dit « Albert Thomas ») AN 94 AP 51, 62, 72 et 77.

– JO, AN, microfiches BNF non cotées.

– DGA, registre 10 (1847-1946) ; 1.2.0.02.01.10.4 (1847-1986) ; 1.1.0.01.05.3, classement 002.10.10 (1898-1925)/syndicats ; 1.2.0.02.01.19.6, classement 002.10.10 (1898-1938)/syndicats.

– SHAT 4W208, 209.

– ADC 10M 56, 57, 60 ; ADL 10M 362, 425 à 428 ; ADV M233, 234, 484.

– Archives municipales de Tulle, État civil.

– Le Travailleur de l’État BN : JO 15/062.

– l’Humanité 20, 28 et 30 août 1907, Messidor, 7 septembre 1907.

– Archives CGT Monnaies et médailles.

Notes

1 JO, débats parlementaires, AN, séance du 17 nov. 1891. Cette gaffe déclenche un mouvement parlementaire solidaire des ouvriers de l’État, point de départ de leur conquête du droit de s’organiser.

2 Ibidem, séance du 22 mai 1894, Jean Vavasseur-Desperriers, République et liberté : Charles Jonnart, une conscience républicaine (1857-1927), Septentrion, PUF, Paris, 1996, pages 70 et suivantes et JM. Mayeur, La vie politique sous la troisième République, 1870-1940, Point, Seuil, Paris, 1984, 450 p. page 162.

3 P. Pineau et N. Hervoir, op. cit.

4 Yvonne Hémery, La vie ouvrière dans la région de Châtellerault de 1870 à 1895, mémoire de DES, Ss dir. Castellan, Poitiers, 1961, dactylographié.

5 G. Dauger et D. Dayen, Histoire du Limousin contemporain, Corrèze, Creuse, Haute-Vienne, de 1789 à nos jours, Ed. Lucien Souny, Saint Amand-Montrond, 1997, 379 p. J. Maitron, Ss. dir., DBMOF, op. cit.

6 Maurice Dommanget, Edouard Vaillant, un grand socialiste, 1840-1915, la Table ronde, Paris, 1956, 530 p.

7 L’Eclaireur de la Vienne, cité par A. Guillon et P. Meunier : La Manufacture d’Armes de Châtellerault : 1818-1968, Poitiers, Brissaud, 1983.
– Y. Hémery, op.cit.
– J. Maitron, DBMOF, op. cit.

8 Cité par Y. Hémery, op. cit.

9 Pineau et Hervoir, op. cit.

10 Ibidem, aux dates mentionnées.

11 L’ingénieur Watrin avait été défenestré en 1886.

12 Le Socialiste, 9 octobre 1898, cité par J. Kergoat, Le parti socialiste de la Commune à nos jours, op. cit.

13 Pour l’ensemble des données tirées de l’Eclaireur de la Vienne, voir P. Pineau et N. Hervoir, op. cit.

14 L’Eclaireur de la Vienne, 31 mars 1889.

15 Jean Jolly, Dictionnaire des Parlementaires Français (1889-1940), PUF, Paris, 1966. Jean Maitron, Ss. dir, DBMOF, op. cit.

16 Charpentier poursuit alors une carrière de magistrat.

17 Les socialistes retournent à la mairie en 1896, y sont majoritaires en 1901. Jules Ledin fait alors construire une Bourse du Travail portant au fronton la devise républicaine, plus « Solidarité ».

18 Jean Jolly, Dictionnaire des Parlementaires Français (1889-1940), PUF, Paris, 1966.

19 L’Eclaireur de la Vienne du 25 novembre 1894, cité par Y. Hémery, op. cit.

20 Bertrand Joly, Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français (1880-1900), Hervé Champion éditeur, Paris, 1998, 687 p. Boulanger fait financer par les monarchistes sa campagne pour la « révision » de la constitution, rassemblant les mécontents de tous bords.

21 Adolphe Robert, Edgar Bourloton, Gaston Cougny Ss. dir., Dictionnaire des Parlementaires français…, Slatkine Reprints, Genève, 2000, 5 vol.

22 Compte rendu du Ve congrès du Personnel Civil des établissements militaires de l’Artillerie et du Génie, tenu à Paris les 14-15-16-17-18 novembre 1898, Procès Verbaux, broché, Paris, imprimerie économique (association ouvrière) 1898.

23 Les données concernant les Cavaignac sont tirées des deux Dictionnaires des parlementaires français :
– Jean Jolly, Dictionnaire des Parlementaires Français (1889-1940), PUF, Paris, 1966, op.cit.
– A. Robert, E. Bourloton, G. Cougny Ss. dir., Dictionnaire des Parlementaires français…, op. cit.

24 Le statut des « ouvriers à poste fixe » des poudres est fixé par l’ordonnance du 15 juillet 1818.

25 Depuis 1879, les immatriculés ont une pension qui dépend de la classe – il y en a deux – et du nombre d’années, qui établit deux catégories : plus de 25 ans et plus de 45 ans de service.

26 Il n’y a qu’un seul congrès, nul ne concevant alors l’existence de plusieurs organisations.

27 Cette sentence est à l’origine de la création du premier syndicat « jaune » à l’instigation de Schneider, qui cherche ainsi à se forger un interlocuteur à sa main.

28 L’agent de maîtrise, 3 ouvriers, une ouvrière, un employé.

29 Abenoist se revendique du nombre des adhérents fin 1899, c’est-à-dire avant la scission : 1 247.

30 Berlier est ignoré des monographies locales. Le DBMOF lui consacre un article squelettique.

31 Nancy, Lille, Puteaux, Tarbes, Toulouse, Marseille, Bourges, La Rochelle, Douai, Alger, Tulle, Oran, Saint-Étienne, Châtellerault, Lyon, Nice.

32 L’Humanité du 13 décembre 1911.

33 Ce syndicat classé « jaune » a son siège… rue du Pavillon Chinois !

34 L’aventure des « jaunes » des arsenaux conduit à une conclusion opposée à Zeev Sternhell qui fait de Biétry le fédérateur effectif d’une droite syndicale. Il faut distinguer le groupuscule de la droite nationale qui manipule Biétry dans l’espoir déçu de profiter du mouvement d’organisation des ouvriers, et le mouvement syndical indépendant, qui ne s’implique guère au niveau interprofessionnel. Biétry et son prédécesseur Lanoir ont échoué. Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire : 1885-1914 : les origines françaises du fascisme, Gallimard, Paris, 1997, 602 p.

35 11 475 recensés au congrès de 1913.

36 Léon Gervaise n’a droit qu’à quelques lignes du DBMOF. Sa trace n’est repérée à ce jour que dans les archives du Syndicat des « Monnaies et médailles » de Paris et dans William Fort, Histoire du Syndicat des monnaies et médailles, 1899-1944, FNTE CGT, 195 pages. Le Syndicat des Monnaies et médailles s’est formé le 13 mai 1899 au café Procope, en présence du député Berthelot et d’un conseiller municipal de Paris, Bernier. La Fédération de l’État est d’abord désignée sous des noms divers : « Fédération des manufactures de l’État », « Confédération générale des travailleurs de l’État », et pour finir « Union fédérative des ouvriers de l’État ». Le premier secrétaire serait en 1901, selon le DBMOF, un certain Vitte, rapidement remplacé par Léon Gervaise.

37 Cf. Edouard Vaillant au congrès socialiste de Nancy d’août 1907 : « Les syndicats de fonctionnaires devenant autonomes, socialisant ainsi les services de l’État, gérant les services dans l’intérêt de la société et non plus de l’État, l’État perd ses assises économiques, ses assises politiques, il est une forteresse démantelée dans laquelle la classe ouvrière pénètrera… ». Cité par M. Dommanget, op. cit. Le glissement de Vaillant à Gervaise, de la dissolution au contrôle de l’État, préfigure la distinction prise/occupation du pouvoir que théorisera Léon Blum.

38 Il s’agit évidemment des travailleurs des arsenaux de la Marine nationale.

39 JO, Édition méthodique, no 65, 1933

40 Jacques Girault Ss. dir., Ouvriers en Banlieue, XIXe-XXe siècles, Éditions de l’Atelier, Paris, 1998, 448 p. Sur la biographie de Voilin : Pineau et Hervoir, op. cit., J. Maitron, DBMO, op. cit. et J. Jolly, Dictionnaire des Parlementaires Français, op. cit.

41 G. Lefranc, Le mouvement syndical sous la Troisième République, Bibliothèque historique, Payot, Paris, 1967, 454 p.

42 Madeleine Reberioux et Patrick Fridenson, « Albert Thomas, pivot du réformisme français », Le Mouvement Social, avril-juin 1974. Alain Hennebicque, « Albert Thomas et le régime des usines de guerre, 1915-1917 », in Patrick Fridenson, Ss. dir., 1914-1918, l’autre Front, Cahier du Mouvement Social no 2, Éditions Ouvrières, Paris 1977.

43 J. Maitron, DBMO, op. cit. ; J. Joly, DPF, op. cit. ; G. Lefranc, J. Kergoat, op. cit. et Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, Complexe, Bruxelles, 1995, page 64.

44 Madeleine Reberioux, La république radicale ? 1898-1914, Point, Seuil, Paris, 1975, 259 pages et MG. Dezes, « Participation et démocratie sociale, l’expérience Briand de 1909 », Le Mouvement Social, avriljuin 1974.

45 Cité par G. Lefranc, op. cit.

46 Cité par M. Barras, op. cit.

47 Cité par G. Lefranc, op. cit.

48 Mistral est membre en 1916 du Comité d’action pour la défense du socialisme de J. Longuet qui demande la reprise des relations internationales et l’arrêt de la participation socialiste au gouvernement. J. Maitron, Ss. dir., DBMOF, op. cit.

49 Cité par A. Hennebicque, op. cit.

50 Jean Louis Robert, Les Ouvriers, la Patrie et la Révolution, Paris 1914-1919, Annales Littéraires de l’Université de Besançon, 1995, 484 p. page 236, note 24.

51 François de Wendel, député de Meurthe et Moselle.

52 Sylvie Schweitzer, André Citroën, 1878-1935, le risque et le défi, Fayard, Paris, 1992, 239 p.

53 Voir Jean-Marie Moine, Les Barons du Fer, les maîtres de forges en Lorraine, Éditions Serpennoise, PUN, Nancy, 1989, 564 p.

54 Pineau et Hervoir, op. cit.

55 Le même jour, A. Thomas dépose une proposition de nationalisation des chemins de fer, qui seraient gérés en « collaboration » avec les travailleurs. A. Hennebicque trouve trace d’un « avant projet de législation pour la transformation des établissements constructeurs de l’Armée » au ministère, mais ne semble pas savoir qu’une proposition de loi est effectivement déposée. M. Barras consacre au sujet plusieurs chapitres.

56 Hippolyte Laudier, appelé Henri Laudier, est une figure du socialisme du Cher et du courant vaillantiste. Il s’installe en 1901 à Bourges, dont il devient maire en 1919. Son évolution montre les ambiguïtés du courant socialiste planificateur : il sera « néo-socialiste » et quittera la SFIO avec Déat et Marquet avant de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il décède en 1943. J. Maitron, Ss. dir. DBMOF, op. cit.

57 G. Lefranc, op. cit. et Histoire du Front Populaire, Payot, Paris, 1974.

58 Discours à la Chambre du 7 décembre 1916. La SDN ne sera proposée par le président Wilson que dans ses « quatorze points » de janvier 1918. Cité par J. Maitron, Ss. dir., DBMOF, op. cit.

Table des illustrations

Titre Tarbes avant 1914
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Titre Tulle avant 1914
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Titre La manchette du Travailleur de l’État, « organe officiel de l’Union fédérative des travailleurs de l’État »
Légende numéro 148 du 1er février 1913, 12e année
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URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/57147/img-4.jpg
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Titre L’Arsenal de Roanne
Légende photographie vers 1960
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