Les questions commerciales
p. 383-445
Texte intégral
1Longtemps le ministère du commerce n’eut pas d’existence propre, car englobé dans les prérogatives du ministère de l’agriculture ou des travaux publics. C’est sous le ministère Gambetta qu’il lui fut accordé une existence pleine et entière. Le budget du ministère du commerce est faible, environ 22 millions de fr. en 1882, soit moins de 0,7 % du budget de l’État. Encore faut-il défalquer de ce budget les 12 millions de fr. de subventions fixes accordées à la marine marchande pour développer la construction navale !
2L’élu nordiste, Pierre Legrand, ministre du commerce à plusieurs reprises, contribue à la mise en place des rouages du jeune ministère. Conjointement à cette œuvre de structuration administrative, il fallait bâtir une véritable politique de développement du commerce intérieur, réprimer les fraudes, doter le commerce extérieur de moyens logistiques à la hauteur des ambitions énoncées, faire des choix commerciaux, démêler les enjeux, adopter une doctrine économique préservant les intérêts nationaux et enfin, bâtir une politique coloniale dépassant le stade de la noble mais onéreuse mission civilisatrice.
Réprimer les fraudes
3La répression des fraudes est l’un des domaines éminents de l’action régalienne de l’État en matière économique. Garantir la libre concurrence et la libre circulation des biens, empêcher la vente de produits toxiques, frelatés ou de contrebande, réprimer la tromperie, constituent les missions essentielles de cette fonction de gendarme.
4La fraude touche surtout les produits à forte valeur ajoutée ou aisément falsifiables. Et la législation, en raison de l’habileté anticipative des fraudeurs, a toujours un temps de retard.
5Au début de la législature 1881-85, le gouvernement veut répondre au danger sanitaire lié à l’importation de viande de porc salée ou fumée. Les débats traitent de la création d’un service d’inspection sanitaire. De ces débats, il ressort que les producteurs américains pratiquent l’élevage porcin à outrance, dans des conditions sanitaires déplorables. Le dixième de leur production de viande porcine est infecté par la trichine. La trichinose, maladie mortelle lorsqu’elle infecte les muscles humains, est transmise aux porcs américains par des rats eux-mêmes infectés par le ténia. Lorsque les éleveurs américains s’aperçoivent de l’infection, ils s’empressent de diriger les troupeaux entiers vers les abattoirs et d’écouler leur production à l’étranger.
6Une étude de la faculté des Sciences de Lille, et à laquelle Testelin a participé, a démontré que le cheptel porcin français demeurait indemne de maladie. Dès lors, la France, pays importateur, est confrontée à une grave question de santé publique.
7L’omniprésent Pierre Legrand siège en commission, au Palais-Bourbon, tandis que Testelin, en raison de ses compétences, rejoint la commission sénatoriale. Legrand est favorable à un projet qui concilierait intérêts du commerce d’importation et santé publique.1
8Au Sénat, la démonstration de Testelin est celle d’un scientifique rigoureux qui privilégie la santé des consommateurs. Ce dernier a mené de nombreuses études et sait faire partager ses conclusions. Lorsqu’il s’oppose, de manière péremptoire, à l’idée très répandue que les viandes « salées » sont toujours indemnes de trichines vivantes, sa démonstration est convaincante. Elle l’est également lorsqu’il prouve que la cuisson des jambons dans une eau en ébullition ne suffit pas à éradiquer les trichines.
Testelin : « Mais je suis forcé de constater une chose, c’est qu’un certain nombre d’académiciens et un certain nombre de membres du comité d’hygiène ont, sur cette question, dit tantôt blanc et tantôt noir. [Rires] »2
9La conclusion du discours, sur les solutions à envisager, est cependant ambiguë. Elle préconise l’analyse micrographique systématique mais laisse au Gouvernement la responsabilité entière de l’éventuelle entrée des viandes américaines. Soutien habituel du gouvernement, Testelin ne peut être plus diplomate !
10Dans sa réponse, Tirard, ministre du commerce, promet de maintenir la prohibition des viandes de porc importées, jusqu’à la promulgation de la loi nouvelle. Il évoque néanmoins le risque de représailles économiques et le coût élevé des inspections micrographiques.
11Deux jours plus tard, il faut que Testelin agite la menace d’un cataclysme pour emporter la conviction des sénateurs. La comparaison avec le phylloxera, responsable de la ruine de la viticulture française, en effraie plus d’un. Cette fois, Testelin n’accepte de voter les articles du projet de loi qu’à la condition d’un engagement formel du ministre dans la voie de l’analyse micrographique.
Testelin : « Il y a longtemps que les micrographes ont dit que le phylloxera vastatrix était un petit animal qui détruisait la vigne par la racine. La première fois qu’ils ont dit cela, on a refusé de les croire, et si l’un d’eux, se faisant prophète de malheur avait ajouté « Faites bien attention à ce petit animal… » ; il n’y aurait pas eu assez de sifflets pour l’accueillir. Et cependant le résultat prévu s’est produit : vous avez vu les désastres qu’ont subi nos pays viticoles. J’ai la conviction bien arrêtée que, si vous continuez à laisser entrer la viande trichinée, dans un temps plus ou moins éloigné, nous aurons la trichine chez nos cochons, ce qui n’existe pas maintenant »3
12La réponse ministérielle, assez sibylline, ménage les sénateurs tout en préservant l’équilibre des échanges commerciaux. Contre toute attente, les sénateurs interdisent les importations, pourtant autorisées par les députés.4
13Testelin a joué un rôle décisif dans le déplacement d’une dizaine de voix, incluant quatre sénateurs nordistes. Les républicains, à l’exception de l’inconditionnel Fournier, ont tous retiré leur soutien au texte ministériel.
14En novembre 1883, le gouvernement contourne l’opposition parlementaire et légifère par décret. Le 29 novembre, Testelin dépose une question sur le retrait de l’interdiction, transformable en interpellation. Avec l’accord de Testelin, le ministre reporte la question sénatoriale.
15Le 22 décembre, à la Chambre, une question de Paul Bert sur ce sujet est transformée en interpellation. L’ordre du jour pur et simple est rejeté par 262 voix contre 194.5 L’acceptation de l’ordre du jour motivé de Paul Bert6 contraint le Gouvernement à surseoir à tout décret, jusqu’à la promulgation d’une loi. La question de Testelin, devenue inutile, est retirée.
16Les élus du Nord, tant républicains que conservateurs, ont refusé leur soutien au gouvernement et ont adopté unanimement l’ordre du jour de Paul Bert.
17Le Nord est à la tête d’un important cheptel porcin.7 Si les élus ont privilégié d’indéniables préoccupations sanitaires, ils ont aussi voulu faire barrage aux viandes porcines étrangères. Le vote de Giard est singulier. Sur cette question scientifique, l’éminent professeur semble se réfugier dans une abstention volontaire.
18Le ministre du Commerce, Hérisson, désavoué, publie un nouveau décret conforme aux désirs de la majorité de la Chambre. Ne s’estimant pas atteint par le désaveu, il réussit à éviter la crise ministérielle.8
19Opiniâtre, le gouvernement revient à la charge, le 16 février 1884 et propose un nouveau texte autorisant l’importation.9 A la chambre, le républicain Bernard fait partie de la commission qui enterre le projet. Une loi du 5 avril 1887 finit par soumettre les viandes étrangères à l’inspection sanitaire souhaitée.
20La morale républicaine et des considérations de santé publique ont tenté de lutter contre le « fléau de l’alcoolisme ». La commission sénatoriale d’enquête sur la consommation de l’alcool, veut favoriser la découverte d’un moyen de lutte contre les adjonctions de substances frauduleuses dans les alcools.
21Déjà, en 1874, l’Assemblée nationale avait abordé le sujet mais s’était heurtée aux intérêts divergents des distillateurs du Nord et des fabricants d’eaux-de-vie des Charentes. Cette fois, la proposition instaure un prix offert à l’inventeur d’un moyen pratique de déterminer, dans les boissons alcoolisées, la quantité des substances autres que l’alcool. Rapporté par le médecin républicain lozérien Théophile Roussel, le texte bénéficie de l’appui de Testelin.10 Le sénateur du Nord réclame l’urgence, obtient l’appui du président du Conseil Freycinet et fait ainsi accélérer la navette parlementaire. Le texte est promulgué, le 10 décembre 1887.
22Toujours dans le domaine de la répression des fraudes, le conservateur Renard fait aboutir un texte qui rend obligatoire la vérification et le poinçonnage par l’État des densimètres utilisés par l’industrie sucrière pour contrôler la richesse en sucre. Les débats permettent d’expliciter la fraude usitée. Lorsqu’un densimètre est demandé à un constructeur, celui-ci s’informe aussitôt de savoir si l’acquéreur est un acheteur ou un vendeur de betteraves et livre en conséquence.11
23Les débats sur la législation sucrière font par ailleurs état de nombreuses fraudes qui entravent la libre concurrence du marché et nuisent aux rentrées fiscales.
24Aux confins des questions commerciales et juridiques, les élus nordistes semblent attacher une grande importance à divers aspects du droit des affaires.
25Le conservateur Le Roy est favorable à la proposition de l’opportuniste Laroze sur la liquidation judiciaire des faillites. Le Roy souhaite que la réglementation sur les syndics de faillite empêche ces derniers de prolonger outre mesure les opérations de liquidation.12 Bottieau intervient sur le rôle des huissiers chargés de dresser les protêts faute de paiement.13 Le Roy et Bottieau proposent un texte modifiant la législation sur les douanes en matière de saisies faites à domicile.14 Ce texte obtient l’assentiment du député Pierre Legrand mais ne dépasse pas le stade du rapport définitif que rédige Le Roy.15 Renard est chargé du rapport sommaire de la proposition du radical Thévenet qui envisage, sans succès, de réformer la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés par actions.16
26Les élus nordistes ont donc participé activement à la législation commerciale. Ils ont défendu systématiquement les intérêts particuliers nordistes, même si ceux-ci s’opposent parfois à l’intérêt national.
Développer les moyens de transport
27La presse nationale et départementale blâme les lenteurs parlementaires dans l’instruction des dossiers d’études de nouvelles lignes ferroviaires régionales et voies navigables. De fait, lorsque l’apathie s’accompagne d’austérité budgétaire, l’action législative sombre dans un profond engourdissement.
28L’opportuniste Latrade demande que soit créée une commission unique, à laquelle tous les dossiers ferroviaires seraient renvoyés. Girard dépose un projet de résolution sur la création d’une commission traitant de tous les textes sur les voies navigables.
29L’avocat conservateur Cazeaux combat cette ébauche de commission permanente, lui préférant le système des commissions ad hoc. Dans son propos, l’élu argue de l’apathie et de l’activité contrastée de la commission permanente du phylloxera.
Cazeaux : « Au bout de six mois, la commission est fatiguée, au bout de dix-huit mois elle est épuisée. Nous nous sommes réunis très assidûment la première année. Nous nous sommes à peine revus la deuxième année, et dans les deux dernières années, je ne crois pas que nous ayons eu une seule réunion. »17
30Les projets de résolution donnent cependant naissance à deux nouvelles commissions permanentes. Il est vrai que la création de ce type de commissions est récente : la commission du Budget date de 1876, celle de l’Armée de 1882.18
Routes et chemins
31L’entretien des routes et l’extension des différents réseaux n’est assurément pas la préoccupation majeure des élus du moment, même si l’entretien des chemins vicinaux ressemble bien au tonneau des Danaïdes.
32Les élus admettent toutefois la nécessité d’assurer, de manière définitive et permanente l’alimentation et le fonctionnement de la caisse des chemins vicinaux. Déjà en décembre 1883, le gouvernement avait obtenu l’abondement de cette caisse par le prélèvement de 20 millions de fr. sur les excédents libres des exercices budgétaires antérieurs.19
33Au Sénat, Merlin rédige le rapport sur le projet, adopté par la Chambre des députés, qui ponctionne, au profit des chemins vicinaux de la métropole, une somme de 20 millions de fr. dans la caisse des chemins vicinaux de l’Algérie.
34Le vote du budget de 1886 voit la mise en place d’un financement moins aléatoire. Legrand de Lecelles est chargé du rapport sommaire20 du projet qui en assure le financement régulier par l’intermédiaire des caisses d’épargne.
La toute-puissance du rail
Bernard : « Les grands travaux sont nécessaires, mais on pourrait les faire en 15 ans au lieu de 8 ans. »21
35La discussion des textes ferroviaires est un exercice qui rythme le débat parlementaire. Cet exercice a son rituel que dénonce le baron des Rotours, lors du débat sur la suppression des passages à niveau du chemin de fer de ceinture de Paris (rive droite).
Des Rotours : « Il est difficile pour nous de nous rendre compte des engagements qu’on fait prendre à l’État alors que nous voyons sortir à l’improviste, comme d’une boite à surprise, et soumettre à nos délibérations, à la suite d’une lecture rapide, des rapports qui ne figurent pas à l’ordre du jour. »22
36Revenant sur le fond de la question, Des Rotours se demande si la suppression des passages à niveau doit rester exceptionnelle ou si elle doit se généraliser aux autres réseaux. La gêne constatée, dit-il, existe aussi dans les banlieues d’autres grandes villes. Pour respecter l’équité, l’État va devoir accepter de financer le tiers des dépenses des autres villes qui en feraient la demande. Son propos insiste sur les risques de débordement financier : il est à craindre qu’en raison de la garantie d’intérêt accordée par l’État, la subvention atteigne en réalité les deux tiers de la dépense.
37Le rapporteur radical Cantagrel, élu de la Seine, qui confirme, dans une très laconique réponse, les craintes du député nordiste, met en avant la généreuse participation de la ville de Paris à hauteur du tiers des dépenses et considère que cette convention est l’une des plus avantageuses qu’on puisse imaginer pour l’État. Le texte est adopté le même jour sans scrutin nominatif. La navette parlementaire a duré moins de deux mois et demi.
38Durant l’année 1883, le gouvernement négocie les modifications à apporter dans ses rapports avec les compagnies ferroviaires. La renégociation des conventions doit permettre une baisse de l’implication financière de l’État, tout en assurant la construction par les compagnies de 8 360 km de voies nouvelles, sur des tronçons réputés moins rentables, tout en obtenant une baisse significative des tarifs de voyageurs et de fret.
39Un groupe d’élus, essentiellement radicaux, est favorable au rachat des lignes. Dès 1882, Plichon s’en déclare l’adversaire résolu. À ses yeux, ni le Trésor, ni le développement du commerce, ni les libertés publiques n’ont intérêt à s’engager dans cette voie. Une baisse des tarifs ne peut entraîner qu’une baisse des recettes, tandis que l’exploitation directe par l’État va augmenter les coûts d’exploitation, comme dans les pays voisins qui ont étatisé leur réseau. Par ailleurs, dit-il, les compagnies n’ont pas démérité. Elles ont fait leur devoir durant la guerre de 1870.23 Il est aisé de comprendre que Plichon est partisan du statu quo.
40La discussion sur l’approbation de la convention passée avec la Compagnie des chemins de fer du Nord occupe une unique séance, le 31 juillet 1883. Les interventions des élus nordistes visent à obtenir la construction de lignes nouvelles et leur insertion dans la convention. Scrépel défend la construction à moyen terme d’une ligne de 13 km reliant Roubaix à la frontière belge, et se dirigeant vers le port d’Anvers.24 Le ministre Raynal accepte le principe de cette ligne, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une construction prioritaire et que le financement sera imputé sur les reliquats. Les députés conservateurs Plichon et Des Rotours et le républicain P. Legrand présentent un amendement commun et obtiennent la construction prioritaire des lignes de Denain à Saint-Amand, de Don à Templeuve et d’Haubourdin à Saint-André dont les déclarations d’utilité publique datent de 1874 et 1875.25
41L’existence d’un reliquat attise les appétits parlementaires. Des Rotours intervient au nom des conservateurs Plichon, Debuchy et Brame et des républicains Desmoutiers et Outters pour que diverses lignes, dont l’exécution est demandée par le conseil général du Nord, puissent compléter rapidement le réseau régional.26
Des Rotours : « Le retard apporté à leur exécution est extrêmement dommageable aux populations du Nord. Sur les 9 000 km qui forment l’objet des conventions actuelles, 264 km seulement s’appliquent au réseau du Nord. Notre région a droit à une réparation prochaine. Toutes les lignes dont j’ai donné la nomenclature ont été demandées par le conseil général du Nord. Toutes sont indispensables. »27
42Un amendement des députés radicaux Giard, Raspail, Barodet Leydet et du républicain Baltet a une tout autre portée et s’intéresse au sort des personnels. Il propose d’allouer à l’employé blessé, à la veuve et aux enfants de l’employé tué dans ses fonctions, une pension égale aux trois quarts du traitement de cet employé.
Giard : « … vous nous permettrez bien de faire un peu d’opportunisme et de saisir l’occasion qui nous est offerte de faire insérer dans les conventions une disposition favorable aux ou vriers…
A plusieurs reprises, dans cette discussion, on a parlé du dévouement des employés de chemin de fer aux institutions républicaines. Ce dévouement existe, j’en suis convaincu ; mais il n’est pas de dévouement, si profond qu’il soit, qui ne se lasse s’il n’est pas payé de retour. Je vous demande donc de faire quelque chose pour ces travailleurs si intéressants, si vous ne voulez pas voir se développer chez eux ce scepticisme politique que je constate depuis quelque temps dans nos grandes villes industrielles du Nord et dont les progrès deviendraient inquiétants pour l’avenir de nos institutions démocratiques. »28
43Le gouvernement s’oppose à l’amendement, arguant du précédent rejet d’une telle mesure dans la convention de la compagnie P. L. M. L’amendement est rejeté par 219 voix contre 150.29 Les conservateurs se joignent aux radicaux pour voter cette mesure favorable aux employés. La cohésion républicaine explose. Quatre des cinq opposants sont républicains, tandis que P. Legrand, Bernard et Cirier rejoignent radicaux et conservateurs. Plichon se désolidarise de ses collègues conservateurs pour rejeter la mesure. Dans ses votes, le député opine très souvent en faveur des mesures favorables aux compagnies.
44Durant la législature 1885-89, la discussion de l’interpellation du radical Thévenet et de l’opportuniste Jamais sur l’homologation des tarifs de chemins de fer se déroule sur neuf séances, du 22 février au 29 mars 1886. La discussion déborde largement le motif de l’interpellation. Toute la question ferroviaire est débattue. Les questions sensibles du rachat des lignes, de leur exploitation par l’État et de l’unicité des tarifs donnent lieu à de longs développements.
45En 1883, les compagnies ont pris l’engagement de refondre leurs tarifs. Plus la distance parcourue est longue, moins le prix de revient kilométrique est élevé. Beaucoup d’objets voient donc leurs prix diminuer. L’interpellation concerne le nouveau système de péréquation des tarifs appliqué à certains articles sur de courtes distances, et dont le coût du transport augmente au lieu de baisser.30
46Des Rotours réitère ses griefs contre la méthode de garantie d’intérêt qui oblige l’État à se substituer aux compagnies déficitaires ou trop peu rentables lorsque les recettes sont insuffisantes. Les conventions de 1883 ont entraîné, dit-il, des charges énormes. L’argument n’est pas neuf. Aux yeux de la Droite, le plan Freycinet est responsable de tous les maux. On aurait pu réaliser au moins 4 milliards d’économies en substituant des voies étroites aux onéreuses voies larges, partout là où la desserte et le transport du fret sont peu importants. Mais, et l’accusation est lâchée, c’eût été « compromettre l’influence d’un certain nombre de députés de la majorité. »31 L’État a également demandé aux compagnies d’engager leur propre signature pour l’obtention des emprunts et cette méthode, certes plus onéreuse, a permis la dissimulation d’une partie de la dette de l’État.
47La démonstration se poursuit. Une baisse significative des tarifs de voyageurs peut être espérée. Le nouveau système de tarification du fret devrait aller dans le même sens. Mais dans certains cas, le coût du transport augmente et le relèvement des tarifs lèse les industriels qui avaient obtenu de précédents tarifs plus avantageux. En d’autres termes, pour certains patrons, le nouveau tarif manque de souplesse. La hausse du coût du transport profite à la concurrence étrangère et nuit au travail national.
48Les élus conservateurs demandent alors que l’ancien tarif serve, en tout état de cause, de prix-plafond. À leurs yeux, les dégrèvements couplés à la baisse des tarifs peuvent avoir un effet hautement bénéfique sur la production intérieure.
49Toutefois, « des dilapidations malheureuses ont ruiné notre budget » et, selon le principe des vases communicants, toute réduction du trafic dans une compagnie déficitaire accroît d’autant le montant de la garantie d’intérêt et des impôts supplémentaires.
50Les élus conservateurs ne négligent pas de lire la littérature que publient les économistes républicains. Ces écrits, habilement utilisés, portent la contradiction et sèment parfois le doute dans les rangs républicains. Leroy-Beaulieu n’a-t-il pas démontré que les « étranges dépenses » faites en Tunisie, au Tonkin et au Sénégal et celles engagées pour l’exécution des plans Freycinet et Ferry auraient suffi pour subventionner les abaissements de tarifs et les dégrèvements réclamés par l’industrie et le commerce ? Leroy-Beaulieu n’a-t-il pas démontré que l’onéreux rachat des petites compagnies a servi les intérêts des boursicoteurs qui avaient préalablement acheté à vil prix les actions de ces compagnies ?
51Un autre point est abondamment développé par les élus de Droite mais aussi par Trystram, en d’autres circonstances.32 Les tarifs de pénétration permettent aux pays limitrophes d’obtenir des prix très avantageux. Le poisson anglais, acheminé en France, paie des frais de transports identiques à ceux qu’on facture au départ du port de Gravelines. Le transport des houilles anglaises qui partent de Dunkerque ne coûte pas davantage que celui du charbon acheminé au départ du bassin minier, malgré un trajet plus long de 92 km.
52Le vrai responsable de la hausse, dit-il, ce ne sont pas les compagnies, mais le ministre qui a accepté de signer les homologations de tarifs. Le ministre veut-il supprimer les tarifs de pénétration comme promis lors de la négociation des conventions ? Le ministre veut-il empêcher le relèvement des tarifs ?
53La lancinante question du rachat des lignes est de nouveau abordée : tout rachat serait désastreux pour le Budget de l’État. La sainte croisade de quelques députés, dit-il, ne doit pas mener à la terre promise du rachat. Des Rotours est persuadé qu’aucun député n’acceptera de se rallier à « l’étrange doctrine de la confiscation », à savoir de la nationalisation des lignes.
54Des Rotours approuve l’ordre du jour du conservateur Keller qui réclame des abaissements de tarifs et des prix-plafonds identiques à ceux pratiqués au jour de la signature des conventions. Ce n’est qu’à cette condition qu’il accepte la péréquation des tarifs, c’est à dire le barème kilométrique à base décroissante.
55Léon Renard fait entendre un discours à la tonalité plus mesurée. Il intervient au nom de l’intérêt bien compris de tous les « Français » Des intérêts communs rassemblent les industriels et les commerçants qui souhaitent des baisses de tarifs, mais aussi les contribuables-usagers qui veulent voyager à bon marché, mais encore les petits actionnaires inquiets de la baisse du cours des actions ferroviaires.33
56L’État qui subventionne a un droit de regard et d’intervention sur les tarifs des compagnies. Il peut appliquer son veto ou prodiguer aide et conseil. Mais son intervention doit demeurer discrète et se limiter à la sécurité des voyageurs ou à la défense de l’intérêt public. Les compagnies exploitent « au mieux de leurs intérêts et comme elles l’entendent. » Il n’y a pas de mauvais tarifs mais de bonnes et de mauvaises applications de ces tarifs.
57Aux yeux de Renard, les tarifs de pénétration ne sont pas si mauvais lorsqu’ils servent à transporter le coton vers les filatures françaises. À la condition de ne pas aboutir à des hausses trop importantes pour certains, la péréquation simplifie la tarification. Les anciens tarifs commerciaux de gare à gare sont réputés détestables car ils introduisent des injustices et peuvent ruiner une industrie du jour au lendemain mais, à l’inverse, ils peuvent être excellents lorsqu’ils concurrencent les charbons anglais dans l’Ouest de la France. Les tarifs doivent donc être appliqués avec souplesse, sans volonté d’uniformisation et en « suivant l’opportunité » ! [Très bien ! très bien ! à droite] Le Gouvernement, dit Renard, est plus qualifié que les parlementaires pour traiter des tarifs avec les compagnies. Le Comité consultatif des chemins de fer doit rester une force de proposition éminente, aussi longtemps qu’il sera composé d’ingénieurs et de membres choisis pour leurs compétences spécifiques. Il y aurait tout à craindre si les membres de ce Comité venaient à être nommés en fonction de considérations politiques. Enfin les Chambres de commerce ne doivent pas être évincées des discussions.
58L’ordre du jour Keller, déjà évoqué, demande au Gouvernement de ne pas relever les tarifs qui pèsent sur le travail national et de réviser les tarifs de pénétration. Malgré le vote unanime des élus nordistes, cet ordre du jour n’obtient pas la priorité. Il ne peut donc être soumis au vote que si aucun texte n’est adopté préalablement.
59Une majorité de 364 députés commence par refuser la priorité à l’ordre du jour des radicaux Vacher et Labordère qui réclame le rachat des compagnies de l’Ouest et d’Orléans. Les élus nordistes unanimes rejettent un texte qui ouvre la porte au rachat partiel honni.34
60Le Gouvernement se rallie à l’ordre du jour des républicains Steeg et Remoiville qui demande au ministère la poursuite active de négociations afin d’améliorer encore les tarifs en vigueur ainsi que la constitution d’une commission sur les tarifs de pénétration. Cet ordre du jour est adopté par 363 élus.35 Maurice se désolidarise des opposants nordistes. Les quatre abstentionnistes du Nord sont tous proches des milieux industriels.
61L’intervention dans le débat ferroviaire est aussi l’un des moyens trouvés par Des Rotours pour scander à l’infini le thème de la « préférence nationale. » En 1886, la construction des réseaux locaux d’Angoulême à Rouillac, d’Hyères à Fréjus-Saint-Raphaël, de diverses lignes de la région lyonnaise et des Bouches-du-Rhône lui permettent, à chaque fois, de faire adopter une disposition additionnelle stipulant que le matériel fixe et roulant doit être exclusivement d’origine française. La stratégie bien rodée aboutit au dépôt systématique d’amendements individuels par Des Rotours auxquels s’associent parfois Le Gavrian, Brame ou Renard.
62À partir du 1er juin 1886, le député républicain Laur décide, à son tour, de déposer son propre amendement en termes identiques. Les élus nordistes s’effacent alors. Des Rotours se rabat alors sur un autre libellé que les députés adoptent à chaque fois et qui précise que les douaniers doivent bénéficier des mêmes tarifs que les militaires.
63L’amélioration de la sécurité et des conditions de travail des employés des chemins de fer est abordée au moment de l’étude du texte des députés d’Extrême-Gauche Delattre et Clemenceau.36 La Droite nordiste n’est pas hostile à l’amélioration des conditions de travail, bien au contraire. En 1886, Déjardin-Verkinder, qui possède des intérêts dans la Compagnie P. L. M., plaide déjà en faveur des freins Westinghouse, de l’unification des signaux et de l’emploi de mécaniciens systématiquement responsables de la même machine.37
64La compétence de Déjardin-Verkinder l’autorise à intervenir dans le débat technique sur les défaillances des systèmes de sécurité des aiguillages durant les orages. L’orateur se dit également favorable à une réglementation de la durée de travail des aiguilleurs, « soumis à une grande tension d’esprit ». Il propose aussi que les services du ministre réglementent le tableau des effectifs de chaque gare. Il s’intéresse enfin au couplage automatique des wagons, système qui fonctionne déjà dans les Midlands, et qu’il juge efficace.38
65Toujours dans le domaine des innovations techniques, le député Le Gavrian reprend en 1889 une proposition développée vainement lors de la discussion du budget de 1887. Ce texte prévoyait la mise en place d’un concours, doté de 25 000 F, afin de trouver le meilleur système de couplage mécanique des wagons.39
66Soucieux de sécurité, l’ingénieur Le Gavrian dépose, en 1889, une disposition pour que le cahier des charges impose aux compagnies un dispositif assurant, uniquement depuis l’extérieur des voies, le couplage des wagons, l’attache des crochets, le serrage des tendeurs, l’emboîtage des tubes de freins et la jonction des fils de liaison des avertisseurs électriques.
67Le Gavrian brosse un tableau d’ensemble assez critique des conditions de sécurité. Les employés travaillent en toute hâte. Les cas d’écrasement ou de mutilation sont trop fréquents.40 De nouveaux appareils ont pourtant été expérimentés sur quelques wagons de la Compagnie du Nord et sur ceux des chemins de fer de l’État. Leur généralisation est souhaitable, malgré la frilosité de compagnies peu favorables à un surcroît de dépenses de 80 F par wagon. Les réticences sont balayées au nom de la sécurité des voyageurs et de la nécessaire œuvre d’humanité à l’égard des ouvriers des chemins de fer.
68Aucune statistique fiable n’existe en France sur les accidents ferroviaires. Le Gavrian propose de recourir aux statistiques belges et anglaises. Extrapolée à la France, la statistique permettrait d’évaluer à près de 1 500 le nombre des employés accidentés chaque année, blessés et tués confondus. Les victimes ne reçoivent qu’une maigre indemnisation de la part de compagnies qui invoquent trop souvent la fatalité.
69Les voyageurs sont également mis en danger. Le travail dangereux fait à la hâte engendre des catastrophes. Les freins peuvent devenir inefficaces par mauvais emboîtement des tubes. Un mauvais serrage des vérins peut provoquer un déraillement.
70L’utilisation d’appareils latéraux de levage et d’enclenchement, faciles à contrôler, doit résoudre une partie du problème. La jonction des tubes, des freins et des fils, depuis l’intérieur des wagons, doit compléter le dispositif de sécurité.
71Une attitude volontariste doit prendre en compte tant l’intérêt des voyageurs que celui des ouvriers. Elle doit permettre d’étendre les améliorations à tous les réseaux exploités par les compagnies, même si elles rechignent à adopter ces innovations. Le Législateur n’a pas à se soucier des intérêts financiers des compagnies.
Le Gavrian : « Si on n’avait pas imposé aux compagnies le frein continu, nous en serions encore aux freins à la main… Messieurs, le martyrologe d’un si grand nombre d’ouvriers chaque année est de nature à vous toucher. »41
72Ces propos font sourciller Déjardin-Verkinder qui prend, une fois de plus, la défense des intérêts des compagnies. Le souci constant de ne pas entraver l’initiative privée ainsi que la défense des intérêts particuliers freinent les réformes législatives. La disposition additionnelle de Le Gavrian est rejetée sans décompte des voix.
73Certes Le Gavrian a agi en politique, au sens le plus noble du terme. Certes, Déjardin-Verkinder s’est plutôt fait l’avocat des compagnies taxées d’imprévoyance. Mais le parlementaire de base est-il toujours capable de mener à bien la nécessaire introspection lui permettant de trancher entre le souci de l’intérêt collectif et les aspirations catégorielles de ses mandants ?
74C’est ce mécanisme complexe qui fait pencher l’élu vers l’une ou l’autre attitude. Mécanisme obscur, tributaire de l’intimité des consciences et des parcours individuels. Et comme, par ailleurs, certains élus adoptent l’une ou l’autre attitude au gré des circonstances, il nous faut admettre, en toute humilité qu’il est, bien des fois, difficile d’échapper à une simplification réductrice !
Les chemins de fer coloniaux : abus et malversations
75La législation sur les chemins de fer coloniaux, et principalement algéro-tunisiens, fait l’objet de l’attention suspicieuse de Des Rotours.
76Christophle, ministre des Travaux Publics, puis président du Crédit Foncier, a déposé, en 1877, une loi sur les conventions nord-africaines, loi qui continue à régir les constructions nouvelles. La création de la ligne ferroviaire de Souk-Arrhas à Sidi-el-Hemessi entend raccorder le réseau algérien à celui de la Tunisie. Cette ligne nouvelle présente un intérêt stratégique et doit être déclarée d’utilité publique dans les plus brefs délais.
77Les députés sont chargés d’approuver la convention de construction conclue avec la compagnie Bône-Guelma. Alors que l’avocat opportuniste Sarrien, rapporteur du texte, demande que l’urgence soit déclarée, pour accélérer la navette parlementaire, Des Rotours réclame les deux délibérations. Il rappelle aux députés que la commission en charge du dossier, sous la précédente législature, avait émis de nombreuses réserves.42 L’élu nordiste clame haut et fort qu’il est décidé à combattre les conclusions de la commission actuelle.
78De fait, s’il existe un dossier qui regroupe tout l’éventail des malversations possibles dans le milieu de la construction ferroviaire coloniale, c’est bien celui de Bône-Guelma.
79Des Rotours ne combat pas la déclaration d’utilité publique de cette ligne stratégique mais il en repousse le système de financement. Faisant état de ses soupçons, il dénonce les malhonnêtetés qu’il croit déceler. L’affairisme est omniprésent, les bénéfices sont juteux et le contribuable est spolié.43
80Dans cette région aux confins de l’Algérie et de la Tunisie, le relief est ingrat. Le tracé de la ligne prévoit cependant des pentes raides et des courbes serrées. Mais alors, questionne-t-il, la ligne est-elle sûre, lorsqu’un convoi circule à vive allure ?
81La compagnie a demandé à l’État d’apporter un capital forfaitaire de premier établissement de 25 millions de fr. La ligne ayant une longueur de 54 km, le coût kilométrique ressort à 460 000 F montant jugé considérable pour une voie unique. Le système à forfait, fort coûteux, est aussi propice aux malfaçons. Le député radical Pelletan s’empresse d’expliquer que la compagnie empoche la différence entre le forfait que paie l’État et le montant des dépenses effectives. Il y a donc spéculation.
82Le montage financier laisse rêveur. La compagnie des Batignolles, constructeur en titre, a rétrocédé le chantier à la compagnie de la Medjerdah qui a, elle-même, rétrocédé le chantier à la compagnie Bône-Guelma. La compagnie concessionnaire n’émet pas ses titres, ne construit pas ses lignes et n’est pas chargée de l’exploitation. Complexité et opacité ! Pied à pied, Des Rotours démonte le système et le discours éclaire des pratiques qui attirent aigrefins et spéculateurs.
83Le député du Nord demande que la garantie d’intérêts s’applique uniquement aux sommes réellement déboursées. Il affirme que la compagnie dispose encore d’un reliquat de 4 millions de fr., garantis par le Parlement, reliquat dû à une surestimation de 24 km sur la longueur totale de la ligne de Tunis à la frontière française.44 Cette somme aurait pu être affectée à la ligne nouvelle comme capital de premier établissement.
84Le député accuse la compagnie de vouloir se servir de l’excédent de crédit pour construire une autre ligne, celle de Soukh-Arrhas-Bizerte, dans sa portion jusqu’à la ville balnéaire de Hammam-Life et Ariana. Il relève que l’autorisation aurait été accordée par le consul ou par le gouvernement alors qu’il s’agit d’une prérogative parlementaire.
85À ce capital versé par l’État, s’ajoute une garantie d’intérêts prohibitive de 5 % sur le capital à forfait de 25 millions de fr. De plus, l’intermédiaire bancaire chargé de l’émission bénéficie d’une prime de 50 F sur le placement de chaque obligation émise à 300 F45 Sur un capital de 25 millions, le boni est de 4 millions de fr.
86Ce bénéfice à empocher est alléchant, mais d’autant plus injuste que le système de la construction à forfait n’est jamais accordé aux grandes compagnies intérieures. Pour ces dernières, une garantie provisoire de 4,65 % est accordée, puis renégociée à la baisse par la suite. Dans une opération similaire, le Sénat a refusé une telle garantie aux chemins de fer du Sénégal et a obtenu une réduction appréciable des prétentions de l’intermédiaire bancaire.
87Un autre aspect du gaspillage est dénoncé : l’État accorde, depuis 1877, une garantie d’intérêts de 6 % aux lignes algériennes et tunisiennes. Le déficit d’exploitation de la compagnie est chronique et les pertes d’exploitation se montent, en 1881, à 1 100 000 F. La compagnie réclame 1 300 000 de fr., se prévalant d’un dispositif particulier de la convention. Aux yeux de l’orateur, la nouvelle loi doit stipuler que l’État paie le déficit d’exploitation, et rien que ce déficit.
Des Rotours : « Tous les mirages de cette terre promise… Les conditions déplorables d’une expédition militaire entreprise en l’absence du Parlement et des agissements financiers qui l’ont accompagné… [Applaudissements]… Messieurs, cette question n’a rien de politique. C’est une question d’affaires. »46
88Dans sa réponse, défendant les intérêts de la compagnie, le rapporteur Sarrien affirme que cette méthode de concession est obligatoire et définitive, qu’elle est soucieuse des intérêts de l’État et se rapporte à l’ensemble du réseau.
89Sarrien défend le système du forfait qu’il estime avantageux puisqu’il exclut tout risque de dépassement pour imprévu. Il met en avant les concessions significatives faites par la compagnie : la garantie d’intérêts doit passer de 6 à 5 % et le délai d’exécution de la ligne doit être ramené de 4 ans à 2 ans et demi.
90Le bouillant radical Pelletan se charge, une fois de plus, de contrer Sarrien. Il démontre que les capitaux de premier établissement sont bien supérieurs aux dépenses effectivement engagées : pour un capital de 90 millions de fr., 77 ou 78 millions ont été dépensés dans la construction des lignes. Il s’agit bien là d’un détournement de fonds publics.
91Les différents discours ont également permis de découvrir que la ligne de Hammam-life, à laquelle l’affairiste Roustan n’est pas étranger, était susceptible d’avoir obtenu une garantie d’intérêts par abus de pouvoir. Pelletan, soutenu par des députés pointilleux et soupçonneux, demande des éclaircissements que le ministre n’est pas en mesure de donner.
92Ce 13 février, c’est donc, grâce à l’opiniâtreté de Des Rotours et de Pelletan, qu’est adopté un renvoi en commission. Le ministre des Travaux Publics, Varroy, et le secrétaire d’état, Rousseau, ont hésité puis se sont ralliés au souhait majoritaire.
93Dès le 16 février, le texte retourne à la Chambre. Les explications de Sarrien et du secrétaire d’État sont peu convaincantes, celles de Sadi Carnot bien que claires sont difficiles à vérifier.
Pelletan : « Une affaire qui était mauvaise, comme affaire de chemins de fer, se trouve être une affaire trop bonne comme affaire d’argent… Ce sont ces privilégiés qui ont des actions au pair et qui les vendent avec prime, en sorte que tout ce que vous votez de trop comme intérêt garanti, se capitalise de suite dans leurs poches en millions usurpés. »47
94Le long débat très technique a ennuyé les députés qui réclament, à plusieurs reprises, la mise aux voix du texte. L’art. 1er du projet est adopté à une écrasante majorité de 357 voix contre 9.48 Tous les républicains nordistes soutiennent le texte à l’exclusion de Cirier, l’un des 9 rares opposants. Le républicain Bernard rejoint la Droite qui s’abstient. L’art. 2 qui détermine les charges de concession applicables à la compagnie Bône-Guelma est repoussé par le même Cirier et par les élus de la Droite.49
95De nombreux autres projets de création de chemins de fer coloniaux font l’objet de la même attention sourcilleuse de Des Rotours. Selon un rituel bien défini, il monte à la tribune et assène ses commentaires incisifs ou accusateurs sur le projet de convention : il en est ainsi pour la ligne Bougie-Beni-Mançour, pour Mostaganem-Tiaret, pour Soukh-Arrhas-Tebessa, pour Ménerville-Tizi-Ouzou ou pour Dakar-Saint-Louis du Sénégal.
96La discussion sur la ligne Ménerville-Tizi-Ouzou lui permet de faire voter par les députés un paragraphe additionnel portant interdiction aux membres du Parlement de faire partie du conseil d’administration de la société concessionnaire. Cet amendement voté par 329 voix contre 24 recueille l’adhésion de la totalité des élus nordistes.50 Seul à s’abstenir, le notaire Outters est l’élu nordiste poursuivi plus tard pour banqueroute frauduleuse.
97En 1888, Lecomte rédige le rapport sommaire sur une proposition qui traite de l’incompatibilité du mandat parlementaire avec la fonction ministérielle ou avec la présence au sein de conseils d’administration. Dans sa conclusion, il précise que lui et ses collègues n’ont pas cru pouvoir juger sur le fond.51 Le texte sombre dans un rapide et opportun oubli.
98Un deuxième amendement au texte sur la ligne algérienne précise que les rails et le matériel fixe ou roulant doivent être d’origine française ou algérienne. À mesure que la France fabrique des chemins de fer en Algérie et qu’on y consomme plus de fer, les importations de fer français ont diminué tandis que les importations de fer allemands, belges et anglais ont doublé en un an.52
Des Rotours : « Nos constructeurs de chemins de fer subventionnés par le budget français, au lieu de s’adresser aux forges françaises pour leurs approvisionnements, livrent le marché algérien aux importations étrangères. Je dis que cela est inadmissible. Il faut empêcher la continuation d’un pareil abus par une stipulation formelle introduite dans le cahier des charges. »53
99Les arguments économiques se mêlent aux arguments diplomatiques et moraux. La mission civilisatrice de la France est la caution morale du protectionnisme et de la « préférence nationale ». Apporter la civilisation, c’est amener la technologie la plus moderne, créer un choc de civilisation qui aboutit à l’émerveillement des peuplades et des « nomades » colonisés. Le portrait du nomade indigène est toutefois plus proche de l’image d’Épinal que de la réalité de populations nord-algériennes majoritairement sédentarisées. Le fossé technologique entre colons et colonisés est perçu comme tellement immense que Des Rotours amalgame mission civilisatrice et spectacle. Les outils scientifiques sont instrumentalisés pour accentuer encore le fossé culturel qui existe entre colons français et indigènes algériens.
Des Rotours : « Quand, en Algérie, le nomade voit l’installation du chemin de fer, quand il voit circuler ces machines nouvelles pour lui, son sentiment est un sentiment d’admiration. Mais quand il entend dire que la France peut sans doute payer ces machines avec l’argent de ses contribuables, mais que, pour les obtenir, elle est tributaire de l’étranger, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la Belgique, croyez-vous qu’il ne place pas dans son esprit ces nations au premier rang ?
C’est le Trésor français, ce sont les manufacturiers français, au moyen de leurs droits de patente ; ce sont les ouvriers français qui acquittent des contributions indirectes écrasantes. Est-il admissible que systématiquement leur argent serve à alimenter des usines étrangères ? Cela n’existe dans aucun pays. C’est anti-économique et anti-patriotique. »54
100Le rapporteur opportuniste, Hervé Mangon, explique que si une convention signée avec une compagnie de chemins de fer est amendée, cela signifie qu’elle est rejetée, selon le principe qui prévaut dans la ratification des traités. La Chambre peut accepter ou refuser, mais non pas amender.
101L’amendement est alors rejeté massivement par 236 voix contre 122.55 Dans le Nord, six républicains rejoignent la Droite. Les quatre abstentionnistes républicains se rangent plutôt dans les rangs des élus moins protectionnistes. Seul, Girard s’oppose à l’amendement.
102Les débats budgétaires de novembre 1888 (budget de 1889) relancent les griefs à l’encontre de la construction des chemins de fer coloniaux. La construction de la ligne coloniale de Dakar à Saint-Louis avait été votée en 1882. Le rapporteur républicain Arthur Leroy avait demandé que l’urgence soit déclarée, pour éviter une deuxième lecture du texte. À l’époque, là aussi, Des Rotours et quelques opposants avaient voulu alerter la chambre sur les bénéfices énormes que l’intermédiaire bancaire allait engranger.56
Des Rotours : « Où sont passés les 1 500 000 F de boni réalisés sur l’émission et qui représentent 30 % du capital-actions. S’ils ont servi à payer des services rendus, qu’on le dise ; mais ce que nous devons condamner, ce sont ces gratifications occultes qui, au moyen de je ne sais quel mécanisme législatif, sont attribués à des syndicats. Cela est mauvais. Cela est détestable. »57
103Le sous-secrétaire d’État aux colonies hésite et se fait expliquer le montant énorme que représente cette commission bancaire, explications que les élus de Droite Sevaistre et Des Rotours se font un plaisir de donner.
104Des Rotours dénonce Arthur Leroy, rapporteur du projet de 1882 et actuel rapporteur du budget des Colonies pour 1889. L’implication d’Arthur Leroy ne relève pas du hasard. Opportuniste bon teint, ce député, membre du conseil supérieur des colonies, soupçonné d’affairisme, est l’auteur du rapport de 1884 favorable aux crédits du Tonkin.
105Aux dires de l’élu nordiste, le rapport du député oranais Étienne sur la ligne Dakar-Saint-Louis est accablant. Mais, mis sous le boisseau, il est difficilement accessible.58
106La ligne, construite par une société non exploitante, était défectueuse dès son ouverture. Le terrassement du chantier n’a pas respecté le cahier des charges. Les remblais sont insuffisants. Les ouvrages d’art semblent fragiles. Le ballast de la voie est inexistant ou de mauvaise qualité. Les bâtiments ferroviaires sont en mauvais état et vont nécessiter des frais importants. Les traverses de bois devront être remplacées peu à peu par des traverses métalliques. De plus, dès le lendemain de l’ouverture de la ligne, il a fallu en interrompre l’exploitation.
107L’avocat d’Extrême Gauche Turrel déclare ne pas vouloir voter un sou « pour une compagnie qui a profité de l’éloignement des lieux pour faire recevoir par une commission incompétente des travaux mal exécutés »59 et non terminés au jour de la réception. La même année, des travaux de réfection, pour un montant de 471 000 F ont été entrepris pour tenter de corriger une partie des malfaçons.
108Une fois de plus, la ligne a été construite à forfait et son entretien confié à l’État. Cette procédure n’est pourtant plus très usitée : les lignes sont de plus en plus entretenues par les compagnies, ce qui contribue à l’amélioration de la qualité : les compagnies, souhaitant dépenser peu par la suite, surveillent attentivement les chantiers.
109Lors des débats, les députés de Droite, Sevaistre et Des Rotours demandent l’ajournement du vote du budget ferroviaire. Ils proposent un renvoi en commission pour déterminer comment l’argent perdu peut être récupéré. Les défectuosités n’ont pas à être payées sur le budget d’entretien de la ligne. La commission doit être chargée de déterminer s’il y a eu impéritie ou prévarication.
110Fait singulier, les deux élus conservateurs obtiennent cet ajournement. Le sous-secrétaire d’État aux colonies, dépassé, ne peut s’y opposer.60 Boulanger se joint à la Droite pour voter le report. Aucun républicain nordiste – ce qui n’est pas le cas d’autres opportunistes ou radicaux extra-départementaux – ne se joint aux députés conservateurs. L’abstention de P. Legrand semble voulue. Dès le 22 novembre 1888, la commission est nommée. Elle comprend dans ses rangs les députés conservateurs Morel et Sevaistre.
111Le premier rapport publié61 élimine les soupçons sur les bénéfices exorbitants de l’intermédiaire financier mais fait état d’importantes plus-values boursières dégagées lors de la revente des actions de cette société, dopée par la caution financière de l’État. Les actionnaires qui ne sont que 27 constituent un cercle très fermé d’initiés.
112Le rapporteur propose le vote intégral du crédit qui ne devrait cependant être que partiellement utilisé. Le rapporteur se prévaut de deux arguments. Il ne faut pas léser les usagers de la ligne en interrompant la réfection. Il ne faut pas retarder la navette parlementaire qui se doit de transmettre le projet de budget au Sénat dans les meilleurs délais. La décision de la commission, pour le moins paradoxale, semble couvrir le dossier d’une chape de plomb.
113Un second rapport, déposé le 18 juin 1889,62 révèle des accointances malsaines et des collusions entre la société d’exploitation de Dakar/Saint-Louis et la société de construction des Batignolles, déjà évoquée. Le montage financier implique également le Crédit Lyonnais et la Banque du Sénégal.
114L’exploitation de la ligne n’est pas plus satisfaisante que la construction. Le personnel d’entretien, payé par l’État, en nombre plus important que prévu, a été chargé de terminer la ligne – en lieu et place du constructeur – et non pas d’assurer la seule mission d’entretien qui lui incombait. Le rapport conclut également à un sureffectif parmi les chefs de service, trop grassement payés au goût de la commission. Le rapport dénonce pêle-mêle l’excès de personnel, l’excès des approvisionnements, le gaspillage des matières, le service médical et sanitaire luxueusement installé et très peu utilisé. En raison de la fin imminente de la législature, la Chambre ne statue pas sur ce second rapport.
L’enjeu fluvial : intérêts miniers du Nord contre intérêts portuaires rouennais
115Les parlementaires ont souvent privilégié le rail, freinant l’essor de la navigation fluviale et son ouverture au fret européen. De fait, les tarifs de pénétration ne sont-ils pas une prime accordée aux entreprises étrangères adeptes du transport ferroviaire ?
116Les élus nordistes ne méritent pas un tel reproche. Le réseau de voies navigables du Nord est le plus fréquenté de France et il est situé dans la seule région où les voies d’eau parviennent à concurrencer le rail. Alors que les chemins de fer s’octroient 58 % du charbon transporté, la navigation fluviale se défend honorablement avec 42 %. Dans les autres régions françaises, la part réservée aux voies navigables oscille péniblement entre 7 et 30 %.63
117Pourtant le réseau de voies navigables de la région Nord n’est guère en bon état. En raison de l’âge canonique du canal du Nord vers Paris et de son maintien en l’état depuis des décennies, la houille ne parvient que très lentement dans la capitale. Chacun admet que le réseau a atteint sa capacité maximale et qu’une péniche ne peut effectuer que trois rotations par an, et pas une de plus. L’encombrement du réseau interdit la moindre augmentation du trafic. Un trajet simple du Nord jusqu’à la capitale dure environ 40 jours et obère lourdement les coûts. Il faut donc s’armer de patience pour qu’à l’issue d’un long périple, le charbon du Nord soit enfin débarqué sur la place parisienne !
118La ligne navigable empruntée jusqu’alors est sinueuse, très encombrée et d’une largeur fort modeste. Sa longueur avoisine 370 km tandis que le chemin de fer parvient au même point de destination en moins de 250 km. 72 écluses anciennes ralentissent le parcours. Douai est un véritable goulot d’étranglement.
119La navigation ne peut donc concurrencer le rail à armes égales. L’enjeu économique est considérable. Si le bassin du Nord/Pas-de-Calais expédie la quasi-totalité du charbon français consommé dans le département de la Seine. (97,7 % du charbon d’origine française), il ne réussit à couvrir que 50,1 % de la consommation parisienne totale.64 Le Nord/Pas-de-Calais, par la voix de Trystram, voudrait barrer la route aux importations belges, anglaises et allemandes.65
120C’est en 1878, à l’occasion d’un voyage dans le Nord du ministre des Travaux Publics Freycinet, que la question du grand canal du Nord prend une dimension officielle. Les exploitants de houille du Nord et du Pas-de-Calais demandent au ministre d’inclure la construction d’un canal entre le Nord et Paris dans son programme de grands travaux.
121Le projet passe pour présenter de grandes difficultés d’exécution. Néanmoins, le ministre promet de faire étudier la question. Les études de l’ingénieur en chef Flamant démontrent que la construction du canal est tout à fait possible. De plus, l’adoption d’un tracé original et novateur en permet la réalisation dans des conditions beaucoup plus faciles.66 Un autre projet élaboré par l’ingénieur en chef Holleaux combine avantageusement la construction de portions nouvelles et la conservation de tronçons existants.
122Les élus nordistes, les chambres de commerce et les groupes de pression régionaux usent de toute leur influence pour faire accélérer la construction et obtenir un canal ayant un tirant d’eau supérieur à l’ordinaire. Pierre Legrand estime qu’il faut « lutter contre les chemins de fer au moyen des canaux. »67 Merlin intervient auprès du ministre des Travaux publics pour faire accélérer la construction du tronçon de contournement de la ville de Douai.68
123Mais le projet rencontre l’opposition d’acteurs économiques extrarégionaux qui redoutent la concurrence de ce nouveau tronçon navigable. Rouen et Le Havre mènent une campagne souterraine pour s’attirer la sympathie de divers groupes de pression. Par l’intermédiaire du député Lebaudy, très lié aux milieux d’affaires, la compagnie du touage de la Basse-Seine et de l’Oise fait campagne pour que la portion nouvelle s’arrête à Janville, en invoquant l’intérêt du contribuable. À ses yeux, les dépenses de réalisation du nouvel axe fluvial seraient disproportionnées par rapport aux économies réalisées sur le fret.
124L’enjeu n’est compréhensible que s’il est rapporté aux importants travaux d’amélioration de la Seine, menés entre Paris et Rouen durant la même période. En raison de ces travaux, la baisse du coût du transport de houilles étrangères est estimée entre 1 et 5 F la tonne. Or, Trystram estime qu’une diminution de 2 F suffirait à ruiner les houillères françaises.69 En 1886, Déjardin-Verkinder dénonce également ces importants travaux réalisés sur la Seine, profitables aux houillères anglaises, et réclame les mêmes facilités budgétaires pour le Nord.70
125Le projet nordiste doit également affronter d’autres adversaires. Le député radical des Bouches-du-Rhône, Peytral, favorable aux intérêts ferroviaires, plaide pour un chemin de fer de Calais à Marseille, tout en craignant la concurrence du futur canal du Nord.71
126Le gouvernement dépose un projet ouvrant un crédit de 105 millions de fr. pour la réalisation des travaux. La commission des voies navigables, dans laquelle siègent Girard, P. Legrand et Trystram, étudie le projet de déclaration d’utilité publique.
127Le rapport conclut, en cas de réalisation, à une diminution sensible des tarifs, estimée à près de la moitié du coût du transport.72 La commission, sensible au développement rapide de la production charbonnière du Pas-de-Calais et aux grands travaux portuaires en cours de réalisation dans les ports de Dunkerque et Calais, propose la construction à brève échéance de la portion Courcelles-lès-Lens-Janville, dont elle évalue le coût à 60 millions de fr. Pour le deuxième tronçon, elle se retranche derrière des « considérations de justice distributive pour ne pas attribuer aux travaux d’une même région des sommes trop considérables. »73
128Le député Lebaudy propose de substituer entre Janville et Paris, la voie de l’Oise et de la Seine, en lieu et place du tronçon projeté. Plusieurs députés,74 emmenés par l’ingénieur républicain de la Loire Francisque Reymond, également membre de la commission, déposent un texte dans le même sens et proposent d’affecter 6 millions de fr. à l’amélioration de l’Oise.
129Le ministre partisan de la réalisation de l’intégralité du projet avoue ne pas disposer du financement nécessaire. La commission dépose un second rapport dans lequel elle supprime la déclaration d’utilité publique du second tronçon et réduit le coût du projet à 56 millions.
130La première délibération n’appelle aucune intervention des élus régionaux. Girard, orateur unique, cède son tour de parole à l’opposant modéré Francisque Reymond (Loire). Une coalition des élus de la moitié sud de la France perturbe les débats. Les députés d’Extrême-Gauche Girault (Cher), Bellot (Cher), Préveraud (Allier) et une vingtaine de leurs collègues demandent le renvoi du texte en commission. Cette demande est repoussée par une large majorité de députés, incluant toute la représentation nordiste.75
131Les interventions laissent une fâcheuse impression de règlement de compte entre le Nord et le Sud de la France, sur fond de fracture politique et géographique. De manière certes caricaturale, à travers les brumes artificielles des exagérations parlementaires, se matérialisent les contours d’une France du Nord riche et courtisée mais tellement jalousée par cette France du Sud pauvre, affligée et persuadée, à tort ou à raison, d’être l’éternelle oubliée.
Girard : « Il faudrait lire aussi la statistique des impôts et voir ce que paye le département du Nord. »76
Girault (Cher) : « Ainsi tout va d’un côté. Pourquoi cela ? Nous ne sommes pas ennemis de votre prospérité, mes chers collègues du Nord, mais nous vous disons : Aidez-nous à marcher sur vos traces. Mais si vous nous prenez nos capitaux, vous nous en empêchez. »77
Douville-Maillefeu (Somme) ironique à l’encontre de Girault : « Il faut céder les départements du Nord à la Belgique. »78
Guilloutet (Landes) : « Les travaux dans le Midi passeront les derniers, et les départements les plus riches seront toujours les plus favorisés. »79
Bergerot : « Le département du Nord est celui qui contribue le plus aux charges de l’État. »80
F. Reymond (Loire) : « Oui, nous avons lutté pour empêcher l’exécution de la partie comprise entre Janville et Paris, parce que nous considérions que c’était une œuvre vaine et superflue. »81
132Girard intervient durant la seconde délibération,82 alors que l’opposition systématique du « député-meunier » Girault, proche des radicaux, perdure et prend l’allure d’un réquisitoire.
133Girault accuse. La construction du canal sert les seuls intérêts des compagnies houillères du Nord pour leur permettre de lutter à armes égales contre la concurrence anglaise. Girard réplique. Devant tant d’acharnement à démolir le projet, les élus nordistes choisissent la voie du silence. Telle est du moins l’assertion de Girard !
134Girault s’étonne que les charbons belges puissent envahir le marché parisien. Girard explique : si les charbons belges qui empruntent les mêmes réseaux de communication sont plus compétitifs sur la place parisienne, c’est que le coût des salaires est inférieur en Belgique de 35 % et qu’il s’accompagne d’un coût de la vie nettement moins élevé.
135Dans ce débat, les compagnies ferroviaires qui redoutent la concurrence d’une voie navigable rénovée ne demeurent pas inactives. Le spectre de l’inévitable Lebaudy, représentant les intérêts commerciaux et industriels parisiens, plane, une fois de plus sur le débat.
Girault : « Cette fois, le triomphe de M. Lebaudy et de ses amis est complet : il ne s’agit plus que d’un canal entre Courcelles-les-Lens et Janville ; Paris est absolument mis de côté et le mot « directe » appliqué à la communication à établir entre le Nord et Paris a complètement disparu… Par conséquent, plus de concurrence possible à la compagnie des chemins de fer du Nord, qui aura toujours l’avantage immense de la rapidité et de la régularité dans la livraison des marchandises expédiées. »83
136Lors du vote d’ensemble, la Chambre adopte un projet de canal limité au premier tronçon.
137Le projet est transmis au Sénat le 15 mars 1883. Le nordiste Corne préside la commission sénatoriale. Fournier dépose l’avis de la commission des finances de la Chambre Haute et Freycinet dépose le rapport définitif, le 5 mai 1883. La Chambre Haute freine les ardeurs nordistes en bloquant la discussion du projet.
138À la Chambre des députés, Le Gavrian intervient de nouveau pour tenter de faire avancer les travaux lors de la discussion du projet d’amélioration du port du Havre et de l’aménagement de la Basse-Seine.84 Ce projet accorde de nouvelles facilités de pénétration aux houilles anglaises acheminées vers la capitale.
139En 1889, le projet de construction du canal du Nord n’a pas avancé d’un pouce malgré la mobilisation des élus régionaux qui réclament ce canal réputé vital pour l’agriculture, l’industrie et le commerce intérieur. La vitalité retrouvée permettrait l’embauche de nombreux ouvriers mineurs dont les salaires soutiendraient la consommation. Des Rotours, lors de l’interpellation sur l’homologation des tarifs de chemins de fer avait déjà mis en évidence cette folie « chevaleresque qui consiste à commencer par donner des facilités aux Anglais avant de faire nos canaux intérieurs. »85
Lors de la discussion du projet de la Seine, la réponse à une interruption de Déjardin-Verkinder permet de mieux saisir la pensée ministérielle et de comprendre les raisons du blocage du projet nordiste.
140Le projet d’amélioration portuaire et fluviale est exemplaire. Le département de la Seine-Inférieure, les villes de Rouen et du Havre participent au financement pour 24 millions. Une avance, sans intérêt, de 74 millions de fr. est consentie également.
Deluns-Montaud, ministre des travaux publics : « Et vous, que faites-vous dans le Nord pour ces travaux que vous déclarez si indispensables à votre industrie ? Qu’est-ce que vous nous avez donné sur ces 260 millions que nous avons déjà dépensés pour vous depuis 18 ans ? Que nous avez-vous offert pour les dépenses nouvelles que vous nous réclamez ? »86
141Le ministre rejette la responsabilité du blocage sur les villes et départements riverains et sur les compagnies houillères qui, non avares de leur soutien moral, refusent pourtant de mettre la main au portefeuille.
142Déjardin-Verkinder critique la position des conseils généraux, dont celui du Nord, qui refusent de subventionner le canal, manquant ainsi à tous leurs devoirs.87 Cette critique aisée s’adresse aux majorités républicaines des conseils généraux.
143En cette fin de 4e législature, le Gouvernement, en pleine restriction budgétaire, penche en faveur de l’initiative individuelle. Il propose la création d’un syndicat ou d’une chambre de navigation, mandaté pour emprunter les sommes considérables nécessaires. Le remboursement de l’emprunt est censé s’effectuer par la concession des recettes de péages sur les tronçons nouveaux et anciens.
144Un autre tronçon navigable occupe également les esprits parlementaires. Ce projet qui intéresse davantage le Pas-de-Calais illustre la solidarité des départements limitrophes. La société houillère de Liévin et la ville de Lens se sont proposées pour subventionner le projet de construction du canal de Lens à la Deûle (Pas-de-Calais) à hauteur de 500 000 F.
145Le nouveau tracé doit desservir les concessions minières de Courrières, Lens et Liévin qui produisent plus de 2 millions de tonnes de houille par an et traverser la vallée de la Souchez, riche d’usines métallurgiques, de sucreries et de distilleries agricoles. L’État, par de subtiles tractations, oblige la compagnie à avancer, sur les années 1886 et 1887, les sommes initialement à sa charge et s’engage à rembourser le prêt en 9 annuités, au taux de 4 %, à partir de 1887.
146Desmoutiers, président de la commission, Bernard, Cirier, Lecomte et Trystram siègent dans l’instance qui examine cette avance de fonds. L’offre généreuse de la compagnie de Liévin est acceptée.88 Trystram exige que le projet stipule que la subvention accordée par la Compagnie minière ne lui confère aucun droit particulier sur le canal.89 Entre l’introduction du texte et sa promulgation, il ne s’est guère écoulé plus de 74 jours.
147Le projet de construction d’un canal de jonction de l’Escaut à la Meuse, long de 153 km, vise à prolonger le tronçon Longwy-Mouzon décidé par la loi du 26 juillet 1881. Le nouveau projet doit relier les houillères, les hauts-fourneaux et les forges du Nord aux établissements métallurgiques et aux minières de Lorraine. Le canal favoriserait la prospérité du port de Dunkerque en lui procurant une communication économique vers l’Est, lui permettant ainsi de concurrencer Anvers.
148Le parcours long et onéreux semble ne pas permettre de concurrencer le rail. En commission, Pierre Legrand plaide pour un canal plus large.90 Girard rapporte le texte.91 La commission accepte une subvention de 50 000 F de la commune du Cateau pour la construction d’un embranchement desservant la ville.
149La loi du 8 juillet 1882 ouvre un crédit de 67 millions de fr.
150Le refus ou l’acceptation des projets fluviaux relève du subtil équilibre entre les différentes fractions du Parlement. Le Nord et le Pas-de-Calais ont par ailleurs le défaut de disposer de gros bataillons d’élus d’opposition. Beaucoup de députés républicains comprennent mal qu’on puisse récompenser une telle trahison régionale.
Le développement des ports et du trafic maritime
151Durant la 3e législature, le gouvernement met en œuvre une politique de grands travaux qui dote les ports de Dunkerque, Calais et Boulogne d’infrastructures modernes. Les chambres de commerce sollicitées ont accordé de généreuses avances. Certaines acceptent même de subventionner les travaux. La ville et la Chambre de commerce de Dunkerque offrent une avance de 31 millions de fr., plus que le budget annuel du ministère du Commerce. La Chambre de commerce de Calais avance 8 450 000 F, celle de Boulogne 4 millions de fr. En outre, Calais et Boulogne accordent respectivement une subvention de 4 500 000 F et de 2 000 000 F.92
152La participation des élus nordistes est peu visible, probablement souterraine. Girard, P. Legrand et Trystram siégent à la commission annuelle des ports maritimes et voies navigables mais aucun n’est chargé du rapport définitif. Toujours en 1884, les trois rapports échoient à l’ingénieur républicain breton Rousseau, spécialiste de la législation portuaire. Les textes sont adoptés sans véritable débat et promulgués aussitôt.
153Durant la 4e législature, le Nord n’est pas au cœur de la législation portuaire. Il est vrai que les grands travaux du plan Freycinet dotent le port de Dunkerque d’infrastructures nouvelles et performantes.
154L’amélioration du port du Havre et des passes de la Basse-Seine constitue un enjeu économique majeur. Le projet est soutenu par le gouvernement et par les parlementaires de Seine-Inférieure.
155Pour le Nord, l’enjeu est également de taille : du vote de ce crédit – ou de son rejet – dépendent l’exacerbation de la rude concurrence que mènent déjà les charbons anglais et le regain d’activité des ports de Dunkerque, Calais et Boulogne. Le port de Dunkerque, pourtant modernisé, ne réussit pas vraiment à concurrencer Anvers réputé être l’un des moins onéreux en frais et droits de toutes natures.93
156Le montant colossal du nouvel investissement de l’estuaire de la Seine met en péril de nombreux projets régionaux. La question de Le Gavrian a le mérite d’être claire : Y a-t-il utilité à investir plus de 100 millions de fr. alors que d’autres travaux véritablement utiles ont déjà été votés durant les législatures précédentes, sans que les travaux aient pu commencer ? Le Gavrian propose de réorienter les crédits vers l’aménagement des canaux intérieurs et des canaux dérivés du Rhône.
Le Gavrian : « Rien n’était trop coûteux lorsqu’il s’agissait de travaux maritimes ; on les a prodigués sans mesure, et souvent sans utilité.
Le Provost de Launay : Et surtout sans solidité !
Le Gavrian : Oui ! sans solidité, nous en avons fait amèrement l’expérience à Dunkerque.
À droite : Et à Boulogne !
Le Gavrian : C’est ainsi que 17 millions ont été jetés à la mer pour le port de Boulogne ; car les travaux exécutés dans cette ville, sous le nom de port en eau profonde, ne serviront jamais à rien.
Le Provost de Launay : Ils ont servi aux gens qu’ils ont enrichi ! »94
157La rhétorique associe, une fois de plus, la défense du travail national et le combat contre le libre-échange. Le Gavrian associe l’ampleur de la crise industrielle et commerciale à la manière dont les investissements du plan Freycinet ont été réalisés. Le développement des façades maritimes de la France favorise les transports à bas prix et les exigences des libre-échangistes.
158Les importations de grains américains, de charbons anglais, de lins russes, de bois suédois, de viandes étrangères, de produits du monde entier vont inonder la plus vaste zone française de chalandise, la région parisienne, ainsi que la « magnifique grande route » fluviale qui y mène.
159À l’inverse, développer la navigation intérieure contribue à développer les échanges intérieurs à moindre coût, et donc à procurer du travail et des salaires à la main-d’œuvre française.
160Les propos de l’orateur laissent filtrer les compétitions et rancœurs entre régions françaises. Point n’est besoin, dit-il, de soutenir le projet havrais puisque le projet de construction du Canal du Nord est bloqué tant pour des raisons financières que pour d’autres, plus obscures, qui mettent en jeu des intérêts économiques et affairistes qui refusent obstinément de tourner la tête vers le Nord. Point n’est besoin de soutenir le projet havrais puisqu’il concurrence les chemins de fer de l’Ouest déjà largement subventionnés par l’État.
161Bien plus, ces travaux sont nuisibles aux intérêts commerciaux français. Les eaux peu profondes du fleuve constituent une barrière protectrice naturelle. En cas d’aménagement, la concurrence sera encore plus forte, obligeant les industriels et commerçants rouennais à réclamer une augmentation des droits protecteurs.
162L’opposition entre élus nordistes et normands est vive. Le républicain opportuniste de Seine-Inférieure, Lyonnais, invective les élus du Nord et du Pas-de-Calais pour leur demander s’ils préfèrent sacrifier les intérêts normands, voire nationaux, aux intérêts anversois.
163La réponse ministérielle est plus mesurée et argue de l’intérêt supérieur de la nation.
Deluns-Montaud, ministre des Travaux publics : « Savez vous ce qu’on a fait depuis 1871, uniquement pour la région du Nord, pour mettre vos usines M. Le Gavrian, vos mines, vos sucreries et vos distilleries en communication avec Paris et l’Est de la France ? »95
164La discussion du projet se poursuit, les jours suivants, toujours aussi tendue. Déjardin-Verkinder, membre de la commission, tente de démontrer que le projet scelle, après une période d’âpre concurrence, la réconciliation des ports rouennais et havrais. L’attaque est habile, les faits sont avérés.
Déjardin-Verkinder : « Le Havre et Rouen se comportent comme deux enfants gâtés, comblés des libéralités du père de famille et entre lesquels ce dernier ne peut entretenir la bonne harmonie qu’à la condition de donner simultanément à l’un exactement ce qu’il donne à l’autre, aucun d’eux ne se faisant réciproquement crédit. »96
165Déjardin-Verkinder déplace l’angle d’attaque et aborde la question de la faisabilité du projet. Il laisse planer la menace d’un envasement du port havrais après la construction des deux avant-ports soustraits aux courants marins transversaux. L’endiguement de la Basse-Seine va provoquer de nouveaux dépôts sédimentaires.
166Selon ses dires, certains travaux n’ont pas été chiffrés pour minorer le coût et ne pas effrayer les parlementaires. Le coût de construction des ports de Dunkerque et de Calais a dépassé les prévisions dans une proportion effroyable. Déjardin-Verkinder, fort de l’expérience des récents grands travaux, estime qu’il faut appliquer à chaque projet un coefficient correcteur de + 65 % afin d’obtenir le montant réel des dépenses.
Déjardin-Verkinder : « Rouen a dès lors de très grandes ambitions. C’est la porte de la grande voie de pénétration vers le marché de Paris. On a dit que Le Havre, Rouen et Paris n’étaient en quelque sorte qu’une seule et même ville dont la Seine était la grande rue… Voilà le projet de Paris, port de mer, esquissé en quelques mots, et il faut avouer que l’idée a, dans ces derniers temps, fait de véritables progrès…
Marmonier (Rhône) : Vous demandez tout pour le département du Nord au détriment des autres départements.
Ricard (Seine-Inférieure) : Tout pour le département du Nord et rien ailleurs. »97
167La concurrence nouvelle créée par cette nouvelle voie de pénétration va entraîner de nouvelles demandes d’application de tarifs protecteurs – souhaités par une majorité du Parlement – et donc, en totale contradiction avec les objectifs initiaux du projet.
168Lors des votes successifs, l’attitude des républicains nordistes est indécise. Trystram s’abstient lors du vote de la déclaration d’urgence.98 Trystram et Lecomte s’abstiennent lors du vote sur l’ensemble du projet.99 Seul, P. Legrand apporte son soutien indéfectible au projet gouvernemental.
169Une fois de plus, la crédibilité des républicains est mise en porte-àfaux. Défendre les projets gouvernementaux extra-départementaux, c’est bien souvent voter contre les intérêts du Nord. Plusieurs élus républicains se réfugient alors dans une stratégie abstentionniste qui leur permet de limiter la casse.
Échanger et Protéger : L’âpre débat sur les traités de commerce
170La mise en place du tarif général des douanes fait l’objet d’un consensus qui dépasse les clivages partisans. Le renforcement de la concurrence sauvage entre les États européens, le marasme économique et la pénétration jugée trop facile du marché français créent les conditions d’une modification de la politique commerciale.
171Alors que les tenants du libre-échange avaient jusqu’alors réussi à imposer leur point de vue, les adeptes du protectionnisme deviennent plus pugnaces et se recrutent dorénavant dans tous les secteurs d’activité. Aux yeux de ces derniers, la chasse gardée que constitue le marché intérieur doit demeurer. Les traités de commerce ne doivent plus « enchaîner la liberté du Parlement et entraver la légitime défense de notre production nationale contre la concurrence étrangère. »100
172En 1881, le Parlement avait établi un tarif général douanier. On avait procédé à la détermination du droit minimal nécessaire pour que chaque production puisse se défendre contre la concurrence étrangère. Ce droit avait été ensuite majoré de 24 % pour dégager des marges de manœuvre lors de la négociation des traités commerciaux bilatéraux.
173Peu après le vote de ce tarif général, les députés nouvellement élus s’attaquent à la ratification de plusieurs traités de commerce : franco-italien et franco-belge, dans un premier temps, puis plus tard, franco-autrichien et franco-néerlandais.
Le traité de commerce franco-belge
174Ce traité signé en mars 1861 est prorogé à plusieurs reprises. Pendant ce laps de temps, les échanges triplent, la Belgique exportant surtout des matières premières,101 la France des produits manufacturés. Les échanges commerciaux entre les deux pays sont soutenus, se plaçant au 3e rang, juste derrière l’Angleterre (1er rang) et les États-Unis. (2e rang)
175La Belgique pratique une politique commerciale nettement plus favorable au libre-échange (200 articles grevés de droits douaniers) que celle de la France. (500 articles taxés).
176Lors des négociations préalables, en l’absence d’accord, les céréales et le bétail avaient été retirés du traité, tandis que tous les droits ad valorem (calculés en pourcentages) étaient transformés en droits fixes (exprimés en francs), réputés moins générateurs de fraudes. Ce nouveau dispositif est aussi censé favoriser la stabilité des rentrées fiscales, même en cas de baisses de prix.
177Le nouveau traité de commerce est signé à Paris, le 31 octobre 1881.102 Le Parlement est aussitôt saisi de la ratification. Dès 1882, l’étude en commission des deux traités franco-belges et franco-italiens est presque menée de concert. Il en est de même des débats à la Chambre et les parlementaires ont tendance à mélanger les arguments propres à chacun des traités.
178Déjà sous le Second Empire, les élus nordistes sont sensibles aux thèses de Pouyer-Quertier très défavorables aux traités de commerce. Des Rotours monte à la tribune et s’attaque au rapport sur le traité franco-belge rédigé par le député de Centre-gauche libre-échangiste Lebaudy, par ailleurs raffineur de sucre et membre de la Chambre de commerce de Paris.
179Aux yeux de Des Rotours, les traités italiens et belges violent les engagements pris vis-à-vis de l’agriculture, par la précédente assemblée, lors du vote du tarif général103 et aliènent la liberté d’action du Parlement pour dix ans. Tous les produits agricoles auraient dû être exclus du traité en attendant le vote de mesures protectionnistes.
180L’orateur admet qu’on ne taxe pas le blé et la viande qui servent à l’alimentation publique, mais il s’étonne de trouver dans le traité des articles comme le lin, le houblon, les graines oléagineuses ou les sucres raffinés et candis.
181Le spectre économique de l’Allemagne et de l’Angleterre n’est pas très loin ! L’inscription des sucres bruts, dans les termes du traité, va interdire l’augmentation des surtaxes sur les produits allemands et autrichiens dont la concurrence est si redoutable. Il faut être très prudent dans l’approbation d’un tel traité, car au nom de la clause de la nation la plus favorisée, des allégements de droits seront consentis à l’Allemagne et à l’Angleterre.
182La perfide Albion a dénoncé son traité de commerce avec la France, alors qu’elle est notre premier fournisseur. Des Rotours affirme que des négociations souterraines parallèles sont menées par ces deux nations voisines pour faire plier la France et obtenir des satisfactions commerciales : Lord Churchill a demandé au gouvernement britannique d’étudier la possibilité de faire réduire les taxes, à l’entrée en France, sur les exportations de cotonnades anglaises, en arguant des difficultés françaises en Tunisie.
183L’orateur en profite pour signaler que le budget 1883 ne respecte pas les engagements pris à l’égard des agriculteurs. Aucun dégrèvement foncier n’a été discuté, alors que des promesses avaient été faites pour compenser les difficultés financières générées par l’instauration de mesures protectionnistes.
184Dans sa réponse, Lebaudy se défend pied à pied et met en avant la forte augmentation des droits sur les bœufs, les porcs, les alcools (+ 100 %), les peaux (+ 100 %), la fécule et l’amidon (+ 200 %).
185Lors du vote sur le passage à la discussion de l’article unique,104 face à une opinion publique particulièrement protectionniste dans le Nord, les députés Guillemin, Scrépel et de Marcère sont les seuls à oser afficher leur fibre libre-échangiste.
186Le volet industriel du projet provoque l’égale suspicion.105 Les industriels français craignent la contrainte d’un traité décennal qui lie la France à la Belgique, sans pouvoir se défendre. Trystram estime que « la Belgique est une porte ouverte à l’Angleterre. »106
187Des Rotours se prononce clairement contre le principe des traités de commerce. Il cite l’Angleterre et l’Allemagne qui n’ont plus de traité avec la France, au jour où il parle, et rêve d’un tarif général unique appliqué à toutes les nations qui commercent avec la France. À ses yeux, les conventions de commerce ne doivent porter que sur un faible nombre d’articles, ce qui doit permettre l’augmentation ou la diminution des droits par voie législative, au gré des intérêts économiques de la France.
Des Rotours : « Je représente un centre de production de toiles… Je représente un centre de tissage des plus importants. C’est un devoir spécial que j’accomplis en défendant ici ses intérêts.
Bergerot : Parlez ! Le sujet en vaut la peine ; il est assez grave.
Janvier de la Motte : On n’écoute pas quand il s’agit d’affaires sérieuses. »107
188Le propos permet d’aborder le complexe dossier de l’industrie textile. Des Rotours aborde ici l’un de ses domaines de prédilection et se livre à un véritable plaidoyer pour une modification des méthodes de perception des droits sur les toiles de lin écrues ou blanchies.
189Il dénonce le mode de calcul de ces droits. Méthodiquement, avec de nombreux chiffres à l’appui, il démontre que la substitution des droits spécifiques aux droits ad valorem108 s’est transformée en une prime à l’importation qui peut varier de 5 % à 44 % et qui constitue un sérieux accroc dans la protection de l’industrie du blanchissage.
190Des Rotours dénonce la méthode du secret qui couvre d’une chape de plomb toutes les informations liées aux négociations de traités. Les parlementaires, dit-il, sont obligés d’aller quérir leurs informations dans le Blue Book anglais.
191Les industriels français n’ont pas été consultés sur la question des droits des toiles écrues, blanchies ou teintes. Quand ils ont demandé à être entendus par la commission, on leur a dit que tout était étudié. Trystram ne dit pas autre chose, quand il oppose les négociateurs français à leurs collègues belges qui, eux, sont restés en constante communication avec leurs industriels.109
192Des Rotours prône la défense de la main-d’œuvre nationale. Opposant une Belgique libre-échangiste à une France protectionniste, il plaint les ouvriers belges « travaillant treize et quatorze heures par jour, sans limite, et n’ayant qu’un salaire insuffisant. »110
Des Rotours : « Au nom de la population ouvrière de mon département, je viens protester contre la solidarité qu’on veut établir par un traité de commerce entre l’industrie française et l’industrie belge, car nous voulons que les heures de travail puissent être limitées sagement, que les salaires puissent augmenter progressivement… »111
193Le député entend renoncer aux traités de commerce, pour permettre une amélioration morale et matérielle du sort des populations ouvrières. Le propos, non dénué de démagogie, est habile ! Le protectionnisme doit permettre l’abaissement du temps de travail et l’amélioration des salaires.
194Lorsque le républicain Trystram interrompt Lebaudy au cri de : « La Belgique s’est annexé la France. »112, l’apostrophe du dunkerquois n’est finalement pas si éloignée des positions du conservateur Des Rotours.
195Dans sa réponse, le rapporteur Lebaudy parle des tractations qui ont eu lieu au sein de la commission parlementaire chargée du projet de traité. La majorité de la commission, dit-il, a voté le traité sans grand enthousiasme car le traité est mal conçu.113 L’accord maintien des droits sur diverses matières premières qui n’entrent pas en concurrence avec la production française, pour favoriser les rentrées fiscales. Il en est ainsi du droit douanier de 10 % sur la houille, qui produit 11 millions de recettes tout en ne concurrençant pas la production du Nord, du droit sur le fer ou de celui sur le fil.
196Méline intervient ensuite pour dénoncer des abaissements de droits supérieurs à 24 % sur certaines productions. Il soutient Des Rotours dans sa dénonciation des anomalies sur la perception des droits concernant les fils de lins de 4e catégorie. La baisse, dans ce dernier cas, est de 33 %. Le centre textile d’Armentières est ainsi sacrifié car, par la clause de la nation la plus favorisée, l’Angleterre va bénéficier des mêmes tarifs concurrentiels.
197Les concessions accordées à la Belgique ont été trop nombreuses. Elles favorisent, par exemple, les importations de jute. Or, la Belgique n’exporte presque pas de jute. À l’inverse, de 1875 à 1881, l’Angleterre a multiplié par 30 ses exportations vers la France pour compenser la perte du marché des Indes devenu autosuffisant. Il en est de même de la production anglaise de fils retors de coton.
198Trystram, important importateur en bois, condamne un traité qui supprime la surtaxe d’entrepôt sur les bois importés en Belgique et réexportés aussitôt vers la France. Cette protestation est faite au nom des intérêts des Chambres de commerce des ports de Boulogne, Dunkerque, Dieppe, Le Havre et Nantes.114 L’instauration de la surtaxe avait obligé les entreprises belges à délocaliser leurs importations et à utiliser les ports français. Sa suppression va ruiner l’économie locale.
199L’importation indirecte (depuis un pays tiers, vers la France en passant par la Belgique) avantage le rail au détriment des ports et favorise la montée en puissance du port d’Anvers. Associant les intérêts portuaires dunkerquois et havrais, Trystram réclame l’audition en commission des députés Félix-Faure et Peulevey, représentants du lobby portuaire, pour soutenir tant le développement de la filière bois que celui du traitement des laines australiennes.115
200Trystram analyse minutieusement la liste des articles susceptibles de concurrencer la France : l’abaissement des droits sur les essieux et bandages de roues peut freiner l’expansion des forges françaises. La baisse sur les produits chimiques et les acides va limiter l’essor de ce secteur. S’efforçant enfin d’apitoyer les membres de la commission sur le sort des six derniers amidonniers français, il accuse le gouvernement de conduire cette profession à la ruine.
201Le ministre du Commerce Tirard s’oppose formellement aux surtaxes d’entrepôt qu’il qualifie de barbarie et de survivance d’une époque révolue.
202Deux conceptions des rapports commerciaux s’affrontent. L’interruption du républicain Achard pose le principe de la non-viabilité d’une industrie qui a besoin d’une protection aussi draconienne. À l’inverse, Trystram qui rejoint Méline veut faire des droits protecteurs une arme redoutable. Tous deux se prononcent pour des droits élevés, seul suffisants quand un secteur d’activité est en crise.116
203Le traité franco-belge est approuvé par 399 voix.117 Parmi les 60 rares opposants, figure la quasi-totalité des élus nordistes, toutes tendances confondues. Desmoutiers et Guillemin sont seuls à approuver le traité. Girard adopte un cheminement intellectuel à géométrie variable et déclare avec aplomb qu’il n’est ni protectionniste ni libre-échangiste et recherche avant tout l’intérêt national. « La région au Nord de Paris est menacée. On ne peut la laisser périr. »118
Les relations commerciales franco-italiennes
204Lorsque s’ouvre, le 9 décembre 1881, le débat sur la ratification du traité de commerce franco-italien, Des Rotours est bien décidé à jeter l’anathème sur le nouvel accord.
205Au début des années « quatre-vingts », la balance commerciale entre les deux pays accuse un déséquilibre préoccupant au détriment de la France. Alors qu’en 1863, les exportations françaises atteignaient 250 millions de fr., en 1879, elles atteignent à peine 180 millions de fr. Pendant ce temps, les importations de produits italiens explosent, passant de 216 à 356 millions de fr. Une autre réalité est encore plus inquiétante : de 1863 à 1876, les exportations de produits manufacturés italiens ont plus que doublé.119
206Le traité de 1863, devenu caduc en 1874, n’a pourtant pas été renégocié. De prorogation en prorogation, les partenaires sont parvenus à juillet 1878, date à laquelle le Parlement français a refusé de ratifier le nouveau traité de commerce conclu entre les deux pays.
207À cette époque, la France attend une grande loi d’ensemble de tarif général douanier. Les députés repoussent alors le traité franco-italien. Le texte est également rejeté parce qu’il inclut de nombreux produits qui, comme le textile, ne concernent pas directement les échanges franco-italiens.
208Aussitôt le texte rejeté, l’Italie adopte des mesures de rétorsion. La France se voit appliquer le tarif général, beaucoup moins avantageux. Le mouvement d’exportations vers l’Italie se tarit en partie.
209En 1881, lors de son intervention,120 Des Rotours dénonce le nouveau traité soumis à l’approbation des députés ainsi que les tarifs appliqués aux articles fabriqués dans le Nord, sans pour autant négliger les productions extra-départementales.
210L’exportation de laines est l’une des branches les plus actives du commerce nordiste. Or, l’ancien droit de 65 F appliqué aux exportations de laines passe à 93,50 F, voire 170 F le quintal, selon la catégorie. Les cotons exportés sont également frappés de droits douaniers importants et vont se vendre plus difficilement.
211À l’inverse, le commerce linier départemental est touché par une baisse de droits accordée aux importations. Les modifications tarifaires sur les toiles et fils sont défavorables à la France. La baisse de 30 % à 25 % de la surtaxe sur les tissus liniers teints ou blanchis va accentuer la concurrence qui profite déjà aux industriels belges.
212L’abaissement à 3 F du droit sur les vins est pointé du doigt. Le nouveau tarif est encore plus favorable à la concurrence étrangère que celui du traité franco-espagnol de 1878.121 Toute la législation concourt donc à favoriser les vins espagnols et étrangers plus alcoolisés, que ce soit naturellement ou par le procédé du vinage.122 Il s’agit d’une véritable prime à l’invasion des vins étrangers. Déjà, les italiens envoient en France 1 500 000 hl de vins mais n’importent que 15 000 hl de vins français.
213À l’inverse, l’instauration d’un droit de 12 F sur les exportations d’alcools français pénalise les distilleries nationales. Selon la catégorie, les droits augmentent de 20 % à 118 %. Le Nord qui dispose de prospères distilleries est pénalisé.
214De manière plus régionale, l’augmentation du droit sur les bières qui passe de 2 F à 15 F handicape l’industrie brassicole.
215Le discours de Rotours réintroduit la rhétorique de la « préférence nationale », de la phobie à l’encontre des industriels étrangers et de la méfiance vis-à-vis des voisins belges. Cette omniprésence du voisin belge, tout au long d’un discours sur la conclusion d’un traité franco-italien, peut étonner mais elle met en évidence la stratégie qui consiste à refuser en bloc tous les traités, chaque discussion servant à reproduire le même raisonnement.
216La Belgique est toutefois l’adversaire économique à abattre. Bénéficiant de la clause de la nation la plus favorisée, elle est accusée d’être l’instrument d’un vaste plan de démantèlement du tarif général, certes à son profit, mais aussi en faveur d’autres nations dont la politique économique est encore plus dangereuse pour l’économie française.
Des Rotours : « Pour nous désarmer vis-à-vis de la Belgique… mais derrière il y avait la Belgique… dans votre traité avec l’Italie, vous masquez les clauses douteuses du traité avec la Belgique. »123
Des Rotours : « … pour gratifier d’autres nations… pour favoriser les intérêts étrangers… une prime évidente accordée aux pays étrangers… »124
Des Rotours : « Vous me direz que les Belges sont de bons voisins. Mais ne savez-vous pas que par l’effet de la clause de la nation la plus favorisée, derrière la Belgique vous avez l’Angleterre et l’Allemagne ? »125
217Ce thème de la fragilisation du pays, de la concurrence déloyale et des tractations occultes revient sans cesse. Des Rotours pointe du doigt les nations considérées comme des adversaires. Ce rôle d’éveilleur des consciences joué par Des Rotours, n’est-il pas celui de l’homme politique, qui, affrontant une traversée du désert, n’en est pas moins convaincu de ses avertissements et prémonitions ?
218Derrière les discours des uns et des autres, semble se dessiner la thèse du complot commercial destiné à abattre la puissance économique de la France.
219Le discours économique du républicain Giroud est tellement proche de celui du conservateur Des Rotours qu’il n’existe pas de place pour de réelles divergences. Tous les pays limitrophes sont regardés avec méfiance parce que, derrière la clause de la nation la plus favorisée, est tapi l’arrogant voisin britannique. La guerre est économique. Pour Giroud, ce jour-là, l’ennemi est bien anglais.126
220Pour Trystram, deux ans plus tard, derrière le combat pour la sauvegarde de l’industrie amidonnière se profile l’ennemi allemand, non pas au sens militaire mais bien au sens économique.127
221Le traité de commerce signé avec l’Italie, ratifié le 20 avril 1882, est l’un des rares à avoir été négocié pour une période courte ne devant pas dépasser 5 ans.
222De nombreux députés conservateurs, majoritairement du Pas-de-Calais et du Nord, demandent dès le mois de mars 1886, la dénonciation du traité. La proposition est rapportée sommairement par Legrand (de Lecelles).128 Aux dires du rapporteur, le traité exempte à tort divers produits : les peaux de pelleterie, les suifs et saindoux, les beurres frais, les œufs, le riz, les légumes frais et secs et leurs farines, le lin, le chanvre, les sons de tous les grains, les fourrages, les fruits et graines oléagineuses… Le traité taxe trop faiblement d’autres produits que le rapporteur liste également de manière aussi précise.
223Par deux fois, lors des débats, Dellisse revient vainement à la charge pour tenter d’obtenir la prise en considération de cette proposition.
224Le 15 décembre 1886, Flourens, ministre des Affaires étrangères, annonce la dénonciation par l’Italie du traité de commerce la liant à la France.
225La France se voit alors appliquer les droits prohibitifs du nouveau tarif général italien de 1887.129 Les tractations reprennent. L’Italie n’entend pas négocier sur la base du traité de 1881 et n’accepte que quelques rares concessions sur le nouveau tarif de 1887. L’âpre marchandage économique se double d’un grave contentieux diplomatique. Le nouveau président du conseil Crispi est particulièrement francophobe et la question tunisienne demeure une plaie vive.130 De plus, le gouvernement italien vient de renouveler son traité d’alliance militaire avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.
226Le 15 décembre 1887, les députés français adoptent un projet de loi par lequel, en cas de rupture des relations commerciales, les produits italiens seront soumis au tarif général français. Certains produits sont même frappés de droits complémentaires, lorsque le tarif italien de 1887 est fort défavorable à la France.
227En 1887, la France ne semble plus attacher beaucoup d’importance à des échanges commerciaux qui ne sont plus vraiment vitaux pour le pays. Le marché italien ne concerne plus que 5 % des exportations françaises alors que la France absorbe encore la moitié des exportations italiennes.
228Les élus nordistes se divisent entre partisans de la rupture immédiate des relations commerciales et tenants d’une reprise des tractations bilatérales.131 Les élus des circonscriptions industrielles ont plutôt penché en faveur de la prorogation. Les élus qui ont considéré que la France avait peu à perdre ont fait de même. Les défenseurs de la réciprocité dans les échanges commerciaux agricoles (bois, beurres, œufs, volailles, viandes, vins…) et les défenseurs de l’industrie linière totalement exempte de droits protecteurs, et plus particulièrement les élus de la Flandre, ont souhaité la rupture immédiate.
229La négociation du traité se passe mal. Les négociateurs français claquent la porte. Les députés, qui estiment que l’Italie ne respecte pas, dans ses échanges, une juste réciprocité, engagent une politique de représailles économiques. Les mesures de rétorsion sont applaudies par certains députés catholiques qui ne pardonnent pas l’annexion des états pontificaux.
230Les députés se livrent alors à une véritable surenchère. Le républicain Jametel en profite pour demander qu’un droit fixe de 4 F frappe les fils, tissus et cordages de lin et de chanvre. Des Rotours, Jonglez, Renard et Blin de Bourdon demandent que le tarif général sur les filés, tissus et cordages de lin subisse une majoration supplémentaire de 4 %. La rédaction de l’amendement, exprimée en pourcentage (ad valorem) détonne dans une convention où ne sont utilisés que des droits fixes. Les élus nordistes se rallient alors à l’amendement de Jametel plus apte à fédérer les protectionnistes. La technique est payante et l’amendement est adopté.132
231Les députés adoptent également un amendement de Lecomte qui porte de 0,50 F à 1,50 F le droit sur les marbres sciés de 16 à 20 cm d’épaisseur. Ces marbres découpés concurrencent l’industrie nationale. Les comités marbriers et la Chambre de commerce d’Avesnes ont attiré l’attention de l’élu sur cette activité bien implantée dans sa circonscription. Les organisations professionnelles et commerciales n’hésitent pas à recourir à ce républicain qui s’est prononcé clairement en faveur du protectionnisme.133
232La Chambre adopte le 24 février 1888 « un tarif de guerre » applicable en cas de rupture des relations commerciales.134 Tous les élus nordistes s’y rallient.
233En 1888, le Gouvernement Tirard veut tenter de faire proroger l’ancien traité pour ne plus subir les droits très élevés du tarif général. Mais les sénateurs aggravent encore les dispositions prises par les députés en augmentant fortement les taxes sur la soie. Les sénateurs nordistes n’interviennent pas dans les débats. Leurs votes sont moins unanimes.135 Le sénateur de centre-Gauche de Marcère et le républicain Cirier, peu enclins au protectionnisme, refusent l’aggravation des droits sur les soies.
234Le gouvernement Tirard qui désapprouve ces augmentations subit un réel désaveu lorsque les députés décident de maintenir les nouvelles taxes sur les cocons et soies grèges et moulinées. Les élus nordistes s’associent au désaveu.
235À l’inverse, les industriels Lepoutre et Le Gavrian s’y opposent tout comme Déjardin-Verkinder, apparenté au député et industriel textile Brabant. Déjardin-Verkinder qui évolue dans les milieux d’affaires possède des intérêts dans la Banque française et italienne pour l’Amérique du Sud.136
236Les divers épisodes du feuilleton franco-italien traduisent bien la connivence objective qui existe entre la grande majorité des conservateurs et l’importante fraction protectionniste du parti républicain.
Les relations commerciales franco-hollandaises
237L’approbation du traité de commerce franco-hollandais n’est acquise que le 6 août 1885. Entre-temps, le texte est soumis à bien des péripéties. La convention de commerce entre les deux pays avait pourtant été signée, à Paris, le 26 novembre 1881.
238La commission de la Chambre se saisit du texte à partir du 6 décembre. Les élus se penchent sur les raisons du déficit de la balance commerciale. Alors que le solde était excédentaire de 2 millions de fr. en 1876, il accuse, en 1880, un déficit de 3 millions de fr.137
239Le 13 décembre, au sein de la commission, Trystram attaque le texte.138 Dans ses propos, transparaît une pointe de néerlandophobie. À ses yeux, il est important de mettre l’accent sur l’inégalité des échanges. La Hollande n’offre que quatre millions de consommateurs alors que le marché français est de 40 millions d’habitants.
240Trystram dénonce la faiblesse des droits douaniers perçus. Le député dunkerquois réclame que dans chacun des traités à l’étude il soit stipulé que les produits importés seront soumis à la taxe intérieure du droit d’accise. Ainsi les sucres, alcools et amidons étrangers ne seront plus en mesure de concurrencer de manière déloyale les produits français.
241Il faut également que les droits soient calculés de la même manière dans les deux pays. En effet, selon que le droit est perçu sur le rendement net ou sur la matière mise en fabrication, il peut y avoir une prime de 10 %, voire 15 %, en faveur des fabricants étrangers.139 Giroud abonde dans le même sens. Pour ce dernier, rééquilibrer les termes de l’échange en matière d’alcools, c’est obligatoirement réajuster le montant des droits protecteurs préférentiels obtenus lors de la négociation des traités de commerce.
242Les propositions faites par Trystram constituent une réelle ingérence dans les affaires commerciales hollandaises, lorsque le député veut prouver que les deux pays ne sont pas soumis aux mêmes méthodes de calculs des impôts de consommation.
243Appelant de ses vœux la mise en place d’une commission internationale, Trystram subit l’opposition de Wilson. Affrontant également le ministre du commerce Rouvier, Trystram réclame l’ajournement de la ratification du traité pour qu’une nouvelle négociation soit ouverte.
244L’élu dunkerquois incrimine, comme dans le traité franco-belge, le manque de pugnacité des négociateurs français qui travaillent de manière brouillonne.140
245Il est difficile de rendre compte ici de l’effort de persuasion entrepris par Trystram auprès des membres de la commission. Celle-ci finit par adopter un article additionnel qui reprend les conclusions de Trystram. Comme toute décision de la commission, ce vote a une valeur indicative forte. Si les députés suivent l’avis d’amendement formulé par la commission, le traité est bel et bien enterré.
246Toute l’attitude d’un élu comme Trystram tend vers la réduction ou la suppression des conventions de commerce. Le député est particulièrement offensif lorsque le pays concerné importe des produits pour les réexporter aussitôt en France. En ce cas, l’avantage tarifaire n’a pas lieu d’être.
247Trystram est par ailleurs prêt à se battre pour la défense de tous les métiers qui existent en France. Aucun ne doit disparaître. Aucun tarif n’est autorisé à léser les producteurs ou artisans locaux. L’abaissement des droits sur la cire brute donne lieu à un long et austère développement sur la défense des intérêts des éleveurs d’abeilles.
248Mais un événement inattendu vient bloquer la navette parlementaire. Les Pays-Bas décident de rejeter la ratification du traité de commerce, entraînant une crise ministérielle dans ce pays.141 Le président Grévy ordonne alors le retrait du projet de loi, le 25 mars 1882. Un second traité de commerce est rejeté par les Pays-Bas. Nouveau retrait le 9 mai 1882. De nouvelles et longues négociations aboutissent à une troisième signature le 19 avril 1884 à La Haye.
249Lors de l’examen du traité de commerce par les députés, la crise du secteur amidonnier donne lieu à un débat sur le relèvement des droits sur cette matière mais aussi sur le relèvement des droits frappant les boîtes en carton nécessaires au conditionnement de l’amidon. L’abaissement de ce droit dans la convention franco-hollandaise est, aux yeux de Trystram, une erreur manifeste.142 Le député tente vainement d’obtenir de la commission l’audition du syndicat des fabricants de cartonnage de Paris et affirme que le sort de 100 000 ouvriers parisiens est en jeu.143 Trystram réussit à gagner une majorité de députés à sa cause. Des négociations plus ou moins informelles de dernière minute aboutissent à l’élaboration d’une déclaration interprétative sur le sujet.
250Nouveau coup de théâtre ! La ratification est de nouveau rejetée par le Parlement néerlandais, la question des droits sur le carton servant de prétexte à la nouvelle crise. À la Chambre, Trystram se dépense sans compter. À La Haye, la mission de bons offices du ministre plénipotentiaire Louis Legrand, aboutit à l’acceptation des prétentions françaises en matière de droits sur les papiers cartons. La commission française adopte alors le texte. Les collègues de Trystram rendent un hommage muet au député dunkerquois en l’investissant de la mission de rapporteur du projet de ratification.144
251De fait, beaucoup d’élus acceptent mal la pratique frustrante de la ratification des traités et des conventions qui réduit l’initiative parlementaire à sa plus simple expression. Une telle procédure déplaît profondément à Trystram qui se sent prisonnier d’un tel carcan. À l’inverse, Pierre Legrand, devenu ministre du commerce, se retranche derrière une prérogative ministérielle pour couvrir du secret la stratégie qui a prévalu dans ces négociations.
252Eugène Pierre insiste sur le fait que « pour négocier, le Gouvernement est absolument libre de son action. »145 Pour que le traité puisse valablement entrer en vigueur, il est uniquement soumis à la ratification du Parlement. Toute tentative de limiter le pouvoir gouvernemental de négociation serait anticonstitutionnelle.
253Pour Trystram, indépendamment des questions diplomatiques, il faut faire, pour le pays, les meilleurs affaires possibles. Or, un traité de commerce est une affaire entre deux parties, et quand l’affaire est bonne, dit-il, on doit voter le traité malgré les répugnances qu’on peut avoir pour les traités de commerce en général.146 Ce pragmatisme explique, pour partie, la réussite commerciale de l’importateur dunkerquois.
« La préférence nationale »
« Ni entrepreneurs étrangers, ni matériaux étrangers ! »147
254L’instauration de barrières douanières est le volet le plus visible de la modification des comportements commerciaux de la France. Mais il est un volet, au moins aussi présent à l’esprit des élus nordistes, c’est celui du discours idéologique sur la préférence nationale.
255Lors du vote du projet de déclaration d’utilité publique du chemin de fer d’intérêt local, d’Angoulême à Rouillac, les conservateurs Des Rotours, Le Gavrian et Jonglez ainsi que le républicain Mézières, réussissent à faire inclure dans le projet leur amendement qui stipule que « le matériel fixe et roulant sera d’origine française. » Il n’est pas inutile de préciser que Mézières, membre fondateur du journal Le Temps, président du Conseil général de Meurthe-et-Moselle et administrateur du Crédit foncier, défend les intérêts métallurgiques de son département.
256Autre occasion, le débat sur l’exposition universelle de 1889 permet à Bottieau de s’associer aux députés conservateurs Jonglez et Lanjuinais qui clament l’inutilité d’une manifestation nuisible à la véritable industrie. Les industriels, dit Jonglez, sont fatigués et blasés des expositions qui sont devenues trop fréquentes, et hésitent à s’investir dans de tels projets. L’exposition va drainer une main-d’œuvre étrangère importante. Qu’en fera-t-on après ? L’exposition est également accusée de favoriser une importante inflation sur les produits de première nécessité.148
257Le Gavrian se sert alors de l’événement pour déposer un article additionnel de la même veine. Le matériel de construction de la section française du Palais de l’Exposition et le personnel de ces chantiers doivent être exclusivement français.
Le Gavrian : « L’exposition offre divers aléas, dont l’un des plus graves est d’engager l’État, dans des dépenses mal définies et peut-être plus considérables qu’on ne le pense, de créer vers Paris et pour Paris un courant factice de travail aux dépens de la province, d’aspirer, au profit de la capitale, les épargnes des départements, au détriment de leur commerce local, enfin de produire à Paris, même pendant l’année 1889, une surélévation de prix, qui amènera une crise dans les années suivantes. Toutes ces considérations ont une certaine valeur et ne nous font pas souhaiter bien ardemment la réalisation de cette exposition. »149
258Le Gavrian insiste pour que l’exposition ne favorise pas les ouvriers étrangers attirés par les grands travaux dans la capitale française. L’exposition ne doit pas contribuer à atténuer la crise dans les pays limitrophes de la France. Elle doit au contraire revigorer le secteur du bâtiment et l’industrie métallurgique si éprouvés.
Le comte de Douville-Maillefeu : « Il faudrait aussi du café national sans doute !150
Le Gavrian : « Non, mon cher collègue !…On ne viendra pas nier qu’il y ait en France du bois, du fer et des ouvriers pour employer ce bois et ce fer ! Il faut qu’on emploie surtout du fer, et exclusivement du fer français dans ces immenses hangars qui vont couvrir le Champ de Mars et qu’on en proscrive autant que possible le bois qui nous vient exclusivement de Suède et de Russie. »151
259Le ministre Lockroy rejette la demande nordiste qu’il estime inopportune pour des raisons diplomatiques. De telles revendications ne peuvent être écrites au cœur de la loi. Puisqu’un tel engagement ne peut être écrit, Renard se rabat sur un accord verbal de principe. Lockroy s’y refuse. Une majorité de députés rejette l’amendement du député, même si tous les conservateurs du Nord y sont favorables.
260Le vote des crédits pour l’Exposition universelle crée une scission dans la représentation nordiste. Les trois industriels Jonglez, Le Gavrian et Lepoutre, auxquels se joint Legrand (de Lecelles), s’abstiennent. Les autres élus repoussent les crédits.152
261Enfin, durant le débat sur la construction du canal interocéanique de Panama, Renard demande l’interdiction absolue de toute importation de matières premières nécessaires à la fabrication de la fonte. P. Legrand, ministre du commerce et de l’industrie rassure le député.153 Profitant du débat, Thellier de Poncheville obtient des assurances sur les précautions prises pour assurer le remboursement de la nouvelle souscription d’obligations.154 L’affaire est en marche !
262Les thèses protectionnistes ont servi de credo à la plupart des élus nordistes. La défense des intérêts départementaux est presque toujours allée de pair avec un soutien inconditionnel à ce camp. Cette belle unanimité, qui n’est en aucun cas une façade, cause même parfois le trouble dans les rangs républicains. De fait, il peut être difficile de servir deux maîtres à la fois, le parti républicain et la défense des intérêts économiques départementaux.
263Rares ont été les élus capables de remettre en cause la pensée dominante et d’opter pour le libre-échange. Il faut admettre que, si certains ont pu éprouver de telles velléités, la crainte d’une sanction électorale les a ramenés bien vite dans le droit chemin. Il est significatif de constater qu’aucun élu nordiste n’ait véritablement tenté de chanter les louanges du libre-échange.
La politique coloniale ou les mirages de la terre promise155
264Aucun élu ne peut échapper au débat colonial. Trois ministères chutent d’ailleurs sur cette question.
265Rares sont les élus qui, comme Louis Legrand, demandent un effort budgétaire de 10 000 F par an, pendant 5 ans, au profit de l’Algérie, pour reboiser le domaine de l’État, au prétexte que « les forêts jouent un rôle considérable au point de vue climatique. »156
266À l’image de Des Rotours, ils sont nombreux à dire que s’il faut des sacrifices pour les colonies, ceux-ci doivent rapporter à la métropole.157 D’autres, comme le républicain Girard, ont ressenti l’opposition des électeurs à toute expédition coloniale. En 1881, dans sa profession de foi, Girard minimise l’importance des conflits coloniaux.
267Toujours en 1881, Girard, élu républicain, se prononce ouvertement pour la suppression du service militaire aux colonies. Opposé au nom de la paix à toute expédition lointaine, il propose, tout comme Brame, que « dans les colonies, le service soit fait par des contingents à fournir sur les colonies mêmes. »158
Les événements de Tunisie
268La nouvelle législature débute par la discussion en bloc de trois interpellations qui fustigent la politique du ministère Ferry dans l’expédition tunisienne.159 Cette grande page parlementaire donne lieu à quatre longues séances houleuses, entrecoupées de suspensions de séances et d’incidents. Dès l’ouverture des débats, le cabinet se déclare démissionnaire.
269La question tunisienne met en relief des pratiques bancaires douteuses qui redonnent bien vite aux débats leur dimension franco-française. La discussion sur des tripotages financiers et des pratiques de concussion éclaire d’un jour nouveau le projet de Crédit Foncier tunisien. Le projet, voulu par le député Léon Renault, entend créer un Crédit Foncier tunisien pour offrir aux cultivateurs des possibilités d’emprunts. Aux dires de Jules Ferry, le projet n’a été soutenu ni par le gouvernement ni par le consul en poste. Ferry produit une lettre du ministre des Affaires Étrangères, adressée à Roustan, ambassadeur en Tunisie, lettre que Clemenceau s’étonne de ne pas voir figurer dans le livre jaune. Bergerot interrompt le président du conseil pour douter de l’authenticité du document.
Bergerot : « Elle a été faite hier soir, cette lettre-là ! (Bruit) »160
270Les députés sont ivres de rancœur. Clemenceau accuse le gouvernement d’avoir voulu supprimer la Tunisie de la carte. Le conservateur La Bassetière accuse Ferry d’avoir voulu la guerre, dès mars 1881. Brame ajoute que la chambre a été laissée dans l’ignorance des projets. Ferry rétorque que le projet gouvernemental est inscrit dans le livre jaune. Jolibois, qui joue sur les mots, ajoute que le gouvernement parlait « d’entreprise » et non « d’expédition ».
271Le rejet de l’expédition non autorisée par les parlementaires se double d’attaques contre des pratiques commerciales et financières jugées scandaleuses. Clemenceau accuse la compagnie de Bône-Guelma d’être une officine de spéculation. Il réclame la création d’une commission d’enquête, évoque la mise en accusation de ministres et accuse Ferry de dissimulation de faits. De Marcère vole au secours du gouvernement pour contredire Clemenceau, quand ce dernier affirme que le Président du Conseil a dissimulé la vérité.161
272Les attaques incisives de Clemenceau sont un véritable réquisitoire. Le ministère est accusé d’avoir mené une véritable guerre sans autorisation du Parlement. La constitution a été violée. Le Parlement a été trompé. Il faut qu’une enquête parlementaire détermine les responsabilités et les culpabilités.162
273Le rôle des nordistes se limite à la participation aux votes. 25 ordres du jour sont déposés. Aucun n’est accepté. La Chambre rejette l’enquête163 mais rejette également l’ordre du jour pur et simple.164
274Les deux nordistes Masure et Trystram, qui siègent à la gauche des républicains de gouvernement, refusent l’ordre du jour pur et simple qui absoudrait le ministère Ferry. Tous deux rejoignent les élus de Droite.
275Les députés blâment le ministère pour la convocation tardive des chambres mais affirment ne pas vouloir entraver la bonne marche des opérations militaires. Le ferryste Chauveau propose même que l’interpellation se termine sans vote.165 Les nordistes sont tous prêts à faire l’impasse sur le vote, exprimant ainsi une attitude modérée et consensuelle. Aucun ne suit Clemenceau dans sa demande d’enquête. Aucun ne figure parmi les 39 rares opportunistes qui en acceptent le principe.
276Après deux heures d’impuissance et d’affolement, Gambetta propose un ordre du jour qui souscrit à l’exécution intégrale du traité et passe à l’ordre du jour. Le texte accueilli favorablement est adopté par 355 voix contre 68 et permet le dénouement de la crise.166 Trystram fait partie des 72 républicains qui s’abstiennent. L’abstention d’une partie de la Droite, dont Debuchy et Plichon, accentue l’impression d’adhésion massive à l’ordre du jour du leader républicain.
277Dès la nomination du ministère Gambetta, la question tunisienne oppose directement Louis Legrand au président du conseil. Le 23 novembre 1882, interrogé par la commission, Gambetta refuse de répondre sur le futur statut de la Tunisie qui chagrine tant les députés.
278Louis Legrand, investi par ses collègues d’un mandat formel, propose au président du conseil de restreindre au minimum les obligations acceptées par la France, lors de la signature du traité du Bardo. La France, dit-il, doit aider le bey mais ne doit en aucun cas se substituer à lui. Gambetta répond de manière laconique, éludant les questions et se retranchant derrière l’actuelle mission de pacification de la Tunisie. Tant que l’expédition militaire est en cours, le gouvernement ne peut et ne veut s’expliquer sur la question. Goblet réitère la même question et se voit opposer un identique et ferme refus. Ribot n’obtient pas davantage de réponse, ni sur la durée de l’opération militaire, ni sur la date à laquelle le ministère est censé communiquer sa vision d’ensemble sur l’avenir de la Tunisie.167 Dès l’entrée en fonction du Grand ministère, les relations manquent, pour le moins, de cordialité !
L’organisation des colonies : La gestion au quotidien et la dénonciation des abus et malversations
279C’est encore Louis Legrand qui est chargé de déposer le rapport sur le projet de crédit supplémentaire pour le personnel des préfectures, sous-préfectures et bureaux des divisions civiles de l’Algérie.
280Le député dénonce les dérives financières de l’Algérie.168 Les préfets ont recruté des employés subalternes et des commis auxiliaires pour leurs bureaux sans que le Parlement ait voté le crédit correspondant. Bien plus, dans le cas évoqué, le crédit, deux fois demandé à la Chambre, a été deux fois refusé.
281Après vérification, il s’avère qu’une bonne partie du crédit est destinée à payer le traitement des administrateurs des communes mixtes, alors qu’un crédit spécial a été voté à cette fin. Une autre partie des crédits a été répartie entre les employés des administrations départementales à l’occasion du 14 juillet. Une autre somme a financé l’avancement de divers employés et une somme de 1 361 F a permis de compléter l’augmentation de 5 000 F du traitement du précédent préfet d’Alger.
282La commission propose alors de retrancher 14 261 F du crédit, ce qui constitue un blâme implicite. Le ministre de l’intérieur, Waldeck-Rousseau, veut minimiser l’importance du problème. Louis Legrand reconnaît la faiblesse des sommes engagées, mais se place sur le plan des principes. Devant la fermeté du ministre, le rapporteur finit par ne demander qu’une réduction de 1 361 F. Gambetta soutient son ministre. Le chiffre initial de 90 400 F, mis aux voix, est maintenu.
283L’ensemble du texte est adopté par 328 voix contre 102.169 Les élus nordistes se déterminent en fonction de leur appartenance politique. Les conservateurs manifestent leur opposition à la dispendieuse politique coloniale des républicains.
284Le dunkerquois Trystram, électron plus ou moins libre à la gauche de la Chambre, rejoint les conservateurs dans leur rejet des coûts non maîtrisés de la politique coloniale. Il dénonce également l’application en Algérie de la convention commerciale franco-belge. Le marché algérien est ainsi livré à l’étranger.170
285Quant aux élus conservateurs, ils posent clairement les questions de la rentabilité des investissements français dans les colonies et du coût exorbitant des bâtiments administratifs nécessaires à l’organisation de l’Algérie.
286Aux limites de la question coloniale et de l’organisation du pouvoir judiciaire local, la répression des infractions spécifiques à l’indigénat appelle l’attention de l’ancien magistrat Maurice. En Algérie, dans les anciens territoires militaires, l’arbitraire semble régner. L’administrateur civil juge certaines infractions commises par les indigènes, par voie disciplinaire et administrative, sans procès contradictoire et sans véritable enquête préalable. Les propos tenus contre la France et son gouvernement, les actes irrespectueux et les propos offensants vis-à-vis des agents de l’autorité relèvent de cette catégorie d’infractions.
287Le rapporteur républicain Bourlier souhaite la prorogation des pouvoirs disciplinaires de l’administrateur civil, compétent pour statuer sur les peines inférieures ou égales à 15 jours. Pour justifier sa demande, il rappelle que les décisions de l’administrateur sont susceptibles d’appel devant les autorités préfectorales, alors que le juge de paix condamne sans que puisse s’exercer le moindre recours.
288L’ancien magistrat Maurice ne semble attacher d’importance excessive ni aux droits de la défense ni à la séparation des pouvoirs. Il est par contre très pointilleux sur le caractère équitable des condamnations, souhaitant que les amendes et peines prononcées par les administrateurs civils et par les juges de paix soient harmonisées.
289Le rapporteur demande la discussion immédiate du texte, sans que les députés aient eu le temps de lire le rapport fraîchement imprimé, puis refuse l’ajournement du débat.
Gaulier : « Alors il faut voter sans rien connaître »171
290Il s’agit bien là de l’un des dysfonctionnements les plus sérieux de la machine parlementaire. Certaines questions techniques nécessitent étude et réflexion. Or, comme l’avoue Maurice, pourtant magistrat : « Messieurs, je ne connais pas la question que la Chambre vient d’aborder. » ou comme le souligne Yves-Guyot : « Il n’y avait peut-être pas grande urgence à discuter aujourd’hui… »
291D’autres questions nécessitent attention et calme. Mais, la Chambre des Députés est sujette, dans le meilleur des cas, aux bavardages oiseux et à la cacophonie systématique, dans le pire des cas, à la violence verbale, aux grognements et aux vociférations ou même à d’éventuels pugilats comme le narre Gaston Deschamps, en 1898, dans Le malaise de la démocratie.172 Il est fréquent, au moment des votes, de voir les députés interrompre le président de séance pour lui demander sur quel texte ils sont appelés à se déterminer.
292Les parlementaires nordistes qui soutiennent la politique coloniale des gouvernements qui se succèdent sont tous des élus opportunistes ou de Centre gauche. L’argumentaire rhétorique se développe autour de deux thèmes bien résumés par Émile de Marcère, lors des débats sur les crédits du Tonkin. D’une part, la France doit aller de l’avant, poursuivre et affermir sa politique coloniale. D’autre part, elle ne peut se laisser humilier dans ses expéditions lointaines.173
293La Droite rejette ces expéditions mal conduites, dévoreuses de budget et d’un profit jugé extrêmement limité. Les conquêtes coloniales sont aventureuses. Les risques sont importants. L’Algérie en est un exemple. Lors des expéditions tonkinoises, la Droite, fidèle à ses engagements, prévient qu’elle entend se limiter au seul vote du crédit nécessaire à l’évacuation des territoires.174
L’Asie du Sud-est et le Tonkin
294Le 30 mars 1885, lors des événements liés à l’évacuation de Lang-Son et aux blessures réputées graves du général de Négrier, le Gouvernement veut parer à toute éventualité. Il décide d’envoyer 10 000 hommes supplémentaires au Tonkin, de conforter la dotation en artillerie et de demander au Parlement une rallonge budgétaire de 200 millions de fr.
295Le ministère est aussitôt attaqué par ses oppositions, de droite comme de gauche, mais aussi par sa propre majorité.175 Les opportunistes font pression pour que Ferry démissionne. Le radical Granet accuse le gouvernement de mener une guerre d’envergure sans accord du Parlement, tout en violant la constitution. Le conservateur Raoul-Duval reproche au président du conseil d’être le seul obstacle à la conclusion de la paix.
296Le 30 mars 1885, Clemenceau transforme la discussion en interpellation. Mais le Gouvernement veut subordonner la discussion de l’interpellation au vote préalable des crédits pour le Tonkin. 306 députés repoussent la priorité pour les crédits, voulue par le Gouvernement.176
297Quatre républicains nordistes retirent leur confiance au ministère. Les plus modérés, Outters et Desmoutiers, se réfugient dans l’abstention, tandis que les plus avancés, Giard et Trystram, rejoignent la Droite et l’Extrême-gauche. Le gros bataillon opportuniste du Nord maintient sa fidélité au président du conseil. Mais désavoué, celui-ci présente le jour même la démission du Cabinet.
298Lors de la même séance, la Chambre refuse par 287 voix d’adopter l’urgence sur la proposition de l’ancien bonapartiste Delafosse et du radical Laisant qui met en accusation des membres du cabinet Ferry. Les députés préfèrent que le texte suive son cheminement normal.177 L’attitude modérée des républicains nordistes se confirme. Giard est le seul républicain à adopter l’urgence.
299Durant la législature 1885-89, le dossier colonial s’assoupit. L’attitude des élus de Droite évolue peu. Ceux-ci adoptent toujours la même méfiance à l’égard des aventures coloniales.
Pour conclure : la France, rien que la France
300Le volet commercial de la politique économique a intéressé au plus haut point les élus nordistes. Mais les questions commerciales qui ont agité le département du Nord ont placé ces élus dans une situation fort inconfortable.
301La perméabilité de la frontière, l’émergence de nouveaux pays exportateurs, l’invasion d’une main-d’œuvre étrangère à bon marché, la chute des prix agricoles et industriels, la lutte commerciale à armes inégales exigeaient un traitement de choc.
302Les élus conservateurs du Nord ont placé toutes leurs espérances dans la fermeture des frontières et l’instauration de barrières protectionnistes. Ils ont admis, à tort ou à raison, que les principaux débouchés étaient intérieurs. La peur des voisins anglais et allemands a encore accru cette volonté de repli. Dès lors, la signature de traités de commerce qui avantagent les ennemis de la France, mais aussi l’aventure coloniale qui présente plus de risques que de profits, sont à proscrire totalement.
303La France, telle une citadelle assiégée, doit développer ses voies de communication intérieure pour le seul profit du commerce hexagonal. Elle doit aussi réprimer les fraudes, et plus particulièrement celles qui viennent d’au-delà des frontières.
304Les républicains du Nord n’ont pas su former un groupe cohérent. Déchirés entre un protectionnisme qui les amalgame aux conservateurs et un libre-échange majoritairement rejeté par les populations locales, ils ne sont pas à un paradoxe près. Délaissant la démagogie, ces élus républicains, parfois modérément protectionnistes, ont souvent fait cause commune avec les conservateurs, dès lors que l’intérêt départemental était en jeu.
305La nomination au poste de ministre du commerce de Pierre Legrand, aux positions assez ambiguës, ne constitue pas le moindre de ces paradoxes.
58. Les questions commerciales Votes significatifs des parlementaires du Nord







Notes de bas de page
1 AN. C//3394 Comm sur les viandes de porcs de provenance étrangère. 23/1/1882
2 JODébCh 20/6/1882
3 JODébCh 22/6/1882
4 JODébSt cf. SCRUTIN 81
JODébSt cf. SCRUTIN 82
5 JODébCh cf. SCRUTIN 83
6 JODébCh cf. SCRUTIN 84
7 TOUTAIN Jean-Claude, La production agricole de la France de 1810 à 1990 : départements et régions. Croissance, productivité, structures, Cahiers de l’ISMEA, Série Histoire quantitative de l’Économie française, A. F. no 17, Tome 1, 11, /12/1992
8 DANIEL André, L’année politique 1883…. 10e année, 1884
9 JODoc an.2633. 16/2/1884
10 JODébSt 19/10/1886
11 JODoc an.3404. 24/12/1888
12 AN. C/II/915 1er bureau. 5/4/1886. Nomin. à la Comm sur la prop. Laroze sur les faillites
13 AN. C/II/915 1er bureau. 10/4/1886. Nomin. à la Comm sur la loi sur les protêts
14 JODoc an.1811. 2/6/1887
15 JODoc an.3891. 5/7/1889
16 JODoc an.2458. 25/2/1888
17 JODébCh 25/11/1881
18 GUIRAL Pierre et THUILLIER Guy, La vie quotidienne des députés en France de 1871 à 1914, Paris, Hachette littérature, 1980
Système des Comm permanentes annuelles généralisé en 1902
19 JODébCh 19/12/1883
20 JODoc an.657. 15/4/1886
21 AN. C/II/700 1er bureau. 24/3/1882. Nomin. des membres de la Comm du Budget
22 JODébCh 9/7/1886
23 AN. C/II/708 9e bureau. 11/3/1882. Nomin. d’un commissaire à la Comm sur la prop. Papon de constitution du réseau national des chemins de fer, et de leur régime d’exploitation
24 JODébCh 31/7/1883
25 Ibid.
26 Ibid. Des Rotours évoque 7 lignes : 1 de Don à Hazebrouck, par Estaires et Merville (ligne déjà déclarée d’utilité publique) ; 2 d’Armentières à Halluin, par Houplines, Frelinghien, Deulemont, Comines, Wervicq, Bousbecque ; 3 de Templeuve à Cysoing ; 4 de Carvin à Orchies ; 5 de Don à ou près de Dunkerque, par Bailleul, Steenvoorde, Hondschoote ; 6 de La Gorgue à Estaires ; 7 d’Halluin à Lille, par Roncq, Linselles, Bondues, Marcq-en-Baroeul.
27 Ibid.
28 Ibid.
29 JODébCh cf. SCRUTIN 85
30 DANIEL André, L’année politique 1883…. 10e année, 1884
31 Ibid.
32 JODébCh 31/7/1883
33 JODébCh 27/3/1886
34 JODébCh cf. SCRUTIN 86
35 JODébCh cf. SCRUTIN 87
36 JODoc an.346. 16/1/1886
37 AN. C//5384 Comm sur la prop. de loi relative à la sécurité des chemins de fer. 13/7/1886.
38 A. Nat C//5384 Ibid. 18/1/1889
39 JODébCh 5/2/1887
Le Gavrian dépose un amend. relatif aux frais de concours et aux frais d’essai de systèmes automoteurs de couplage de wagons. La prise en considération est rejetée par 317 voix contre 137. Tous les députés du Nord, y compris Trystram, font partie des 137 élus favorables à l’amend.
40 JODébCh 8/4/1889
41 Ibid.
42 JODébCh 6/2/1882
43 JODébCh 13/2/1882
44 Ibid. 168 700 F/km * 24 km = 4 048 800 F.
45 Ibid. Titres revendus au public 350 F.
46 Ibid.
47 JODébCh 16/2/1882
48 JODébCh cf. SCRUTIN 88
49 JODébCh cf. SCRUTIN 89
50 JODébCh cf. SCRUTIN 90
51 JODoc an.3262. 29/11/1888
Prop. Boyer, Calvinhac… sur l’incompatibilité entre le mandat de sénateur ou de député et les fonctions de ministre ou d’administrateur de sociétés financières
52 JODébCh 22/6/1883. Importations de fer en Algérie en 1880-1881 :
Fer en provenance de France :1880 : 908 tonnes/1881 : 614 tonnesFer allemand, belge, anglais :1880 : 12 025 tonnes/1881 : 22 000 tonnes
53 Ibid.
54 Ibid.
55 JODébCh cf. SCRUTIN 91
56 En 1888, le bénéfice récupéré par l’adjudicataire des travaux est évalué à 1 500 000 F, soit un bénéfice de 150 F/action. (23 % par action). La Comm chargée d’examiner les documents infirme un tel bénéfice. Sevaistre et Rotours auraient été trompés par des chiffres erronés.
57 JODébCh 20/11/1888
58 Ibid.
Sevaistre déclare que, malgré des demandes réitérées, ce rapport ne lui a pas été communiqué. Rotours demande la lumière sur cette affaire et exige la diffusion du rapport
59 Ibid.
60 JODébCh cf. SCRUTIN 92
61 JODoc an.3812. 4/12/1888
62 JODoc an.3812. 18/6/1888
63 JODébCh 1/3/1883. Stat. du député Girault
64 JODoc an.815. 10/6/1886
Rapport fait au nom de la Comm sur le projet déclarant d’utilité publique l’amélioration de la rivière d’Oise canalisée, entre Janville et Conflans-Sainte-Honorine.
Déjardin-Verkinder, seul représentant du Nord
En 1884, les importations représentent 47 % de la consommation du département de la Seine : charbons belges (30,6 % de la consommation totale), anglais (10,9 %), allemands (5,5 %)
65 AN. C//3395 Comm étudiant les projets ou prop. sur les voies navigables et ports maritimes. 7/2/1883
66 Association pour favoriser l’exécution du Grand Canal du Nord. Note au sujet de l’enquête ouverte sur l’avant-projet. Lille, Imp. L. Danel, 1881
67 AN. C//3395 Comm sur les projets ou prop. sur les voies navigables et ports maritimes 8/2/1882
68 ASt. Comm sur le projet de grand canal de navigation du Nord sur Paris 16/7/1883
69 AN. C//3395 Comm sur les projets ou prop. sur les voies navigables et ports maritimes. 7/2/1883
70 AN. C//3395. Ibid. 5/3/1886
71 JODébCh 3/3/1883
72 JODoc an.1145. 11/7/1882
73 Ibid. Rapport de Sadi Carnot
74 JODoc an.1712. 15/2/1883
75 JODébCh cf. SCRUTIN 93
76 JODébCh 1/3/1883
77 Ibid.
78 Ibid.
79 JODébCh 3/3/1883
80 Ibid.
81 Ibid.
82 JODébCh 10/3/1883
83 Ibid.
84 JODébCh 22/1/1889
85 JODébCh 23/3/1886
86 JODébCh 22/1/1889
87 JODébCh 24/1/1889
88 JODoc an.2957. 10/7/1884
89 AN. C//3307 Projet de loi sur l’acceptation de l’offre faite par la société houillère de Liévin d’avancer à l’État 1 000 000 F, pour la construction du canal de Lens à la Deûle. Séance unique du 2/7/1884
90 AN. C//3395 Comm étudiant les projets ou prop. sur les voies navigables et ports maritimes. 8/3/1882
91 JODoc an.608. 16/3/1882
92 JODoc an.2981. 15/7/1884. Port de Calais
JODoc an.2982. 15/7/1884. Port de Boulogne
JODoc an.2983. 15/7/1884. Port de Dunkerque
93 JODébCh 24/1/1889
À Anvers, pour un navire de 1008 tonneaux, les frais sont de 1 540 F. À Dunkerque, ils sont de 2 271 F.
94 JODébCh 22/1/1889
95 Ibid.
96 JODébCh 24/1/1889
97 Ibid.
98 JODébCh cf. SCRUTIN 94
99 JODébCh cf. SCRUTIN 95
100 JODoc an.817. 11/6/1886
Rapport sommaire de Legrand (Lecelles) sur la prop. de Dellisse…, dénonçant le traité de commerce franco-italien
La prise en considération de la prop. ouvre la voie à la non-ratification du traité
101 Près du tiers des exportations vers la France
102 JODébCh 26/3/1882
103 JODébCh 25/3/1882
104 JODébCh cf. SCRUTIN 96
105 JODébCh 25/3/1882
106 AN. C//3393 Comm relative aux traités et conventions. 13/12/1881
107 JODébCh 25/3/1882
108 Droits exprimés en % par rapport à la valeur des produits
109 AN. C//3393 Comm relative aux traités et conventions. 15/12/1881
110 Ibid.
111 Ibid.
112 Ibid.
113 Ibid.
114 AN. C//3393 Comm relative aux traités et conventions. 16/12/1881
115 Ibid.
116 AN. C//3393 Comm relative aux traités et conventions. 20/12/1881
117 JODébCh cf. SCRUTIN 97
118 AN. C/I/700 1er bureau. 16/10/1884. Nomin. des membres à la Comm sur le projet de loi modifiant le tableau A du tarif des Douanes
119 + 157 % calcul établi à partir des chiffres donnés par Rotours et tirés du rapport de la Comm de 1878, chargée d’étudier le projet de convention commerciale franco-italien
120 JODébCh 9/12/1881
121 Tarif franco-espagnol de 1878 : droit de 3,50 F sur les importations de vins espagnols en France
122 Ecart moyen entre les vins français et italiens ou espagnols : 4 ° d’alcool
123 JODébCh 9/12/1881
124 Ibid.
125 JODébCh 25/3/1882
126 AN. C//3393 Comm relative aux traités et conventions. 24/2/1882
127 AN. C//3393. Ibid. 11/11/1884. Renégociation du traité franco-hollandais
128 JODoc an.817. 11/6/1887
129 JODoc an.2394. 9/2/1888
130 GUILLEN Pierre, L’expansion 1881-1898, Paris, Imprimerie nationale, 1985
131 JODébCh cf. SCRUTIN 98
365 députés souhaitent du temps pour renégocier. 164 veulent la rupture
132 JODébCh 24/2/1888
133 Ibid.
134 Ibid. Propos de Cunéo d’Ornano qui s’abstient
135 JODébSt cf. SCRUTIN 99
JODébSt cf. SCRUTIN 100
JODébSt cf. SCRUTIN 101
136 JODébCh cf. SCRUTIN 102
JODébCh cf. SCRUTIN 103
137 A. Nat C//3393 Comm relative aux traités et conventions. 14/12/1881 Rare loquacité et réelle pugnacité des élus nordistes
138 A. Nat C//3393 Ibid. 13/12/1881
139 AN. C//3393. Ibid. 14/12/1881
140 AN. C//3393. Ibid. 16/12/1881
141 DANIEL André, L’année politique 1882, 9e année, 1883
142 AN. C//3393 Comm relative aux traités et conventions. 11/11/1884
143 AN. C//3393. Ibid. 14/2/1885
144 AN. C//3393. Ibid. 12/6/1885
145 PIERRE Eugène, op. cit.
146 AN. C//3393 Comm relative aux traités et conventions. 12/6/1885
147 JODébCh 21/4/1886
148 AN. C/II/915 1er bureau. 10/4/1886. Nomin. d’un membre à la Comm sur l’exposition universelle de 1889
AN. C/II/922 8e bureau. 10/4/1886. Ibid.
149 JODébCh 21/4/1886. En 1886, le budget de l’exposition est évalué à 17 millions de fr.
150 Probable référence à Georges Brame, favorable à la réduction des droits sur le café, cette denrée si nécessaire aux populations ouvrières
151 Ibid.
152 JODébCh cf. SCRUTIN 104
153 JODébCh 28/4/1888
154 AN. C/II/923 9e bureau. 14/12/1888. Nomin. à la Comm sur le projet relatif à la Compagnie du Canal de Panama
155 JODébCh 13/2/1882. Propos de Rotours sur la construction des chemins de fer en Algérie
156 AN. C//3302 Comm sur le projet de loi fixant le Budget général de l’État pour 1883. 25/5/1882
157 AN. C/I/701 2e bureau. 14/2/1884. Nomin. à la Comm sur la prop. Léon Peulevey
158 Ibid.
159 JODébCh 5, 7, 8 et 9/11/1881. Interpellations d’A. Naquet, d’Amagat et du comte de Roys
160 JODébCh 10/11/1881
161 Ibid.
162 JODébCh 5/11/1881
163 JODébCh cf. SCRUTIN 105 Ce vote est le 1er scrutin de la lég. 1881-85
164 JODébCh cf. SCRUTIN 106
165 JODébCh cf. SCRUTIN 107
166 JODébCh cf. SCRUTIN 108
167 AN. C//3316 Comm ouvrant des crédits suppl. pour les frais d’expédition de Tunisie et du Sud-Oranais. 23/11/1881. Audition de Gambetta, président du conseil
168 JODébCh 8/12/1881
169 JODébCh cf. SCRUTIN 109
170 AN. C//3393 Comm relative aux traités et conventions. 16/12/1881
171 JODébCh 29/5/1888
172 in GUIRAL Pierre et THUILLIER Guy, op. cit.
173 AN. C/II/706 7e bureau. 28/4/1883. Nomin. d’un commissaire sur le projet de loi ouvrant au ministre de la marine et des colonies sur l’exercice 1883 un crédit suppl. pour l’exercice du Tonkin
« M. Bergerot a toujours été contre le Tonkin. C’est l’entreprise la plus mal conduite et la moins profitable. » Les propos de Bergerot lui valent de siéger à la Comm de fin 1885 sur les crédits du Tonkin.
174 Ibid.
175 DANIEL André, L’année politique 1885… 12e année, 1886
176 JODébCh cf. SCRUTIN 110
177 JODébCh cf. SCRUTIN 111
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