Au nom de la liberté individuelle, républicains contre cléricaux : les libertés démocratiques et la participation à l’œuvre laïcisatrice
p. 239-309
Texte intégral
1Lorsqu’en 1881, s’ouvre la nouvelle législature, les parlementaires peuvent augurer d’une décennie prometteuse. La République enfin assise sur de solides bases, les récentes et éclatantes victoires électorales, la disparition du prétendant bonapartiste, la concentration de la totalité des rouages gouvernementaux entre les mains des républicains, la mise en route des grands chantiers politiques chers à leur cœur (grandes lois scolaires, conquête des libertés démocratiques…), tout concourt à faire de cette ouverture de session un grand moment d’élan et d’espoir.
2La nomination de Gambetta à la tête du gouvernement semble évidente et le nouveau ministère doit impulser, grâce à un collégial sursaut républicain, le grand dessein à la hauteur des récents succès électoraux.
3Mais l’art divinatoire et la prospective politique n’étant pas sciences exactes, les députés doivent tempérer bien vite leur exaltation. L’œuvre républicaine connaît ses heures de gloire, mais agitations, soubresauts et déboires rythment plus que de raison la grande œuvre républicaine.
4Les républicains ne font pas mystère de leur programme. C’est en effet sur les dossiers brûlants mais diviseurs des libertés démocratiques, de l’intégration des minorités et de la participation à l’œuvre de laïcisation de la société, que l’électorat républicain attend des mesures symboliques, rapides et spectaculaires.
L’acquisition de la nationalité : entre droit du sol et droit du sang, l’assimilation des minorités belges et italiennes
5La question aiguë de la nationalité et de l’intégration des minorités ne laisse indifférents ni les populations locales ni les élus. Si le débat est national, l’enjeu est aussi départemental et local.
6À l’échelon national, l’accélération de l’immigration en provenance des pays limitrophes enflamme le débat sur l’assimilation des minorités belge, italienne, allemande, espagnole ou anglaise… Depuis 1850, la population étrangère augmente de 200 000 individus en moyenne par décennie. Un cap est franchi durant la période 1876-81, lorsque le bond atteint 200 000 personnes en à peine 5 ans.
7En dix ans, le nombre d’étrangers vivant en France passe de 801 000 individus en 1876 à 1 115 000 en 1886. Ces chiffres sont à rapprocher de ceux particulièrement dérisoires des naturalisations : 283 en 1881, 663 en 1886.
8Dans le Nord, la population immigrée belge, essentiellement francophone, représente 70 % des migrants. Entre 1861 et 1885, la population immigrée double, passant de 126 000 à 277 000 étrangers. Le département concentre, à lui seul, le quart de l’immigration nationale. Il y a là une spécificité qu’on ne retrouve presque nulle part ailleurs en France. Lille, Roubaix, Tourcoing, Armentières et Halluin comptent 120 000 étrangers, au moins le tiers de leur population.
9Cette main-d’œuvre étrangère cristallise les craintes, tandis que la conjoncture économique se dégrade. La situation ne doit toutefois pas prêter à contresens. En cette terre du Nord, il n’y a pas lieu d’évoquer la peur ancestrale de l’étranger accusé de tous les maux. Une partie des migrants belges est en France depuis des décennies. Les populations belges sont connues, la frontière perméable et les mariages franco-belges fréquents.
10L’enjeu économique est par contre flagrant. Une véritable compétition s’est instaurée entre main-d’œuvre française et belge, en raison de conditions de travail nettement plus favorables en France. Le travail y est mieux rétribué et une loi fixe la durée du travail dans les manufactures à 12 heures. En Belgique, les rémunérations sont bien plus faibles et des amplitudes horaires pouvant atteindre 16 heures ne sont pas rares.1
11Pierre Legrand doute qu’on puisse fermer les frontières françaises aux ouvriers étrangers sous peine de représailles à l’encontre des Français expatriés.2 La paix armée et les échecs dans la conclusion des traités de commerce entretiennent un climat tendu. La peur des représailles dans les échanges bilatéraux est un thème récurrent.
12L’attitude de l’élu de Droite, Lefèvre-Pontalis, diverge sur la méthode. L’élu est partisan d’une loi qui protège les ouvriers français de l’envahissement du sol national. Ayant séjourné en Allemagne, il se rappelle avoir payé une taxe de séjour.3 Il approuve la proposition des députés Duval et Marty instaurant une telle taxe.4
13Le sujet est sensible et peine à aboutir. Des considérations diplomatiques empêchent une prompte solution. De plus, l’enjeu n’est important que dans quelques départements frontaliers. Et, dans le Nord, avide de bras, la main-d’œuvre étrangère est plus que jamais nécessaire.
14La volonté réformatrice sommeille. La proposition du député monarchiste Pieyre qui frappe les étrangers résidant en France d’une taxe affectée aux caisses de retraites de la vieillesse est enterrée. La proposition de l’élu d’Extrême Gauche, Talandier, sur les enfants mineurs d’étrangers, nés sur le sol français, ne dépasse pas le stade du rapport sommaire.
15La proposition de Lecomte, contresignée par tous les républicains du Nord, relative à la nationalité des fils d’étrangers nés en France, déposée le 25 juin 1885, ne donne lieu à aucun rapport avant la fin de la 3e législature.5 Si le principe est généreux, le constat n’en est pas moins amer : malgré la loi du 7 février 1851, l’étranger n’est pas assimilé quels que soient le nombre de générations et la durée de l’établissement en France.
16Les arguments sont connus. Le service militaire est considéré comme le facteur d’intégration par excellence. L’étranger, dispensé de conscription, demeure indifférent ou hostile à la grandeur et à la prospérité de la patrie française. Bien loin de s’intégrer, il a tendance à se solidariser, à mauvais escient, avec ses congénères.
17On ne peut comprendre l’enjeu si l’on oubliait les rancœurs des populations françaises, soumises au tirage au sort à une époque où le service militaire dure en principe sept longues années. Parfois, les passions s’exacerbent encore davantage lorsqu’un fils d’étranger, inscrit plus ou moins automatiquement sur les listes militaires, décline « l’honneur » d’être incorporé. Le sentiment général qui prévaut est donc celui de la stricte égalité entre tous les habitants d’un même canton.
18Un seul texte sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France donne lieu aux deux délibérations réglementaires. Rapporté par le nordiste Louis Legrand ce projet accentue l’automaticité de l’acquisition de la nationalité française, offerte à tout individu né sur le sol français. En cas de refus, l’intéressé doit le faire savoir, à 18 ans, et attester de son appartenance à une autre nationalité. L’enfant né en France d’un parent étranger, lui-même né en France, ne peut opter pour une autre nationalité. Le texte, adopté par la Chambre, non étudié par le Sénat, entre en léthargie jusqu’en 1889.
19Durant la 4e législature, plusieurs propositions sont déposées. Aucune n’émane d’un élu nordiste.
20Dans les rangs départementaux, la rhétorique évolue peu. En 1886, Lefèvre-Pontalis reprend la proposition de taxe de séjour sur les employés et ouvriers étrangers.6 Il demande aussi que, dans les marchés passés par l’État, les départements et les communes, les entrepreneurs n’emploient que des ouvriers français, ce qui lui vaut de siéger à la commission chargée des textes sur la nationalité.7
21En 1887, Des Rotours se demande si la loi est efficace, évoquant « l’invasion de toute une population qui en France se dit belge et à l’étranger se dit française. »8 La France, telle un camp retranché et mal défendu, n’arrive pas à juguler le flot de migrants. Il demande la participation réelle de tous les étrangers aux charges qui pèsent sur les nationaux, y compris le service militaire, ou au moins, par une taxe compensatrice en argent. Déjà évoquée sous le Second Empire, cette idée, chère au républicain Lecomte, est reprise par les conservateurs du Nord.9
22Le sujet de la nationalité est de nouveau débattu par le biais de la discussion sur le recrutement de l’armée. Six députés, les conservateurs Des Rotours, Brame, Plichon, Jonglez et Bergerot mais aussi le républicain Desmoutiers, reprennent une vieille revendication concernant les individus nés en France de parents étrangers et y résidant. Les jeunes étrangers, s’ils n’ont pas opté pour la nationalité française ou s’ils n’ont pas satisfait au recrutement militaire dans leur pays d’origine, devraient être incorporés durant 3 ans dans la légion étrangère.
23À l’évidence, la préoccupation des élus est départementale. En quelques décennies, la Belgique a expatrié vers la France 9 % de sa population (450 000 individus), dont les deux tiers dans le seul département du Nord.
Jonglez : « Les ouvriers belges, laborieux, dévoués, intelligents, qui s’attachent très rapidement à leur patrie d’adoption, trouvent chez nous un travail rémunérateur, et la Belgique doit certainement s’estimer heureuse d’avoir à sa porte une sorte de colonie qu’elle doit préférer aux colonies d’outre-mer. »
Le Comte de Lanjuinais : « Au Congo ! [rires à droite] »10
24L’expatriation vers les colonies ne fait pas recette ! La pacifique invasion des populations belges permet à la France de lutter contre la « désertion des campagnes »11 et contribue à juguler le faible accroissement démographique.
25L’intervention de Jonglez veut dénoncer une inégalité et une injustice flagrante. La législation française autorise les étrangers à conserver leur nationalité pendant des générations. La Belgique n’a pas d’armée permanente, ses ressortissants échappent donc au service militaire.
26Le débat dépasse le cadre habituel des clivages républicains/conservateurs. Un front uni départemental, depuis Des Rotours jusqu’à Lecomte, dénonce un abus qui favorise l’embauche d’un ouvrier belge plutôt que celle d’un Français obligé d’abandonner son poste pendant les longs mois d’enrôlement, puis durant les périodes de rappel de 28 jours et de 13 jours.
Jonglez : « On ne comprend pas que vous réserviez des privilèges aux seuls fils d’étrangers. »12
Des Rotours : « Trop souvent l’on constate quand une émotion quelconque vient à se produire dans une ville, que c’est parmi ces hommes que se recrutent habituellement les perturbateurs. »13
27Méfiances des populations et égoïsmes locaux sont repris en chœur par les conservateurs et républicains. Lecomte et Girard déposent une disposition proche de celle des monarchistes. Lecomte propose un service militaire quasi obligatoire lié au droit du sol. En cas de refus, l’étranger quitterait le sol français pour la durée du service militaire. L’équité serait ainsi rétablie dans les entreprises.
Lecomte : « Il y a une inégalité choquante entre la situation du Français fidèle, qui sera obligé de quitter son pays, sa profession pendant un nombre assez considérable d’années et la situation de celui que l’on devait croire Français, qui, pour tous, était Français et qui, à un moment, pour se dérober à son devoir militaire, excipe d’extranéité. » [14]
[lisant une lettre d’électeur] Les parents se disent : Celui-ci ne fera pas ou peu de service ; il n’aura ni les 28 jours, ni les 13 jours ; il n’ira jamais en campagne en cas de guerre ; notre fille sera bien plus heureuse avec lui.
Vous voyez l’intérêt des patrons et l’intérêt des familles. C’est ainsi que les étrangers nous prennent nos places, nos emplois, nos fiancées. [rires] Et quand ils ont des dépenses à faire, des achats, ils ne veulent pas du travail français et s’adressent à des fournisseurs d’au-delà de la frontière ou à des compatriotes. »
… [citant Francisque Sarcey] Vous avez adopté la France, elle vous le rend mes amis ; elle vous adopte à son tour ; faites vos cinq ans de service. Et si vous ne voulez pas vous enrôler sous le drapeau tricolore, retournez dans votre pays, qui vous réclame. On ne saurait servir à la fois : Et le Dieu d’Israël et le Dieu de Baal ! [Hilarité des députés] »15
28Au-delà du bon mot, il y a pourtant paradoxe entre la réticence à vouloir intégrer les populations belges ou étrangères et la volonté de soumettre tous les étrangers au recrutement militaire. Ne transparaît presque pas le risque de trahison en cas de conflit armé. Il est vrai que la neutralité belge permet une attitude moins soupçonneuse ! Ce procès d’intention serait mal venu, alors que la main-d’œuvre belge, omniprésente, courageuse et laborieuse, est vitale, tant dans l’agriculture que dans l’industrie textile ou les mines.
29Dans sa réponse, le général Campenon, ministre de la Guerre, reprend une objection ancienne. L’incorporation est impossible. La légion étrangère n’est composée que de volontaires.
30L’amendement de la Droite est rejeté. Le groupe républicain demande à Lecomte de retirer le sien. Le nordiste y consent.
31En 1888, arguant de l’intérêt supérieur de la défense nationale et du secret nécessaire dans le transport des troupes en temps de paix, Lecomte dépose un texte sur l’embauche exclusive d’employés de nationalité française dans les compagnies de chemins de fer.16Le texte, non transmis à une commission, sombre dans l’oubli.
32Le Sénat s’empare également de la question sur la nationalité. Le 1er mars 1882, le sénateur Batbie dépose une proposition qui sommeille un long moment. En février 1887, elle est enfin discutée et adoptée par le Sénat.
33Testelin se focalise sur le droit de sceau. Son coût exorbitant empêche la naturalisation des ouvriers.17 Marcère soutient un amendement du Centre-gauche Bérenger, favorable à une procédure simplifiée de naturalisation des enfants d’étrangers, nés en France, lorsque le droit d’option est exercé.18
34La position atypique des deux sénateurs est très minoritaire. Presque tous les élus associent l’obtention de la nationalité française à un honneur qu’il faut mériter, à un trésor dont il faut se montrer digne.
35Les sénateurs acceptent néanmoins l’amendement Bérenger plus favorable aux optants, mais ceux-ci représentent à peine 1 % de la population étrangère en France !
36Lors de la deuxième délibération, le Sénat décide que l’enfant né en France d’un père étranger, lui-même né en France, s’il veut répudier la qualité de Français, doit prouver qu’il a effectué son service militaire dans son pays d’origine.
37À la demande de Testelin et de Naquet, le Sénat supprime le droit de sceau.19
38Transmis de nouveau à la Chambre, le texte sur la nationalité donne lieu à plusieurs rapports et à deux délibérations, preuve de l’attention soutenue des élus et de la force des passions.
39Alors que les sénateurs nordistes, Testelin et Marcère, avaient proposé des mesures favorisant les naturalisations, les députés locaux sont circonspects et réticents. Lecomte intervient dans la deuxième délibération du 16 mars 1889. Il est l’auteur de l’ancienne proposition de loi de 1885, cosignée par 33 de ses collègues dont les nordistes Trystram, Girard et Cirier. Seule nouveauté du discours, la loi doit être adoptée même s’il faut craindre une aggravation de la pénurie de main-d’œuvre dans les emplois peu qualifiés.
Lecomte : « Il est possible que nous ayons moins d’étrangers après les mesures que nous allons prendre, mais nous aurons plus de Français, et la patrie y gagnera. »20
40L’inquiétude de Lecomte se focalise sur les apatrides, fauteurs de subversion sociale, sur « ceux qui ne sont attachés à aucune patrie, qui n’aiment pas la France, que nous n’avons pas su conquérir » et qui risquent de constituer « différentes nations dans la nation française. »21 Dans l’esprit de ce républicain ministériel, le communautarisme est à proscrire absolument.
41Son propos déborde du département. L’élu pointe la communauté italienne des Bouches-du-Rhône, « unie par des liens étroits et qui peut devenir un véritable danger pour l’industrie de notre grand port de commerce et même pour sa sécurité. »22 Cette communauté, masculine à plus de 60 %, composée de 70 000 Italiens, atteint 12 % de la population des Bouches-du-Rhône.
42Le discours de Lecomte transcende les clivages traditionnels. Il est difficile de trouver des dissonances entre les propos du républicain Lecomte et ceux du conservateur des Rotours. L’intégration accélérée des minorités a la faveur des élus, intégration qui doit favoriser, dès la deuxième génération, l’adoption de la nationalité française. La naturalisation qui donne des droits est aussi synonyme de devoirs. Le principal est celui de la conscription militaire et de la défense du pays.
43Une rapide intervention du baron des Rotours vise à faire confirmer l’amendement, déposé par 13 députés du Nord, au projet de loi organique militaire qui stipule que « tous les fils d’étrangers, nés en France, seront portés d’office par les maires sur les tableaux de recensement ».23 L’amendement est intégré au projet.
44Les yeux rivés sur la frontière, les élus nordistes adoptent les préoccupations de leur électorat. Cette main-d’œuvre belge, nécessaire et enviée, doit être assimilée, à tout prix. La question de la nationalité participe de la lutte idéologique contre les forces du mal. Le thème récurrent de l’intégration par la conscription participe du même combat de préservation de l’ordre social. L’armée forme et intègre l’individu. Elle modèle et donne cohérence au groupe. Elle défend l’immuabilité de l’ordre social.
45En ce sens, la sensibilité sénatoriale, moins favorable à l’automaticité de la nationalité, s’éloigne de la conception que partage les députés du Nord, toutes tendances confondues.
Des libertés individuelles à conquérir : entre tenants et opposants de l’indissolubilité du mariage ou du monopole des inhumations
46En cette fin de XIXe siècle, aborder les libertés individuelles c’est aussi éclairer le rapport qu’entretiennent les élus avec la religion et la hiérarchie religieuse. Aucun nordiste, sauf peut-être Testelin et Masure, ne se déclare ouvertement athée. Tous suivent les rites de l’église catholique. Difficile d’échapper au mariage ou aux funérailles religieuses, même quand on est élu libre-penseur ! Il est de ces instants où l’Église demeure, envers et contre tout, l’institution séculaire garante de la conservation sociale.
Mariage, divorce et décès
47Le combat pour le droit au divorce est de ceux où l’opiniâtreté de quelques-uns finit par faire fléchir des majorités silencieuses ou hostiles.
48Créée en 1792, la législation sur le divorce est modifiée en nivôse an 11 à l’initiative de Merlin de Douai. En 1816, le catholicisme redevient religion d’État, le divorce est supprimé. Son rétablissement est repoussé en 1831 et en 1848, alors qu’une législation favorable voit le jour dans la plupart des pays d’Europe, à l’exception de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal.
49Alfred Naquet, opiniâtre élu du Vaucluse, s’y reprend par trois fois, en 1876, 1878, puis 1881, pour que son texte aboutisse.
50En 1882, l’adoption du texte reste plus qu’incertaine. Les républicains en confient alors la promotion à un poids lourd de la politique, personnage éminent du Centre-gauche, non soupçonné de cléricalisme, Émile de Marcère. Le rapport sommaire24 est confié à cet « ancien ministre, presque Président du Conseil ».25 Trois mois plus tard, il dépose le rapport définitif.
51Naquet ne touchait guère à l’ancien art. 230 : « La femme pourra demander le divorce pour cause d’adultère de son mari, lorsque celui-ci aura tenu sa concubine dans la maison commune ». Marcère va bien plus loin et considère l’adultère du mari comme une cause suffisante, en quelque endroit qu’il ait été commis.
Marcère : « Suppose-t-on que la femme est moins sensible à l’outrage que l’homme, que sa dignité morale soit d’une moindre valeur, que son cœur soit plus fait pour être déchiré, que sa misère soit moins secourable ? Sans parler des douleurs d’un cœur méconnu et brisé, le rang de la femme, son influence dans la maison, sa part dans la souveraineté de la famille, jusqu’à sa place honorable au foyer, tout dépend pour elle des sentiments qu’elle inspire à celui dont elle partage la vie. »26
52Le texte est débattu les 6 et 8 mai 1882. Le républicain du Cantal Amagat parle de l’émotion communicative de la voix de Marcère, du souffle sincèrement humain qui anime son éloquence, de paroles prononcées avec l’emphase d’un poète.27
53Certes, la dissolution de la famille provoque la dissolution de l’ordre social, mais le mariage est un contrat civil. Les époux sont libres à tout instant de se séparer. Le projet n’introduit ni ne favorise les unions libres. De plus, on ne parle jamais des familles désunies, des épouses qui vivent dans l’instabilité, des enfants qui subissent les désunions parentales ou des enfants abandonnés, jetés aux quatre vents du ciel, ou devenant l’objet d’âpres luttes. Le divorce n’ajoute rien au triste sort des enfants. Il rétablit simplement dans les familles l’harmonie qui y manque. Enfin, au titre de la salubrité et de la sécurité publique, on ne peut laisser cohabiter des couples désunis au risque de criminelles pensées.
54L’argumentaire se fait alors religieux. La loi ne demande pas de choisir entre la séparation de corps et le divorce. Elle doit offrir les deux possibilités pour ne pas froisser les consciences catholiques. Toutefois, si le mariage est indissoluble aux yeux des catholiques, alors il faut supprimer la séparation de corps.
55L’orateur égrène les avantages de la loi nouvelle. Au nom du respect de la personne humaine, le divorce doit permettre aux époux séparés de reconstituer une famille. Il permet de ne pas vivre dans cet état contraire à la nature humaine et qu’on appelle le célibat. Le divorce, facteur de moralisation, doit faire chuter les adultères, alors que la séparation de corps entraîne la naissance d’enfants adultérins à la situation peu enviable.
56À ceux qui prétendent que la loi favorise le remariage du conjoint masculin, réputé volage, il rétorque que les statistiques des pays voisins prouvent le contraire. Quant à la femme divorcée, elle trouve aisément à se remarier. En Belgique et en Suisse, le taux de nuptialité des épouses divorcées est supérieur à celui des veuves.
57Pour se gagner la droite bonapartiste, Marcère rappelle que Napoléon III s’était clairement prononcé en faveur du divorce.28
58Marcère revendique le passé révolutionnaire qui a permis la sécularisation de la société. Enfin, dans une phrase à l’emporte-pièce, il en appelle aux idéaux républicains afin de faire de la législation sur le divorce un phare pour les autres nations.
59C’est le républicain indépendant Amagat qui apporte la contradiction. La société ne doit pas offrir une prime à la frivolité et aux calculs criminels. Le divorce n’abolit pas l’adultère, l’avortement, l’infanticide, l’attentat à la pudeur, l’outrage aux mœurs. Le divorce est de tradition consulaire et impériale. Maintenu dans le Code Civil pour permettre la répudiation de l’impératrice Joséphine, il est en contradiction avec le Concordat de 1801 et l’indissolubilité du mariage chez les catholiques. Pourquoi faut-il troubler l’unité de la famille française ? La France n’a-t-elle pas de question plus vitale à résoudre ?
60Le passage à la discussion des articles29 est voté à une large majorité de 333 voix. Ce résultat est une bonne surprise. Une majorité semble émerger.
61Dans les rangs nordistes, le clivage ne reflète pas l’opposition monarchistes/républicains et les députés s’opposent à la majorité parlementaire. Quatre républicains Louis Legrand, Scrépel, Trystram et le fluctuant Outters se joignent en vain aux monarchistes pour enterrer le projet, en bloquant la discussion des articles. Les deux élus de l’arrondissement de Dunkerque, Outters et Trystram, hésitent à heurter les consciences des très catholiques électeurs flamands et songent à leur survie électorale.
62Lors de la discussion des articles, l’avocat d’Extrême-Gauche Bovier-Lapierre dépose un amendement qui supprime l’énumération des cas de divorce dits facultatifs et fusionne les deux catégories créées par la future loi. La première se rapporte aux griefs assénés l’un envers l’autre : sévices mutuels, injures mutuelles… La seconde concerne des faits infamants imputables à un seul des époux : condamnation à une peine correctionnelle, vol, escroquerie, abus de confiance, outrage public à la pudeur, excitation de mineurs à la débauche.
63Aux yeux de ce juriste, les faits soumis à l’appréciation du tribunal risquent d’être jugés arbitrairement selon le degré de sensibilité du magistrat ou des parties. Il y a lieu de réfléchir sur la notion de gravité des injures reprochées : le vol est-il, par exemple, une injure suffisamment infamante ?
64L’intervention de Marcère vise à conforter le pouvoir des juges et laisse toute latitude aux tribunaux pour apprécier le degré d’infamie et de déconsidération qui en résulte. Le paragraphe est adopté, sans scrutin, dans les termes voulus par la commission.
65Le Code Civil punit l’adultère féminin, sur réquisition du ministère public, d’une peine d’emprisonnement. Deux tendances s’affrontent : l’une favorable à l’égal traitement des époux, l’autre aggravant les sanctions en cas d’adultère féminin, au nom de la plus grande gravité des conséquences.
66L’élu d’Extrême-Gauche Girault (Cher) dénonce l’inégal traitement entre mari et femme. Le juriste bonapartiste Jolibois demande la suppression de l’art. 298 du Code civil qui interdit à l’époux adultérin d’épouser son complice. Le scandale perdure ainsi dans le temps. Le radical Henry Maret obtient l’abrogation de ces articles.
67Le passage à une seconde lecture, avant transmission au Sénat, est adopté par 327 voix.30 Cette procédure permet d’approfondir l’étude technique des textes, d’agréger une partie des hésitants et d’étoffer la majorité. Pour le Nord, Desmoutiers rejoint les élus favorables au texte. Louis Legrand est fort opportunément retenu en commission.
68Le texte fait ensuite l’objet d’un rapport supplémentaire, toujours rédigé par Marcère,31 puis d’une deuxième délibération, longue et technique, du 13 au 19 juin 1882.32
69La discussion débute par l’intervention de Mgr Freppel sur l’art. 1er de la loi, qui abroge le texte du 8 mai 1816 et rétablit la presque totalité des anciennes dispositions, à l’exclusion du divorce par consentement mutuel.
70Rares ont été les députés, dit-il, à inscrire le rétablissement du divorce dans leurs professions de foi. Freppel s’étonne ironiquement d’un silence si prudent et si complet. Il est persuadé que l’électeur se soucie davantage de l’allégement des charges ou de la défense des intérêts agricoles, commerciaux ou industriels. L’actuel « courage » des élus a pour seule raison la très lointaine échéance électorale !
71Souvent interrompu, Freppel défend l’indissolubilité du mariage, de la famille et de la société domestique, opposant le caractère latin des Français – qui a donné quinze à vingt révolutions en moins d’un siècle – au sang-froid flamand, au flegme britannique ou à la patience allemande.
72Le divorce est une déchéance, un amoindrissement des valeurs morales, politiques et sociales.33 L’Église ne reconnaît pas le remariage d’un époux divorcé. Freppel invite les députés à opter pour la séparation de corps qui autorise la réconciliation des époux alors que le divorce est irrémédiable.
73La longue réponse de Marcère, bien que courtoise, n’en constitue pas moins une réplique ferme et cinglante. Dénonçant la doctrine théocratique de l’évêque d’Angers qui oppose société civile et religion catholique, Marcère insiste sur les inconvénients de la séparation de corps qui laisse l’un des époux et les enfants dans une situation douloureuse. Le divorce est le remède qui doit empêcher scandales et désordres. La République respecte les consciences catholiques, laissant le choix entre séparation de corps et divorce.
Marcère : « La Révolution française n’a eu raison de vos résistances que le jour où elle a sécularisé définitivement la société civile… Le respect du mariage, la forte constitution de la famille, son unité, la dignité égale des époux, tout cet ensemble appartient aux civilisations avancées ; elles sont signes du progrès social… Il est impossible de maintenir, dans des liens devenus intolérables, deux êtres qui en sont venus à se haïr, à concevoir l’un pour l’autre des sentiments qui peuvent les entraîner jusqu’au crime. »34
74Critiquant le droit canon et les motifs d’annulation du mariage religieux, il exprime la difficulté d’approcher les tribunaux ecclésiastiques, sauf à être grand, puissant ou riche. Citant l’Histoire romaine, à propos du mariage, il rappelle la lointaine période où l’Église se pliait aux édits de Théodose, Valentinien ou Justinien. Lorsque le Concordat fut signé entre le Saint-Siège et le Consulat, la France était sous le régime de la loi de 1792 et le Saint-Siège n’a pas protesté.
75Dépassant la question théologique, il constate que nulle part, le divorce n’a provoqué la dissolution des familles. La menace du divorce doit faire réfléchir l’époux infidèle et moraliser les relations des conjoints dans le cas de « mariages tièdes ».
Marcère : « Désunion pour désunion, il vaut mieux le divorce. »35
76Les républicains Durand et Renault interviennent alors, le premier contre le divorce et le second en sa faveur, traduisant le flottement de la majorité. L’art. 1er est ensuite adopté par 338 voix.36 La représentation nordiste, fidèle au vote émis le 8 mai, sur le passage à une deuxième délibération, se prononce en termes identiques.
77Le 15 juin, l’assemblée étudie l’art. 230 du Code civil sur l’adultère masculin.37 L’avocat radical Gâtineau centre le débat sur la place de la femme dans la société et sur la transmission des patrimoines familiaux aux enfants héritiers. Son amendement demande le retour au texte du début du XIXe siècle qui restreint le droit des femmes au divorce au seul cas où le mari entretiendrait sa concubine sous le toit conjugal. Demandant que le mari soit traité moins sévèrement que la femme, il ajoute :
Gâtineau : « Le mari est le président de l’association conjugale… Supposer l’égalité parfaite, c’est proclamer l’anarchie… Des enfants adultérins peuvent être introduits dans la famille par la faute de la femme… Les conséquences de la faute du mari ne sont pas les mêmes. »38
78Marcère s’oppose à l’idée de la femme, être inférieur, ayant besoin d’un tuteur. Il clame que le mari n’est que l’administrateur de la communauté.
Marcère : « Et au moment où nous voulons restituer à la femme une situation digne d’elle, au point de vue du mariage, nous vous disons : Rendez-la l’égale du mari : son égale, devant l’injure de l’adultère… Quant à moi, mes sentiments de justice sont absolument blessés par cette différence de traitement qui n’est pas fondée en raison, qui a été créée inhumainement et qui était acceptée couramment dans une société qui n’est plus la nôtre. »39
79Citant Roederer, qui affirmait « qu’il serait contraire aux bonnes mœurs d’autoriser une femme à se plaindre que son mari la néglige et que ses soins sont pour une concubine »40, Marcère ne peut admettre qu’au nom de la justice et des sentiments les plus élevés de la nature humaine, de pareils motifs demeurent acceptés aussi aisément. L’amendement Gâtineau est repoussé.
80Le nouvel art. 310 du Code Civil permet à l’époux qui le souhaite de transformer, après trois ans, une séparation de corps en divorce.
81La commission reprend à son compte l’amendement du bonapartiste Thirion-Montauban, interdisant la publication du compte-rendu d’un procès de séparation de corps et de divorce. Arguant que la publicité empêche la réconciliation et jette en pâture la vie privée, Marcère ne réussit pas à faire adopter cette mesure contraire à l’esprit de la loi de 1881, sur la liberté de la presse.
82Punir la publication du compte-rendu d’un procès d’adultère, comme si c’était un écrit diffamatoire, constitue, aux yeux des républicains, une incohérence majeure. Dès lors, sans surprise, l’amendement est repoussé.41 Lors du scrutin, la droite nordiste accompagne Marcère dans son approbation de la confidentialité. La plupart des avocats républicains s’y opposent. Les autres républicains qui s’abstiennent représentent le tiers de la députation nordiste.
83Le 19 juin est consacré à la longue étude de l’art. 305. La commission veut empêcher le divorce par consentement mutuel en le frappant de l’octroi immédiat de la moitié des biens des époux aux enfants légitimes. Les amendements présentés traduisent l’ingéniosité des élus en matière successorale. La commission intègre l’amendement du notaire républicain Bernier qui stipule que la moitié des biens sera attribuée immédiatement à tous les enfants légitimes, y compris à ceux issus d’un précédent lit.
84Le premier paragraphe qui porte sur l’attribution de plein droit de la moitié des biens est adopté par 277 voix.42
85Les juristes de Centre-gauche Drumel et Léon Renault déposent un amendement qui annule le précédent vote et rétablit l’intégralité de l’ancien art. 305 non modifié, à savoir l’attribution de la nue-propriété aux seuls enfants du mariage dissous. Enfin, une proposition de Gatineau et de Paul Guyot s’oppose à toute attribution.
86La deuxième partie de l’article limite l’attribution successorale aux seuls enfants issus du mariage dissous. 184 élus, dont la droite nordiste et de Marcère, rejettent cette disposition43 que les juristes républicains auraient volontiers acceptée.
87360 députés confirment ensuite l’abrogation de l’art. 298 qui interdit à l’époux adultère de se remarier avec son complice.44 Les élus nordistes, à l’exception de Marcère, se regroupent en une coalition moralisante, un peu à l’image de ces stéréotypes qui font des peuples du Nord, une société austère, industrieuse et éprise d’ordre.
88L’ensemble de la proposition de loi est adopté par 331 voix.45 Dans le Nord, la stricte égalité entre les deux camps traduit un embarras certain.
89Transmis aussitôt au Sénat, le texte est étudié avec lenteur. Le républicain modéré Labiche ne présente son rapport qu’en février 1884. Après une première délibération du 26 mai au 7 juin 1884, la seconde lecture est menée du 19 au 24 juin 1884.
90Marcère ayant quitté le Palais-Bourbon pour le Sénat, intervient, le 31 mai, dans les débats. Audren de Kerdrel, Batbie, Buffet, Chesnelong souhaitent faire durer le débat afin de réaffirmer les prérogatives du Sénat et de retarder le renvoi à la Chambre.
91Les sénateurs sont très divisés. Les centristes Denormandie, Jules Simon, Batbie et Allou déposent un contre-projet qui améliore substantiellement la séparation de corps et Batbie en demande la prise en considération immédiate. Marcère manœuvre pour qu’elle n’intervienne qu’entre les deux délibérations.
92Toujours au Sénat, lors de la 2e délibération, Marcère apporte la contradiction à l’élu de la droite extrême et cléricale Chesnelong qui prédit un flot de divorces, capable de faire trembler la société sur ses fondements. Dans un long plaidoyer, Marcère réfute l’atteinte que ce texte porterait à la morale de la très catholique France, texte prudent et mesuré qui n’évoque ni répudiation ni union libre.
93Sentant sa responsabilité engagée, Marcère évoque longuement le motif religieux qui « est la vraie cause des hésitations, des doutes, des résistances que l’on rencontre. »46 Beaucoup de croyants pensent que « la société civile n’est pas autorisée à prononcer la dissolubilité d’un mariage que la religion déclare indissoluble. »47 Pourtant, les époux divorcés ne sont pas tenus de se remarier et peuvent respecter la loi religieuse connue durant l’Ancien Régime, sous le nom de séparation d’habitation. De plus, la réconciliation que prône la religion catholique reste possible par le remariage des époux précédemment divorcés.
94L’intervention éclaire un système de pensée qui approuve, parmi les actes fondateurs de la Révolution française, la sécularisation de l’état, l’affranchissement des consciences et l’indépendance législative vis-à-vis des confessions religieuses. Citant le Nouveau Testament, en un de ses versets les plus connus, « Mon royaume n’est pas de ce monde. »48, Marcère, dans un raccourci saisissant, affirme que la Révolution française « n’a fait que se conformer exactement à la loi suprême du christianisme, loi de progrès, loi nouvelle dans le monde, par laquelle les sociétés ont été soustraites aux anciennes théocraties. »49 Dénonçant l’alliance postérieure du trône et de l’église, de l’église catholique et de l’empire romain, il donne une dimension révolutionnaire au christianisme primitif.
95Balayant ensuite l’argument par lequel « il est des cas, des circonstances où il faut que l’individu cède et qu’il subisse la loi sociale, parce que la loi sociale domine son droit »50, il réaffirme les acquis de la Révolution française, provoquant des rumeurs à droite :
Marcère : « La Révolution française a restitué à l’individu l’intégrité de sa liberté. C’est pour l’individu que la Révolution a été faite. Tout part de l’homme et tout revient à lui. C’est ma doctrine. Elle peut être erronée, mais c’est la mienne. L’individu est maître de sa personne ; il est libre ; il a droit à l’intégrité de ses facultés ; il peut en user… »51
96La séparation de corps n’est ni le célibat ni le veuvage, ni le mariage. Il s’agit d’une condition de vie d’une rare austérité, d’un rare héroïsme, ou alors d’une immoralité totale.
97Toujours au Sénat, le vote final surprend par son homogénéité. Les deux tiers des nordistes s’opposent à l’adoption et gonflent les rangs de l’opposition. La Droite, les sénateurs modérés ainsi que les républicains Testelin, Merlin et Massiet du Biest forment une coalition hétéroclite et inattendue.52 Corne, qui a glané, toute sa vie, maximes et citations en faveur du divorce, se range pourtant parmi ses détracteurs.53
98Le texte, modifié par le Sénat, fait l’objet d’un prompt rapport rédigé par l’avocat républicain Letellier, L’urgence déclarée, le texte est adopté dès le 19 juillet 1884, par une large majorité de 355 voix.54 Le soutien des républicains est fluctuant. Depuis le début, certains, tels Cirier ou Louis Legrand alternent votes positifs et abstentions. Aucun des élus de la Flandre intérieure ou maritime n’adopte le texte. Seule intervention, brève mais significative, celle du baron des Rotours, le 8 juillet 1884.
Des Rotours : « Nous avons autre chose à faire que de nous occuper du divorce ! Occupons-nous des sucres ! »55
99Le texte définitif exclut le divorce par consentement mutuel. Le rétablissement du divorce dépasse le clivage conservateur/républicain. Il interpelle les convictions religieuses des individus mais aussi les aspirations familiales et économiques de la société bourgeoise : dot, mariage, droit successoral, reprises de l’épouse, héritage, transmission de patrimoine. Le niveau scolaire des parlementaires, le républicanisme plus ou moins tiède de leurs circonscriptions électorales, les positions de la presse locale en faveur de l’une ou l’autre thèse, l’élection obtenue avec une majorité plus ou moins confortable, l’implantation géographique, le caractère agricole ou industriel de la circonscription électorale sont autant de paramètres qui compliquent et éclairent prises de position et votes.
100Le monopole des inhumations illustre tout autant la fracture religieuse. Le député radical Lefebvre dépose un texte abrogeant la loi conférant aux fabriques des églises et aux consistoires le monopole des inhumations. La proposition est discutée le 12 novembre 1883.
101Tandis que Mgr Freppel défend âprement le monopole, l’implication nordiste se limite à la participation au scrutin lors duquel le texte est adopté à une large majorité.56 Dans les rangs nordistes, 9 républicains, l’exacte moitié des élus, acceptent le texte. À l’inverse, Marcère et Outters rejoignent la droite dans son refus, tandis que Desmoutiers et Masure sont opportunément retenus en commission.
102Transmis au Sénat, le texte n’est pas discuté durant la troisième législature et n’est adopté que le 26 janvier 1886. Le projet sénatorial, plus conservateur, propose le maintien de la liberté des funérailles et établit une « dualité » entre la paroisse et la commune. Les familles sont autorisées à s’adresser tant aux fabriques et consistoires qu’aux services municipaux de pompes funèbres ou aux concessionnaires.
103Le sénateur Marcère est favorable au statu quo. Dans certaines communes, comme à Lille, le monopole n’existe pas. Un certain « laisser-faire, laisser-agir » pourrait, dit-il, éviter la promulgation d’une loi devenue inutile.57
104Le contre-projet de l’élu d’Extrême-gauche Georges Martin, très proche du texte de la Chambre, ne recueille que 44 voix. Les sénateurs nordistes optent pour le refus ou se réfugient dans l’abstention.58 L’ensemble du texte, mis aux voix, est adopté par le Sénat, sans scrutin.
105Durant la législature 1885-89, la Chambre procède à deux nouvelles lectures. Le texte différencie révocation tacite et révocation expresse des dispositions funéraires.
106La révocation est tacite, lorsque le testament est en contradiction flagrante avec les souhaits postérieurs du défunt. Cette révocation doit résulter de présomptions précises et concordantes : un athée rédige son testament et se rapproche plus tard de la religion mais ne modifie pas son testament ; un catholique, en vieillissant, devient naturaliste ou positiviste ou libre-penseur mais oublie de modifier son testament.
107La révocation expresse ne peut se faire que par voie testamentaire, à l’article de la mort. La commission veut faire obstacle aux témoignages fragiles, partiaux ou téléguidés, recueillis dans l’entourage du défunt. L’amendement Thellier de Poncheville prévoit la possibilité d’une révocation verbale devant témoins pour éviter de recourir au notaire quand l’individu est illettré, paralysé ou mutilé ou en cas de décès soudain.
Thellier de Poncheville : « C’est parfois sur la base du témoignage qu’on fait tomber des têtes [marques d’assentiment] »59
108L’amendement est rejeté, les républicains renâclant à accepter de tels témoignages.
109Durant la deuxième délibération, le magistrat nordiste Le Roy débat de la juridiction compétente en cas de contestation.60 Il faut une décision prompte sur une matière urgente. Dans le dispositif, le juge de paix est déclaré compétent avec appel devant le président du tribunal civil, juge unique statuant sans appel sous 24 heures. Le Roy conteste ce délai de 24 heures, trop court pour que les parties soient entendues par le juge de paix et par le président du tribunal civil. À l’évidence, estime-t-il, la rédaction de la commission rend le texte matériellement inapplicable.
110Se référant à Mgr Freppel, Le Roy estime que les dernières volontés ne relèvent pas du droit commun. Les héritages et la transmission du patrimoine sont une chose, le règlement des funérailles en est une autre.
111Lors du vote sur l’ensemble du projet, la représentation nordiste unanime repousse vainement le texte.61 Le projet qui retourne au Sénat est de nouveau modifié. Après deux nouveaux rapports et l’unique intervention de Mgr Freppel, le texte est définitivement adopté et promulgué le 15 novembre 1887. Trystram s’est mis en congé pour cet unique jour.62
112La réorganisation de l’état civil fait l’objet d’une proposition de Morel. Celui-ci propose la création d’un casier civil implanté au chef-lieu de l’arrondissement de naissance qui enregistre l’état civil exact et complet de tous les Français.
113Le casier civil, géré par le conservateur des hypothèques, suit l’individu dans toute l’étendue de sa vie civile (adoption, tutelle, divorce, naturalisation, privation des droits civils, rectifications d’état civil, veuvage, faillite, légitimation…). Il permet de lutter contre la bigamie, alimente les réponses aux requêtes notariales et facilite les formalités hypothécaires.63 Ce texte est à l’origine de l’actuelle inscription des mentions marginales sur les registres de naissances (mariage, décès, émancipation).
114Intérêt non négligeable pour le Trésor, la délivrance d’attestations est soumise à un droit de timbre ainsi qu’à un droit fixe de 1 F. Morel en estime le bénéfice à 10 millions de fr.
115La laïcisation tant voulue par les républicains relève des actes fondateurs de la IIIe République. Le Nord, terre républicaine récente, n’est pas toujours au diapason. Par toute une série de votes, les élus conservateurs tentent de s’y opposer, mêlant résignation durant la législature 1881-85, puis fougue et ardeur sous la législature suivante. L’attitude des élus républicains est circonspecte. Abstentions et congés abondent en cas d’embarras. Dans le Nord, le combat politique se gagne au centre. L’électorat centriste est omniprésent dans l’esprit des élus. Adopter une attitude provocatrice sur des thèmes comme le divorce ou le monopole des funérailles serait suicidaire. Dans l’extrême nord du département, en Flandres, la stratégie doit s’adapter à des populations encore plus soumises au clergé local64 : le combat politique se gagne difficilement sans appui clérical.
Le débat clérical : faut-il laïciser la société civile ?
Thellier de Poncheville : « Nous avons assez parlé des morts ; il serait temps de nous occuper des vivants. »65
116Si la laïcisation est ardemment souhaitée par la population de certains départements méridionaux irréligieux ou dans les métropoles urbaines, elle oppose véritablement les diverses fractions de la société dans un département comme le Nord.
117Dès le début de la législature 1881-85, la prestation du serment judiciaire soulève la lancinante question de la laïcisation de la vie civile.
118Le garde des Sceaux dépose un projet qui modifie le traditionnel serment « devant Dieu et devant les hommes ». Plusieurs députés, dont l’avocat d’Extrême-gauche Jules Roche, déposent un texte controversé garant de la liberté de conscience devant les tribunaux.
119Une première disposition remplace la phrase rituelle par la formule « Sur mon honneur et sur ma conscience ». Une deuxième prohibe totalement l’expression « Devant Dieu et devant les hommes ». Adoptée à une large majorité, la disposition suscite l’opposition de la Droite et des trois députés qualifiés par commodité de « républicains modérés. »66 Une dernière disposition vise à supprimer tout emblème religieux des salles d’instruction ou d’audience. Cirier, ardent laïcisateur, combat la présence de ces emblèmes dans les cours et tribunaux et s’oppose au serment religieux.67
120Le sous-secrétaire d’état à la justice, Varambon, temporise et propose de laisser chaque juge décider en conscience. « Il ne faut pas se créer de difficultés sans motifs. »68 Il ne voit dans cette discussion qu’« enfantillages » nuisibles à l’apaisement. Ses paroles rencontrent un certain écho. La dernière disposition de l’amendement interdisant les emblèmes religieux n’est votée qu’à quelques voix de majorité.69
121Le Nord rejette très majoritairement le dispositif de Jules Roche. Le noyau dur des laïcisateurs se compose de cinq républicains tous issus de la métropole lilloise ou du sud du département. L’opposition de Marcère, l’abstention de Scrépel et de Trystram révèlent des positions inconfortables. Proche de la Gauche radicale, Trystram doit s’abstenir pour ne pas encourir les foudres de l’électorat catholique et flamand. Le scrutin final sur l’ensemble du texte recueille davantage de voix favorables.70
122La laïcisation de la vie des prétoires est un de ces signes forts, perçu par la fraction la plus politisée de l’électorat comme l’aube d’une ère nouvelle. Certes elle ne touche pas les couches les plus prolétariennes de la société, moins sensibles au message opportuniste, mais les ouvriers d’industrie ne constituent pas l’essentiel du vivier électoral de la plupart des élus républicains du Nord.
123L’action laïcisatrice des républicains vise à fidéliser un électorat versatile. C’est ainsi qu’il faut comprendre la proposition du radical Delattre qui retire aux travaux de l’église du Sacré-Cœur son caractère d’utilité publique. Le ministre de l’Intérieur Goblet a beau prévenir que l’acceptation d’une telle proposition va entraîner ipso facto l’indemnisation des donateurs par l’État, rien n’y fait. Les députés adoptent le texte, malgré le risque brandi par Goblet de voir utiliser les fonds d’indemnisation dans des actions de propagande cléricale autrement plus pernicieuses.
124Sur ce texte, le groupe républicain nordiste s’étoffe. Le vote de la proposition, aux implications départementales négligeables, est peu susceptible d’entraîner un choc frontal avec l’électorat catholique départemental.71 Le vote respecte scrupuleusement le clivage conservateurs/républicains.
125En 1882, l’élection du « républicain avancé » Giard éclate comme un coup de tonnerre dans le ciel républicain et ne laisse pas indifférents les élus conservateurs plus préoccupés par la cohésion et la conservation sociale que par la cohésion politique. Il est des rapprochements possibles entre conservateurs et opportunistes, dès lors qu’il s’agit de défendre la pérennité des structures sociales.
126Tandis que Masure réclame la suppression du budget des Cultes et de l’ambassade auprès du Vatican, à l’inverse, le conservateur Debuchy réclame le maintien du Concordat. Dans leur profession de foi, les autres élus de Droite sont plus évasifs.72
127Le républicain Bernard affirme que, même s’il est favorable à la prédominance légitime du pouvoir, « le Concordat demeure la loi de l’État, tant qu’il existe. Il doit donc être respecté de tous. »73
128Le républicain Louis Legrand estime en commission que le maintien de l’ambassade française auprès du Vatican est d’un grand intérêt. L’ambassadeur peut surveiller la Curie et disposer d’informations diplomatiques de grande qualité. Le pape est également l’intermédiaire nécessaire pour le protectorat français dans les pays du Levant. Il est tout aussi indispensable de traiter avec le pape pour les nominations d’évêques et de cardinaux. Enfin, argument sans appel, l’Allemagne dispose d’une ambassade au Vatican. L’intervention de Legrand suffit à faire rétablir le crédit pour l’ambassade de France auprès du Saint-Siège.74
129À l’inverse, Legrand, rapporteur du budget des Affaires étrangères, fait supprimer le crédit de 6 000 F accordé à l’auditeur de rote auprès du Saint-Siège.75 Mais à l’occasion du vote du budget des Cultes, il appuie le crédit en faveur de l’archevêque d’Alger, estimant que ce dernier sert puissamment les intérêts de la France. Ce prélat a organisé le service religieux en Tunisie, en employant des prêtres maltais très bien accueillis par la population catholique maltaise immigrée.76 Ces prêtres sont de précieux auxiliaires de l’influence française, prêts à rapprocher la communauté du parti de la France.77 Le budget des Cultes devient, entre les mains de Legrand, un outil de propagande politique. Celui-ci propose même d’abonder le budget des églises missionnaires en y adjoignant une partie des crédits du ministère des Affaires étrangères.78
130La radicalisation du débat religieux accentue les oppositions irréductibles entre fractions parlementaires nordistes et provoque l’émergence d’une conscience républicaine commune. L’expulsion des bénédictins de l’abbaye de Solesmes est suivie d’une interpellation favorable au gouvernement de l’avocat républicain Guillot. La Droite nordiste s’oppose seule à la politique contre les congrégations.79 Le débat clérical, dès qu’il n’est pas local, devient le ciment de l’union retrouvée des républicains du Nord.
131Le 7 juin 1883, Mgr Freppel questionne le gouvernement sur une nouvelle apposition de scellés à l’abbaye de Solesmes, alors que les moines étaient rentrés malgré l’interdiction frappant les congrégations non autorisées. La question, transformée en interpellation par Madier de Montjau, permet à chacun de se situer dans le débat clérical.
132Dans les rangs nordistes, un glissement se produit. Giard suit l’Extrême Gauche dans l’abstention. Outters s’oppose à la politique gouvernementale et Marcère se réfugie dans l’abstention. Le glissement de ces deux députés centristes traduit leur malaise, face à la radicalisation du débat de laïcisation.
133Toutefois, la multiplication des votes sur des sujets religieux favorise l’émergence d’un noyau dur de députés laïcisateurs qui tentent d’agréger les hésitants.80
134Dès 1882, Cirier estime que si l’État supprimait les facultés de théologie catholique, il pourrait les rétablir moyennant de futures concessions.81 Louis Legrand, plus modéré, propose le maintien de la seule faculté de théologie de Paris.82
135Cirier participe à la commission de réorganisation des conseils de fabrique. Il prône leur surveillance et souhaite l’ingérence de l’administration dans leur fonctionnement, sans s’aventurer dans des mesures plus coercitives. Ce pragmatisme, lui vaut de siéger dans ladite commission.83
136L’évolution des républicains nordistes est graduelle. Insensiblement, les positions se radicalisent. Le budget des cultes de 1884 permet de constater l’évolution à mi-mandat de l’équilibre entre partisans et opposants de la séparation des Églises et de l’État.84 Rares sont ceux qui s’affichent en faveur de la suppression du budget du personnel clérical. Peu de républicains sont prêts à heurter leur base électorale, même si leurs convictions les poussent à la radicalisation des stratégies.
137Le vote des crédits nécessaires à l’entretien de l’ambassade française auprès du Vatican confirme cette tendance de fond. Ils ne sont que 5 à vouloir cesser toute relation diplomatique avec le Vatican.85
138En 1882, le débat sur l’abrogation du Concordat oppose les républicains modérés de Centre-gauche aux élus plus radicaux. Le choix de Marcère, comme représentant du 8e bureau, traduit la modération de la majorité des élus.
Marcère : « En France, une grande majorité suit la religion catholique. C’est pourquoi il est impossible de décider qu’il n’y aura plus de Concordat… Le pays n’accepterait pas la manière dont M. Paul Bert comprend l’application du Concordat. Il faut chercher à appliquer le Concordat de façon à ne pas mécontenter le pays, à ne pas laisser croire qu’on s’en veut faire une arme de persécution. Il y a une question à laquelle on ne peut échapper : le traitement des ecclésiastiques. C’est une question qu’il faut régler. »86
139Au sein de la Chambre, le clivage religieux n’oppose pas simplement les républicains aux conservateurs. Dans les rangs républicains, de subtiles oppositions contribuent à la dispersion des votes. Ce jour-là, parmi les membres du 8e bureau, les républicains modérés ne semblent pas si éloignés des positions du conservateur Plichon qui proteste contre les paroles provocatrices de Madier de Montjau affirmant que, depuis 14 siècles, la société est l’esclave de l’Église et qu’elle s’est peu à peu émancipée.
140Néanmoins, malgré les propos horrifiés de Plichon, l’attitude d’une fraction des députés de Droite est plus pragmatique. Plus les années passent, et plus l’hypothèse d’un retour à une monarchie garantissant la paix tant extérieure qu’intérieure s’éloigne.
141Or, la vie économique a besoin de stabilité politique pour prospérer ! Lepoutre est de ces catholiques dont le cheminement intellectuel annonce l’imminence du Ralliement. Fervent catholique, il contribue généreusement au fonctionnement des établissements scolaires catholiques. Lorsque l’école des Carmélites est laïcisée, il donne asile dans son usine aux 22 religieuses et aux 850 petites filles et leur fournit gratuitement les salles de classe, l’éclairage et le chauffage, jusqu’à l’inauguration des nouveaux locaux.
142Les élections de 1885 sont une victoire pour le camp conservateur. L’impopularité de l’expédition du Tonkin, la crise agricole et les embarras financiers du gouvernement, relayés par la presse, ainsi que le flot de brochures distribuées par les conservateurs ont créé les conditions de ce semi-échec républicain.87 Toutefois, malgré une réelle stratégie d’union, les conservateurs n’ont obtenu que 200 députés. Le succès est insuffisant pour un retour à la monarchie. Avec lucidité, Lepoutre estime que le revirement des électeurs exprime un mécontentement qui ne doit pas être interprété comme une adhésion à la monarchie. La France, fatiguée des révolutions, aspire au repos.
143En août 1886, le quotidien de référence, Le Temps, relate la tentative de rapprochement entre les modérés de la Chambre, tant à la gauche de l’Union des droites que dans la fraction la plus modérée des opportunistes.
144Cette initiative, pilotée par le député de l’Eure, Raoul Duval et par l’industriel nordiste Lepoutre, semble prématurée. Peu d’élus sont prêts à dépasser les traditionnels clivages et à opérer la jonction des centres.88 De plus, Raoul Duval qui a navigué entre le Centre-droit et le groupe de l’Appel au peuple, ne peut être considéré comme l’un des chefs de file du parti conservateur. Quant à Lepoutre, il est un parfait inconnu nouvellement élu.
145La démarche est suffisamment novatrice pour qu’on s’arrête sur les mobiles. Tous les conservateurs ne conspirent pas au renversement de la République. La volonté de « ces ouvriers de la dernière heure » est de respecter la forme du gouvernement en place mais de « reléguer les questions constitutionnelles au second plan pour aider au bien du pays et au relèvement de la France. »89
Lepoutre : « Les deux tiers des citoyens français sont absolument indifférents à la forme du gouvernement. Avant tout, ils veulent être bien gouvernés et travailler en paix. Ils ont l’horreur du changement et des révolutions, mais, s’ils voyaient la République gouverner mal et attaquer les vieux principes qui ont toujours servi à la base de la société, je crois bien qu’ils lui préféreraient la monarchie. »90
Raoul-Duval : « Je constate que dans nos professions de foi presque personne n’a mis en question la forme républicaine du gouvernement. [interruptions à droite] »91
146Cette finesse dans l’analyse des causes du succès conservateur de 1885 s’accompagne de deux certitudes. Aucun régime politique, depuis le Directoire, n’a atteint son vingtième anniversaire. L’imminence d’une restauration monarchique est improbable.
147Dès lors, Duval et Lepoutre proposent une plate-forme pour un rapprochement. Le projet a le mérite de la concision, de la clarté et de la volonté de pacifier les rapports entre parlementaires.
148Les deux élus dévoilent une ligne de conduite qui doit servir de cap intangible : respect de la famille et de la ns religieuses, liberté d’enseignement, rejet de l’impôt sur le capital ou le revenu, diminution propriété, maintien en l’état du budget des cultes, abandon du débat législatif sur les questiodes charges sur la propriété foncière, défense des intérêts des classes ouvrières et constitution d’une épargne ouvrière, sorties de grève négociées, maintien des dispenses militaires, libre choix de chaque député en matière économique, impartialité lors de la validation des élections de députés, représentation plus ou moins proportionnelle des groupes parlementaires dans les bureaux et les commissions…
149Le décès prématuré de Raoul-Duval freine la tentative de rapprochement et de concentration. Parmi les conservateurs du Nord, quelques-uns semblent prêts au vote sélectif de projets républicains dénués de sectarisme.
150Peu semblent toutefois prêts à soutenir Lepoutre dans sa détermination. Maurice dément dans les colonnes de L’Univers l’information du quotidien Le Progrès du Nord,92 selon laquelle il aurait rejoint le groupe Duval-Lepoutre.93
Maurice : « Je n’aime pas beaucoup les groupes. Il n’y en a que trop à la Chambre et la discipline qu’ils imposent à leurs membres a été souvent la cause de votes regrettables… Les électeurs du Nord ont voulu des défenseurs énergiques et indépendants… Une alliance trop étroite avec M. Raoul Duval, le seul adversaire que les intérêts économiques du Nord rencontrent dans la Droite, me semblerait pleine de dangers. Aller à lui en abandonnant mes amis MM. Plichon, des Rotours, Legrand, ce serait faire faute route et faillir au mandat qui m’a été confié. »94
151Maurice se réclame des leaders historiques de la Droite nordiste, Plichon et des Rotours. Leu méfiance à l’égard de Raoul-Duval, petit-fils de J.-B. Say, protestant et libre-échangiste notoire, contribue à faire échouer le rapprochement.
152Mais Plichon, leader de la Droite nordiste, peut sembler tout aussi soucieux de transiger avec les républicains modérés. Un rapport de police signale une entrevue de Plichon avec le président Grévy en mai 1887. Le rapport est explicite mais sa teneur est soumise aux réserves d’usage. Plichon, mandaté par la Droite royaliste, aurait promis de soutenir une combinaison ministérielle « à la tête de laquelle serait M. Ferry ou tout autre que M. Ferry inspirerait. »95
153L’informateur précise que Plichon, qualifié de « porte-parole du Comte de Paris » aurait rencontré Ferry avant sa rencontre avec Grévy. Dans l’esprit de l’informateur, de tels agissements ne peuvent se comprendre qu’à la lumière du pacte passé entre Ferry et la Droite pour éviter la mise en accusation du président du conseil, voulue par Clemenceau, lors de la chute du ministère, en mars 1885.
154Au Sénat, certains épisodes de la loi municipale agitent et éclairent la question religieuse. Si le débat est âpre, les sénateurs n’en réussissent pas moins à résoudre divers problèmes épineux pour qui devine les mentalités rurales du XIXe siècle. Dans le texte, préfets et évêques obtiennent un égal droit de décision sur les sonneries religieuses. Le sénateur clérical Chesnelong ouvre pour maintenir l’ancienne législation du 18 germinal an X sur la propriété des cloches, en tant que mobilier dévolu aux fabriques d’églises. L’amendement est repoussé par 165 voix. Le ralliement de Wallon à la fraction cléricale se confirme. L’abstention de Corne mérite d’être signalée.
155Le maire devient dépositaire d’une clé de l’église et du clocher. L’amendement du Centre-gauche Saint-Vallier vise à ne donner la clé des bâtiments et du clocher qu’en cas de réquisition du maire. La minorité favorable à cet amendement clérical est confortée par l’adhésion de Corne et Wallon.
156Sur les questions religieuses, l’alliance sénatoriale de la droite et de modérés, tels Wallon ou Corne, est fréquente. Tout se passe comme si le soutien centriste aux républicains devenait caduc, la défense des intérêts catholiques primant sur toute autre considération.
157Cette assertion vaut pour le catholique Wallon mais peut être relativisée dans le cas de Corne, ennemi des fanatismes, qui ne peut être considéré comme un catholique ultramontain. Il faut alors admettre que les positions de ce dernier, modérées et pragmatiques, visent à limiter la fracture idéologique qui oppose catholiques conservateurs et sénateurs républicains. Que les clés et les cloches des églises puissent participer de la lutte pour la primauté préfectorale, épiscopale ou majorale, tout cela relève d’un combat stérile et dangereux. Corne se range alors en faveur des usages et traditions, position qui profite à la minorité conservatrice.96
158La participation des nordistes à l’action laïcisatrice de la majorité républicaine est contrastée. Pour la Droite, la laïcisation est un héritage de la Révolution française devenue centralisatrice et jacobine, donc mauvaise. La fréquente captation des voix des élus modérés traduit le glissement droitier des sensibilités nordistes.
159Pour les républicains locaux, la bataille n’est pas définitivement gagnée. Les résultats électoraux prouvent que l’électorat peine à se reconnaître dans l’élite républicaine laïcisatrice. Quant à cette élite, elle accueille avec méfiance la politique de la main tendue inaugurée par Lepoutre et quelques autres. Lecomte insiste sur les ambiguïtés de cette stratégie : Duval, Lepoutre, « ouvriers de la dernière heure », veulent faire triompher des idées qui ne sont pas forcément républicaines, simplement en respectant la légalité des institutions mises en place par les républicains.
160Dans le Nord, les partielles et les sénatoriales ne renouvellent pas l’ardeur républicaine. Les nouveaux sénateurs républicains pantouflent. Les députés républicains sont des habitués de la politique. Quant aux élus boulangistes, ils augurent d’un glissement « radical » de l’électorat vers le système plébiscitaire.
Le débat constitutionnel
161L’implication des nordistes dans la mise en place des rouages institutionnels et démocratiques est tout aussi contrastée. Les républicains nordistes œuvrent principalement à l’organisation des rouages politiques communaux. Sur ce sujet et sur les questions constitutionnelles, la Droite et le Centre-Gauche occupent l’essentiel de l’espace politique. Ce n’est qu’au paroxysme de la crise boulangiste qu’un timide sursaut républicain voit le jour.
Défendre l’héritage républicain attaqué sans relâche
162La décennie vit au rythme des débats sur les formes du régime. La République, désormais assise, n’est pourtant pas à l’abri d’un effondrement soudain. Lorsque, le 17 décembre 1885, les députés radicaux Paul Bert, Cantagrel et Tony Révillon déposent une proposition tendant à accorder des pensions viagères aux survivants des blessés de février 1848 et à leurs ascendants, veuves et orphelins, rien ne laissait présager que les nouveaux élus nordistes puissent s’enflammer à ce point.
163C’est pourtant à une réelle mobilisation qu’on assiste. Lefèvre-Pontalis assène que le projet est un mauvais exemple à donner à l’armée et qu’il porte atteinte à la moralité politique et à la République. Plichon, considéré par certains, en 1885, comme candidat potentiel à la présidence de la république, opposable à Grévy,97 sort de son habituelle réserve pour faire l’éloge du gouvernement de Louis-Philippe.
Plichon : « Si Louis-Philippe avait voulu se défendre, la Révolution n’aurait pas triomphé ; celle-ci n’a donc été qu’une surprise. »98
164Ces propos soulèvent un tollé républicain qui associe 1848 et conquête du suffrage universel.99 A la tribune, Des Rotours, Legrand de Lecelles et l’omniprésent Lefèvre-Pontalis se succèdent tout au long des débats, soutenus par les interruptions de Maurice, et s’évertuent à déplacer la question vers des thèmes d’actualité.
165Des Rotours, trop jeune pour avoir vécu les événements de 1848, dénonce, non sans provocation, le vote à l’improviste d’une dépense de 4 millions de fr. de capital, incompatible avec un retour à l’équilibre budgétaire,100 « sur la voie des économies et du bon ordre dans les finances. » Très provocateur, il dénonce une mesure clientéliste et compare les élites républicaines aux patriciens romains.
Des Rotours : « A Rome, quand un chef de parti ou un chef d’État arrivait au pouvoir, il estimait que son devoir était d’enrichir sa clientèle. Il donnait à ses clients le droit de piller impunément les provinces conquises. Il leur accordait, sous toutes les formes, des gratifications. »101
166L’attaque fait mouche. Le rapporteur Maurice-Faure, agacé, réplique vertement, qu’au titre des économies, il faudrait supprimer le budget des Cultes.
167L’intervention de Legrand de Lecelles est révélatrice du rapport que les élus de Droite entretiennent avec le passé de la France, cette époque glorieuse, cet âge d’or. Homme du passé, puisant ses convictions dans ce passé révolu, il ne peut que s’opposer à « cette prime à l’insurrection. »
168À l’inverse, un élu comme P. Legrand revendique haut et fort l’héritage de la Révolution française. La démolition des ruines des Tuileries lui vaut de participer au débat sur le projet de concours relatif à la construction d’un monument commémoratif de la Révolution française. Legrand propose la construction d’un bâtiment dans lequel seraient installés la Chambre et le Sénat, plaçant le pays tout entier sous l’invocation de cette grande date.102
169Indépendamment de réels mais rares moments de communion, le régime républicain demeure fragile. Durant la législature 1885-89, les atermoiements et les contradictions déstabilisent une partie de l’électorat déjà désabusé. L’activité parlementaire est brouillonne, inconséquente et n’est pas à un paradoxe près. Les majorités ministérielles de circonstance et les défections fréquentes lors de scrutins importants compliquent la lecture du jeu politique. De l’avis de contemporains, la Chambre est ingouvernable. Maurice stigmatise les votes contradictoires lors de la mise en place des droits protecteurs agricoles.
Maurice : « Est-ce que vous vous imaginez que les électeurs seront plus disposés à accorder leur confiance à la Chambre quand ils la verront voter un droit le mardi et le détruire le jeudi ; quand ils la voient comme à la dernière séance, voter des vacances jusqu’au 22 mai à quatre heures et demie, et se déjuger à cinq heures moins un quart par un autre vote. Est-ce que vous croyez que ces tergiversations sont de nature à rendre à la Chambre de l’autorité et du prestige dans ce pays ? »103
170Le développement de la presse et la diffusion de pamphlets virulents favorisent une vague sans précédent d’antiparlementarisme, tant à Paris qu’en province. Cette vague dépasse largement la fraction lettrée et instruite de la société.
Faire évoluer les lois constitutionnelles et organiques
171En 1881, la Droite aspire à la stabilité des institutions. Elle se prononce en faveur du scrutin d’arrondissement, jugé plus favorable. Comme l’affirme plus tard Lefèvre-Pontalis, les conservateurs n’augurent rien de bon d’un changement brutal du système électoral.104
172Aussi, lorsque Gambetta, président du Conseil, demande, dès le début de la législature, la révision partielle de la constitution, pour rétablir le scrutin de liste et s’assurer de la confiance de la Chambre, beaucoup d’élus, y compris républicains, désapprouvent ce texte de pure tactique électorale, perçu comme un abus de pouvoir.
173La réforme s’amorce donc mal. Les bureaux chargés de composer la commission envoient 32 commissaires hostiles au texte. Parmi eux, les nordistes Marcère et Louis Legrand. Le premier considère même que le gouvernement commet une faute en proposant la révision. De fait, en prétendant écouter l’opinion, le gouvernement s’est coupé du Parlement. Dès lors, la majorité appelée à soutenir la révision ne se compose que de troupes disparates.
174Le 18 janvier 1882, Louis Legrand affiche ses préférences et propose de retirer de la Constitution les éléments portant sur la loi électorale.
Louis Legrand : « Ancien partisan du scrutin d’arrondissement, je voterai le scrutin de liste à la fin de la législature, mais voter le scrutin de liste aujourd’hui serait dangereux. Discréditer notre mode électoral, c’est nous condamner à nous séparer. Il est impossible à la Chambre de survivre sans discrédit à son mode électoral. »105
175Quant à Cirier, il estime que les deux Chambres doivent être préalablement d’accord sur la teneur des textes soumis à la révision.106 Mais, fidèle à son engagement électoral, il est partisan d’une modification mesurée de la loi électorale sénatoriale, en un sens plus favorable aux républicains.107 Il dénonce les sénateurs et les magistrats monarchistes qui entravent les réformes législatives républicaines.
176Le Centre-gauche Marcère est encore plus réticent.
Marcère : « Je crois que le gouvernement a fait une faute en proposant la révision. Je ne crois pas qu’il y ait utilité pour la République à ce que cette grave affaire fût mise en mouvement… Le devoir du commissaire sera de maintenir le Congrès dans des limites fixées à l’avance. Sur le scrutin de liste, mon opinion est nette. Je n’accepte pas qu’il figure dans la Constitution. Une des raisons est une réponse du Président du conseil. Le scrutin de liste n’est pas une perfection. Demain, il se peut qu’on trouve un système meilleur. »108
177Une pesante ambiance de crise est palpable.109 Louis Legrand, jeune et brillant élu, proche de Ferry, n’est pas prêt aux concessions. L’initiative qu’il prend de concert avec Goblet de convoquer les républicains en une réunion extraparlementaire pour coordonner l’action de la majorité est très mal accueillie par les amis du président du conseil.110 Le débat devient encore plus tendu lorsque Legrand, l’ami « complaisant » de Jules Ferry,111 intervient à la tribune.
Louis Legrand : « J’ai le désir très sincère de rendre cet appel aussi déférent que cordial, et, si une parole quelconque pouvait m’échapper qui trahit ma pensée, je la désavoue La majorité républicaine et le Gouvernement ont le malheur d’être divisés sur cette question…. Nous avons le devoir d’éviter tout ce qui peut envenimer le débat… ce langage de conciliation… »112
178Il serait difficile de faire preuve de plus de diplomatie ! Legrand exclut d’emblée la révision illimitée que refuse la majorité des députés. La Constitution de 1875 ne doit pas être bouleversée de fond en comble. Le projet gouvernemental « très large, assez peu limitée »113 est préoccupant. Quand on aborde des sujets aussi importants que le suffrage universel, les attributions, le mode de nomination ou la composition du Sénat, on peut aboutir aux solutions les plus imprévues. La chambre de 1877-81 ne s’est pas prononcée clairement pour le scrutin de liste.114 Elle a refusé l’introduction dans la Constitution de toute loi électorale qui fluctuerait au gré des circonstances. En 1881, la question n’étant pas posée, les électeurs n’ont donc pu se prononcer.
179Legrand veut faire retirer de la constitution la loi de 1875 sur l’élection des sénateurs. Simultanément, il s’oppose à l’inscription de la loi électorale de la Chambre dans la Constitution. La démarche est à l’opposé des thèses gouvernementales.
180Legrand veut un Congrès bref, limité au vote de questions simples et claires. Les réformes doivent être entreprises, plus tard, après mûres réflexions. Il fait aussi remarquer que la déclaration gouvernementale du 15 novembre 1881 ne contient aucune allusion à une réforme électorale de la Chambre qui surgit « comme d’une boîte à surprises. »115 Plus pugnace, il accuse : il y a contradiction à dire que le système électoral est mauvais, à vouloir en changer le mode, et à conserver les députés en poste. L’inéluctable alternative consiste à choisir entre une lamentable dissolution et un insoutenable discrédit.
181Le reste est dit avec fermeté. Autant sur la révision limitée, un arrangement est possible, « autant sur le scrutin de liste, l’entente n’est pas possible. »116 Si la Chambre cède sur le premier point, le gouvernement se doit de reculer sur le scrutin de liste pour que l’accord soit réalisé. Les députés ont accordé leur confiance pleine et entière au ministère Gambetta. La révision constitutionnelle n’a pas à se transformer en vote de confiance.
Louis Legrand : « Je résume ainsi la proposition qui nous est faite par le Gouvernement : « Vous allez vous suicider ou je me suicide. » Cette proposition n’est pas admissible…. À cette proposition du ministère, j’en oppose une autre. Je lui dis : Ne nous suicidons ni les uns ni les autres ; ajournez votre scrutin de liste et vivons en bonne intelligence, en bon accord, en meilleur accord que nous ne l’avons fait jusqu’ici. »117
182La révision intégrale de la Constitution, voulue par les radicaux Barodet, Lockroy et Roque de Fillol, est repoussée par 290 voix.118 Brame, fidèle à la fibre bonapartiste familiale, est le seul nordiste à soutenir la mesure.119
183L’ensemble du projet de résolution de la commission est adopté par 257 voix.5 Les abstentions sont nombreuses. Beaucoup de républicains nordistes, en proie au désarroi – y compris Masure, réputé proche de Gambetta – se réfugient dans l’abstention. Gambetta trouve ses soutiens dans les rangs de la Droite et dans les voix des républicains Girard, Giroud et Outters.
184Trois républicains nordistes contribuent à la chute du Grand Ministère. La coalition, plutôt disparate, comprend le républicain opportuniste Louis Legrand, le Centre-Gauche Marcère et le dunkerquois Trystram, proche de la gauche radicale. La notoriété de Louis Legrand grandit. Son rôle dans la chute de Gambetta le fait sortir de l’anonymat.
185À la fin de la législature, Constans dépose un nouveau texte qui rétablit le scrutin d’arrondissement et agite peu le microcosme nordiste.120 La Droite et le radical Giard s’associent pour rejeter cette réforme électorale.121
186Le nombre de sièges de la future assemblée étant proportionnel au nombre d’électeurs, le Sénat décide de décompter les étrangers pour restreindre le nombre des députés susceptibles de voter lors des Congrès de révision.122 Si les sénateurs républicains du Nord votent en ce sens,123 les républicains Testelin et Faidherbe, étonnamment associés à la droite la plus cléricale, s’y opposent.
187À la Chambre, Lecomte développe son argumentation. En son temps, la France n’a pas refusé le sang des volontaires belges qui ont combattu, durant la guerre de 1870, à Pont-Noyelles ou à Bapaume. Le Parlement ne peut refuser de comptabiliser les étrangers alors qu’il intègre les repris de justice, banqueroutiers et aliénés. Il ne peut intégrer les étrangers pour les municipales et sénatoriales et les soustraire lors des législatives. Ou bien, les étrangers sont une force pour le pays, ou alors ils sont un fardeau. Les propos sont proches des thèses de l’Extrême-gauche. Clemenceau qui intervient juste après Lecomte ne peut que souscrire à de tels propos.124 Les députés entérinent néanmoins l’exclusion des étrangers.125
188La modification constitutionnelle occupe une large place dans les débats législatifs. La question des pouvoirs limités ou illimités du Congrès est posée pendant de longs mois. Le ministère Ferry penche pour une « révision minimale ». Il propose de modifier 4 séries d’articles qui touchent à l’organisation des pouvoirs publics en matière de révision, à la loi électorale sénatoriale, aux pouvoirs et attributions budgétaires des deux chambres ainsi qu’à la suppression des prières publiques.
189Dès la réunion des bureaux, le radical Giard estime que le Congrès n’a aucun pouvoir constituant mais il laisse audit Congrès le soin de trancher la question.126 P. Legrand est appelé à siéger en commission.
190Le contre-projet de Goblet qui propose une révision indicative est rejeté.127 L’amendement du républicain Lavergne, favorable à un Sénat élu au suffrage direct, est également rejeté.128 La Droite et la gauche radicale nordistes, dans une coalition des extrêmes, soutiennent deux amendements favorables au pouvoir illimité du Congrès.
191Rivet, Floquet et Raoul Duval demandent la suppression du droit de dissolution accordé au Sénat, malgré l’opposition du président du conseil Ferry. Ce texte est également repoussé.129 Dans le Nord, les avis sont partagés et ne respectent pas les clivages partisans. Dans les rangs conservateurs, on observe quelques flottements : Bergerot et Plichon s’abstiennent. Les républicains Girard et Lecomte font cause commune avec la gauche radicale.
192L’ensemble du projet est confortablement adopté par 403 voix.130 Tant sur le plan national que départemental, à l’union retrouvée des républicains répond la traditionnelle opposition des conservateurs. Outters demeure un électron libre. Le désir de plaire aux électeurs flamands, la méconnaissance des stratégies partisanes, l’hésitation à trancher clairement entre le Centre-gauche et l’opportunisme, ainsi qu’une sensibilité catholique qu’on peut supposer sincère sont autant de paramètres dont l’incidence ne fait guère de doute.
193Tandis qu’une partie de la Chambre critiquait le caractère trop limité de la réforme, le Sénat, méfiant, lui reproche son caractère insuffisamment limité. Au sein de la commission, les sénateurs Wallon et Marcère fixent comme préalable à toute réforme, l’obtention de garanties sérieuses pour la survie de la Haute assemblée.131
194Wallon revendique clairement la paternité de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 sur l’organisation des pouvoirs publics. La loi qu’il a rédigé est foncièrement républicaine. Il n’y a ni visée monarchiste ni embûche cachée derrière les termes du texte. Un seul article aurait pu prétendre à de tels reproches et concerne l’art. 2, « pierre angulaire de la Constitution », celui qui définit le rôle du président de la République ; mais il n’est pas soumis à révision.
Wallon : « La France, en effet, n’a pas traversé 14 siècles de monarchie sans attacher un intérêt tout particulier à la stabilité du pouvoir exécutif… Un président nommé pour 7 ans et rééligible ; la loi lui donne la durée d’un règne et les pouvoirs d’un roi ! Mais c’est je crois le plus grand service qu’on ait pu rendre à la République. »132
195La conception de Wallon est celle d’un président de la République, au mandat inscrit dans la durée, suffisamment fort pour garantir l’indépendance et l’harmonie des rapports entre les chambres du Parlement. Le caractère consensuel de l’article constitutionnel permet un changement présidentiel sans troubles ni agitations. En France, dit-il, l’élection du président de la République fait moins de bruit qu’un remaniement ministériel.
196Wallon défend l’idée d’une Chambre des députés non souveraine, ce qui implique que les deux chambres aient l’initiative commune des lois. En décembre 1884, interrompant un Ferry visiblement agacé, il affirme que les deux chambres se contrôlent réciproquement et que le Sénat n’est pas une simple chambre de contrôle ou d’enregistrement.133 Il faut, en cas de conflit, qu’on puisse faire appel à la Nation. Dès lors, le Sénat dispose, pour avis conforme et conjointement avec le président de la République, du droit de dissolution.
Wallon : « Ce droit n’est pas un privilège pour le Sénat, mais une garantie pour la Chambre des députés. »134
197La révision doit être limitée, dit-il, car le Congrès n’est pas une assemblée constituante. Ses pouvoirs sont limités par le mandat qui lui est donné. À l’intérieur du Congrès, le faible nombre des sénateurs ne leur permet pas de discuter à armes égales et plaide donc en faveur de la révision limitée.
Wallon : « Comment veut-on que des questions qui touchent l’existence même du Sénat, son organisation, ses attributions, soient résolues souverainement dans une assemblée où le Sénat ira les discuter à deux contre un… Ce n’est pas à Versailles, c’est dans les arènes de Nîmes qu’il faudrait aller pour donner le spectacle d’un tel égorgement. »135
198L’élection du Sénat au suffrage direct, signifierait, à court terme, la mort d’une assemblée désignée par les mêmes électeurs que ceux de la Chambre des députés. Wallon s’étonne également de l’ardent souhait de tant de députés à devenir sénateurs, surtout si la Chambre Haute est dépourvue de la moindre légitimité.
199La conception de Wallon est à l’antipode de celle du député républicain Masure qui réclame purement et simplement l’abolition de la Chambre Haute.136
200Pour Wallon, l’art. 8 sur l’élaboration des lois doit également demeurer intangible. La Constitution accorde concurremment aux deux Chambres l’initiative et la confection des lois. Il est suffisant que les députés disposent déjà de droits supérieurs en discutant et en votant prioritairement le budget de l’État. Modifier ce droit conjoint, c’est abolir une prérogative constitutionnelle du Sénat.
201Enfin, Wallon accepte, mais à regret, l’abandon des prières publiques, tout en revendiquant un catholicisme militant.
Wallon : « Mais je ne regrette pas moins ce qu’on se propose de faire, parce que j’y vois une sorte d’abjuration. Si l’article est révisé, je ne vois pas pourquoi on n’irait pas plus loin. C’est moi, ministre des cultes en 1875, qui ai invité les évêques à faire chanter, dans les églises, Domine salvam fac rempublicam… »137
202Wallon, « père de la Constitution » accepte mal qu’on modifie son œuvre. On ne peut s’empêcher de penser que son attitude, empreinte de nostalgie pour le passé, réclamant un exécutif renforcé, un égal pouvoir des Chambres, et le maintien des droits et privilèges cléricaux, est en même temps très moderne quand il prône le rapprochement entre la fraction républicaine la plus modérée et la fraction la plus novatrice de la droite catholique, ces deux sensibilités s’accordant à affirmer que le catholicisme est soluble dans la République !
203Les trois-quarts des sénateurs sont élus, par les départements et les colonies, au suffrage universel à deux degrés. Le dernier quart, celui des inamovibles, élu à l’origine par l’Assemblée nationale, est depuis élu à vie par le Sénat lui-même.
204Marcère intervient aussi au nom des sénateurs hostiles à la révision et se désolidarise de son ami Léon Say, également du Centre Gauche, qui se résout, du bout des lèvres, à accepter l’élection du Sénat au suffrage universel. L’application de la stricte proportionnalité est, dit-il, impossible. Le thème de l’infériorité numérique est récurrent. Bien plus, à ses yeux, le texte consacre l’amoindrissement des prérogatives du Sénat, seul pouvoir permanent, « émanation d’entités vivantes et vivaces »,138 apte à garantir la stabilité du régime face à la mobilité des institutions.
205La spécificité du recrutement est loin d’être antidémocratique, dit-il, puisque le Sénat est l’émanation des pouvoirs communaux. L’actuel fonctionnement n’a que des avantages. Son organisation doit demeurer inscrite dans la constitution pour demeurer à l’abri des pressions. Marcère refuse l’assemblée unique, sur le modèle de la Convention révolutionnaire, et nie, comme Wallon, le désir révisionniste des électeurs.
206Le sort des inamovibles n’est pas évoqué explicitement. Pourtant on le sent bien présent tout au long de la démonstration. Tout doit rester en l’état. Dès lors, le recrutement des inamovibles pourra se poursuivre.
207L’amendement du républicain Demôle suppose la révision de l’art. 1er de la loi constitutionnelle sur le recrutement des sénateurs. Malgré la persistante opposition de Marcère qui plaide en faveur de l’inamovibilité de ce pouvoir à « caractère permanent qui garantit la sécurité et la grandeur du pays »,139 l’amendement est adopté, à une large majorité. Le Sénat adopte ensuite la révision des art. 1 à 7.140 Dans le camp nordiste, le clivage dépasse les sensibilités partisanes. À l’exclusion du seul Testelin, les 6 autres inamovibles font bloc contre la révision. Les sénateurs soumis à réélection, tous républicains, approuvent le projet.
208L’art. 8 sur l’élaboration des lois et les attributions financières des assemblées est autrement plus épineux. Faute de consensus, l’article est retiré des matières à révision.
209Le projet retourne à la Chambre. Le conservateur Jonglez et le républicain Trystram optent pour le scrutin de liste. Si Jonglez réclame un scrutin de liste ouvert aux seuls députés, conseillers généraux, conseillers d’arrondissement et conseillers municipaux, Trystram demande le suffrage direct et universel.141
210Les députés optent alors pour le caractère limité de la révision. L’amendement du bonapartiste Jolibois et du radical Lockroy, favorable à une révision d’ampleur, est repoussé par 273 voix.142 Localement, ne s’y associent que la Droite nordiste et les deux députés les plus radicaux, Giard et Trystram.
211Le 8 décembre 1884, l’organisation du Sénat et des élections sénatoriales permettent, une fois de plus, à Wallon de contrer « l’étrange théorie »143 du Président du Conseil, accusé de proférer habituellement « des choses bien énormes. »144 Wallon semble peu apprécier Ferry à qui il reproche une politique scolaire partisane.
212Deux jours auparavant, Ferry s’était en effet félicité des circonstances qui avaient permis « qu’une institution inventée, imaginée et dressée contre elle par des ennemis implacables, devînt son plus ferme appui. » Il avait aussi développé l’idée d’une Sénat subordonné, se contentant de contrôler l’action de la Chambre.
213Wallon, auteur exclusif du célèbre amendement, piqué au vif par les propos de Ferry, refuse qu’on doute de sa sincérité républicaine.
Wallon : « Je n’ai pas aidé à l’établissement de la République, mais j’ai pu aider à la constituer. D’autres qui ont le droit de se dire plus républicains que moi, pourraient bien de leur côté, à voir la marche des choses, travailler davantage à la ruiner et à la détruire. [approbation à droite.] »145
214Aux yeux de Wallon, venu brûler une dernière cartouche en faveur des inamovibles, la vision de Ferry entraîne la disparition du Sénat au profit d’une assemblée unique.
215Poursuivant sa leçon de droit politique et constitutionnel, il affirme que le président du Conseil ne lui « a pas paru bien comprendre le système des deux Chambres »,146 fondé sur le principe suivant : pour modifier la loi, il faut avoir deux fois raison. Lorsqu’un texte fait l’objet de votes divergents, c’est l’assemblée à l’initiative du texte qui doit faire preuve de souplesse.
216Le vote de l’extinction de l’inamovibilité a été, dit-il, un acte de faiblesse. La disparition du délégué sénatorial unique, et l’augmentation du nombre des délégués sénatoriaux issus des communes les plus peuplées sont suspectes car fondées sur une proportionnalité qui peut fluctuer selon les intentions plus ou moins avouables des auteurs du projet.
217La réponse du président du conseil est très modérée. Il n’a pas voulu blesser l’honorable sénateur et reconnaît les services qu’il a rendus à la République. Il s’efforce de rassurer les sénateurs sur l’avenir de leur assemblée, qualifiée de « meilleur soutien de la République parlementaire. »147
218À l’orée du débat constitutionnel, la question des incompatibilités parlementaires exacerbe les incompréhensions entre députés et sénateurs. En 1883, les sénateurs optent, dans la loi de réorganisation de la magistrature, pour le cumul des fonctions judiciaires avec le mandat législatif. De plus, si le cumul du mandat de député avec un emploi public n’est presque jamais autorisé, le cumul est davantage possible dans les rangs sénatoriaux.
219Le contre-projet du républicain Lelièvre, alternatif au projet gouvernemental, œuvre hétéroclite faite de bric et de broc, aux dires d’André Daniel,148 énumère en vrac un ensemble de motifs d’incompatibilités parlementaires opposables tant aux députés qu’aux sénateurs.
220En 1884, le Sénat surenchérit et durcit encore le texte, interdisant à l’élu démissionnaire d’exercer, pendant 12 mois, une fonction publique salariée. Le parlementaire battu est autorisé à reprendre son poste après un délai de 6 mois.
221En décembre 1884, Testelin fait partie des modérés qui obtiennent la non-rétroactivité de la loi.149 Mais, malgré une ironie mordante, il ne convainc pas ses collègues de supprimer le délai entre la fin de mandat et la reprise d’une fonction publique.
Testelin : « Il paraît que les microbes de la corruption qui règnent dans les Assemblées sont six ou douze fois plus terribles que ceux des autres maladies épidémiques ; car les plus habiles docteurs pour les maladies contagieuses ont demandé comme maximum une quarantaine d’un mois ; et vous, vous demandez six mois ou un an. [rires] Je vous ferai, en outre remarquer qu’alors qu’on établit des quarantaines, on fait des lazarets. Or, vous avez oublié de faire des lazarets pour y mettre les membres sortants, afin qu’ils purgent leur quarantaine avant de rentrer dans le droit commun. »150
222Le vote sénatorial sur l’ensemble du projet est conforme aux clivages usuels. Si Corne s’associe aux républicains pour voter le projet, Wallon et Marcère s’abstiennent.151
223Le projet constitutionnel enfin cadenassé, députés et sénateurs, libérés de leurs craintes, se rallient au mot d’ordre suivant : « Le Congrès sera une simple chambre d’enregistrement ou alors il ne sera point. » Le Congrès de révision, certes houleux, ne réserve aucune surprise majeure.
224Le 1er décembre 1887, au Sénat, tandis que le ministère Rouvier est à son crépuscule, Marcère, déjà acteur en 1879 de la démission de MacMahon, est chargé de demander si le ministère conserve ses fonctions et s’il est en mesure de donner au Parlement la garantie de l’ordre et des libertés constitutionnelles.152
225Cet épisode est le dernier acte du drame qui s’est noué durant les jours précédant la démission de Grévy. Faute de majorité, Goblet a décliné toute investiture à la présidence du conseil. Aux dires de Lavergne, une combinaison de Centre-gauche, Christophle, Marcère et Bardoux avorte également, en l’absence de majorité.153 Marcère tire les conséquences de cet échec et opte pour l’accélération du processus de démission. La contribution de Marcère au départ de Grévy prouve que l’élu nordiste demeure influent et participe toujours aux tractations menées en coulisses.
226Marcère est l’un des rares nordistes, républicain bon teint des années « quatre-vingts », à privilégier l’action politique pure à la discussion des questions économiques. Ceci est d’autant plus étonnant que son influence dans les milieux d’affaires est un secret de Polichinelle.
L’expulsion des familles régnantes
227Si la jeune République a su résister aux assauts de la Droite, elle n’en demeure pas moins sujette à des crises d’anxiété que suscite la rémanence des idéaux monarchistes ou impérialistes. Beaucoup d’électeurs ont connu nombre de régimes et on peut encore rencontrer des survivants de l’épopée napoléonienne.
228Le 16 janvier 1883, Jérôme Bonaparte fait afficher, sur les murs de Paris, un manifeste qui provoque l’émoi des élus. Dès le 19, le Gouvernement dépose un projet autorisant, le cas échéant, l’expulsion des membres des ex-familles régnantes dont la présence compromet la sûreté de l’État.
229Le Parlement n’est pas en reste. La proposition Floquet exige l’expulsion immédiate. Le texte des radicaux Ballue et Lockroy radie les princes des cadres de l’armée. Le texte du député de la Gauche radicale Fabre, plus modéré, prive les princes de leurs seuls droits politiques et les rend inéligibles.
230Durant ces événements, si les péripéties de la démission du président du conseil Duclerc et de son ministre de la Guerre, le général Billot, demeurent un peu mystérieuses, elles n’en sont pas moins la conséquence de la rupture de la cohésion gouvernementale sur l’attitude à adopter. Dès le lendemain, Fallières remplace Duclerc et conserve les mêmes ministres.
231Girard se prononce en faveur de la proposition Floquet. La démocratie est fragile. L’ostracisme envers les anciennes familles régnantes est le meilleur rempart. « Les populations rurales ne s’attachent qu’à un gouvernement fort qui ne se laisse pas bafouer. »154 Girard, élu urbain, associe dans un même rejet populations rurales et bonapartisme, affirmant qu’on ne peut asseoir le régime républicain sur les votes ruraux.
232L’attitude de Marcère diverge. Celui-ci se dit prêt à adopter la proposition Floquet s’il est prouvé que les princes d’Orléans ont commencé à œuvrer au rétablissement de la monarchie. Dans le cas contraire, l’inutile expulsion serait un ferment supplémentaire de division.
Marcère : « La seule force d’un gouvernement c’est l’opinion publique ; ne vous l’aliénez pas. Les gouvernements n’ont jamais sombré que sous leurs propres fautes. Vous voulez enlever des grades à des officiers, vous allez heurter le sentiment de l’armée… Est-ce que nous ne sommes pas les héritiers de nos devanciers ? Vous voulez changer de politique à propos de chimères. Le danger n’existe pas, prenez garde de ne pas le créer. »155
233Les propositions des radicaux Floquet156 et Ballue157 sont repoussées sans ambiguïté. Une confortable majorité de 355 députés adopte le projet gouvernemental.158 Dans les rangs nordistes, se dessine une recomposition de circonstance. Masure se rapproche des députés les plus radicaux. La Droite et la plupart des opportunistes forment une éphémère alliance pour contrer les deux textes.
234Le Sénat est hostile à l’expulsion des princes même si Testelin redoute au plus haut point les risques d’insurrection ou d’émeute. Le sénateur du Nord croit en un complot royaliste et craint la manipulation des masses populaires. Les masses ne croient qu’à la force, dit-il, n’ont pas l’intelligence et l’instruction nécessaires pour bien juger et s’alarment facilement. Le danger collectiviste est moindre que le péril monarchiste en raison de l’infime minorité du premier groupe. Testelin évoque un article de presse dans lequel les ouvriers métallurgistes lillois envisagent de repousser par la force les préparatifs de coup de main monarchiste. Le sénateur développe plusieurs scénarios opposant les monarchistes aux collectivistes et anarchistes ou alors les républicains aux royalistes.159
235Après de multiples péripéties, le gouvernement refuse l’amendement Say qui subordonne toute expulsion à un jugement en cour d’assises et donc au verdict du jury populaire. Le gouvernement s’arc-boute sur l’incompétence d’un tel jury à statuer en matière politique. L’amendement Léon Say, cependant adopté par 158 voix,160 provoque la chute du ministère Fallières.
236Parmi les sénateurs nordistes, le Centre-gauche et les opportunistes apportent leur soutien à Léon Say. La Droite et le Centre-droit s’y refusent. Corne et Wallon ont une attitude plus ambiguë. À des préoccupations politiciennes se mêlent des convictions plus profondes, étrangères à tout soutien ou défiance à l’encontre de l’éphémère gouvernement Fallières.
237Le ministère Ferry qui succède se contente de mettre les princes d’Orléans en non-activité par retrait d’emploi.
238Les débats sur l’expulsion des princes attisent de nouveau les passions, durant la 4e législature. La fastueuse célébration du mariage de la fille du comte de Paris avec le prince héritier du Portugal en fournit le prétexte. Dans le camp conservateur, Bottieau, candidat pour siéger en commission, trouve l’expulsion injuste et inutile mais ne recueille que 10 voix sur 42 votants.161
239La discussion générale du projet met en scène le fringant ministre de la Guerre, le général Boulanger. André Daniel, dans L’année politique 1886, constate que jamais autant de députés n’avaient assisté à la séance. Les députés se rallient à l’amendement de l’avocat radical Brousse qui ordonne l’expulsion immédiate des chefs de familles princières et de leurs héritiers. Les ministres de la guerre et de la marine décident de rayer définitivement des contrôles militaires les princes mis en disponibilité. Le duc d’Aumale publie une lettre de protestation qui lui vaut une expulsion immédiate.
240Le 13 juillet 1886, les députés conservateurs Keller, de Plazanet et Lefèvre-Pontalis interpellent le gouvernement sur les mesures prises à l’encontre des princes d’Orléans et de la famille Bonaparte. La Droite ne décolère pas et interrompt sans cesse le ministre :
Duc de La Rochefoucauld-Bisaccia : « Le duc d’Aumale vous a fait général »
Lefèvre-Pontalis : « Vous l’avez appelé « Altesse Royale ! ». »
Baudry d’Asson : « Vous l’appeliez « Monseigneur ! ». »162
241À l’exception du ministre et des interpellateurs, Martimprey est l’un des rares orateurs. Sa brève intervention relate le brillant parcours militaire du duc d’Aumale, cite ses décorations et insiste sur son courage durant la guerre de 1870. Lors du vote de clôture, toute la représentation conservatrice du Nord se dresse contre cet ordre du jour favorable au gouvernement.163
242À travers ces derniers épisodes, c’est toute l’ambiguïté des rapports entre la grande bourgeoisie et les différentes noblesses qui rejaillit. Politiquement, les élites bourgeoises prétendent leur succéder. Psychologiquement, elles leur vouent une vénération qui frise l’envoûtement. Rêvant d’alliances prestigieuses, elles jalousent, envient et demeurent captives du prestige du titre nobiliaire.
243Supprimer les titres nobiliaires, ce serait risquer d’attiser les antagonismes de classe, affirme le rapporteur Léon Maurice : le député d’Extrême Gauche Beauquier se fourvoie en déposant un texte qui punit d’amende quiconque en ferait état dans un acte officiel et qui sanctionne aussi le fonctionnaire qui en assurerait la transcription.
244Les titres nobiliaires font référence, dit-il, au passé glorieux de la France et au caractère exemplaire de générations d’illustres Français. Quant à ces titres, ils ne cernent plus les mouvances les plus réactionnaires de la société, puisqu’on trouve dorénavant des membres de l’ancienne noblesse indistinctement dans tous les rangs parlementaires.
245237 élus, dont toute la représentation nordiste mais aussi quelques républicains – et non des moindres, tels Jules et Albert Ferry, Deschanel, Casimir-Perier, Steeg ou Waldeck-Rousseau – adoptent les conclusions du rapport Maurice.
Dans la tourmente : lutter contre les menées boulangistes
246Le 30 mars 1888, les boulangistes Laguerre et Jolibois, le monarchiste Baudry d’Asson et le radical Pelletan déposent tous quatre des demandes de révision de la Constitution.
247Bien que Brisson, Rouvier et Goblet jugent l’heure inadéquate, les députés maintiennent leur stratégie. Les radicaux appellent de leurs vœux un ministère Floquet seul apte, selon eux, à combattre les menées boulangistes. Le président du conseil Tirard, qui s’oppose à la demande d’urgence, est désavoué.164
248Ce vote retentissant occasionne la chute du ministère. Il entérine aussi l’explosion de la cohésion des conservateurs nordistes. Les élus favorables à l’urgence font partie de la coalition « conservateurs/Extrême-gauche » qui censure le ministère et dans laquelle ne figure pas Trystram. Les députés Lepoutre, Lefèvre-Pontalis et Le Gavrian soutiennent le gouvernement, préfigurant un noyau d’élus prêts à se rallier à la République. Les cinq élus de Droite qui s’abstiennent refusent de voter la défiance, sans pour autant cautionner le gouvernement.
249Pourtant, dès le lendemain, une demande de nomination des membres de la commission chargée de la révision est rejetée.165 Les élus nordistes se répartissent de nouveau en trois groupes presque identiques. Les élus de Droite qui votent la proposition Cunéo d’Ornano, favorables à la révision, sont plutôt proches des thèses boulangistes.
250Le 12 juillet 1888, le général Boulanger dépose une proposition de résolution favorable à la dissolution de la Chambre. L’atmosphère est électrique. L’orateur peine à prononcer deux phrases sans être coupé.
251La dissolution immédiate, dit-il, doit permettre de pacifier les esprits, de ne pas interférer sur les célébrations du Centenaire et de l’Exposition universelle et de parvenir à mieux « qu’une majorité de hasard. ». Retarder les élections, c’est défier la patience du pays.
Boulanger : « Mon sentiment est que le plus tôt sera le mieux et que le mieux, tous délais observés, c’est tout de suite. [Très bien ! à droite et sur quelques bancs à gauche]. La chambre va se séparer pour quelques mois ; elle laisse en suspens une situation inquiétante et le Gouvernement n’a pu y puiser qu’un crédit contesté. [Exclamations]… La Chambre a dû se voter un calendrier spécial pour voiler d’un semblant de légalité son inexcusable in dolence.
Leydet : Comptez les séances où vous êtes venu vous-même ! »166
252Floquet, interrompu fréquemment, mais par les boulangistes, est tranchant, voire insultant. Le président du conseil condamne la stratégie du général, élu avec des voix républicaines mais applaudi par la Droite unanime. Des lithographies qui le représentent inondent la France et seraient imprimées en Allemagne. Boulanger, taxé d’être le valet des sacristies et des antichambres princières, est accusé d’être vendu à l’ennemi. Attaqué dans son honneur, il accuse alors Floquet d’être « un pion de collège mal élevé. »
Jules Méline, Président de la Chambre : « Dans une autre bouche que la vôtre, je ne tolérerais pas une pareille injure ; mais nous ne sommes plus avec vous dans le régime parlementaire et vous pouvez continuer. Le pays jugera…. »167
253La censure est prononcée contre Boulanger, tandis que celui-ci, très ironiquement, réclame la censure à l’encontre de Floquet. Boulanger, échouant à se faire entendre, dépose une lettre de démission préparée avant la séance et quitte l’hémicycle. Le Nord vient de perdre un député peu assidu mais dont les rares présences galvanisent les passions parlementaires. Floquet demande réparation de l’offense. Au cours du duel, le Président du conseil blesse le général.
254Le feuilleton boulangiste est connu. La participation des protagonistes nordistes l’est un peu moins. Le rôle prépondérant de Martimprey dans le rapprochement entre boulangistes et conservateurs a été évoqué par P. Levillain.168 Initiateur du projet, Martimprey ne répugne ni aux rencontres secrètes nocturnes et rocambolesques ni à l’élaboration de plans d’action tortueux. Fidèle lieutenant du baron de Mackau, il organise une rencontre secrète entre les deux hommes et participe aux manœuvres visant à exclure Ferry, le détesté, de la succession de Grévy.
Lyonnais : « Ce projet vient de votre ami personnel, M. Boulanger.
Mérillon : « Je ne sais si M. de Martimprey va dans son admiration pour cet honorable collègue jusqu’à approuver son projet…
Martimprey : Vous m’attribuez des amitiés et des inimitiés. Je ne vous croyais pas assez entré dans mes relations pour savoir avec qui je suis lié. »169
255Appelant de ses vœux l’élection de Freycinet à la présidence de la République, l’Union des droites rêve d’une combinaison Floquet/Boulanger, premier pas vers la dissolution de la Chambre, la révision de la constitution et la restauration monarchique. Mais Boulanger n’est pas le partenaire idéal. Le double jeu du général, ses insatiables besoins d’argent et ses tendances velléitaires compliquent l’association. En 1889, la Droite nordiste absout le général, refusant de voter les poursuites.
Lefèvre-Pontalis : « Il n’y a ni exécution, ni tentative, donc point d’attentat. »170
2561889 est aussi une année de déconvenues pour les conservateurs qui utilisent l’aura du général. L’instauration de la Haute cour de justice, l’interdiction des candidatures multiples et la restauration du scrutin d’arrondissement augurent mal de l’avenir.
257L’interdiction absolue des candidatures multiples est une mesure de rétorsion à l’encontre de la stratégie plébiscitaire des boulangistes. Au Sénat, Wallon, soutenu par Buffet, envisage que chaque candidat puisse se présenter dans 3 circonscriptions. L’orateur, clairement antiboulangiste, entend barrer la route à celui « qui ne cherche pas à entrer dans la Chambre, mais cherche à se mettre au-dessus. »171 Mais il veut aussi permettre au candidat malheureux ou au chef de parti fragilisé par ses prises de position hardies, d’être repêché par une circonscription plus bienveillante. Le rapporteur Casabianca, républicain modéré, obtient le rejet de l’amendement, au prétexte que les candidatures multiples sont « un véritable attentat à la souveraineté nationale. »172
258La mise en place de la Haute cour fait partie des armes les plus radicales utilisées contre Boulanger. Testelin préside, avec conviction, la commission sur l’organisation des pouvoirs judiciaires du Sénat transformé en Haute cour. Wallon obtient que les membres soient désignés, sans débat préalable. Il propose, par souci d’impartialité, le doublement des membres de la commission d’instruction ainsi que leur nomination pour 3 ans. Mais, le Sénat statue en faveur de 9 membres titulaires, renouvelés annuellement.173
259La nomination de Merlin à la présidence de la prestigieuse commission d’instruction et de mise en accusation de la Haute cour récompense un élu rigoureux et travailleur, authentiquement républicain, toujours pondéré dans ses prises de position. Peut-être a-t-on voulu clore ainsi l’épineuse question du départ des universités douaisiennes !
260Merlin et Testelin participent également à l’instruction du dossier de poursuites contre Naquet, seul sénateur ouvertement boulangiste et organisateur du rapprochement boulangiste avec la Ligue des patriotes.174
261Tout comme Testelin, Merlin est convaincu qu’il existe une conspiration pour renverser la République et que la Ligue des patriotes, en est l’un des instruments. À ses yeux, les poursuites sont nécessaires et justifiées.175
262Dans le 8e bureau, Buffet soutient que les art. 291, 292 et 293 du Code pénal, sur les associations illicites et sur la provocation à des crimes et délits réprimés par la loi, sont tombés en désuétude. Les avocats républicains Merlin et Chauveau, juge cette interprétation inacceptable. La nécessité de poursuites est amplement démontrée. Les articles existent toujours. Le moment est venu de les appliquer. Cette intervention claire lui vaut la confiance de la majorité des sénateurs. Buffet est écarté au profit de Merlin.176
263Le député Le Roy participe au travail en commission. La procédure est décortiquée avec une extrême minutie. Les conservateurs luttent pour réduire le risque de pressions républicaines. Favorable au scrutin secret, Le Roy demande également que l’instruction soit confiée au pouvoir judiciaire sous l’autorité du premier président de la Cour d’appel de Paris.177 Il se dit également favorable au tirage au sort des membres de la commission d’instruction et souhaite que leur nombre soit doublé pour que la minorité soit représentée. Il propose que les accusés puissent exercer un droit de récusation à l’encontre de parlementaires présumés inamicaux et que la condamnation soit prononcée à la majorité des deux tiers.
264En février 1889, alors que la menace boulangiste provoque des sueurs froides, les députés républicains se saisissent des projets et propositions de rétablissement du scrutin uninominal.
265Dans son programme électoral, Lecomte proposait le maintien du scrutin de liste. Devant la montée préoccupante du boulangisme, il fait partie des élus qui déposent un texte rétablissant le scrutin d’arrondissement moins favorable aux spirales plébiscitaires. Membre de la commission sur les textes de législation électorale, il rejoint Raspail qui milite en faveur du scrutin d’arrondissement.178
266Chez les conservateurs, Lefèvre-Pontalis se dit farouche partisan du scrutin d’arrondissement. Le scrutin de liste donne la toute-puissance à des délégués de comités « qui se délèguent eux-mêmes »179 et permet l’élection d’individus peu connus ou peu appréciés qui utilisent le charisme « d’un candidat remorqueur. »180 De plus, le scrutin de liste oblige le département entier à revoter en cas d’élection partielle.
267Mais l’actuel rétablissement du scrutin d’arrondissement est dicté, dit-il, par les péripéties du moment qui justifient l’axiome « que la République n’est qu’un provisoire perpétuel. »181 Les républicains ont peur du scrutin de liste comme ils ont peur du suffrage universel. Ils espèrent que le scrutin d’arrondissement sera l’instrument obéissant et maniable d’un hypothétique succès électoral. C’est donc une arme de combat entre les mains de républicains qui ressuscitent la candidature officielle.
268Maniant habilement l’art oratoire, Lefèvre-Pontalis exécute alors un revirement magistral. Si le jeu républicain consiste en un perpétuel et incohérent va-et-vient, l’orateur se dit obligé de voter pour le mode de scrutin qui se prête le mieux aux grandes manifestations d’opinion et opte alors pour le scrutin de liste.
269La brève intervention de Lecomte est une réponse partielle à Lefèvre-Pontalis. Non, le parti républicain n’a jamais eu recours à la candidature officielle. De tels propos suscitent de bruyantes exclamations à droite. Oui, le scrutin d’arrondissement est celui de la liberté et des candidatures indépendantes.182
270La loi électorale de 1889 rétablit le scrutin uninominal. Le boulangisme oblige les élus à se positionner dans les débats sur la conquête ou sur le maintien au pouvoir. La Droite monarchiste habituellement favorable au scrutin d’arrondissement s’adapte et adopte le scrutin de liste. Les républicains de gouvernement, souvent tentés par le scrutin de liste, optent pour le scrutin uninominal.
Pérenniser le mode de fonctionnement des assemblées départementales et municipales
271Dès l’ouverture de la législature 1881-85, les députés rivalisent d’intérêt pour la question municipale. La nomination au portefeuille de l’Intérieur de Goblet, favorable aux thèses de la décentralisation, replace l’organisation municipale au cœur des débats.183 Les propositions sont rapportées par Marcère, l’influent membre du Centre-Gauche, ancien ministre de l’Intérieur et dépositaire de la confiance gouvernementale.
272Souhaitant étoffer son bilan, le ministère Freycinet commence par disjoindre du dossier municipal deux volets, celui de l’élection des maires et des adjoints ainsi que celui de l’adjonction des plus imposés.
273Le texte sur l’élection des maires est débattu le 4 mars 1882 dans un brouhaha épouvantable. Les députés se sont déplacés en nombre.184 Il faut mettre la république dans les institutions et non plus seulement dans les mots.
274La loi de juillet 1876 donnait aux communes le droit d’élire leur maire et leurs adjoints. Il n’en allait pas de même dans les chefs-lieux de département, d’arrondissement ou de canton où le maire, choisi par l’administration, pouvait même appartenir à la minorité municipale.
275Marcère, président de la commission, se prononce en faveur d’un « droit de suffrage, entier, plein, complet et fréquemment exercé ».185 Il prône le renouvellement complet des 36 000 conseils municipaux pour combler le vide laissé par les conseillers décédés et faire concourir toutes les sensibilités du conseil à l’élection du maire. Le pays serait déçu si l’on ne procédait pas ainsi. Quant à ceux qui arguent que ce serait « fatiguer le suffrage universel », ils se trompent : le scrutin municipal intéresse toujours les électeurs.
276La position du ministre Goblet est autre : il veut faire élire les nouveaux maires et adjoints parmi les conseils municipaux existants et préconise le simple remplacement des postes vacants. Il est réticent à une large consultation des électeurs, une enquête ayant révélé que 72 des 87 préfets jugeaient la période peu propice.
277Il existe donc une réelle divergence d’appréciation. Toutefois, ni Marcère, ni Goblet n’entendent créer de conflit majeur. Les députés adoptent alors l’amendement Labuze qui conclut au strict remplacement des vacances au sein du conseil municipal et à l’élection du maire et des adjoints dans les deux mois suivant la promulgation de la loi.186
278La droite nordiste et quelques républicains modérés adhèrent au renouvellement minimal. Quatre républicains réputés plus à gauche, plus enclins à faire parler le suffrage universel, rejettent le texte. Le nombre assez élevé d’abstentions traduit la perplexité, tant à droite qu’à gauche.
279Admis au Sénat, le texte est prétexte à débats sur la publicité des séances, sur les pouvoirs de police du maire et du préfet et sur les articles qui régissent les cultes, les commissions intercommunales et le sectionnement.
280La question oppose les partisans d’une publicité facultative des débats, laissée à l’appréciation des conseils municipaux, aux tenants d’une publicité obligatoire, mais avec huis clos possible. La publicité facultative est rejetée par 163 voix contre 75. Les sénateurs nordistes se prononcent tous en faveur de débats publics.
281L’ensemble du texte est adopté par les sénateurs républicains et centristes et aussitôt promulgué. Wallon est le seul à s’abstenir.187
282La Chambre prononce également l’abrogation de la loi de 1818 sur l’adjonction des plus imposés, dans les communes de moins de 100 000 F de revenu. Cette adjonction demeurait obligatoire pour le vote des emprunts et de certaines contributions extraordinaires. Le texte, soumis à l’urgence – donc à délibération unique – est rapporté par Marcère188 qui constate que l’adjonction n’empêche ni la contraction d’emprunts nouveaux ni le vote d’impôts excessifs. Il se prononce pour un contrôle administratif plus efficace que cette illusoire garantie.
283Les 13 républicains du Nord se rangent derrière Marcère et votent le texte, Outters et Desmoutiers compris. La Droite, sensible à l’image de marque des notables ruraux s’y oppose fermement.189
284Le texte, violemment attaqué au Sénat, est défendu avec fougue par Goblet au nom du suffrage universel. Ce dernier reprend les arguments présentés par Marcère devant la Chambre.
285Tous les inamovibles nordistes, sauf Testelin, rejettent le texte. L’opposition de Corne et de Wallon traduit l’identité de vue entre républicains très modérés et droite monarchiste. La gestion communale voulue par ces deux élus s’apparente davantage à une démocratie rurale tempérée par la déférence séculaire des électeurs envers leurs notables fonciers. Adopté à une large majorité, le texte est aussitôt promulgué.190
286La première délibération du projet d’organisation municipale occupe 8 longues séances du 8 février au 1er mars 1883. Trois conceptions sont en compétition : l’autonomie communale, la décentralisation sous la tutelle des départements ou le maintien du système centralisateur avec tutelle de l’État. La commission est favorable à une centralisation améliorée tandis que le ministre Goblet préfère une réelle décentralisation. La chute des ministères Duclerc-Fallières entraîne un changement radical de cap : le nouveau gouvernement Ferry adopte la vision centralisatrice de la commission.
287À l’évidence, Marcère peut endosser, sans conteste, la paternité de cette loi. Même s’il n’est guère aisé d’apprécier l’énergie que déploie le rapporteur d’un texte aussi considérable que celui de l’organisation communale, le bref délai entre le renvoi en commission et le retour à la Chambre suppose un labeur incessant. Si le rapporteur n’œuvre pas vraiment dans la solitude, il n’est entouré que d’un nombre réduit de commissaires. Plus le temps passe et plus le nombre d’élus actifs se réduit comme peau de chagrin.
288De nombreux articles de la loi portent la marque de son inlassable activité.
289La délivrance d’une carte d’électeur devient obligatoire. Malgré l’opposition de certains, Marcère trouve cette obligation plus « heureuse que nuisible ». Elle est donc maintenue dans la rédaction nouvelle de l’article.191
290Certains fonctionnaires sont rendus inéligibles, principalement les salariés de la commune. Les agents non communaux percevant un supplément de traitement des communes demeurent éligibles (agents du service télégraphique, conducteurs de travaux publics, receveurs de poste logés,) À l’inverse, ministres du culte et instituteurs, également logés, sont inéligibles.
291Les militaires, les ingénieurs des ponts et chaussées et des mines en activité de service, les conducteurs des ponts et chaussées, les agents voyers, les agents des administrations financières et des forêts, les gardes des établissements publics et des particuliers, les agents salariés du maire ne peuvent être ni maire ni adjoint.
292Tout conseil municipal peut comprendre un quart de conseillers « forains » non domiciliés dans la commune et parfois n’y votant même pas. La commission prévoit une rédaction plus restrictive : les maire et adjoints seraient choisis parmi les élus ayant leur domicile politique dans la commune. À la demande du gouvernement, la commission retire cette clause.
293Un ou deux adjoints sont choisis selon que la population communale dépasse ou non 2 500 habitants. Un adjoint supplémentaire peut être nommé par tranche de 20 000 habitants.192
294Le garde champêtre est nommé par le maire avec l’approbation du conseil municipal. Agréé par le préfet, il peut être suspendu par le maire jusqu’à deux mois, mais ne peut être révoqué que par le préfet. Le garde champêtre est chargé de la police rurale et des contraventions aux règlements et arrêtés municipaux. L’article est attaqué par la Droite qui entend disposer du total droit de révocation en cas de changement de majorité municipale ou de fonctionnaire récalcitrant.193 Cette question traduit la volonté de mainmise sur ce groupe social susceptible d’influencer le corps électoral.
295Les décisions importantes du conseil municipal sont soumises au contrôle préalable des services préfectoraux. Cet article est un compromis entre une tutelle administrative tyrannique et une autonomie communale élargie, dangereuse, soumise au seul hypothétique droit facultatif de suspension.
296Un amendement de Mgr Freppel propose d’intégrer dans les dépenses communales les secours aux fabriques, en cas de ressources insuffisantes. L’amendement n’est voté que par la Droite à laquelle se joignent Outters et Bernard.
297La chambre ayant décidé d’une seconde délibération, Marcère rédige le rapport supplémentaire, présenté le 24 avril 1883. La nouvelle lecture occupe 7 séances du 29 juin au 12 juillet 1883. Les modifications sont infimes. Marcère poursuit son inlassable et minutieuse activité.
298Sont éligibles au conseil municipal tous les électeurs municipaux et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes de plus de 25 ans. Le nombre des conseillers forains ne peut toutefois dépasser le quart de l’assemblée.194
299Sont inéligibles les individus privés du droit électoral, ceux sous tutelle, ceux dispensés de subvenir aux charges communales, ceux qui sont secourus par le bureau de bienfaisance.195
Marcère : « L’homme qui est inscrit au bureau de bienfaisance n’a pas une indépendance suffisante au moment où le conseil municipal délibère sur les admissions ou sur les exclusions, puisque lui-même est indigent, et qu’il ne peut délibérer sur son propre sort ; il n’est donc pas dans un état intellectuel d’indépendance qui lui permette de délibérer. »196
300Les domestiques à gages suscitent la méfiance républicaine. Engagés dans des liens particuliers avec leurs maîtres, ils ont accepté un service spécial qui les attache à une autre personne. De ce fait, dit le rapporteur, ils ne sont pas entièrement libres et ne jouissent pas d’une indépendance suffisante. La mesure est adoptée.
301Dans les communes de plus de 500 habitants, ascendants et descendants ne peuvent siéger ensemble. Il en est de même des frères et beaux-frères.197
302Pour clore la session en beauté, un amendement du député Beauquier stipule que les fonctions de maire sont incompatibles avec celles de sénateur ou de député.198 Le texte est rejeté à une faible majorité mais rencontre l’adhésion de Trystram et de Giard, élus de la Gauche radicale et d’Extrême gauche. Un front uni « droite/républicains ministériels » leur répond. Les nordistes sont majoritairement favorables à un cumul de mandats que les électeurs appellent d’ailleurs de leurs vœux.
303Les débats reprennent à l’automne, du 25 octobre au 10 novembre 1883, pour 7 nouvelles séances.
304Les trésoriers-payeurs généraux, les receveurs particuliers et percepteurs ne peuvent postuler aux fonctions de maire ou d’adjoint.199
305L’art. 136 alinéa 9 traite des recettes du budget ordinaire communal et concerne les droits perçus pour le transport des morts et le service extérieur des pompes funèbres. L’alinéa est vigoureusement combattu par Mgr Freppel. Marcère laisse passer la tempête épiscopale et semble peu bavard.200
306Un amendement de Paul Bert tend à abroger le Concordat, ainsi que toute la législation affectant des immeubles communaux à des services cultuels ou à des établissements religieux. L’amendement, repris par Clemenceau, est rejeté au scrutin public.201 Les élus nordistes, surtout républicains, ne se laissent pas piéger sur le terrain mouvant des débats politico-religieux.
307Lors de cette deuxième lecture, les républicains sont placés devant l’épineux problème de l’organisation municipale de Paris. Le député radical de la Seine, de La Forge, soutenu par Floquet et Spuller, propose la création d’une mairie centrale dotée d’un maire central aux pouvoirs réduits.
308Les républicains se divisent, l’amendement est rejeté.202 Dans le Nord, la gauche radicale et une partie des conservateurs, plutôt bonapartistes, font de nouveau alliance contre les républicains « ministériels ». Quatre nordistes, surtout les autres élus de Droite, s’abstiennent, ne réussissant pas à trancher entre volonté décentralisatrice et peur des faubourgs révolutionnaires.
309La législature 1881-85 a permis la liquidation du volumineux dossier de l’organisation municipale. Durant la législature suivante, le conservateur Le Roy présente un unique texte sur l’installation des municipalités et la nomination du maire et des adjoints en présence d’au moins trois quarts des conseillers.203 Certains maires battus, de droite comme de gauche, prolongent leur mandature en ne convoquant pas les nouveaux élus et sans procéder à l’installation du nouveau conseil. Le texte, déposé durant les troubles boulangistes, ne franchit pas le barrage de la commission d’initiative parlementaire.
310Durant la période 1885-89, l’ardeur parlementaire trouve d’autres sujets. Le député républicain Siegfried et le radical Thévenet se penchent sur la nomination des conseillers généraux. L’art. 1er propose que deux conseillers représentent ensemble le même canton, si la population dépasse 25 000 hab. Legrand (de Lecelles) demande en vain l’ajournement du texte afin que les conseils généraux soient consultés. L’opportuniste Loustalot et le radical Achard obtiennent que deux conseillers soient élus dans chacun des 288 cantons de plus de 20 000 hab.204
311Trois sénateurs nordistes, Marcère, Fiévet et Fournier siègent en force dans la commission sénatoriale qui repousse le texte des députés par 7 voix contre 2. Marcère est chargé de rédiger le rapport. En 1880, dit-il, le Sénat avait déjà refusé un texte de Loustalot. Marcère est d’avis que le principe de la partition, au coup par coup, est suffisant. Pragmatique, il affirme que ce n’est pas l’augmentation du nombre des conseillers généraux qui va résoudre les embarras des administrés. Ainsi veut-il éloigner le spectre de l’invasion des conseils généraux par une dangereuse cohorte d’élus d’Extrême-Gauche, prêts à saper les fondements de la république bourgeoise.
312L’élu unique est à même de défendre l’ensemble des intérêts cantonaux, en dehors de tout esprit partisan. Comparant la société à un corps humain, Marcère en définit les groupes plus ou moins importants comme « des organes aux fonctions multiples harmonisées dans cette merveilleuse unité qui s’appelle la vie. »205 Cette conception trouve ses adeptes chez les conservateurs mais aussi au Centre-Gauche. Par ailleurs, les élus abordent cette question en songeant à la répartition de la manne départementale, ce puissant moyen de récompenser les « cantons-amis ».
Marcère : « Si les deux élus procèdent de la même origine, il est inutile qu’ils soient deux ; s’ils sont les élus d’opinions divergentes, c’est l’anarchie dans le canton d’abord, dans le conseil général ensuite. Ce ne seront plus des intérêts, ce seront des partis en présence, et animés l’un contre l’autre dans une lutte où les intérêts négligés succombent. »206
313Les ressources ordinaires du département reposent sur les centimes additionnels adossés pour plus de la moitié à la contribution foncière et à la contribution personnelle et mobilière, deux impôts pesant plus lourdement sur les cantons ruraux que sur les villes. Au moyen d’autres centimes additionnels adossés sur les quatre grands impôts, les conseils généraux assurent aussi l’entretien des chemins vicinaux.
314La rhétorique parlementaire se développe autour de l’opposition entre cantons ruraux choyés et cantons urbains laissés pour compte. La répartition, disent les uns, favorise les populations agricoles, ne serait-ce que parce que les cantons urbains mettent les routes nationales et les chemins de fer à la disposition de tous. Mais, répondent les ruraux, les villes profitent presque exclusivement des établissements scolaires et des hôpitaux co-financés par les campagnes.
315À l’issue de la discussion générale, malgré l’opposition du ministre Sarrien, 149 sénateurs refusent la discussion des articles, ce qui enterre la proposition.207
316Quatre nouvelles propositions sont déposées. Aucune ne dépasse le stade du rapport. L’échec traduit la méfiance d’une partie des élus envers les cantons urbains.
Tolain (ironique) : « Ah si l’on pouvait supprimer les villes, ce serait le rêve, n’est-ce pas ? »208
317Comme l’exprime le sénateur radical Tolain, les votes radicaux et extrémistes effraient. Depuis 1881, l’élection de maires et de députés socialistes nécessitent le rejet de toute mesure qui favoriserait l’émergence d’un personnel politique socialiste, élu exclusivement grâce aux voix ouvrières.
318Les conservateurs nordistes épousent le discours de la Droite nationale. Ils souhaitent fortifier le rôle de la commune, donner vie au canton, supprimer l’échelon intermédiaire de l’arrondissement, et renforcer le département, cet embryon de province. Les libertés locales et provinciales sont le plus solide garant d’un régime représentatif qui doit maintenir l’ordre et la cohésion sociale mais aussi pérenniser la stabilité des institutions.
319Grâce à l’alliance des extrêmes, la Droite décentralisatrice et l’Extrême-Gauche font tomber le ministre Freycinet, le 3 décembre 1886, sur la question de la suppression des sous-préfets.209
320Thellier de Poncheville en prend prétexte pour demander la suppression de ces fonctionnaires dont le rôle se borne à n’être qu’une courroie de transmission. Si les républicains maintiennent ce corps, c’est que le sous-préfet sert avant tout d’agent électoral. De plus, le sous-préfet, « étranger galonné » n’a pas, au mépris de la décentralisation, à être le conseiller de maires qui disposent d’administrateurs compétents sur place. Les instances locales doivent se prendre en main pour devenir autre chose qu’un « peuple d’administrés ». Enfin, le terne conseil d’arrondissement qui se borne à répartir l’impôt direct doit disparaître au profit du conseil cantonal.
321Thellier de Poncheville approuve Goblet dans sa conception originale du canton. L’École de Nancy et l’École de M. Le Play ont développé le rôle unificateur du conseil cantonal.210 Bien loin de morceler le territoire, le canton fédère et unit les petites communes en un faisceau. Le conseil cantonal ne représente pas les individus mais les communes. Ce n’est pas l’arrondissement amoindri, c’est la commune agrandie. C’est le grand conseil bénévole composé des maires du canton, du conseiller général et du juge de paix.
Thellier de Poncheville : « Je verrai volontiers le conseil cantonal présidé par un magistrat de paix indépendant, inamovible, non salarié, choisi parmi les propriétaires fonciers, les industriels et les commerçants du canton, rappelant, en un mot, ceux qui rendent la justice dans les paroisses rurales d’Angleterre. »211
322Le conseil cantonal est consulté dès qu’une affaire touche deux communes. Ses attributions sont calquées sur le conseil d’arrondissement. Son budget est ponctionné sur les centimes départementaux.
323Le conseil général, dit-il encore, peut tirer bénéfice de la revente des sous-préfectures et de leur mobilier ainsi que de la disparition des frais d’entretien des bâtiments.
324Le rapport concernant les propositions sur la suppression des sous-préfets et sous-préfectures, déposé le dernier jour de la législature, n’a jamais été publié.
325On peut s’étonner du faible intérêt des élus du Nord pour le conseil d’arrondissement. J.-M. Guislin qui s’est penché sur le Pas-de-Calais voisin voit dans ce rouage l’un des tremplins vers la fonction parlementaire.212
326Force est de constater que les élus du Nord ont quelque peu boudé cette instance. À peine un sur dix semble être passé par ce conseil. Les parlementaires nordistes, industriels, commerçants ou juristes, sont moins souvent des notables fonciers et ruraux. Ils entretiennent des rapports plus réguliers entre leur terroir et la préfecture. Cette caractéristique contribue au désintérêt pour l’échelon intermédiaire.
327Les élus de la 3e législature ont vainement commencé à bâtir un embryon de Code électoral. Ceux de la période suivante en dessinent les contours quasi-définitifs, mais sans toutefois aboutir.
328Les parlementaires veulent éliminer des pratiques qui n’assurent ni la liberté ni le secret du vote. Dès les premiers jours de la législature, le radical Laporte, puis les républicains Folliet et Duval émettent des propositions. Les députés, méfiants, ne se hâtent guère. On aurait pu penser ces textes enterrés, lorsque le républicain Simyan dépose une motion d’ordre qui leur donne le coup de pouce décisif.
329Lefèvre-Pontalis, membre de la commission, travaille de concert avec le député d’Extrême-gauche Colfavru, président de la commission. La droite conservatrice et l’Extrême gauche font bloc pour faire passer en force cette proposition.
330Le 25 février 1889, le texte fait l’objet d’une première lecture. Le principe du vote au moyen d’enveloppes uniformes, opaques, non fermées, fournies par la préfecture, est adopté par 398 députés.213 Bergerot, élu de la Flandre catholique, où les pressions de la hiérarchie religieuse sont usuelles, est le seul opposant nordiste. Notons que Boulanger adopte la mesure alors que Koechlin s’abstient.
331D’autres innovations préfigurent la législation actuelle. Le matin du vote, le pli cacheté contenant les enveloppes de vote est ouvert publiquement. Les enveloppes sont déposées sur la table du bureau électoral et l’électeur choisit lui-même son enveloppe. L’isoloir ou « compartiment d’isolement » est monté par les soins de la municipalité dans la salle d’élection. Le passage à l’isoloir est obligatoire. L’isoloir, qualifié de « cabanon » par certains républicains, provoque leur hilarité.
Thellier de Poncheville : « Eh bien ! oui c’est une nouveauté qui fait rire, comme faisait rire, dans les Chambres d’autrefois, le suffrage universel, parce que toutes les fois qu’il s’agit d’une nouveauté, on commence par en rire en France… avant d’en prendre l’habitude. »214
332Le républicain Folliet s’appesantit sur le coût d’une telle mesure. Thellier de Poncheville estime qu’un simple rideau suffirait pour faire son choix à l’abri de tout regard importun. L’électeur doit pouvoir « faire acte de souverain, se sentir soi-même son maître et jouir de sa pleine indépendance. » L’Angleterre et la Belgique utilisent un tel système qui fait l’unanimité.
33350 députés font défection lorsque la majorité adopte le principe de l’isoloir.215 Les trois républicains nordistes se raccrochent soit à la petite centaine d’élus qui s’abstient, soit à l’autre centaine qui rejette l’article.
334Pour éviter que deux électeurs soient en même temps « dans le petit local », Thellier de Poncheville propose que l’isoloir permette de constater la réalité de l’isolement, depuis l’extérieur. Un tel « luxe de précautions » est rejeté. Les élus sont favorables au texte de Lecomte qui laisse l’administration réglementer les conditions de secret.
335L’article 4 oblige l’électeur à demeurer dans la salle tant qu’il n’a pas introduit lui-même son bulletin de vote dans l’urne. Martimprey, par provocation, demande comment vont voter les paralytiques et les manchots.
336Un premier vote des députés, confus, conclut au rejet de l’article. Mais nombre d’élus déclarent n’avoir pu voter en connaissance de cause, en raison du brouhaha et du tumulte. Un second vote aboutit à l’adoption. Ces votes contradictoires sont suffisamment courants pour ternir l’image du Parlement.
337Le renvoi du texte en commission bloque la navette parlementaire et la discussion n’est pas reprise avant la fin de la législature.
338Les luttes électorales ne sont pas dénuées de fraudes. Aucun des camps n’est irréprochable mais les conservateurs s’estiment davantage lésés par les pressions électorales.
339Toujours dans le domaine électoral, Martimprey dépose un texte afin de lutter contre la fraude urbaine commise au moyen de cartes d’électeurs décédés ou absents ou encore par le prêt de celles d’électeurs indifférents.
Paul de Cassagnac : « Cela s’est produit dans mon département à Auch.
Prax-Paris : Cela s’est produit partout !
Un membre à gauche : Sous l’Empire ! [Bruit] »216
340Ces mesures simples ralentiraient toutefois le déroulement des scrutins. Le président du bureau de vote prononcerait à haute et intelligible voix les noms, prénoms, date de naissance, profession et domicile de l’électeur. Le vote effectué, l’un des angles de la carte électorale serait coupé.
341Cette nouvelle proposition, renvoyée en commission, ne donne lieu à aucun rapport.217
Conclusion
342Si les élus républicains peuvent mettre à leur actif des monuments comme le rétablissement du divorce ou l’organisation municipale, ils ont bien souvent planté et déplanté, avant que les premiers fruits de leur action soient en mesure d’être engrangés. Dès lors, on ne peut que déplorer l’inachèvement et la stérilité d’une partie de leur œuvre.
343Certes, l’action a souvent été freinée par des considérations religieuses ou par le souci de légiférer au centre pour capter les voix des tièdes, des indécis ou des mécontents, mais les républicains n’ont pas su saisir l’ampleur des mécontentements. Par une laïcisation trop rapide, ils ont également heurté les consciences.
344Quant à la Droite, écartée du pouvoir, elle n’a pu tenir ses promesses électorales. Les électeurs se sont alors tournés vers les sirènes boulangistes.
345Sur le plan départemental, les républicains n’ont brillé ni par leur dynamisme ni par l’affirmation de leurs convictions. Aucun opportuniste n’a joué de rôle majeur dans l’œuvre constitutionnelle. Aucun n’a participé à l’écriture des grandes pages de l’histoire parlementaire.
346Le seul élu, très actif, le sénateur Marcère, est issu des rangs du Centre-gauche. Son action, majeure aussi longtemps qu’il est député, tend à décroître dès son élection au Sénat. À compter de cette date, une lente mais insensible dérive droitière le gagne. Lors de certains votes décisifs, Marcère se réfugie dans une abstention annonçant les prémices d’un virage politique.
347Les sénateurs inamovibles n’ont pas démérité. Au carrefour du républicanisme et du cléricalisme, le centriste Wallon joue un rôle-charnière. Au carrefour de l’enthousiasme et du bon sens, le républicain Testelin fait preuve d’indépendance et de sagesse.
348Quant aux conservateurs dans leur ensemble, ils ont cru pouvoir mener à bien leur entreprise de déstabilisation du régime. Les élus nordistes ont tellement rêvé de l’avènement d’un nouveau régime, qu’ils ont agi, sans négliger l’action extraparlementaire, mais aussi sans se rendre compte que le boulangisme n’était pas soluble dans la Droite parlementaire.
52. Au nom de la liberté individuelle, républicains contre cléricaux. Votes significatifs des parlementaires du Nord : Les libertés démocratiques et la participation à l’œuvre laïcisatrice.









Notes de bas de page
1 JODébSt 3/2/1887
2 AN. C/II/703. 5e bureau. 7/2/1884. Nomin. à la Comm d’enquête sur la situation des ouvriers de l’industrie et de l’agriculture en France : P. Legrand
3 AN. C//5404 Comm sur la prop. de loi sur les étrangers. 20/11/1886
4 AN. C//5404. Ibid. 20/6/1887
5 JODoc an.3904. 25/6/1885
Prop. présentée par Lecomte, Girard, Desmoutiers, Cirier, Scrépel, Guillemin, Trystram, Masure, Bernard, Giard, Outters et autres. Manquent P. Legrand et Giroud
6 Séance de bureau de la Comm d’initiative parlementaire
7 AN. C/II/920. 6e bureau. 21/10/1886. Nomin. à la Comm sur les prop. de loi de Thiessé, Pradon sur l’établissement d’une taxe de séjour sur les étrangers employés en France et sur la prop. de Pally introduisant une clause ne permettant que l’emploi d’ouvriers français dans les marchés passés par l’État, les départements et les communes
8 AN. C/II/918. 4e Bureau. 8/3/1887. Nomin. à la Comm sur la prop. de loi, adoptée par le Sénat, sur la nationalité
9 Les termes de Droite, de conservateurs, de Droite conservatrice, désignent une même entité
10 JODébCh 2/6/1885
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Ibid.
15 Ibid.
16 JODoc an.2922. 7/7/1888
17 JODébSt 3/2/1887
18 Ibid.
Un fils d’étranger né en France peut se présenter en mairie et opter pour la nationalité française. Le maire lui donne un récépissé mais n’a pas à transmettre de copie de cette déclaration à quelque administration compétente. Parfois, la déclaration n’est transcrite sur aucun registre et l’original n’est point gardé. L’étranger peut alors invoquer la qualité de Français acquise par droit d’option, s’il y trouve son avantage, ou bien se soustraire aux charges que cette qualité peut entraîner
19 DANIEL André, L’année politique 1887, avec un index…. Quatorzième année, 1888
20 JODébCh 16/3/1889
21 Ibid.
22 Ibid.
23 JODébCh 16/3/1889
24 JODoc an.141. 26/11/1881
25 JODébCh 8/5/1882. Propos du député Amagat
26 JODoc an.601. 14/3/1882
27 JODébCh 8/5/1882
28 La droite bonapartiste accepte majoritairement une mesure inscrite dans ses programmes électoraux.
29 JODébCh cf. SCRUTIN 01
30 JODébCh cf. SCRUTIN 02
Le refus de 2e délib. entraîne le rejet du texte
31 JODoc an.879. Rapport suppl. 27/5/1882
32 La discussion dure 4 jours. En l’absence de procédure d’urgence, la 2e délib. est réglementaire. Elle est dispensée de discussion générale
33 JODébCh 13/6/1882
34 JODébCh 13/6/1882
35 Ibid.
36 JODébCh cf. SCRUTIN 03
37 Art. 230 nouveau : La femme peut demander le divorce en cas d’adultère de son mari
38 JODébCh 15/6/1882
39 Ibid.
40 Conseil d’État, 24 brumaire an X
41 JODébCh cf. SCRUTIN 04
42 JODébCh cf. SCRUTIN 05
43 JODébCh cf. SCRUTIN 06
44 JODébCh cf. SCRUTIN 07
45 JODébCh cf. SCRUTIN 08
46 JODébSt 19/6/1884
47 Ibid.
48 Nouveau Testament, Evangile selon St JEAN, chap. 18 v. 36-37
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 JODébSt cf. SCRUTIN 09
53 CORNE Hyacinthe, Mémorial analytique universel, manuscrit inédit, 4 tomes, s.l.n.d. Recueil manuscrit de maximes et citations, toutes favorables au divorce
LA BRUYERE : « On a cru que rendre le mariage indissoluble, c’est en resserrer les nœuds ; oui ceux de la contrainte, mais non pas ceux de l’affection. » ; « Les discordes entre époux sont d’autant plus violentes que l’on n’a pas l’espoir d’en voir cesser la cause. » ; « Faire une folie et se marier par amourette, c’est souvent épouser une femme accomplie mais qui est moins riche que tel petit monstre, vrai démon et qui mettrait bientôt son mari à l’hôpital. »
54 JODébCh cf. SCRUTIN 10
55 JODébCh 8/7/1884
56 JODébCh cf. SCRUTIN 11
57 JODébSt 28/11/1885
58 JODébSt cf. SCRUTIN 12
59 JODébCh 18/2/1886
60 JODébCh 30/3/1886
61 JODébCh 30/3/1886
62 JODébCh cf. SCRUTIN 13
63 JODoc an.1514. 5/2/1887
64 MAYEUR Jean-Marie, Un prêtre démocrate, l’abbé Lemire (1853-1928), Paris, Casterman, 1968
MÉNAGER Bernard, La laïcisation des écoles communales dans le département du Nord (1879-1899), Lille, Univ. Sc. Humaines Lettres Arts de Lille, 1971
65 JODébCh 30/3/1886
66 JODébCh cf. SCRUTIN 14
67 AN. C/II/705 5e bureau. 25/3/1882. Nomin. d’un commissaire sur la prop. de loi modifiant le mode de prestation de serment dans les cours et tribunaux
68 JODébCh 24/6/1882
69 JODébCh cf. SCRUTIN 15
70 JODébCh cf. SCRUTIN 16
71 JODébCh cf. SCRUTIN 17
72 JODoc an.808. 11/11/1882 « Barodet »
73 Ibid.
74 AN. C//3302 Comm sur le projet de loi de budget général de l’État pour 1883. 14/6/1882
75 AN. C//3302 Ibid. 20/6/1882
76 AN. C//3302 Ibid. 22/6/1882
77 AN. C//3302. Ibid. 26/6/1882
78 Ibid. Crédit aux établissements religieux d’Orient
79 JODébCh cf. SCRUTIN 18
80 JODébCh cf. SCRUTIN 19
81 AN. C/II/702 3e bureau. 16/5/1882. Nomin. à la Comm sur les prop. Boysset et Paul Bert supprimant les facultés de théologie catholique, instituées par un décret impérial du 17/3/1803
82 AN. C/II/709 10e bureau. 16/5/1882. Idem.
83 AN. C/II/702 3e bureau. 8/7/1882. Nomin. à la Comm sur la prop. Labuze substituant au décret du 30 décembre 1809 une nouvelle organisation des conseils de fabrique
84 JODébCh cf. SCRUTIN 20
85 JODébCh cf. SCRUTIN 21
86 C/II/707 8e bureau. 16/3/1882. Nomin. à la Comm sur l’abrogation du Concordat
87 LECOMTE Maxime, Les ralliés, histoire d’un parti (1886-1898), Paris, Ernest Flammarion éditeur, s.d.
88 LECOMTE Maxime, op. cit.
89 Le Temps, 23/8/1886. Lettre de Lepoutre au journal Le Temps
90 Ibid.
91 JODébCh in LECOMTE Maxime, op. cit.
92 Le Progrès du Nord. 27 et 28/8/1886
93 APP Ba/1176 L’Univers. 30/8/1886
94 L’Univers, 30/8/1886
95 APP Ba/1225
96 CORNE Hyacinthe, Mémorial analytique universel, manuscrit inédit, 4 tomes, s.l.n.d. Nombreux écrits sur les atrocités commises durant l’Inquisition et la Terreur
97 APP Ba/ 1225
La Lanterne. 4/11/1885. « Ignace Plichon est candidat à la présidence contre Grévy. Cette candidature le fait un peu sortir de son obscurité. »
98 AN. C/II/915 1er bureau. 24/6/1886. Nomin. à la Comm sur la prop. de Paul Bert et Cantagrel assurant des pensions viagères aux survivants des blessés de février 1848 et à leurs ascendants, veuves et orphelins
99 Ibid.
EL GAMMAL Jean, Politique et poids du passé dans la France « fin de siècle », Paris, P. Univ. Limoges, 1999
100 JODébCh 25/5/1886
101 Ibid.
102 AN. C//5425 Comm sur le projet de concours en faveur d’un monument commémoratif de la Révolution française. 1/2/1888
103 Ibid.
104 Ibid.
105 AN. C/II/708 9e Bureau. 18/1/1882. Nomin. à la Comm de révision partielle des lois constitutionnelles
106 AN. C/II/709 10e bureau. 19/1/1882. idem
107 JODoc an.808. 11/11/1882. « Barodet »
108 AN. C/II/710 11ème Bureau. 19/1/1882. idem
109 JODébCh 26/1/1882
110 DANIEL André, op. cit. Paris, G. Charpentier et Cie éditeurs, 1883
111 ZEVORT Edgard, Histoire de la Troisième République Tome 3. La présidence de Jules Grévy, Paris, Félix Alcan éditeur, 1898
112 Ibid.
113 Ibid.
114 8 voix de majorité
115 Ibid.
116 Ibid.
117 Ibid.
118 JODébCh cf. SCRUTIN 22
119 JODébCh cf. SCRUTIN 23
120 JODébCh cf. SCRUTIN 24
121 JODébCh cf. SCRUTIN 25
122 JODébCh 8/6/1885
123 JODébSt cf. SCRUTIN 26
124 Ibid.
125 JODébCh 8/6/1885
126 AN. C/II/700 1er bureau. 29/5/1884. Nomin. des membres de la Comm révisant les lois constitutionnelles
127 JODébCh cf. SCRUTIN 27
128 JODébCh cf. SCRUTIN 28
129 JODébCh cf. SCRUTIN 29
130 JODébCh cf. SCRUTIN 30
131 ASt. Comm sur le projet de résolution tendant à la révision partielle des lois constitutionnelles. 9/7/1884
132 JODébSt 24/7/1884
133 JODébSt 7/12/1884
134 JODébSt 24/7/1884
135 Ibid.
136 JODoc an.808. 11/11/1882. « Barodet »
137 JODébSt 24/7/1884
138 JODébSt 26/7/1884
139 Ibid.
140 JODébSt cf. SCRUTIN 31
141 AN. C//3392 Comm modifiant les lois organiques sur l’organisation du Sénat et les élections des sénateurs
142 JODébCh cf. SCRUTIN 32
143 JODébSt 8/12/1884
144 Ibid.
145 Ibid.
146 Ibid.
147 Ibid.
148 DANIEL André, L’année politique 1883, 10e année, 1884
149 JODébSt 18/12/1884
150 Ibid.
151 Ibid. Cf. SCRUTIN 33
152 JODébSt 1/12/1887
153 LAVERGNE Bernard, Les deux présidences de Jules Grévy (1879-1887), Paris, Librairie Fischbacher, 1966
Lavergne, confident de Grévy, député puis sénateur du Tarn de 1876 à 1900
154 AN. C/II/707 8e bureau. 23/1/1883. Nomin. à la Comm sur la situation des membres des familles ayant régné en France
155 Ibid.
156 JODébCh cf. SCRUTIN 34
157 JODébCh cf. SCRUTIN 35
158 JODébCh cf. SCRUTIN 36
159 ASt. Comm sur le projet de loi, adopté par la Ch. des Dép. tendant à régler la situation des membres des familles qui ont régné sur la France 6/2/1883
160 JODébSt cf. SCRUTIN 37
161 AN. C/II/920 6e bureau. 29/5/1886. Nomin. à la Comm sur le projet de loi relatif aux membres des familles qui ont régné sur la France
162 JODébCh 13/7/1886
163 JODébCh cf. SCRUTIN 38
164 JODébCh cf. SCRUTIN 39
165 JODébCh cf. SCRUTIN 40
166 JODébCh 12/7/1888
167 Ibid.
168 LEVILLAIN Philippe, Boulanger, fossoyeur de la monarchie, Paris, Flammarion, 1982
169 JODébSt 10/11/1888. Budget de la Guerre. Débat sur l’unification des soldes
170 AN. C/II/923. 9e bureau. 4/4/1889. Nomin. de la Comm sur la demande en autorisation de poursuites contre Boulanger, député de la Seine
171 Ibid.
172 Ibid.
173 JODébSt 28/3/1889
174 ASt. P. V. de la Comm sur la demande en autorisation de poursuites contre Naquet, sénateur (Nommée le 11/3/1889). Testelin est élu président de la Comm
175 ASt. Ibid. 11 mars1889 Les sénateurs sont tous présents, dont Testelin et Merlin
176 ASt. Ibid. Merlin : 15 voix/Buffet : 5 voix
177 AN. C//5378 Comm sur la prop. de loi, adoptée par le Sénat, sur la procédure à suivre devant le Sénat en matière d’attentat contre la sûreté de l’État
178 AN. C/II/916 2e bureau. 5/2/1889. Nomin. à la Comm sur divers projets et prop. rétablissant le scrutin uninominal
179 JODébCh 11/2/1889
180 Ibid.
181 Ibid.
182 Ibid.
183 Ministère Freycinet (janv.-août 1882)
184 JODébCh 4/3/1882
185 Ibid.
186 JODébCh cf. SCRUTIN 41
187 JODébSt cf. SCRUTIN 42
188 JODébCh 21/3/1882
189 JODébCh cf. SCRUTIN 43
190 JODébSt cf. SCRUTIN 44
191 JODébCh 10 et 12/2/1883
192 JODébCh 17 et 26/2/1883
193 JODébCh 26 et 27/2/1883
194 JODébCh 2, 5 et 6/7/1883
195 JODébCh 2 et 5/7/1883
196 Ibid., 5/7/1883
197 Ibid.
198 JODébCh cf. SCRUTIN 45
199 JODébCh 25/10/1883
200 JODébCh 29/10/1883
201 JODébCh 6 et 8/11/1883 cf. SCRUTIN 46
202 JODébCh cf. SCRUTIN 47
203 JODoc an.2959. 12/7/1888
204 Moins de 10 % des 2840 cantons de la France métropolitaine
205 Ibid.
206 JODébSt 5/7/1886
207 JODébSt cf. SCRUTIN 48
208 JODébSt 9/7/1886
209 JODébCh cf. SCRUTIN 49
210 Programme de gouvernement et d’organisation sociale par un groupe d’économistes, avec une lettre-préface de M. F. LE PLAY, 1881
211 JODoc an.1614. 8/3/1887
212 GUISLIN Jean-Marc, DUCROCQ M. « Quel cursus pour ces hommes de la Troisième République ? », in Les parlementaires du Nord-Pas-de-Calais sous la IIIe République, Villeneuve d’Ascq, C.R.H.E.N.O., Univ. Ch. De Gaulle Lille 3, 2000, pp. 145-150
GUISLIN J. -M., Le travail parlementaire à l’assemblée nationale de 1871, à travers les représentants du Pas-de-Calais. Familles politiques et tempéraments régionaux, thèse de doctorat, Univ. Paris X, 1991, 4 vol.J. -M. Guislin insiste sur la ruralité du département limitrophe et sur le poids des notables ruraux.
213 JODébCh cf. SCRUTIN 50
214 Ibid.
215 JODébCh cf. SCRUTIN 51
216 JODébCh 26/2/1889
217 JODoc an.3554. 26/2/1889
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