Les formes de l’intervention législative
p. 143-173
Texte intégral
1Les parlementaires nordistes des années « quatre-vingts » forment un groupe dont l’observation méticuleuse est, à ce jour, restée en jachère. Le présent travail recense les formes principales de leur activité : prise de parole à la Chambre et au Sénat (interventions à la tribune, questions posées aux ministres, amendements, interpellations), rédaction et dépôt de propositions de loi, participation au travail des commissions, élaboration de rapports,
2Aucun député nordiste ne participe au bureau de la Chambre. À cela, deux raisons majeures : le nombre important d’élus d’opposition et la quasi-absence de personnalités d’envergure nationale parmi les opportunistes du Nord.
3Un sénateur du Nord, Fournier, connu des milieux politiques parisiens, obtient la charge enviée de secrétaire du Sénat dès son élection en 1879. Docteur en droit, chef de cabinet des ministres de l’Intérieur Hérold, Picard et Lambrecht, il est un conseiller avisé de Thiers. Directeur du service de l’Algérie, il est révoqué, en 1873, pour opinions trop républicaines.
4Depuis 1876, la Chambre est divisée en 11 bureaux, le Sénat en 9 bureaux, renouvelés chaque mois et désignés par tirage au sort. Le nombre de nominations d’élus nordistes aux présidences et secrétariats des bureaux de la Chambre ne revêt aucun caractère significatif. Ces chiffres, 3.3 % pour la période 1881-85 et 2.8 % pour 1885-89 sont à rapprocher du poids numérique de la représentation nordiste au sein de la Chambre. (3.2 % pour 1881-85, 3.4 % pour 1885-89)
5Au Sénat, les présidences et secrétariats de bureaux sont rarement confiées aux nordistes. Ces chiffres atteignent 1,1 % pour la période 1881-85 et 2,2 % pour celle de 1885-89, alors que les sénateurs nordistes, majoritairement républicains, représentent 4 % des membres de la Haute assemblée.
6La présidence d’un bureau fait partie du cursus honorum et récompense les élus les plus anciens ou plusieurs fois réélus. De 1881 à 1885, le républicain Giroud monopolise 12 présidences de bureaux. Dans la période suivante, bien que le nombre de présidences détenues soit en baisse, une rotation plus importante permet de doubler le nombre des députés bénéficiant de cet honneur. Le sénateur inamovible Wallon monopolise, à lui seul, la plupart des présidences sénatoriales.
7Les secrétariats de bureau sont souvent confiés à de jeunes élus sérieux et rigoureux, à la carrière prometteuse. Professions juridiques et secrétariats de bureaux font bon ménage : les députés Outters et Lecomte se signalent par 6 et 4 secrétariats.
8Le Sénat distingue deux nordistes. Casimir Fournier est, à plusieurs reprises, vice-président de l’importante commission sénatoriale des Finances. Charles Merlin préside la commission d’instruction de la Haute cour de Justice qui instruit les poursuites contre les élus boulangistes. Les journaux d’opposition attaquent le « dictateur » Merlin, susceptible de juger la plus haute autorité politique du pays mais qui ne peut être démis de ses fonctions.1
24. L’activité législative des députés du Nord. Législature 1881-85

Colonne 1 : présence durant une partie de la législature :
déc : décès,
dém : démission,
part : élu lors d’une partielle
A : participation au bureau de l’Assemblée
B : nomination aux présidences et secrétariats des bureaux
C : nombre de propositions de lois ou de projets de résolution
D1 : commission d’initiative parlementaire
D2 : commission d’intérêt local
D3 : commission des pétitions
D4 : commission des congés
D5 : commissions spécifiques
D : total des commissions
E1 : auteur de rapports sommaires
E2 : auteur de rapports
E3 : auteur de rapports de pétitions
E4 : total rapports
F1 : interventions dans le débat parlementaire
F2 : interpellations
F3 : questions
F4 : amendements
F : total prise de parole
T : total général (A….. F4)
25. L’activité législative des députés du Nord. Législature 1885-89

Colonne 1 : présence durant une partie de la législature
déc : décès
dém : démission
part : élu lors d’une partielle
A : participation au bureau de l’Assemblée
B : nomination aux présidences et secrétariats des bureaux
C : nombre de propositions de lois ou de projets de résolution
D1 : commission d’initiative parlementaire
D2 : commission d’intérêt local
D3 : commission des pétitions
D4 : commission des congés
D5 : commissions spécifiques
D : total des commissions
E1 : auteur de rapports sommaires
E2 : auteur de rapports
E3 : auteur de rapports de pétitions
E4 : total rapports
F1 : interventions dans le débat parlementaire
F2 : interpellations
F3 : questions
F4 : amendements
F : total prise de parole
T : total général (A….. F4)
26. L’activité législative des sénateurs du Nord. Période 1881-85

Colonne 1 :
Ina : inamovible
A : participation au bureau de l’Assemblée
B : nomination aux présidences et secrétariats des bureaux
C : nombre de propositions de lois ou de projets de résolution
D1 : commission d’initiative parlementaire
D2 : commission d’intérêt local
D3 : commission des pétitions
D4 : commission des congés
D5 : commissions spécifiques
D : total des commissions
E1 : auteur de rapports sommaires
E2 : auteur de rapports
E3 : auteur de rapports de pétitions
E4 : total rapports
F1 : interventions dans le débat parlementaire
F2 : interpellations
F3 : questions
F4 : amendements
F : total prise de parole
27. L’activité législative des sénateurs du Nord. Période 1885-89

Colonne 1 : Ina : inamovible
A : participation au bureau de l’Assemblée
B : nomination aux présidences et secrétariats des bureaux
C : nombre de propositions de lois ou de projets de résolution
D1 : commission d’initiative parlementaire
D2 : commission d’intérêt local
D3 : commission des pétitions
D4 : commission des congés
D5 : commissions spécifiques
D : total des commissions
E1 : auteur de rapports sommaires
E2 : auteur de rapports
E3 : auteur de rapports de pétitions
E4 : total rapports
F1 : interventions dans le débat parlementaire
F2 : interpellations
F3 : questions
F4 : amendements
F : total prise de parole
T : total général (A….. F4)
Note 12
Note 13
9Le Journal Officiel est un instrument de choix. Un indicateur sommaire permet de juger de l’intensité de l’activité parlementaire à travers la prise de parole à la tribune. Si l’on compare les deux législatures de la décennie, tant à la Chambre qu’au Sénat, la durée globale de prise de parole se tasse légèrement. La diminution du nombre de pages noircies en atteste.
28. Indice sommaire du temps global de prise de parole des parlementaires à l’échelon national et départemental

10Toutefois, les députés nordistes n’accompagnent pas cette tendance. Leur temps de parole augmente de moitié durant la législature 1885-89.4 Leur implication dans les débats nationaux (loi militaire, tarifs protectionnistes…), la multiplication de leurs interventions dans le débat budgétaire, la défense des amendements déposés ainsi que l’effervescence de l’année 1888 contribuent à cette envolée verbale.
11Au Sénat, la réalité est autre. Le temps d’intervention des nordistes décroît nettement plus vite que la tendance nationale et chute de 26 %. Les sénateurs inamovibles vieillissent. Leur combativité s’émousse. Des sénateurs de valeur disparaissent prématurément. Leur remplacement par des élus peu loquaces (Géry Legrand, Claeys, Cirier) amenuise le temps passé à la tribune sénatoriale.
12Durant les deux législatures, à la Chambre, la rédaction de rapports demeure assez stable.
13Pour les députés nordistes de 1881-85, la fonction de rapporteur, souvent confiée à des républicains, échoit presque exclusivement aux juristes : Cirier, Girard, Lecomte, Louis Legrand, Marcère. De 1885 à 1889, ce travail de rapporteur n’est presque jamais confié aux élus conservateurs, dès qu’il s’agit de textes importants. Le conservateur Morel rédige un nombre élevé de rapports mais il s’agit surtout de textes d’intérêt local concernant octrois et échanges de terrains.
14Au Sénat, la tendance suit la même pente que la prise de parole. De 1885 à 1889, le travail de rédaction chute de moitié, sans doute en raison des motifs déjà évoqués.
15En définitive, alors que, durant la législature 1881-85, la participation aux commissions est l’activité majeure des députés, la tendance s’inverse ensuite au profit de la prise de parole à la tribune. Le phénomène est suffisamment significatif pour qu’on puisse parler d’un "réveil de la prise de parole". Pendant ce temps, l’activité sénatoriale tend vers un "assoupissement de longue durée". Le renouvellement sénatorial de 1888 accentue encore la tendance.
Des rédacteurs de propositions de lois et de projets
16Les parlementaires du Nord déposent un faible nombre de propositions de loi ou de projets de résolution. De 1881 à 1889, cette activité ne représente, chez les députés, que 3.6 % de leur travail législatif recensé, chez les sénateurs, qu’un peu plus de 1 %.5 A la Chambre, le dépôt de propositions de loi triple durant la législature 1885-89.
17Quelques rares élus concentrent, entre leurs mains, la majeure partie du pouvoir de proposition. De 1881 à 1885, la moitié des propositions est élaborée par deux députés (54 %). Ils sont 4 pour 85 % des textes. Chacun de ces 4 élus possède une solide formation universitaire ; 3 ont suivi des études juridiques.6 Durant la législature 1885-89, le noyau s’étoffe : 4 pour 49 % des propositions et 8 pour 77 % des textes. Comme pour la précédente législature, les 4 députés, auteurs du plus grand nombre de propositions, appartiennent tous au groupe très restreint des docteurs en droit.7 L’élaboration des propositions de loi demeure l’apanage quasi exclusif des juristes.
29. Les parlementaires du Nord Dépôt de propositions de lois (1881-89)
Chambre des députés | 1881-85 | 1885-89 |
Nombre de propositions de lois et de projets de résolution déposés | 13 | 39 |
Nombre moyen par député et par législature | 0.7 | 1.9 |
Nombre moyen par député et par année | 0.2 | 0.5 |
Députés concernés | 6 | 14 |
% de députés concernés | 28.5 | 56.0 |
Sénat | 1881-85 | 1885-89 |
Nombre de propositions de lois et de projets de résolution déposés | 4 | 4 |
Nombre moyen par sénateur et par période | 0.3 | 0.2 |
Nombre moyen par sénateur et par année | 0.07 | 0.06 |
Sénateurs concernés | 3 | 2 |
% de sénateurs concernés | 21.4 | 11.7 |
Des commissaires
18Chaque bureau, formé par tirage au sort, désigne un ou plusieurs représentants au sein des commissions. Le hasard entre donc dans leur formation. Les commissaires sont élus par leurs pairs et chacun représente la sensibilité majoritaire du bureau qui l’a désigné.
19Quatre commissions, renouvelées mensuellement, complètent le dispositif. Durant la période 1881-89, la participation des députés nordistes aux commissions, tant mensuelles que spécifiques, représente le tiers de leur activité législative. (32.8 %) L’engouement est plus prononcé pour deux des 4 commissions mensuelles.
20La commission d’initiative parlementaire, composée à la Chambre de 22 membres, examine les propositions qui émanent de l’initiative parlementaire et donne son avis sur leur prise en considération. Elle écarte les textes peu réfléchis ou préjudiciables aux intérêts gouvernementaux et joue un rôle stratégique dans le lent processus qui transforme la proposition d’un élu en une loi promulguée.
21La commission d’intérêt local, composée de 11 membres, examine les projets de loi relatifs aux intérêts communaux et départementaux.
22Les élus assidus, travailleurs et bons juristes sont plus souvent cooptés dans l’une ou l’autre de ces deux commissions qui rythment la vie parlementaire.
23Les deux autres commissions sont moins prisées car leur action, plus obscure, influe bien moins sur l’activité législative.
24La commission des congés, composée à la Chambre de 11 membres, donne son avis sur les demandes des élus. Elle est fort prisée des sénateurs nordistes. Les députés ne s’y intéressent que très moyennement.
25La commission des pétitions, boudée par les députés nordistes rencontre l’intérêt mitigé des sénateurs. Elle examine les pétitions individuelles ou collectives des électeurs que déposent les députés et sénateurs.
30. Les parlementaires du Nord. Participation aux commissions (1881-89)

26Aux élus âgés, ces deux dernières commissions offrent la possibilité d’économiser leurs forces. Aux élus peu rompus à la vie politique, elles permettent d’entrer en douceur dans la vie parlementaire. Enfin, elles permettent, à qui le souhaite, d’éviter de se frotter aux dossiers épineux du moment qui requerraient une plus grande assiduité.
27Au début de la IIIe République, le régime parlementaire français ne connaît que très peu de commissions annuelles. (commission des finances de la Chambre de 33 membres, commission de comptabilité, commission des voies navigables, commission des chemins de fer…)
28Dans presque tous les cas, projets et propositions sont renvoyés à des commissions « ad hoc », encore appelées spéciales ou spécifiques, dont l’existence s’éteint, en principe, avec la remise du rapport définitif au président de l’assemblée.
29Chaque bureau, qualifié par P. Guiral et G. Thuillier de « pivot de la machine parlementaire »8 choisit en son sein des parlementaires censés représenter l’opinion majoritaire, au terme de débats plus ou moins animés. Lorsque le texte à étudier ne revêt pas d’intérêt politique majeur, il est de tradition de choisir l’élu le plus loquace. Une verve inhabituelle permet donc de déceler le candidat potentiel.
30Le Règlement de la Chambre interdit la participation à plus de deux commissions spéciales mais cette règle subit des entorses9… En théorie donc, ce n’est qu’au moment du dépôt du rapport que l’élu retrouve la possibilité de briguer une nouvelle nomination.
31Sous la législature 1881-85, les députés participent, en moyenne, durant les 4 années, à 5 ou 6 commissions spécifiques. L’implication croît sensiblement durant la législature 1885-89. La participation passe alors à 9 commissions. Cette hausse de 51 % (en raison des 2 élus supplémentaires) doit être rapprochée de l’augmentation du nombre de propositions déposées de 1885 à 1889.
32La participation est fortement contrastée. De 1881 à 1885, 4 députés monopolisent la moitié des nominations en commission. (53 %) On passe à 8 élus pour atteindre 75 % des nominations.10 De 1885 à 1889, ils sont 7 à se partager la moitié des nominations. (48 %) Ils sont 11 pour atteindre les trois quarts.
33Quant à l’activité sénatoriale, elle repose sur quatre piliers : les sénateurs Fournier, Marcère, Merlin et Testelin concentrent, en leurs mains, 87 % puis 70 % de la participation aux commissions durant la période 1881-89. Toujours au Sénat, durant la première période, le travail dans les commissions mensuelles se fait au détriment de l’investissement dans les commissions spécifiques. La participation aux commissions d’initiative parlementaire est comparable, en pourcentage, à celle observée au Palais-Bourbon.11
Travail en comm. | 50 % des participations aux comm. | Élus à rajouter pour atteindre 75 % |
1881-85 | Cirier, Giroud, P. Legrand Trystram | Outters, Bernard, Lecomte, Marcère |
1885-89 | Morel, Thellier de Poncheville, Lefèvre-Pontalis, Le Roy, Le Gavrian, Déjardin-Verkinder, Renard | Trystram, Jonglez, Maurice, Legrand (de Lecelles) |
34Les députés et sénateurs, qui appartiennent au socle des législateurs actifs en commission, ont presque tous, en commun une même formation juridique. Sur les 11 députés recensés, 7 ont un cursus universitaire juridique. Parmi les 4 sénateurs, 3 sont d’anciens avocats ou magistrats.12
35Bien que l’assiduité des élus n’ait été étudiée que partiellement, il y a lieu de poser le problème très réel du rôle joué en commission par chaque élu nordiste. La participation aux débats est souvent insignifiante et l’assiduité laisse fortement à désirer.
36Le cas du républicain Trystram est significatif. En 1887, choisi par le 9e bureau, il siège dans l’importante commission sur la responsabilité des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail. Cette commission travaille beaucoup. Les débats font l’objet de 45 pages de procès-verbaux. De janvier 1887 à juin 1888, la commission siège 24 fois. Les listes de présences prouvent l’absence de Trystram au moins 12 fois. Présent 11 fois, il intervient à 3 reprises. Le secrétaire de la commission résume la totalité de ses très rares interventions en 8 lignes laconiques.13
37Autre exemple, Giroud, commissaire assidu, s’exprime peu dans le débat sur les syndicats professionnels, en tout cas beaucoup moins que la plupart des autres commissaires.
38Dernier exemple républicain, Lecomte siège dans la commission modifiant l’expropriation pour un motif d’utilité publique. La commission se réunit 2 fois. Le 22 mars 1889, Lecomte est absent. Le 25 mars, présent, il demeure silencieux.
39Chez les conservateurs, l’absentéisme fait autant de ravages.
40En 1887, Frescheville est membre de la commission sur la proposition Steenackers pour l’établissement d’éphémérides communales. Le député n’intervient pas. Egalement membre de la commission de 1886 sur le projet d’établissement de pénalités contre l’espionnage, Frescheville est tout aussi silencieux.
41En 1886, Lefèvre-Pontalis participe à l’examen des propositions instaurant une taxe de séjour sur les étrangers.14 Alors que la commission se réunit 11 fois, son absence est probable à 8 reprises. Restent 3 séances où ses interventions font l’objet d’un compte-rendu de une à sept lignes.
31. Les parlementaires du Nord. Rédaction de rapports (188189)
CHAMBRE DES DÉPUTÉS | 1881-85 | 1885-89 |
Rapports sommaires | 19 | 37 |
Rapports | 35 | 38 |
Rapports de pétitions | 25 | 20 |
Ensemble des rapports | 79 | 95 |
Nombre moyen par député et par législature | 4.3 | 4.8 |
Nombre moyen par député et par année | 1.0 | 1.2 |
Députés concernés | 16 | 18 |
% de députés concernés | 76 % | 72 % |
SÉNAT | 1881-85 | 1885-89 |
Rapports sommaires | 1 | 0 |
Rapports | 96 | 43 |
Rapports de pétitions | 0 | 0 |
Ensemble des rapports | 97 | 43 |
Nombre moyen par sénateur et par période | 8.1 | 3.7 |
Nombre moyen par sénateur et par année | 2.0 | 0.9 |
Sénateurs concernés | 6 | 6 |
% de sénateurs concernés | 50 % | 52 % |
42L’absentéisme dans les commissions est régulièrement dénoncé. « Les anciens veulent tous être des commissions, déclare un jeune député, et sur trente, il n’en vient pas quatre. »15 Les élus nordistes adoptent le même travers, sans qu’on puisse préciser s’il est plus ou moins accentué que chez les autres élus.
Des rapporteurs
43Le député-rapporteur sort de l’anonymat et jouit d’une notoriété proportionnelle aux enjeux législatifs. Le rapporteur d’un budget ministériel, celui des textes sur le divorce ou sur l’organisation municipale sont abondamment cités dans la presse nationale et départementale et sont propulsés sur le devant de la scène politique. À l’inverse, le rapporteur de textes sur les octrois œuvre dans la plus parfaite indifférence médiatique.
44Le rapport, publié au Journal Officiel, est l’aboutissement du travail des membres de la commission. Il est aussi le résultat du travail intellectuel parfois solitaire du rapporteur. Soumis à l’ensemble des élus, le texte reprend les arguments de la commission et contient des conclusions qui orientent la manière dont les élus sont appelés à se prononcer.
45Durant les débats, un ou plusieurs rapports supplémentaires peuvent être ordonnés sur des aspects épineux ou trop peu travaillés. Dans ce cas, la commission renaît de ses cendres et conserve les mêmes membres que ceux de la commission initiale. Durant la législature 1885-89, le débat sur le recrutement de l’armée nécessite plusieurs rapports supplémentaires.
46Le rapport sommaire, fruit du travail de la commission mensuelle d’initiative parlementaire, juge de l’opportunité des propositions, démêle le bon grain de l’ivraie et rend ses conclusions sur la forme des textes soumis. Le rapport sommaire conclut à la prise en considération, au rejet pur et simple ou au renvoi à l’une des commissions ad hoc existantes selon la procédure classique ou accélérée. La commission peut conclure à la déclaration d’urgence mais ne peut amender le texte. Le travail est censé être achevé sous quinzaine. E. Pierre reconnaît que les délais ne sont pas observés rigoureusement.16 La remise du rapport quelques jours avant la fin de la législature constitue le plus sûr moyen d’enterrer un texte.
47Le rapport de pétitions porte sur le travail de la commission mensuelle du même nom et statue sur l’intérêt des textes adressés au Parlement. La commission se prononce sur le renvoi de ces doléances au ministère compétent, sur leur intérêt et sur leur étude par l’une des commissions législatives concernées ou sur une éventuelle fin de non-recevoir.
48À la Chambre, la participation des élus nordistes à la rédaction des rapports de commissions demeure d’une grande stabilité, dans un volume de l’ordre d’un rapport par année et par député et dans un équilibre entre les trois grands types de rapports. Ce travail représente un peu moins du sixième de l’activité législative des élus. (14 %)
49Le travail de rapporteur oscille entre le quart et le sixième de l’activité des sénateurs du Nord. (25 % pour 1881-85 et 16 % pour 1885-89) Ceux-ci rédigent presque exclusivement les rapports définitifs. Les élus de la période 1881-85 rédigent en moyenne deux rapports par an, soit le double du volume rédigé par leurs collègues de la Chambre. Durant la deuxième période, le travail décroît de moitié, les députés deviennent alors plus actifs que les sénateurs.
50Parmi les rapporteurs des deux Chambres, les auteurs de rapports de pétitions se limitent souvent à cette seule activité. C’est le cas des députés Cirier, Lecomte et Outters pour la législature 1881-85, Déjardin-Verkinder et Renard pour la suivante. Aucun sénateur nordiste ne prise cet exercice littéraire.
51Le nombre de rapporteurs diminue très rapidement dès qu’il s’agit de la rédaction de rapports sommaires ou de rapports de propositions de loi.
52Le vivier des rapporteurs se concentre autour d’un groupe de moyenne importance, composé du tiers des élus. 4 députés rédigent la moitié des rapports. Ils sont 7 ou 8 à se partager les trois quarts des rapports.17 5 sénateurs monopolisent la totalité de la rédaction des rapports. (en fait 97 % : Fournier, Merlin, Marcère, Théry, Massiet du Biest)
53Tant à la Chambre qu’au Sénat, les auteurs de rapports sont presque toujours des juristes rompus aux subtilités rédactionnelles. Parmi les nordistes, les juristes de formation, rédigent la totalité des rapports sénatoriaux et les trois quarts des rapports de la Chambre. L’œuvre de deux députés non-juristes mérite d’être signalée : le travail de rapporteur du raffineur Giroud (1881-85) et celui de l’ingénieur Renard (1885-89), quoique plus modeste, sont loin d’être négligeables.
Des orateurs
54Le discours à la tribune est une pièce maîtresse du dispositif parlementaire. Pour l’historien, c’est un morceau de choix, car il reproduit fidèlement la pensée de l’orateur. Le procès-verbal des débats, publié au Journal Officiel, n’est pas un document brut. Il peut être modifié aisément le jour même jusqu’à minuit. L’imprimerie procède alors au tirage d’une première épreuve. Le parlementaire peut encore rectifier jusqu’à deux heures du matin. Enfin le procès-verbal est lu à l’ouverture de la séance suivante et l’élu peut encore intervenir sur son propos. Le dispositif est suffisamment souple pour permettre une retranscription la plus fidèle possible de la pensée de son auteur.
55Le système est encore amélioré durant la 4e législature. Lefèvre-Pontalis étudie l’application d’un nouveau système reliant la Chambre des Députés à l’imprimerie du Journal Officiel. Il rédige le rapport favorable à un système de tubes pneumatiques adressés presque en temps réel au siège de la publication. Le système facilite la composition du journal. La correction des textes des débats parlementaires devient encore plus aisée.18
56Le parlementaire n’est pas toujours assidu mais n’aime pas qu’on le lui rappelle. S’il est républicain, il n’aime pas qu’on lui assène que « la Chambre n’est pas en nombre ». S’il est d’opposition, il n’aime pas que la représentation républicaine se venge en dénonçant les bancs vides de l’opposition. Tous sont cependant d’accord pour éviter les comptages, pointages et la publicité des chiffres.
57Il est plutôt difficile d’avoir une idée précise de cet absentéisme. La pratique des textes parlementaires et des interruptions vengeresses de certains députés atteste toutefois d’une assez faible fréquentation. Certains élus ne sont pas familiers du Palais-Bourbon et les absences non motivées de plus d’un mois, ne sont pas rares.
58Le républicain Lecomte propose que l’on sanctionne les absences injustifiées de longue durée des membres des deux chambres. Il propose que tout élu qui ne paraît pas dans l’hémicycle pendant un mois soit considéré comme démissionnaire. Ironie du feuilleton parlementaire, 385 députés acceptent de voter l’urgence sur le texte. 9 rares élus s’y opposent.19 Parmi les nordistes, 5 sont en congé. Boulanger, abstentionniste notoire, ne s’est pas déplacé, alors que l’Assemblée discute par ailleurs de l’importante question de la durée du travail des femmes et des enfants. L’abstention de P. Legrand est plus singulière. De fait, la résolution va demeurer lettre morte : la commission compétente semble « oublier » d’en rédiger le rapport.
59La sérénité prévaut rarement dans les débats. Les écarts de langage, les insultes et les grossièretés sont fréquents. Quelques élus se chargent de théâtraliser, voire de dramatiser les débats.20 Le président de la chambre des députés peut alors user de son droit de censure.
60Le règlement prévoit que tout député qui, dans la Chambre aura donné le signal d’une scène tumultueuse ou d’une abstention collective de participation aux travaux législatifs et que tout député qui aura proféré des injures, provocations ou menaces est passible de la censure. Tout député récidiviste ou qui fait appel à la violence, à la guerre civile, à la violation des lois constitutionnelles ou qui outrage le président de la République ainsi que tout ou partie des deux Chambres est passible de la censure avec exclusion temporaire.
61Les élus nordistes s’expriment avec une relative modération. Ils subissent tout au plus un rappel à l’ordre. Les conservateurs nordistes sont des juristes ou des notables généralement courtois respectant la bienséance des débats. Méline, président de la Chambre des députés reconnaît à Martimprey ce caractère courtois et s’étonne de son outrance langagière lors du débat sur la nomination d’un ministre civil au portefeuille de la guerre.
62Les interruptions de Brame ou de Bergerot s’adressent à la collectivité. Joviales ou acérées, elles respectent la personne et ne sont jamais insultantes. Aucune passe d’armes n’atteint la violence verbale d’un débat Floquet-Boulanger. D’ailleurs, à l’exception de Boulanger, les élus du Nord font plutôt partie des élèves sages de la classe politique.
63Mais s’ils sont calmes, ils n’en sont pas moins redoutables. Thellier de Poncheville use de l’absence chronique de certains opportunistes pour tenter de faire changer la manière dont le président prononce la censure. Il demande aussi que la chambre rompe avec la technique du vote par assis et levé et utilise le vote nominatif à la tribune qui nécessite la présence physique de l’élu. Cette manière de faire est jugée plus favorable aux élus monarchistes dans une assemblée où aucune mouvance ne détient la majorité absolue.
64335 élus, dont les radicaux, rejettent ce texte proposé moins de 15 jours avant la fin de la législature.21 Trystram est l’un des rares républicains à se joindre aux conservateurs.
65Le parlementaire de base parle peu. P. Guiral et G. Thuillier reprennent les propos truculents ou satiriques de quelques témoins qui narrent le lent cheminement et la lente ascension de l’obscur élu qui accède à la tribune après un assez long parcours initiatique.22 Même s’il apparaît que les deux auteurs exagèrent les travers bien réels des assemblées parlementaires du début de la IIIe République, il est incontestable que les orateurs sont peu nombreux et que beaucoup restent "muets". Louis de Belleval dans son ouvrage Sommes-nous en république ?, daube ces 400 députés qui, durant toute la législature, suivent à la lettre cette maxime : « La parole est d’argent, mais le silence est d’or. »23
66La prise de parole à la tribune est une activité prisée des élus nordistes. De 1881 à 1889, cet exercice représente 46 % de l’activité des députés et 39 % de l’action sénatoriale. Ce temps d’intervention à la tribune n’est toutefois pas réparti de manière uniforme sur les deux législatures.
67La participation connaît de fréquents assoupissements et de brusques réveils. Les années d’élections législatives sont peu propices aux débordements oratoires. La session d’automne de 1881, malgré la formation du Grand ministère, soulève peu de passions dans les rangs nordistes. L’année 1885 ne compte que pour 6,5 % du temps de parole. Seul, le premier semestre de l’année 1889 déroge au principe et pèse pour 10,5 % du temps de parole.
68Un bon tiers des interventions à la tribune (36 %) a lieu durant les 18 derniers mois de la législature 1885-89, tandis que le transfert des facultés douaisiennes se précise, que les questions militaires reviennent au premier plan et que l’épisode boulangiste bat son plein. Rien d’étonnant à ce que les députés de cette législature s’accaparent 60 % du temps de parole des deux législatures. C’est dire aussi combien la Droite nordiste a su, de 1885 à 1889, utiliser la tribune comme outil de persuasion et comme vecteur de propagation de ses idées.
69À l’exception du dernier trimestre de l’année 1888, la prise de parole pendant la session d’automne représente à peine le sixième de la durée annuelle. Les élus nordistes s’investissent peu dans une session qui traite plutôt du vote du budget, même si certains débats budgétaires dérogent à ce principe. Les sessions d’automne 1882, 1885 et 1887 sont particulièrement silencieuses. Le député républicain Girard, assez bavard, ne participe à aucun débat de la session d’automne qui statue sur le budget de 1883. Le conservateur Renard fait de même durant les sessions d’automne de 1887 et 1888.
32. Évolution de la durée semestrielle de prise de parole des députés nordistes (1881-89)

Abscisses : semestres/ordonnées : %
33. Évolution de la durée semestrielle de prise de parole des sénateurs nordistes (1881-89)

Abscisses : semestres/ordonnées : %
70À l’inverse, le premier semestre est davantage le moment de discussions politiques et économiques aux moindres implications budgétaires. Les nordistes deviennent alors plus prolixes.
71Dans les rangs sénatoriaux, la session d’automne ne passionne pas davantage. Le tableau 33 illustre le déclin brutal du discours sénatorial alors que les députés de Droite entrent en force à la Chambre. Ajoutons que le dynamisme sénatorial de 1889 n’est en aucun cas imputable à l’arrivée des « jeunes sénateurs » qui se cantonnent, toute l’année, dans un morne silence.
72De 1881 à 1885, 4 députés et 4 sénateurs monopolisent plus de 75 % des interventions à la tribune, à l’invitation du président de séance. Les 4 députés concernés sont tous juristes.
34. Les parlementaires du Nord. Prise de parole (1881-89)
CHAMBRE DES DÉPUTÉS | 1881-85 | 1885-89 |
Intervient à la tribune | 153 | 304 |
Interpelle | 2 | 1 |
Questionne | 1 | 4 |
Amende | 6 | 102 |
Ensemble des prises de parole | 162 | 411 |
Nombre moyen par député et par législature | 9 | 20.5 |
Nombre moyen par député et par année | 2.2 | 5.1 |
Députés concernés | 17 | 22 |
% de députés concernés | 81 % | 88 % |
SÉNAT | 1881-85 | 1885-89 |
Intervient à la tribune | 98 | 74 |
Interpelle | 0 | 1 |
Questionne | 0 | 0 |
Amende | 59 | 27 |
Ensemble des prises de parole | 157 | 102 |
Nombre moyen par sénateur et par législature | 13.1 | 8.9 |
Nombre moyen par sénateur et par année | 3.3 | 2.2 |
Sénateurs concernés | 10 | 11 |
% de sénateurs concernés | 77 % | 68 % |
73De 1885 à 1889, à la Chambre des députés, le nombre des orateurs double : ils sont 8 à se partager 78 % des prises de parole. Durant cette période, les juristes demeurent toujours largement représentés (Lefèvre-Pontalis, Maurice, Rotours, Thellier de Poncheville), même si 2 militaires (Boulanger et Martimprey) et 2 ingénieurs (Le Gavrian et Renard) font une entrée remarquée.
74Si l’on regroupe maintenant le temps de parole des députés durant les deux législatures, il apparaît qu’un petit groupe de dix élus accapare la parole nordiste. Sept conservateurs, emmenés par le baron des Rotours et l’avocat Thellier de Poncheville, sont omniprésents. La participation de Thellier de Poncheville et de Martimprey, concentrée sur une seule législature, démontre le dynamisme de ces élus jeunes, prêts à en découdre. Marcère élu de Centre-gauche, qui intervient à la Chambre et au Sénat, détient le record départemental. Dans les rangs républicains, les avocats Pierre Legrand et Girard sont les seuls à figurer dans le peloton de tête.
75À l’inverse, 9 députés, soit le quart de l’effectif, ne montent jamais à la tribune : durant les quatre années du mandat, leur prise de parole n’excède en aucun cas 5 minutes. Debuchy et Desmoutiers n’ont prononcé aucune parole durant la période 1885-89. Si Desmoutiers, survivant de 1848, fortement sollicité par le camp républicain, a dû remplacer inopinément le républicain Mention, gravement malade, il n’en est pas de même du conservateur Debuchy.
35. Temps de prise de parole à la tribune des députés du Nord (1881-89)

Abscisses : cumul, exprimé en nombre de lignes, des discours publiés au J. O.
76À ce stade, il semble judicieux d’esquisser une comparaison sommaire avec quelques célébrités politiques extra-départementales.
77À l’échelon national si, durant la législature 1885-89, un nouvel élu comme Jaurès intervient près d’une trentaine de fois en 4 ans, Poincaré ne se préoccupe que de la rédaction de rapports. Clemenceau qui sait instrumentaliser sa voix pour faire tomber les ministères n’intervient qu’une quinzaine de fois sur toute la législature. Clemenceau écrit peu et ne se frotte pas à la fonction de rapporteur. Durant la législature 1881-85, Émile Loubet est moins actif que Marcère et n’intervient à la tribune qu’une douzaine de fois, concentrant son activité sur la rédaction de rapports. Wilson, ancien sous-secrétaire d’État aux finances, même si son activité est supérieure à celle de Loubet, n’est pas plus actif que Marcère.
36. Temps de prise de parole à la tribune des sénateurs du Nord (1881-89)

Abscisses : cumul, exprimé en nombre de lignes, des discours publiés au J. O.
78Les conservateurs nordistes les plus jeunes, élus pour la première fois, n’hésitent pas à se distinguer et à haranguer leurs collègues. Les députés Thellier de Poncheville, Martimprey et Maurice bravent la tradition qui veut qu’un nouvel élu monte peu à la tribune.
79Quant à la participation à la discussion générale d’un projet ou d’une proposition, elle constitue un exercice de style auquel ne participe, en principe, que l’élite parlementaire.24 Pourtant, Martimprey est l’un des principaux orateurs à intervenir dans plusieurs discussions générales de projets ou de propositions sur l’organisation militaire. À ce titre, Martimprey, même s’il s’en défend, n’intervient pas à titre personnel. La généalogie familiale est le lieu de rencontre de plusieurs dynasties militaires. L’orateur, investi d’une mission, est poussé à intervenir et à présenter les doléances de la fraction la plus conservatrice de la hiérarchie militaire.
80L’activité globale des parlementaires nordistes de la 4e législature n’est pas médiocre. Si l’avocat républicain Esnault, de 1881 à 1885 et le président du conseil Rouvier, de 1885 à 1889, sont les élus les plus actifs de la Chambre, Thellier de Poncheville fournit un travail conséquent qui n’est dépassé que par une douzaine de députés français.25
81Au Sénat, 4 élus monopolisent 87 % des prises de parole. Trois sénateurs inamovibles occupent une place prépondérante : Marcère, Testelin et Wallon interviennent dans les trois-quarts des débats impliquant un nordiste. Les inamovibles de la Droite monarchiste, âgés, participent peu.
82Parmi les sénateurs soumis à renouvellement, les républicains Merlin et Fournier sortent du lot. S’ils sont de bons rapporteurs, ils sont aussi de bons orateurs. Leur temps de parole est toutefois bien plus faible que celui des députés.
83Enfin, ici encore plus qu’à la Chambre, les « muets » forment un groupe conséquent composé aux trois-quarts de républicains soumis à réélection (Scrépel, Géry-Legrand, Cirier, Dutilleul, Faidherbe, Girard). Deux sénateurs inamovibles, le modéré Corne et le sénateur de Droite Kolb-Bernard ne prononcent aucun discours. Il semble avéré que Kolb-Bernard, en mauvaise santé, ait très peu siégé.
84L’attitude de l’avocat Girard est particulièrement signifiante. Député, il sait se faire entendre à la tribune. Sénateur, il utilise son mandat comme une sinécure.
85La discussion d’une interpellation est l’un des temps forts de la vie parlementaire. De son bon déroulement dépend la survie du ministère en place. Les élus nordistes sont à l’origine de 4 interpellations. (3 à la Chambre, 1 au Sénat, soit 2 par législature) Les élus usent modérément de ce moyen de pression qui connaît, à l’échelon national, une faveur grandissante. À la seule Chambre, le nombre d’interpellations passe de 93 à 115 d’une législature à l’autre.
86Durant la législature 1881-85, le député radical Giard est l’homme d’un unique moment de bravoure en interpellant le gouvernement, par deux fois, les 3 mars et 4 avril 1884 sur la grève de longue durée dans les mines d’Anzin.26 Durant la période 1885-89, le député conservateur Martimprey interpelle sur la nomination d’un ministre civil à la Guerre27 et le sénateur républicain Merlin sur le transfert des facultés de Douai à Lille28. Très peu de nordistes épaulent les interpellateurs. Wallon est le seul à soutenir Merlin dans la défense des facultés douaisiennes.29
87Aucun nordiste ne contribue, tant soit peu, par ses initiatives à la chute d’un ministère.
Pour conclure : Un noyau assez peu étoffé, une mainmise des juristes
88La durée des interventions à la tribune et l’importance du travail de rapporteur permettent de dresser une typologie sommaire des élus.
89Bergerot et Brame sont des interrupteurs. 92 % de leur temps de parole est utilisé dans des interventions de une à trois lignes.30 Baucarne-Leroux, interrupteur, est aussi un technicien de la question douanière. De nombreuses interventions courtes alternent avec 5 interventions longues.31 Quant au sénateur Testelin, il est le champion toutes catégories des interruptions. Doué d’un sens peu commun de la répartie, il éprouve beaucoup de plaisir à contrer le magistrat conservateur Gavardie, lui-même considéré comme un interrupteur notoire.32
90Le conservateur Jonglez ou le radical Giard sont les hommes d’un seul débat. Peu d’interventions courtes s’opposent à quelques séquences très longues. Koechlin est un technicien courtois peu impressionné par les invectives antiboulangistes. Pas d’intervention courte mais de longs monologues qu’entrecoupent les interruptions et invectives républicaines.
91Le conservateur Lepoutre, les avocats républicains Guillemin et Cirier, le magistrat Corne, les journalistes Masure et Géry-Legrand ou l’industriel Scrépel sont des muets plus à l’aise dans les couloirs qu’à la tribune de l’hémicycle. Ni interruptions ni discours plus longs.33 Ces derniers exemples prouvent qu’il ne suffit pas d’être juriste ou journaliste pour être un politique loquace ! Notons que la représentation républicaine manque cruellement d’orateurs et de rapporteurs.
92Rotours est un opposant tenace et courtois, il interrompt peu et sait utiliser toute la palette discursive. Les juristes Lefèvre-Pontalis, Thellier de Poncheville, Marcère et Merlin font de même. Si les députés Maurice ou Marcère et les sénateurs Fournier ou Wallon sont des interrupteurs, ils sont aussi capables d’adapter la longueur de leur discours aux différentes situations de la vie parlementaire.
93Quant à Le Gavrian et Martimprey, après un temps d’adaptation en début de mandat, la parole devient plus aisée, l’intervention plus longue et plus incisive.
94En définitive, de 1881 à 1885, 7 députés et 4 sénateurs concentrent 86 % des interventions nordistes à la tribune. 5 députés et 2 sénateurs sont des juristes et leur activité représente 80 % des prises de parole. De 1885 à 1889, 90 % de l’activité nordiste est le fruit du travail de 11 députés et de 4 sénateurs. 7 députés et 2 sénateurs sont des juristes (magistrats, avocats, notaires).
95On le voit donc, bien que le changement de mode de scrutin limite les comparaisons entre législatures, les élus conservateurs sont davantage acteurs du travail parlementaire. Toutefois, toutes tendances confondues, l’activité législative dans son ensemble est dominée par une minorité agissante qui exerce un conséquent travail de réflexion. Ce groupe, aux contours bien identifiés, est souvent d’une grande loquacité. (les républicains Marcère, Testelin et Wallon, les conservateurs Thellier de Poncheville, des Rotours, Renard, Le Gavrian, Martimprey…) S’y ajoutent quelques parlementaires moins bavards mais qui maîtrisent les dossiers. (Cirier, Giroud, Outters, Morel…) La prestance du verbe et l’aisance de l’écriture sont toutefois rarement le fait du même individu. Enfin, quelques députés, anciens avocats, lorsqu’ils sont élus sénateurs, changent radicalement de rythme de travail et n’interviennent plus. (Cirier, Girard)
96Tout se passe comme si une fraction, composée d’un tiers des parlementaires, ayant très souvent une connaissance juridique approfondie, confisquait en ses mains l’ensemble des pouvoirs de proposition, d’élaboration, de discussion et d’amendement. Les deux législatures voient donc la très réelle mainmise des juristes sur la parole et l’écriture législatives.
37. Orateurs et rapporteurs : implications nordistes dans le travail parlementaire (1881-89)

Les élus républicains sont en italique
Notes de bas de page
1 APP Ba/1180
2 Vice-Président de la Comm des finances
3 dont présidence de la Comm d’instruction de la Haute Cour de Justice
4 Indépendamment de l’augmentation du nombre d’élus (de 18 à 20)
5 Part du dépôt de prop. de loi dans l’ensemble de l’activité des élus du Nord
* Ch. des Députés : 2.9 % législature 1881-85 4.8 % législature 1885-89
* Sénat : 1.0 % législature 1881-85 1.5 % législature 1885-89
6 Giard, Girard, Pierre et L. Legrand. Les 3 derniers sont juristes
7 Lecomte, Lefèvre-Pontalis, Le Roy et Thellier de Poncheville
8 GUIRAL Pierre, THUILLIER Guy, La vie quotidienne des députés en France de 1871 à 1914, Paris, Hachette, 1980
9 Règlement Chambre des Députés, art. 27, par. 1 & 2
10 62 % des députés (les 13 autres !) participent pour 25 % du travail en Comm
11 Part des nomin. à la Comm d’initiative parlementaire [Chambre et Sénat] : 15 % du total
12 Les 7 juristes de la Ch. des Députés : Morel, Thellier de Poncheville, Lefevre-Pontalis, Le Roy, Déjardin-Verkinder, Maurice et Legrand (Lecelles)
Les 3 juristes du Sénat : Fournier, de Marcère, Merlin
13 AN. C//5374 : Registre manuscrit de 45 pages de 33 lignes. Procès-verbal avoisinant 1500 l. Interv. des 8/2/1887 (1 l.), 7/6/1887 (6 l.) et 27/6/1887 (1 l.)
14 AN. C//5404 : P. V. de la Comm
15 RENARD Jules, Journal, 1907 in GUIRAL Pierre, THUILLIER Guy, op. cit.
16 PIERRE Eugène, Traité de droit politique électoral et parlementaire, Paris, Librairies-Imprimeries Réunies, 1893.
Eugène Pierre fut, de longues années, secrétaire général de la présidence de la Chambre des Députés.
17 * Lég. 1881-85 : 4 députés pour 54 % des rapports Cirier, Giroud, Lecomte, P. Legrand ; 7 députés pour 76 % des rapports : les mêmes + Marcère, Girard, L. Legrand.
* Lég. 1885-89 : 4 députés pour 49 % des rapports Maurice, Morel, Renard, Thellier de Poncheville ; 8 députés pour 77 % des rapports : les mêmes + Déjardin-Verkinder, Lecomte, Legrand (Lecelles), Lefèvre-Pontalis.
18 JODoc an.2015. 20/7/1887
19 JODébCh 18/6/1888 Sur l’urgence de la proposition Lecomte, sur les absences injustifiées des membres du Parlement. 385 élus favorables dont 10 nordistes : Baucarne-Leroux, Bergerot, Frescheville, Jonglez, Le Gavrian, Lepoutre, Le Roy, Morel, Thellier de Poncheville + Trystram [après rectification de son abstention].
9 voix contre mais aucun nordiste.
4 abstentions nordistes : Boulanger/Pierre Legrand/Lecomte/Martimprey.
5 nordistes en congés : Déjardin-Verkinder/Lefèvre-Pontalis/Maurice/Renard/des Rotours.
20 Peu d’élus subissent la censure.
Lég. 1881-85 : Cassagnac, prince de Léon, Faure, La Rochefoucauld-Bissacia
La censure avec exclusion temporaire n’a pas été utilisée.
Lég. 1885-89 : Baudry d’Asson, Boulanger, Cassagnac, Cunéo d’Ornano, Laguerre, Le Hérissé, Lejeune
La censure avec exclusion temporaire a été utilisée contre Cassagnac, Laguerre, Le Hérissé, Lejeune
21 JODébCh 18/6/1889 Sur l’urgence du projet de résolution Thellier de Poncheville, modifiant les articles 82 et 127 du règlement de la Chambre [censure et censure avec exclusion temporaire]
198 élus favorables dont 14 nordistes Bergerot / Déjardin-Verkinder / Frescheville / Jonglez / Koechlin / Le Gavrian / Lepoutre / Le Roy / Maurice / Morel / Renard / Rotours / Thellier de Poncheville / Trystram
335 voix contre dont 2 nordistes : Pierre Legrand/Lecomte
Pas d’abstention nordiste./2 élus nordistes en congés : Lefèvre-Pontalis/Martimprey
22 GUIRAL Pierre, THUILLIER Guy, op. cit.
23 de BELLEVAL Louis, Sommes-nous en République ?, Paris, A. Rousseau, 1888, in GUIRAL Pierre, THUILLIER Guy, Ibid.
24 GUIRAL Pierre, THUILLIER Guy, op. cit.
25 3e législ. Particulièrement actifs : Esnault, avocat républicain, député du Calvados est le « stakhanoviste » des rapports. Son activité globale occupe 2 fois plus de place dans les tables analytiques que celle de Rouvier, durant la lég. suivante. Jules Roche est aussi particulièrement actif. Loin dernière Esnault : Brisson, Jules Ferry, Laroche-Joubert, Lorois, Ribot, Tirard et Waldeck-Rousseau
4e législ. Rouvier est le plus actif. Citons aussi Burdeau, Dreyfus, Floquet, La Batie, Lanjuinais, Laur, Mérillon, Peytral, Jules Roche et Yves Guyot
26 JODébCh 6/3 et 8/4/1884
27 JODébCh 23/4/1888
28 JODébSt 3/11/1887
29 Ibid.
30 Bergerot : 222 interv. 1881-89/longueur moy. d’une intervention : 2 lignes/203 interv. de 1 à 3 l. (91 %)/+ de 50 l. : 0 interv.
Brame : 80 interv. 1881-88/longueur moy. : 3 l./74 interv de 1 à 3 l. (92 %)/+ de 50 l. : 0 interv.
31 Baucarne-Leroux : 57 interv 1885-88/longueur moy. : 23 l./48 interv. de 1 à 3 l. (84 %)/+ de 50 l. : 5 interv.
32 Testelin : 697 interv. 1881-89/longueur moy. : 23 l./48 interv. de 1 à 3 l. (84 %)/+ de 50 l. : 5 interv.
33 Cirier : 0 interv. 1888-89
Corne : 0 interv. 1881-87
Guillemin : 2 interv. 1881-85/longueur moy. : 9 l./ 545 interv. de 1 à 3 l. (78 %)/ 28 interv. de plus de 50 l.
Legrand Géry : 1 interv. 1889/longueur moy. : 1 l.
Lepoutre : 1 interv. 1885-89/longueur moy. : 19 l.
Masure : 2 interv. 1881-85/longueur moy. : 14 l./interv. de 1 à 3 l. (--- %)/+ de 50 l. : 0 interv.
Scrépel : 6 interv./longueur moy. : 15 l./2 interv. de 1 à 3 l. (33 %)/+ de 50 l. : 0 interv.
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