Introduction
p. 23-32
Texte intégral
1Tandis que, lentement, s’éloigne l’obsédant spectre de la défaite de 1870, la décennie 1881-89 offre le spectacle rassurant d’un monde qui retrouve ses repères habituels et se tourne vers un avenir que tous espèrent souriant, malgré de nombreux soubresauts politiques, économiques et sociaux.
2La lecture des classiques ouvrages scolaires de l’époque est révélatrice de cette ambivalence. La littérature pédagogique vante une France nouvelle qui tourne le dos à l’obscurantisme et se dirige, avec force et conviction, vers l’aube d’un monde nouveau, moderne, scientifique, conquérant et fraternel. Ce lyrisme scande la vie quotidienne des enfants qui fréquentent les bancs de l’école de la République. Il suffit de citer l’incontournable Tour de France des deux enfants André et Julien,1 ou les périples de Nicolas, Simon et Yves dans un autre ouvrage de grande diffusion destiné aux classes du certificat d’études, Monsieur Prévôt.2
3La décennie se situe, sous les présidences de Jules Grévy et de Sadi Carnot, durant les ministères des "républicains de gouvernement", connus aussi sous le vocable de "république opportuniste". La crise boulangiste secoue violemment les dernières années de la décennie. Le Nord élit triomphalement, et par deux fois, le général Boulanger en remplacement d’élus décédés. Les bastions ouvriers mêlent massivement leurs voix à celles des circonscriptions rurales et offrent aux deux élus boulangistes des majorités écrasantes. La Flandre unanime se jette dans les bras du général. Seul, l’arrondissement de Lille échappe timidement au raz-de-marée.3
4La période coïncide avec les 3e et 4e législatures, du 21 août 1881 au 4 octobre 1885, puis du 4 octobre 1885 au 22 septembre 1889. Les élections de 1881 s’effectuent au scrutin uninominal d’arrondissement à 2 tours. Celles de 1885 utilisent le scrutin plurinominal à 2 tours dans le cadre départemental. Ce changement du mode d’élection contribue, en 1885, à l’élection de députés exclusivement monarchistes, et provoque même, en fin de législature, l’élection d’hommes providentiels à l’incontestable prestige national mais auréolés du parfum du scandale.
5Si la décennie "quatre-vingts" voit l’affermissement et l’affirmation de la République, elle subit également la tourmente boulangiste. Les crises ministérielles scandent la décennie comme autant de respirations impétueuses. Mais, à l’instabilité chronique des ministères répond la relative stabilité des ministres. « La Chambre intempérante, inconsciente et divisée, issue des élections de 1881. »4 n’a rien à envier à celle de 1885 dont les séances agitées connaissent maints épisodes pathétiques, hystériques ou mélodramatiques.
6Le début de la 3e législature coïncide avec la chute du premier et long ministère Ferry discrédité par l’affaire tunisienne. Le président de la république, Jules Grévy, appelle enfin Léon Gambetta, le leader historique des républicains, qui forme un éphémère gouvernement de tendance Union républicaine. Ce ministère est emporté prématurément par le rejet des projets de révision de loi organique du Sénat et d’instauration du scrutin de liste. Le cabinet Freycinet rallie les suffrages des opportunistes modérés et du Centre-Gauche. Les tensions égyptiennes et la discussion des crédits pour la défense du canal de Suez provoquent la chute de Freycinet, remplacé par le sénateur Duclerc. Le nouveau ministère réunit toutes les composantes républicaines à l’exclusion de l’Extrême-gauche. L’affichage du manifeste du prince Jérôme Bonaparte sur les murs de Paris provoque une crise majeure parmi les membres du cabinet ministériel. Duclerc est remplacé, pendant quelques jours, par Fallières. L’opposition sénatoriale entraîne la nomination, en février 1883, du second ministère Ferry. Le nouveau Président du conseil assoit son autorité sur l’entente entre Gauche républicaine et Union républicaine. L’exceptionnelle longévité de ce gouvernement permet une activité législative d’envergure : rétablissement du divorce, projet de loi municipale, réforme de la magistrature, sociétés de secours mutuels… C’est de nouveau une question coloniale qui provoque la chute de Ferry : la campagne militaire du Tonkin et l’orchestration médiatisée au plus haut point de la pseudo-défaite de Lang-son enveniment les relations entre ministère et Parlement. Le drame se dénoue par la nomination du radical Brisson qui préside un cabinet « de concentration et d’union ».5 Contraint à pratiquer une politique mesurée, Brisson dispose d’une fragile majorité aussi longtemps que les épineux dossiers religieux sommeillent.
7La réélection de Jules Grévy à la présidence de la République s’accompagne de la démission du ministère. Freycinet qui succède à Brisson appelle au ministère de la Guerre, le général Boulanger. La commission du budget multiplie les attaques contre le gouvernement et le vote d’un amendement édictant la suppression des sous-préfets entraîne la chute du ministère. Le radical Goblet prend alors la tête du gouvernement et conserve Boulanger, symbole du patriotisme intransigeant de la Revanche. Lorsque la Chambre désavoue le ministère sur son manque de rigueur budgétaire, elle utilise, en fait, ce prétexte pour éloigner le bouillant général du gouvernement.6 Rouvier bénéficie de la neutralité bienveillante de l’Union des droites et promet d’évincer Boulanger, tout en mettant un frein à la complète laïcisation des écoles publiques. Le ministère, composé exclusivement d’opportunistes, démissionne pour ne pas cautionner le scandale des décorations.
8Le nouveau président de la République, Sadi Carnot, confie les rênes à Tirard qui s’appuie sur une majorité associant opportunistes et radicaux. Les différentes élections partielles démontrent cependant la popularité du message boulangiste. Tirard qui refuse de se prononcer en faveur de l’urgence sur la révision des lois constitutionnelles est alors renversé. Le nouveau ministère Floquet, majoritairement radical, se heurte aux agitations boulangistes qui gagnent tout le pays. Les opportunistes modérés et la Droite s’associent, cette fois, pour refuser de passer à la discussion des articles du projet de loi électorale. Tirard constitue alors son deuxième ministère. Le ministre de l’Intérieur Constans prend d’habiles et énergiques mesures pour lutter contre le mouvement boulangiste qui s’effrite.
9La période 1881-1889 connaît une phase économique de longue atonie, pouvant aller, dans certains secteurs, jusqu’à une sévère dépression. De manière plus ciblée, la période 1883-1888 est très mauvaise. Le revenu national connaît une stagnation agricole accompagnée d’une faible croissance industrielle.7
10Les gains de productivité, les prémices d’une concurrence internationale qui s’intensifie et le ralentissement de la production d’or figurent parmi les causes majeures de cette dépression installée dès 1874. Toutefois, les reconstructions dues à la réparation des dommages de guerre, l’exécution des grands travaux du plan Freycinet et la mise en application de tarifs protectionnistes ont ralenti les effets de la crise.
11La confiance est entamée en 1882, lorsque se produit, presque en même temps que la chute de Gambetta, le krach de l’Union Générale qui spolie des milliers de clients de la banque.
12Bon an, mal an, le ministère de la Guerre absorbe la moitié des dépenses publiques. L’offre de crédit chute. Le recrutement de fonctionnaires draine une partie de la population active. Le budget de l’État devient déficitaire. Tandis que la demande stagne, l’industrie et le commerce sont, à leur tour, atteints par la crise.8
13L’activité agricole doit dorénavant répondre aux crises de surproduction, à la baisse des prix, et à la catastrophe viticole du phylloxera. L’exode rural devient massif. La redoutable concurrence des pays nouveaux est combattue par des mesures protectionnistes, réclamées depuis longtemps dans le Nord, mais dont les effets insuffisants génèrent un surcroît de protection.
14L’activité industrielle et commerciale se nourrit, malgré tout, des investissements dans l’industrie, le bâtiment et les services. Les investissements dans le secteur des transports contribuent à la valorisation de l’espace français et permettent l’intensification des échanges de marchandises.9 Cette relative zone de prospérité ne peut toutefois cacher l’ampleur du chômage industriel durant les années 1880.
15Terre de carrefour, forte de ses 1 670 084 habitants au recensement de 188110 et de ses 5 680 km², le Nord représente, à lui seul, 4,25 % de la population française. C’est le département le plus peuplé à l’exception de la Seine. De 1881 à 1891, le nombre d’habitants croît sensiblement et passe à 1 736 300 habitants (+ 4 %). La population est dense. (294 hab./km² en 1881/305 hab./km² en 1891) La population urbaine dépasse déjà 63 %11. La natalité est vigoureuse et l’accroissement naturel se poursuit à un rythme rapide : la Statistique Générale de 1886 précise que le Nord enregistre la deuxième plus forte croissance nationale. Le taux de mortalité est le deuxième plus faible et se situe juste derrière celui du Maine-et-Loire.12
16Ce département est aussi un lieu modelé par l’histoire nationale, confronté aux vicissitudes du climat, ouvert pour le meilleur et pour le pire sur la mer du Nord, subissant régulièrement les guerres, les invasions et les rectifications frontalières.
17Sur le plan géographique, le Nord se divise en deux parties : la Flandre prédomine tant en superficie qu’en population et l’Avesnois s’étend sur la frange sud-est du département, aux confins des Ardennes.
18Sur le plan politique et administratif, les six arrondissements de Dunkerque, Hazebrouck, Lille, Douai, Valenciennes et Avesnes-sur-Helpe en constituent l’armature administrative.
19Inlassablement, les contemporains ont dit et redit la richesse de ce département industrieux, riche d’hommes et de biens où agriculture et industrie se marient harmonieusement. Partout on insiste sur l’image d’une population courageuse, affairée et travailleuse. Le Nord n’est-il pas le département de province qui pèse le plus lourd dans la fortune nationale calculée à partir des annuités successorales ?13 N’est-il pas le département de province qui paie la plus lourde contribution foncière ?
20Certes, il ne faut pas être dupe de ce discours idyllique qui occulte une réalité où les conditions de vie sont pénibles, où les grèves sont nombreuses et parfois dramatiques, mais il met bien en évidence le poids économique du département et de la région et les interrelations qui existent entre le département et le pays mais aussi, déjà, entre le Nord et les circuits commerciaux mondiaux.
21L’agriculture est intensive. Pas un seul lopin de terre n’est laissé en jachère. Le chanvre et le lin fournissent l’industrie textile et dentellière. La navette, l’œillette et le colza sont transformés en huile. Les betteraves fournissent le sucre ou servent de fourrage aux bovins. Le houblon entre dans la composition de la bière. La production céréalière est importante et les rendements avoisinent les meilleurs taux mondiaux.
22L’élevage n’est pas négligé. Les vaches flamandes sont réputées pour leur lait, leur viande et leurs veaux. La production de beurre n’est pas négligeable. Les moutons produisent une laine renommée que transforment les usines textiles de Roubaix et de Tourcoing.
23Quant à l’industrie du Nord, elle possède aussi de beaux fleurons : raffineries de sucre, distilleries d’eau-de-vie, fabriques d’amidon, moulins à huile et à farine. L’industrie minière et l’industrie textile de laines, de coton, de lin, de jute, de chanvre et de soies mélangées constituent la vitrine du département. En complément de ces deux filières, fleurit une prospère industrie de fabrication de machines à vapeur et de machines-outils.
24Certains auteurs contemporains vont jusqu’à décrire le département comme une immense ville aux champs soignés comme des jardins, où des groupes d’usines dominés par de hautes cheminées, poussent tels des champignons.14
25Les voies de communications sont nombreuses et variées. Le réseau routier est dense. Il s’accroît encore, vers 1880, de quelques chemins vicinaux mais ne connaît plus d’évolution majeure jusqu’à la Première Guerre Mondiale.
26La construction des chemins de fer est bien avancée. Un véritable réseau s’est créé. Le nombre important de voyageurs et l’utilisation du rail dans les échanges industriels et commerciaux placent les chemins de fer du Nord dans une situation très favorable.
27Il existe également un réseau de canaux aux eaux polluées par la houille, les détritus des usines et les immondices des cités. Même si rivières et canaux sont particulièrement lents et peinent à concurrencer le fer, le halage est toutefois facilité par la monotonie des reliefs.
28Au sud-est du département, aux confins du massif ardennais, avec comme centre administratif le gros bourg d’Avesnes-sur-Helpe, s’étend une région plus rurale et plus boisée. Assurément moins riche que la Flandre, l’Avesnois vit davantage en autarcie et la densité de population y est beaucoup plus faible.
29Enfin, s’il fallait décerner des médailles, le Nord se situerait au 4e rang national pour sa richesse générale. Il est le premier pour sa production de sucre, de zinc, de tôles, de verres et cristaux ainsi que pour sa production de fer. L’industrie houillère est florissante. Son agriculture le place au premier rang pour la production de blé, de betteraves et de lin. Dans l’industrie textile, le nombre de broches actives dans les filatures de laine, de chanvre, de lin ou de jute est le plus important de France.
30Assurément, en cette fin de XIXe siècle, le Nord connaît une prospérité enviée même s’il faut tempérer le tableau en raison du marasme économique national qui obère les profits agricoles, industriels et commerciaux.
31A ce poids économique et démographique, s’ajoute un réel poids politique. Le Nord est le département de province qui envoie le plus d’élus tant à la Chambre qu’au Sénat.
32L’étude prosopograhique qui suit reprend tous les parlementaires élus dans les limites départementales, qu’ils soient originaires du Nord ou non. Les 7 sénateurs inamovibles du Nord sont inclus dans l’effectif.15
33Ne sont par contre pas retenus les parlementaires nés dans le Nord mais élus ailleurs.16 Il est en de même des ex-parlementaires nordistes élus, durant la période retenue, dans d’autres départements.17
34De 1881 à 1889, 38 députés et 18 sénateurs siègent au Parlement. Compte tenu de l’élection au Sénat de 4 députés, l’effectif s’élève à 52 parlementaires. Notons encore que les 18 sénateurs comptent, en leur sein, les 7 "inamovibles" élus de 1875 à 1884 : 3 monarchistes, 2 modérés, 1 Centre-gauche et 1 républicain opportuniste. De plus, 13 des 18 sénateurs sont d’anciens députés. (72 %) Ces 52 parlementaires sont regroupés en une unique cohorte et leur activité parlementaire et législative est étudiée sous toutes ses formes. Toute participation aux assemblées départementales ou locales est cependant exclue.
35Cinq grands types d’activités sont examinés, le plus exhaustivement possible. La participation au vote des textes législatifs est l’activité la mieux connue. La prise de parole lors du débat parlementaire permet la confrontation et l’enrichissement des idées. Mais la participation aux votes ou l’intervention à la tribune des assemblées constituent la partie visible de l’iceberg ! La participation au travail des commissions des assemblées permet également la prise de parole, l’explication de positions personnelles et la préparation du travail législatif. Autre volet, le dépôt de propositions de loi enrichit la vie parlementaire et permet de cerner plus précisément, grâce à l’exposé des motifs, les intentions de l’élu. Enfin, la rédaction de rapports et de rapports sommaires complète la palette des activités législatives. Au fil de l’étude du texte, le rapporteur est contraint d’y laisser son empreinte.
36Les recherches prosopographiques initiées par J.-M. Mayeur et M. Agulhon sur le personnel politique parlementaire, ont affiné sensiblement la méthodologie employée pour la connaissance de groupes homogènes – que l’analyse soit sociale, politique ou professionnelle.
37Une grille d’analyse pointue est élaborée. Chaque élu est soumis à ce questionnement. Au fil du temps, les éléments de réponse s’agrègent et forment un ensemble cohérent qui devient, à son tour, moteur d’analyses affinées et d’interrogations nouvelles.
38Cette analyse quantitative des origines sociales, des systèmes d’alliances, des professions et des niveaux de fortune renouvelle significativement le portrait – somme toute sommaire – des élus départementaux durant la décennie « quatre-vingts ».
39La connaissance de l’activité professionnelle des élus permet de mesurer le poids de chaque groupe social, confirmant ou non l’image traditionnelle de la relative absence des milieux d’affaires dans la représentation parlementaire, mais aussi la surreprésentation des professions juridiques et médicales.
40La connaissance du milieu familial doit permettre d’expliquer, pour partie, l’ascension des élus, mais aussi le poids des traditions et des "pesanteurs familiales" et de dépasser le caractère souvent sommaire, voire erroné, des recueils biographiques. En revenant aux sources de première main, il s’agit d’étoffer les liens familiaux paternels et maternels et d’offrir une image précise de la parentèle des élus. Le cas du député Martimprey est exemplaire : il illustre, à lui seul, les réseaux familiaux, les attaches royalistes et bonapartistes des ancêtres ainsi que les stratégies matrimoniales du clan.
41Il y a lieu aussi de s’interroger sur le poids des dynasties familiales et sur le mode de transmission du mandat électif pour tenter de découvrir si les anciennes élites influent toujours sur le jeu politique départemental.
42Constate-t-on l’émergence de nouvelles élites, comme l’annonce Gambetta dans un discours de 1871 ? Comment la bourgeoisie parlementaire amalgame-t-elle ces nouveaux venus de la politique ? La connaissance du patrimoine familial permet-elle de valider l’hypothèse d’une bourgeoisie très aisée, disposant souvent d’une immense fortune ? Peut-on affiner la connaissance et la composition du patrimoine des élus au moment de leur décès ?
43Enfin, une piste, également peu explorée à ce jour, tente de scruter les alliances que contractent les enfants, souvent déjà adultes, lorsque leur père siège au Parlement.
44Les élites du XIXe siècle ont, très souvent, défini de véritables stratégies matrimoniales. Quelles sont les caractéristiques de ces unions et quel est le poids des mariages extra-départementaux ? Quel rôle le mariage joue-t-il dans la réussite sociale et dans la carrière politique ? Autrement dit, ces alliances ont-elles plutôt permis l’ascension politique des parlementaires ou ont-elles plutôt favorisé la transmission du patrimoine familial, tant industriel, foncier, immobilier que mobilier ?
45On peut affirmer, sans grand risque, que la connaissance de l’activité législative des élus, dès qu’elle dépasse le cadre de la participation aux votes ou de la prise de parole à la tribune, demeure parcellaire, voire embryonnaire.
46Pourtant la décennie "quatre-vingts" est celle de l’affermissement de la République. De nombreuses lois nouvelles vont modeler la vie quotidienne pour des décennies : lois scolaires, extension du réseau ferroviaire, lois syndicales, vie politique locale, recrutement de l’armée, réforme judiciaire, instauration du divorce, tarifs protectionnistes, politique coloniale,
47L’activité des élus nordistes fut-elle intense ? Ceux-ci ont-ils privilégié certaines formes de l’activité législative ? Quelles ont été les conditions de la prise de parole à la tribune ? Les élus nordistes ont-ils été assidus dans les commissions ? Peut-on mesurer l’absentéisme ? Quels furent les sujets de prédilection ? Y a-t-il des domaines où la participation fut négligeable, voire inexistante ? Quelle part fut prise dans les dossiers brûlants du moment ou dans le débat constitutionnel ? Les parlementaires du Nord ont-ils soutenu, par leurs déclarations et leurs votes, l’action gouvernementale ? Dans quelles circonstances s’en sont-ils dissociés ? Quel fut leur positionnement par rapport au caractère républicain des institutions ?
48Quelles ont été les positions des uns et des autres durant la navette parlementaire : travail en commission, débat à la tribune, droit d’amendement et vote final ? Peut-on constater des évolutions dans le cheminement de la pensée ? Dans quelle mesure l’élu privilégie-t-il le vote individuel au détriment de la position arrêtée par le groupe auquel il appartient même si l’appartenance à un groupe ne revêt pas les contraintes qu’on peut connaître depuis ?
49Dans un autre domaine, si l’élu est appelé à réfléchir et à trancher sur les grands dossiers d’intérêt général, il est aussi l’ambassadeur de sa circonscription, de son département et de sa région. De quelle manière l’élu tente-t-il, depuis Paris, de présenter les grands problèmes départementaux : transfert des universités de Douai à Lille, lignes locales de chemins de fer, législation des mines, grèves d’Anzin, catastrophes naturelles ? Comment plaide-t-il en faveur des intérêts nordistes ? Comment influe-t-il sur la prise de décision ? À l’inverse, comment l’hexagone, au travers du prisme réducteur du discours parlementaire, peut-il percevoir les problèmes du Nord et les enjeux des stratégies mises en place pour faire aboutir les grands dossiers départementaux ?
50Autre facette, les élus nordistes ont-ils été de grands orateurs ? L’analyse du discours politique permet-elle de dégager des constantes de leur discours politique, des lignes de clivages ? Sur quelle idéologie, sur quelles grandes idées politiques portent ces clivages ? Y a-t-il, parmi nos représentants, un discours propre aux élus "de droite" ou aux élus "de gauche" ? Quelles figures rhétoriques sont-elles utilisées ? Y a-t-il participation aux grands affrontements discursifs ou la participation est-elle plus technique ne laissant que peu de place aux débordements passionnels ? De réels talents de polémistes s’affirment-ils ? Enfin, comment se comportent avocats et magistrats, eux que l’on considère comme les professionnels de la parole ?
51C’est à travers ces multiples interrogations, que cette contribution souhaite compléter la connaissance de l’histoire politique du département du Nord au début de la Troisième République et combler diverses lacunes sur cette période 1881-89 qui – à de rares exceptions près – a fort peu intéressé les historiens locaux.
Notes de bas de page
1 BRUNO G., Le Tour de France par deux enfants, Paris, Libr. classique Eugène Belin, (381ème éd. en 1920)
2 DAVID-SAUVAGEOT Albert, Monsieur Prévôt. Culture du sens moral. Culture du patriotisme. Culture de l’intelligence, Paris, A. Colin et Cie éditeurs, s.d.
3 L’Indicateur de l’arrondissement d’Hazebrouck, no 4940 du 26/8/1888 Scores du Gal Boulanger, par arrondissement (opposé au républicain Desmoutiers) Avesnes-sur-Helpe (52 %) Cambrai (59 %) Douai (60 %) Dunkerque (72 %) Hazebrouck (78 %) Lille (49 %) Valenciennes (57 %)
4 Propos de Duclerc
5 Propos de Brisson
6 CHASTENET Jacques, Histoire de la Troisième république. Tome II. La République des républicains (1879-1893), Paris, Librairie Hachette, 1954 Propos de L. Say : « Si Boulanger reste ministre, nous aurons forcément la guerre. »
7 BRAUDEL Fernand et LABROUSSE Ernest (sous la dir.), Histoire économique et sociale de la France. Tome IV. 1er volume. Années 1880-1914, Paris, P.U.F., 1979
8 BRETON Yves, BRODER Albert, LUTFALLA Michel, La longue stagnation en France. L’autre grande dépression (1873-1897), Paris, 1997, Economica
9 BRAUDEL Fernand et LABROUSSE Ernest, op. cit.
10 République Française. Ministère du Commerce et de l’Industrie, Statistique générale de la France. Résultats statistiques du dénombrement de 1886, Berger-Levrault & Cie, Paris, 1888
11 Pas-de-Calais : 39 % France entière : 36 %
12 République Française. Ministère du Commerce et de l’Industrie, Statistique générale de la France. Résultats statistiques du dénombrement de 1886, Berger-Levrault & Cie, Paris, 1888
13 JODoc an.3731. 16/5/1889
14 JOANNE Adolphe, op. cit.
15 Sénateurs élus à vie par l’Assemblée Nationale de 1871, puis par le Sénat. Recrutement s’échelonnant du 9/12/1875 au 24/6/1884
16 Émile Basly °1854 Valenciennes + 1928 Lens (62), député de la Seine (1885-89) puis député de Béthune I (1891-1928)
Alfred Charles Ferdinand Boucher-Cadart °1836 Douai + 1910 Huby-Saint-Leu (62), président du conseil général du Pas-de-Calais (1887-1903), sénateur du Pas-de-Calais (1882-84)
Jean-Baptiste Bourgeois, dit Bourgeois-du-Jura °1831 Roubaix + 1900 Paris, député du Jura (1885-97), sénateur du Jura (1897), député du Jura (1897-1900)
Louis Dubrulle °1821 Douai + 1890 Rouvroy (62), sénateur du Pas-de-Calais (1876-82) Charles Auguste Lefebvre °1821 Lille, député radical de Fontainebleau (1881-89)
Pierre Joseph Henri Marmottan °1832 Valenciennes + 1914 Cannes (06) président du conseil général de la Seine en 1875, député de la Seine (1876-83 et 1889-98)
Émile Eugène Gustave Mesureur °1847 Marcq-en-Baroeul + 1925 Paris, président du conseil municipal de Paris, député radical-socialiste de la Seine (1887-1902), vice-président de la Ch. des Dép. (1898-1902), ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes du cabinet Bourgeois (1895-96)
17 Werner de Mérode °1816 Villersexel (70) + 1905 Trélon, député du Doubs (1846-48), député du Nord (1849-53 et 1871-76), sénateur du Doubs (1876-85)
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les entrepreneurs du coton
Innovation et développement économique (France du Nord, 1700-1830)
Mohamed Kasdi
2014
Les Houillères entre l’État, le marché et la société
Les territoires de la résilience (xviiie - xxie siècles)
Sylvie Aprile, Matthieu de Oliveira, Béatrice Touchelay et al. (dir.)
2015
Les Écoles dans la guerre
Acteurs et institutions éducatives dans les tourmentes guerrières (xviie-xxe siècles)
Jean-François Condette (dir.)
2014
Europe de papier
Projets européens au xixe siècle
Sylvie Aprile, Cristina Cassina, Philippe Darriulat et al. (dir.)
2015