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    Plan détaillé Texte intégral L’expérience de La Revue internationale Le Parti socialiste unitaire Un trotskyste stalinien ? Notes de bas de page Auteur

    Les vies de Pierre Naville

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Pierre Naville, du progressisme aux nouvelles gauches

    Gilles Morin

    p. 154-168

    Texte intégral L’expérience de La Revue internationale Le Parti socialiste unitaire Un trotskyste stalinien ? Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

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    Archives privées de Véronique Nahoum-Grappe. Prise de vue réalisée par Nicolas Quenette, en septembre 2004.

    1Durant l’Occupation, Pierre Naville rompt avec le trotskysme organisé, si ce n’est totalement avec la culture trotskyste. À quarante ans, après deux décennies militantes, il consacre désormais l’essentiel de ses activités à ses recherches et à sa carrière universitaire, mais n’abandonne pas la politique active pour autant. Dès la fin 1945, il s’engage dans l’aventure de la création d’une revue marxiste, La Revue internationale, puis, deux ans plus tard, il rallie un petit groupe de dissidents de la SFIO pour fonder avec eux une nouvelle organisation, le « Parti socialiste unitaire », puis le « Parti socialiste de gauche » dont il dirige la fédération de la Seine, avant de participer à l’aventure du Parti socialiste unifié. Si l’on rattache souvent ces mouvements à ce que l’on a nommé dès les années cinquante les « Nouvelles gauches », Pierre Naville effectue le début de ce parcours dans sa fraction dite « progressiste », participant à sa tendance la plus inféodée au Parti communiste français. Par-delà les reconstructions que Naville a pu faire de son propre itinéraire, nous allons chercher à dégager ici ce que fut sa participation effective en matière politique. Nous essaierons de comprendre comment l’ancien dirigeant trotskyste a pu se trouver engagé dans des organisations qu’il est difficile de ne pas qualifier de staliniennes en période de guerre froide, c’est-à-dire dans la période de plus grande glaciation. Doit-on y voir une stratégie d’attente, une variante de l’entrisme ou cette participation politique nous éclaire-t-elle sur l’univers politique intellectuel de Naville ? C’est ce que nous allons tenter de percevoir.

    L’expérience de La Revue internationale

    2La guerre a laissé des trotskystes « désemparés », rappelle Naville dans l’Esprit des révolutions, attendant à la fin du conflit un nouveau soulèvement révolutionnaire, tel celui de 1917 à Petrograd. Mais, pour sa part, il aurait été, écrit-il, « de ceux qui doutaient de la possibilité qu’une révolution socialiste pût surgir directement de la défaite militaire allemande » : « L’histoire nous apprenait – sans qu’on en tire suffisamment la leçon – que toutes les grandes révolutions politiques et sociales de l’Europe depuis au moins deux siècles, n’avaient surgi que de guerres meurtrières. Mais elles en sortaient en prenant une figure qu’elles n’avaient pas prévue, et qui presque toujours défigurait les intentions premières de leurs initiateurs »1. Des textes contemporains confirment cette position.

    3Ce détachement des illusions eschatologiques des organisations trotskystes2, en tout cas son départ de ces organisations, ne s’accompagne pas pour autant, au contraire, d’un détachement envers le marxisme et envers l’action partisane de groupes révolutionnaires. Selon son témoignage ultérieur, il a recherché alors « les bases d’une action future, en prenant tout de même pour point de départ celle que nous avions développée dans le passé »3. On notera qu’il n’abandonne pas du tout sa foi dans un déterminisme historique, estimant que cette recherche devait « entretenir les énergies anciennes, mais aussi dessiner des intentions dont la conclusion de la Seconde Guerre mondiale dessinerait implacablement l’orientation inévitable »4. Plus que jamais le matérialisme dialectique lui semble à même d’expliquer le monde et son premier combat consiste à favoriser son développement dans le champ intellectuel, non toutefois sans visée politique à moyen terme.

    4En 1945, à l’initiative, semble-t-il, de Charles Bettelheim, Naville participe à la fondation de La Revue internationale, dont l’existence va s’étaler sur six années de 1946 à 1952. Un premier projet (sans Nadeau) envisageait de l’appeler « Prométhée et études ». Les cinq fondateurs initiaux sont Pierre Bessaignet, qui vit alors aux USA, Gilles Martinet, Maurice Nadeau et Pierre Naville. Les initiateurs ont appartenu au mouvement trotskyste, ou au Parti communiste comme Gilles Martinet, parfois aux deux, comme Bettelheim. Le collège de rédaction élargi est de même sensibilité, puisqu’il comprend, outre les membres du comité de rédaction, David Rousset, Théo Bernard, Gérard Rosenthal, Jacques Charrière et quelques autres. La revue se situe sur le terrain du rationalisme et du matérialisme. Une note des papiers Martinet définit son ambition à la fois intellectuelle et politique : « Sur le plan scientifique et culturel, La Revue internationale devait concourir à la formation du parti ouvrier » ; « Elle doit être un foyer de renaissance de la pensée communiste ». Pour Naville, elle « regroupait des hommes déliés des partis, mais désireux d’en aider un nouveau à paraître un jour »5. Il est le rédacteur responsable rétribué et le principal animateur de la revue.

    5Le premier numéro paraît en décembre 1945, avec des articles de Prévert, Bettelheim, David Rousset (qui y débute la publication de L’Univers concentrationnaire), Jean Rostand, Marcel Boll, Maurice Faure, Pierre Naville, Roland Caillois, Maurice Nadeau, Gilles Martinet et Jean Rabaud. Le deuxième numéro, en janvier-février 1946, contient un article « La Social-démocratie dans l’impasse » de Gilles Martinet. Celui-ci va causer les premières failles dans le groupe par ses violentes critiques de « l’humanisme » du Léon Blum de À l’échelle humaine. Dans l’ensemble toutefois, la revue reste sur le terrain de la réflexion critique et la part de la politique conjoncturelle est rare tout au long des six années de son existence. Son succès relatif peut être mis au crédit de Naville, même si celui-ci ne doit guère se satisfaire de son éloignement de l’engagement au quotidien. Ce succès situe néanmoins politiquement Naville dans un champ marxiste dont l’influence ne cesse de gagner dans les milieux intellectuels français. Pourtant, dans cet univers, la revue est nettement moins influente que ne le sont Les Temps Modernes de Sartre et Merleau-Ponty ou l’influente revue chrétienne Esprit, qui tout en restant sur le terrain du « personnalisme », s’ouvre largement au débat autour du marxisme. Ses controverses avec les deux animateurs des Temps Modernes sont certes intéressantes sur le plan théorique, mais elles ne lui permettent pas de s’imposer face aux maîtres à penser du temps, ni de consacrer durablement sa revue en tant que revue de référence6. Surtout, son espoir d’en faire l’embryon d’un parti tourne court : ses membres, alors que triomphe la vision jdanovienne de la séparation en deux camps, vont même se situer à l’opposé. David Rousset, Théo Bernard, Gérard Rosenthal vont poursuivre leur combat antitotalitaire, se faire désormais les accusateurs de l’univers concentrationnaire stalinien. Charles Bettelheim se consacre essentiellement à ses recherches. Naville quant à lui, avec Gilles Martinet, retrouve le chemin du combat quotidien dans une formation politique dont il n’est pas l’initiateur et qui ne doit rien à La Revue Internationale. Renouant avec d’anciens compagnons, il s’engage cette fois dans le Parti socialiste unitaire.

    Le Parti socialiste unitaire

    6Dans l’Esprit des révolutions, Naville présente sous un jour particulièrement positif son engagement. Les propos tenus dans le manuscrit mettent en valeur la reconstruction réalisée :

    « Pour ma part, je m’engageai avec un groupe qui venait de constituer un Parti socialiste unitaire, dès le 1er juin 1948. S’y retrouvaient les militants qui espéraient former une tendance démocratique proche du parti communiste et d’autres qui visaient à retrouver l’unité d’un grand parti ouvrier. Ce premier PSU défendait un neutralisme refusant la logique de la guerre froide ; soutenait les grandes luttes ouvertes pour la décolonisation du monde, prônait une socialisation de l’économie. Il se heurta dès 1948 à la crise qui opposa Tito et les communistes yougoslaves à Moscou, et contribua à renouveler nos réflexions pour l’élaboration progressive d’un pouvoir social autogestionnaire. Les débats qui s’ensuivirent conduisirent ce PSU à la dispersion dès 1951. […] L’essentiel à mes yeux était de ne pas retomber dans une pratique sectaire, qui s’allie d’ordinaire à la certitude des prévisions immuables en dépit du déni que lui apportent les faits. La révolution absente de la Libération des années quarante-cinq ne pouvait être considérée comme une simple pause au cours d’une attente impavide. Cette absence en effet était comblée par toute autre chose : une transformation des structures sociales de la France, l’émersion d’une nouvelle Europe, et le soulèvement d’un monde nouveau dont la victoire révolutionnaire de la Chine, la décolonisation de l’Inde et de l’Afrique représentaient l’avenir »7.

    7Pour éviter de mettre en question son engagement dans ces années de paroxysme de la guerre froide, Naville utilise ici plusieurs procédés classiques, habilement dosés. Il fait des rappels factuels, celui de son entrée au premier PSU par exemple, et celui du rôle positif joué par ses militants dans le processus de décolonisation. Il emploie un langage édulcoré sur les sujets sensibles comme la nature de ce courant, « une tendance démocratique proche du parti communiste », et surtout reprend sans l’amender la novlangue qui sévissait alors. Qualifier de « tendance démocratique » le Parti socialiste unitaire est pour le moins discutable : « retrouver l’unité d’un grand parti ouvrier » voulait dire accepter les diktats du PCF, le « neutralisme refusant la logique de guerre froide » revenait à se plier à la politique soviétique et, dans le même esprit, le « refus des pratiques sectaires » n’a pas empêché l’organisation de condamner le titisme, en dépit du vœu de Naville. Notons enfin que la référence à l’autogestion est pour le moins anachronique, si ce n’est ironique, dès lors que justement ce thème naît en Yougoslavie titiste condamnée par le 1er PSU.

    8Cette critique est aujourd’hui facile et n’aurait guère d’objet si son but était de poursuivre le combat de ce temps de guerre froide. Il ne s’agit pas de dénoncer des errements et des reconstructions a posteriori bien légitimes chez tout un chacun, mais plutôt d’essayer de comprendre pourquoi Naville et d’autres avec lui se sont engagés dans cette voie et ce qui l’a empêché plus tard, comme l’a fait par exemple son compagnon Gilles Martinet, de remettre en question des choix passés à la lumière de son expérience. Revenons donc sur l’engagement de Naville et sur l’histoire de ce Parti socialiste unitaire bien méconnu.

    9Le Parti socialiste unitaire, héritier d’une fraction de la Bataille socialiste, est un enfant direct de la guerre froide et des déchirements de la SFIO depuis la Libération, mais il s’inscrit dans une histoire plus longue remontant au milieu des années vingt. Sans refaire l’histoire de ce parti et de ce courant relativement extérieur à l’itinéraire de Pierre Naville jusqu’en 19488, nous rappellerons quelques points qui situent ses futurs compagnons.

    10La Bataille socialiste (BS) était avant la Seconde Guerre mondiale l’une des plus importantes tendances internes de la SFIO. Tendance « guesdiste » à forte tonalité marxiste, née dans le combat contre les « participationnistes », avec l’appui du secrétariat général du parti, elle a connu plusieurs avatars après l’exclusion des néo-socialistes. Elle a vu se détacher successivement d’elle Paul Faure et les siens, peu favorables à une politique unitaire après le 12 février 1934, puis les « pivertistes » qui formèrent à l’été 1935 la Gauche révolutionnaire, tendance pacifiste exclue en 1938. La Bataille mène alors le combat contre les munichois en prônant une politique unitaire avec le PC et un rapprochement avec l’URSS, s’alliant avec Léon Blum contre le secrétaire général Paul Faure et les divers pacifistes du parti. Pourtant, après la défaite de la France et la mise en sommeil de la SFIO, la défection de son principal leader, Jean Zyromski, retiré en zone sud, la prive de direction. Aussi, si des militants de la BS (Jean Angousset, Suzanne Buisson, Andrée Marty Capgras, Paul Colliette, Amédée Dunois, Jacques Grumbach, Pierre Lambert, Pierre-Bloch9 notamment) ont joué un rôle important dans la Résistance socialiste, ils se trouvent à la Libération, et par rapport aux blumistes, nettement dominés dans le comité directeur10. En 1946, des anciens de la BS, craignant une dérive « humaniste » et un abandon des fondements marxistes du parti, participent, au côté d’anciens pivertistes, trotskystes et Paulfauristes et de nombreux militants laïques inquiets de l’ouverture faite aux Chrétiens, à la constitution de la tendance qui pousse Guy Mollet au pouvoir, contre Daniel Mayer et Léon Blum, mais aussi contre certains de leurs anciens camarades comme Augustin Laurent11. Entrent alors au Comité directeur plusieurs anciens responsables en vue de la tendance12. Mais, à la suite du congrès de 1947, où ces militants ne se sont pas comptés, ils se partagent de nouveau : la majorité de ses membres certainement, ainsi la plupart de ses anciens animateurs, continuent à soutenir la direction, notamment Pierre Commin, qui devient secrétaire général adjoint, Pierre Bloch, André Ferrat et Tanguy-Prigent. La minorité reconstitue une organisation, la nouvelle Bataille socialiste avec son journal éponyme dont le numéro 1 paraît en juillet 1947 ; elle est à l’origine du mouvement que rejoint Naville l’année suivante.

    11À l’automne 1947, alors que les grèves se multiplient prenant parfois un caractère insurrectionnel comme à Marseille13 et que le RPF triomphe aux élections municipales, La Bataille socialiste refuse l’engagement du parti dans la voie de la Troisième force14 et dénonce violemment la ligne majoritaire. Elle soutient activement l’action de la CGT et le Comité de grève national. Ses positions sont relayées dans Franc-Tireur par le rédacteur en chef Marcel Fourrier, membre de la nouvelle BS. Ce dernier est un compagnon de jeunesse de Naville, dans la deuxième Clarté, animateur avec lui dans les années 1926-1928 de l’opposition communiste. Il est au cœur des réseaux socialistes liés au Parti communiste15 et défend totalement la politique du PCF et de la CGT : « Quand la classe ouvrière entre en lutte, c’est que la République est menacée »16, écrit-il au plus fort des grèves. La revue communiste Action publie le 10 décembre un manifeste de la tendance dans lequel elle se désolidarise publiquement des députés qui ont voté le 2 décembre une loi dite de « défense républicaine » et bien sûr de Jules Moch. Trois des animateurs de la Bataille, Bloncourt, Haas et Morin, sont alors suspendus par le comité directeur, puis exclus le 8 janvier 1948. Cela semble avoir été leur objectif pour attirer l’attention sur eux et mettre la direction en faute. D’autres membres du courant, mais pas tous17, se solidarisent avec eux, sont exclus à leur tour, et forment alors le Mouvement socialiste unitaire et démocratique (MSUD), devenu ensuite Parti socialiste unitaire et démocratique (PSUD), plus simplement appelé après le congrès constitutif des 25-26 septembre 1948, Parti socialiste unitaire (PSU).

    12Sans être négligeable, la rupture est limitée. Seuls trois anciens élus BS de la direction nationale de la SFIO avant-guerre participent à cette création : Élie Bloncourt, enseignant aveugle car grand Mutilé de la Première Guerre mondiale et qui sera le premier secrétaire général du Parti socialiste unitaire, Marcel Fourrier, déjà évoqué, et Andrée Marty-Capgras, journaliste qui collabore à des organes communistes comme la revue Action et ancienne animatrice des femmes socialistes. Ils seront rejoints ensuite par André Blumel, ancien secrétaire du groupe parlementaire, blumiste déçu. Parmi les autres figures principales, on trouve Marcel Pouyet, agriculteur député de l’Allier, un ancien responsable pivertiste, Pierre Stibbe ; le directeur du Musée de l’homme Paul Rivet, premier élu du Front Populaire en 1935 et député de Paris les rejoindra fin 1948. On citera, comme autres membres alors connus, Claude Estier et Robert Fuzier, anciens journalistes au Populaire, une poignée d’anciens secrétaires de petites fédérations socialistes, la plus importante étant l’Isère. Au total l’appareil socialiste est peu touché et cette scission de fait est l’une des plus modestes de l’histoire du parti.

    13Mais, très vite, il apparaît que l’essentiel de ces maigres troupes – et surtout des cadres – est formé de militants ou plus encore de permanents syndicalistes de la CGT, ou d’hommes ou de femmes qui conservent des liens non moins étroits avec les communistes, comme les journalistes du quotidien Libération de d’Astier de la Vigerie (Andrée Marty-Capgras, Jean Guignebert, Jean-Maurice Hermann par exemple). Il est rapidement établi aussi que l’organisation composée d’activistes manque de théoriciens et qu’elle cherche à s’élargir. C’est ainsi que Naville, contacté par Marcel Fourrier, adhère au MSUD en juin 1948, semble-t-il aux côtés de quelques camarades qui ont partagé son parcours, mais surtout aux côtés de Gilles Martinet avec lequel les liens se sont resserrés à la Revue internationale.

    14Le premier manifeste du MSUD reprend une forme classique des organisations scissionnistes : il appelle à « refaire un véritable parti socialiste fidèle à la charte d’unité de 1905 ». Le MSUD « se donne pour tâche de préparer ce nouveau parti », c’est-à-dire qu’il ne se présente pas comme l’organisation achevée, mais comme une forme de transition. Le MSUD entend d’ailleurs « pratiquer avec les grandes organisations les plus représentatives de la classe ouvrière, et en premier lieu avec la CGT et le parti communiste français une unité d’action loyale ». Même si la SFIO vilipendée en permanence18 est alors totalement exclue de cette unité ouvrière recherchée, le langage ne pose certainement pas trop de problème à un homme venu du trotskysme, mais il n’en va pas de même de la suite : « Les divergences d’appréciation avec les camarades communistes portent sur la façon de faire fonctionner une véritable démocratie à l’intérieur du mouvement ouvrier », mais le but final « ne diffère en rien de celui que poursuit le communisme ». Au moment où, après la conférence de Sklarska-Poreba pour répondre aux vœux du Kominform, le PCF appuie sur l’accélérateur du mécontentement social en facilitant des vagues de grèves vouées à l’échec, après avoir pendant deux ans promu une politique exactement contraire d’union nationale et d’engagement total dans la reconstruction, la confusion entre le but final et la politique immédiate du PCF est lourde de sens. Le but final est-il celui du mouvement ouvrier, du communisme en général ou celui de l’URSS et donc de Staline ? Et le glissement rapide sur la question de la « démocratie ouvrière » n’est pas moins significatif. Qu’à donc fait Naville dans ce parti et dans quelle mesure se reconnaissait-il en lui ?

    Un trotskyste stalinien ?19

    15Naville se retrouve certainement dans des analyses du Parti socialiste unitaire pour diverses raisons. Tout d’abord, s’il n’a pas cru comme la majorité des trotskystes à la possibilité de transformer immédiatement la guerre en Révolution, il a conservé du trotskysme l’idée que l’URSS est un État ouvrier dont l’acquis est à défendre et affirme que la Révolution russe de 1917 montre le chemin. S’il conteste les bilans triomphalistes du régime et l’analyse que fait Charles Bettelheim des succès de la planification, il ne remet nullement en cause les fondements même du régime et son caractère socialiste20. Ainsi, fin 1947, comme directeur de la Revue Internationale, il a dirigé un dossier consacré au 30e anniversaire de la Révolution russe dans la présentation duquel il affirmait notamment que « L’expérience de la Révolution russe est le bien commun des travailleurs du monde entier, source de tous progrès nouveaux » et réaffirmait son rôle de guide. Un an plus tard, chargé de rédiger le programme du PSU adopté au congrès national de 1949, il s’y livre à une vibrante défense de l’URSS. Tout d’abord, celle-ci n’est pas responsable des difficultés qu’elle rencontre : « La fin principale de l’économie n’y est pas encore la consommation (c’est-à-dire la fin socialiste par excellence), mais l’accumulation pour le développement et la défense, c’est-à-dire pour des objectifs imposés dès le premier jour par l’encerclement capitaliste ». Ensuite la dictature du prolétariat est justifiée : la menace de l’impérialisme et l’existence de ses antagonismes « rendent nécessaire l’État prolétarien » qui remplit une triple tâche : « 1. la défense des conquêtes révolutionnaires contre les éléments bourgeois de l’intérieur ; 2. la protection du territoire national contre les États capitalistes de l’étranger ; 3. le règlement des rapports entre les différents éléments de la société socialiste ». Enfin l’État socialiste marche dans la bonne voie. Il concède que dans cette société subsiste « un certain nombre d’antagonismes, comme la distinction entre les tâches de direction et d’exécution, la survivance de la division entre la ville et la campagne, etc. », mais, ajoute-t-il, « Ces antagonismes sont d’une nature totalement différentes des anciennes contradictions de classe observées dans les systèmes d’exploitation et sont appelés à disparaître avec le développement de la société socialiste »21.

    16Dans ces conditions, il se reconnaît dans le « Projet de programme » du premier congrès du PSUD, des 25-26 septembre 1948 qui justifiait le compagnonnage de route avec le PCF. On y lisait : « Il est impossible de négliger l’existence de l’URSS, des Démocraties populaires et que la majorité de la classe ouvrière suit aujourd’hui le PC. La Révolution n’est pas imaginable sans que le PC y joue un rôle, il y a donc trois attitudes possibles : rejoindre le PC, ne pas vouloir faire de Révolution avec lui et comme celle-ci aura lieu, prendre parti contre elle ou la solution du PSUD : Considérant avec réalisme qu’il faut faire la Révolution et que le communisme existe, décider d’y participer à ses côtés et d’en élargir ainsi la base. Par cette présence on facilite le cours des événements et on en influence le caractère ». Dans ce cadre, puisqu’il y a inéluctabilité de la Révolution et qu’il est nécessaire de la préparer pour l’influencer, Naville choisit son camp et ce ne peut être que celui de l’URSS, même dirigée par Staline. Son analyse est aussi influencée par les schémas antifascistes, par la conception de l’inéluctable choix entre « socialisme ou barbarie », sans place pour un avenir à la démocratie libérale. Cette idée est présente en permanence chez lui, par exemple dans une note à Martinet, datée du 4 avril 1945. Selon celle-ci, sur le terrain de l’enseignement « l’ennemi principal est en effet maintenant la réaction plus ou moins bonapartiste, cléricale ou fasciste (même sous un masque résistant, gaulliste ou autre). La fonction de classe des divers ordres d’enseignement subit la même crise que la bourgeoisie tout entière, celle qui l’empêche précisément de revenir à une démocratie libérale, en matière d’enseignement comme ailleurs, et ce pourquoi justement on doit l’exiger »22. Pour lui, il y a une crise générale du capitalisme, une impossibilité de revenir à la démocratie, et donc une tendance au fascisme. Et en France celui-ci est incarné par la figure de De Gaulle. Là encore, on voit une forte parenté, ou une continuité avec la position des trotskystes durant l’Occupation ou à la Libération qui ne voyaient pas de différence fondamentale entre de Gaulle et Pétain, l’un servant le capitalisme anglo-américain, l’autre les nazis23. Fort de cette analyse, Naville comme ses camarades du PSU accepte la logique des deux blocs énoncée par Jdanov24.

    17Si les logiques développées sont les mêmes, il ne serait pas moins réducteur pourtant de faire de Naville un stalinien intégral ou un cryptocommuniste sans réserves. Dans le passage cité de l’Esprit des Révolutions, Naville a évoqué, nous l’avons vu, le débat sur la crise « titiste » qui a agité l’organisation. Sa correspondance montre qu’il est souvent exaspéré par une partie de ses nouveaux camarades et qu’il n’est pas dupe ni de leur caractère stalinien ou opportuniste, ni du rôle du PCF comme mentor de fait de l’organisation. En témoigne, parmi d’autres des notes et courriers25. Ainsi cette lettre sans date, mais que l’on peut situer fin 1948 ou début 1949, à Martinet :

    (Dimanche) « Du côté du PSU, j’ai décidé, suivi par A. Marty-Capgras, Stibbe et Fourrier de ne plus participer pour un temps, à la direction du parti. Nous avons eu l’autre jour un comité directeur entièrement dominé par les “syndicalistes” de Paris et de province. Ces messieurs ne veulent pas des gens de l’ASR26 (“puisqu’ils font des réserves à propos de l’URSS a dit ce minus de Dellac, ils n’ont pas de place chez nous !”), ils ne veulent d’aucune personnalité socialiste en général. Et je sais bien que sur ce point Bloncourt et Pressouyre27 sont prêts à étrangler de leurs propres mains toute “vedette” qui viendrait au PSU pour leur disputer ce mandat électoral qu’ils attendent patiemment… du PC ! En bref, une assemblée de larbins et de mendiants ».

    18Dans une autre note28, il regrette que les départs renforcent le courant le plus stalinien : « Tout ceci prouve que les quelques valables que nous avions sont partis en laissant entièrement la place aux petits “agents” et aux bavards imbéciles. Rien à faire avec ce PSU que laisser tomber platement le PC ». Dans un courrier daté du 5 avril (1950), il écrit être tombé d’accord avec Bloncourt pour « prendre l’initiative contre la fraction stalinienne ». Mais il semble en être resté aux intentions ou au travail d’influence si l’on en juge par son attitude dans le débat sur le « titisme ».

    19En juin 1948, l’URSS s’efforçant de consolider ses positions dans son camp et de discipliner ses partenaires, la conférence du Kominform condamne le régime du maréchal Tito qui refuse la soviétisation de la Yougoslavie. Le PCF lance alors une campagne active contre le « titisme » et contre tous ceux qu’il soupçonne de déviation ou de mollesse autour de lui. Cette campagne gagne toutes les organisations satellites du PCF, syndicales ou associatives, sommées de dénoncer les « titistes » et les « hitlérotitistes ». Or, dans le PSU, divers militants, dont Gilles Martinet, se sentent proches du régime yougoslave.

    20Le débat « sur l’affaire Tito » est exigé par plusieurs responsables proches du PCF. Reporté à la fédération de la Seine en 1949, il rebondit au comité directeur le 8 janvier 1950. La discussion y est violente, si tant est qu’il y ait discussion. Lorsque Martinet propose de rassembler des matériaux et d’établir des faits, Pressouyre réplique : « Les causes importent peu, il faut surtout s’attacher aux conséquences. La Yougoslavie est-elle dans le camp de la paix ou de la guerre ? Nous n’avons pas discuté de cette question au congrès, cela prouve que la discussion nous gêne ou qu’il y a des titistes parmi nous ». Fourrier exige « l’unanimité sur [une] motion de condamnation claire et nette [il] n’admettra aucune équivoque dans cette affaire ». Selon Pouyet : « Tito est un homme de paille du capitalisme, il y en a eu d’autres avant lui : Doriot, Déat… J’ai choisi et je condamne Tito ». Hermann s’exclame : « On voudrait nous faire passer pour des révolutionnaires en rébellion contre Staline. Nous ne devons pas être une troisième force jugeant le pour ou le contre dans cette affaire. Nous sommes obligatoirement dans un camp, du fait de notre volonté d’unité. Il faut que le CD prenne position aujourd’hui et dise que la position de la Yougoslavie est un danger pour la paix et qu’elle constitue une menace de division de la classe ouvrière ». Rares sont ceux qui essayent de résister à cette pression. Stibbe est contre un texte et Michel Morin proteste que « cette proposition de nous faire prendre position aujourd’hui vient du PC »29.

    21Naville n’appuie pas ses amis. Craint-il de se voir rappeler son passé trotskyste à l’heure ou les communistes et leurs partisans stigmatisent de nouveau « l’hitléro-trotskysme » ? Il propose alors le compromis qui sauve l’unité par cette formule : « Si un texte est adopté par une majorité du CD, c’est celui du CD ; je propose donc qu’il soit simplement signé par les camarades qui sont d’accords avec lui et non de le voter. Ainsi la démocratie du parti sera sauve ». Il est suivi et le texte est voté par 13 pour, 9 contre et 4 abstentions.

    22Le conseil national du 5 février 1950 condamne ensuite fermement le « titisme » et, le 5 mars 1950, Fourrier, profitant de ce succès, met en accusation, au comité directeur suivant, Martinet et Stibbe : « Derrière le titisme de certains, se cache un anti-stalinisme qui mène tout droit à l’anticommunisme ». Il demande au CD de retirer sa confiance au bureau et à Bloncourt30. Mais le débat resurgit avec l’affaire Morin, l’un des premiers à avoir été exclu de la SFIO, qui se rend en Yougoslavie « à titre personnel » à l’invitation de la Ligue des communistes de Yougoslavie. Il publie à son retour une déclaration favorable au régime. Licencié immédiatement de Libération, il comparait devant le CD du PSUD le 7 mai 1950, séance durant laquelle Martinet met en cause ceux qui sont « liés au PC pour des raisons d’intérêt et qui soulèvent des questions personnelles et non des questions idéologiques ». Naville intervient prudemment sur une position centriste, refusant de dissocier la question Morin de celle de la fraction procommuniste. Morin est exclu par la commission de discipline en juin 1950.

    23Naville, quelque peu désabusé par le mouvement des masses, si l’on en croit son intervention au CD du 7 juin 1950, ne participe pas aux activités du parti en 1951. Mais il se considère toujours comme membre du CD, et écrit que « l’existence et l’action du PSU, dont la base et le programme n’ont au fond été mis en doute par personne de façon explicite, est toujours nécessaire »31. Non seulement Naville demeure dans ce Parti socialiste unitaire dont les effectifs sont en chute libre et dont l’activité se raréfie, ce qu’il déplore32, mais de plus il devient le secrétaire de la fédération la plus importante de France, celle de la Seine33. Il conserve cette fonction dans le « Parti socialiste de gauche », nouvel avatar de l’organisation dirigée par Pressouyre et Blumel après l’éviction de Bloncourt et représente le parti dans le Mouvement progressiste regroupant tous les satellites du PCF. L’échec du Parti socialiste de gauche conduit ensuite Naville à rejoindre la Nouvelle Gauche, puis le Parti socialiste unifié en 1960, après la transition par l’Union de la gauche socialiste en 1958. Il participera ensuite au Comité politique national du nouveau PSU, passant pour un vieux sage auprès des plus jeunes34 certes prestigieux, mais ayant tout au plus une place d’honneur. Il s’y efforce de nouveau de maintenir une pensée fondée sur le marxisme. Mais son cercle d’influence politique réel s’est réduit et cette expérience du premier PSU l’a éloigné à la fois des anciens trotskystes, de ceux qui se méfient des compagnons de route et de certains de ses amis déçus. Il n’est pas exclu non plus que la volonté de Naville d’intervenir partout où il le pouvait avait déçu, voire choqué. On citera pour finir une lettre de Gilles Martinet du 25 février 1957 qui, après avoir reproché à Naville qui collaborait jusqu’alors à France-Observateur d’avoir écrit dans ses concurrents Demain et l’Express reconnaît que Naville ne devait aucune solidarité à l’Observateur. Il ajoute cependant : « C’est parce que j’y ai vu un nouveau témoignage de cette absence de solidarité que j’ai déjà été amené à te reprocher dans le passé ».

    24À la lumière de cette trop brève analyse de l’engagement de Naville dans les dix années suivant la Libération, on contestera donc la reconstruction qu’il en a faite dans ses mémoires :

    « J’avais participé à toute cette filière, de comité en comité, sans illusion abusive sur sa force sociale du moment. J’étais le plus souvent minoritaire dans les comités directeurs, mais j’y découvrais des positions d’attente, les préoccupations de jeunes dont j’étais largement l’aîné, des contacts avec des travailleurs d’entreprises industrielles qui me facilitaient de nombreux déplacements loin de Paris »35.

    25Naville, qui n’a pas rompu avec nombre d’analyses trotskystes, n’a certainement pas été sans illusions, notamment sur la place et le rôle de l’URSS et sur le caractère révolutionnaire de la période. Surtout, il n’a pas été dans une simple position d’attente. Son intention de conserver une activité politique est manifeste ; sa volonté de ne pas être exclu du « mouvement révolutionnaire », sa croyance dans l’inéluctabilité de la Révolution à venir lui ont fait accepter une situation de minoritaire certes, mais n’a-t-il pas été dans ses circonstances sur le plan politique un simple conciliateur, un compagnon de route critique certes, mais dans le fond discipliné du stalinisme français à son apogée ?

    Notes de bas de page

    1 Pierre Naville, Esprit des révolutions, manuscrit, p. 11. Archives Pierre Naville, Bibliothèque du CEDIAS-Musée social, Paris [abrégées par la suite en APN].

    2 Voir Pierre Lambert, Quelques leçons de notre histoire, SELIO, sd.

    3 Pierre Naville, Esprit des révolutions, op. cit., p. 10 et 12.

    4 Ibid., souligné par nous.

    5 Ibid., p. 17.

    6 Sur cette polémique voir la thèse d’Alain Cuénot, Pierre Naville, biographie intellectuelle d’un révolutionnaire marxiste (1904-1993), thèse de doctorat d’histoire contemporaine, Université Paris XIII-Villetaneuse, octobre 2002.

    7 Pierre Naville, Esprit des révolutions, op. cit., p. 19.

    8 Encore qu’il ait contribué à la naissance de la Gauche Révolutionnaire au moment où les « bolchevistes-léninistes » faisaient de l’entrisme dans la SFIO en publiant les premiers textes de ce courant dans Le Nouveau Prométhée. Sur la Bataille Socialiste, voir la thèse d’Éric Nadaud, Une tendance de la SFIO : la Bataille socialiste (1921-1933), thèse d’histoire, Université Paris X-Nanterre, 1988, et Thierry Hohl, À gauche ! La gauche socialiste, 1921-1947, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2004.

    9 Voir leurs notices dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, 1914-1939, vol. 16-43, 1983-1993, Paris, Éd. ouvrières. Suzanne Buisson et Amédée Dunois décèdent en déportation, Jacques Grumbach en essayant de passer en Espagne pour rejoindre la Résistance extérieure.

    10 Plusieurs membres du Comité directeur de la Libération sont d’anciens membres de la tendance, citons Andrée Marty-Capgras, Élie Bloncourt, Paul Favier, Pierre Lambert, Roger Mistral, ou en étaient proches comme Augustin Laurent et Tanguy-Prigent.

    11 François Lafon, Guy Mollet, Paris, Fayard, 2006.

    12 Pierre Bloch, Léon Boutbien, André Ferrat et Pierre Commin.

    13 Voir Robert Mencherini, Guerre froide, grèves rouges, Parti communiste, stalinisme et luttes sociales en France, les grèves « insurrectionnelles » de 1947-1948, Paris, éditions Syllepse, 1998, 307 p.

    14 Voir Gilles Morin, « Une expérience peu connue, le Bureau Exécutif de la Troisième Force », Cahiers et Revue de l’OURS, no 175, mai-juin 1987, p. 28-37 et « La Troisième force, 1947-1951 », in Jean-Jacques Becker (dir.), La IVe République, Histoire, recherches et archives, Historiens et géographes, no 361, mars-avril 1998, p. 361-371.

    15 Militant de la SFIO depuis 1937, devenu rédacteur en chef de Franc-Tireur en 1944, ce dernier cherchera ensuite à fusionner ce quotidien avec Libération de d’Astier. À l’automne 1948, il fut mis en minorité dans son journal, passa à Libération dont il devint rédacteur en chef.

    16 Marcel Fourrier, « La République est ouvrière », Franc-Tireur, 22 novembre 1947.

    17 Une partie des signataires de l’appel de la BS de juillet 1947 demeurent à la SFIO, parmi lesquels, Jean Angousset, ancien responsable du CAS, Paul Colliette, ancien administrateur de la BS, André Joublot et Kastenbaum, élus de la Seine et l’ancien trotskiste Gérard Rosenthal.

    18 Dans le « Manifeste aux travailleurs de France » du MSUD on peut lire : « la SFIO s’est exclue du socialisme », elle a « définitivement cessé d’être un parti de lutte des classes », par son engagement dans la 3e Force et par son alliance avec le MRP, elle a abandonné la laïcité. Elle porte la responsabilité « de la criminelle scission syndicale », avec Daniel Mayer, elle soutient « l’abominable lutte coloniale mise en œuvre par Marius Moutet, en Indochine et à Madagascar. Elle sert les intérêts de l’impérialisme américain et rapproche ainsi l’éventualité d’une troisième guerre mondiale ». Le bulletin des Étudiants socialistes unitaires Solution, résume ainsi cette condamnation : « Tous les socialistes, tous les républicains de bonne foi reconnaissent que la SFIO trahie les travailleurs, qu’elle a entretenu leur division, qu’elle a pactisé avec leurs ennemis ». APN, Dossier 42.

    19 Ce titre est inspiré d’un article de Jules Monnerot, dans Liberté de l’Esprit, mai 1950, intitulé « Des Trotskystes staliniens ». Il écrivait notamment de ceux qu’il qualifiait ainsi : « En Europe occidentale, pensèrent-ils, pour ne pas se tromper politiquement, il fallait être avec les ouvriers et les ouvriers “étaient avec” Staline. Ils sont “transformés en satellites du communisme” ».

    20 APN, Dossier 42.

    21 Sur ce plan au moins, on se doit de contester l’appréciation de Jean-Jacques Marie et même celle d’Alain Cuénot selon laquelle Naville était « décidé à se couper définitivement des schémas de pensée du trotskisme », in Alain Cuénot, thèse citée, p. 268.

    22 Ibid., correspondance avec G. Martinet.

    23 Voir La Vérité, 29 avril 1944 : « Le triste Comité d’Alger qui promet de “libérer” la France et qui entre temps asservit les masses coloniales de l’Afrique du Nord et de “l’empire” français, joue à Alger le même rôle que celui de la bande de brigands de Vichy : celui de commis de l’impérialisme français, qui s’appuie ici sur les baïonnettes allemandes, là-bas sur les baïonnettes anglaises et américaines. L’État, c’est-à-dire l’appareil bureaucratique, policier et militaire, est, dans les deux cas, un État bourgeois ».

    24 Dans la Lettre ouverte aux militants du Parti socialiste SFIO rédigée par Fourrier, Martinet et d’autres, on peut lire : « Il n’est pas vrai qu’il y ait une troisième force susceptible d’équilibrer le gaullisme et le communisme […] ce sont les forces sociales qui s’affrontent à travers le gaullisme et le communisme. Le gaullisme représente incontestablement la vieille démangeaison fasciste de la bourgeoisie française. De Gaulle, c’est le Bonaparte tenu en réserve pour le jour où l’exaspération de la lutte de classes obligera la bourgeoisie à se passer du luxe de la démocratie.
    Le communisme c’est, qu’on le veuille ou non, une large fraction organisée de la classe ouvrière orientée vers la prise du pouvoir politique et la transformation de la société capitaliste en une société collectiviste. Il ne faut pas pour autant renoncer à “notre tradition et à nos aspirations socialistes” mais les affirmer avec plus de vigueur et de netteté, mais dans le seul camp où elles peuvent garder vie et force, c’est-à-dire dans le camp ouvrier ». APN, Dossier 42.

    25 On trouvera ceux-ci dans les dossiers de correspondance de Naville au CEDIAS-Musée social, particulièrement dans les correspondances avec Martinet et Bloncourt et dans les lettres de Naville à Martinet conservées au Centre d’histoire de Sciences Po sous la cote MR1 et 2.

    26 Action socialiste révolutionnaire. Il s’agit d’une autre scission de la SFIO datant de l’été 1947, dirigée par l’ancien secrétaire adjoint du parti, Yves Dechézelles, et par des responsables des Jeunesses socialistes exclus en juin 1947 pour influence trotskyste.

    27 Ce sont les deux responsables du RDR. Pressouyre, secrétaire à l’organisation, remplace Bloncourt au secrétariat général en 1950. Yves Dellac, cheminot, était secrétaire de la CGT depuis 1948. Avec le radical Pierre Lebrun, autre compagnon de route, il représentait les « non communistes » de la CGT.

    28 Ajouté au crayon la date du 25/9/1949.

    29 Il rappelle que lors d’une rencontre avec Guyot, membre du Bureau politique du PC qui affirmait « il y a des éléments policiers chez vous qui vont vous déborder ». Fourrier l’avait approuvé : « Tes critiques sont justifiées, le parti est en train de s’éloigner de sa ligne unitaire, j’ai senti moi aussi l’influence d’éléments troubles dans notre parti ».

    30 Celui-ci est peu après remplacé par Pressouyre.

    31 Lettre à Roger Leray, 9 octobre 1951. APN, Dossier 42.

    32 Le 2 octobre 1952, il écrit à Pressouyre qu’il regrette que les longs délais qui s’écoulent entre chaque CD rendent son travail « un peu vague ». Il ajoute : « D’après les comptes rendus, il est évident que le parti continue à piétiner, pour toutes sortes de raisons, et qu’il ne parvient pas à se faire écouter. Je voudrais bien te voir, pour envisager cette situation, ainsi que nos perspectives réelles ». Ibid.

    33 Au congrès de juin 1953, il fait un exposé sur la politique économique française, mais est le premier non élu. Il revient peu après au comité directeur grâce aux démissions de deux membres élus.

    34 Selon le témoignage de Jean-Pierre Biondi.

    35 Esprit des révolutions, op. cit., p. 21.

    Auteur

    Gilles Morin

    Historien, Centre d’histoire sociale du xxe siècle, CNRS-Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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    1 Pierre Naville, Esprit des révolutions, manuscrit, p. 11. Archives Pierre Naville, Bibliothèque du CEDIAS-Musée social, Paris [abrégées par la suite en APN].

    2 Voir Pierre Lambert, Quelques leçons de notre histoire, SELIO, sd.

    3 Pierre Naville, Esprit des révolutions, op. cit., p. 10 et 12.

    4 Ibid., souligné par nous.

    5 Ibid., p. 17.

    6 Sur cette polémique voir la thèse d’Alain Cuénot, Pierre Naville, biographie intellectuelle d’un révolutionnaire marxiste (1904-1993), thèse de doctorat d’histoire contemporaine, Université Paris XIII-Villetaneuse, octobre 2002.

    7 Pierre Naville, Esprit des révolutions, op. cit., p. 19.

    8 Encore qu’il ait contribué à la naissance de la Gauche Révolutionnaire au moment où les « bolchevistes-léninistes » faisaient de l’entrisme dans la SFIO en publiant les premiers textes de ce courant dans Le Nouveau Prométhée. Sur la Bataille Socialiste, voir la thèse d’Éric Nadaud, Une tendance de la SFIO : la Bataille socialiste (1921-1933), thèse d’histoire, Université Paris X-Nanterre, 1988, et Thierry Hohl, À gauche ! La gauche socialiste, 1921-1947, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2004.

    9 Voir leurs notices dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, 1914-1939, vol. 16-43, 1983-1993, Paris, Éd. ouvrières. Suzanne Buisson et Amédée Dunois décèdent en déportation, Jacques Grumbach en essayant de passer en Espagne pour rejoindre la Résistance extérieure.

    10 Plusieurs membres du Comité directeur de la Libération sont d’anciens membres de la tendance, citons Andrée Marty-Capgras, Élie Bloncourt, Paul Favier, Pierre Lambert, Roger Mistral, ou en étaient proches comme Augustin Laurent et Tanguy-Prigent.

    11 François Lafon, Guy Mollet, Paris, Fayard, 2006.

    12 Pierre Bloch, Léon Boutbien, André Ferrat et Pierre Commin.

    13 Voir Robert Mencherini, Guerre froide, grèves rouges, Parti communiste, stalinisme et luttes sociales en France, les grèves « insurrectionnelles » de 1947-1948, Paris, éditions Syllepse, 1998, 307 p.

    14 Voir Gilles Morin, « Une expérience peu connue, le Bureau Exécutif de la Troisième Force », Cahiers et Revue de l’OURS, no 175, mai-juin 1987, p. 28-37 et « La Troisième force, 1947-1951 », in Jean-Jacques Becker (dir.), La IVe République, Histoire, recherches et archives, Historiens et géographes, no 361, mars-avril 1998, p. 361-371.

    15 Militant de la SFIO depuis 1937, devenu rédacteur en chef de Franc-Tireur en 1944, ce dernier cherchera ensuite à fusionner ce quotidien avec Libération de d’Astier. À l’automne 1948, il fut mis en minorité dans son journal, passa à Libération dont il devint rédacteur en chef.

    16 Marcel Fourrier, « La République est ouvrière », Franc-Tireur, 22 novembre 1947.

    17 Une partie des signataires de l’appel de la BS de juillet 1947 demeurent à la SFIO, parmi lesquels, Jean Angousset, ancien responsable du CAS, Paul Colliette, ancien administrateur de la BS, André Joublot et Kastenbaum, élus de la Seine et l’ancien trotskiste Gérard Rosenthal.

    18 Dans le « Manifeste aux travailleurs de France » du MSUD on peut lire : « la SFIO s’est exclue du socialisme », elle a « définitivement cessé d’être un parti de lutte des classes », par son engagement dans la 3e Force et par son alliance avec le MRP, elle a abandonné la laïcité. Elle porte la responsabilité « de la criminelle scission syndicale », avec Daniel Mayer, elle soutient « l’abominable lutte coloniale mise en œuvre par Marius Moutet, en Indochine et à Madagascar. Elle sert les intérêts de l’impérialisme américain et rapproche ainsi l’éventualité d’une troisième guerre mondiale ». Le bulletin des Étudiants socialistes unitaires Solution, résume ainsi cette condamnation : « Tous les socialistes, tous les républicains de bonne foi reconnaissent que la SFIO trahie les travailleurs, qu’elle a entretenu leur division, qu’elle a pactisé avec leurs ennemis ». APN, Dossier 42.

    19 Ce titre est inspiré d’un article de Jules Monnerot, dans Liberté de l’Esprit, mai 1950, intitulé « Des Trotskystes staliniens ». Il écrivait notamment de ceux qu’il qualifiait ainsi : « En Europe occidentale, pensèrent-ils, pour ne pas se tromper politiquement, il fallait être avec les ouvriers et les ouvriers “étaient avec” Staline. Ils sont “transformés en satellites du communisme” ».

    20 APN, Dossier 42.

    21 Sur ce plan au moins, on se doit de contester l’appréciation de Jean-Jacques Marie et même celle d’Alain Cuénot selon laquelle Naville était « décidé à se couper définitivement des schémas de pensée du trotskisme », in Alain Cuénot, thèse citée, p. 268.

    22 Ibid., correspondance avec G. Martinet.

    23 Voir La Vérité, 29 avril 1944 : « Le triste Comité d’Alger qui promet de “libérer” la France et qui entre temps asservit les masses coloniales de l’Afrique du Nord et de “l’empire” français, joue à Alger le même rôle que celui de la bande de brigands de Vichy : celui de commis de l’impérialisme français, qui s’appuie ici sur les baïonnettes allemandes, là-bas sur les baïonnettes anglaises et américaines. L’État, c’est-à-dire l’appareil bureaucratique, policier et militaire, est, dans les deux cas, un État bourgeois ».

    24 Dans la Lettre ouverte aux militants du Parti socialiste SFIO rédigée par Fourrier, Martinet et d’autres, on peut lire : « Il n’est pas vrai qu’il y ait une troisième force susceptible d’équilibrer le gaullisme et le communisme […] ce sont les forces sociales qui s’affrontent à travers le gaullisme et le communisme. Le gaullisme représente incontestablement la vieille démangeaison fasciste de la bourgeoisie française. De Gaulle, c’est le Bonaparte tenu en réserve pour le jour où l’exaspération de la lutte de classes obligera la bourgeoisie à se passer du luxe de la démocratie.
    Le communisme c’est, qu’on le veuille ou non, une large fraction organisée de la classe ouvrière orientée vers la prise du pouvoir politique et la transformation de la société capitaliste en une société collectiviste. Il ne faut pas pour autant renoncer à “notre tradition et à nos aspirations socialistes” mais les affirmer avec plus de vigueur et de netteté, mais dans le seul camp où elles peuvent garder vie et force, c’est-à-dire dans le camp ouvrier ». APN, Dossier 42.

    25 On trouvera ceux-ci dans les dossiers de correspondance de Naville au CEDIAS-Musée social, particulièrement dans les correspondances avec Martinet et Bloncourt et dans les lettres de Naville à Martinet conservées au Centre d’histoire de Sciences Po sous la cote MR1 et 2.

    26 Action socialiste révolutionnaire. Il s’agit d’une autre scission de la SFIO datant de l’été 1947, dirigée par l’ancien secrétaire adjoint du parti, Yves Dechézelles, et par des responsables des Jeunesses socialistes exclus en juin 1947 pour influence trotskyste.

    27 Ce sont les deux responsables du RDR. Pressouyre, secrétaire à l’organisation, remplace Bloncourt au secrétariat général en 1950. Yves Dellac, cheminot, était secrétaire de la CGT depuis 1948. Avec le radical Pierre Lebrun, autre compagnon de route, il représentait les « non communistes » de la CGT.

    28 Ajouté au crayon la date du 25/9/1949.

    29 Il rappelle que lors d’une rencontre avec Guyot, membre du Bureau politique du PC qui affirmait « il y a des éléments policiers chez vous qui vont vous déborder ». Fourrier l’avait approuvé : « Tes critiques sont justifiées, le parti est en train de s’éloigner de sa ligne unitaire, j’ai senti moi aussi l’influence d’éléments troubles dans notre parti ».

    30 Celui-ci est peu après remplacé par Pressouyre.

    31 Lettre à Roger Leray, 9 octobre 1951. APN, Dossier 42.

    32 Le 2 octobre 1952, il écrit à Pressouyre qu’il regrette que les longs délais qui s’écoulent entre chaque CD rendent son travail « un peu vague ». Il ajoute : « D’après les comptes rendus, il est évident que le parti continue à piétiner, pour toutes sortes de raisons, et qu’il ne parvient pas à se faire écouter. Je voudrais bien te voir, pour envisager cette situation, ainsi que nos perspectives réelles ». Ibid.

    33 Au congrès de juin 1953, il fait un exposé sur la politique économique française, mais est le premier non élu. Il revient peu après au comité directeur grâce aux démissions de deux membres élus.

    34 Selon le témoignage de Jean-Pierre Biondi.

    35 Esprit des révolutions, op. cit., p. 21.

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    Ce livre est cité par

    • Lallement, Michel. (2010) Sous les sciences sociales, le genre. DOI: 10.3917/dec.chaba.2010.01.0330
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    • Vannier, Patricia. (2015) Mai 68 et la sociologie. Revue d'histoire des sciences humaines. DOI: 10.4000/rhsh.2065
    • Tanguy, Lucie. (2009) Retour sur l'histoire de la sociologie du travail en France : place et rôle de l'Institut des sciences sociales du travail. Revue française de sociologie, Vol. 49. DOI: 10.3917/rfs.494.0723
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    Morin, Gilles. « Pierre Naville, du progressisme aux nouvelles gauches ». In Les vies de Pierre Naville, édité par Françoise Blum. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2007. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.56705.
    Morin, Gilles. « Pierre Naville, du progressisme aux nouvelles gauches ». Les vies de Pierre Naville, édité par Françoise Blum, Presses universitaires du Septentrion, 2007, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.56705.

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    Blum, F. (éd.). (2007). Les vies de Pierre Naville (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.56594
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    Blum, Françoise, éditeur. Les vies de Pierre Naville. Presses universitaires du Septentrion, 2007, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.56594.
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