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Les caves de Douai

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Jean-Denis Clabaut

Interprétation

Texte intégral

  • 1 CC 230 à 233, AMD.

1Comme il n’existe pas de texte précis mentionnant la présence ou la construction d’une cave, à l’exception des comptes de la ville qui décrivent en détail celle des caves 8c et 8d situées sous la mairie actuelle1, cet essai de chronologie des caves de la ville est fondé sur plusieurs critères. Ce sont en premier lieu les plans des caves, comparés au parcellaire actuel qui sont mis à contribution. Les données architecturales sont ensuite prises en compte, particulièrement l’appareillage et le type de voûtement. Le dernier critère est stylistique, notamment pour les caves pourvues de colonnes ou piliers qui peuvent être comparées à des monuments locaux et régionaux : le beffroi et les églises anciennes de la ville, les églises régionales étudiées et particulièrement celles de la Pévèle, les études de caves urbaines menées notamment à Lille mais aussi dans la région proche : toutes ces données permettent de grouper les caves en trois périodes chronologiques.

Les caves de la première période

2Elles sont au nombre de quatre et sont situées à divers endroits de la paroisse étudiée ; l’une au nord, au bout de la rue des Blancs Mouchons (3c), une autre rue des Dominicains (5abc) et les deux dernières de part et d’autre de la mairie actuelle, la 8b à l’est de la rue de la Mairie et la 9c au coude de la rue des Minimes. Elles sont caractérisées par un cumul d’éléments particuliers que l’on ne retrouve pas dans les autres caves étudiées. Leur première particularité réside dans leur inadéquation de plan avec le parcellaire actuel.

Les plans

3Ces caves sont soit en retrait de la rue (3c et 8b), à moitié sous la rue et les bâtiments (9c) ou s’étirent parallèlement à la voirie (5abc). Ces positionnements constituent une particularité au sein des caves recensées, mais sont aussi en contradiction avec les observations effectuées à l’occasion des chantiers de fouilles archéologiques réalisés sur des parcelles médiévales ; ces études ont révélé, pour des bâtiments datés du XIIIe et du XIVe siècles, une organisation très stéréotypée avec des dimensions voisines de 4 à 5 m de large sur 8 à 12 m de long et une orientation perpendiculaire à la rue (Sites 155, 186, 200). Au centre ville, rue de Paris, le chantier des « Nouvelles Galeries » (site 255), ouvert en 1993, a révélé des dispositions de parcelles identiques, perpendiculaires à la rue et s’étirant profondément dans le parcellaire.

4À l’inverse, une opération menée à l’arrière de la cave 8h (site 228, 1991), en retrait de la rue de Paris, a permis de mettre au jour les soubassements en pierre d’un bâtiment du XIIe siècle, de plan rectangulaire peu allongé, dont l’implantation a conditionné en partie les différentes constructions qui se sont édifiées entre cette parcelle et le front de rue.

5Ici, deux caves développent des plans carrés (3c et 8b) de surfaces différentes et la cave 9c, en partie sous la rue, devait avoir un plan sensiblement carré aussi ; quant à l’ensemble formé par les caves 5abc, bien que sa forme soit rectangulaire, sa position étirée le long de la rue est une particularité unique du parcellaire douaisien.

6La densification des constructions urbaines liée à l’expansion rapide de la ville et à son dynamisme économique, a obligé très tôt à lotir densément le centre ville en divisant les grandes parcelles en un nombre important de parcelles plus petites. L’accès à la rue était une priorité, ce qui explique la position perpendiculaire à la rue. Les constructions adoptent alors rapidement une forme rectangulaire allongée, recherchant les espaces nécessaires à leur édification en profondeur dans les parcelles. Cette organisation du sol est attestée dans nombre de villes françaises dans le courant des XIIe et XIIIe siècles. À Douai, le lotissement en parcelles rectangulaires régulières du quartier de « la noeuville », au nord de l’enceinte, au cours du XIIIe siècle, confirme l’importance de la croissance urbaine à cette époque.

  • 2 Cadastre de 1970.
  • 3 « Plan de Douai d’après le plan cadastral levé en 1824, redressé en 1859. Par Félix Robaut ».

7Les caves qui ne répondent pas à ce schéma témoignent donc, à l’image du bâtiment du site 228, d’une construction ancienne, antérieure au XIIIe siècle. C’est le cas pour le premier niveau de la cave 8b qui développe son plan carré en retrait de la voirie. Son antériorité sur les caves voisines est attestée par le plan des boves aménagées en second niveau qui contournent soigneusement les fondations de cette cave carrée. Le cadastre actuel2, en partie perturbé par l’agrandissement de l’aile de la mairie au cours du XIXe et le lotissement des parties arrière, ne reflète plus cette disposition. En revanche, le cadastre de 18243 témoigne encore de la présence de cette cave carrée séparée de la rue par des parcelles loties en rectangles.

8La même disposition se retrouve avec la cave 3c qui, bien que de taille plus modeste et s’insérant dans la largeur d’une parcelle « classique », se situe, elle aussi, bien en retrait de la rue.

9Enfin, l’ensemble formé par les caves 5abc est un exemple d’implantation parallèle à la rue, qui ne trouve de comparaison, tant en positionnement qu’en amplitude de la surface, que dans la « halle aux draps » qui constitue la partie inférieure de la mairie actuelle, ancienne halle échevinale. Ceci est d’autant plus intéressant que ce bâtiment se situe dans le « Castel Bourgeois », quartier très tôt attesté, qui correspond à la première expansion urbaine de la ville sur la rive Est de la rivière.

10L’analyse architecturale confirme ces premières constatations.

Les éléments architecturaux

  • 4 Demolon (P), Les origines médiévales de la ville de Douai, Revue du Nord, numéro spécial « Douai et (...)
  • 5 Arkeos, Douai, 48, rue de l’Université. Document final de synthèse, 1997, p. 13.
  • 6 Plateaux (A) dir., Les églises de la Pévèle française, Liège 1990.

11D’autres spécificités se retrouvent dans l’architecture de ces caves, au premier rang desquels figurent les appareillages. La cave 3c présente l’organisation des parois la plus frustre, composée de grès de toutes tailles qui sont maçonnés dans certaines parois en assises grossières. Ce type d’élévation se retrouve dans la cave d’un bâtiment annexe du donjon, mis au jour lors des fouilles de 1976 à l’emplacement de la fonderie4, mais aussi dans une cave récemment fouillée où l’une des parois avait conservé un arc de décharge en grès grossièrement taillés, au-dessus duquel subsistait une élévation de conception identique à celle de la cave 3c. La maçonnerie était calée par endroit avec des fragments de tegulae et datée du XIIe siècle5. Des techniques de construction très voisines se retrouvent dans des églises de la région, telles que celles de Flines-les-Râches et Nomain ; les grès y sont très peu taillés et la voûte d’arêtes du clocher de Flines est d’une grande similitude avec celles mises en œuvre dans la cave6. Ces bâtiments sont datés des XIe et XIIe siècles et fournissent des premiers éléments qui permettent d’envisager une datation à la charnière de ces deux siècles pour la cave 3c, qui serait alors l’un des plus anciens témoins des élévations urbaines ou pré-urbaines de la ville.

12Bien entendu, les archaïsmes sont fréquents dans notre région, et ces comparaisons avec des édifices représentant des pouvoirs forts et donc riches doivent être maniées avec toute la prudence requise, même s’il s’agit ici de monuments ruraux ; les décalages chronologiques sont possibles entre un style présent dans un bâtiment « officiel » et son emploi dans une construction privée, et les similitudes d’architectures et de décors sont donc à manier avec précaution.

13Dans la cave 5abc, l’élévation des parois est moins fruste et si les grès utilisés ne sont pas de dimensions standardisées, ils composent néanmoins des assises relativement régulières. En revanche, les voûtes sont encore construites en petits moellons juste dégrossis et les arêtes ne bénéficient pas d’une mise en œuvre particulière, à l’inverse de ce qui peut s’observer dans d’autres caves. Dans les arcs qui rythment le soubassement de la façade, les claveaux sont grossiers mais réguliers, à l’image de ceux maçonnés dans les caves 8b et 9c où les arcs sont les seuls vestiges des élévations d’origines. Ces constatations semblent indiquer que la construction de ces trois caves est postérieure à celle de la cave 3c, mais leurs traits archaïques attestent de leur ancienneté : on peut notamment les comparer avec les vestiges de la maison de pierre fouillée sur le site 228 en 1991, datée du milieu du XIIe siècle, dont les parois sont montées en moellons de grès irréguliers. Autant d’éléments concordant avec les observations effectuées dans ces caves.

14La cave 10c, située rue de Paris, présente des caractéristiques qui se rapprochent de celles relevées dans les caves précédentes. Elle est composée d’une cave en front à rue, de plan rectangulaire, vraisemblablement couverte d’un plancher à l’origine, bien que peu d’éléments anciens soient conservés et permettent de l’affirmer. A l’arrière, un appendice de plan carré et voûté d’arêtes, en grande partie abîmé et masqué par la cuve à fioul qu’il contient, possède des caractéristiques semblables à celles de la cave 3c : son plan est carré, en retrait de la rue et les arêtes de la voûte reposent sur des pilastres saillants dans chacun des angles encore visibles ; il n’y avait pas de pilier central à l’origine. L’état déplorable de l’ensemble, les nombreuses reprises dans les parois et l’épaisse couche d’enduit qui masque la majeure partie de l’ensemble de la construction, n’ont pas permis d’observer la qualité des grès qui composent la voûte et les parois, ce qui empêche de ranger cette cave au nombre des structures anciennes. Néanmoins, il est possible que la cave carrée à l’arrière soit le témoin d’une construction ancienne qui aurait ensuite été raccordée à la rue par l’adjonction d’une cave plus large, couverte d’un plancher.

Plan de la cave 10c

Plan de la cave 10c
  • 7 Clabaut (J.-D), Les caves médiévales de Lille, 2001, p. 117.
  • 8 Thiebaut (J), NORD ROMAN, 1994, pp. 93-154.
  • 9 Ricaume (S), Les salles basses médiévales de Provins. Étude des quartiers de la rue du Palais et de (...)
  • 10 Tetelin (E), Les caves médiévales d’Amiens, mémoire de maîtrise d’archéologie sous la direction de (...)
  • 11 Barral i Altet (X), BELGIQUE ROMANE, 1989.

15Les supports utilisés sont nos derniers éléments de comparaison et de datation possible. Les voûtes d’arêtes de la cave 3c et les arcs de refend de la 8b sont soutenus par de simples piliers carrés. Montés en moellons de tailles variables, ils n’ont pas de particularités stylistiques. À Lille, deux piliers identiques dans la forme et les proportions ont été retrouvés à un mètre de distance l’un de l’autre dans une cave, mais leur datation s’est avérée impossible car ils étaient noyés dans un contexte réaménagé en brique daté du XVIIe ou XVIIIe siècle7. Il faut donc aller chercher des comparaisons avec des monuments, ce qui est chose malaisée puisque les piliers sont rarement utilisés : ce sont des colonnes qui rythment les nefs des églises de la région. Il faut s’éloigner pour trouver des édifices dont les supports sont des piliers carrés, soit dans certaines églises de la Flandre française, soit dans le Laonnois8 ou, en nombre plus important, en Belgique. Il existe aussi des salles-basses à Provins, notamment sous l’hôtel-Dieu, qui développent des voûtes d’arêtes soutenues par des arcs transversaux ; ceux-ci reposent sur des piliers identiques à ceux observés à Douai. Elles sont aussi datées du XIIe siècle9, de même que d’autres caves où des supports très voisins étaient mis en œuvre, observées à Amiens mais aujourd’hui détruites10. Les éléments datés les plus proches géographiquement, d’un style très voisin, se trouvent dans la crypte de Celles-les-Dinant, datée du XIe siècle. Nous sommes certes là loin de Douai et dans un contexte religieux différents des caves urbaines, mais toutes les églises de Belgique qui utilisent des piliers carrés comme supports, dans les cryptes ou dans les nefs, sont très anciennes et datées généralement du XIe ou du début du XIIe siècle11. Ces différentes constatations corroborent celles effectuées à partir des plans et des élévations : il reste à Douai des caves qui remontent au moins au XIIe siècle.

16Dans la cave 9c, ce sont deux colonnes aux fûts monolithes couronnées de chapiteaux à crochets très sphériques qui soutiennent les arcs de refend. Ce type de chapiteau est un classique du Moyen Âge que l’on retrouve à de nombreux exemplaires, tant dans les édifices publics que les maisons particulières, et bien sûr dans les caves, avec des variantes de décor sur les faces du chapiteau ou les crochets. Ils sont utilisés du XIIe au XVIe siècles, mais leur style évolue au cours de cette période avec des changements de détail. Ici, le chapiteau est dépourvu d’ornements : les crochets sont en forme de boules et le tailloir massif est carré, sans angles abattus. Dans deux caves Lilloises, il existe des chapiteaux très voisins, que les textes, les éléments céramiques retrouvés à l’occasion des sondages pratiqués à l’aplomb des colonnes et les comparaisons stylistiques, notamment avec la cathédrale de Tournai et les colonnes du triforium, ont permis de dater du courant du XIIe siècle. C’est vraisemblablement la période de construction de la cave 9c, probablement à la charnière entre les XIIe et XIIIe siècles, ce que laissait déjà supposer son architecture.

  • 12 Lalleman et Raveschodt, Inleidigen tot de studie van woonhuisen in Gent, periode 1100-1300, de keld (...)

17La cave 5abc est la dernière de ce groupe. Etonnante par son plan très allongé le long de la voirie, elle se situe de plus dans le premier noyau urbain de la rive droite de la Scarpe. Elle possédait à l’origine 6 colonnes pour soutenir les voûtes d’arêtes, composées de fûts à tambours, première originalité dans les supports douaisiens et qui ne trouve de comparaison que dans les églises ou, plus loin, dans les caves de Gand12. Les chapiteaux qui les couronnent sont en forme de tronc de cônes, courts et totalement lisses. Ce type de chapiteau ne se rencontre pas dans les édifices locaux, ni dans les régions voisines. Seules les colonnes de la nef de l’église de Soignies en Belgique possèdent des chapiteaux de style proche, ainsi que deux colonnes du porche d’entrée de l’abbatiale de Jumièges, ce qui nous entraîne en Normandie ! Ces deux édifices sont datés du XIe siècle. Ces chapiteaux représentent donc une nouvelle particularité de cette cave, dont les éléments cumulés de l’architecture et du décor permettent de dater la construction, selon toute vraisemblance, dans le courant du XIIe siècle.

18Ces différentes constatations montrent la présence à Douai de caves anciennes, pour certaines particulièrement bien conservées, témoins des constructions de la fin du XIe et du début du XIIe siècle. Malheureusement, les propositions de datations reposent sur des comparaisons, qui sont toujours à manier avec précaution et non sur des critères assurés ; en l’absence de textes remontant à cette époque, seule l’archéologie peut apporter des preuves tangibles par l’intermédiaire de fragments de céramiques retrouvés en fouille ou lors de sondages. Dans le cadre de cette étude, il n’a pas été possible d’en pratiquer systématiquement, mais il faut espérer que des investigations puissent se faire un jour, qui permettraient de confirmer l’ancienneté de ces constructions et donc l’importance de leur préservation et, pourquoi pas, de leur mise en valeur.

Le deuxième groupe de caves

19L’organisation de la démonstration oblige à scinder l’ensemble des caves recensées en différents groupes, ce qui a tendance à cloisonner les critères et induit implicitement une notion de rupture chronologique entre chaque groupe. Il n’en est rien. La plupart des caves relevées à Douai sont rassemblées dans ce second groupe, non parce qu’elles présentent des critères objectifs de constructions contemporaines, mais parce qu’elles ne répondent pas complètement à ceux définis pour les caves du premier ou du troisième groupe. Ainsi, la cave 9c peut être considérée comme une construction charnière entre les caves anciennes et celles de « seconde génération » décrites ici.

Les plans

20Le principal point commun de toutes ces caves est leur plan, rectangulaire et perpendiculaire à la rue, qui correspond encore dans les grandes lignes au parcellaire actuel ; parfois une parcelle large a été scindée en deux, ou deux autres ont été rassemblées, mais la majorité du « cadastre » dessiné par les caves correspond toujours aujourd’hui aux limites de parcelles. Il faut ajouter la fréquence de plus en plus importante de l’utilisation d’espaces sous la rue, malheureusement bien souvent comblés, mais dont les traces d’ouvertures sont encore visibles et le souvenir présent dans la mémoire des propriétaires. Ces caves témoignent donc de la période de densification maximale des constructions et de la fixation du parcellaire médiéval.

21Les caves 2b et 6b, situées au carrefour de la rue des Ferronniers et des rues Bellegambe et Gambetta, sont construites sur des plans carrés ou très proches ; or, s’il semble que ce type de plan puisse être retenu comme assez ancien dans certains cas définis en première partie, la position de ces caves le long de la voirie, ainsi que le découpage du parcellaire actuel conservant dans ce quartier des parcelles larges, amène à voir dans ces caves le témoignage d’une densification moindre des constructions dans cette zone, par rapport aux artères principales, et témoigne d’une évolution de la ville non uniforme, différente selon l’importance du quartier.

Les spécificités architecturales

22Sur les 33 caves qui composent le second groupe, 18 sont du type « bove », c’est-à-dire couvertes d’un berceau, et sur 17 autres, il est possible de restituer un plancher comme couverture d’origine. Seules 2 caves utilisent des voûtes à pénétration et 2 autres des voûtes d’arêtes. Si le total dépasse le chiffre de 34, c’est que 7 de ces caves ont des architectures mixtes associant une partie couverte par un plancher et une autre voûtée.

23Les chapiteaux mis en œuvre dans les caves 6c et 10b sont des éléments de datation tout à fait importants. Ils supportent dans les deux caves des tailloirs carrés massifs et, bien que semblables dans leur volume global, possèdent des différences stylistiques. Ceux de la cave 6c n’ont pas de crochets aux angles et les feuilles stylisées par une simple ligne sur les flancs des chapiteaux viennent se fondre dans les angles sans s’y enrouler. Peu de chapiteaux de ce type sont utilisés dans les édifices locaux et il faut aller à Tournai pour en observer de style proche, dans la crypte de l’abbaye Saint Martin, datée des années 1180. Les colonnes y sont en pierre de Tournai, sans crochets, et supportent des tailloirs aux angles abattus. Cette constatation est à associer aux moellons relativement standardisés qui composent les parois de la cave ; c’est une différence notable avec les élévations des caves anciennes et probablement un indice de chronologie relative des caves entre elles, qui permet de dater la construction de la cave 6c probablement du tout début du XIIIe siècle.

  • 13 Clabaut (J.-D), Les caves médiévales de Lille, Lille 2001, p. 57.

24Dans la cave 10b, les chapiteaux développent en revanche des crochets très saillants sous un tailloir carré ; la colonne repose directement sur un socle carré, sans base circulaire intermédiaire. Nous sommes réellement ici devant l’archétype du chapiteau à crochets tel qu’il est décliné et utilisé dans nombre d’églises régionales, avec des variantes de détail, notamment dans l’enroulement des crochets. L’aspect archaïque de ceux utilisés dans la cave, associé à l’absence de base, pourrait témoigner de l’ancienneté de la construction. Ces chapiteaux sont à rapprocher de ceux de la cave 9c et de deux autres observés dans des caves lilloises, datées de la seconde moitié du XIIe siècle13. Les particularités stylistiques de détails, souvent liées aux matériaux et aux habitudes de taille de pierre locale, empêchent d’aller chercher des comparaisons avec les chapiteaux du même type utilisés dans les caves de nombreuses villes de la région, de Picardie, de l’Oise, de Bourgogne ou d’ailleurs. Globalement, les datations apportées dans ces différents cas sont néanmoins très proches de celles proposées ici.

25L’élévation des murs, aux modules de grès relativement réguliers, est proche de celle de la cave 6c. La principale différence réside dans l’emploi systématique d’arcs dans les parois et du nombre important de niches réservées sous chacun de ces arcs. Rappelons que le second niveau de cette cave a été creusé à l’intérieur d’une cave plus ancienne ; les arcs répondent alors sans doute à un souci de stabilité des parois et ont permis de rigidifier l’ensemble en cours de construction, vraisemblablement au début du XIIIe siècle. La recherche de nouveaux espaces, ici en profondeur, répond à une augmentation de la pression foncière : elle se traduit notamment, dans le courant du XIIIe siècle, par le lotissement du quartier de la Noeuville, qui témoigne du manque d’espace au sein des vieilles murailles et oblige à agrandir la ville. L’église Notre-Dame, construite à la même période, marque l’urbanisation croissante du quartier situé à l’extrémité de la place d’armes, ancienne place du marché. Le second niveau de la cave 10b est alors le témoin de la densification du tissu bâti qui oblige à creuser de nouveaux niveaux dans la vieille ville, où la place devient sans doute rare, et empêche les agrandissements en surface.

  • 14 Maliet (M), Sauvetage archéologique d’une cave médièvale de la place d’armes de Valenciennes, Valen (...)

26Les caves 8j et 6a sont vraisemblablement contemporaines du second niveau de la cave 10b. Elles possèdent des caractéristiques identiques, notamment la taille des pierres qui forment les arêtes de la voûte et adoptent une structure en dents de scie ; ce détail n’avait d’ailleurs pas échappé à Wagon qui a fait le croquis de la cave 6a, depuis murée. Cette technique de construction se retrouve à l’identique dans plusieurs caves de Lille, montées en moellons de calcaire et datées du milieu du XIIIe siècle, ainsi que dans une cave fouillée à Valenciennes14 et datée de la même période.

Cave 6a, détail, d’après Wagon

Cave 6a, détail, d’après Wagon

Détail d’une arête, cave 8j

Détail d’une arête, cave 8j

27L’appareillage de la cave 8j est d’un type fruste et archaïque, principalement dans l’élévation du premier niveau. Très étirée en arrière de parcelle et large d’à peine 4 m, elle est la seule cave à niveaux superposés strictement contemporains, existant dans la rue de la Mairie : elle témoigne de la recherche d’espace vers l’arrière des parcelles et en profondeur. Elle possède en outre un puits situé à l’arrière, en hors d’œuvre et qui devait s’ouvrir en dehors de la bâtisse. Cette caractéristique se retrouve aussi dans les caves 6c et 8b, parmi les plus anciennes de la ville, et pourrait s’avérer être un critère d’ancienneté si d’autres découvertes ou fouilles de caves viennent le confirmer.

28Les autres caves rassemblées ici n’ont pas de caractères spéciaux qui pourraient permettre d’émettre des hypothèses de datation ; les voûtes en berceau n’ont pas de profil particulier et il est difficile d’y déceler une évolution. Notons toutefois que les caves dont les voûtes ont des profils perturbés, le second niveau de la 6b ou les deux caves sous rue de la 2a, sont aussi montées en moellons grossièrement taillés et pourraient être plus anciennes que celles dont les berceaux sont encore intacts.

29Ce sont cette fois les textes qui viennent à notre aide. Rappelons celui qui décrit la réparation d’une bove en 1317 qui, située sous la chaussée de la rue du Pont amont (rue de la Mairie), axe majeur et ancien de la ville reliant le port à la place du marché, nécessite le renforcement de la voûte qui s’affaisse : les caves en berceaux existaient donc avant le XIVe siècle puisqu’il s’agit d’une réparation. De plus, cette cave a été bâtie sous la rue, espace qui n’a probablement été investi par les constructions qu’une fois l’ensemble de la surface de la parcelle en front à rue excavée : la densité de construction est donc déjà forte à cette époque et les caves étaient nombreuses dans la ville au début du XIVe siècle.

  • 15 AMD, FF665.
  • 16 AMD, FF658.
  • 17 AMD, FF664.

30Le compte d’entrée des vins des années 1310-1314, heureusement conservé, en mentionne une quinzaine de différentes, tantôt appelées cheliers, celiers ou boves. Le « grant chelier dou dragon » est notamment répertorié ; cette auberge, connue jusqu’au XVIe siècle, correspond à la cave 6a. Elle est attestée pour la première fois en 128815, date du décès du propriétaire qui a donné son nom à la brasserie, ce qui témoigne de sa construction dans la deuxième moitié du XIIIe siècle. D’autre part, lors d’une donation en héritage16 de décembre 1255, il est fait mention d’une « noeve maison ki siet sour le debout del fosset Maugart » ; cette localisation est reprise en 129117 lors de la vente du « draghon » situé « el debout du fosset Maughart » ; les similitudes de localisation des maisons citées dans les deux textes peuvent laisser supposer qu’elles ne sont qu’un seul et même édifice, daté de la première moitié du XIIIe siècle, datation apportée précédemment par l’analyse stylistique.

Les planchers

  • 18 Demolon (P), Les origines médiévales de la ville de Douai, Revue du Nord, numéro spécial « Douai et (...)
  • 19 Arkeos, Douai, 45, rue de l’Université, document final de synthèse, pp. 13-15, 1997.
  • 20 Arkeos, Douai, rue Bras, document final de synthèse, pp. 10-17, 1995.

31Les caves sur lesquelles il est possible de restituer un plancher à l’origine, semblent avoir été construites tout au long de la période médiévale. Ce type de couverture est attesté dans la cave 8b, considérée comme une des plus anciennes ou dans la cave 9c, mais il y a 18 autres caves sur lesquelles il est possible de reconstituer des planchers, existence attestée çà et là par des séries de corbeaux encore visibles. Les textes sont muets sur cette architecture particulière, mais l’archéologie vient à notre aide puisque plusieurs chantiers menés ces dernières années en centre ville ont permis de mettre au jour des vestiges de caves en pierre qui n’étaient pas voûtées. L’exemple le plus ancien est celui du site de la fonderie à Douai, qui a révélé une cave trapézoïdale, datée du XIIe siècle, couverte d’un plancher18. Les autres sites archéologiques se situent en majorité aux alentours de la place d’armes. Les bâtiments qui ont été fouillés sont échelonnés entre le début du XIIIe siècle19 et sa charnière avec le siècle suivant20. La simplicité de construction a sans doute été une des causes principales de la fréquence d’utilisation des planchers, sans qu’il soit possible d’établir une relation certaine entre l’architecture et l’utilisation de la cave. En l’absence de supports, comme dans les caves 8b et 9c, il est très difficile d’établir une chronologie, même relative, des caves entre elles et la plupart de leurs élévations sont maçonnées en moellons régulièrement taillés, utilisés entre le XIIIe et le XVe siècle. Seules les opérations archéologiques systématiques permettraient d’affiner les datations de ces diverses élévations. Enfin, leur moindre résistance à l’usure et aux incendies a dû avoir comme conséquence leur remplacement rapide par d’autres types de voûtes, comme c’est le cas dans la cave 9c où la voûte d’arêtes en grès s’appuie sur l’arcature qui soutenait le plancher d’origine, et il est probable que nombre de caves en berceau en grès ou briques reprennent des élévations antérieures qui n’étaient pas voûtées.

3e groupe : les caves de la fin du Moyen Âge

  • 21 AMD, CC 230 à 233.

32Cinq caves, dont le point commun est la mise en œuvre de voûtes d’ogives, composent en majorité ce groupe, complété par trois autres caves voûtées en berceau assez particulières. Au sein de cet ensemble, la cave 8c est tout à fait importante. Située sous la mairie, elle constitue l’ancienne halle aux draps et sert de local d’exposition. Sa construction est largement décrite dans les comptes de la ville des années 1464 et 146521. Elle présente des caractéristiques architecturales similaires à celles observées dans les caves 7c, 8f, 8h et 9a.

33Les branches d’ogives qui constituent l’ossature des voûtes adoptent un profil sobre où les angles sont simplement abattus et l’ensemble est supporté par deux colonnes, au centre de chacune des deux pièces qui composent cette halle, et par des culots polygonaux dans les parois latérales. Une architecture identique, telle qu’elle est observée dans les quatre autres caves, suffit-elle par comparaison à les dater comme la halle aux draps, du milieu du XVe siècle ? Ce n’est pas certain car il existe des nuances d’élévation qui sont importantes. La première réside dans le traitement de la voûte, qui est un remplissage de briques dans la halle aux draps, tout comme dans les salles voûtées de la porte Notre-Dame (aujourd’hui de Valenciennes) qui a été construite 10 ans auparavant, alors que les caves sont intégralement voûtées en grès. L’étude des matériaux avait montré, dans la première partie, que la brique était couramment utilisée à Douai à partir de la seconde moitié et surtout la fin du XIVe siècle, ce qui inclinerait à penser que les caves voûtées d’ogives en grès sont antérieures à cette période. Il est cependant difficile de comparer des élévations enterrées comme les caves, et des bâtiments de surface, car les contraintes techniques et d’isolation ne sont pas les mêmes dans chacun des cas. Aussi le matériau seul n’est pas un critère suffisant et il faut s’attacher aux comparaisons stylistiques fournies par les supports présents dans chacune de ces caves.

Les éléments stylistiques

  • 22 AMD, CC 230, Fo 38.
  • 23 AMD, CC 224, Fo 53.

34Dans le cas de la halle aux draps, il est clair que l’un au moins des chapiteaux a été taillé spécialement lors de la construction, ainsi que l’atteste la mention dans les comptes de la ville22 de l’apport d’une « viese pierre de gries… dont l’en a fait ung cappitel a pluiseurs pans ». Ce chapiteau ne provient donc pas de la récupération des supports des caves qui existaient là avant, dont on sait, par les comptes de la ville qui y mentionnent des réparations, qu’elles étaient équipées de « coulombes et pillers » ainsi que de « vaulsures »23. En revanche, le fût et le socle carré, qui est un tailloir retourné, sont des éléments antérieurs réutilisés qui proviennent peut-être de l’ancienne cave. Le raccord entre ces deux éléments est assuré par une pierre polygonale assez grossière qui fait office de base. La différence visible de technique de taille de la pierre entre le fût et le chapiteau suffit à montrer que nous sommes face à une colonne composite, hétéroclite, qu’il est délicat d’utiliser comme élément de comparaison.

  • 24 Plateaux (A) dir., Les églises de la Pévèle française, Liège 1990.

35Prenant à témoin les églises locales, on remarque que des chapiteaux polygonaux identiques ou très proches sont visibles dans les églises d’Ennevelin et de Flines-les-Râches ainsi qu’à Chéreng, mais si les datations concernant Ennevelin (construction en 1442-1443) concordent avec celle de la halle aux draps, Chéreng est de l’extrême fin du XVIe siècle, en 1595, et Flines n’est daté que par comparaison avec Ennevelin24. En outre, les supports sont systématiquement en pierre de Tournai dans ces églises, alors que c’est le grès qui est employé dans les caves douaisiennes. La salle basse, ou salle des gardes, du palais Rihour, construit au milieu du XVe siècle à Lille offre un élément de comparaison : les voûtes à branches d’ogives y sont supportées par des colonnes en grès dont les chapiteaux polygonaux sont d’un style très proche de ceux observés à Douai.

Base retournée avec tailloir récupéré

Base retournée avec tailloir récupéré
  • 25 Sub Artésia, Cahier caves no 1, cave médiévale No 62, Grand-Rue, Montreuil-sur-Mer, inédit, 1997.
  • 26 Goetz (B), Les caves du vieux Besançon du Moyen Âge à la renaissance, mémoire de maîtrise d’histoir (...)
  • 27 Tetelin (E), Les caves médiévales d’Amiens, mémoire de maîtrise d’archéologie sous la direction de (...)
  • 28 Site de l’ASEPS, http://www.chez.com/aseps/

36Il semble donc que l’on puisse considérer que le chapiteau polygonal est un élément de datation à lui seul, qui permet de dater les caves de Douai, dans lesquelles il est utilisé, de la première moitié du XVe siècle. Par comparaison, les caves 7c et 8f qui n’ont pas ou plus de supports visibles mais déploient des voûtes d’ogives identiques à celles des caves 8h et 9a, peuvent être attribuées à la même période. Cependant, dans d’autres villes plus ou moins éloignées, des caves voûtées d’ogives soutenues par des colonnes à chapiteaux polygonaux ont été relevées et datées, soit du XIIIe siècle à Montreuil-sur-Mer25, soit du XIVe comme à Melun ou du XVe à Besançon26. À Amiens, les datations proposées pour des élévations identiques sont échelonnées sur les deux siècles27, ainsi que dans plusieurs autres caves de la champagne et la région parisienne large28. À Douai, Il semble que ce type de support ait été utilisé surtout dans la première moitié du XVe siècle et probablement la fin du siècle précédent. Les textes permettent d’approfondir les premières constatations.

Les textes

  • 29 AMD, CC226, Fo 64.

37Ainsi qu’il a été dit, la halle aux draps est datée avec certitude par les comptes de la ville ; ceux-ci nous révèlent en outre un repavage partiel sur une longueur de 40 pieds (12 m) de la rue « des Royelles au mez »29 daté du 28 juin 1455, qui pourrait bien correspondre au stade final de la construction de la cave 9a. La taverne « des Royelles » est bien connue et située au-dessus de la cave 8f, à l’angle de la rue des Minimes et de la partie basse de la rue de la Mairie ; le mez est le nom donné à l’extrémité de la rue des Minimes, en souvenir d’une ancienne propriété à vocation agricole. Ne seraient alors du domaine public, et donc inscrit dans les comptes de la ville, que les travaux nécessaires à la réfection de la chaussée et pas la construction de la cave dont il n’est pas fait mention.

38La cave 8f présente un cas particulier, car la brasserie « les Royelles » y est attestée depuis les années 1290, ce qui oblige soit à admettre la construction d’une cave voûtée d’ogives à une date aussi précoce par rapport aux autres caves, soit à admettre la reconstruction du bâtiment de fond en comble à une période imprécise, soit enfin à supposer que le second niveau soit le résultat d’un creusement ultérieur à l’intérieur de la première cave. C’est l’hypothèse la plus plausible, qui permettrait d’expliquer pourquoi les parois de la cave sont en retrait de près de deux mètres des murs extérieurs de la maison et pourquoi cette cave adopte un plan carré, alors que les autres caves ont montré que le parcellaire perpendiculaire à la rue est systématique depuis le XIIIe siècle. À l’image de la cave 9a qui occupait l’angle de la rue en vis-à-vis, il s’agit ici de la conservation de plans anciens dont les caves ont été reconstruites et agrandies au cours du XIVe ou du XVe siècle. Le nom de « Royelles » lui est resté attaché car celui-ci continue d’être mentionné jusqu’au XVIe siècle.

39Ainsi, à partir des données fragmentaires des textes, des comparaisons stylistiques et des études des plans, il est possible de situer la construction des caves voûtées d’ogives, qui sont systématiquement portées par des colonnes à chapiteaux polygonaux, assez tardive, dans la seconde moitié du XIVe siècle et le début du XVe siècle, évolution ultime des caves en grès. Cependant, d’autres types de caves ont été construits à la même époque.

Les caves voûtées en berceau

  • 30 AMD, FF611, No 1903.

40Si les comptes de la ville déjà mentionnés pour la construction de la cave 8c ont aidé à préciser la datation des caves voûtées d’ogives, il ne faut pas oublier que la cave voisine (8d), voûtée d’un berceau à peine brisé, lui est exactement contemporaine. Ses particularités architecturales sont tout d’abord la qualité de la taille des grès de la voûte, et le soin apporté à leur mise en œuvre. L’utilisation exclusive du grès dans les voûtes, à l’inverse de la halle aux draps, construite en même temps, où la brique prédomine, confirme que la brique n’est pas au XVe siècle considérée comme un matériau plus efficace que le grès pour les constructions en sous-sol. D’autre part, l’escalier d’accès est soutenu par un segment d’arc clavé qui s’appuie sur le mur de façade, et voûté d’un ensemble de petits arcs brisés à arête chanfreinée, disposés en redans. Ces spécificités se retrouvent aussi dans la cave 10a, où l’escalier d’accès au second niveau est lui aussi soutenu par un segment d’arc en tout point semblable à celui de la cave 8d. Les grès de la voûte révèlent une taille elle aussi d’une grande qualité, de même que l’exécution du berceau, et la jonction de l’escalier avec la voûte qui s’effectue grâce à deux arcs brisés, à arête chanfreinée, décalés en hauteur, très voisins de ceux observés dans la cave 8d. Ajoutons à cela la première mention de cet établissement en 143130, et l’on pourrait être ici face à deux témoins d’une évolution tardive du thème classique de la cave voûtée en berceau.

  • 31 AMD, FF758.
  • 32 AMD, FF617, No 2442.

41La cave 7a pourrait être associée aux deux précédentes ; l’arc brisé est là aussi utilisé pour l’ouverture permettant la jonction entre les deux parties de la cave, et le segment d’arc situé au-dessus de l’ouverture sud, murée, est en tout point identique à celui surplombant le passage entre les deux volumes du second niveau de la cave 10a. Seules les voûtes ne présentent pas les mêmes qualités architecturales que les deux cas précédents, mais l’unité stylistique est néanmoins réelle. Les textes semblent aller aussi dans le même sens, mentionnant cette cave pour la première fois en 145931 et la taverne la surplombant en 144632.

42Le type « bove », mis en œuvre dès le XIIIe siècle au moins, est celui qui perdure le plus avec des améliorations dans le profil des voûtes et la qualité des matériaux. Progressivement, la voûte est « perchée » sur des murs et adopte un profil en anse de panier, ce qui permet d’augmenter le volume global de la cave en « repoussant » les reins de la voûte.

43Ainsi, sans formuler de conclusion définitive mais en restant dans le cadre des hypothèses vraisemblables, il est possible d’élaborer avec l’ensemble des caves de Douai recensées ici certaines constatations. La première concerne l’emploi, tout au long de la période concernée, des constructions voûtées en berceau ou couvertes d’un plancher, avec des évolutions légères de structure. L’introduction des voûtes d’ogives semble s’être faite à une époque assez tardive, extrême fin du XIVe et surtout XVe siècle. L’emploi précoce, mais peut-être continu, des voûtes d’arêtes semble attesté, ainsi que l’évolution des supports, passant du pilier et de la colonne à tambours à l’emploi de fûts monolithes surmontés de chapiteaux à crochets puis polygonaux. Enfin, le passage de plans carrés plus ou moins conservés dans le parcellaire, à celui de plans rectangulaires stéréotypés dans leurs dimensions, auxquels s’associent parfois des seconds niveaux, est aussi confirmé. Ces éléments constituent la base d’une typologie qui devra s’enrichir des futures découvertes, notamment dans l’ensemble du quartier canonial de Saint Amé et dans le premier agrandissement de la ville que constitue le quartier de « la noeuville », qui n’a pu être étudié dans le cadre imparti à cette recherche.

44Tous les critères de datation sont résumés dans les tableaux insérés dans les quatre pages suivantes. Les datations proposées sont, particulièrement pour les caves ne développant pas de particularités stylistiques importantes, des hypothèses de travail que seuls des sondages systématiques pourraient permettre de confirmer.

Fonction et utilisation des caves

45Bon nombre des caves recensées à Douai sont en phase de comblement. Elles servent régulièrement de poubelles ou de décharges à gravats ou, plus simplement, occasionnent aux propriétaires des peurs instinctives face à ces trous noirs, terribles souterrains moyenâgeux envahis par les rats dont nombre d’habitants sont convaincus de l’existence. Ainsi s’effectue constamment le comblement et la fermeture des caves de second niveau, dont il ne reste que trop peu d’exemples, mais qui, au moment de leur construction, répondaient à des exigences et des impératifs qu’il convient de cerner.

Les caves-carrières

46Les dictionnaires qui donnent la définition du mot « bove » prennent comme exemple les caves d’Arras, souvent construites sur deux voire trois niveaux, s’enfonçant à des profondeurs importantes. Il n’existe pas de réseau de ce type à Douai, même si la terminologie médiévale leur applique régulièrement le terme de bove, comme à Arras.

47En effet, l’usage à Arras et à Cambrai, localités proches, des importants souterrains est à l’origine celui de carrières destinées à fournir les matériaux de construction à la ville, ainsi que le montrent de nombreuses traces et excavations conservées. Or la structure géologique du sous-sol de Douai interdit formellement cette interprétation. Le territoire concerné est constitué d’une vallée peu marquée, inondable et marécageuse, qui s’étalait de chaque côté de la rivière et fut lentement drainée au cours des Xe et XIe siècles. À l’est, la majeure partie de la ville médiévale est construite sur une butte de faible hauteur, composée essentiellement de limon relativement compact. Les matériaux de construction utilisés à Douai, et particulièrement le grès, n’ont pas d’origine strictement locale. Les caves ne sont donc pas des anciennes carrières à ciel ouvert qui auraient été aménagées, comme c’est probablement le cas pour plusieurs salles basses de Provins par exemple. Il en est de même à Lille où les caves du centre-ville sont creusées directement dans le substrat naturel.

Tableau résumant les critères de datation pour les différentes caves recensées

Tableau résumant les critères de datation pour les différentes caves recensées

- "Cave" correspond au No d’enregistrement de la cave
- "textes" indique les plus anciennes mention retrouvées des caves, suivie quand c’est possible de la date à laquelle apparaît la maison dans les archives.
- "appareillages" reprend les critères des conditions formulés dans l’étude.
- "supports" indique les types, colonnes, piliers ou culots, des supports rencontrés ainsi que les types de chapiteaux
- "voûtement" précise les types de couverture des caves en indiquant les planchers restitués.
- "position/cadastre" rappelle la position de la cave dans le parcellaire.
- éléments caractéristiques" indique les particularités de la cave.
- "datation" propose le siècle au cours duquel la cave semble avoir été bâtie, où la date précise lorsqu’elle est connue.
- Abréviations : col. = colonne ; chap. = chapiteau ; id. = identique ; rect. = rectangulaire

48Cette constatation amène à concevoir les caves de Douai avec un autre regard que celles des villes voisines, la taille ne préjugeant pas de la qualité ; en effet, les excavations n’ont d’autre objet ici que la fabrication de caves dans un but précis, et non la récupération de structures préexistantes. En outre, cela joue sur les analyses chronologiques à donner aux sites, car si l’on peut concevoir les caves d’Arras ou Cambrai comme un aménagement de carrières primitives, où les structures les plus anciennes seraient les plus profondes, l’inverse est la règle à Douai. Le creusement de seconds niveaux correspond à une recherche de nouveaux espaces, qui n’ont plus été disponibles en surface : ici, les structures inférieures peuvent donc être considérées comme plus récentes.

Les caves souterrains

49Nombreux ont été les Douaisiens qui, lors de la phase de prospection, ont indiqué l’emplacement de l’entrée d’un souterrain au fond de leur cave, en réalité une seconde cave murée ou non, qu’ils s’étaient bien gardés d’explorer. D’autres habitants ont raconté des histoires de famille certifiant la présence d’un souterrain à tel ou tel endroit qui permettait, évidemment, d’aller vers « le château » ou de se sauver vers « la campagne ». L’importance et l’ancrage dans l’imaginaire collectif de ces réseaux obscurs sont à la hauteur de la déception des personnes qui, incrédules, ont appris que leur souterrain familial n’était qu’une seconde cave. La confusion n’est en effet pas possible, car les architectures des caves sont closes par des parois qui n’ont pas été rajoutées et sont structurellement liées aux voûtes qui couvrent ces espaces enterrés. En outre, l’immense majorité des caves se situe en front à rue ; elles sont parallèles entre elles, ce qui exclue toute possibilité qu’elles soient chacune un tronçon reconvertit d’un ancien réseau. Néanmoins, le second niveau de la cave 8b, avec l’alignement de ses espaces couverts en berceau sur lesquels se greffent ça et là des appendices de petit volume, ressemble à s’y méprendre à un souterrain. Ajoutons à cela les deux accès à chacune des extrémités du réseau, dont l’un rejoint les caves de la mairie et l’utilisation de ces galeries comme abri pendant la seconde guerre mondiale, et nous avons là tous les ingrédients pour faire naître une fausse certitude : le sous-sol de la ville est sillonné de souterrains.

Wagon, schéma du réseau 8b en second niveau, formé par les caves en berceau associées, rue de la Mairie.

Wagon, schéma du réseau 8b en second niveau, formé par les caves en berceau associées, rue de la Mairie.

50Il faut néanmoins remarquer que, même si l’étude architecturale de ce réseau montre qu’il s’agit d’une association de plusieurs caves, le résultat est qu’en l’empruntant, on passe bien sous terre pour aller d’un endroit de la ville à un autre : c’est presque la définition du souterrain. La différence entre réseau de caves et souterrain tient alors dans l’intention de départ : les caves ne sont pas destinées au passage et c’est la construction de nouveaux volumes associés à d’autres plus anciens qui donne l’aspect de galeries ; le souterrain est un percement volontaire destiné à mettre en communication deux points, ce qui n’est pas le cas dans le second niveau de la cave 8b. Il est d’ailleurs peu vraisemblable que des passages de ce type existent ailleurs en ville. Aucun n’a été repéré et les contraintes géologiques du sous-sol, qui n’est pas constitué de strates rocheuses ou crayeuses, à l’inverse de Béthune ou Arras, ne permet pas d’envisager le creusement de ce genre de structure.

51L’exception qui confirme la règle se trouve au second niveau de la cave 10b, où le passage qui s’ouvre dans la paroi arrière a toutes les caractéristiques du souterrain. L’accès était muré en brique lors de la prospection et, une fois ouvert, il a permis d’accéder à un long couloir étroit, de faible hauteur car en partie remblayé, couvert d’une succession de linteaux en grès, qui s’étire sur quelques mètres et permettait d’accéder à une autre cave. Ce passage mettait donc en communication deux caves de second niveau, construites sur une même parcelle sous deux bâtiments distincts, ou qui témoigne du rachat de la maison arrière par le propriétaire de la cave 10b qui a alors réuni les deux caves au moyen de ce couloir, évitant ainsi de devoir emprunter à chaque fois les longues volées d’escalier pour passer d’une cave à l’autre.

Plan et coupe du passage de la cave 10b

Plan et coupe du passage de la cave 10b

52La cave dans laquelle débouchait le passage est aujourd’hui détruite et remplie de gravats mais la feuillure de la porte qui fermait ce volume a cependant été observée. Ce couloir souterrain n’est pas contemporain de la construction de la cave 10b et a été percé dans la paroi arrière de la cave qui présente les traces de ce réaménagement, notamment dans la différence d’assises des moellons à l’endroit de la réfection. C’est donc le seul exemple de véritable souterrain observé dans les caves de Douai, mais d’une ampleur cependant très restreinte.

53Ainsi, malgré l’engouement des habitants pour les histoires de souterrains et la ténacité avec laquelle ils défendent leur existence, aucune des caves recensées ne peut être confondue avec un souterrain dont l’existence relève bien plus de la légende que de la réalité.

Les caves-habitation ou refuge

  • 33 Duthilloeul (H.-R), « Douai ancien et nouveau », Douai 1860, 272 p.

54Les comparaisons avec les caves d’Arras sont à nouveau fondamentales. Mieux connues et depuis plus longtemps, elles ont fait l’admiration de nombreux érudits tout au long des siècles, et leurs conclusions sont unanimes : les caves sont creusées dans un but défensif. Ainsi l’historien italien Guichardin au XVIe siècle, l’abbé Hennebert au XVIIIe, E. Bouby au XIXe et A. Blanchet enfin dans son ouvrage sur les souterrains de France, dans lequel il élargit cette fonction aux caves de Senlis et de Béthune. Ainsi Duthilloeul en 1860 précise : « Les boves ou sous-caves servaient, a-t-on dit, de refuge aux habitants pendant les sièges. On trouvait de ces boves principalement aux environs du beffroi, comme rue des Minimes et des Procureurs, parce que le feu de l’ennemi pendant les sièges se dirigeait vers ce monument »33. L’opinion des autres historiens est fondée sur la profondeur des souterrains, la présence parfois de cheminées au premier niveau, l’accès des puits aussi bien au rez-de-chaussée qu’aux niveaux inférieurs et les ouvertures interprétées comme des « armoires » dans les murs des caves. Or si les puits repérés dans certaines caves de Douai ont, pour certains d’entre eux, des accès sur plusieurs niveaux et si l’on peut prendre les niches de mitoyenneté définies plus haut pour des armoires, aucun autre aménagement n’est visible. Quand les cheminées existent, elles correspondent à des réfections tardives et sont systématiquement maçonnées en briques, et si l’on restitue les planchers primitifs, toutes les caves qui en sont pourvues ne peuvent correspondre à des refuges. En outre, la profondeur des caves n’est jamais importante et les orifices d’accès qui sont encore visibles ne paraissent en rien destinés à être cachés à la vue. Les études des « muches » de Picardie ont sans doute conduit ces historiens à faire des amalgames trop rapides. Ces réseaux, que l’on trouve creusés sous de nombreux villages, étaient effectivement destinés à protéger les biens et les personnes lors du passage de troupes à une époque d’insécurité importante. Mais ces souterrains n’existent que dans des villages de faible importance qui n’étaient pas protégés par des remparts. Dans les villes, la protection principale est la ceinture fortifiée et si les caves ont pu servir d’abri, ce n’est qu’au cours des XIXe et XXe siècle à cause de l’importance des pilonnages et bombardements qui, bien évidemment, n’existaient pas au Moyen Âge quand les caves ont été construites.

55Si les caves ne sont effectivement pas des locaux d’habitations, elles dépendent néanmoins du bâtiment qui les surplombe et peuvent donc, à l’image de la majorité de nos caves modernes, être de simples locaux destinés à entreposer les réserves destinées à la consommation d’une famille. Cette remarque est d’autant plus intéressante que, dans le cas de familles disposant de revenus importants, le nombre de personnes résidant dans la demeure peut être conséquent car il faut y inclure les différents serviteurs. Dans ce cas, il est nécessaire d’avoir un local de stockage des denrées d’une surface suffisante. La difficulté est alors de sélectionner les critères qui permettraient de discerner les caves d’usage domestique des autres.

56L’élément indispensable est, à nouveau, l’accès aux niveaux inférieurs, qui doit dans ce cas être orienté vers la maison, même s’il est aussi nécessaire d’avoir un accès vers la rue. Dans les caves recensées, il n’existe pas de trace d’accès direct depuis la cave vers le niveau supérieur, que ce soit par l’intermédiaire de trappes avec échelles ou d’escaliers. Cependant, les nombreuses réfections qui ont été effectuées au fil des siècles, notamment les reprises de voûtes en maçonneries de briques, les réfections des parois arrière des caves, ou la simple disparition des premiers niveaux quand il ne subsiste que le second, obligent à nuancer le jugement : l’absence actuelle d’accès direct n’est pas une preuve suffisante. La cave 6b est la seule qui possède encore un escalier maçonné à l’arrière de la cave, hors d’œuvre, d’une largeur réduite et donc destiné au passage des personnes ; il y a donc un lien direct entre les niveaux qui laisse supposer que le propriétaire de la cave est aussi celui de la maison. Il pourrait s’agir dans ce cas d’un des rares exemples conservés de cave d’usage domestique, avec un accès vers la rue pour le stockage des denrées.

57D’autres exemples sont à relever, dans lesquels il n’existe plus d’accès d’origine vers le niveau supérieur, mais où l’escalier de façade est aussi absent. C’est le cas notamment de la cave 3d où toutes les parois sont conservées ; l’escalier actuel a été percé dans un des murs et, en façade, c’est une large trappe en pan incliné qui met en communication la cave avec le trottoir et qui n’était évidemment pas destinée aux passages des personnes. Par où entrait-on dans cette cave ? La solution réside probablement dans la mixité de sa structure, qui associe une voûte en berceau sur la moitié avant et un plancher à l’arrière ; il est possible de le restituer grâce aux corbeaux encore en place. Il était alors très facile de ménager dans le plancher une ouverture munie d’un escalier en bois communiquant directement avec la partie arrière de la maison. Ce système existe encore dans la cave 2b où, malgré la présence de l’ouverture de l’escalier de façade, la partie arrière encore couverte par un plancher ouvre toujours vers le rez-de-chaussée par un escalier en bois. Il est alors tentant de considérer que l’architecture des caves pourrait renseigner sur leur utilisation : celles couvertes par des planchers étaient à usage domestique, avec des escaliers d’accès aujourd’hui disparus. C’est une hypothèse qui n’est pas à négliger, mais qu’il est difficile de pousser plus avant à cause de l’état souvent fragmentaire dans lequel nous sont parvenues les structures planchéiées à l’origine. Les nombreuses réfections de parois et de voûtes empêchent d’effectuer des observations précises et les témoins en place nous manquent cruellement.

58L’une de ces caves nous montre que le raisonnement ne peut pas être aussi simple. Il s’agit de la cave 4a, couverte d’un plancher à l’origine comme en témoignent les corbeaux aux sommets des murs des petits côtés, et remplacé par un berceau en brique. Elle était pourvue d’un escalier maçonné en hors d’œuvre, dont les marches ont été refaites mais dont subsistent les parois. Ici, l’escalier en bois n’a pas de raison d’être. Néanmoins, comme cette cave se situe en cœur d’îlot sans accès vers la rue, elle paraît bien avoir eu une fonction privative.

59Dans les deux autres caves situées en retrait de la voirie, la 3c voûtée d’arêtes et la 8b qui était couverte par un plancher, il n’y a pas non plus de vestiges observés d’escaliers. Ces caves ne nous sont certes pas parvenues dans leur état d’origine et s’il y avait dans l’une d’elle un escalier hors d’œuvre, il a pu être supprimé. Cependant, ces observations nous amènent à penser qu’il s’agit là de caves individuelles, peut-être à fonction mixte, construites au début de l’urbanisation de la ville comme en témoignent les critères stylistiques, antérieurs à la construction systématique des caves perpendiculaires à la rue, pourvues d’un large escalier de façade.

Les caves, espace économique

Le lien avec la draperie

  • 34 Espinas (G), Les origines du capitalisme, Tomes 1 et 2, Lille, 1933 et 1936.

60Si l’on se réfère aux ouvrages de G. Espinas34 concernant les drapiers Jehan Boinebroke et Jehan de France, actifs dans la seconde moitié du XIIIe siècle, l’activité drapière de cette période s’apparentait à une réelle industrie contrôlée par de riches bourgeois, régnant sur une nombreuse main d’œuvre à leur service. Or de telles activités, si elles s’effectuaient dans des quartiers bien précis pour le foulage (la rue des Foulons actuelle en conserve le nom) et la tonte des draps (situé dans le vaste quartier peu urbanisé du Mez, compris entre les actuelles rues des Foulons, de l’Université, de la Comédie et des Minimes, dans lequel se trouvaient les lices sur lesquelles était étendu le drap), il est légitime de se demander quelle était la place réservée au tissage.

61Celui-ci s’effectue dans des locaux de préférence humides et aérés, sur des métiers de taille modeste mais néanmoins nécessitant un minimum d’espace ; or si l’on accepte la conception de structure quasi industrielle de la draperie au XIIIe siècle, les caves pourraient être des endroits tout à fait indiqués pour le tissage des draps. Celles-ci sont légèrement humides, et souvent bien ventilées à l’origine par l’intermédiaire d’ouvertures situées à l’avant et à l’arrière ; structurellement, aucun élément n’est spécifiquement nécessaire pour établir un métier dans une cave. L’implantation de plusieurs métiers à tisser dans des caves, susceptibles de travailler pour les drapiers, s’avérerait donc possible.

62Cependant, si la vente et l’exportation de la draperie douaisienne nécessitaient une organisation commerciale importante, sa production doit être ramenée à un stade plus artisanal qu’industriel. Les métiers étaient selon toute vraisemblance répartis chez des petits artisans, tant en ville qu’en campagne, fournissant le drapier qui ne serait donc qu’un négociant amenant la matière première, payant les tisserands à la tâche et écoulant le produit fini. Ce constat, ajouté au mutisme des textes sur l’éventualité d’implantations collectives de métiers à tisser, montrerait donc que les caves ne sont pas liées directement à la pratique de l’activité drapière et au regroupement des moyens de production. Admettons toutefois que, ponctuellement, des métiers à tisser ont pu être établis dans certaines d’entre elles, même si ce n’est pas leur fonction d’origine.

63Les avantages que nous avons énumérés, légère humidité, aération régulière et température constante, pourraient cependant être des raisons suffisantes, non pas pour la production mais pour le stockage des toiles. En effet, quand de véritables entrepreneurs, tels que Boinebroke, concentraient les draps produits dans les différents ateliers disséminés, il fallait nécessairement un espace de stockage avant l’exportation des produits ou leur vente à l’occasion des foires locales. Les volumes dégagés par les caves permettent d’y entreposer de nombreuses pièces de toile, pour une période réduite avant la vente. Aucun texte ni aucun indice archéologique ne permettent de confirmer cette hypothèse, qui ne doit pourtant pas être rejetée trop rapidement.

L’artisanat

64Les caractéristiques de température, de ventilation et d’humidité déjà citées sont autant de critères favorables à l’établissement d’activités artisanales dans les caves. Le texte fiscal de 1578, déjà cité, apporte quelques renseignements supplémentaires ; toutes les caves n’y sont pas répertoriées, mais seulement celles faisant l’objet d’une location à part et donc dont le revenu devait être déclaré. Néanmoins, treize caves sont louées pour des loyers allant de 40 Livres à 12 livres, toutes situées dans les axes les plus importants de la ville : cinq rue de Bellain, trois place du Marché au blé (place d’Armes) et cinq rue au Cerf (rue de Paris).

  • 35 DD272, Fo 15.
  • 36 DD272, Fo 17 et 18 bis.
  • 37 DD272, Fo 27 bis.
  • 38 DD272, Fo 32.

65Le métier du locataire est précisé pour six de ces caves. Rue de Bellain, nous trouvons un potier de terre avec un loyer de 36 Livres35, puis deux « chauetiers » louant leur local pour 20 livres chacun36, et une compagnie de maltoteurs qui paie un prix identique. Les deux autres locations sont situées rue au Cerf où un fournier loue 36 livres son cellier37 et un remouleur 24 Livres le sien38.

66Les « maltoteurs » sont soit des ouvriers brasseurs dont le nom est issu de « malt », soit des percepteurs exceptionnels, la maltôte étant un impôt destiné à payer les frais de guerre. On serait enclin à opter pour la première solution car les percepteurs sont ordinairement mieux logés que dans des caves, mais l’exceptionnelle qualité architecturale de certaines d’entre elles en fait des locaux tout à fait impressionnants : il est donc difficile d’être catégorique. Quant aux « chauetiers », ce sont des fabricants de chausses et chaussures qu’il est logique de trouver en cave puisqu’une légère humidité est propice au bon travail du cuir. Il y avait donc bien des artisans qui exerçaient leur métier dans les caves, mais les textes qui en témoignent sont tardifs et datent au mieux du XVIe siècle. Aucune mention d’activité artisanale n’a été repérée aux époques antérieures et, si certaines caves de dimensions restreintes ont sans doute été bâties pour y exercer des activités diverses, les grandes caves qui développent des surfaces et des volumes importants répondent vraisemblablement à des activités particulières.

Le stockage

  • 39 AMD, CC 745.

67L’activité la plus ancienne et la mieux documentée par les textes, dès le début du XIVe siècle, est le commerce du vin. En effet, le compte d’entrée des vins achetés par la ville, daté de l’année 131039, mentionne 11 « celiers et boves » destinés à stocker les barriques. Il est particulièrement précis et se présente sous la forme d’un rouleau dans un état de conservation satisfaisant, même si certaines parties sont assez effacées.

68Ce sont exclusivement des vins « franchois », provenant des vignobles de la région de Laon et Soissons, ainsi que des Bourgognes appelés vins « dauchoire ». Il est parfois précisé, pour les vins franchois, qu’ils sont amenés par charrette d’Arras, ou Bapaume. Pour les autres arrivages, il est légitime de supposer qu’en l’absence d’indication de provenance, ces vins sont acheminés par bateaux : le trafic se fait donc conjointement par la route et par la voie fluviale jusqu’au port de la ville.

69La somme versée pour chaque chargement est indiquée, ainsi que le nombre de tonneaux et de « keuves », vraisemblablement des cuves dont il est difficile de dire si elles présentent un volume plus important que les tonneaux. Parfois, les vins sont déposés dans deux celliers différents mais la plupart du temps, chaque chargement ne concerne qu’un seul cellier.

70Le début du document n’a pas été conservé et il manque deux caves avec la somme des tonneaux qui y sont entreposées. Néanmoins, il est facile de constater que cette année-là, la ville a encavé 489 tonneaux de vins « dauchoire » ainsi que 48 cuves, et 416 tonneaux et 81 cuves de vins « franchois ». Comme les deux caves manquantes concernent les arrivages de ce dernier vin, une moyenne calculée à partie des autres quantités stockées dans les autres celliers permet d’estimer le total des tonneaux de vin « franchois » à près de 500. Ce sont donc à peu près mille tonneaux et environ 130 cuves qui sont emmagasinés cette année-là. Il est alors possible de dresser la liste des caves ainsi que leur contenu dans l’ordre où elles sont notées dans le document. « T » est l’abréviation de tonneaux et « C » celle de cuves.

Noms des propriétaires des celliers

Vins « dauchoire »

Vins « franchois »

Total

Baudes de Quinchi

49 T et 4C

Estimé à 46 T

95T et 4C

Connestablesses

57 T et 8 C

Estimé à 46 T

103T et 8C

Waultier de Goy

58 T et 8 C

21 T et 11 C

79 T et 19 C

Jehan Pain Moulliet

57 T et 3 C

78 T et 22 C

135 T et 25 C

Grant cellier dou Dragon

51 T et 4 C

48 T et 7 C

99 T et 11 C

Boulart

54 T et 3 C

52 T et 9 C

106 T et 12 C

Jakemon Dorchies

20 T

49 T et 11 C

69 T et 11 C

Willaume Karon

51 T et 7 C

38 T et 6 C

89 T et 13 C

Estevenon Trubert

23 T

54 T et 10 C

77 T et 10 C

Adam le Merchier

52 T et 7 C

31 T et 2 C

83 T et 9 C

Jehan Boine Vie

17 T et 4 C

45 T et 3 C

62 T et 7 C

Total

489 T et 48 C

508 T et 81 C

997 T et 129 C

  • 40 AMD, CC 746.

71Le document mentionne aussi quelques celliers, notamment celui de Thumas Piket, dans lesquels la ville n’entrepose rien cette année-là. En 131940, ce nom réapparaît dans les celliers loués par la ville.

72La vente des tonneaux n’est pas obligatoirement assurée par les propriétaires des caves. Huit noms apparaissent pour les vendeurs, dont seuls Baude de Quinchi et Waultier de Goy sont mentionnés dans les stockages. Le détail de la vente de chacun d’entre eux est précisé, ce qui donne par exemple pour Thumas Piket :

  • 9 tonneaux et 5 cuves au cellier de Jehan Pain Moulliet.

  • 5 tonneaux et 1 cuve au cellier du Dragon.

  • 10 tonneaux au cellier de Baude de Quinchi.

  • 9 tonneaux et 1 cuve au cellier de Estevenon Trubert.

  • 17 tonneaux et 1 cuve au cellier de Willem Karon.

  • 14 tonneaux et 1 cuve au Connestablesses.

  • 10 tonneaux et 1 cuve au cellier Boine vie.

  • 6 tonneaux au cellier Jakemon Dorchies.

73Au total, ce sont 80 tonneaux et 10 cuves que vend Thumas Piket, provenant de 8 celliers différents.

74Le nombre de tonneaux entreposés dans les celliers est en moyenne de 90, avec des pointes à 135 pièces. Il est dès lors aisé de comprendre que les caves sont des endroits particulièrement bien adaptés à ce stockage, notamment celles qui sont voûtées d’arêtes et qui dégagent les volumes les plus importants. Les escaliers qui s’ouvrent en façade, larges de 1,2 à 2 m, permettent de descendre aisément les tonneaux dans les caves en posant des planches sur les marches et en faisant rouler les barriques, maintenus par des cordes qui sont fixées dans deux anneaux scellés dans la première marche sur le trottoir.

  • 41 AMD, FF665, avril 1288.

75Si l’on estime la longueur d’un tonneau à environ un mètre, pour un diamètre moyen de 70cm, chacun d’entre eux occupe une surface au sol moyenne de 0,7 m2. En estimant que les tonneaux sont serrés les uns contre les autres et non pas superposés, la surface encavée varie de 43 m2 à 95 m2 ce qui, en rajoutant les espaces nécessaires de circulation et de manutention, se rapproche des plus grandes caves recensées à Douai. Certes, ce ne sont là qu’approximations qui doivent être maniées avec précaution. Néanmoins, l’une de celles mentionnées dans le document a été vue en 1934 et mesurée dans ses grandes dimensions. Il s’agit du cellier « dou dragon », répertorié dans le catalogue sous le no 6a et dont le président Wagon nous a laissé un croquis. L’auberge est bien située notamment grâce à un document daté de 1288, qui fait état d’une cession de rente « sour le maison Jakemon au draghon ki siet sour le touket dou fosseit maughart »41 ainsi que d’autres textes postérieurs. Le « fosseit maughart » est l’ancien nom de la rue des Ferronniers et il est bien précisé que la maison est située sur le « touket », donc l’angle de la rue. La cave qu’a relevée le président Wagon était construite sur deux niveaux et possédait une surface cumulée de 173 m2. Or, en 1310, 99 tonneaux y sont stockés ainsi que 11 cuves ce qui correspond, d’après notre estimation, à environ 70 m2 de surface utilisée. Ces données ne sont pas incompatibles avec les dimensions de la cave et il est vraisemblable qu’elle était aussi utilisée pour y conserver des barriques qui n’appartenaient pas à la ville. Les celliers attestés dans le document de 1310 sont donc, selon toute vraisemblance, des constructions importantes dont certaines d’entre elles, à l’image des caves 8j ou 10b, pourraient avoir été conservées jusqu’à aujourd’hui.

Pages extraites du compte d’entrée des vins de 1310

Pages extraites du compte d’entrée des vins de 1310
  • 42 AMD, CC747, Fo 2 et 3.

76L’utilisation des caves pour le stockage du vin, au moins les plus grandes d’entre elles, ne se limite pas au XIVe siècle, puisque l’on trouve encore aux siècles suivants des mentions de cette activité : par exemple en 1451, un tavernier stocke vingt pièces de Beaune au cellier des Cornes, « emprés sa maison »42, d’où il faut supposer que celui-ci tenait ce cellier en location pour y entreposer son vin.

77N’oublions pas à titre anecdotique les quelques vignobles douaisiens sporadiquement attestés, mais dont la production appelée « verjus » n’était sûrement pas destinée à être conservée longtemps.

  • 43 AMD, FF609, No 1781.
  • 44 AMD, FF641, No 4952.

78La seconde denrée qui était entreposée dans les caves, comme nous le confirment les textes, était la bière. Plusieurs brasseries sont attestées43, sans qu’il soit réellement possible de différencier le lieu de production et celui de vente, si toutefois la distinction existait. Les bières produites et distribuées étaient de trois catégories, classées par ordre de qualité : la cervoise, la goudalle et le hacquebart, qui a laissé son nom à une brasserie connue à la fin du XVe et au début du XVIe siècle44. Le stockage n’était pas destiné à la conservation mais à la consommation quotidienne et, vu la proximité des lieux de production, celui-ci ne devait pas nécessiter un volume très important. L’hypothèse de la production de la bière dans les caves a été soulevée, étayée notamment par la présence des puits qui s’ouvrent directement dans la cave et ne communiquent pas avec les niveaux supérieurs. Effectivement, il faut beaucoup d’eau pour fabriquer de la bière et les volumes de certaines caves se prêtent aisément à l’installation des cuves nécessaires au processus de fermentation. Cependant, l’absence de tout document oblige à beaucoup de circonspection et ne permet pas de dépasser le stade de l’hypothèse.

79De nombreuses mentions de brasserie, auberges ou hôtelleries, jalonnent les textes du Moyen Âge, et plusieurs d’entre elles ont perduré pendant de longues années, auxquelles s’associent des caves observées particulièrement le long de la rue de la mairie, ancienne rue du Pont-amont et du Pont-aval ; en voici quelques exemples.

80La maison « des Royelles », correspond à la cave 8f. Sa première mention date de 1291, associée au nom d’un bourgeois, Renier as Roielles, qui a peut-être laissé son nom à la maison ou, au contraire, le tient de celle-ci. Les caves ne sont pas mentionnées à cette date mais apparaissent à l’occasion d’un acte de mariage en 1380, dans lequel il est fait mention de « celier et cave ». Au cours du XVe siècle, la maison passe de main en main, jusqu’en 1522 où elle est vendue par moitié ainsi que les celliers et boves. Cette division du bâtiment correspond au mur de brique actuellement visible en cave, qui coupe en deux le volume d’origine ; les Royelles disparaissent alors des textes.

  • 45 AMD, FF621, No 2760.

81De même, la « brasserie des coquelés » rue du pont aval en 1384 (cave 8l), mentionnée à nouveau en 1451 et 145645, la maison « des bons enffans » qui fait le coin de la ruelle des Juifs (1401) associée à la cave 8i, plus tard rebaptisée la « vermelle rose » (1462), la maison « les pastoureaux » qui lui est voisine en 1401 et dont le nom n’a pas changé en 1462 (cave 8g).

  • 46 AMD, CC745.
  • 47 AMD, CC224, Fo 53.

82Toujours dans la même rue, nous connaissons le « truberde » à l’emplacement de la cave 8c actuelle, c’est-à-dire la halle au drap située sous la mairie. Le propriétaire, Estiennon Trubiert ou Estevenon Trubert selon les textes, a laissé son nom à la maison. C’était un des principaux acheteurs de vin dans les années 1310-131446 ; le même document nous indique qu’il avait des « celiers et boves ». Il est possible de se faire une idée de l’architecture de la cave par les réparations qui y furent faites par la municipalité en 145547 ; cette maison avait en effet été donnée à la ville en 1345 (FF674). Dans le devis des réparations, il est précisé qu’un charpentier doit étançonner les piliers et voûtes du cellier et de la bove : celle-ci était donc voûtée, d’arêtes probablement, reposant sur des colonnes et piliers dont la mention au pluriel peut laisser supposer une taille conséquente de la cave. D’ailleurs, en 1310, 77 tonneaux y sont entreposés ce qui nécessite, d’après notre hypothèse de calcul, une surface minimale de 55 m2. Avec les espaces nécessaires de déplacement, il est logique de restituer une architecture dont les dimensions nécessitent des supports pour soutenir les voûtes nécessaires pour la couvrir. Les bases des colonnes actuelles de la halle aux draps, qui sont des tailloirs récupérés et posés à l’envers, sont peut-être les ultimes souvenirs de cette cave puisque la halle a été bâtie à l’emplacement de l’ancien « truberde ».

83De nombreux autres exemples pourraient être donnés, notamment la brasserie du « dragon » qui correspond à la cave 6a et dont nous avons déjà mentionné l’existence.

84La confrontation des différents documents d’archives permet d’effectuer des constatations intéressantes. Les auberges ou les hôtelleries dont les noms sont reconnus au cours des XIIIe, XIVe et XVe siècles, se répartissent sur l’ensemble de la ville ; les plus nombreuses sont évidemment situées sur les grands axes que forment les actuelles rues de Paris et de Bellain, qui croisent la rue de la Mairie au niveau de la place d’Armes. Ce sont aussi le long de ces axes que se trouvent les plus anciennes auberges, attestées dès le début du XIVe siècle, et particulièrement dans la rue de la Mairie, dont certains noms se retrouvent dans les comptes d’entrée des vins.

85Cependant, sur les 39 auberges indiquées dans le document fiscal de 1578, il ne reste que 5 établissements rue de la Mairie notamment, alors que 14 se répartissent encore autour de la place d’armes et 9 le long des rues de Bellain et de Paris. Les établissements pour lesquels les impositions sont les plus élevées, donc les plus grosses demeures, ne se trouvent cependant pas sur le marché ; rue de Bellain, on trouve « l’hostellerie Sainte Catherine » qui fait l’angle avec la rue du petit Canteleu est qui est estimée à 260 £ de « rendage » et le « Vert Hotel » à 180 £. Suivent, dans l’ordre décroissant, le « Cercle d’or » et « la Bourse », le premier rue du Pont amont (partie haute de la rue de la Mairie) et le second rue du Pont aval (rue de la Mairie au-delà de la rue des Minimes), estimés tous deux à 168 £, puis « le Poirier » dans la Ricquerue à 160 £, le « Pot d’estain » rue au Cherf (rue de Paris) à 148 £. La plus importante auberge de la place du Marché au blé est estimée à 144 £ et la moitié des 14 enseignes dépassent les 100 £ d’imposition, ce qui donne une moyenne de 105 £ de rendage sur la place. Sur les 18 celliers qui sont loués et font l’objet d’une estimation particulière, il n’en subsiste plus aucun rue de la Mairie.

86La carte de répartition des enseignes telle que la décrit le document, avec l’estimation de chacun d’entre eux, est particulièrement intéressante et mérite d’être reproduite. Les numéros qui sont attribués correspondent à l’ordre d’apparition des auberges dans le document dont les emplacements supposés sont grisés. Les rendages sont donnés en livres (£).

Liste des enseignes

1 : Verde maison, 50 £

2 : Hostellerie de Ste Catherine, 260 £

3 : Le Singe, 60 £

4 : Vert Hôtel, 180 £

5 : Le Heaulme, 100 £

6 : Lestoille, 48 £

7 : La Coupe dor, 100 £

8 : La Fleur de Lys, 132 £

9 : Melan, 90 £

10 : Saint Martin, 144 £

11 : L’escu de Bourgogne, 92 £

12 : Laigle dor, 100 £

13 : La Harpe, 48 £

14 : La Teste dor, 84 £

15 : Le Barillet, 120 £

16 : Langele, 94 £

17 : Le Dolphin, 126 £

18 : La Bretesque, 45 £

19 : Le Griffon, 48 £

20 : Le Pot destain, 148 £

21 : La Nef dor, 66 £

22 : La couronne, 96 £

23 : Lescu de France, 100 £

24 : La Haulte Bourgongne, 120 £

25 : Les Rignotz, 108 £

26 : La Bourse, 168 £

27 : Le Grand Hacquebart, 48 £

28 : Le Change dor, 30 £

29 : Le Blanc Lennier, 86

30 : Lescu Darthois, 78 £

31 : Le Rat, 66 £

32 : Le Pot coeuvre, 90

33 : St Georges, 72 £

34 : Le Cercle dor, 168 £

35 : Les Estuves Ste Barbe, 72

36 : Le Blanc Chelier, 120 £

37 : Le croissant dor, 140 £

38 : Le poirier, 160 £

39 : Le Blancq Lion, 60 £

Répartition des auberges dans la paroisse Saint-Pierre en 1568

Répartition des auberges dans la paroisse Saint-Pierre en 1568
  • 48 AMD, FF589 du 12.01.1383.
  • 49 AMD, FF695 du 20.01.1389.
  • 50 AMD, FF709 du 19.12.1405.

87La carte de répartition des auberges, comparée à celle des caves recensées, révèle quelques éléments intéressants. On constate notamment que la grande concentration de caves le long de la rue de la mairie et dans la rue des Minimes ne se retrouve pas dans celle des auberges. Est-ce à dire que les locaux de stockage se situaient sous des maisons particulières plutôt que sous des débits de boissons ? La réponse n’est pas aisée, mais le compte d’entrée des vins déjà cité mentionne au moins deux auberges possédant des caves, et dans la rue de la Mairie, le « cercle d’or » et les « royelles » sont bien documentés, avec de grandes caves sur deux niveaux dans les deux cas. Par contre, plusieurs noms d’auberge de la rue de la Mairie, attestés dans le courant du XIVe siècle, n’existent plus en 1568 : l’« esquequiet », mentionné en 138348, 138949 et surtout 1405, où il est précisé que « toutes les boves qui sont ou poroient estre desoubz… demoureront… au prouffit dudit esquequiet »50, « la bourse », « le lion d’or », « le grand godet », « le liergue », « la porte d’or », « le porc sainglier », « la licorne » ou « l’agneau pascal ». Il semble donc que les caves soient souvent associées à des hôtelleries, même quand leurs noms ne sont pas mentionnés, mais aussi que leur nombre rue de la Mairie ait été inférieur au XVIe siècle que dans les siècles précédents.

88Le cas de la place d’armes est aussi délicat à manier, puisque les destructions et reconstructions y ont été nombreuses, ce qui explique le faible nombre de cave qui y est conservé. Néanmoins, à chaque chantier de fouille ouvert le long de cette place, des soubassements et fondations de caves anciennes sont mis au jour qui laissent supposer une concentration importante dès le Moyen Âge. Ces constatations laissent supposer que le centre de gravité économique, et particulièrement le stockage du vin et sa commercialisation, vraisemblablement liés aux hôtelleries, s’est déplacée vers la place d’armes au détriment des grandes rues et notamment celle de la mairie, qui constituait au XIIIe et au XIVe siècle l’axe majeur qui reliait le port à la place du marché. C’est d’ailleurs le long de cet axe et non sur la place que s’est installée la halle échevinale, à l’inverse de villes comme Lille ou Arras.

89Néanmoins, les rues de la Mairie et de Bellain ne sont pas désertées et restent des rues prépondérantes de la ville et, plus qu’un abandon de ces rues, c’est la vitalité de la place du marché qui est à souligner. D’ailleurs, issu du même document, le classement des rues par moyenne d’imposition permet de construire la carte de l’importance des rues. Dans cinq d’entre elles, la moyenne de « rendage » dépasse 70 £ par maison avec un maximum de 90 £ pour la rue du Pont amont (partie de la rue de la Mairie comprise entre la place et la rue des Minimes), suivie de la rue de Bellain à 87 £, la Ricquerue à 86 £, la rue du Pont aval (seconde moitié de la rue de la Mairie) à 75 £ et la place du Marché au blé à 71 £ : ce sont donc les principaux axes, qui sont aussi ceux où se situent les plus grosses auberges, qui ont les rendements fonciers les plus importants. À l’inverse, les plus faibles impositions se trouvent dans les trois ruelles de la paroisse, celle du Polioeul à 23 £, du Berquin à 20 £ et de la Boucherie à 10 £ de moyenne. La présence de la Ricquerue (qui s’étire parallèlement à la Scarpe donc loin des centres commerciaux) dans le peloton de tête, s’explique par la présence de refuges d’abbaye qui ont des estimations importantes, notamment la « maison abbatiale de Saint-Vaast darras » estimée à 300 £, celle de Flines à 240 £, de Hasnon à 200 £ et celle du Mont Saint-Eloi à 120 £.

90Le stockage d’autres denrées n’est pas confirmé par les textes. Le grand nombre de caves observées en fouilles et reconnues par les textes autour de la place d’armes, ancienne place du Marché au blé, pourrait laisser supposer que l’on y entreposait les grains. Deux pratiques contredisent cette hypothèse ; tout d’abord, bon nombre de grains arrivaient par voie fluviale et étaient donc déchargés sur les bords de la Scarpe, dans des greniers reconnus dans cette partie de la ville. Ensuite, la vente répondait à une technique très particulière ; le stock était acheté sur échantillon, un sac par exemple, ce qui permettait de ne pas avoir à exposer la totalité de la marchandise et limitait entre autres les frais de transport. Certes, tout le grain n’arrivait pas par la voie fluviale, et la campagne environnante fournissait son lot de charrettes, mais la quantité des volumes transportés et la proximité de l’approvisionnement, font que le stockage dans la ville ne devait ni être important, ni même nécessaire ; de plus, l’humidité régnant encore aujourd’hui dans bon nombre de caves et l’état de leur sol, souvent en craie damée recouverte de cendre, ne permettaient pas une bonne conservation de telles denrées, qui de plus étaient conservées en hauteur afin de faciliter leur enlèvement du lieu de stockage par gravité.

  • 51 Clabaut (J.-D.), Les caves médiévales de Lille, Lille 2001, p. 76.

91Les caves recensées dans la ville avaient donc, à l’origine, des vocations diverses. Si les plus grandes d’entre elles ont servi à entreposer les grandes quantités de vin qui arrivaient en tonneaux, d’autres, peut-être assez nombreuses, étaient des caves d’usage domestiques. Certaines d’entre elles auraient aussi pu servir à stocker les draps ; la production était en effet disséminée dans certains quartiers de la ville et à la campagne, sur des métiers domestiques, et il fallait nécessairement rassembler toutes les toiles tissées avant de les vendre sur le marché ou de les envoyer à l’exportation. Les caves, avec leur température constante et leur atmosphère légèrement humide, convenaient très bien à cette fonction, qui n’est malheureusement attestée par aucun document, que ce soit à Douai ou à Lille. Cependant, un sondage mené rue de la Grande Chaussée à Lille, au pied d’une colonne, a permis de découvrir un petit plomb circulaire sertissant encore deux brins de laine jaune et rouge51. Il s’agit d’un plomb de drap apposé sur les ballots destinés à la vente : cet élément corrobore l’hypothèse de l’utilisation des caves pour stocker momentanément les draps à Lille, et probablement aussi à Douai dont l’activité drapante est antérieure et au moins aussi importante qu’à Lille.

92La corrélation entre l’activité et l’architecture, associant les caves domestiques aux structures couvertes par un plancher à l’origine, est une hypothèse de travail qui ne doit pas être négligée. À travers les différents documents écrits qui nous sont parvenus, il apparaît que les autres utilisations des caves, à des fins artisanales ou même d’habitation, ne correspondent pas à des usages prévus dès l’origine de la construction des caves, mais sont des réutilisations notamment à des périodes où les nécessités de stockage sont sans doute moins importantes en centre ville et où la pression foncière oblige à les transformer en logements. Il reste maintenant à essayer d’utiliser toutes les observations effectuées pour tenter de reconstituer l’architecture et l’organisation des constructions qui se trouvaient au-dessus de ces caves. Les concentrations de vestiges et leur position par rapport au cadastre actuel et aux élévations encore en place, doivent être étudiées en détail pour en tirer toutes les informations possibles sur l’évolution de bâtiments importants et les changements d’organisation de la voirie.

Notes

1 CC 230 à 233, AMD.

2 Cadastre de 1970.

3 « Plan de Douai d’après le plan cadastral levé en 1824, redressé en 1859. Par Félix Robaut ».

4 Demolon (P), Les origines médiévales de la ville de Douai, Revue du Nord, numéro spécial « Douai et le Douaisis », tome LXI, 1979, p. 316.

5 Arkeos, Douai, 48, rue de l’Université. Document final de synthèse, 1997, p. 13.

6 Plateaux (A) dir., Les églises de la Pévèle française, Liège 1990.

7 Clabaut (J.-D), Les caves médiévales de Lille, 2001, p. 117.

8 Thiebaut (J), NORD ROMAN, 1994, pp. 93-154.

9 Ricaume (S), Les salles basses médiévales de Provins. Étude des quartiers de la rue du Palais et de la rue Saint-Thibaud, mémoire de maîtrise d’archéologie et histoire de l’art, sous la direction de M. L. Pressouyre, Paris I, 1994. et « Salles basse médiévales de Provins », dans Provins et sa région, no 149, 1995, pp. 79-86.

10 Tetelin (E), Les caves médiévales d’Amiens, mémoire de maîtrise d’archéologie sous la direction de M. P. Racinet, Amiens, 1999-2000, 2 vol.

11 Barral i Altet (X), BELGIQUE ROMANE, 1989.

12 Lalleman et Raveschodt, Inleidigen tot de studie van woonhuisen in Gent, periode 1100-1300, de kelders, Brussel, 1991.

13 Clabaut (J.-D), Les caves médiévales de Lille, Lille 2001, p. 57.

14 Maliet (M), Sauvetage archéologique d’une cave médièvale de la place d’armes de Valenciennes, Valentiana no 2, Déc. 1988, pp. 47 à 52.

15 AMD, FF665.

16 AMD, FF658.

17 AMD, FF664.

18 Demolon (P), Les origines médiévales de la ville de Douai, Revue du Nord, numéro spécial « Douai et le Douaisis », tome LXI, 1979, pp. 301-327, 1979.

19 Arkeos, Douai, 45, rue de l’Université, document final de synthèse, pp. 13-15, 1997.

20 Arkeos, Douai, rue Bras, document final de synthèse, pp. 10-17, 1995.

21 AMD, CC 230 à 233.

22 AMD, CC 230, Fo 38.

23 AMD, CC 224, Fo 53.

24 Plateaux (A) dir., Les églises de la Pévèle française, Liège 1990.

25 Sub Artésia, Cahier caves no 1, cave médiévale No 62, Grand-Rue, Montreuil-sur-Mer, inédit, 1997.

26 Goetz (B), Les caves du vieux Besançon du Moyen Âge à la renaissance, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, Besançon, 1977.

27 Tetelin (E), Les caves médiévales d’Amiens, mémoire de maîtrise d’archéologie sous la direction de M. P. Racinet, Amiens, 1999-2000, 2 vol.

28 Site de l’ASEPS, http://www.chez.com/aseps/

29 AMD, CC226, Fo 64.

30 AMD, FF611, No 1903.

31 AMD, FF758.

32 AMD, FF617, No 2442.

33 Duthilloeul (H.-R), « Douai ancien et nouveau », Douai 1860, 272 p.

34 Espinas (G), Les origines du capitalisme, Tomes 1 et 2, Lille, 1933 et 1936.

35 DD272, Fo 15.

36 DD272, Fo 17 et 18 bis.

37 DD272, Fo 27 bis.

38 DD272, Fo 32.

39 AMD, CC 745.

40 AMD, CC 746.

41 AMD, FF665, avril 1288.

42 AMD, CC747, Fo 2 et 3.

43 AMD, FF609, No 1781.

44 AMD, FF641, No 4952.

45 AMD, FF621, No 2760.

46 AMD, CC745.

47 AMD, CC224, Fo 53.

48 AMD, FF589 du 12.01.1383.

49 AMD, FF695 du 20.01.1389.

50 AMD, FF709 du 19.12.1405.

51 Clabaut (J.-D.), Les caves médiévales de Lille, Lille 2001, p. 76.

Table des illustrations

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Titre Plan de la cave 10c
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Titre 6c
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Titre 10b
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Titre Cave 6a, détail, d’après Wagon
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Titre Détail d’une arête, cave 8j
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Titre Colonne 8c
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Titre Base retournée avec tailloir récupéré
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Titre Tableau résumant les critères de datation pour les différentes caves recensées
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Légende - "Cave" correspond au No d’enregistrement de la cave - "textes" indique les plus anciennes mention retrouvées des caves, suivie quand c’est possible de la date à laquelle apparaît la maison dans les archives. - "appareillages" reprend les critères des conditions formulés dans l’étude. - "supports" indique les types, colonnes, piliers ou culots, des supports rencontrés ainsi que les types de chapiteaux - "voûtement" précise les types de couverture des caves en indiquant les planchers restitués. - "position/cadastre" rappelle la position de la cave dans le parcellaire. - éléments caractéristiques" indique les particularités de la cave. - "datation" propose le siècle au cours duquel la cave semble avoir été bâtie, où la date précise lorsqu’elle est connue. - Abréviations : col. = colonne ; chap. = chapiteau ; id. = identique ; rect. = rectangulaire
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Titre Wagon, schéma du réseau 8b en second niveau, formé par les caves en berceau associées, rue de la Mairie.
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Titre Plan et coupe du passage de la cave 10b
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Titre Pages extraites du compte d’entrée des vins de 1310
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Titre Répartition des auberges dans la paroisse Saint-Pierre en 1568
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