Introduction
p. 11-27
Texte intégral
1Pour appréhender l’histoire d’une ville, les vestiges conservés sont souvent des livres ouverts. Une promenade dans les rues avec un œil averti permet de repérer différentes architectures qui sont chacune des témoins d’une époque. Ce sont souvent les monuments importants, représentatifs des pouvoirs religieux ou temporels, qui ont su résister aux siècles et ont attiré très tôt les curieux, les érudits et les passionnés. Parfois certaines villes ont le privilège d’avoir gardé quelques-unes de leurs demeures privées, mais tel n’est pas le cas dans les régions du Nord où les destructions conjointes de l’urbanisation du siècle dernier, des deux guerres mondiales et des reconstructions nécessaires, ont effacé en grande partie les traces architecturales du bâti de ces villes.
2Les textes peuvent alors éclairer la recherche, mais là aussi, les mêmes causes produisent les mêmes effets et nombre d’archives ont été réduites en cendres à la suite des conflits mondiaux. Les manuscrits, chirographes ou contrats parvenus jusqu’à nous sont d’une valeur inappréciable, d’autant plus que bon nombre d’entre eux concernent, dans nos villes au passé marchand et commerçant important, des actes privés qui nous renseignent copieusement sur le quotidien de nos ancêtres. Néanmoins, ceux-ci sont peu prolixes sur l’image du bâti urbain et quand ni les monuments en place, ni les textes ne sont assez parlants, il ne reste que l’archéologie.
3Dans des zones urbaines densément peuplées, l’archéologie est tributaire des constructions ou destructions ponctuelles pour étudier le sous-sol, et l’image des états antérieurs de l’urbanisme local ne se dessine que très lentement. Tel est le cas à Douai où, malgré la précocité des recherches, les espaces étudiés en centre ville sont encore trop restreints ; certaines caves à caractères médiévaux ayant été ponctuellement répertoriées, la nécessité d’un recensement complet et le plus exhaustif possible de ces constructions souterraines encore existantes est devenue évidente. En effet, si les documents d’urbanisme mentionnent régulièrement des immeubles ou bâtiments à préserver ou à restaurer, notamment dans le cadre d’un secteur sauvegardé comme celui mis en place à Douai, les caves ne sont jamais citées. Pourtant, si les demeures qui les surplombent ont régulièrement été rebâties, agrandies ou modernisées, les parties en sous-sol ont été préservées et témoignent de l’implantation originelle des édifices dont les élévations ont aujourd’hui disparu.
4La conservation de nombre de caves médiévales est une chance pour l’étude de la ville. C’est un outil de lecture privilégié des périodes anciennes qui nécessite la mise en place d’un inventaire. Le but est d’établir un catalogue précis de ces caves, dont certaines sont murées ou condamnées encore aujourd’hui à la démolition, mais aussi d’en étudier toutes les spécificités architecturales afin d’établir une typologie. À partir de ce constat, une chronologie pourra être envisagée permettant de préciser parfois quelques particularités urbanistiques locales, de même que le rôle de ces caves dans un contexte socio-économique ; ainsi ressortira une image du bâti de surface et de son évolution qui, jointe aux conclusions précédentes, pourra contribuer à évaluer le sens du développement de la ville au cours du Moyen Âge.
5Cette étape d’inventaire permet, au terme d’un lourd travail de terrain, d’établir des critères chronologiques basés à la fois sur la structure et l’architecture de la cave, mais aussi sur les éléments particuliers et notamment les parties sculptées. Les comparaisons avec les résultats de fouilles archéologiques déjà menées et les textes conservés en archives, permettent d’affiner les datations, mais aussi de replacer ces structures dans leur contexte socio-économique. Elles répondent à de multiples questions sur les techniques de construction mais aussi l’utilisation de ces espaces particuliers, leurs propriétaires et leur histoire qui est un résumé de celle de la ville. C’est ainsi que se reconstitue en filigrane l’image du bâti de surface et l’organisation urbaine, ponctuée d’éléments forts disparus ou non, sur lesquels l’étude des caves permet d’apporter des données particulièrement intéressantes.
6Sous nos pieds subsistent des vestiges du moyen âge, certains modestes, d’autres amputés, mais aussi de vastes salles sur deux niveaux dont les voûtes, parfois soutenues par des croisées d’ogives qui reposent sur des colonnes couronnées de chapiteaux sculptés, témoignent d’une grande maîtrise des techniques et forcent l’admiration par l’élégance de leurs proportions et l’harmonie de leurs volumes.
7Ce sont des témoins précieux qui méritent de ressortir de l’oubli.
8Si cet inventaire a nécessité des mois de travail passionnant, il n’est pas le fruit d’une seule personne mais a bénéficié d’un réseau d’aide particulièrement efficace. Il n’aurait pu être réalisé ni même envisagé sans l’aide des habitants de Douai, dont l’intérêt pour l’histoire de leur cité ne se dément pas, et il est juste de remercier ici en premier lieu les Douaisiens pour leur accueil et leur disponibilité lors de la phase de prospection ; de même, l’aide précieuse et la compétence du personnel des archives municipales et du service archéologique, et particulièrement Messieurs Demolon et Louis, justifient nos plus vifs remerciements, ainsi que les conseils et l’aide constante de M. Thiebaut, ancien professeur à l’université de Lille III, qui avait accepté il y a quelques années de diriger et guider ce travail débuté lors d’une maîtrise soutenue depuis lors.
9Enfin, je ne puis que louer la patience de mon épouse lors des longues journées de prospection ainsi que son aide pour la rédaction et la mise en place de ce travail, la compréhension de mes trois filles qui ont accepté de libérer périodiquement leur papa, et les amis qui ont parfois passé des jours entiers afin d’aider à effectuer les relevés nécessaires dans chacune des caves.
Résumé de l’histoire de Douai
De l’antiquité au IXe siècle
10Contrairement à ce que pensaient les historiens du siècle dernier, l’origine de la ville de Douai ne semble pas devoir être datée de l’époque romaine ; certes les vestiges de cette présence ne sont pas totalement inexistants, et ils apparaissent sous la forme de tessons régulièrement mis au jour et de petits trésors ponctuellement remontés ; cependant, ces seuls vestiges en dehors de toute structure d’habitation ne permettent pas de faire de Douai une ville romaine à part entière, et ne révèlent qu’une implantation réduite, probablement à vocation agricole.
11Des fondations de bâtiments en bois, du type cabane avec poteaux, ont été mises au jour lors de la fouille du site de la fonderie1, sur la rive gauche de la Scarpe, et attestent de la présence d’un petit noyau d’habitations à l’époque mérovingienne. Cette occupation se poursuit à l’époque carolingienne, mais les vestiges archéologiques étant rares, limités à nouveau au site de la fonderie sur lequel au moins trois bâtiments en bois ont été reconnus2, il n’est guère possible de dire si cette période correspond à une simple continuité d’occupation ou à une extension réelle du noyau de l’agglomération.
Xe-XIe siècle : le premier essor urbain
12Le début du Xe siècle voit le site prendre une importance significative. Les traces de bâti en fouille révèlent des parcelles lanièrées implantées perpendiculairement à une rue faite de madriers, formant un ensemble ceint d’un rempart de terre. Cette organisation rigoureuse du schéma, traduit un développement du noyau pré-urbain bien réel, confirmé par la construction de la première résidence comtale vers le milieu du Xe siècle, par Arnoul Ier comte de Flandre, à laquelle se juxtapose l’église Notre-Dame, renommée saint Amé entre 943 et 9563
13La fin du Xe siècle voit la continuité de l’expansion de la ville ; sur la rive gauche, la résidence comtale se transforme en bâtiment de bois à étages, emmotté et ceint d’un fossé, ce qui confirme son caractère militaire, remblayé et transformé en donjon dans les années 987 et 988 ; une basse-cour y est alors jointe.
14Deux quartiers sont attestés à cette époque. L’un, appelé « Douayeul », se situe sur la rive gauche au nord de l’ensemble castral, et à vocation plutôt agricole ; le second, situé sur la rive droite, est connu sous le nom de « Castel bourgeois ». Son implantation semble se limiter au bord de la rivière, correspondant peut-être à un premier aménagement de ses rives4 et à l’émergence d’une vocation économique dont ce quartier serait le reflet, en opposition à l’autre rive plus agricole. C’est aussi à cette période qu’est confirmé le détournement de la Sensée augmentant nettement le débit de la rivière, et donc sa navigabilité, de même qu’est mentionné un marché à la fin du Xe siècle.
15C’est donc à la charnière entre le Xe et le XIe siècles que se situe le premier développement de la ville sur la rive droite, assurément lié à une émergence de l’économie locale.
Agrandissements successifs jusqu’au XIVe siècle

L’expansion urbaine
16Au cours du XIIe siècle, le centre de gravité de la ville s’est déplacé vers la rive droite, dont l’expansion est confirmée par l’édification d’une nouvelle enceinte. De même, le « grand marché » correspondant à la place d’armes actuelle est attesté en 11405, et si la présence d’une maison communale au « castel bourgeois » reste hypothétique6, la Halle apparaît à l’emplacement de la mairie actuelle en 12057. Cette expansion est notamment liée aux développements économiques, principalement en ce qui concerne le commerce du blé et la draperie.
17Le schéma urbain s’organise progressivement autour des axes que sont l’actuelle rue de la mairie joignant le noyau pré-urbain du « castel bourgeois » au grand marché, et les rues de Paris et de Bellain constituant l’axe Nord-Sud, perpendiculaire à la rue de la mairie. Le développement est tel que des quartiers hors les murs sont attestés dans le courant du XIIe siècle, à l’est du grand marché pour le faubourg Notre-Dame, et au nord de l’enceinte où le quartier de la « neuville » est organisé au cours du XIIIe siècle.
18Parallèlement à ce développement, le découpage paroissial se structure ; la paroisse Saint-Amé sur la rive gauche englobe le quartier canonial, « douayeul » correspondant à la paroisse Saint-Albin mentionnée dès 10978 mais certainement beaucoup plus ancienne. Sur la rive droite, l’église Saint-Pierre, dont la première mention date de 1117 mais dont la fondation est probablement de la fin du XIe siècle9, correspond à une paroisse dont les limites sont celles de l’enceinte du XIIe siècle. D’autres églises existent extra-muros, Notre-Dame édifiée avant 1175, Saint-Jacques dans la « neuville », Saint-Nicolas au sud construite vers 1180, qui seront érigées en paroisses suite à l’accroissement de la population entre 1230 et 1260.
19Cette expansion de la ville justifie la création d’une nouvelle enceinte à la fin du XIIIe siècle, dont le tracé a été conservé jusqu’au siècle dernier.
Du XIVe au XVIIe siècle
20Un regard rapide sur cette période pourrait laisser penser à une période de stagnation de la ville ; en effet, il n’y a pas de nouvelle construction d’enceinte au cours de ces siècles, pouvant attester d’un nouvel essor de la ville. La nuance s’impose, car si la surface enclose ne change pas, il n’en est pas de même concernant la densification des constructions. Les nouveaux quartiers englobés dans la large enceinte de la fin du XIIIe siècle se peuplent et s’urbanisent au cours des siècles suivants, amenant les constructions privées à adopter le type classique perpendiculaire à la rue, de l’ordre de 5m. de large sur une dizaine de mètres de longueur (fouilles du parking Saint-Julien, site no 155), avec l’emploi d’un nouveau matériau, la brique, importée à Douai en 1374 pour les fortifications10 et qui est utilisée dans le domaine privé dès la fin du XIVe siècle.
21Dans le domaine économique, il semble que s’achève dans le courant du XVe et le début du XVIe siècles, le basculement du centre de la ville des bords de la Scarpe, dont la limite de navigabilité est augmentée jusqu’à Arras à la fin du XVIe siècle, vers le grand marché ; en 1568, près d’une vingtaine d’auberges et hôtelleries sont mentionnées sur celui-ci et de nombreuses autres dans les axes voisins, alors que les abords de la rivière en sont quasiment dépourvus. Restent dans cette zone les greniers à blé et les moulins, nécessairement près de la rivière.
22Cependant, si la ville ne connaît plus un essor comparable à celui des périodes précédentes, son évolution est néanmoins constante, et les revenus de la ville son encore assez importants pour permettre la reconstruction complète des halles en 146411, ainsi que la réfection constante des remparts, permettant la construction de courtines en grès et l’amélioration des portes et tours en liaison avec l’évolution des moyens de siège12.
23La fin du XVIe siècle voit l’installation de l’université dans la ville (1562), entraînant à sa suite de nombreuses implantations religieuses que l’insécurité et les troubles religieux poussent à s’installer à l’abri, au début de ce siècle. L’arrivée de ces communautés contrebalance la décadence économique de la cité à cette période.
24Le XVIIe siècle est surtout marqué par l’annexion de la ville par la France en 1667, ayant entraîné une restructuration des fortifications avant la conquête et surtout après, sous l’influence de Vauban ; c’est à cette époque qu’est construite la fonderie de canons sur l’ancien site castral. Dans le domaine privé, les constructions en briques se généralisent concurrençant l’usage des pans de bois.
Du XVIIIe siècle à nos jours
25À la suite de l’annexion définitive de la ville dans le domaine français au lendemain des sièges du début du XVIIIe siècle, l’amélioration de l’enceinte est poursuivie, et son bastionnement systématique entrepris au milieu de ce siècle sera achevé au milieu du siècle suivant. Cette vocation militaire de la ville se traduit aussi par la construction de nombreuses casernes, annexant des bâtiments de communautés religieuses.
26La physionomie de Douai connaît aussi une transformation profonde, à la suite de l’implantation du parlement en 1714 qui impose des constructions très strictes en matière d’urbanisme ; ainsi sont construites les façades actuelles, alliant la régularité à l’unité stylistique, associant le grès pour le soubassement à la brique pour l’élévation et la pierre calcaire autour des ouvertures. Très peu de bâtiments médiévaux survivent à ces nouveaux critères, et rares sont ceux encore debout au XIXe siècle.
27Il faut en fait attendre le début du XXe siècle et le démantèlement des remparts, pour voir la ville dépasser les limites datant du XIIIe siècle. Les principales modifications urbanistiques ne concernent que les nouveaux quartiers ainsi ouverts, et le centre de la ville ne connaît plus alors de bouleversement profond ; les deux guerres ne détruisent pas autant la ville que nombre de ses voisines, et seules la grand place et la rue de Bellain sont particulièrement touchées, où de nombreux bâtiments sont rasés.
28Cette vue d’ensemble de l’histoire de Douai met en évidence le caractère éminemment médiéval de la ville, création des Xe et XIe siècles, auquel furent sensibles de nombreux érudits dès le siècle dernier.
Le recensement
Historique de la recherche
29Les caves ne sont pas de prime abord un sujet d’étude fréquemment retenu. Si dans certaines villes qui ont conservé une large part de leur patrimoine ancien, l’étude du bâti a naturellement amené celle des structures souterraines qui leur sont associées, ce n’est pas le cas des villes du Nord de la France. Certes à Arras ou Cambrai, les vastes excavations et leurs différents aménagements, les caves et les réseaux souterrains qui les unissent parfois, ont depuis longtemps retenu l’attention des érudits et des chercheurs. Cependant, il n’existe pas de recensement systématique et d’étude comparative de ces architectures. La première étude d’envergure a été effectuée à Gand dans les années 90, où il est vrai que le nombre de « steenen » en pierre encore en élévation permettait de nombreuses comparaisons, et les chercheurs ne s’y sont pas trompés depuis le XIXe siècle.
30Tel n’est pas le cas à Douai.
31En effet, si quelques maisons médiévales étaient encore debout à la fin du siècle dernier, certaines en pans de bois et très peu en pierre, elles ne firent l’objet de relevés qu’en ce qui concerne leurs façades. Ceci fut réalisé vers 1820 par Wallet ; malheureusement les dessins ont depuis disparu par suite des deux conflits mondiaux et il ne nous en reste que peu de chose. Mais, dans ce travail, les caves n’ont pas été prises en compte, jugées sans doute inintéressantes. Pour preuve un compte rendu de séance de la commission historique du département du Nord, en 186713, où il est bien question de caves ou « boves qui s’étendent sous la rue de la mairie jusqu’à la grand place, sous une partie de la rue de Paris et généralement sous les rues avoisinant l’hôtel de ville », mais elles ne semblent pas retenir l’intérêt des participants car « elles ne remontent pas au-delà du 15e siècle, leur architecture correspondant à celle des caves de l’hôtel de ville ». Pas assez vieux en somme.
32À cette époque, le grand nombre de caves connues de tous, de surcroît jugées trop récentes, semble donc ne pas présenter assez d’intérêt pour motiver une étude à leur sujet et il faut attendre les années trente de notre siècle et les travaux de Wagon, président de la cour d’appel de Douai et conservateur bénévole des archives municipales, pour qu’un certain intérêt soit porté à ces excavations. La collecte de documents de Wagon se fit sur le terrain, avec des croquis précieux de structures aujourd’hui inaccessibles, mais aussi dans les archives de la ville dont il retira une partie des mentions de caves, tant dans les actes de ventes, les contrats de mariage que les comptes de travaux de la ville. C’est un travail de précurseur, qui avait saisi l’intérêt de ces architectures si particulières, et ces travaux sont un premier pas qui a contribué à motiver un recensement systématique et une étude complète. Malheureusement sur le terrain, les si nombreuses « boves » connues en 1867 se sont lentement comblées ou murées lors des travaux de reconstruction après la guerre, des poses de canalisations diverses dans le sous-sol des rues, et si parfois l’une d’entre elles, accidentellement éventrée, a été dévoilée, le temps nécessaire à un relevé précis a généralement manqué.
33Depuis plusieurs décennies, l’archéologie urbaine se développe considérablement et permet d’apporter des données précieuses sur l’histoire et l’évolution des villes. À Douai, ce phénomène est particulièrement important et à l’occasion d’opérations archéologiques ou de travaux fortuits, plusieurs caves ont pu être retrouvées. Parfois bien conservées, souvent à l’état fragmentaire, elles ont fait l’objet de relevés complets. Dès lors, il ne restait plus qu’à franchir l’étape suivante, celle du recensement systématique. Il s’agissait alors d’évaluer l’importance de ce patrimoine conservé en sous-sol et, par l’intermédiaire de son étude, d’apporter des informations sur la ville médiévale et les techniques de construction de l’époque. Car de cette ville qui se développe considérablement au cours du XIIe siècle, il ne reste rien. Et pour les siècles suivants, les témoins sont rares : le beffroi daté de la fin du XVe siècle et la maison à façade à pans de bois place saint Pierre sont les seuls vestiges anciens au milieu d’une ville résolument des XVIIIe-XIXe siècles. Le sous-sol recèle heureusement de nombreuses architectures médiévales.
Les limites géographiques et historiques
34Le secteur pris en compte pour le recensement s’étend sur l’ensemble de l’ancienne paroisse Saint-Pierre d’avant la Révolution. Elle englobe en effet la quasi-totalité de l’emprise de l’enceinte du XIIe siècle qui correspond à la première phase d’expansion de la ville, amenant l’urbanisation croissante de la rive droite de la Scarpe. Les quartiers situés sur l’autre rive, Douayeul et Saint-Amé, n’ont pas été explorés. Le premier, à vocation plutôt agricole et à la structure rurale d’après les données archéologiques, ne semble pas receler de vestiges de constructions en dur, susceptibles d’avoir traversé les époques. Le quartier canonial de Saint-Amé conserve sans doute des caves intéressantes qui pourraient, à l’image du cellier des chanoines de la collégiale Saint-Pierre de Lille retrouvé lors du recensement des caves lilloises, aider à mieux comprendre la structure du quartier. Le laps de temps imparti à l’étude n’a pas permis de s’y intéresser. L’accent a donc été mis sur le centre économique de la ville depuis le Moyen Âge le long des axes majeurs que sont la rue de Bellain/rue de Paris, ainsi que la rue de la Mairie qui débouche sur la grand place. Ville drapière, centre de commerce du blé, Douai accueillait une foire dès le XIIe siècle et la riche bourgeoisie urbaine, qui possédait les moyens financiers de bâtir de grandes demeures, résidait dans ce quartier. Elle nous a laissés entre autres de très nombreux actes de mariages, de cession de rentes ou de vente de biens, qui sont autant d’auxiliaires précieux permettant d’éclairer l’histoire des vestiges que nous retrouvons maintenant en sous-sol.
35Le Moyen Âge est la période la plus longue de notre histoire, qui débute à la chute de l’Empire romain et s’étend jusqu’à la découverte de l’Amérique en 1492, soit près de 1000 ans. La recherche sur les caves n’a pas la prétention d’éclairer l’histoire de la ville sur la totalité de cette période, et les limites doivent en être précisées ; l’événement majeur contribuant à l’expansion de Douai et à sa primauté sur l’ancien portus Carolingien de Lambres, est le détournement de la Sensée par le seuil de Vitry sous Arnoul Ier et la prépondérance de Douai en temps que port fluvial, ceci à la fin du Xe siècle. L’essor pris par la ville justifie la création d’une première enceinte à la fin du XIe siècle, suivie d’une seconde au milieu du XIIe siècle. C’est donc à la charnière du XIe et du XIIe siècles que l’on peut situer le début de l’époque concernée par l’étude.
36La période correspondant au terme de l’enquête est quant à elle plus floue, car il n’y a pas de rupture dans l’évolution de la ville ; aussi le critère retenu est avant tout technique, c’est-à-dire le passage du grès à la brique comme matériau principal de construction. Le grès, employé en exclusivité dans la construction du beffroi fait progressivement place à la brique qui est introduite pour la première fois dans la construction des fortifications en 137414, mais les premiers murs de briques ne sont attestés en fouille qu’à la fin du XVe siècle. L’un des objectifs de l’étude étant d’apporter des éléments sur une période pour laquelle il n’existe plus d’élévation en ville, son terminus se situe donc vers le XVIe siècle, date des plus anciennes maisons de Douai.
37Les caves étudiées sont donc celles comprises entre la fin du XIe et le XVIe siècle, et pour bien préciser le sujet, les caves en grès.
En gris, emprise de la paroisse Saint-Pierre, limite de l’étude, dans l’enceinte du XIIe

Méthode et données chiffrées
38Le recensement s’est effectué d’abord avec les caves déjà répertoriées ou fouillées par la société archéologique de Douai, puis en relevant celles dont les propriétaires avaient signalé la présence, enfin en procédant à une enquête systématique, maison par maison, au cours des années 1994 et 1995. Les propriétés privées sont de loin les plus nombreuses dans l’espace concerné, et la seule méthode efficace pour visiter l’ensemble des sous-sols afin d’obtenir une évaluation précise des vestiges conservés, est le porte-à-porte.
39Sur un total de 420 maisons, 84 n’ont pas pu être vues, soit 20 %, 12 par suite du refus des propriétaires et les autres étant inhabitées ou les propriétaires injoignables, car non résidants dans la ville. Le bilan est donc très positif car 80 % des bâtiments ont été visités ceci grâce à la collaboration et l’intérêt manifesté par les habitants. D’autre part, les caves non observées se situent en grande majorité dans des rues éloignées des axes principaux et donc moins susceptibles de receler des structures importantes ; seules deux d’entre elles se trouvent dans la rue de la mairie, artère principale, et une certaine attention doit y être portée, car les textes médiévaux y mentionnent des grandes maisons de pierre jusqu’à une époque assez tardive.
40À l’intérieur de l’espace étudié, certaines zones étaient déjà considérées comme vierges de toutes traces médiévales, bien que situées dans le centre historique de la ville. Il s’agit du rang ouest de la rue de Bellain ainsi que le côté nord de la rue de la mairie jusqu’à l’hôtel de ville, tous les bâtiments ayant été complètement détruits lors de la première guerre mondiale et reconstruits avec des fondations bétonnées détruisant systématiquement les traces du sous-sol. Le processus est identique en ce qui concerne les rangs nord, est et sud de la place d’Armes, rasés lors des bombardements de la seconde guerre mondiale à l’exception d’un seul bâtiment qui sera mentionné. Dans les autres rues de la ville, les destructions récentes du sous-sol sont très ponctuelles et peu nombreuses et correspondent à la construction d’immeubles récents.
Répartition des caves recensées au sein de l’espace étudié.

En noir, celles sur un seul niveau ; en gris, celles sur deux niveaux ou qui ont conservé le second niveau seul
41Dans la partie constituant le catalogue des caves en grès répertoriées, plusieurs méthodes de classement étaient envisageables :
Selon l’intérêt de la cave : le critère est peu probant car prématuré, les conclusions concernant la place de chacune d’elles n’étant pas démontrées.
Selon le degré de conservation de la cave : cela met en avant un présupposé sur l’intérêt de la structure en instaurant une hiérarchisation entre elles qui est subjective.
42Finalement, le classement est fait par ordre alphabétique des rues et dans l’ordre croissant des numéros des maisons, ce qui permet de se faire dès la lecture une idée des concentrations par rues et de suivre le cheminement sur le plan de manière plus aisée. D’autre part, l’emploi d’un chiffre pour désigner la rue et d’une lettre pour la cave ménage les possibilités d’insertion de nouvelles structures découvertes, ce qui fut plusieurs fois le cas.
Ce qu’apportent les textes
43Chaque fiche descriptive de cave est accompagnée de la mention la plus ancienne la concernant, si toutefois celle-ci existe. Les textes qui ont servi de base à cette recherche sont :
Les contrats de mariage du XIIIe au XVe siècle, étudiés par Mle Mestayer, dans lesquels est parfois mentionnée la présence de caves ou le matériau de la maison quand elles font l’objet d’un apport de l’une ou l’autre partie ; de même, les noms des époux ainsi que ceux de leurs parents, permettent parfois de localiser certains bâtiments, ou d’en suivre l’histoire, aboutissant par exemple à un partage d’une bâtisse dont la trace peut être retrouvée dans l’élévation d’une cave recensée.
Les comptes de la ville, particulièrement ceux des années 1450 à 1470 qui concernent la reconstruction de la halle échevinale et la restauration des certaines caves situées sous des bâtiments appartenant à la ville, ainsi que les comptes d’entrée de vin des années 1310, 1314 et 1319, dans les- quels sont mentionnés les celliers, les propriétaires et parfois le nom de l’établissement qui achètent le vin.
Un document fiscal de 1568, concernant la paroisse Saint-Pierre, qui décrit chaque maison et en indique les voisins, les propriétaires et locataires éventuels avec parfois la profession, avant de mentionner la valeur locative à l’année de l’édifice. Les caves y sont parfois relevées mais uniquement lorsqu’elles font l’objet d’une location à part, ainsi que les enseignes des cabarets et hôtelleries, ce qui permet grâce aux mentions systématiques du voisinage, de localiser précisément ces bâtiments. Les descriptions restent néanmoins la plupart du temps laconiques.
Les notes nombreuses du président Wagon, notamment la reconstruction de la halle en 1464, des regroupements d’actes médiévaux pour certains cabarets ou bâtiments importants, des croquis, photos, plans et élévations de caves visitées et parfois aujourd’hui condamnées.
La transcription et l’étude de tous les chirographes du début du XIIe siècle jusqu’en 1374 par Jean-Charles Desquiens, qui permettent de préciser la localisation de certains édifices et leur succession au cours de cette période, et apportent ponctuellement la confirmation de l’existence de caves.
44Dans tous ces documents, le terme de « cave » n’apparaît que très rarement. Les structures souterraines sont appelées « celliers » ou « cheliers » ainsi que « bove ». Viennent à notre aide quelques dictionnaires qui en précisent le sens, notamment le Larousse du XIXe siècle pour lequel la bove est « un nom donné en Picardie et en Artois aux excavations qui ont fourni la pierre de construction pour les villes. ». Le Dictionnaire de l’ancienne langue Française ajoute que « le mot bove dans les provinces d’Artois et de Cambrésis, désigne une arrière-cave dans laquelle on tient le vin sous clé et plus fraîchement que dans la première cave servant à contenir la bière. » ; la définition précise que « dans la ville d’Arras, ce sont des caves profondes assez vastes, la plupart voûtées sans maçonnerie, mais soutenues par des piliers de pierre ».
45Or, si le terme de bove est bien employé dans nombre d’actes douaisiens, il ne peut être assimilé à des carrières comme à Arras, car le sous-sol de la ville est constitué de tourbes dans la vallée de la Scarpe et de limon jaunâtre pour les hauteurs de ses rives. Néanmoins, il est possible de reconnaître dans ce terme un espace souterrain voûté, comme le précisent deux textes médiévaux. L’un concerne la reconstruction d’une ancienne bove en 131715. Il prévoit de « descouvrir celi boviel de lonc (long) et de let (large) tant ke li maçonnerie s’estent » ; dans le second, extrait des comptes de la ville et daté de 145516, un manouvrier est rétribué pour « fouyr le place de deseure (dessus) le bove pour le démolissement de le machonnerie et vaulsure ». Dans les deux exemples, la bove est bien une excavation maçonnée et recouverte d’une voûte.
46Le « cellier » ou « chelier » est défini dans le Larousse du XIXe siècle comme étant « un lieu situé au rez-de-chaussée et destiné à serrer le vin et d’autres provisions, dans les maisons où il n’y a pas de cave. Se dit très souvent au lieu de cave. ». La définition ne donne pas de précision sur l’architecture du cellier, et il semble que le terme se rapporte plus à une fonction qu’à un type de structure. D’autre part, les textes mentionnent parfois des « plat chelier » désignant des espaces voûtés : en 1464, les comptes de la ville nous indiquent le paiement de « brancques d’ogives fais pour le voulsure de l’un des plat cheliers desoubz les noeuves halles » (correspondant à la cave 8c) c’est sans doute son faible enfouissement par rapport à la rue qui lui vaut cette dénomination de « plat chelier ». Il occupe alors la totalité du rez-de-chaussée de la halle échevinale. Autre exemple en 137317, lors de la location d’une maison : on stipule que le locataire devra jouir « du haut cellier en dessous », et une mention de cette même maison en 137418 précise qu’il faut monter quelques marches pour accéder à la maison. Il faut alors supposer une construction partiellement enterrée qui nécessite la surélévation du rez-de-chaussée.
47Mais le cellier peut aussi être complètement enterré. C’est le cas de la cave 8d, construite en 1463 à l’occasion de la reconstruction des halles. Les comptes de la ville nous apprennent que des charpentiers sont payés pour « avoir ouvré pluiseurs chintres à machonner les vaulsures du chellier desoubz la demeure du concherge ». Mais ce « chellier » avec « vaulsures » est appelé bove quelques mois plus tard, lorsqu’un maçon doit « escrapper et rapareiller les machonneryes de le bove sous le demeure du concherge ».
48Les termes utilisés ne permettent donc pas de différencier les structures auxquelles ils se rapportent : celui de cellier renvoie à la fonction, « celer » des denrées, alors que celui de bove correspond à un type d’architecture, totalement souterraine et maçonnée, qui peut adopter plusieurs architectures. La bove peut aussi parfois être utilisée comme cellier.
Le plan-relief
49Le plan relief de la ville est un outil précieux qui doit cependant être utilisé avec précaution. Si l’implantation des bâtiments témoigne d’une organisation parcellaire réelle, qui correspond encore en grande partie au cadastre moderne, le détail des élévations des maisons est moins assuré. D’abord à cause des réparations que le plan a subies ; dans le cas d’une façade abîmée ou disparue, a-t-on restitué l’original ou copié la maison voisine ? De plus, le but du plan n’était pas d’avoir un relevé précis de chacune des maisons, mais une image globale de la ville la plus fidèle possible, d’où un certain stéréotype dans la représentation des architectures. En témoigne l’absence totale des ouvertures de caves sur la rue, appelées « burguets », alors qu’elles existent encore aujourd’hui.
50Toutefois, les couleurs employées pour les façades des maisons ne sont pas identiques ; un certain nombre d’entre elles montre des colombages représentés en traits marrons sur fonds blancs, de nombreuses autres sont d’une couleur orangée symbolisant la brique, enfin, quelques-unes présentent une élévation en gris qui pourrait être du grès. Il faut cependant nuancer cette image, car si certaines sont intégralement grisées ou n’ont que le premier niveau de cette couleur, ce qui n’est pas incompatible avec une élévation en grès, d’autres n’ont que le dernier niveau en gris : il s’agit alors vraisemblablement de la schématisation du recouvrement des parois par de l’ardoise. Cela semblerait confirmé par les morceaux de ce matériau trouvés lors du sondage effectué au pied d’une colonne de la cave 10b, dont la maison qui la surmonte est représentée avec un dernier niveau gris sur des niveaux inférieurs orangés dans le plan en relief.
51Il est donc délicat et hasardeux de chercher des indices de constructions anciennes encore en place à Douai à l’époque de la fabrication du plan dans le détail des élévations. Néanmoins, à la lumière des indices retrouvés sur le terrain, comme les ardoises dans les sondages au pied d’une colonne, les représentations des maisons sur la maquette peuvent parfois aider à la formulation d’hypothèses de restitution des édifices. Les découvertes ont donc été systématiquement comparées aux représentations du plan.
Notes de bas de page
1 Rouche (M), Histoire de Douai, 1985, p. 17à19.
2 Demolon (P), Louis (E), Douai, une ville face à son passé, 1982, p. 59.
3 Aubert (R) dir, Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique, Tome XIV, 1960, p. 708.
4 Espinas (G), La vie urbaine à Douai au Moyen Âge, tome I, 1913, p. 32 à 39.
5 Espinas (G), La vie urbaine à Douai au Moyen Âge, Tome I, 1913, p. 405.
6 Rouche (M), Histoire de Douai, 1985, p. 40.
7 Rouche (M), Histoire de Douai, 1985, p. 52.
8 Aubert (R) dir, Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique, Tome XIV, 1960, p. 710.
9 Aubert (R) dir, Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique, Tome XIV, 1960, p. 710.
10 AMD, CC202, Fo 236.
11 AMD, CC229 à 230.
12 AMD, Wagon, 1II94.
13 Bulletin de la commission historique du département du Nord, Tome X, p 344
14 Espinas (G), Les finances de la ville de Douai, Paris 1902, p. 201.
15 AMD, FF671.
16 AMD, CC224, Fo 54 vo.
17 AMD, FF667, No 7704.
18 AMD, FF678, No 7945.
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