Quarante générations de Français face au sacré
|Livre deux. 750 - 900
Chapitre 4. La Renaissance carolingienne
Texte intégral
1La Renaissance carolingienne, s’il est permis d’employer une formule aussi prétentieuse, n’a rien apporté au patrimoine de l’humanité, si ce n’est une écriture, la « minuscule caroline », ancêtre de nos caractères d’imprimerie et de notre écriture script, qui fut mise au point à Corbie, à Tours peut-être. Mais elle n’a rien créé qui puisse s’insérer dans la culture de l’intellectuel ou de l’« honnête homme ». Rien de comparable avec les vraies renaissances, celle du XIIe siècle, celle du XVe surtout. Elle s’exprima par un appétit de nouveau riche : le désir de collectionner savants, savoirs et manuscrits.
2Elle débuta vers 780 par la volonté de Charlemagne à qui on prête un souci de prestige. Il est sûr qu’il assembla au Palais une douzaine de lettrés italiens, espagnols, irlandais ou anglais car, dans le royaume franc, la culture était morte : il n’y avait plus un seul lettré connaissant le latin classique. Les recrues de Charlemagne formèrent une « académie » où l’on se divertissait par de petits poèmes ou des jeux d’esprit, en s’affublant de surnoms antiques (Homère, Virgile, Ovide, etc.), c’était assez puéril. On peut ironiser sur les Carmina figurata, ces calligrammes qui remplissaient exactement la feuille de parchemin avec des vers lisibles dans tous les sens, de gauche à droite et inversement, de haut en bas et inversement, et dans les diagonales. Reste que c’était la silicon valley du temps.
3Le travail sérieux fut mené par l’écolâtre d’York, le diacre Alcuin (c. 730-804) que Charlemagne recruta vers 781-786, qui fut abbé de Saint-Martin de Tours et de cinq autres monastères, mais qui résida au Palais jusqu’en 796. Il fut le très influent conseiller du roi pour les affaires religieuses et surtout un incomparable pédagogue. Il forma des fournées d’élèves qui essaimèrent dans l’Église impériale et formèrent à leur tour une foule de disciples, des grammairiens pour commencer, car on ne savait plus le latin, puis des théologiens. Ce fut donc un processus cumulatif qui aurait pu déboucher sur des œuvres originales si la période ne s’était pas close assez brutalement dans les ruines des invasions et des guerres civiles.
4Comme toute bonne renaissance, la carolingienne fut d’abord un retour aux belles lettres de l’Antiquité classique. Ces clercs et ces moines du IXe siècle aimèrent passionnément les auteurs païens, trop même, avouèrent-ils parfois. Ils collectionnèrent les manuscrits, les recopièrent, les corrigèrent ; ils imitèrent les classiques jusqu’à tenter d’en imiter la prosodie, voire d’apprendre le grec.
5On connut les arts libéraux, dont le rhéteur carthaginois Martianus Capella avait, vers 400-450, fixé le nombre, sept, savoir les trois arts littéraires, grammaire, rhétorique et dialectique, et les quatre arts scientifiques, arithmétique, géométrie, musique et astronomie. On y trouvait le condensé de toutes les connaissances de l’Antiquité. Théodulf, le pieux évêque d’Orléans, les fit représenter aux murs de son palais de Germigny. On appréciait aussi l’éthique des sages antiques, de Cicéron en particulier, et on en fit des florilèges dont on possède de nombreux manuscrits dus à cinq auteurs, Alcuin et sa séquelle.
6C’est bien l’aspect factice, conservateur et rétrograde de toutes les renaissances. Mais ce fut aussi un puissant antidote au pessimisme des Pères : les auteurs carolingiens s’intéressèrent à l’homme en écrivant des traités De anima (sur l’âme) ; ils exaltèrent la nobilitas (noblesse) de l’homme, même déchu : il y eut un humanisme carolingien.
7Charlemagne approuvait cette tendance. « Sans doute, dit-il dans un capitulaire de 780-800, il est préférable de bien agir que de beaucoup savoir ; encore faut-il savoir pour bien faire ». Il ne pensait certainement pas aux faiseurs de petits vers et d’acrostiches, mais à son clergé. On a trop « déploré » l’inculture du haut clergé mérovingien pour ne pas « apprécier » la culture du clergé carolingien.
8Il faut sans doute élargir le contenu de cette renaissance : elle commença par l’école, épiscopale ou monastique, où les petits clergeons étudiaient les psaumes, les notes, les chants, le comput, la grammaire et les livres catholiques, et elle culmina dans les spéculations théologiques les plus hautes. Il y eut même, pour faire plaisir à saint Paul, des hérésies. D’ailleurs, plus qu’une renaissance des belles lettres, cette renaissance fut un instrument au service de la réforme de l’Église qui, elle, fut authentique.
9Pour commencer, posséder un latin correct était indispensable pour prier correctement le Seigneur, pour célébrer dignement la messe, pour administrer valablement les sacrements. Le souci maniaque de la pureté du latin fit que la langue sacrée ne fut plus comprise du peuple. Une fois de plus, l’apostolat fut sacrifié à la liturgie.
10Des foyers d’études sacrées s’allumèrent un peu partout dans la Gaule du nord. Ce furent surtout des écoles épiscopales telles celles d’Auxerre avec la généalogie des écolâtres Haymon († c. 865), Héric (841-c. 875-880) et Remi († 908) qui fut le maître de saint Odilon de Cluny, ou Lyon avec les évêques Leidrade († 817), Agobard († 841) et le diacre Florus († c. 860). Agobard, belliqueux comme le bon Espagnol qu’il était, ne cessa de combattre les abus, les superstitions, les sorciers, mais aussi les images et les juifs ; il participa à toutes les controverses du temps et il poursuivit de sa haine l’empereur Louis : ce n’était pas un intellectuel en chambre. Quant à Florus, ce fut un vrai rat de bibliothèque : on conserve à Lyon une centaine de manuscrits antérieurs à 850 qu’il a tous annotés de sa belle écriture ; il avait tout lu ; il savait le grec et un peu d’hébreu ; lui aussi était un polémiste pugnace et en outre un auteur fécond.
11Il y en eut d’autres à Orléans avec Théodulf, lui aussi Espagnol (c. 760-821) et Jonas (c. 818-c. 842), à Metz avec Amalaire (c. 775-853), à Troyes avec l’évêque Prudence († 861), à Reims avec le grand archevêque Hincmar († 882).
12Toutes les abbayes eurent une école – à Centula vers 800 il y avait 100 élèves – et certaines eurent des auteurs. Il y eut alors, chose nouvelle et étonnante quand on se rappelle les anathèmes de saint Benoît et de saint Colomban contre « la vaine science », une bonne dizaine d’écoles monastiques, principalement Corbie avec Druthmar († 850), Paschase Radbert († 860) et Ratramne († 868) qui alimentèrent la controverse eucharistique, ou Elnone (Saint-Amand) avec les écolâtres Milon († 872) et Hucbald († 930), ou encore Ferrières avec Loup († 862) et Adon († 875).
13L’école palatine, celle de Louis le Pieux et de Charles le Chauve, fut elle-même un centre culturel. Jean Scot Érigène, un Irlandais, y fut professeur de grammaire vers 830-850 ; il connaissait le grec, en fit des traductions et tenta d’en tirer une théologie néo-platonicienne. Walahfrid Strabo (809-849) qui avait été le précepteur de Charles et en avait été récompensé par le don de l’abbaye de Reichenau, en Alémanie, mourut à la cour ; c’était surtout un bon poète.
14Quant à son contemporain, Gottschalk ou Godescalc, le fils d’un comte saxon qui avait découvert avec enthousiasme le prédestinationnisme de saint Augustin, il fut condamné et interné pendant vingt ans à l’abbaye de Hautvillers (près de Reims).
15Parmi les fruits de cette renaissance il faut citer des laïcs ayant de belles bibliothèques riches d’une cinquantaine de volumes, surtout des ouvrages de spiritualité, des livres liturgiques et des textes patristiques et, chose rare, des laïcs écrivains tels Nithard petit-fils par la main gauche de Charlemagne, abbé de Saint-Riquier, qui raconta le conflit entre les fils de Louis le Pieux et mourut les armes à la main, et même une femme, Dhuoda, qui composa pour son fils, vers 843, un manuel d’éducation morale.
16Cette production fut rarement originale. Elle avait des fins utilitaires : fournir à chaque église des textes, des commentaires, des explications. Faute d’imprimerie, on se copiait les uns les autres, on empruntait à divers autres auteurs, et on n’hésitait pas à leur ajouter des idées de son cru.
17Pour commencer, le texte de la Bible, qui vers 750 était incertain et divers, car « la Vieille latine » n’avait pas encore été éliminée par la Vulgate, qui de plus était souvent corrompue, fut unifié et révisé vers 800, par Alcuin puis par Théodulf. De ses différents livres on fit des commentaires, verset par verset pour en dégager les quatre sens classiques, surtout le sens allégorique, en compilant les anciens exégètes. Ainsi se constitua la « glose ordinaire » qui deviendrait la base de la scolastique.
18Pour l’instant il s’agissait moins d’en extraire un enseignement doctrinal que de se nourrir de leur sens spirituel. On commenta donc surtout les psaumes. On en fit même des extraits, des centons (Flores psalmorum). De même pour les Pères, surtout pour leurs homélies qu’on lisait aux heures de l’office divin et que donc il fallait comprendre et méditer.
19Le martyrologe de Bède fut révisé par Florus de Lyon († c. 860) et par Adon de Ferrières († 875). Il trouva sa forme définitive sous la plume d’Usuard de Saint-Germain des Prés († c. 877).
20On lisait aussi la vie des saints, le jour de leur fête. La production hagiographique fut donc assez abondante. Alcuin composa beaucoup de Vies quand il se fut retiré à Tours. S’il y eut peu de saints nouveaux, les Vitae de l’époque mérovingienne furent presque toutes récrites en bon latin, truffées de citations bibliques, et parfois enrichies d’un nouveau merveilleux. De même pour leurs Translations toutes émaillées de miracles. Au total, on a quarante textes.
21On doit accrocher à l’hagiographie les histoires des Églises franques. Les Gesta des anciens évêques célébrèrent l’origine apostolique de mainte Église, qu’avait ignorée Grégoire de Tours.
22Le sacré devant se transmettre sans interruption depuis les apôtres, on fabriqua des listes épiscopales sans lacunes. On exalta surtout les bons évêques, vieillards vénérables et saints, c’est-à-dire guéris des passions de la jeunesse, appelant sur leur peuple les bénédictions célestes, matérielles autant que spirituelles. Nobilitas et sanctitas, telles furent, comme au temps mérovingien, leurs vertus. On ne parle ni de science, ni d’ascèse, ni de zèle.
23La liturgie fut aussi étudiée, surtout celle de la messe, qui suscita une vive querelle entre Amalaire de Metz († 853), qui en avait donné en 823 une exégèse minutieuse, chaque fragment de la célébration eucharistique étant doté d’une exégèse allégorique, et Florus de Lyon pour qui la messe était un sacrement, un mystère contenant toute l’économie du salut. Florus, qui était combatif, fit condamner Amalaire par le synode de Quierzy (838), mais c’est l’interprétation d’Amalaire qui, finalement, s’imposa.
24D’une toute autre envergure est l’œuvre de Denys l’Aréopagite, le « pseudo-Denys ». Pourquoi « pseudo » ? Parce que, le sens critique n’étant pas le péché mignon des hagiographes du temps, le bon abbé Hilduin († 842) n’hésita pas à voir dans son héros le saint patron de son abbaye, un évêque de Paris martyr vers 250, qui aurait été le magistrat de l’Aréopage d’Athènes converti par saint Paul et envoyé par lui en Gaule. Cette pieuse fable serait dénoncée par Abélard vers 1125, sans succès, non sans scandale.
25Les livres de « saint Denys l’Aréopagite », Des noms divins, la Hiérarchie céleste et la Hiérarchie ecclésiastique, qui sont des traités néoplatoniciens de 495-525, avaient été envoyés au roi Pépin par le pape Paul I en 758, puis par Michel I, le basileus, à Louis le Pieux en 827. Ils furent traduits par Hilduin, abbé de Saint-Denis, si mal qu’ils sont illisibles, puis, beaucoup mieux, par Jean Scot Érigène vers 860 sq. L’Aréopagite proposait, entre autres, que tous les êtres descendaient de Dieu par un processus d’émanation et remontaient à Lui par un processus de divinisation. Ces thèses eurent un long succès : l’imprimerie les diffusa et tous les auteurs spirituels français du XVIIe siècle seraient, peu ou prou, les tributaires du pseudo-Denys.
26La production des scriptoria fut industrielle : on conserve encore, issu de celui de Tours, 30 Bibles dans la version révisée par Alcuin c. 797-800. Quant aux œuvres elles-mêmes, elles occupent près de 40 gros volumes dans la Patrologie latine de Migne.
27Pour le commun, qui n’accédait pas aux sommets de la contemplation, il y avait la prière. Celle-ci consistait principalement dans les célébrations liturgiques, mais il y eut aussi des livrets de prières (libelli precum), on en attribua quatre à Alcuin ou à son entourage. Par la suite on en fit de vastes compilations.
28Le moralisme carolingien exigea toute une littérature morale : miroirs, livres des vices et des vertus, lettres de direction ou simplement florilèges, c’est-à-dire recueils de centons. Il y en eut dès Alcuin et beaucoup après lui. Certains qui étaient destinés aux laïcs sont étudiés plus bas.
29Le réveil intellectuel du IXe siècle explique la fréquence des querelles dogmatiques et même la réapparition de l’hérésie. Mais, étant d’origine savante, ces déviations doctrinales n’influèrent guère sur la vie religieuse du peuple chrétien.
30L’adoptianisme était né en Espagne avec Bonosius : il est signalé en Gaule par le pénitentiel de saint Colomban. Pour les bonosiens, le vrai fils de Dieu était le Verbe non incarné, le Jésus de l’Évangile n’était qu’un fils adoptif de Dieu. Or c’est bien lui qui avait souffert. Son sacrifice, tout humain, pouvait-il sauver l’humanité ? Pour les évêques francs, cette hérésie avait provoqué la colère de Dieu et, comme châtiment, l’invasion de l’Espagne par l’Islam. En tout cas, le strict monothéisme musulman semble avoir contaminé les chrétiens espagnols ou catalans. L’hérésiarque Félix, évêque d’Urgel, apparaît en 782 pour être condamné par le pape en 785 et par le clergé franc en 792, 794 et 799. Félix, qui ne s’était jamais soumis que pour se rétracter, finit sa vie interné à Lyon (818), et les évêques espagnols restèrent obstinément fidèles à la formule « fils adoptif ».
31En 787 avait débuté la querelle des images. Les Grecs avaient connu à partir de 726 une poussée violente d’iconoclasme : les icônes les plus vénérables avaient été impitoyablement détruites. Puis en 787 le concile de Nicée II avait rétabli le culte des « saintes images », culte de dulie (vénération) et non de lâtrie (adoration). Or le texte grec des canons de Nicée fut mal traduit en latin et le clergé franc se persuada que les Grecs adoraient les images. Le scandale fut dénoncé par l’évêque Claude de Turin et Charlemagne réagit vigoureusement : dès 790, il envoya au pape un long capitulaire de 85 chapitres et il demanda à Théodulf d’Orléans un traité contre le culte des images ; ce furent en 791 les libri carolini (livres carolins). En 794 le concile de Francfort condamna les erreurs des Grecs. Le pape, sollicité, refusa de s’engager, c’est-à-dire de se dégager, car il avait été représenté à Nicée II. On en parlait encore en 824.
32Une autre affaire, beaucoup plus grave, car elle mettait en cause le dogme de la Trinité, avait éclaté en 795. Il s’agissait de la procession du Saint Esprit : tel que l’exprimait le Credo l’Esprit procédait du Père « par le Fils », disaient les Grecs, « du Père et du Fils » (Filioque), disaient les Latins conformément à la doctrine des Pères. Dès 796 le concile italien de Cividale condamna le Credo des Grecs. Charlemagne, alerté, demanda la justification du Credo qu’on chantait à la Chapelle palatine. Théodulf d’Orléans, sollicité une fois de plus, fournit une collection de canons, faux d’ailleurs, et il écrivit en 808 un De Trinitate à la suite duquel le concile d’Aix (809) put condamner l’usage des Grecs. Le pape Léon III, sollicité d’intervenir, s’esquiva piteusement : il conseilla de ne plus chanter le Credo à la messe ! Tout cela passait largement au-dessus de la tête des fidèles.
33Il n’en fut peut-être pas tout à fait ainsi des querelles du IXe siècle qui naquirent moins de la volonté d’orthodoxie du roi que de la fermentation théologique et spirituelle du clergé franc.
34Ce fut d’abord la querelle eucharistique qui touchait chaque chrétien plus directement que les controverses trinitaires. Le corps du Christ, tout le monde en était d’accord, était triple, « triforme ». Il y avait d’abord le corps historique, qui s’était incarné, qui était mort puis ressuscité, et qui, depuis l’Ascension, siégeait à la droite du Père en attendant la Parousie. Il y avait en second lieu le corps eucharistique ou sacramentel, c’est-à-dire mystique (mysterion = sacramentum). Il y avait surtout le corps ecclésial, « le corps des saints du Christ », et la communion de la messe était une union avec l’Église autant et plus que la manducation de l’hostie consacrée par le prêtre. On pouvait insister davantage sur les aspects du corps du Christ ou sur son unité, et ç’avait été le fond de la querelle liturgique entre Amalaire et Florus, mais tous étaient d’accord sur un point : le corps du Christ, c’est avant tout l’Église. D’ailleurs les Pères avaient peu utilisé le mot corps (corpus) pour l’eucharistie, ils disaient caro (chair), caro mystica. Ce corps mystique que les chrétiens mangeaient à la communion était-il vraiment le corps né de la Vierge Marie ? Le problème fut posé vers 831-833 par le premier traité systématique sur l’eucharistie, celui de Paschase Radbert, moine de Corbie (c. 790-c. 859), Liber de corpore et sanguine Domini (le Livre du corps et du sang du Seigneur). Pour Paschase le corps historique du Christ était présent tout entier en miniature dans chaque hostie avec son sang, ce qui rendait inutile la communion au calice, avec ses excréments car, comme dirait Luther, « Dieu a pété, Dieu a chié ». Donc chaque messe était un miracle.
35Paschase fut attaqué de tous côtés, en particulier par son disciple Ratramne, lui aussi moine de Corbie, dans son traité De corpore et sanguine Domini, écrit en 853 pour répondre aux inquiétudes du roi : le corps du Christ est-il mangé en mystère ou en vérité ? Autrement dit, est-ce que, oui ou non, les chrétiens cannibales dévorent le corps historique ? Ratramne répondit sagement que les espèces eucharistiques étaient des « figures » selon les sens, mais aussi des « vérités » selon la foi. Bref, pour lui le corps mystique était surtout l’Église, pour Paschase, c’était l’hostie. Plus tard le réalisme eucharistique triompherait du réalisme ecclésial.
36La dernière controverse doctrinale fut déclenchée par Godescalc d’Orbais (Gottschalk). Celui-ci avait découvert saint Augustin, qui apparemment n’était pas entre toutes les mains, et s’était enthousiasmé pour la double prédestination, celle des élus au paradis, celle des damnés à l’enfer. Il enseigna ces thèses, et trouva des partisans de poids (Florus, Prudence, Walhafrid Strabon, Ratramne et Loup de Ferrières) mais plus encore des ennemis. Ceux-ci le firent condamner en Germanie (848) et en France dès 849, puis par divers conciles jusqu’en 866, c’est-à-dire jusqu’à sa mort (868).
37On mesure par là à quelles hauteurs spéculatives pouvait s’élever le clergé du IXe siècle, les clercs bien sûr, mais aussi les moines, et les laïcs ne restaient pas indifférents.
38Tout cela fut ruiné par les invasions normandes que, cependant, certains historiens modernes ont jugées bénignes, si ce n’est bienfaisantes.
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