1Métropole, métropolisation, développement métropolitain, ces concepts largement utilisés depuis quinze à vingt ans, rendent compte des formes actuelles que prend le développement urbain1.

2Le cas lillois illustre ce nouveau paradigme du développement : agglomération industrielle cherchant à accéder à un statut de métropole, métropole régionale d’une région industrielle en mutation2 d’abord, « eurocité3 » ensuite, en vertu d’une ambition collective affichée de reconnaissance internationale, au moins à l’échelle européenne.

3Dans le nouveau système qui se met en place, la transformation de Roubaix, archétype de la ville industrielle nord-ouest européenne, rend compte de la transformation globale de la métropole lilloise et de l’affirmation de l’enjeu métropolitain. Un temps laissée pour compte (par exemple avec l’épisode de la ligne 1 bis du métro), replacée ensuite au cœur de la problématique de développement solidaire de la métropole, à défaut d’en être le cœur économique et symbolique, localisé à Euralille, Roubaix attire l’attention, tant au sein de la métropole que vue de l’extérieur, par l’ampleur des changements qui se sont opérés. En quoi ces transformations participent-elles d’une dynamique métropolitaine plus globale ? En quoi contribuent-elles au renforcement de ce développement métropolitain ? Comment s’exprime une spécificité roubaisienne (une identité) au sein d’un processus qui traverse toute la métropole ? Ces quelques interrogations constituent la trame de notre réflexion sur la place de Roubaix face aux enjeux de la métropolisation.

Lille, Roubaix et Tourcoing : de la conurbation à la métropole

4Fondée sur la réalité d’une forte densité urbaine organisée selon trois polarités distinctes autour de chacune des trois villes-centres, mais entremêlées sur un espace réduit, la conurbation de Lille- Roubaix-Tourcoing est le résultat d’un mode de production de l’espace associé à la révolution industrielle. La spécificité de l’industrie textile, générant une forte imbrication entre usines et habitat au sein du tissu urbain, apparente le mode de développement de Lille-Roubaix-Tourcoing au modèle des conurbations anglaises. Ainsi, si le mot « conurbation » a été inventé par Patrick Geddes au début du XX^e siècle, Pierre George, dans son Dictionnaire de la géographie qui a longtemps fait école, peut « l’appliquer en France au groupe urbain Lille-Roubaix-Tourcoing », dans lequel il trouve un véritable archétype du modèle britannique dans notre pays. Pôle industriel et urbain de la conurbation, concentrant à la fois des quartiers industriels et ouvriers et des quartiers bourgeois formés des grandes demeures et hôtels des capitaines d’industrie, par exemple autour du parc Barbieux (1857), parc urbain à l’anglaise, Roubaix représente l’archétype de la ville capitaliste du XIX^e siècle. Elle le fait mieux que Lille peut-être, qui est aussi une ville d’État par ses fonctions militaires, administratives ou universitaires à partir de la fin du XIX^e siècle, et plus que Tourcoing, moins contrastée. La présence d’une chambre de commerce (1805 et 1872 pour son installation à la place de la Chambre consultative des arts et manufactures), d’une succursale de la Banque de France (1871), la troisième de France en 1910, d’une bourse de commerce (1876) et d’un marché à terme (1883) « qui devient très vite l’égal de ceux de Londres ou d’Anvers4 », renforcent alors la ville dans son rang de capitale française de la laine. Roubaix participe ainsi à la puissance industrielle d’une conurbation et d’un département aux bilans évocateurs et elle est le siège de fonctions qu’aujourd’hui on définirait comme ayant un caractère métropolitain.

5Sous la mandature d’Eugène Motte, la construction, à l’occasion de l’Exposition internationale de 1911, de l’hôtel de ville par Victor Laloux exprime alors la symbolique de la réussite industrielle de Roubaix, tandis qu’à Lille, quelques années plus tard (1928), c’est le modèle du beffroi néo-flamand qui s’impose (architecte Émile Dubuisson) en réponse à celui de la Chambre de commerce (1911, L.-M. Cordonnier) : la ville industrielle versus la cité marchande.

6Confrontée à la difficulté de délimiter le fait urbain dans le contexte mouvant des Trente Glorieuses, l’Institut national de la statistique et des études économiques modifie la définition à plusieurs reprises en 1954 (introduction de la notion d’unité urbaine, usuellement dénommée agglomération) puis en 1962 (introduction de la notion de zone de peuplement industriel et urbain, ZPIU). Ces définitions s’imposeront jusqu’aux années 1990 où, avec la notion d’aire urbaine une nouvelle proposition est faite à l’occasion du dernier recensement du siècle (1999)5 qui remplace l’ancienne ZPIU, mais se superpose à celle d’unité urbaine.

7Pour l’Institut, qui crée la norme, il y a en 1954 deux agglomérations distinctes, Lille d’un côté, Roubaix-Tourcoing de l’autre. C’est en 1968 que l’organisme officiel prend acte de l’intégration morphologique en une seule agglomération. Sans rentrer ici dans le détail des définitions, rappelons qu’au sein des agglomérations, l’INSEE distingue les communes-centres des communes dites de banlieue, selon un modèle adapté à la réalité urbaine de la majorité des villes françaises qui connaissent un important développement urbain périphérique à partir des années 1950. La particularité de la conurbation s’exprime ici par l’existence de trois villes-centre, Lille, Roubaix et Tourcoing. En accroissant la taille de l’entité principale de l’unité urbaine (l’agglomération), l’association de Lille et Lomme, postérieure au dernier recensement, fait perdre aujourd’hui à Roubaix et Tourcoing leur statut de ville-centre au sens de l’INSEE6, ce qui ne préjuge en rien de la réalité de leurs fonctions de centralité au sein de la métropole.

8Au début du XX^e siècle, la création des grands boulevards réunissant, selon un tracé en Y centré sur le Croisé-Laroche à Marcq-en-Barœul, Lille avec Roubaix et Tourcoing constitue un acte d’urbanisme majeur qui anticipe la métropole7. Expression de la modernité, référence au modèle théorique de la Ciudad lineal, la cité linéaire d’Arturo Soria y Mata, l’œuvre de l’ingénieur Stoclet, défendue par le docteur Bécour pour une ville salubre, veut contribuer à l’intégration des trois pôles urbains en une entité que ce dernier propose de baptiser « Lirt ». La création de cette infrastructure généreusement calibrée, dotée de voies de circulation séparées selon les modes de transport, notamment pour le tramway en site propre d’Alfred Mongy, doit, pour ses promoteurs, non seulement faciliter les relations entre les trois grandes villes industrielles, mais également orienter le développement urbain ultérieur entre celles-ci.

9Le débat sur la structuration de la métropole s’impose dans les années 1960 avec la mise en œuvre de la politique dite des métropoles d’équilibre par l’État. Il s’agit de rééquilibrer le territoire national face à Paris en s’appuyant sur les principales agglomérations de province. Là où il peut y avoir difficulté politique, les aménageurs proposent des binômes, comme Nancy-Metz en Lorraine. Dans le Nord, la situation, à l’époque, semble s’apparenter à ce cas, et c’est la notion, neutre, de « Métropole nord » qui sort du chapeau des technocrates. Lille, Roubaix et Tourcoing sont ainsi associées. En réalité, par la proximité géographique entre les trois pôles, la situation locale est bien différente de l’exemple lorrain : en effet, en 1968, l’INSEE identifie une unité urbaine unique. Mais derrière l’appellation de « Métropole nord », c’est aussi la vocation à organiser la région du Nord qui est ainsi affirmée. C’est ce que confirmera le choix relatif à la définition de l’aire d’étude de l’OREAMN (Organisation régionale d’études et d’aménagement de l’aire métropolitaine nord), qui très vite débouche sur un périmètre couvrant totalement les deux départements de la région de programme, anticipant sur la réalité de la notion de région urbaine métropolitaine, la région urbaine de Lille8.

10Associées par les technocrates, Lille, Roubaix et Tourcoing le sont également sur le plan politique avec l’instauration par l’État de la communauté urbaine en 1966, une décision, qui comme à Bordeaux, Lyon et Strasbourg, s’inscrit dans le prolongement de la politique des métropoles d’équilibre en créant des outils intercommunaux adaptés aux objectifs recherchés. Avec le recul, cet épisode imposé par l’État apparaît bien comme l’acte fondateur de la réalité métropolitaine locale : où en serait aujourd’hui la métropole s’il n’y avait pas eu cette décision de 1966 ? Dès lors, la construction métropolitaine s’inscrit dans un cadre institutionnel et géographique délimité, la Communauté urbaine de Lille (quatre-vingt-neuf communes à l’origine, quatre-vingt-cinq aujourd’hui après fusions et associations9). Ceci n’épuise pas le débat sur l’extension géographique du fait métropolitain, notamment par la prise en compte de la périphérie proche dans le cadre de l’arrondissement de Lille, périmètre du schéma directeur de 1972 arrêté alors par l’État et toujours opérationnel aujourd’hui, ou encore de sa dimension transfrontalière et régionale (région urbaine métropolitaine). En se dotant d’un appareil technique important, la nouvelle institution aux larges compétences va rapidement s’imposer comme le principal maître d’ouvrage en ce qui concerne l’aménagement métropolitain (chantiers de la ville nouvelle puis du métro).

11Mais si ces deux chantiers sur lesquels nous reviendrons, s’inscrivent dans une logique de renforcement de la Métropole nord, c’est la décision de construction du tunnel sous la Manche et celle, corrélative, du lancement du TGV Nord Europe qui fait basculer définitivement Lille et son agglomération dans la logique du développement métropolitain, celle de la métropole lilloise. Il s’agit maintenant de promouvoir le développement de la métropole à partir d’une stratégie, plus ou moins explicite, inscrite dans un cadre international qui s’impose d’évidence, eu égard à la position géographique de la métropole, et qui associe un ensemble d’acteurs (politiques, économiques, associatifs, etc.) du territoire, mobilisés pour la circonstance. Le discours métropolitain se construit en avançant (candidature olympique, capitale culturelle, etc.), la production d’une image métropolitaine fait partie de la stratégie (le choix des architectes pour Euralille), mais le tout ne prend de sens que par rapport à un développement économique réel (l’implantation d’entreprises, le dynamisme de l’immobilier d’affaires, etc.). Le danger de ce développement tient en ce qu’il peut être facteur d’exclusion pour des hommes et des femmes sans les qualifications requises ou pour certains territoires qui ne présentent pas spontanément les caractéristiques nécessaires à son émergence.

12De fait, la question de l’intégration, politique, économique, sociale et géographique, bref l’intégration géopolitique de la métropole, ne cesse d’être posée depuis son origine, d’abord à propos de la « métropole en miettes10 » puis, de façon conflictuelle, jusqu’à la fin des années 1980 avec l’opposition entre les deux versants de la métropole : d’un côté, le versant lillois, qui bénéficie de la ville nouvelle dans les années 1970, de l’autre le versant nord-est qui n’en finit pas de voir sombrer son industrie textile et s’appauvrir sa population, tout en connaissant une transformation positive de son économie (VPC, secteur graphique, assurances). Ainsi Roubaix s’impose comme le second pôle d’emploi de la métropole, après Lille ; mais une part importante de sa population est au chômage et nombre de ses quartiers sont en crise. La résonance politique de ce clivage économique et social entre les deux versants est forte. André Diligent, maire de Roubaix à partir de 1983 s’en fait le héraut, alors que le président de la communauté urbaine et maire de Lomme joue de l’antagonisme au profit de sa ville (affaire du tracé de la ligne 1 bis vers Lomme (1984) et développement d’une zone commerciale) tout en cultivant également l’opposition aux grandes villes.

13Devant les nouveaux enjeux de développement métropolitain posés par l’ouverture européenne, l’arrivée du TGV nord-européen à Lille, obtenue après une forte mobilisation des acteurs métropolitains, et la nécessité d’une nouvelle cohérence pour le territoire métropolitain, la fronde des grands maires en 1989 transcende le clivage entre les versants. La charte qu’ils adoptent fin 1988 place l’achèvement du réseau de métro vers Roubaix-Tourcoing en bonne place parmi les priorités métropolitaines. L’accès aux commandes de Pierre Mauroy (1989) se fait sur la base d’un accord politique qui transcende les clivages géographiques et partisans. Afin de les rallier à son panache métropolitain (obtenir le soutien pour Euralille, projet phare de la métropole), Pierre Mauroy confirme l’affichage de projets au profit d’autres territoires communautaires, dont certains se concrétisent seulement depuis quelques mois (parc d’activité de la Haute-Borne à Villeneuve d’Ascq) ou sont encore au stade des études (site de l’Union entre Roubaix et Tourcoing). Il avait déjà obtenu précédemment une mobilisation sans réserve de ces mêmes acteurs pour arracher à la SNCF, qui avait un autre projet, que le croisement des lignes TGV Paris-Bruxelles-Londres se fasse au cœur de Lille. Mais un aspect essentiel de la nouvelle donne tient à l’affirmation claire par le nouveau président de la communauté urbaine de la nécessaire solidarité entre les territoires de la métropole. La décision relative au lancement de la ligne 2 du métro vers Roubaix et Tourcoing, mise en service en 1999, veut en témoigner. Un consensus politique s’établit donc sur la façon de gérer le développement métropolitain, consensus qui trouvera notamment son expression dans la démarche de révision du schéma directeur.

La problématique métropolitaine aux différentes échelles géographiques : quelle place pour Roubaix ? Bilan et prospective

14Alors que les oppositions frontales entre Roubaix et le versant lillois se sont aujourd’hui estompées, laissant la place à un processus d’intégration métropolitaine, on peut s’interroger, à la fois en termes de bilan et en termes de prospective, sur le positionnement géopolitique de l’ancienne cité lainière dans la dynamique métropolitaine, une réflexion à mener à différentes échelles géographiques, celle de la métropole et celle de l’aire métropolitaine transfrontalière.

Roubaix et l’intégration de l’espace métropolitain

15Sur le plan économique, la commune de Roubaix représente, avec 47 000 emplois, le second pôle d’emplois de la métropole après Lille (près de 130 000), mais devant Tourcoing (moins de 35 000) et Villeneuve d’Ascq (environ 30 000). Avec un ratio emplois dans la commune/actifs résidents de 1,6, elle se situe après Lille (2,1), mais devant Tourcoing et Villeneuve d’Ascq (1,1)11. Le solde entre les entrées et les sorties quotidiennes pour les déplacements de travail, nettement positif, est de l’ordre de 18 000 personnes. Un peu plus de Roubaisiens vont travailler à Lille que de Lillois à Roubaix, mais les Tourquennois sont plus nombreux à venir à Roubaix que le contraire et Roubaix s’impose notamment comme pôle d’emploi principal pour les communes voisines de Mouvaux, Croix, Hem, Lys-les-Lannoy, Leers, Wattrelos (flux supérieurs à mille personnes par jour12), tandis que Tourcoing échange de façon équilibrée avec Roncq et Neuville-en-Ferrain. Dans le système roubaisien, seule Wattrelos attire un flux notable de Roubaisiens, mais les Wattrelosiens travaillant à Roubaix sont près de deux fois et demie plus nombreux.

16Si pendant longtemps deux bassins d’emplois, celui de Lille et celui de Roubaix-Tourcoing, ont coexisté, aujourd’hui, c’est l’ensemble de la métropole qui fonctionne de plus en plus comme un vaste marché de l’emploi unique, voire même la métropole et l’ancien bassin minier au sein d’une vaste aire métropolitaine. La disparition des emplois textiles, la montée des emplois de services, mais aussi les décisions politiques relatives aux infrastructures de transport, ont notamment contribué à ce processus d’intégration. La construction de la VRU (voie rapide urbaine) entre Lille et Roubaix-Tourcoing à la fin des années 1980 et l’ouverture de la ligne 2 du métro en 1999 sont de ce point de vue des moments importants dans le processus d’intégration spatiale de la métropole. Sur le plan géopolitique, cette nouvelle donne géographique sonne un peu plus le glas des anciens versants.

17La spécialisation dans la vente à distance et la finance-assurance (Verspieren, Caisse d’épargne de Flandres, etc.) contribue non seulement à renforcer la position de l’ancienne cité lainière, mais aussi à caractériser le profil économique de la métropole par rapport aux concurrentes françaises de province. La distribution commerciale et l’assurance constituent en effet les deux spécificités positives qui ressortent d’une analyse comparative dans laquelle la métropole lilloise apparaît par ailleurs encore souvent en retard pour nombre de critères13. De ce point de vue, Roubaix s’inscrit pleinement dans la dynamique métropolitaine. La présence de sièges sociaux de firmes importantes à Roubaix ou dans les communes de la mouvance roubaisienne (siège d’Auchan France à Croix) constitue un attribut métropolitain.

18Cependant, si l’on en croit l’Observatoire des bureaux de la métropole (OBM), Roubaix n’occupe qu’une place marginale dans le marché métropolitain des bureaux. Bon an mal an Roubaix représente 7 % du marché métropolitain, mais cela principalement grâce au marché de seconde main, la construction de bureaux neufs étant quasi nulle. Tourcoing n’est pas mieux lotie. Le marché métropolitain se concentre sur Lille, se prolonge sur les grands boulevards, mais la dynamique n’atteint ni Roubaix, ni Tourcoing. Villeneuve d’Ascq par contre s’est imposé comme pôle complémentaire de Lille, notamment sur les produits de type parc de bureaux. Roubaix, encore hors marché, n’existe pas dans l’offre métropolitaine. On touche ici à toute l’ambivalence de la situation roubaisienne, à la fois pôle économique de premier plan au sein de la métropole, y compris pour des domaines à forte résonance métropolitaine, mais qui reste toutefois exclue d’un élément-clé du jeu économique de la métropole, celui de l’immobilier d’affaires.

Le marché des bureaux de la métropole lilloise par secteurs géographiques en 2002

Part de Roubaix dans le marché des bureaux de la métropole lilloise de 1998 à 2002

19En matière commerciale, le constat établi par la municipalité à la fin des années 1990 à l’occasion de la préparation du dossier Mc Arthur Glen laissait apparaître un déficit important en termes d’équipements : pour 9 % de la population de la communauté urbaine, Roubaix, pourtant l’une des trois villes centres historiques, ne représentait que 5,5 % des superficies commerciales. 30 000 m² de superficies commerciales avaient disparu en sept ans de 1990 à 1997. Faible, voire quasi nulle à l’échelle métropolitaine, son attractivité commerciale était contestée dans son secteur géographique du périmètre Wattrelos-Croix-Hem-Leers, dit de l’agglomération de Roubaix : 20 % des dépenses commerciales étaient effectuées sur la ville centre qui pourtant représentait 30 % de la population de ce secteur. Face à la concurrence des centres commerciaux périphériques (notamment celui de Leers), à l’évasion au profit d’autres secteurs géographiques (V2, Lille), et à l’échec du centre commercial Roubaix 2000, Roubaix souffrait.

20Le projet de reconquête commerciale apparaît alors comme une chance ultime pour le centre ville. Ambitieux, ce programme est caractéristique des nouvelles politiques de centre-ville mises en œuvre dans nombre de villes françaises depuis dix ans, à commencer par les villes du Nord Pas-de-Calais. Outre Euralille, citons Marine-Bollaert à Dunkerque, Cœur de ville à Valenciennes, Charost à Calais. Après des années de développement périphérique, désormais bridé par un cadre législatif rigoureux (loi Raffarin), les investisseurs s’intéressent à nouveau aux centres-villes et aux villes-centres dès lors que des politiques de requalification urbaine (espaces publics, circulation, etc.) font apparaître des projets cohérents. À Roubaix, l’image de ville des magasins d’usine a joué un rôle déterminant dans l’intérêt que Mc Arthur Glen a pu trouver à son implantation. Le rôle de la moyenne surface Casino est de rétablir un certain équilibre dans l’offre commerciale de proximité, ce qui est un pari pas encore gagné. Articulé à l’ouverture de la ligne 2 du métro en 1999 et accompagné par une politique d’intervention sur les espaces publics, la mise en œuvre du projet urbain pour le centre de Roubaix apparaît cependant exemplaire et a contribué à replacer la ville dans le dispositif commercial métropolitain grâce à Mc Arthur Glen. Il s’agit ici de la création de toutes pièces d’une véritable centralité, qui avait toujours fait défaut à la ville.

21D’un point de vue géopolitique, on peut considérer que ce projet urbain a contribué au renforcement de la construction métropolitaine. Notamment, il convient de souligner l’engagement du président de la Communauté urbaine et encore maire de Lille au moment du vote en commission départementale d’équipement commercial (Pierre Mauroy), en s’opposant aux commerçants lillois qui craignaient l’arrivée de Mac Arthur Glen.

22À ce projet urbain d’envergure correspond une dimension économique et sociale forte, à la fois par la politique d’accompagnement social qui a permis à de jeunes Roubaisiens de s’insérer professionnellement sur les postes créés, et par l’effet zone franche qui a dynamisé le centre-ville, permettant des implantations d’activités et des créations d’emplois. Plus de cinq mille emplois ont été créés dans le cadre de la ZFU par plus de sept cent quatre-vingts entreprises14. Certes, on ne peut évacuer certains effets pervers du dispositif, comme l’effet d’aubaine, le transfert d’activités existantes dans la zone et s’interroger sur la pérennité des entreprises au-delà de la période de défiscalisation, mais la zone franche urbaine de Roubaix apparaît comme un succès indéniable : 65 % des emplois ont été créés, et non transférés, et deux sur cinq ont été pourvus par des Roubaisiens. Notamment le secteur des services aux entreprises a pu se développer à cette occasion : de fin 1996 à fin 2002, le nombre d’emplois dans ce secteur est passé de 435 à 2 219 et le nombre d’entreprises est passé de 82 à 305, ce qui n’est pas anodin dans un secteur d’activité plutôt de nature métropolitaine.

23Ainsi, les années 1990 apparaissent décisives dans l’évolution du positionnement de Roubaix au sein de la métropole lilloise. Après la « métropole en miettes » et la guerre des versants, le processus d’intégration métropolitaine en marche depuis les années 1990 ne peut, à notre sens, être contesté. Le bassin d’emploi métropolitain apparaît de plus en plus intégré ; en son sein, la ville de Roubaix s’impose comme le second pôle derrière Lille. Même si l’on peut regretter les retards imputables aux difficultés du jeu politique métropolitain dans les années 1980, les nouvelles infrastructures de transport, la voie rapide urbaine et le métro, ont contribué au désenclavement et au rapprochement des territoires. Si Roubaix apparaît encore marginalisée par rapport à un marché de l’immobilier d’affaires encore très concentré sur Lille, avec la reconquête de son centre-ville Roubaix s’est aujourd’hui replacée dans le dispositif commercial métropolitain, même si la prudence reste encore de mise eu égard à la liberté d’action des acteurs économiques privés en regard de toute évolution conjoncturelle dans l’avenir. Le nouveau climat politique imposé par la nouvelle donne de 1989 explique pour partie cette évolution. En retour, l’intégration géographique accrue de l’espace métropolitain rend, à notre sens, irréversible la prise en compte de l’ancien versant nord-est dans la dynamique métropolitaine.

24En même temps, sur le plan social, Roubaix reste encore un terrain d’action majeur pour la nécessaire politique de cohérence métropolitaine, c’est-à-dire pour la politique de renouvellement urbain15.

La question du renouvellement urbain : enjeu politique, géographique et social

25Né de la réflexion menée à Lille, dès la première moitié des années 1990 à l’occasion de la révision du schéma directeur, le concept de renouvellement urbain apparaît dans les travaux préparatoires menés à l’agence de développement et d’urbanisme de Lille métropole. Il trouve rapidement une consécration politique avec la création, à la Communauté urbaine, d’une vice-présidence à la ville renouvelée, et opérationnelle, avec la transformation de l’ancienne SEM (société d’économie mixte) du versant nord-est, consacrée à la transformation de friches industrielles en sites d’accueil pour activités nouvelles, en SEM de la ville renouvelée dont le champ d’intervention s’élargit géographiquement à la métropole : elle intervient comme aménageur pour le compte de la maîtrise d’ouvrage institutionnelle dans le cadre d’opérations de ville renouvelée.

26Dans le contexte local16, l’expression prend le contre-pied de l’idée de ville nouvelle qui, dans les années 1970, avait suscité une réaction très vive des élus du versant nord-est de la métropole, notamment de Roubaix. Le concept de ville renouvelée permet de dépasser l’ancien clivage entre versant nord-est et versant lillois. En effet, les territoires de la ville renouvelée ne concernent pas seulement Roubaix, Tourcoing et les communes voisines, mais aussi certains quartiers de Lille (et ses communes associées d’Hellemmes et de Lomme), de la banlieue lilloise ou de l’agglomération d’Armentières.

27Avec des friches industrielles, des pollutions héritées, un habitat dégradé, la requalification d’un tissu urbain inadapté au nouveau contexte du développement représente un enjeu essentiel pour le renouvellement urbain. Mais l’enjeu n’est pas moins important sur le plan social dans des territoires devenus souvent, au fil du temps, symboles d’exclusion à la suite de la destructuration sociale provoquée par la mutation économique contemporaine. Dans ce schéma, Roubaix cumule les difficultés. Développement social des quartiers (DSQ), contrats de villes17, zones franches urbaines, la métropole lilloise, et tout particulièrement Roubaix, ne cesse d’être pilote en matière de politique de la ville. La sédimentation chronologique des procédures est un aveu d’échec. Ici, cela se double de la nécessité de prendre en compte un tissu urbain spécifique, né de l’industrialisation, et dont la restructuration physique est intimement liée à la dimension sociale de la politique de la ville.

28La réflexion sur la mise en place d’outils spécifiques pour assurer la régénération du tissu urbain de Roubaix, Tourcoing et des environs s’est précisée à partir du milieu des années 1980. Après le bref épisode de l’EPRART (Établissement public de restructuration et d’aménagement de Roubaix-Tourcoing) en 1991 et dans le nouveau contexte de consensus métropolitain entre les anciens versants, le secteur de Roubaix-Tourcoing accueille un Grand projet urbain (GPU) à partir de 1995. Son périmètre concerne quatre villes (Roubaix, Tourcoing, Wattrelos, Croix) et treize quartiers. Cette géographie particulière distingue ce GPU de cœur d’agglomération de la plupart des autres, centrés sur des quartiers de banlieue. En 1999, l’État substitue les Grands projets de villes (GPV) aux GPU. Le GPV de la métropole est lancé en mai 2001 sur un périmètre qui sort Croix, mais inclut certains quartiers de Lille, rendant le jeu politique plus complexe dans l’équilibre global du projet.

29Aujourd’hui, dans le schéma directeur, l’objectif politique du renouvellement urbain est « d’enrayer la dégradation économique, sociale et urbaine de plusieurs grands secteurs de l’agglomération ». Une vingtaine de communes, deux cent mille habitants et environ quatre mille hectares sont concernés. Il s’agit là de quartiers en grande difficulté qui nécessitent une intervention massive en matière de requalification des espaces publics, de réhabilitation du logement, de politique d’habitat social, de désenclavement géographique de quartiers mal articulés au reste de la ville, d’aération du tissu urbain notamment par l’introduction d’espaces verts qui font cruellement défaut. Mais il s’agit aussi d’assurer le développement de l’emploi dans ces quartiers, en y favorisant les services aux personnes ou en essayant d’y attirer des entreprises. Mais l’une des conditions de la réussite de la ville renouvelée tient aussi à la maîtrise de la croissance urbaine périphérique. D’ici 2015 l’accroissement de nouveaux logements devrait se faire pour un tiers seulement au profit du périurbain et deux tiers à celui de la ville renouvelée, c’est-à-dire dans des proportions inverses à celles du mouvement constaté jusqu’à présent.

30Enfin, le renouvellement urbain concerne deux sites emblématiques de la métropole, la zone de l’Union, entre Roubaix et Tourcoing et Euratechnologies à Lille-Lomme. Dans les deux cas les enjeux sont d’importance. La question posée est celle de la gestion de deux projets de cette ampleur au sein de la métropole. Non seulement, c’est la question du financement et donc du phasage qui est posée, mais aussi celle du profil économique de chaque projet. N’y a-t-il pas risque de télescopage ? Comment se feront les arbitrages ?

Au-delà de la métropole, quels enjeux pour Roubaix ?

31En élargissant le champ géographique de la réflexion, d’autres enjeux à caractère métropolitain peuvent être identifiés pour Roubaix, à commencer par l’enjeu transfrontalier. Le territoire de Roubaix-Tourcoing constitue la charnière naturelle de la métropole au sens communautaire avec son prolongement belge. Tourcoing et Wattrelos, par leur adossement à la frontière peut-être plus que Roubaix, mais cette dernière est évidemment concernée. Le peuplement de la ville au XIX^e siècle forme le substrat culturel de cette problématique. Le prolongement de l’antenne sud vers l’A17 belge améliore la relation transfrontalière à l’est de la ville. Le développement de zones d’activités du côté belge représente à la fois une concurrence sur le plan économique, mais également l’opportunité d’un élargissement du bassin d’emploi dans le cadre du travail transfrontalier. Cependant, un projet de réforme de la législation fiscale appliquée en Belgique aux travailleurs frontaliers rend aujourd’hui hypothétique toute réflexion prospective sur la question. L’alourdissement de l’imposition sur le revenu qui pourrait en découler pour les travailleurs français employés en Belgique pourrait à terme remettre en cause le fonctionnement de ce marché de l’emploi particulier.

32Mais la relation transfrontalière peut prendre aussi une dimension totalement concurrentielle. C’est actuellement le cas avec le projet en phase de démarrage à Mouscron du nouveau centre commercial de nouvelle génération autour de Cora. Si l’argumentaire met en avant la reconquête de la clientèle belge qui vient en France, sa dimension confirme que l’objectif réel est bien le marché français d’une métropole d’un million d’habitants. Le fait frontalier introduit une faille dans le dispositif français de contrôle des implantations commerciales et marque les limites évidentes du schéma de développement et d’urbanisme commercial de la métropole. Cela n’est pas sans conséquence pour Roubaix qui a bâti son projet de renouvellement urbain sur la reconquête commerciale du centre. L’ouverture de plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés à quelques minutes de la Grand-rue pourrait avoir un effet déstabilisant pour la ville.

33En élargissant le cercle géographique, c’est ensuite la question du positionnement de Roubaix au sein de l’aire métropolitaine, c’est-à-dire du vaste système métropolitain en réseau articulé à la métropole lilloise, qui inclut, outre le versant belge évoqué ci-dessus, l’ancien bassin minier. L’aire métropolitaine constitue le cœur d’un ensemble plus vaste, la région urbaine de Lille Nord-Pas-de-Calais. Après une longue période de difficultés, illustrée encore récemment par la fermeture de Métaleurop, la partie centrale de l’ancien bassin minier se repositionne dans une logique de développement. Certes, un certain nombre de limites (qualification du bassin de main-d’œuvre, adaptation à poursuivre de l’offre résidentielle, renforcement de la centralité à définir, etc.) doivent nous amener à nuancer le propos, mais le succès rencontré par des zones d’activités bien desservies par l’autoroute A1 ou la rocade minière témoigne d’un réel dynamisme. Notamment le couloir de l’A1 se révèle particulièrement attractif depuis la métro- pole lilloise. On peut même penser qu’à terme, à l’exemple de la ZAC des Bords-des-Eaux à Hénin-Beaumont, le développement de parcs d’activité tertiaires pourrait s’amplifier, eu égard à la proximité de l’espace résidentiel périurbain du sud (Mélantois) et de l’est (Pévèle) de la métropole. Un tel scénario pourrait se révéler concurrent en termes d’implantations de bureaux pour le secteur de Roubaix- Tourcoing, alors que celui-ci est déjà aujourd’hui marginalisé sur le marché métropolitain de l’immobilier d’affaires. L’amélioration de la relation entre Roubaix et l’A1 (via la A27) par la route de la Marque (Haute-Borne à Antenne sud), ou par une liaison via Willems et Baisieux, ainsi que le contournement de Lesquin le long de l’actuelle ligne TGV, peut apparaître importante pour Roubaix. Ces options sont inscrites au schéma directeur.

En guise de conclusion : les nouveaux attributs métropolitains de Roubaix

34Dans ce schéma d’une ancienne ville industrielle en mutation intégrée à un espace métropolitain complexe qui se décline à différentes échelles, le principal atout de Roubaix réside dans son urbanité redécouverte, grâce à l’émergence de la culture du projet urbain et à l’élaboration d’une stratégie inscrite dans la durée. Le renforcement de la centralité et le travail sur les espaces publics participent de cette redécouverte. Cette urbanité s’appuie aussi sur la réalité du pôle économique roubaisien, qui participe de la dynamique métropolitaine, à l’exception notable de la production de bureaux. Une politique de communication efficace a contribué au retournement de l’image de Roubaix. Cette nouvelle image est construite à partir du double héritage industriel et multiculturel. Roubaix s’affiche désormais comme ville de culture : les Archives du monde du travail, le musée d’art et d’industrie la Piscine, les Transculturelles, la Condition publique, le pôle régional de danse contemporaine, etc. Ce foisonnement a replacé la ville sur l’échiquier de l’offre culturelle métropolitaine, conférant à la ville une certaine individualité, une autonomie dans la production de son image, bref, une identité propre. En témoigne la couverture de presse sur la ville dans ce domaine depuis plusieurs années. La culture, dans toute sa diversité et son métissage, constitue en effet un attribut métropolitain essentiel. Ainsi, en quelques années, Roubaix a- t-elle renforcé sa centralité au sein de la métropole. Au-delà de l’ancien clivage entre les versants, elle s’inscrit aujourd’hui pleinement dans le dispositif d’une métropole en réseau.