1C’est à un regard quelque peu décentré sur Roubaix auquel je me livrerai ici, reposant sur un travail de thèse de science politique consacré à l’étude des processus d’institutionnalisation du pouvoir intercommunal. Cette posture se justifie d’autant mieux que de nombreux changements importants intervenus à Roubaix ces trente dernières années dans la vie politique et dans les politiques publiques − et notamment les plus récents d’entre eux comme le reclassement partisan de René Vandierendonck, maire de Roubaix − restent incompréhensibles si l’on n’intègre pas dans l’analyse l’influence croissante de l’instance intercommunale.

2Réciproquement, j’essaierai d’évaluer la contribution de Roubaix à la construction et à l’évolution de la communauté urbaine. En raison de ses handicaps socio-économiques au sein de l’agglomération, elle apparaît en effet comme l’une des communes qui aurait le plus intérêt à l’émergence d’une institution intercommunale redistributive, capable de corriger certaines des inégalités territoriales au sein de l’agglomération. Les grandes villes « pauvres1 », parce qu’elles assument l’essentiel des dépenses d’équipement et des dépenses sociales, sont celles qui pâtissent le plus d’une logique de répartition égalitaire des crédits (dite de saupoudrage).

3Roubaix a-t-elle été ce moteur attendu de l’intégration institutionnelle intercommunale ?

4Dans un premier temps (1966-1977), on observe plutôt de la part des édiles roubaisiens une volonté de ne pas perdre la main sur les affaires communales à un moment où la nouvelle institution semble en mesure de les concurrencer. Une fois la prééminence du pouvoir communal établie, ils semblent se désintéresser de l’institution communautaire.

5Dans un second temps (1977-1989) et sous l’effet de la relégation croissante de l’espace roubaisien dans l’agglomération, on assiste à l’émergence d’une revendication territoriale qui trouve sa première traduction dans la création du versant nord-est, groupe d’intérêt territorial aux contours et aux objectifs ambigus.

6Dans un troisième et dernier temps (1989-2001), à l’occasion du changement de président à la tête de la communauté urbaine de Lille (CUDL) en 1989, Roubaix semble tirer profit de sa capacité à incarner la problématique du rééquilibrage au sein de l’espace communautaire et à drainer les crédits qui vont avec. Si les élus roubaisiens ont ainsi progressivement porté la question des inégalités spatiales au sein de l’agglomération, nous montrerons néanmoins que la territorialisation de leur revendication2 − et le souci de ne pas remettre en cause la règle politique communautaire du consensus − ne permettent pas l’institutionnalisation d’une fonction redistributive de l’intercommunalité.

Le « splendide isolement » roubaisien (1966-1977)

La priorité accordée à la réassurance du pouvoir municipal

7Victor Provo fut moins défavorable que d’autres élus socialistes (comme Arthur Notebart) à la création de la communauté urbaine de Lille, à partir du moment où il apparaissait que les maires garderaient un rôle majeur dans son fonctionnement et que la présidence de la nouvelle assemblée reviendrait à un socialiste. Autrement dit, la relative bienveillance de Victor Provo, plus que d’un engouement pour la nouvelle institution, témoigne au contraire d’une certaine confiance dans la limitation de son rôle. La nouvelle institution n’apparaît jamais dans ses propos comme un instrument potentiel de rééquilibrage de l’agglomération en faveur de Roubaix, pourtant déjà touchée par la crise à cette époque. À l’instar de ses collègues maires, le maire de Roubaix semble essentiellement préoccupé par la défense de ses prérogatives communales.

8Il s’est d’ailleurs peu impliqué dans les débats autour de la définition des compétences communautaires. Il n’est plus parlementaire au moment du vote du projet de loi, ce qui a semble-t-il limité singulièrement son influence. En comparaison, René Lecocq, le maire UNR (gaulliste) de Tourcoing fut beaucoup plus présent dans les débats préalables à l’installation de la communauté urbaine. Plus hostile à la nouvelle communauté urbaine que son homologue roubaisien3, il ne se rallie au projet gouvernemental que moyennant quelques concessions à ses propositions4.

9Victor Provo privilégie ses activités au conseil général (dont il devient président en 1967) sur son implication communautaire. Son scepticisme à l’égard de la nouvelle institution se manifeste également dans sa réticence à accepter le départ pour la communauté urbaine du secrétaire général de la mairie de Roubaix depuis vingt ans. Léonce Clérambeaux devient le premier secrétaire général de la communauté urbaine, après une concurrence entre les secrétaires généraux des trois grandes villes pour obtenir le poste.

10La réaffirmation du caractère bipolaire de la communauté urbaine − qui s’appelle d’ailleurs à l’époque Communauté urbaine de Lille- Roubaix-Tourcoing et Armentières − semble offrir des garanties suffisantes contre une hégémonie lilloise. Les déclarations d’Augustin Laurent vont d’ailleurs dans ce sens, ce dernier prenant bien soin de rappeler son respect des équilibres politiques au sein de l’agglomération : « La communauté urbaine est un tout indissociable, même si elle offre la particularité d’être multipolaire » (Nord Éclair, le 30 mai 1970, cité par André Diligent, 1995). Victor Provo accepte ainsi sans difficulté lors de l’enquête publique que le siège de la CUDL soit installé à Lille, alors que certains maires, et notamment celui de Tourcoing, proposent Marcq-en-Barœul pour contrecarrer la centralité lilloise.

11André Diligent, membre MRP de la majorité municipale roubaisienne, semble dès cette époque davantage impliqué que le maire lui-même dans la constitution de la CUDL. Il intervient notamment en tant que négociateur dans la formation des premiers accords de type troisième force qui vont former la première majorité de l’assemblée communautaire, sur le modèle de celle en vigueur à Lille ou à Roubaix à la même époque. Les élus MRP des grandes villes se montrent ainsi favorables à un accord de gestion avec la SFIO, contre l’avis des élus MRP des petites communes, plus proches des partis de droite. L’élection à la présidence d’Augustin. Laurent et de Victor Provo comme premier vice-président chargé des finances, à la tête d’une assemblée dans laquelle les partis de droite semblaient pourtant majoritaires sur le papier, est donc loin d’être une divine surprise, comme certains ont pu le dire ensuite5, si l’on tient compte des accords de troisième force dans les grandes villes. Les services des renseignements généraux prédisent d’ailleurs l’élection d’Augustin Laurent, dès les premières études politiques réalisées en 1966.

12Une fois la communauté urbaine mise en place, le maire de Roubaix participe assez rapidement, à l’instar des autres maires, au processus de remunicipalisation du pouvoir intercommunal. Deux exemples suffiront pour illustrer ce propos :

• En contradiction avec la préconisation législative de fusionner les différents offices des habitations à loyer modéré (HLM), l’office de Roubaix est maintenu (comme ceux de Lille et de Tourcoing), laissant un grand rôle au maire dans la programmation des opérations et l’attribution des logements.

• Lors du débat sur la gestion des transports en commun, Victor Provo défend le maintien de la société concessionnaire roubaisienne (l’Électrique de Lille-Roubaix-Tourcoing), repoussant à plus tard l’unification du réseau et de son exploitant.

La sous-estimation de l’importance des politiques intercommunales

13Victor Provo devient vice-président chargé des finances lors du premier mandat. Cette délégation −traditionnellement centrale dans les collectivités locales −se révèle beaucoup moins décisive dans cette nouvelle institution, caractérisée par l’importance de ses prérogatives opérationnelles. Les délégations liées à l’urbanisme (détenue par Arthur Notebart) ou au transport se révèlent vite bien plus importantes pour influencer les politiques communautaires. D’autant qu’à cette époque, Victor Provo est surtout confronté à la gestion des nombreux transferts d’emprunts réalisés de manière opportuniste par les communes juste avant la création de la CUDL, limitant fortement ses marges de manœuvre. À l’occasion de certains débats, comme celui du transfert à la communauté urbaine de la maîtrise d’ouvrage pour la réalisation d’un collège d’enseignement secondaire, il se montre d’ailleurs plutôt enclin à défendre une position pragmatique − favorable aux communes − qu’à promouvoir l’intérêt communautaire. Conséquence de cette expérience ( ?), il se désinvestit sensiblement à partir 1971. Béatrice Giblin-Delvallet6 évoque son absentéisme de plus en plus fréquent aux réunions du conseil, à un moment pourtant crucial d’affirmation de l’institution communautaire. Il délègue ainsi progressivement le rôle de représentant des intérêts roubaisiens à Léonce Clérambeaux qui − après avoir été le premier secrétaire général et l’un des principaux artisans de l’installation de la communauté urbaine − devient lui-même élu communautaire et vice-président chargé des finances lors du premier mandat présidentiel d’Arthur Notebart (1971-1977). Est-ce la conséquence de ses fonctions administratives précédentes et de sa socialisation communautaire ? Toujours est-il que Léonce Clérambeaux se fera très discret sur les problèmes roubaisiens.

14Le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) approuvé en 1973, qui semblait garantir les intérêts roubaisiens dans le futur développement de la métropole en préconisant un développement nord-sud, est pourtant profondément entamé dans sa logique même par les stratégies d’aménagement de l’État. Les élus de Roubaix ne semblent pas percevoir immédiatement ces contradictions et interviennent peu dans le débat sur le développement de la ville nouvelle, à un moment où la CUDL et son nouveau président, Arthur Notebart, prennent progressivement le contrôle de l’établissement public d’aménagement de (la ville nouvelle de) Lille-Est (EPALE). Il faut attendre le départ tumultueux de Pierre Mazzolini, ingénieur des ponts-et-chaussées et directeur de la première agence d’urbanisme, pour que ces contradictions soient mises en avant. Il déclare ainsi en 1977 alors qu’il vient d’être évincé par Arthur Notebart pour ses prises de positions : « On peut dire que lorsqu’on a fait le SDAU, il y avait une intention d’équilibre entre le nord et le sud de la métropole. Et puis petit à petit, les choses ont été à vau-l’eau. On a fait l’impasse sur la possibilité de développement volontariste du secteur nord, plus encore pour Roubaix que pour Tourcoing » (cité par Diligent (A.), Lettre ouverte à Pierre Mauroy, publié à compte d’auteur, 1995).

15La collusion entre la municipalité et le patronat roubaisiens font par ailleurs obstacle au développement de stratégies industrielles ou urbanistiques innovantes7. La frilosité du pouvoir municipal s’accommode de sa discrétion au niveau intercommunal. L’essentiel des investissements communautaires à Roubaix concernent les premières rénovations de courées et quelques opérations de logements neufs, qui, pour emblématiques qu’elles soient, restent très circonscrites géographiquement (rénovation de l’îlot Édouard Anseele et ZAC de l’Alma-gare notamment).

16Les premières grandes politiques intercommunales font donc l’impasse sur les questions relatives au déclin de Roubaix et de son agglomération, sans engendrer dans un premier temps beaucoup de réactions de la part de ses élus.

La production d’une identité victimaire et d’un intérêt territorial ambigu : Roubaix et le versant nord-est (1977-1989)

La construction d’une revendication territoriale : le versant nord-est

17C’est surtout à l’approche des élections municipales de 1977 qu’André Diligent développe son discours sur l’insuffisance des politiques communautaires en direction de Roubaix et sur la nécessité d’enrayer le déclin qui frappe la ville. La perspective de réalisation prochaine de la première ligne de métro, qui ignore Roubaix et Tourcoing, a semble-t-il joué le rôle de révélateur. Roubaix commence à être présentée comme le parent pauvre de la CUDL : « Il n’y a pas d’équilibre au sein de la communauté urbaine. Lille s’accapare les plus gros morceaux. Et qu’en sera-t-il demain si se réalise ce grand Lille que la municipalité lilloise préconise ? Les autres communes seront satellisées et le déséquilibre s’accentuera8. » Ou encore, lors d’une séance du conseil de communauté de février 1977, à l’occasion du vote de la délibération entérinant la réalisation de la première ligne de métro : « Croyez que je suis navré que l’une de nos dernières séances voit peut-être notre première divergence. Je sais que c’est votre enfant, il vous est cher, vous aviez sans doute raison au moment où vous l’avez enfanté, mais le temps a passé et il serait plus logique de laisser le soin de décider au futur conseil de communauté, dont ce sera une orientation définitive. […] Je me demande s’il ne faut pas avoir un temps de réflexion à ce point de non retour que nous allons définitivement passer. […] Je constate que sur le plan de la stratégie, 1,54 milliard va être investi dans ce qui est en train de devenir la zone riche, sinon d’avenir de la métropole, alors que d’autres zones, malgré nos efforts, sont en train de devenir dans un état de clochardisation et une infime partie de cet investissement leur redonnerait une véritable vie. […] J’aurais dû peut-être vers 1974-1975 vous demander de revoir les plans. Je me dérobe à mes responsabilités. Peut-être ai-je été fasciné par votre enthousiasme. »

18Les déclarations de Pierre Mazzolini, directeur de la première agence d’urbanisme progressivement intégrée à la CUDL, donnent alors de l’écho à ces arguments : « Roubaix est l’une des villes les plus pénalisées, qui a versé le plus à la communauté urbaine en recevant le moins ! » Une part importante du versement transport qui finance la réalisation du métro provient en effet des entreprises du versant nord-est. Le discours développé ici évoque davantage le « Give me my money back ! » de Margaret Thatcher à l’attention de l’Union européenne que la thématique victimaire qui s’amplifiera par la suite.

19Les retards dans la réalisation de la voie rapide urbaine prévue pour relier l’agglomération roubaisienne à Lille motivent la montée en puissance des interpellations. Pierre Prouvost semble prendre timidement la mesure de ces revendications en créant peu après son élection l’Association des maires du versant nord-est, en décembre 1977, avec d’autres maires du secteur (Tourcoing, Hem, Wattrelos). Les nombreuses victoires de la gauche aux élections municipales de 1977, si elles facilitent dans un premier temps la constitution de l’association, font obstacle ensuite à l’émergence d’un discours revendicatif en communauté urbaine, alors présidée par le socialiste Arthur Notebart. De fait, l’association concentre l’essentiel de ses critiques et ses interpellations sur l’action gouvernementale plus que sur l’institution intercommunale. Ainsi, Pierre Prouvost s’excuse presque d’intervenir lorsqu’il sort de sa réserve, comme c’est le cas lors d’une séance du conseil de communauté, le 29 avril 1980 :

20« Il est rare que j’intervienne dans les séances plénières de la communauté urbaine et c’est avec gravité que je le fais ce soir. J’étais de ceux qui ont participé à la mise en place de cette communauté urbaine, il y a une douzaine d’années maintenant, et j’ai toujours eu conscience que cette dénomination ʺcommunauté urbaineʺ signifiait mise en commun des problèmes et que jusqu’à présent, le maire de Roubaix ou le président de la Communauté urbaine a toujours voté les projets présentés par l’ensemble des communes de la communauté urbaine […]. Cela fait que depuis douze ans un certain nombre d’infrastructures se sont mises en place ailleurs que dans le secteur nord de la métropole, mais je n’en faisais pas un problème de hiérarchie, sinon que les problèmes au cœur de la métropole et les environs de Lille avaient priorité. […] Douze ans après, nous venons frapper au portillon9. »

21Cette période est donc marquée par l’émergence de revendications territoriales mais, en même temps, par leur difficulté à influencer le cours des politiques publiques communautaires. Les élections de 1983 représentent un tournant important. De nombreuses communes du versant passent à droite (huit sur dix dont Roubaix, Tourcoing et Hem). André Diligent devient président de l’Association des maires du versant nord-est. Les logiques partisanes qui s’opposaient jusqu’alors à la politisation de la situation du versant dans l’assemblée sont dès lors levés. André Diligent est immédiatement pressenti pour devenir le candidat de la droite et des petites communes contre Arthur Notebart. Il laisse finalement ce rôle au maire d’une petite commune. Si la droite semblait majoritaire arithmétiquement dans la nouvelle assemblée, il nous dira avoir craint le jeu des allégeances personnelles et de se trouver relégué dans l’assemblée en cas de défaite10 :

• J’ai manqué de confiance en moi. J’aurais pu prendre la communauté. Peut-être. Mais Notebart avait déjà la loge, il avait le maire de (nom de la commune), il y avait cinq ou six noms de la loge qui avaient donné leur accord, ça le faisait basculer. Dans une réunion, Demonchaux [alors président du groupe GADEC11 rassemblant les petites communes] m’avait dit : « Attention, ça va être très dur. » Et comme j’avais d’énormes problèmes avec Roubaix, j’ai eu peur de ne pas aller plus loin, peut-être.

• Et vous auriez pu avoir la majorité ?

• On ne peut jamais savoir. Théoriquement, il y avait une minorité de gauche mais avec le GADEC, avec les maçons, etc. »

22En évitant l’affrontement, il récupère la deuxième vice-présidence, avec des responsabilités importantes en matière de logement. La courte campagne pour l’élection du président de la communauté urbaine est également marquée, pour la première fois, par la reconnaissance de la situation particulière des communes du versant et des déclarations d’intention du président Arthur Notebart obligé de donner des gages.

À la recherche d’indicateurs objectifs du déséquilibre

23À partir de 1983, le changement de majorité des communes du versant nord-est et la coïncidence inédite entre la majorité gouvernementale et communautaire (de gauche) libère les revendications des élus du versant sur ces deux fronts, national et local, favorisant la construction conflictuelle d’un intérêt commun. Les membres socialistes de l’association n’ont dès lors plus le choix qu’entre une prise de distances avec l’association (comme le maire de Wattrelos) ou avec le parti socialiste (comme le maire de Wasquehal). Soulignons au passage une situation paradoxale — qui démontre une nouvelle fois la prééminence des contraintes territoriales sur les contraintes idéologiques dans le métier d’élu local12 : Ce sont ici des maires de droite qui, par un effet de position, en appellent à la solidarité et à la répartition des richesses communautaires pour leurs communes.

24Lors du conseil du 23 février 1984, André Diligent présente une motion concurrente de celle défendue par Bernard Roman sur le phasage de la réalisation de ligne 2 du métro. C’est Bernard Roman qui l’emporte (par quatre-vingt voix contre cinquante-quatre) en proposant de commencer la ligne vers Lomme plutôt que vers Roubaix et Tourcoing. Cette décision exacerbe l’opposition des élus du versant nord-est à l’encontre de la politique d’Arthur Notebart. Celui-ci ne parvient à l’emporter qu’en ralliant les voix des maires des petites communes. À partir de cette décision, le discours de ce dernier sur les déséquilibres communautaires s’amplifie, faisant de Roubaix la principale victime du processus de métropolisation et de Lille et Villeneuve d’Ascq ses gagnantes. C’est le début de ce que certains nommeront la « guerre des versants ».

25Les élus du versant nord-est se mettent alors en quête d’indicateurs afin de donner du crédit à cette thématique récurrente du déséquilibre. Ils commandent ou mobilisent divers rapports à charge contre les politiques communautaires. En 1984, c’est le rapport Deprat, du nom de son principal auteur. L’Association des maires du versant nord-est confie à un expert (Wasquehalien, ce qui ne manqua pas d’être souligné par leurs adversaires) le soin de déterminer la valeur des investissements directs de l’État et de la communauté urbaine sur les quatre-vingt-sept communes. Les chiffres sont éloquents mais contestés : les investissements de la communauté urbaine de 1977 à 1983 auraient représenté en moyenne 22 413 francs par habitant et seulement 1 811 francs par habitant pour les communes du versant nord-est.

26L’occupation de la préfecture par les maires du versant nord-est, soutenus par l’opposition de droite à la communauté urbaine, marque le point d’orgue de cette stratégie de visibilisation et de politisation des problèmes de ce territoire13. André Diligent déclare à cette occasion : « Notre agglomération vit dans un état d’apartheid économique et social et aujourd’hui, nous avons été expulsés par la violence, alors que nous tentions en vain d’obtenir une réponse de Monsieur Fabius aux revendications économiques de nos 450 000 habitants oubliés depuis des années par tous les plans de soutien et de relance14. »

27On perçoit dans cet extrait, le coup de force symbolique que représente la constitution du versant nord-est comme groupe d’intérêt, aboutissant à unifier derrière une même cause un ensemble de 450 000 habitants particulièrement composite. Comment associer les habitants fortunés de Croix ou de certains quartiers de Roubaix aux populations les plus fragilisées auxquelles pense le maire, probablement plus proches sociologiquement de certains habitants des quartiers populaires de Lille ou d’Armentières ? Ces limites ne tardent d’ailleurs pas à s’exprimer dans des conflits entre les élus du versant nord-est, minorant leur capacité à parler d’une seule voix et à jouer de leur influence.

Un groupe de pression en panne d’influence

28L’hétérogénéité de la situation économique et sociale des communes du versant nord-est représente un obstacle à leur mobilisation collective et à la prise en compte de leurs revendications. Certaines, comme Wasquehal ou Leers, bénéficient pleinement de la politique d’aide à l’installation des entreprises sans être autant en difficulté que Roubaix ou Tourcoing.

29Les conflits qui surviennent autour de projets d’aménagement ou d’implantation d’entreprises traduisent également la difficulté de faire exister cet ensemble : le tracé de la voie rapide urbaine ou encore l’implantation de l’école de police sont autant d’enjeux disputés entre Roubaix et Tourcoing. L’implantation de l’usine Bull, en 1985, exacerbe les tensions. Après une concurrence entre Roubaix et Wasquehal pour accueillir l’entreprise, celle-ci choisit finalement de s’installer à Villeneuve d’Ascq, sur une proposition de la commune. La création du Syndicat intercommunal de l’agglomération roubaisienne (SIAR), censée pallier les risques de concurrence en favorisant la péréquation des ressources fiscales, se réalise sans Tourcoing qui préfère constituer un syndicat économique avec des communes de son agglomération.

30Les difficultés d’affirmation du versant nord-est au sein de la CUDL sont également liées au poids politique croissant des petites communes, clientèle privilégiée d’Arthur Notebart. La position d’André Diligent à leur égard n’est d’ailleurs pas sans ambiguïtés : « Notre communauté urbaine ne peut fonctionner que sur le modèle d’une fédération, associant toutes les communes et leurs maires, en dehors de tout clivage politique. Elle n’a pas été instituée pour défendre les intérêts des partis, mais ceux des communes et de leurs habitants15. » Comment renforcer à la fois les petites communes périurbaines plutôt riches et confrontées à de faibles dépenses et celles du versant nord-est qui doivent faire face à de nombreuses difficultés et à un besoin croissant de ressources et d’équipements ? André Diligent développe un discours œcuménique qui sous-estime les conflits d’intérêts entre ces communes, que le vote sur le parcours du métro ou le rejet de la prise de compétence logement en 1983 ont pourtant démontrés. Cette absence de prise en compte de l’économie politique et institutionnelle de l’intercommunalité le conduit dès lors à ne pouvoir expliquer le déficit de politiques communautaires en direction du versant nord-est que comme la manifestation d’un manque de volonté des présidents successifs de la CUDL (le titre de son pamphlet : « lettre à Pierre Mauroy » est significatif de cette personnalisation). Jamais ne sont évoqués les effets du consensus communautaire qui réduit l’espace des possibles en matière de politiques publiques à un « jeu à somme positive », dans lequel nulle commune ne peut être perdante ou ne doit donner plus que ce qu’elle reçoit. C’est pourtant cette règle du jeu implicite qui est au fondement de la faible capacité redistributive des politiques intercommunales.

31La fin tumultueuse du dernier mandat d’Arthur Notebart voit son système de régulation s’effondrer, alors qu’il perd ses derniers soutiens, élus socialistes des grandes villes et maires des petites communes. Ce contexte de remise en cause de son leadership est l’occasion de renégocier l’économie politique du consensus. Les élus socialistes dissidents recherchent dès lors de nouveaux soutiens pour constituer une majorité de remplacement. Ils les trouvent en particulier chez les élus du versant nord-est, prêts à négocier leur ralliement à Pierre Mauroy contre certaines compensations significatives pour leur territoire.

Roubaix, synecdoque des politiques de solidarité communautaires (1990-2002)

Troc politique et investissement de l’institution intercommunale

32À l’occasion de la remise en cause de l’autorité d’Arthur Notebart, André Diligent entre en contact avec Pierre Mauroy et son représentant Bernard Roman pour envisager les conditions politiques de sa succession. Ces négociations aboutissent à la formation d’une charte, dite des « grands maires », dans laquelle les principaux maires de la CUDL se mettent d’accord pour soutenir la candidature de Pierre Mauroy, dans la mesure où celui-ci s’engage à réaliser un certain nombre de grands équipements mis en suspens lors du mandat précédent. Pour Roubaix, ce sera l’Eurotéléport mais surtout la promesse de l’achèvement rapide de la ligne 2 du métro. La communauté urbaine accordera par ailleurs une dotation spéciale de 350 millions de francs sur cinq ans aux communes de Roubaix, Tourcoing, Hem et Wattrelos. Alors qu’il est interpellé par Arthur Notebart sur ses contacts avec d’autres élus, André Diligent ne fait guère mystère de ses intentions et du troc politique qui les motive : « Quand vous dites "des contacts avec d’autres", j’aimerais que vous précisiez ce que cela veut dire. J’ai toujours répondu : "Je défends ma ville, un point c’est tout." Si l’un m’apporte sa contribution, je dis d’accord ; si l’autre m’apporte sa contribution, je dis également d’accord, quelle que soit sa couleur, je m’en fous16. »

33Pierre Mauroy entend rompre avec son prédécesseur et placer son mandat sous les auspices du rééquilibrage communautaire. La fin de la guerre des versants est proclamée. La participation du maire de Roubaix à l’exécutif permet de mettre en sourdine le discours victimaire (stigmatisé comme misérabiliste) qui jure avec la nouvelle communication de la communauté urbaine, insistant sur le rayonnement de la métropole et sur son nouveau visage européen et tertiaire.

34Contrairement à ce qui fut souvent avancé, le changement de président de 1989 n’a donc rien d’une affirmation de l’institution communautaire en tant que telle. C’est même l’inverse qui se produit : le renversement du « roi Arthur », permet de surmonter l’obstacle croissant que représentait son autonomie et autocratie à la réalisation des grands projets des maires. Le programme pluriannuel d’investissement mis au point par Bernard Roman recense l’ensemble des projets des municipalités et étale leur réalisation et leur financement sur la durée du mandat. On est donc bien loin d’une affirmation de la communauté comme productrice de normes d’action publiques autonomes puisque tous ces projets trouvent leur origine dans l’initiative des communes. La CUDL est appelée à financer des projets qui ont été façonnés en dehors d’elle. La multiplication des réalisations et le développement de la capacité d’investissement de la CUDL ne doivent donc pas faire illusion17. La création de quatre secteurs en matière de politiques foncières – placés sous la coupe des grands élus de ces territoires – relativise d’ailleurs largement ce discours de l’affirmation de l’institution communautaire. Cette segmentation d’une compétence communautaire sera d’ailleurs vivement dénoncée par la Chambre régionale des comptes lors de son contrôle sur la communauté urbaine à la fin des années 1990.

35Si André Diligent est impliqué dans l’accord des grands maires, c’est surtout son directeur de cabinet d’alors, René Vandierendonck qui fait le lien avec Bernard Roman. Ils font tous les deux partie de cette nouvelle génération d’élus, dotés de dispositions plus techniciennes que leurs mentors, qui les amènent à investir la communauté urbaine par ses politiques publiques. René Vandierendonck se voit ainsi chargé des politiques contractuelles et de la préparation du contrat d’agglomération, document transversal dans lequel sont notamment abordées les problématiques de rééquilibrage. Cette délégation transversale lui permet de se familiariser avec le fonctionnement de l’institution communautaire. Parallèlement à cet investissement politique, la ville de Roubaix renforce ses services techniques et se dote d’une capacité d’expertise accrue face aux services de l’État et de la communauté urbaine. Résultat de ce travail préparatoire et d’un contexte politique favorable, l’influence communautaire de René Vandierendonck culmine lors du mandat 1995-2001.

Roubaix vaut bien une messe…

36À l’issue du premier mandat de Pierre Mauroy, Roubaix semble avoir profité du nouvel équilibre politique communautaire, mais sans se distinguer réellement en cela de l’ensemble des communes qui ont cherché à tirer leur épingle du jeu au moment de la négociation du programme pluriannuel d’investissement, consécutif à la charte des grands maires. C’est à l’occasion du second mandat de Pierre Mauroy que l’influence du maire de Roubaix touche à son apogée, lui permettant d’influer sur la prise en compte de certaines politiques en direction de sa ville (politique dite de « ville renouvelée », volet roubaisien du Grand projet urbain ou encore rénovation du centre-ville dans laquelle la CUDL investit au total près de 200 millions de francs). Plusieurs raisons différentes convergent à cette époque pour renforcer la position du nouveau maire de Roubaix. Juste avant les élections municipales de 1995, André Diligent fait adopter un amendement au Sénat qui garantit à chaque commune au moins un représentant au sein des conseils intercommunaux. Cette disposition fait passer le nombre de conseillers de cent quarante à cent cinquante-cinq. Cet amendement a un double effet, plus ou moins recherché par son auteur, défavorable à long terme au maire de Roubaix mais profitable à court terme. D’abord, en accroissant la représentation des petites communes, il affaiblit le poids relatif de Roubaix au sein du conseil, qui plus est, au profit de communes dont les intérêts en matière de politiques publiques s’opposent souvent à ceux des grandes villes. Cependant, à court terme, cet amendement augmente l’incertitude autour de l’élection de Pierre Mauroy (alors opposé à Marc-Philippe Daubresse, candidat de la droite) et accroît le prix et l’importance du soutien roubaisien.

37René Vandierendonck tire profit lors de ce second mandat de sa position de soutien inattendu de Pierre Mauroy, jouant un rôle décisif dans la formation d’une majorité intercommunale consensuelle et accréditant l’idée d’un nécessaire dépassement des clivages. L’euphémisation du discours victimaire offre une image pacifiée de la CUDL qui sied pleinement à son président et accrédite son image de rassembleur.

38Par son expérience de négociateur lors de la charte des grands maires et de vice-président lors du précédent mandat, le nouveau maire de Roubaix a pu largement mesurer l’importance des ressources intercommunales pour la réalisation de politiques urbaines en direction de sa commune. Il ne se contente donc plus d’entretenir un rapport de forces politique (comme le faisait son prédécesseur) mais s’implique plus directement dans la construction des politiques communautaires. Son investissement intercommunal aboutit ainsi à la mise à l’agenda de la politique dite de « ville renouvelée » (il est d’ailleurs le premier vice-président en charge de cette délégation) destinée à accélérer la réhabilitation des quartiers industriels en déshérence et à limiter le développement urbain périphérique.

39En parallèle avec cet investissement politique, les services municipaux roubaisiens18 se renforcent, ce qui leur permet d’alimenter le maire en expertise et en projets opposables aux services communautaires. L’épisode de l’aménagement de la Grand place de Roubaix est emblématique de cette tentative d’émancipation. Soucieuse d’accélérer le projet de rénovation de son centre et d’en maîtriser le contenu, la commune court-circuite la communauté urbaine en lançant elle-même une étude préalable faisant appel aux services d’un architecte parisien. Cette initiative entraîne un conflit avec les services communautaires mais aboutit néanmoins à la réalisation d’un aménagement largement inspiré par l’étude de la ville.

40Sur de nombreux dossiers, la municipalité devient ainsi l’une des seules capables de produire une contre-expertise face à celle des services communautaires. Cette compétence particulière de la ville est largement reconnue en communauté et parfois dénoncée à demi-mot. Les propos d’un fonctionnaire du service d’urbanisme recueillis lors d’un entretien dans le cadre de notre thèse traduisent bien cette place croissante de la municipalité, résultat de son affirmation conjointement politique et technique : « On ne dit pas à la ville de Roubaix ce qu’il faut faire, c’est eux qui nous le disent ! »

41Cet investissement communautaire du maire de Roubaix se traduit également par son intégration de plus en plus grande à l’exécutif et par une proximité croissante avec le président. Son positionnement politique évolue en conséquence : soutien au candidat de gauche plurielle Guy Hascoët lors des élections législatives de 1997, présence sur la liste de gauche plurielle aux élections régionales de 1998, déclarations favorables à la fusion des communes de Lille et de Lomme en 1999. Ce reclassement progressif trouve sa concrétisation lors de l’élection municipale de 2001, le maire constituant une liste de gauche plurielle. Ce dernier épisode résulte d’une conversion politique qui trouve largement son origine dans son investissement communautaire.

42Ce reclassement n’est pas sans susciter certains reproches, notamment chez son prédécesseur André Diligent et une partie de son ancienne majorité municipale, qui l’accusent d’avoir fait fi de la dimension bipolaire de la métropole et d’avoir bradé l’autonomie roubaisienne. La position privilégiée du maire de Roubaix dans la configuration politique communautaire et les crédits importants glanés par sa ville attisent également les revendications des autres élus du versant nord-est qui s’estiment moins bien traités19. À l’issue de cette période, on assiste donc à un étonnant retournement de situation par lequel la ville de Roubaix, ancien parent pauvre de la communauté urbaine, apparaîtrait presque aux yeux de certains comme son enfant gâté.

Le consensus intercommunal, obstacle à l’institutionnalisation d’une politique de rééquilibrage

43L’affirmation croissante de Roubaix comme cible privilégiée des politiques de solidarité communautaire s’est faite sans réelle politisation de la question des inégalités territoriales au sein de l’instance intercommunale et résulte davantage de la position-charnière de ses élus dans les équilibres politiques communautaires. Jusqu’à un certain point, on peut même avancer que les politiques emblématiques en direction du versant nord-est, et de Roubaix en particulier, ont permis à la communauté urbaine de faire l’économie d’une réflexion plus générale sur les critères d’allocation de ses ressources et sur une politique de résorption des inégalités.

44L’élaboration récente de la dotation de solidarité communautaire (DSC) illustre parfaitement ce phénomène. Les critères retenus pour définir la répartition de cette dotation entre les communes sont tellement variés et contradictoires que toutes les communes y sont éligibles, réduisant sensiblement la portée correctrice initiale de ce dispositif. Au bout du compte – et pour autant qu’il soit possible d’en juger deux ans après son entrée en application – le transfert de la taxe professionnelle n’a donc pas sensiblement contribué à réduire les difficultés financières des grandes communes, confrontées aux principales dépenses sociales et d’équipement malgré des recettes ménages souvent faibles20. Certaines politiques volontaristes (comme la politique de ville renouvelée) sont confrontées à la dissolution de leurs effets dans la mesure où l’élargissement des critères d’éligibilité multiplie les projets recevables. Certaines politiques dites de projet ressemblent désormais fortement aux anciennes politiques dites de guichet, tant les projets retenus sont nombreux et peu hiérarchisés. On observe également combien ces politiques pâtissent de la difficulté à faire respecter certaines prescriptions indispensables à leur réussite, comme la limitation de la construction neuve périurbaine, quand elles heurtent de front les projets de certains maires21. Le report permanent de la prise de compétence habitat jusqu’à aujourd’hui est également emblématique des effets du consensus. Toutes les tentatives en la matière se sont pour l’instant soldées par des échecs face à la résistance des maires des petites communes, réticents à se faire déposséder de la maîtrise du peuplement social sur leur territoire. Le transfert de compétence a minima qui s’annonce, à la suite des dernières incitations législatives, ne changera pas grand-chose à cette situation puisque les maires conserveront l’essentiel de leurs prérogatives en matière d’implantation et d’attribution de logements.

45La gestion consensuelle et collégiale de la communauté urbaine fait obstacle à la politisation de la question des déséquilibres en son sein et s’oppose à l’émergence de normes d’action publique ou de critères de répartition des crédits fondés sur les inégalités de situation entre communes. L’accord de gestion passé à l’issue des élections municipales de 2001 entre Marc-Philippe Daubresse (UMP) et Pierre Mauroy et la nécessité induite de ne pas aller à l’encontre des intérêts des communes périurbaines représentent un frein certain à toute ambition correctrice de l’intercommunalité. Ici comme ailleurs, la recherche du plus petit dénominateur commun favorise souvent les politiques les moins ambitieuses et les moins transformatrices22.

46À la différence d’André Diligent, René Vandierendonck s’affirme favorable à un renforcement de l’institution intercommunale par rapport aux communes et à l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, condition minimale mais pas suffisante à son autonomisation politique : « Je me bats pour Roubaix, tout en pensant que je suis, au sens actuel du terme, l’un des derniers maires de Roubaix. Je suis persuadé que plus il y aura de métropole, mieux Roubaix se portera […]. À terme, nous serons tous de Lille Métropole23. » Ce discours se révèle néanmoins difficile à tenir sur le plan municipal, où le maire reste contraint de se présenter comme le meilleur défenseur des intérêts roubaisiens en communauté. Lors de l’élection 2001, René Vandierendonck euphémisa sensiblement son discours intégrationniste, confronté aux critiques de ses adversaires sur ce point24.

47La faible institutionnalisation de règles ou des normes redistributives aboutit pourtant à rendre l’influence roubaisienne fragile et contingente. La dépréciation des ressources intercommunales du maire lors du mandat en cours – constatée par les fonctionnaires communautaires et par certains élus rencontrés – en témoigne. En 1995, le poids du maire de Roubaix était lié à l’incertitude de son positionnement dans un contexte d’affrontement pour l’élection du président. Non acquis d’avance, son soutien à Pierre Mauroy devenait négociable. Paradoxalement, son influence dans la communauté urbaine semble avoir plutôt pâti de son ralliement au parti socialiste après les dernières élections (mais pouvait-il faire autrement ?), rendant sa défection moins probable. Le paradoxe de la recherche du consensus dans la communauté urbaine, c’est qu’elle donne plus de ressources de négociation aux opposants potentiels qu’aux soutiens indéfectibles.

Conclusion

48Trois types de postures ont été adoptés successivement par les maires de Roubaix à l’égard de la communauté urbaine, depuis sa création en 1968 :

1. une posture défensive puis de prise de distance, une fois le de l’autonomie municipale acquis ;

2. une posture revendicative de la fin des années 1970 aux années 1980, à mesure qu’apparaissaient de plus en plus flagrants les déséquilibres de développement au sein de l’agglomération et la dynamique récessive du territoire roubaisien ;

3. une stratégie d’intégration communautaire opportuniste dans la période plus récente, entamée par André Diligent et consacrée par son successeur, s’immisçant davantage dans les rouages opérationnels de l’institution pour faire avancer les dossiers roubaisiens.

49Il reste donc une seule partition que les élus roubaisiens n’ont pas encore jouée, en dépit des tentatives du maire lors du précédent mandat : celle de la déterritorialisation et de la politisation de la question des inégalités sociales et spatiales au sein de la communauté urbaine, qui passe par l’affirmation de l’autonomie politique de celle-ci vis-à-vis des communes et par la remise en cause de la gestion collégiale et corporative de l’institution. C’est pourtant la seule susceptible d’aboutir à une institutionnalisation des mécanismes de péréquation et de discrimination positive territoriale pour lesquels l’intercommunalité a été conçue.