« L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait » Georges Bernanos.

1La transformation urbaine et les mutations sociales de la ville de Roubaix sont passionnantes car il s’agit toujours de situations fortes, difficiles et particulières dans le contexte local et régional et plus encore dans le contexte national. Leurs acteurs s’impliquent avec passion sur un terreau humain riche de diversité, de complexité mais aussi de pauvreté et de misère.

2Roubaix ne laisse pas indifférent ni ceux qui y vivent, ni ceux qui en ont la charge d’une manière ou d’une autre, ni ceux qui apportent des contributions, ni non plus les autres qui y passent ou qui en ont entendu parler. Quel que soit l’interlocuteur qui connaisse un tant soit peu la ville, il ne peut être que frappé par le ton et l’accent employés : il est fort rare que ceux-ci soient neutres ou détachés. On entend presque toujours, dès que l’interlocuteur a dépassé le stade des clichés, une gravité, une profondeur, une sensibilité, voire une forme d’attachement.

3L’histoire récente est toujours difficile à écrire et puis sans doute est-ce un peu vain. Il faut du temps, du recul et le travail patient des historiens. Pour autant, le temps passe et les traces, du moins certaines d’entre elles, de la ville en train de se faire peuvent s’estomper sinon s’effacer. Il n’est donc jamais inutile de laisser quelques pierres, quelques modestes repères.

4C’est dans cet esprit que se situe cette contribution, celle d’un témoin, d’un acteur mais aussi celle d’un acteur décalé, dans la mesure où son rôle relève plus de l’analyse, du conseil, de la suggestion, de la perspective que de l’action directe. Il est aussi décalé parce qu’impliqué sensiblement, au-delà du professionnel, dans le défi roubaisien. Le témoin est décalé enfin, parce qu’il a été de passage, une dizaine d’années au cours de la décennie 1990.

5Le parti pris de cette contribution sera donc, après quelques années, d’apporter un écho, l’écho d’un passage, celui de la « ville secourue à la ville renouvelée », un écho d’une dynamique de transformation et de mutation qui se cherche. Dans cette perspective, l’ambition ne sera pas celle de la description factuelle d’une évolution, mais celle d’une recherche de compréhension sur un moment particulier de l’histoire urbaine d’une ville qui constitue, peut-être, une inflexion dans le cours de sa transformation.

Quelle appréhension de la ville au début des années 1990 ?

6Mon bagage provenait de l’expérience et de la pratique acquises par l’étude de la Lorraine, qui présente quelques similitudes avec le Nord Pas-de-Calais, notamment la région urbaine de Lille. Dans les deux cas, les activités industrielles à forte main-d’œuvre (mines de fer et de charbon, sidérurgie, industries textiles) se sont fortement développées dans l’après-guerre1, mais sont entrées, depuis la fin des années soixante, dans une longue phase de mutation, de restructuration et de reconversion se traduisant par des diminutions drastiques d’effectifs, mais aussi par des formes et des types d’habitat et de vie sociale particuliers. Si, bien sûr, des différences notables distinguent l’histoire économique, sociale et urbaine des deux régions, les caractéristiques communes ne sont pas négligeables et facilitent la compréhension réciproque.

7Mon bagage était aussi celui de tout professionnel de l’aménagement et de l’urbanisme de l’époque : quelques colloques ou rencontres, notamment au début des années 1980, où il était rituel de passer à Roubaix pour apercevoir les courées et surtout pour visiter la réalisation de l’opération de l’Alma-gare (avec parfois une incursion dans la ville nouvelle Villeneuve d’Ascq et un passage sur le chantier du métro). On acquérait aussi quelques connaissances à l’aide des mallettes fournies. On apprenait notamment que, schématiquement, la métropole allait bénéficier d’un formidable repositionnement grâce au TGV (ouverture en juin 1993) et au tunnel sous la Manche (au cœur d’une partie de la fameuse banane bleue). L’essentiel des restructurations industrielles était alors derrière nous et la région allait bénéficier du phénomène de métropolisation dont on nous parlait beaucoup ; elle pouvait et devait devenir une métropole d’échelle européenne et de caractère international. C’est dans cette perspective qu’elle a lancé une grande opération d’urbanisme : Euralille, sur la gare TGV, « future turbine tertiaire » de la métropole, selon l’expression favorite de Pierre Mauroy. En outre, on nous précisait que la donne politique locale avait évolué : le « roi Arthur » (Arthur Notebart), président de la communauté urbaine et grand défenseur des petites communes était remplacé par Pierre Mauroy, maire de Lille, dans le cadre d’un accord entre les grandes communes (Lille, Roubaix, Tourcoing, Villeneuve d’Ascq). Dans cette perspective, les choses bougent dans la métropole : floraison d’investigations et d’études (État, CCI, etc.), re-création d’une agence d’urbanisme, lancement d’un schéma directeur de développement, d’aménagement et d’urbanisme pour l’arrondissement de Lille, lancement de différentes investigations sur l’habitat, développement économique, environnement.

8Dans la mallette qu’on aurait pu appeler « politique de la ville », on découvre des états de la situation régulièrement inquiétants où (presque) tous les indicateurs sont au rouge, des descriptions de territoires particulièrement marqués à Roubaix mais aussi dans d’autres communes (Tourcoing, Wattrelos, Lille, Hem, Croix, etc.) et un ensemble impressionnant de démarches et procédures associant plus ou moins l’État, la communauté urbaine, les communes, le conseil général, le conseil régional, la chambre de commerce, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), le Fonds d’action sociale (FAS), etc. Le maire de Roubaix a comptabilisé, à l’époque, une cinquantaine de procédures contractuelles. On y découvre aussi un investissement fort important dans l’accompagnement social et, pour un peu, presque un calme social, du moins si l’on prend en compte l’importance des situations de pauvreté, de précarité, voire de misère, si l’on prend en compte également les problèmes ethniques (beaucoup de nationalités différentes et une forte présence maghrébine, issue notamment de l’appel de main-d’œuvre des industries textiles dans la période 1950-1960). On y entend également des échos parfois désespérés sinon pathétiques d’André Diligent, maire de Roubaix et président actif du Comité interministériel des villes, les préoccupations de bien des élus de l’agglomération, conscients du soutien qu’il fallait donner à ces territoires en difficulté mais craignant que les efforts consentis, ou du moins une partie d’entre eux, se perdent comme dans une chaussette percée.

9On ne peut s’arrêter, bien sûr, à cette prise de connaissance : données statistiques, études, rapports, bilan d’actions, recommandations sont des apports importants mais ils n’expliquent pas tout, ils ne donnent pas toutes les clefs pour comprendre ces territoires, ces situations qui étonnent et dérangent en cette fin de XX^e siècle. Au-delà des analyses enrichissantes de tous ces apports, il faut aller plus loin dans notre point de vue : marcher, arpenter, circuler dans ces territoires déqualifiés, marqués, sentir et ressentir la vie qui s’y déroule, cerner et discerner les enfermements, les ouvertures, etc. Il faut aller plus loin aussi pour comprendre : interroger, discuter, échanger avec des personnes-ressources (à cet égard René Vandierendonck, à l’époque premier adjoint au maire de Roubaix et Bertrand Delannoy, à l’époque directeur de la SEM du Versant nord-est, ont été à la fois des initiateurs précieux et des garanties utiles à mes questionnements). Ce mûrissement local s’est avéré indispensable pour comprendre les évolutions, les processus, les spirales négatives qui s’enchaînent.

Quel essai de compréhension ?

10Sans prétention mais simplement pour donner quelques jalons, il faut mentionner quelques héritages particulièrement pesants :

• La crise des activités industrielles et essentiellement du textile, industrie de main-d’œuvre est une crise durable, longue, qui n’est pas achevée au début des années 1990, qui laisse un chômage croissant et nombre de friches. Pour autant, la ville reste active, industrieuse, des reconversions sont conduites (textile technique, VPC, distribution) mais induisent des écarts importants en termes d’effectifs et de qualifications.
• L’héritage résidentiel et urbain est particulièrement lourd : des centaines de courées, un habitat ancien pour partie aux limites de la salubrité, des îlots en friche, sur certains quartiers des espaces qu’on dirait dévastés, de nombreuses coupures urbaines, etc. Photographes, cameramen et reporters trouvent ici, les soirs pluvieux de novembre, dans les rues pavées et luisantes d’une lumière blafarde, le cadre idéal pour montrer toute la misère du monde.
• Les résultats des grandes politiques d’aménagement sur la métropole : schématiquement, on n’a pas pu ou pas su prévoir, anticiper, accompagner un certain nombre d’évolutions. À la fin des Trente Glorieuses, dans un contexte où le périurbain est relativement facile d’accès et tente plus d’un ménage, on a édifié rapidement et efficacement une ville nouvelle, Villeneuve d’Ascq, alors même que les activités de main-d’œuvre étaient en pleine crise, que la poussée démographique disparaissait. Comme, dans le même temps, on était dans l’incapacité de pouvoir (ou de vouloir) requalifier tout cet héritage résidentiel et urbain, il s’est produit un formidable effet de vases communicants : en une dizaine d’années, une bonne partie des classes moyennes (actives par ailleurs dans la vie locale et associative) a quitté ces territoires en voie de déqualification, ce qui les a dévalorisés encore davantage.
• Une difficulté à conduire une politique locale de développement et d’aménagement compte tenu d’antagonismes, de blocages mal maîtrisés dont une des manifestations les plus marquantes a été l’incapacité de mettre en œuvre une première ligne de métro sur le grand axe Lille-Roubaix-Tourcoing.

11Ces héritages – et d’autres – expliquent assez largement le long processus qui, à partir des années 1970, ont conduit des franges très importantes de ce qu’on appelait à l’époque le « versant nord-est » à entrer durablement dans une spirale négative, dans une dévalorisation urbaine, dans un marquage accentué.

La ville secourue

12Est-ce à dire que dans cette période on ne fit rien ? Non, tant s’en faut.

13À cet égard, il ne faut jamais oublier quand on travaille sur cette région, sur cette agglomération et notamment sur Roubaix, qu’une longue histoire sociale et urbaine est à prendre en compte. Elle est évoquée ailleurs dans cet ouvrage.

14Avec le double héritage de l’humanisme chrétien et de l’humanisme laïc, l’esprit militant et l’esprit associatif sont restés présents. Tant bien que mal, à différentes échelles (agglomération, commune, quartier), à différents niveaux (municipalités, administrations, associations, etc.) et sous différentes formes, des actions, opérations et expériences ont été tentées et se sont développées pour améliorer la vie quotidienne, pour aider les personnes en situation de précarité, pour accompagner les entreprises de réhabilitation, pour réduire les antagonismes entre les différentes populations.

15Par ailleurs, les politiques nationales des territoires en déqualification ou en faveur des populations en difficulté se sont développées sous différentes formes ; des collectivités territoriales s’y sont associées. Elles ont été recherchées, appliquées et mises en œuvre sur le territoire de Roubaix, non sans difficultés car les spécificités locales n’en rendaient pas l’application facile. La communauté urbaine s’est aussi investie dans l’habitat (RHI, etc.).

16Dans la décennie des années 1980, une incontestable mobilisation et une somme d’efforts sont venues au secours d’une ville qui dépérissait (la baisse de la présence des commerces est alors impressionnante) et se tendait sous l’effet des contrastes avec d’autres secteurs de la métropole. La mobilisation humaine, sous de multiples formes d’aide et d’accompagnement, est tangible et apporte des pansements bien utiles et des secours d’urgence qui retardent et limitent les maux.

17Pour autant, les remèdes sont-ils suffisants ? Les constats sur le terrain, les échanges entre acteurs et les données des investigations (par exemple, en vue de la préparation du contrat d’agglomération au tout début des années 1990) laissent entendre que les contrastes s’accentuent entre ces territoires et le reste de la métropole, que la situation s’aggrave.

18Certains acteurs hésitent entre fatalisme et désespoir, entre attentisme et révolte, toute une gamme de réactions qu’exprimait avec talent André Diligent.

À la recherche d’une autre approche…

19Comme nous l’avons déjà souligné, cette période des années 1990 est marquée par une forte agitation sur la métropole lilloise en termes de développement, transformation, mutation économique, sociale et urbaine. L’heure est aux leçons du passé (brièvement), aux perspectives de demain (plus longuement) et au cheminement pour passer d’un monde à l’autre (par moments).

20Le bon côté des choses, au travers de la commande du schéma directeur, du programme local de l’habitat et d’autres investigations sur le développement économique, l’environnement, etc., c’est l’ouverture de la réflexion, c’est l’apport croisé de différents regards, c’est le dialogue entre acteurs. C’est à cette époque que se crée le Comité grand Lille, qui associe notamment le monde économique et le monde politique. Jusqu’alors campés par tradition et par habitude dans leurs retranchements, ces derniers s’efforcent de chercher ensemble le moyen de développer le grand Lille dans toute la mesure du possible.

21C’est dans ce climat que se construit une cascade d’interrogations majeures. Celles-ci se nourrissent de deux prises de conscience.

22Première prise de conscience : la métropole lilloise se trouve dans une conjoncture où elle peut avoir accès à une nouvelle dynamique de développement si toutefois elle se dote d’éléments d’excellence, d’une qualité de caractère international, d’offres attractives dans toute une série de domaines : bureaux, services, habitat, cadre de vie, événements. Cela exige d’investir, de cibler des territoires, des lieux d’accroche. C’est dans cette logique que s’édifie Euralille, que sont envisagées à l’époque Eurasanté, la Haute-Borne, des grands événements symbolisés par l’idée d’une candidature aux Jeux olympiques, etc. Cette stratégie est assez largement portée.

23Seconde prise de conscience : la métropole lilloise est une métropole de contrastes certes (on se répète que l’on a le plus fort taux de RMI des grandes agglomérations et le plus fort taux d’imposés sur la fortune, on s’amuse du secteur BMW (Bondues-Marcq-en-Baroeul- Wasquehal), on s’inquiète lorsqu’on évoque l’Alma-gare ou le Cul-de-Four). Cependant, ne doit-on pas prendre toute la mesure d’une métropole dans laquelle 20 à 25 % de la population relèvent de situations de pauvreté ou de difficultés diverses, dans laquelle 30 % du territoire des grandes villes et de leur première couronne posent des problèmes de déqualification urbaine, d’espaces résidentiels et urbains dégradés, dévalorisés ? N’est-ce pas aussi une priorité que de remettre à niveau, que d’apporter à ces populations des conditions de vie décentes, des conditions d’accès au travail, à la vie sociale, aux loisirs ?

24Les interrogations qui émergent alors plus ou moins précisément sont celles-ci : cette ville à deux vitesses qui se développe, ces contrastes qui s’accentuent, cette ville précaire, fragile, souffrante, violente parfois n’est-elle pas ou ne peut-elle pas devenir un handicap pour la ville d’excellence qu’on veut bâtir, pour la ville attractive, à caractère international, dont on a besoin ? Cette difficulté à sortir une part conséquente de son territoire et plus qu’une frange de sa population du cortège des dérives sociales et urbaines n’est-elle pas le signe d’un échec ?

25C’est notamment ces interrogations qui commencent à taquiner viscéralement quelques élus et techniciens qui élaborent les démarches évoquées plus haut.

Alors, la ville renouvelée…

26C’est dans ce contexte, fin 1992, à l’occasion de synthèses sur les groupes de travail du schéma directeur que nous énonçons l’expression de « ville renouvelée », que nous commentons brièvement son fondement : face au décalage de transformation entre la ville dans le coup et la ville reléguée, face à l’épuisement progressif de tous les pansements, ne faut-il pas résolument se dire qu’il est nécessaire de renouveler beaucoup plus nettement et rapidement la ville déficiente même si elle est secourue ?

27Cette expression et son commentaire rapide accrochent quelques élus et quelques techniciens, notamment René Vandierendonck, premier adjoint au maire de Roubaix et aussi délégué aux politiques contractuelles à la communauté urbaine qui nous sollicite pour pousser la réflexion. Ceci conduit à bâtir un argumentaire, un enchaînement logique qu’il est possible de résumer ainsi.

28Un constat durable : une spirale de déqualification et de marquage social est à l’œuvre durablement dans une partie importante de la métropole. Un constat plus récent et intéressant : ces parties gravement atteintes de la métropole n’ont plus été délaissées depuis une dizaine d’années, elles ont été secourues. Mais aussi un constat actuel inquiétant : malgré une sollicitude plus forte et plus marquée, ces quartiers, ces morceaux de ville ne sortent pas ou guère des difficultés, du marquage physique et social ; la course poursuite entre les facteurs de déqualification et les efforts de revalorisation et de traitement social nous échappe ou risque de nous échapper.

29Conclusion : on ne peut en rester là pour les territoires et les populations en difficulté ; on ne doit plus trouver cela supportable ; on ne peut en rester là aussi pour l’ensemble de la métropole, la métropole européenne, la métropole d’excellence à laquelle on aspire et qui risque d’être plus que lézardée.

30Une expression qui a fait florès en son temps résume bien cet argumentaire : « Il ne suffit plus de changer les pansements, il faut penser le changement ! »

Le changement : la ville renouvelée

31Ville renouvelée : pourquoi ? Ville renouvelée, parce qu’il devient indispensable de renouveler en profondeur le tissu urbain dégradé et l’ensemble des éléments constitutifs de la ville ; ville renouvelée parce qu’il est devenu nécessaire de renforcer et de rénover le souffle de vie qui, seul, peut justifier l’existence même de la ville et faire en sorte que la ville fasse société ; ville renouvelée parce que l’ampleur du chantier, de l’entreprise de transformation économique sociale et urbaine, est telle qu’elle nécessite des moyens considérables équivalents à ceux qui ont été employés pour construire les villes nouvelles ; ville renouvelée aussi parce que cela suppose dans la durée de mener délibérément une entreprise de renouvellement des stratégies, des objectifs, des moyens, des modes de faire, ce qui se rapproche d’une révolution culturelle.

32Ville renouvelée : quoi ? Quatre thématiques majeures à forts enjeux se dégagent : donner du travail et faire accéder à l’emploi ; offrir un habitat attractif et le rendre accessible ; améliorer la qualité urbaine, les équipements et les services, le cadre de vie ; réduire la précarité, diminuer l’insécurité, enrayer les dérives, amener de l’urbanité et de la culture.

33Tout cela énoncé, débattu et testé auprès de quelques-uns, en 1993 et 1994, fut porté par quelques élus et intégré dans le schéma directeur comme l’une des grandes priorités. Il fut fortement développé et concrétisé dans un travail de fond dénommé « document fondateur », mis en œuvre en 1995-1996, déclinant principes, stratégies, thématiques, plan possible d’actions, évolution souhaitable des méthodes et des moyens.

De l’idée, de la vision, des intentions aux actes, aux mises en œuvre

34L’actualité récente nous interpelle : la France aime-t-elle le changement ? se prête-t-elle à se réformer, à se renouveler, face aux contraintes qui se précisent, aux opportunités qui se présentent et aux mutations de société qui s’opèrent, certaines bases de ses conditions de vie, de son fonctionnement, de ses garanties, de ses risques ?

35L’actualité de l’époque sur la ville renouvelée était du même ordre : au-delà du premier cercle de convaincus et de militants, les acteurs, élus et techniciens, publics et privés étaient-ils prêts à entrer dans cette logique, à la porter, à y contribuer ?

36L’appropriation par un deuxième cercle (les élus de la métropole, une partie des cadres des collectivités locales, des acteurs publics et privés) du concept, de son argumentaire, des stratégies et des objectifs qu’il implique, a été relativement assez rapide et assez marquée. Les chantres de la ville renouvelée se sont multipliés. Certains acteurs ont commencé à replacer leurs projets, leurs opérations, leurs actions dans cette perspective.

37L’adhésion de ceux qui ont, à des degrés divers, à concrétiser, à mettre en œuvre et à changer les approches, les modes de faire, les pratiques, a été beaucoup plus inégale. Il est vrai qu’au-delà d’un clivage classique entre les entreprenants, les novateurs, les ambitieux, les curieux, les passionnés et les sceptiques, les « on a déjà tout tenté », les inquiets et/ou les victimes de la confrontation aux situations particulièrement difficiles, plus d’un acteur s’est heurté aux lourdeurs des structures et à leurs faibles capacités d’adaptation, aux méfiances à l’égard de la responsabilisation, des rigidités des procédures et des pratiques.

38D’autres lectures contrastées, sinon contradictoires, recoupent ces observations. D’une part, on observe des signes tangibles d’une volonté de passage aux actes : une certaine institutionnalisation de la ville renouvelée à la communauté urbaine (vice-présidence, commission, direction) et à la ville de Roubaix ; la place accordée et les moyens apportés à l’opérateur-aménageur qui est devenu « SEM Ville renouvelée » et son investissement efficace pour tenter et pour monter des projets qui aillent dans le bon sens ; la participation à des niveaux nettement supérieurs de la communauté urbaine à des projets et à des opérations de ville renouvelée (centre-ville de Roubaix notamment) ; la mobilisation, après un temps d’adaptation, des services, notamment ceux de la ville de Roubaix ; une réactivation de toute une série de projets alors en stand-by dans le cadre d’un GPU (Grand projet urbain) en attente de pilotage (la mobilisation des partenaires dans le cadre d’un GIP-GPU, en 1997, relance ainsi activement les projets, leurs mises en œuvre, leurs réalisations).

39D’autre part, il faut relever les freins qui sont apparus au fil des jours : la communauté urbaine (certains élus, le président, des cadres) n’a pas pu et/ou n’a pas voulu aller jusqu’au bout de la logique de la ville renouvelée en termes de budget global, de mission transversale de stratégie et de projet, etc. Il est assez significatif à cet égard que le document fondateur soit resté assez confidentiel, même s’il a été la base d’appui de groupes de travail thématiques et s’il a servi de référence à bien des actions par la suite. L’État a éprouvé des difficultés, malgré des bonnes volontés évidentes, à transformer, adapter, ajuster ses démarches, procédures, règlements et contrats aux logiques reconnues pertinentes d’une série de projets et d’actions. L’ensemble des acteurs les plus impliqués ont éprouvé des difficultés ou ont hésité à passer du document fondateur à un projet d’ensemble structuré et décliné, géré en permanence (la ville de Roubaix étant la plus impliquée dans une démarche de projet). D’une certaine manière, on est passé directement de la phase de la vision, du cadre stratégique à des opérations, à des actions. Ce saut s’explique à la fois par l’urgence qu’il y avait à consommer les crédits, notamment européens, mais aussi parce que le plus simple, le moins risqué était de passer par les démarches et procédures contractuelles classiques, parce qu’aussi il existait des réticences sur le fait d’afficher et de porter des choix marqués, des engagements de moyen/long terme.

La fin des années 1997-1998, cinq ans après que l’expression « ville renouvelée » a été formulée et explicitée

40Le concept de ville renouvelée a été assez largement approprié et assimilé. Il s’est partiellement institutionnalisé, il a conduit à un certain renouvellement des projets, des modes de faire et à une mobilisation forte d’élus et de techniciens, d’acteurs publics et privés et, surtout, il a entraîné un changement d’image significatif : Roubaix est en chantier, Roubaix n’est plus ou plus seulement « le chœur des pleureuses », Roubaix est (devient) « la ville de toutes les couleurs ».

41Dans le même temps, le concept de ville renouvelée rencontre des préoccupations voisines dans d’autres lieux et surtout au plan national. Il inspire, sous le terme « renouvellement urbain », un changement net d’approche des quartiers dégradés, en difficulté, grands ensembles sociaux et quartiers anciens déqualifiés. La Caisse des dépôts et des consignations, dès 1997, est un des vecteurs de l’approche « renouvellement urbain » et la commission dite « Sueur » sur la politique de la ville en fera, en 1997-1998, une des lignes directrices de son rapport et reprendra en bonne partie les argumentaires et les préconisations émises à propos de la ville renouvelée dans la métropole lilloise. En outre, en 1999, l’État (le ministère de la Ville notamment) fait sensiblement évoluer ses démarches et ses procédures sur la politique de la ville, sur ses actions en matière d’habitat. C’est ainsi qu’il lance des démarches contractuelles avec les collectivités locales (Grand projet de ville de renouvellement urbain et Opération de renouvellement urbain). Ces démarches reprennent les attentes majeures de la ville renouvelée : renouveler plus rapidement, plus fortement les territoires dégradés et marqués, conduire des projets plus transversaux, renouveler les méthodes d’action en termes de partenariat, de direction de projets, etc.

La ville renouvelée en train de se faire

42Situons-nous en 2003, revenons à Roubaix et interrogeons-nous sur cette ville renouvelée en train de se faire.

43Il faut, bien entendu, évoquer le centre-ville, ne serait-ce que parce que, depuis le tournant du millénaire, les visites des élus et des spécialistes du monde de l’aménagement, de l’urbanisme et de l’habitat se sont multipliées, sont devenus rituelles comme ça l’ont été celles à l’Alma-gare, il y a plus de vingt ans. Tous ceux qui ont connu ce centre-ville sont frappés du renouvellement de cet espace : des facilités d’accès par le métro et le tramway rénové ; 30 000 m² de surfaces commerciales (notamment magasins d’usine et grand centre commercial) ; des équipements culturels (musée, cinéma multiplex) ; des espaces publics rénovés et de grande qualité ; des façades ravalées et colorées ; des bâtiments publics réhabilités ; des opérations d’habitat privé, etc. Sans conteste – et c’est l’avis partagé des visiteurs qui connaissaient Roubaix –, la ville renouvelée est en cours. Elle se réalise en mettant en œuvre largement les principes, les stratégies, les modes de faire qui ont été définis au départ : projet global et transversal, réinvestissement public massif et concentré, recherche immédiate de l’implication des acteurs privés, coordination très forte des projets publics et privés, accent mis sur la culture, souci de gestion du quotidien (sécurité, propreté, entretien, etc.), mobilisation des acteurs (services des collectivités locales, SEM, promoteurs, services de l’État, associations).

44Il faut ensuite mentionner l’action sur l’habitat dégradé, sur les quartiers d’habitat ancien déqualifié. La ville renouvelée est, ici, moins visible. Il faut rappeler que cet habitat est l’objet de l’attention et d’actions continues des pouvoirs publics depuis plus de vingt ans, qu’une amélioration sensible des conditions de logement a pu se faire sans que, pour autant, compte tenu de l’importance du parc déficient, cette amélioration soit suffisante et que les actions menées aient renversé les processus de dévalorisation, de marquage et les images négatives. Depuis le départ, cette question hante les acteurs de la ville, les militants de la ville renouvelée. Aux difficultés intrinsèques de cet habitat (densité, structure, vétusté) s’est ajoutée l’inadaptation de bien des mesures d’aide nationales tant par rapport aux spécificités de l’habitat local que par rapport aux situations des populations concernées, aussi bien propriétaires que locataires. Il a fallu tout l’acharnement de plusieurs acteurs et la volonté politique des élus pour que se bâtisse une démarche, la réhabilitation requalifiante, particulièrement complexe, jouant de toutes les possibilités d’aide, les ajustant et les dopant, les intégrant dans des montages complexes, mobilisant tous les acteurs possibles, s’appuyant sur une équipe de montage et d’appui permanente étoffée, performante et motivée. Ici aussi, les principes de la ville renouvelée sont pris en compte : action soutenue sinon massive, concentrée si possible dans le temps et dans l’espace, essayant de traiter globalement la réhabilitation, le renouvellement, la restructuration, le réaménagement urbain, le réinvestissement du privé, etc. Les résultats de cette mobilisation sont nécessairement longs à venir ; les objectifs mettent du temps à être atteints. Les premières réalisations devaient être atteintes en 2004. La nécessaire ambition, maintenant que la machine est en route, est d’arriver à ce que cette action soit visible, perceptible, que se développent des points d’accroche et de focalisation qui montrent une transformation significative, porteuse d’un changement d’image.

45Sur l’habitat, la ville renouvelée, c’est aussi l’expérience concertée et les risques partagés entre public et privé, pour offrir un habitat de qualité, individuel et innovant. L’expérience en cours sur Roubaix (et tentée aussi sur Lille et Tourcoing) veut montrer le mouvement, rendre possible ce qui n’était plus imaginable.

46Au-delà de ces axes forts et plus que symboliques de la ville renouvelée, il faut aussi évoquer d’autres volets de l’action locale qui contribuent à la démarche de ville renouvelée. Sans s’y attarder, il est essentiel de mentionner un volet de politiques et d’actions visant à se (re)donner des capacités économiques et à assurer l’insertion ou la réinsertion professionnelle. (À Roubaix, il y a toujours plus d’emplois que de population active résidente, et cependant les taux de chômage y sont très élevés.) Il est essentiel aussi de souligner les enjeux éducatifs, culturels et interculturels dans une ville où beaucoup de cultures se côtoient. À cet égard, on notera que la ville s’est dotée d’une direction « Ville renouvelée, éducation, culture » et qu’une des actions fortes de la ville renouvelée ait été la réhabilitation de toutes les écoles.

La ville renouvelée : toujours un pari

47Au regard de ce tableau brièvement dressé sur cette mutation engagée, de cette entreprise de transformation économique, sociale et urbaine qui a engagé toute une série de chantiers, le travail amorcé a posé des jalons significatifs d’une mutation assez fondamentale. Mais il a encore un long chemin à faire. Les défis sont toujours là et quelques pentes ardues sont encore à franchir pour gagner le pari.

48Le centre-ville, avec toutes ses fonctions d’échange et ses fonctions commerciales, ses atouts patrimoniaux et culturels, est digne d’une ville de dix mille habitants, d’un pôle de quatre cent mille habitants, d’une métropole plus que millionnaire. Le pari, c’est d’être un des pôles majeurs reconnus et pratiqués de la métropole, c’est de gagner une attractivité qu’on pourrait appeler naturelle, banalisée. Il semble que les fréquentations soient assez conformes aux prévisions, mais des étapes sont encore à franchir.

49L’habitat est une pierre d’angle de la ville renouvelée. Le processus de création de valeurs que l’on cherche sera effectif et durable quand un marché du logement fonctionnera, quand les investisseurs feront pression, quand de nouveaux habitants choisiront délibérément cette ville, quand les situations d’insalubrité et de déficience grave seront éradiquées. C’est le pari de la patience et de la ténacité, car il faut un seuil de qualification du cadre de vie, de changement d’image et de réputation, des perspectives de valorisation, pour que les investisseurs et les ménages extérieurs inscrivent des sites roubaisiens dans leurs choix. Tous les acteurs estiment qu’il faudra encore du temps et une reconquête patiente et résolue pour gagner ce pari. Mais une étape a été franchie.

50Le pari de l’emploi est un pari sans cesse renouvelé. Les mutations techniques et économiques des activités dominantes, les reconversions, les restructurations ont constitué des séismes à répétition et ont nourri un chômage massif et durable. Le substrat économique local et métropolitain s’est, lui, en bonne partie renouvelé. Mais il faut encore redonner l’accès aux emplois à une population non qualifiée, attentiste, pour partie décalée du monde du travail. Les miracles sont rares en la matière et on observe bien qu’il s’agit, par toute une gamme d’approches diversifiées (insertion, réinsertion, formation et aussi zones franches urbaines, etc.) de réduire pas à pas cette distorsion entre l’offre et la demande de travail qui mine encore Roubaix.

51Le pari de l’éducation et de la culture n’est pas sans lien avec le précédent. Outre qu’ils sont des éléments fondamentaux de la vie en société et de la vie en ville et que les retards accumulés sont une des causes des dérives sociales et urbaines, ils peuvent être et sont déjà à Roubaix un des éléments d’accroche, d’image, d’attractivité d’une ville qui est en mouvement et ouverte sur les cultures du monde. Des manifestations comme les Transculturelles, des projets comme ceux de la Condition publique sont mobilisateurs d’énergies locales, valorisent la ville et ses habitants, et sont attractifs. Dans ce champ aussi, le pari est durable, progressif et à nourrir en permanence.

Les heurs et malheurs de la ville renouvelée

52Peut-on mettre en exergue ce qui contribue, ce qui aide ou au contraire ce qui freine la ville renouvelée ? Autrement dit, quels sont les heurs et malheurs ? Sans doute, quelques années de plus seraient utiles pour prendre la juste mesure, mais l’évocation, chemin faisant, de quelques repères sur des obstacles et des chemins de traverse ou sur des vents favorables et des voies dégagées ne sont jamais un exercice inutile.

53Dans notre pays, lorsque les situations, les problèmes, les difficultés conduisent à innover, à changer les angles d’approche, à faire autrement, on est souvent frappé par la puissance du rouleau compresseur des structures, de leurs logiques, de leurs procédures et de leurs contraintes. L’État et aussi, à leur mesure, les différentes collectivités territoriales (communauté urbaine notamment) ont quelques difficultés endémiques à pouvoir s’adapter, réagir, innover, s’inscrire dans des nouveaux modes de faire, dans de nouvelles formes d’action. Il est arrivé que des projets s’enlisent dans la masse des politiques publiques contractuelles et des procédures qui ne sont pas d’ailleurs sans zigzaguer (en écrire l’histoire relèverait du roman). Non pas qu’on ait affaire à des mauvaises volontés, mais changer les choses est souvent perçu comme un risque de complication sinon d’échec. Il faut parfois toute la volonté, la conviction, l’astuce et le poids de quelque élu pour arriver à ses fins.

54Une des dimensions fortes de la ville renouvelée, c’est de s’inscrire comme une préoccupation majeure de l’ensemble de la métropole et des métropolitains ; c’est que les métropolitains disent avec leurs leaders « nous sommes tous des Roubaisiens » ; c’est que toute la communauté urbaine, dans ses dimensions politiques et techniques, porte l’ambition et les projets, cherche avec imagination et ténacité à trouver solutions et moyens.

55À cet égard, l’impression qui domine, c’est la demi-teinte : demi-teinte, parce que, sans conteste, la perception, l’approche, la prise en compte de ces territoires a évolué, parce que des efforts conséquents et durables de solidarité ont été réalisés, parce que son implication dans un certain nombre de projets a bien aidé à leurs mises en œuvre Demi-teinte aussi parce que persiste comme une réserve dans l’engagement sur une ambition nécessaire sans doute mais risquée, aux résultats pouvant être lointains et aléatoires ; parce que ne s’amenuise guère la forte prégnance des logiques verticales et sectorielles ; parce que durent les difficultés et les réticences de passer d’une logique de guichet à une logique de projet. Cette demi-teinte n’est pas due seulement aux facteurs locaux. Une communauté urbaine élue au suffrage universel et étendant ses compétences, un réexamen et une clarification des compétences et des charges entre intercommunalité et commune, avec un souci de subsidiarité active et donc de complémentarité et de solidarité favoriseraient incontestablement la prise en compte, dans toutes ses dimensions politiques et techniques, d’une grande stratégie prioritaire et d’un vaste projet d’ensemble comme celui de la ville renouvelée.

56Dans ce qu’on appellera peut-être plus tard la longue marche de la ville renouvelée, on s’étonnera peut-être (mais ce n’est peut-être que partie remise) de ne guère trouver de formalisation d’un projet d’ensemble, d’un grand projet (concerté, partagé, affiché, porté) à douze ou quinze ans servant de cadre de référence, de grand repère. S’il a existé une vision, de grandes orientations, des principes d’action, des conditions de réussite2 et s’il a existé et s’il existe des projets territoriaux ciblés et/ou des projets d’opérations plus ou moins importantes, ce maillon intermédiaire mais pour autant stratégique fait défaut assez durablement. Remarquons, au passage, que cette situation est très partagée en France : lorsqu’on examine les GPV qui ont été définis en 2000, force est de constater qu’au départ ils ne reposaient guère sur un véritable projet d’ensemble de renouvellement urbain de la ville et/ou de l’agglomération et que, trois ans après, bien des GPV ne peuvent se targuer de s’appuyer sur un véritable projet d’ensemble. Les fatalistes ou les pragmatiques diront qu’on peut se passer de ce maillon et qu’en outre, c’est rarement ce qu’on projette qui arrive. Les soucieux et les volontaires reprendront la citation de Bernanos que nous avons mise en exergue et rappelleront combien l’absence de projet d’ensemble a pu conduire à des incohérences, à des manques de complémentarité et de synergie. Différentes raisons, certaines déjà évoquées, peuvent justifier cette absence : ce maillon n’a pas une place décisive dans les démarches et procédures contractuelles (même si tous les acteurs et financeurs clament ou déclament ce besoin de projet d’ensemble) et n’est donc pas indispensable ; le maquis et les incohérences entre contrat de ville, contrat d’agglomération, contrat de plan, GPU puis GPV, puis guichet unique, etc., étouffent les bonnes intentions de faire le projet d’ensemble ; à l’échelle de la métropole, faire, porter, suivre, adapter de manière réactive un projet d’ensemble conduit à devoir faire et à devoir assumer des choix éventuellement difficiles, même s’ils sont de moyen terme, qui demandent des formes de gouvernance et des formes de gestion pour lesquelles les acteurs ne sont pas prêts ou pas suffisamment préparés.

57Lorsque, à nouveau, nous parcourons cette ville, quittant ce centre-ville désormais digne de son passé et de son futur, lorsque, circulant au gré des anciens repères, nous alternons la découverte de nouveaux aménagements publics et de nouveaux parcs, de réhabilitations du patrimoine industriel, de restructuration de quelque îlot et l’immersion dans des espaces habités encore dégradés, dans de vastes enclaves inutilisées ou sous-utilisées. Lorsque nous nous dirigeons vers Tourcoing, qui bouge aussi dans son centre et autour de son centre, en ayant traversé la fameuse zone de l’Union, site de « ô combien de projets, combien de… » et peut-être symbole futur d’une ville renouvelée adulte, nous vient l’envie d’interpeller l’adolescente ville renouvelée : se passer d’un grand projet d’ensemble, est-ce bien raisonnable ? Le temps n’est-il pas venu d’un second souffle ?

58Dans une telle entreprise de transformation sociale, économique et urbaine, il existe toujours un risque : il faut une telle énergie, une telle patience, une telle volonté, une telle modestie que peut venir le moment, compréhensible, de la lassitude, de l’essoufflement, d’une banalisation prématurée voire l’envie de classer l’affaire. Ce risque doit être pris en considération car il ne faut pas se cacher qu’une partie essentielle mais limitée du chemin a été accomplie : désormais bien des visiteurs, d’ici et d’ailleurs, viennent au musée, visitent le centre-ville, déambulent dans les magasins d’usine et les galeries commerciales, s’intéressent à cette ville originale, particulière. Quelques-uns viennent ou reviennent y habiter ou risquent leur investissement. Mais il faut encore du temps pour que Roubaix puisse être vécue et considérée comme l’un des pôles attractifs de la métropole, comme une ville active, ouverte, accueillante, riche de cultures et de diversité, comme une ville durable où il fait bon vivre et résider.

Retour sur l’histoire

59Puisque cette contribution s’inscrit dans cet ouvrage Roubaix : cinquante ans de transformations urbaines et de mutations sociales, il est opportun de revenir à l’histoire dans la mesure où la ville renouvelée peut être perçue comme un écho aux singularités de la ville sur lesquelles insistent beaucoup de chercheurs : ville laboratoire, d’avant-garde, ou lieu d’expérimentation, identité locale conçue comme support d’intégration sociale, une ville qui bouge en intégrant la mémoire locale.

60André Diligent a écrit dans sa préface à l’Histoire de Roubaix3 que « le secret de Roubaix, ce n’est pas dans les pierres qu’on le trouve, c’est dans l’âme, le tempérament de ses habitants. Ils furent de tous temps des pionniers. » Et il cite, entre autres, comme illustration, le rôle joué dans le paritarisme et sa traduction dans les CIL, qui ont contribué fortement à réduire la grave crise quantitative et qualitative qu’a connue notre pays. Dans ce même ouvrage, un des auteurs, Félix-Paul Codaccioni écrit : « Roubaix est devenu comme une manière d’être supérieure aux vicissitudes et aux affrontements humains ».

61Il nous semble que l’histoire récente de la ville dans le passage de la ville secourue à la ville renouvelée s’inscrit bien dans cette forme de tradition. La ville renouvelée n’est-elle pas une des inspiratrices des politiques de renouvellement urbain qui se sont depuis largement développées en France ? La ville renouvelée, à laquelle le maire René Vandierendonck ajoute volontiers le terme de citoyenneté rénovée, n’est-elle la manifestation tangible du dépassement, du droit à l’espérance4 ?