Michel Debré et l’Île de la Réunion
|Première partie : La nation
La bataille économique
Texte intégral
Les outils du développement et les infrastructures
- 1 AHC, 9DE14.
- 2 Ibid.
- 3 Ibid., 9DE59.
1En 1963, Michel Debré se retrouve face à un énorme défi économique, or les décideurs de l’île ne bénéficient d’aucune structure statistique permanente. Les seules enquêtes conduites dans le domaine économique étaient réalisées par des missions ou par des statisticiens dans le cadre du Volontariat à l’aide technique. Le service départemental est créé ex nihilo en janvier 1966 dans les locaux de la préfecture. Mais le préfet demande des moyens en urgence car des deux personnes qui s’occupent du service, il n’en est prévu plus qu’une seule à la fin du mois d’avril et il s’agit d’un VAT, c’est-à-dire de quelqu’un voué à partir. Le 26 avril, Xavier Pams, collaborateur du ministre, fait savoir que sur intervention de Michel Debré, le VAT Charles Durand est maintenu à la Réunion pour 1966 et qu’il disposera d’un attaché servant à titre militaire sur un poste budgétaire de statisticien agricole. Pour 1967, Michel Debré obtient la création de deux nouveaux postes d’attachés pour l’ensemble des DOM. Il pousse également l’INSEE à porter une plus grande attention aux DOM, comme le montre le processus de la première enquête d’envergure fournie par le service de statistiques1. Le 19 avril 1966, le préfet écrit au cabinet de Michel Debré, ministre des Finances, pour relever que, suite au décret du 23 décembre 1965, un recensement du commerce français a été lancé, « mais il n’apparaît pas dans ce texte que soient prévus les départements d’outre-mer ». Or le préfet qui a envoyé une lettre sur le sujet au ministre des DOM-TOM le 28 août 1965 n’a eu depuis aucune précision concernant une extension de l’étude à la Réunion. Le 24 juin 1966, Antoine Dupont-Fauville, directeur de cabinet de Michel Debré, écrit alors à l’INSEE pour demander à ce que le recensement de la distribution soit appliqué aux départements d’outre-mer2. C’est finalement le 26 avril 1967 que le directeur de l’INSEE Jean Rippert écrit au cabinet de Michel Debré pour donner les conclusions de cette première enquête. Mais concrètement la préfecture reste alors toujours en mal de données pour travailler correctement. La répartition des compétences ministérielles ne semble d’ailleurs pas faciliter, dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’efficacité des mesures destinées à l’île. Le 5 juillet 1967, le directeur de l’INSEE s’insurge en effet auprès du cabinet de Michel Debré contre les reproches qui lui sont adressés par le directeur départemental de l’agriculture de la Réunion de ne pas fournir de statistiques agricoles. Il rappelle en effet que ces dernières sont de la responsabilité du ministère de l’Agriculture, qui n’a pas les moyens de recruter du personnel pour ce travail, alors que l’INSEE dépend du ministère de l’Économie et des Finances. Néanmoins, sous la férule de Charles Durand, le service de l’INSEE se développe à la Réunion et fournit un travail de plus en plus étoffé. Le 19 octobre 1972, Michel Debré qui a reçu la première note de conjoncture mensuelle établie par l’INSEE félicite une fois de plus le directeur du service3.
2L’ancien premier ministre intervient également pour une formation locale du personnel de l’INSEE. Le 25 février 1971, le préfet écrit à Jean Rippert (et fait suivre sa lettre au cabinet de Michel Debré) pour lui signaler qu’en 1969 un centre d’examen pour le concours de commis à l’INSEE avait été ouvert. Sur les 120 candidats qui s’étaient alors présentés, deux avaient été reçus. En 1970 et 1971 l’expérience n’a pas été renouvelée et le préfet demande donc à ce qu’elle soit à nouveau tentée. Le 31 mars, Jean Rippert fait savoir que la mise en place d’un recrutement n’est pas envisageable, car il n’y a pas de places disponibles à la Réunion. Michel Debré intervient alors le 8 avril pour demander au directeur de l’INSEE de remettre en place un recrutement en expliquant : « Je suis persuadé en effet que les candidats réunionnais reçus à ce concours accepteraient une affectation autre que celle dans laquelle ils ont leur résidence et je ne verrai que des avantages à ce que quelques postes puissent leur être offerts en métropole ». Fin 1973, le service de l’INSEE compte une trentaine de personnes et en 1974 il est installé dans de nouveaux locaux au Chaudron. Le service est ensuite devenu particulièrement performant puisque lors du recensement de 1982, la Réunion a été la première à obtenir des résultats provisoires et des résultats définitifs, bien avant les autres régions d’outre-mer et de métropole.
- 4 Sur le développement de l’énergie électrique voir La Réunion des électriciens. Histoire… de la lam (...)
3Autre outil nécessaire au développement économique et industriel : l’énergie électrique. Dès son premier voyage de 1959, Michel Debré avait porté son attention sur le potentiel hydroélectrique à mettre en valeur. L’achèvement du barrage de la rivière Langevin, commencé en 1957, est donc inscrit dans la loi de programme votée au retour du Premier ministre en métropole. Puis dès le 18 octobre 1963, la presse annonce la mise en chantier de la centrale hydroélectrique de Takamaka. Le projet consiste, dans cette région de l’île dont la pluviosité est l’une des plus importantes au monde (de 7 à 14 mètres d’eau par an), à détourner les eaux de la rivière des Marsouins sur une longueur d’un kilomètre, entre un point amont à l’altitude 515 et un point aval à l’altitude 240. Les difficultés techniques ne sont pas minimes puisqu’il faut creuser une salle des machines dans une roche particulièrement friable. Le travail dure quatre ans et la centrale est inaugurée par Michel Debré et Olivier Guichard, ministre de l’Industrie, le 9 mars 1968. Elle a coûté 62 millions de francs et plusieurs ouvriers ont trouvé la mort dans un accident de chantier. La production annuelle d’électricité passe ainsi de 16 millions de kilowatts par heure en 1961 à 104 millions en 1971. Mais dès le début des années 1970, la production est insuffisante par rapport aux besoins. Ce projet est alors complété par le barrage du Bras de la Plaine (qui sert d’ailleurs au développement de l’irrigation dans le Sud), puis par la centrale thermique du Port. La production est encore accrue par l’imposant barrage de la rivière de l’Est, inauguré par Michel Debré et le président d’EDF Paul Delouvrier, et par la mise en service de Takamaka II, en amont de la première installation4. Témoignages n’a pas manqué d’attaquer le projet Takamaka. Le 1er décembre 1967, le quotidien communiste explique que c’est « un ‘développement’ au service des intérêts colonialistes. Seule l’autonomie permettra un développement réel de notre pays. Si Takamaka est inaugurée (…), et à l’âge de l’atome, c’est parce qu’un régime même colonial, ne peut s’opposer éternellement à l’utilisation des techniques dans ses colonies ». Témoignages dénonce en fait tous les aménagements mis en place. Le 6 janvier 1968, le journal explique que le barrage du Bras de la Plaine, sous couvert d’irrigation, va conduire à la « liquidation de milliers de petits planteurs ».
- 5 La société d’économie mixte Énergie Électrique de la Réunion (EER) est concessionnaire de la produ (...)
- 6 AHC, 9DE26.
- 7 Ibid.
- 8 JIR, 27 novembre 1992. Voir également les articles des 6 et 30 octobre.
4La production d’électricité insulaire étant assurée par deux sociétés propres à la Réunion5, il a fallu que Michel Debré bataille ferme pour obtenir l’intervention d’EDF, en particulier pour le barrage de la rivière de l’Est. Le 14 janvier 1971, le ministre écrit ainsi à Paul Delouvrier en le menaçant d’une intervention parlementaire qui nuirait finalement à l’intérêt d’EDF si cette dernière ne met pas plus de bonne volonté à participer au développement de l’énergie électrique à la Réunion : « Si Électricité de France ne prend pas une part plus importante des investissements intéressant l’énergie électrique, vous mettez ce département dans une situation financière injustement difficile pour ne pas dire plus et la représentation parlementaire tout entière proposera une uniformité qui mettra à la charge d’Électricité de France la totalité de ces investissements. Faute de faire un geste, qui naturellement devrait être un geste substantiel, vous risquez une mesure qui ira beaucoup plus loin6 ». Le ton monte encore lorsque Delouvrier fait savoir à Michel Debré qu’il est peu enclin à intervenir financièrement à la Réunion au-delà de ce qu’EDF consent déjà en tant qu’actionnaire de la compagnie Énergie Électrique de la Réunion (EER). En fait, le président d’EDF craint une extension de l’intervention de la compagnie nationale à l’ensemble des départements d’outre-mer. Le 16 décembre, Michel Debré lui répond dans une lettre cinglante qu’il est inadmissible de voir « la Réunion traitée d’une manière différente des autres départements » : « Je vais donc saisir le Premier ministre, car l’économie réunionnaise est hors d’état de supporter cet investissement cependant indispensable à la survie économique et sociale, donc politique de l’île. Un grand effort est demandé – notamment par moi – aux Réunionnais : je ne peux donc accepter en aucune façon que la politique d’Électricité de France aille à l’encontre de la politique générale7 ». Se pose également la question du coût de l’électricité sur laquelle Témoignages attaque également Michel Debré, l’accusant par exemple, le 14 mars 1968, de « grossir les dividendes de Repiquet », un des principaux actionnaires de Bourbon Lumière dont les tarifs sont bien plus élevés qu’en métropole. La baisse des tarifs ne pouvait se faire que dans le cadre d’une nationalisation de la production. C’est ce que Michel Debré et les parlementaires finissent par obtenir avec la loi sur la nationalisation de l’électricité dans les DOM du 11 juillet 1975. En 1969, le ministre avait cependant déjà obtenu d’EDF la création d’une École des métiers de l’électricité au Port. Devenue en 1982 le Centre de formation des métiers de l’électricité, le CFME s’est bâti une solide réputation puisque dans les années 1980 il formait une centaine d’agents sur les 600 formés à l’échelon national. Pour de sombres raisons financières, la liquidation judiciaire de ce centre, pourtant performant, est prononcée en novembre 19928.
- 9 Il s’agit ici du JIR.
5Les « Années Debré » constituent dans le domaine des infrastructures un changement d’échelle. L’élément le plus visible est sans doute le développement du réseau routier. Pourtant le sujet est aussi matière à affrontement politique. Le dramatique accident de car qui fait 27 morts et 31 blessés en mars 1967, au moment même des législatives, est l’illustration parfaite du combat médiatique qui se joue. Le 3 avril 1967, le quotidien communiste se révolte de la mise en cause du chauffeur et attaque la politique d’infrastructure routière qui est menée : « Dés le début, nous avons mis en cause une certaine politique dans ce pays qui sacrifie la sécurité au prestige, pour ne pas dire le ‘tape à l’œil’ et qui fait que notre réseau routier est loin de correspondre au niveau de la circulation actuelle. De là à mettre toute la responsabilité – ou presque – sur le chauffeur, il n’y a qu’un pas. Ce pas a été franchi. Un journal ‘aux 20 000 familles’9a été jusqu’à tenter de salir la mémoire de ce chauffeur tué lui aussi dans ce tragique accident. (…) Les victimes ont eu droit aux larmes ‘officielles’ et aussi aux télégrammes : Billote, Debré, (Macé fraîchement ‘élu’ de la 2e circonscription a préféré s’abstenir et on ne sait s’il faut lui en savoir gré). Que reste-t-il de tout cela, sinon une révoltante publicité qui a frisé l’indécence ? Car enfin, dans ce car, il n’y avait pas que des enfants d’école (innocentes victimes d’une politique qui les dépasse) ; il y avait aussi de nombreux pères de familles, des travailleurs obligés de fuir Trois Bassins pour aller chercher du travail ailleurs ». Le JIR du même jour annonce pour sa part la constitution d’un comité d’entraide aux familles des victimes et souligne que Michel Debré y contribuera personnellement.
- 10 AHC, 9DE26.
- 11 Ibid.
6La réalisation la plus importante dans le domaine du réseau routier reste l’aménagement de la route du littoral entre Saint-Denis et La Possession longue de moins de 15 kilomètres, au lieu de 42 par la route de la Montagne. Commencée en février 1959 et poursuivie grâce à la loi de programme de 1960, elle est achevée dans son projet initial en juillet 1963. Cette route a demandé un effort financier de très grande ampleur. A tel point d’ailleurs que certains responsables administratifs et politiques envisagent au début des années 1970 l’installation d’un péage pour aider au financement. Le 19 octobre 1970, Etienne Edric fait part de l’idée à Michel Debré en lui suggérant de s’y opposer. Le collaborateur du ministre a en effet déjeuné avec un inspecteur de l’Équipement qui lui a annoncé le projet d’installer un péage, avec l’aval de Pierre Lagourgue président du conseil général. Edric estime qu’une telle mesure aurait trop d’inconvénients politiques : « A notre avis, cette mesure tout à fait impopulaire aurait un effet psychologique des plus désastreux. (…) Cette opération ne gênerait nullement les gens aisés qui résident à Saint-Gilles et viennent travailler à Saint-Denis ou inversement. Mais combien sont-ils de petits fonctionnaires créoles, employés, ouvriers, et même certains dockers ayant un véhicule dont ils se servent pour aller à leur travail et, dans bien des cas, ils rentrent déjeuner à Saint-Denis10 ». Le péage ne sera pas mis en place. Le financement des travaux d’aménagement n’a cependant pas été simple à obtenir et Michel Debré a multiplié ses interventions pour recueillir des soutiens. Le 19 octobre 1972, il écrit par exemple à Yves Le Portz, vice-président de la banque européenne d’investissement à Bruxelles pour lui rappeler que « pour cet important et même capital travail que représente la route du littoral, il serait du plus haut intérêt d’obtenir les conditions les meilleures [de prêt] ». Le cabinet de Michel Debré a même prêté une grande attention aux conditions d’obtention des marchés publics. Le 13 octobre 1972, Jean-Claude Aurousseau avertit ainsi Pierre Jourdan, chef de cabinet du ministre de l’Aménagement du territoire, du logement et du tourisme : « Selon cer- 92 Gilles Gauvin tains renseignements recueillis localement, l’appel de candidatures d’entreprises n’aurait pas eu le succès escompté. Des pressions auraient été exercées par certains dirigeants de société dont le siège social se trouve à Paris et dont les agences sont en place à la Réunion pour dissuader leurs collègues de s’intéresser à ce projet, faussant ainsi les règles de la concurrence. Il conviendrait de savoir si ces renseignements sont exacts et, dans l’affirmative, les mesures envisagées pour rétablir le jeu normal de la concurrence11 ».
- 12 Le gouverneur pétainiste Aubert avait fait couler un dragueur dans le chenal du Port pour empêcher (...)
- 13 Comité du Centenaire du Port, Des marines au port de la Pointe des Galets. 1886-1986, Saint-André, (...)
- 14 AHC, 9DE33.
- 15 Ibid., 9DE34.
7Autre infrastructure capitale pour l’économie : le port de la Pointe des Galets. Créé en 1886, il s’est retrouvé inutilisable en 194612. D’importants travaux d’aménagements sont entrepris dans les années 1950, mais l’arrivée de Michel Debré est à l’origine, là encore, d’un changement d’échelle. Les crédits FIDOM alloués aux travaux d’aménagement passent en effet de 12 millions CFA en 1964 à 117,5 en 1965. La Chambre de commerce et d’industrie de la Réunion (CCIR), en charge des aménagements, rappelle ainsi lors du centenaire en 1986 que « le port a plus changé pendant les vingt dernières années qu’au cours du siècle précédent13 ». Michel Debré a porté également une attention toute particulière au développement de l’aéroport. Dès avril 1965, l’aérogare passagers obtient les moyens financiers pour une extension. Le 31 juillet 1967, la piste portée à 2 700 mètres est alors en mesure d’accueillir les premiers Boeing (coût de l’opération 1 milliard CFA). L’utilisation de ces avions permet de faire diminuer le temps de trajet de 20 heures, avec changement d’appareil à Madagascar, à 17 heures (escales comprises). Le 4 août 1967, la première ligne « directe » est ouverte entre Paris et Saint-Denis. Symboliquement, et à la demande de Michel Debré, le pilote choisi pour le premier vol en Boeing 707 est réunionnais. Très rapidement, le député se préoccupe aussi de l’agrandissement de la piste pour les Boeing 747. Dès le 13 octobre 1969, il écrit au ministre des Transports Raymond Mondon pour lui suggérer l’aménagement d’une nouvelle piste14. Il insiste sur l’urgence de la décision car il y a peut-être nécessité de trouver un nouveau site et « le développement des constructions risque de compromettre l’avenir ». Mais le 19 décembre, le ministre fait savoir à Michel Debré qu’il préfère opter pour des études sur un réaménagement progressif de l’aérodrome existant car « la construction d’un nouvel aérodrome entraînerait des dépenses très importantes, sans rapport avec le trafic prévisible et hors de proportion avec les budgets d’équipement prévus pour les aérodromes d’outre-mer au cours des prochaines années ». Michel Debré reste cependant guidé par la volonté farouche de continuer à développer l’aéroport de Sainte-Marie. A tel point qu’en 1972 il lance une étude pour une desserte par le Concorde15 qui n’aboutit pas malgré ses interventions au plus haut niveau gouvernemental. Néanmoins, la modernisation se poursuit : après la liaison par Boeing 707 en 1967, l’aéroport s’ouvre aux Boeing 737 en 1970 puis finalement au Boeing 747 en 1974. Le premier avion gros porteur de fret atterrit en 1976. Une nouvelle aérogare et une nouvelle tour de contrôle sont mises en service en août 1975.
- 16 Ibid., 9DE33.
- 17 Ibid.
- 18 Ibid.
- 19 Ibid., 9DE76.
- 20 Ibid., 9DE34.
- 21 Ibid., 9DE88.
8Au-delà des infrastructures elles-mêmes, il y a la question de la desserte et de son coût. Le rapport que Michel Debré reçoit sur ce point dès octobre 1967 lui indique que le préfet s’alarme avec raison du monopole d’Air France et suggère de se retourner vers la compagnie concurrente UTA16. Le ministre rencontre donc le président d’Air France puis écrit au préfet Vaudeville, le 2 octobre 1968, pour lui expliquer que Georges Galichon a reconnu la nécessité d’ouvrir le marché aux charters17. Pour ouvrir la desserte régionale, le préfet Vaudeville incite également Michel Debré, dès 1968 à créer une société locale d’aviation. Le ministre, suggère alors de faire appel pour cela à Air Comores pour des questions de coût. Air France, sentant la menace, décide alors de renforcer ses liaisons entre la Réunion et Maurice. Michel Debré, dans une note du 12 janvier 1969, indique à son collaborateur Jean-Claude Aurousseau qu’il ne faut pas brusquer la compagnie nationale mais qu’« en fin de compte nous aurions intérêt à la création d’Air Bourbon, les Réunionnais en seront fiers18 ». Il faudra attendre mars 1974 pour voir la naissance de Réunion Air Service et 1977 pour que cette compagnie relie trois fois par semaine Mayotte, les Comores et la côte orientale de l’Afrique. Au début des années 1970, Michel Debré, qui cherche à développer les liaisons avec l’Afrique du Sud dans un but touristique, se heurte une nouvelle fois au monopole national. Le 28 juin 1972, le préfet Cousseran lui fait savoir le refus d’Air France de laisser UTA ouvrir la liaison Johannesburg – Saint-Denis : « Je crois qu’elle veut surtout conserver la zone en ‘portefeuille’, tant sur le plan aérien que sur le plan hôtelier19 ». Le 30 janvier 1973, Michel Debré finit par ne plus cacher son agacement dans une lettre qu’il envoie à Antoine Veil, directeur général d’UTA et à Pierre-Donatien Cot, directeur d’Air France : « Je ne sais ce que vous déciderez à propos du trafic Réunion-Afrique du Sud, ni quand vous le déciderez. Ce que je sais, c’est que la Réunion est impatiente d’accueillir un trafic de va-et-vient avec l’Afrique du Sud — hommes et marchandises, tourisme et affaires — progressivement, sans doute, mais sûrement. Mais il ne faut plus attendre. Sur le plan du trafic aérien, nous ne sommes pas à l’étiage où nous devrions être20 ». Le 5 avril 1973, Michel Debré écrit cette fois au cabinet du nouveau ministre des Transports, Yves Guéna, pour lui suggérer de faire de la Réunion, territoire français, le point d’escale des lignes internationales venant d’Afrique du Sud, de l’Inde ou même d’Australie : « Quand on revient d’un voyage dans cette partie du monde, on est frappé de ce que pourrait être le développement d’Air France, de ce que pourrait être également le développement d’une compagnie locale21 ».
- 22 Ibid., 9DE15.
- 23 Ibid., 9DE33.
- 24 Ibid.
9Le développement du trafic aérien doit pouvoir aussi profiter, selon Michel Debré, à l’emploi des insulaires. Dès le 1er juin 1968, le ministre demande en effet à ses collaborateurs de travailler sur le recrutement à Air France d’hôtesses réunionnaises : « Sur la ligne de la Réunion, il y a des hôtesses métropolitaines et des hôtesse malgaches. Pourquoi n’y a-t-il pas d’hôtesses réunionnaises ? C’est qu’Air France, en vertu de ses règles, exige les mêmes conditions de recrutement qu’en métropole, alors, naturellement, qu’Air Madagascar, n’en demande pas autant pour ses hôtesses. Il faut revenir sur le problème, et obtenir, au moins à titre transitoire, c’est-à-dire une dizaine d’années, qu’Air France puisse recruter quelques hôtesses réunionnaises à des conditions moins strictes que celles exigées des candidates métropolitaines. Je demande que l’affaire soit reprise et qu’on me tienne au courant pour que je puisse intervenir le cas échéant, auprès de la direction d’Air France22 ». Mais le directeur général d’Air France, Pierre-Donatien Cot, lui répond le 24 septembre 1969 que les résultats d’une première mission ont été peu concluants en raison de « l’insuffisance des connaissances en anglais23 » des candidates. Il faut attendre le 15 février 1973 pour voir Pierre-Donatien Cot avertir Michel Debré du recrutement d’hôtesses réunionnaises. Immédiatement le député de la Réunion fait alors avertir le responsable du BUMIDOM24.
La monnaie et les structures commerciales
- 25 Ibid., 9DE49. Rapport du 1er octobre 1963 de l’inspecteur général des Finances chargé de la divisi (...)
- 26 Ibid. Toutes les citations suivantes proviennent de ce carton.
10L’utilisation du franc CFA, en vigueur depuis décembre 1945, se retrouve au cœur des affrontements politiques entre « nationaux » et autonomistes durant les « Années Debré ». Dès octobre 1963, Michel Debré dispose de rapports soulignant que « le problème reste et restera discuté avec passion tant que le ‘franc’ n’aura pas été introduit dans l’île25 ». Le sujet est d’autant plus polémique qu’à partir de janvier 1965, la Réunion est le seul département français où circule encore le franc CFA. Devenu ministre de l’Économie et des Finances, Michel Debré est mis au courant de la gestion du dossier par son prédécesseur Valéry Giscard d’Estaing. Ce dernier lui explique que « cette persistance d’une dénomination périmée comme la conservation de la parité du franc de la Communauté financière africaine, a donné lieu, à deux ou trois reprises, à des crises de confiance et à des transferts de capitaux hors du département. Cette méfiance a toutefois été atténuée récemment par l’apposition des inscriptions ‘République française’ et ‘département de la Réunion’ sur les billets en circulation26 ». Le 22 août 1966, Michel Debré commande à ses services une enquête sur le franc CFA, la structure des revenus, le niveau des prix et le régime monétaire de la Réunion. Il demande pour cela une « discrétion absolue », exigeant que seuls le préfet Vaudeville et le secrétaire général pour les Affaires économiques Jean Chevance soient au courant. Le but de l’enquête est d’évaluer avec précision si « l’utilisation à la Réunion d’une unité particulière, le franc CFA, entraîne des conséquences utiles ou nuisibles pour l’économie locale ». Le rapport, d’une trentaine de pages, est rendu au cabinet du ministre au mois de juin 1967. Dans sa conclusion, l’inspecteur des Finances Jean-Jacques Boissard estime que le passage au franc s’impose car « le franc CFA est incontestablement devenu l’expression monétaire d’un système économique et social critiquable. Au point que pour qualifier ceux qui tirent profit de ce système pour s’enrichir sans peine on dit qu’ils ‘font du CFA’ ». Il souligne que cela nécessite cependant une politique globale de réformes économiques.
11De son côté le PCR lance régulièrement des campagnes de presse jouant sur le paradoxe que représente l’utilisation d’une monnaie particulière dans un département français. L’argument sert en fait à démontrer que la départementalisation reste un slogan qui couvre une politique coloniale. Et la presse « nationale » ne manque pas d’ailleurs de réclamer le passage au franc au nom de la départementalisation. Cela agace parfois les collaborateurs de Michel Debré, plus encore que les articles de Témoignages. Ainsi par exemple, on trouve dans la revue de presse du ministre une publicité parue dans le JIR en juin 1967 pour « La caisse de prévoyance de la Réunion (placée sous la garantie de l’État) ». L’annonce met en exergue trois avantages : « Vos économies sont à l’abri de la perte et du vol (…) et comptabilisées en francs métropolitains [caractères gras utilisés dans l’article ; passage souligné en rouge par un membre du cabinet] ». Et il est griffonné en marge : « Il est regrettable que ce soit précisément l’organisme dirigé par M. Lagourgue qui parle de comptabilisation en francs métro ! ! ». Le préfet lui-même souligne qu’il existe une psychose de la suppression ou de la dévaluation du CFA qui semble volontairement entretenue. Le 20 mai 1967, Jean Vaudeville explique ainsi à Michel Debré qu’il ne vaut mieux pas aborder le sujet publiquement car « dans ce ‘Landerneau’ réunionnais qu’est la ville de Saint-Denis, des bruits de dévaluation ou de suppression du CFA courent périodiquement. Ils sont parfois répandus par certains hauts fonctionnaires soucieux de valoriser au maximum leurs économies et qui ont la prétention d’être bien informés ». Et effectivement, un nouveau mouvement de panique, tactiquement bien relayé par Témoignages, s’empare de la population. Le 17 juin, une lettre alarmiste envoyée par le directeur local de la Caisse d’Épargne et de prévoyance à Bernard Guemas du Bureau central des Caisses Épargne de France indique : « Je m’excuse de n’avoir pu vous écrire plus tôt. La raison est qu’en rentrant à la Réunion j’ai retrouvé une situation complètement pourrie. Actuellement une panique s’est emparée du public réunionnais qui poussé par la crainte de voir le franc CFA aligné sur le franc métropolitain et dévalué à cette occasion vire son argent sur la métropole. Il me semble qu’à l’origine de ces bruits fâcheux il y aurait quelques imprudences des banques locales qui d’après ce qu’on m’a dit colportaient complaisamment des bruits d’alignement et de dévaluation. La caisse s’est donc mise comme tous les établissements de la place de Saint-Denis à virer sur la métropole. Le mois dernier, le bureau de Saint-Denis a perdu quelque 15 millions de francs CFA. Depuis le début de juin le processus se précipite. Vous me voyez donc très pessimiste quant à l’avenir de la caisse à la Réunion ».
12Michel Debré est alors bien décidé à mettre en route le changement d’unité monétaire. Le 11 août 1967, il écrit à Jacques Giscard d’Estaing, directeur général adjoint de l’Institut d’émission des DOM, pour lui donner son accord pour un double affichage de la valeur sur les billets : « Mon séjour à la Réunion m’a confirmé la justesse de vos vues et je vous donne mon approbation : je souhaite que les prochaines émissions de billets portent, à côté de leur valeur en francs CFA, l’indication de leur correspondance en francs métropolitains même si cette correspondance, pour des raisons de compréhension, doit être marquée en ‘nouveaux francs’ comme vous me l’avez dit. J’adresse ce même jour une note au directeur du Trésor. Je pense que c’est ainsi qu’il faut commencer la procédure officielle ». Les modalités de l’abandon définitif du CFA sont néanmoins encore loin d’être définies. Le 25 septembre 1967, la préfecture fait connaître sa préférence pour une transformation sans dévaluation, à savoir avec une parité de un franc pour deux francs CFA. Selon le préfet, cette solution « ferait apparaître nettement le caractère excessif de certains prix et faciliterait le contrôle de l’administration et la résistance du consommateur. Elle ferait apparaître également l’importance de certaines rémunérations et l’insuffisance de certaines autres et rendrait plus sensible l’opinion métropolitaine et réunionnaise à la nécessité d’une remise en ordre ». C’est en fait le même constat qui avait été rendu à Michel Debré dès le 1er octobre 1963 dans un rapport de l’inspecteur général des Finances chargé de la division des DOM. Ce dernier concluait déjà sur la difficulté à moderniser la situation : « Malheureusement un ‘Plan’ de baisse du coût de la vie (au moment où l’on continue à hausser le SMIG et les allocations familiales et où l’on va relever les tarifs de l’octroi de mer) n’est facile ni à mettre au point, ni à appliquer dans un pays sous développé, dont les ‘élites’ sont en majorité intéressés au maintien du statu quo ». Le fonctionnaire s’étonne en outre du fait que les prix de gros et de détail sont bien plus élevés à la Réunion qu’aux Antilles « alors que les taxes diverses et les frets à destination de la métropole y sont très comparables ». Parmi les facteurs pouvant expliquer une telle situation, il relève « [les] abus commis par les ‘Chinois’ et les ‘Zarabes’ seuls maîtres du commerce de détail à la Réunion, [le] peu de réaction des clients illettrés comme de ceux qui sont ‘trop à l’aise’ ». Un autre rapport de 1964, établi par la Lyonnaise de Madagascar pour le directeur général de la Banque de la Réunion, soulignait encore au cabinet de Michel Debré l’existence de pratiques commerciales traditionnelles abusives : « Il nous est impossible, malheureusement, d’accéder aux statistiques fiscales mais nous croyons pouvoir estimer le coût d’intervention du Chinois à 20 % maximum de marge brute sur la vente. Nous sommes évidemment loin de l’opinion définitivement admis, semble-t-il, du CHINOIS ABUSIF pour ne pas dire VOLEUR et pourtant… »
- 27 Ibid. Le passage est souligné en rouge par Michel Debré ou un de ses collaborateurs qui en a pris (...)
- 28 AHC, 9DE45.
13Devenu ministre de l’Économie et des Finances, Michel Debré lance une série d’enquêtes sur les problèmes des revenus et du commerce. Le préfet Vaudeville n’hésite d’ailleurs pas à signaler au ministre les difficultés auxquelles il se heurte pour contrôler le coût de la vie, en particulier du fait du peu de personnel dont il dispose : « Il est vain de surveiller les autres secteurs de l’économie, si celui de la réglementation des prix, dans ce département où règnent de mauvaises traditions commerciales, n’est pas suivi de très près ». Le 20 février 1967, l’inspecteur Jean-Jacques Boissard transmet à son ministre une note préliminaire dans laquelle il estime que le haut niveau des prix (25 % de plus qu’aux Antilles) est une conséquence du haut niveau de rémunération des fonctionnaires car ils représentent l’élément déterminant du marché de la consommation. Remarquant qu’un fonctionnaire touche à la Réunion le double de ce que gagne son homologue parisien et 58 % de plus que son homologue antillais, l’inspecteur souligne que la suppression du CFA aurait pour avantage d’entraîner la suppression de l’indice de correction des salaires dans la fonction publique. Mais en conclusion il estime, du fait de l’ensemble des problèmes techniques que représente la suppression du CFA, qu’« il apparaît préférable de s’attaquer d’abord au problème des prix, l’objectif étant de les aligner sur ceux de la métropole ». Le 24 juillet, ce pré-rapport est complété par une synthèse de l’inspecteur général des Finances Auboyneau, qui estime également qu’il est possible de faire diminuer les prix par un contrôle plus strict des marges bénéficiaires réalisées par les importateurs : « Le ‘coût de l’éloignement’(fret et frais accessoires) ne représente qu’une part minoritaire de ce total, soit 18 %. La différence paraît bien correspondre, sous une forme ou sous une autre, à la marge de l’importateur. On n’en voudra pour preuve que le prix comparé de vente des automobiles françaises en métropole et à la Réunion (en francs métropolitains) (…). On ne peut que s’interroger sur l’origine de ces écarts, qui atteignent en moyenne 40 % et dépassent parfois ce pourcentage (Citroën DS, Renault R 10)27 ». Le fonctionnaire fait aussi remarquer « la dépendance excessive de la Réunion vis-à-vis de la métropole en matière d’importation ». Ces enquêtes diligentées par Michel Debré sensibilisent directement le ministre des DOM-TOM Pierre Billote qui, lors d’un voyage dans l’île en septembre 1967, demande aux acteurs économiques de prendre leurs responsabilités : « L’éloignement ne constitue pas, en dernière analyse, la cause essentielle du coût élevé des biens et des services. Celui-ci résulte surtout de l’actuel mécanisme commercial, lié lui-même au comportement habituel des consommateurs et à l’inégalité des revenus. (…) C’est ainsi que les prix de détail sont supérieurs de 40 à 50 % de ce qu’ils sont en métropole. Cet état des choses doit cesser28 ».
- 29 Ibid., 9DE115. Michel Debré annote sa revue de presse sur le sujet d’un « très bien ».
- 30 Ibid., 9DE3. Note sans date et sans auteur, dont il manque la première page, mais rédigée sans dou (...)
14Les événements de mai 1968 et le passage de Michel Debré des Finances aux Affaires étrangères marquent un très net ralentissement pour ne pas dire un coup d’arrêt à l’ensemble des enquêtes lancées entre 1966 et 1967. La création, le 22 juillet 1968, de l’Union des consommateurs réunionnais est saluée par Michel Debré comme un pas vers la voie recherchée29. Quelques semaines plus tard, le préfet annonce des initiatives pour limiter les hausses abusives de prix. Mais en l’absence d’une politique globale sur le fonctionnement de l’économie réunionnaise, les interventions sur le niveau des prix semblent très difficiles. Une note de 197130 confirme cet état de fait au cabinet de Michel Debré : « Les blocages des prix au niveau détail, sont considérés comme un coup d’épée dans l’eau. L’administration a dû céder au chantage des grossistes qui menaçaient de ruptures de stocks. Ils ont ainsi préservé leurs honorables prébendes au détriment des détaillants. Ceux-ci, à leur tour, ont fini par parler de rompre le rythme des approvisionnements urbains. Les commerçants chinois, premier lésés, se sont faits fort d’obtenir un allégement sérieux des prix. Ils auraient aimé qu’on supprime leur subordination aux grossistes dont certaines pratiques sont véritablement scandaleuses (obligation d’achat de rossignols invendus et invendables, pour satisfaire aux demandes courantes). Ils auraient pris un engagement formel, et il est vraisemblable que la peur de ‘perdre la face’ aidant, ils aient mené à bien cette expérience. Or dans l’état actuel des choses peut-on s’attaquer aux grossistes (…) ? ».
- 31 Ibid., 9DE49.
- 32 Le 4 juin 1970 Témoignages écrit par exemple : « Devant la passivité de ceux qui seraient les prin (...)
- 33 AHC, 9DE9.
15Dans le contexte de l’affrontement autour du statut, avec les échéances politiques qui se succèdent, il n’est en effet pas simple d’intervenir pour le pouvoir politique. Ministre des DOM-TOM depuis janvier 1971, Pierre Messmer fait cependant part à Michel Debré, le 6 juillet 1972, de sa volonté de relancer la question du changement monétaire : « Vous connaissez mon opinion. Il faut supprimer le franc CFA à la Réunion et y introduire le franc métropolitain. A cet égard, j’entends faire, le moment venu, des propositions au Gouvernement et je compte bien sur vous pour m’aider dans cette entreprise. Il y faudra beaucoup de résolution31…». Pierre Messmer prenant en charge Matignon le 6 juillet 1972, c’est alors Valéry Giscard d’Estaing qui retrouve les Finances. Les rumeurs et mouvements de panique, d’ailleurs savamment orchestrés par le PCR32, continuent de perturber le milieu économique, comme le montre cette note du 6 juillet 1973 envoyée au cabinet de Michel Debré : « L’éventualité de la suppression du franc CFA a provoqué une grande inquiétude chez les ‘possédants’ dans le monde du commerce et des affaires qui se traduit par des mouvements de fonds sur la métropole, c’est-à-dire en définitive, par un manque de confiance de leur part33 ». La force de Témoignages est alors de précéder toutes les annonces officielles sur le sujet. A tel point d’ailleurs que lorsque le quotidien communiste s’exclame le 10 septembre 1974 « ‘Coup de grâce au CFA Réunionnais’, l’opération est confirmée », le mensuel L’Action Réunionnaise, qui se revendique gaulliste, s’indigne dans son numéro d’octobre : « Il faudrait savoir si c’est Témoignages et son équipe qui gouvernent le pays ? En tout cas ces Messieurs semblent fort bien renseignés. Ils devancent les communiqués officiels, ils obligent le préfet à répondre à leur coup de semonce et sèment la panique dans les milieux financiers. Comme on les laisse faire, nous pouvons penser que ce sont eux qui ont raison et que nous vivons dans un milieu vraiment pourri ».
- 34 Debré Michel, Une politique pour la Réunion, Paris, Plon, 1974, p. 168.
16Michel Debré, qui publie en 1974 Une politique pour la Réunion, se félicite du passage décidé au franc pour le 1er janvier 1975. Il rappelle cependant que si le changement d’unité monétaire ne pose en soi aucun problème, « la difficulté réside dans la conception que l’on se fait de l’opération et par conséquent des mesures d’accompagnement34 ». Le premier écueil à éviter pour lui est une déflation brutale. Il faut également rassurer l’épargne et pour cela bien affirmer le maintien du rapport fixé entre franc et franc CFA. Enfin, la transformation doit être suivie d’une correction de la grille des revenus du secteur public qui n’altère par le revenu global afin de mieux répartir la capacité globale de consommation. Pour compléter cette politique de réforme économique globale, Michel Debré estime encore nécessaire l’affirmation des aides à l’investissement, le soutien à une politique du logement, le maintien d’une fonction publique de qualité et attractive, et l’extension de certaines activités bancaires : « Après la Caisse de crédit maritime, c’est la Caisse de crédit hôtelier, industriel et commercial qui doit ouvrir ses guichets à la Réunion ». De même Michel Debré estime nécessaire d’affirmer une « continuité territoriale » afin de faire diminuer les coûts du transport qu’il s’agisse des individus ou des marchandises. Enfin, il suggère une surveillance accrue des opérations commerciales et en particulier des importations qu’il faut pouvoir éviter lorsque cela est possible. Mais cette volonté de voir appliquer une véritable politique globale sera loin d’être réalisée dans les faits, d’autant que les conceptions économiques de Michel Debré se heurtent à celles de Valéry Giscard d’Estaing. Aujourd’hui encore la réalité du coût de la vie et l’incidence de la rémunération de la fonction publique alimentent toujours les débats.
L’agriculture
- 35 Defos du Rau Jean, Revue française d’études politiques africaines, septembre 1968, no 33, p. 60.
- 36 Valy Amine, « Le rôle joué par l’agriculture dans le processus de départementalisation à la Réunio (...)
- 37 Le Monde, 6 juin 1972.
- 38 AHC, 9DE22.
17A partir des années 1950, le choix est fait de relancer la monoculture sucrière et d’en faire le moteur du développement économique. En 1968, on estime que 60 à 75 % de la population vit directement ou indirectement de la canne à sucre35. Amine Valy qui a très bien montré « le rôle joué par l’agriculture dans le processus de départementalisation à la Réunion36 » rappelle qu’en 1960 l’île comptait « près de 90 000 actifs dont la moitié dans le secteur agricole où la mécanisation était inexistante ». Dans ce contexte, hérité de l’économie de plantation, les colons (travailleurs agricoles à qui un propriétaire terrien confie la tâche de mettre en valeur une parcelle en échange d’une partie des récoltes) tiennent un rôle capital. Amine Valy évalue leur nombre à 25 000 plus 10 000 colons saisonniers en 1960. En 1972, on évalue encore leur nombre à 18 00037. Leur statut, défini par une ordonnance de septembre 1945, prévoit qu’ils doivent normalement bénéficier des deux tiers de leurs récoltes. Mais dans les faits, leur situation reste plus que précaire. Une loi de 1961 tentait bien de garantir une meilleure sécurité au colon : un contrat écrit, un bail de six ans minimum, une parcelle de terre accordée en jouissance propre et un droit de préemption en cas de vente. Élu député de l’île, Michel Debré constate cependant que la loi de 1961 n’a toujours pas de décret d’application pour la Réunion. Il relance donc le gouvernement de Georges Pompidou et le décret est pris le 17 avril 1965. Cette loi est destinée à la fois à protéger le colon et à faciliter l’accession à la propriété rurale. En fait, constate encore Amine Valy, la loi ne protège pas mieux les colons car « le colon ne peut pas exercer de droit de préemption dans la mesure où la parcelle en colonat n’est pas une exploitation au sens juridique du terme ». Une fois encore Michel Debré réagit et demande au préfet, dans une lettre du 31 juillet 1967, s’il vaut mieux, à son avis, faire passer un nouveau projet par voie d’ordonnance ou par voie législative38. Jean Vaudeville lui répond le 14 août : « Certaines de ces dispositions modifiant profondément les rapports contractuels des propriétaires fonciers avec leurs colons, il paraît souhaitable que le projet suive la procédure normale : consultation des Chambres d’agriculture et des conseils généraux, vote par le Parlement, d’autant que ces assemblées peuvent lui apporter des améliorations notables. Enfin s’agissant d’un texte d’origine gouvernementale et compte tenu de son caractère ‘progressiste’, il devrait, semble-t-il, recueillir au Parlement une large majorité ». Amine Valy rappelle que la nouvelle loi, votée en 1968, considère cette fois le colon comme un exploitant à part entière : « Celui-ci pourra renouveler son bail dans les mêmes conditions que le métayer français ou le convertir en fermage. Par ailleurs, le partage des produits se fera sur la base de 3/4 – 1/4 au lieu de 2/3 – 1/3 ». Mais il faudra attendre le début de l’année 1972 pour que cette loi soit enfin applicable et, constate Amine Valy, « 50 % de la population active agricole vit toujours dans les conditions de dépendance et de précarité similaires à celles existant au début du siècle ».
- 39 Ibid., 9DE81.
- 40 Debré Michel, Une politique pour la Réunion, Paris, Plon, 1974, p. 79.
- 41 Témoignages, 3 janvier 1968.
18Parallèlement Michel Debré tente de moderniser la structure de la propriété agricole. Dans une note du 26 octobre 1964, il explique que son objectif est de viabiliser les exploitations en adaptant leur taille à l’impératif de rentabilité « car l’octroi de trop petits domaines à des planteurs les conduit à de telles difficultés que la réforme manque son but et alimente le communisme. Il y a d’ailleurs contradiction entre la politique qui consiste à améliorer la condition des salariés (hausse du salaire minimum, sécurité sociale, demain convention collective) et celle qui veut créer de petits propriétaires dont le sort devient d’autant moins brillant qu’ils ne sont pas soumis à la discipline de coopératives ou de groupements obligatoires39 ». Il est donc nécessaire d’assurer des conditions sociales décentes aux colons en réservant cette forme d’exploitation « à des exploitations de dimensions supérieures à un minimum au dessous duquel priorité doit être accordée à la propriété familiale et au faire-valoir direct40 ». Le PCR s’est pour sa part révolté contre cette mesure « qui prépare la liquidation ‘légale’ de milliers de petits colons41 ». Le quotidien du PCR ne cesse pour sa part d’expliquer que seule l’autonomie permettra de bouleverser les structures socio-économiques colonialistes. Ainsi peut-on lire dans Témoignages du 4 juillet 1969 les propos de Paul Vergès à la conférence des Partis Communistes et Ouvriers de Moscou : « Tirant les leçons des expériences des années 1960 en Afrique, [le PCR] préconise un programme économique et social radical rendant très difficile toute manœuvre de l’impérialisme pour promouvoir une solution néo-colonialiste : une réforme agraire profonde ; la nationalisation de l’industrie sucrière ; le contrôle des investissements ; la liberté totale du commerce extérieur ».
- 42 JO, Lois et décrets, 22 mars 1966, p. 2320.
19Ministre des Finances, Michel Debré signe en mars 1966 le statut de la Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural42 (SAFER dont le principe a été voté en 1960 par le gouvernement Debré). Avec les nouvelles dispositions législatives sur le colonat, mais également la montée de leurs coûts de production, les grands propriétaires vont se recentrer sur leurs meilleures terres à cannes et vendre des terres à la SAFER. Cette dernière va ainsi, de 1965 à 1976, rétrocéder un peu plus de 10 000 hectares à moins de 2 000 agriculteurs. La conséquence générale de ce mouvement, explique Amine Valy, est la coexistence jusqu’au début des années 1980 d’une structure agraire complexe autour de trois pôles : « l’agriculture capitaliste » moderne et de forte productivité, « l’agriculture de subsistance » des petites et micro-propriétés où domine le colonat lié aux grands industriels et propriétaires terriens, et enfin une « agriculture paysanne » relativement indépendante de la société de plantation, entrée dans une relative diversification et une progressive mécanisation. Mais en fait, l’évolution de ces trois structures reste interdépendante car elle est guidée par l’objectif principal qui reste la production de canne à sucre. La pression démographique aidant, la situation du monde agricole reste très précaire : Amine Valy rappelle qu’à la fin des années 1970, 80 % des agriculteurs touchent moins que le SMIC réunionnais (soit 75 % du SMIC métropolitain). Cela se traduit dans les années 1980 par un exode rural qui alimente le chômage.
- 43 AHC, 9DE23.
- 44 Ibid.
20Dès son élection de 1963, Michel Debré estime que face au défi démographique la priorité, en matière de politique agricole, est l’augmentation de la production sucrière. Il s’attache donc très rapidement à obtenir l’intégration du sucre de la Réunion dans le marché commun. Grâce à cette mesure que le député annonce dans le JIR du 28 juillet 1966, l’île dispose alors d’un quota de 223 000 tonnes à un prix supérieur au cours mondial. Pour une quantité dépassant de 35 % ce quota, les planteurs bénéficient d’un prix garanti (quota B) équivalent à 60 % de celui du quota A. L’excédent éventuel étant écoulé au prix du marché mondial. De son côté, Témoignages mène régulièrement des campagnes de presse dénonçant l’intégration européenne pour vanter l’intégration au bloc communiste. Le 1er juin 1968, le quotidien souligne par exemple, à la faveur d’une augmentation du prix mondial, que « l’URSS révise ses contrats avec Cuba et achètera le sucre cubain au nouveau cours mondial ». Mais l’histoire de la canne à sucre, c’est peut-être surtout celle des conflits sociaux entre planteurs et usiniers, eux-mêmes grands propriétaires. La fixation du prix de la tonne de canne est en fait un éternel point d’achoppement. L’administration et Michel Debré sont bien conscients que dans cette affaire les usiniers ne sont pas sans reproches. Ainsi, en août 1969, un collaborateur du ministre rédige une note expliquant qu’il y a toujours un différend entre usiniers et planteurs concernant le rhum et la mélasse. Il signale que le préfet demande l’envoi d’un expert incontestable, indique que l’affaire ne manque pas d’être exploitée par le PCR et conclut : « Il semble bien que les usiniers se servent un peu trop de l’absence de comptabilité valable pour jeter un voile de fumée sur la composante effective des éléments du prix43 ». Le rapport qu’envoie le préfet le 30 juillet, pour annoncer à Michel Debré un arbitrage en faveur des planteurs témoigne bien des pesanteurs sociales qui freinent la modernisation agricole : « Nos actions sont en hausse auprès des planteurs qui vous ont acclamé à Saint-André et qui ont éconduit Vergès venu sur place pour exploiter la victoire à son profit. Mais nos actions sont en baisse notable du côté des usiniers. Ils ne nous feront pas de cadeaux. Nous sommes encore loin du moment où la véritable discussion professionnelle pourra s’établir. Il y a d’un côté un groupe d’hommes habitués à trancher tout par voie d’autorité et qui n’admettent pas que le nouveau ‘petit préfet’ (c’est leur expression) ait une position différente de la leur. De l’autre côté, nous avons une structure syndicale de planteurs qui tient à peine debout et qui n’est jamais sûre d’obtenir un mandat inconditionnel de la part de ses adhérents. Le fond du problème est ailleurs. Les prix pratiqués sont très rémunérateurs pour les gros planteurs et à peine suffisants pour les petits. Mais lorsque je parle aux délégués de la Fédécanne de la possibilité d’octroyer un prix préférentiel aux planteurs en payant par exemple la totalité de leur coupe au prix du quota A, ils changent de sujet de conversation…44 ». La réponse que fait Michel Debré, le 2 février 1978, à Charles Armand Barau, président du syndicat des Fabricants de sucre, qui sollicite alors son intervention dans un conflit avec les planteurs, souligne combien le député de la Réunion a été confronté à cette « résistance de la société de plantation » dont parle Amine Valy : « Je ne cesse de dire partout où j’ai l’occasion de parler du sucre que l’ensemble des participants à la fabrication du sucre, c’est-à-dire du planteur et de l’usinier, ont des intérêts liés. Ils réussiront ensemble dans la prospérité ou ils échoueront ensemble dans la pauvreté ».
- 45 Ibid.
- 46 Ibid., 9DE75.
21Si Michel Debré a fait porter ses efforts sur l’assurance d’un débouché pour la principale production agricole de l’île, il ne néglige pas pour autant les productions secondaires. Le 23 octobre 1968, le ministre écrit à Jean Vaudeville pour lui exprimer ses craintes d’une surproduction mondiale du sucre et, de ce fait, la nécessité absolue qu’il y a pour la Réunion de ne pas dépasser ses quotas. Mais en même temps il rappelle qu’il ne faut pas perdre de vue les productions secondaires : « Je ne devrais pas vous en dire plus car ma compétence est vraiment par trop théorique. Mais, me semble-t-il, la Réunion n’a pas dit son dernier mot pour ce qui concerne le tabac, certaines catégories de fruits, sans oublier ce qu’un effort commercial pourrait donner au développement de la vanille et, peut-être, ce que rapporteraient ces quelques plantes rares qui, jadis, accompagnaient le géranium et dont nous avons laissé le privilège à Madagascar. Vous penserez sans doute que j’enfonce une porte ouverte, mais il arrive que ce ne soit pas là une action inutile45 ». Comme le montre la lettre qu’il envoie encore au préfet le 2 juin 1969, Michel Debré envisage cette diversification dans un cadre de développement global à conduire sur plusieurs fronts : « Il faut chaque année, tenter d’apporter une amélioration ‘structurelle’. Ici, car ce ne peut être qu’ici, je m’acharne sur quelques grands projets (maintenant c’est la raffinerie, puisque pêche et tourisme sont lancés, mais toujours à surveiller). Là-bas, c’est l’ensemble des petits projets auxquels il faut faire voir le jour, en deux ans, en cinq ans… Si l’on pouvait ‘pousser’ tabac, thé, rhum, herbes médicinales, tout cela pour l’exportation… sans oublier ce que les sucriers pourront faire après les concentrations (voire avant) puis les conserveries, les petites industries ‘diverses’ j’en passe…, la multiplication, la diversification vont de pair avec quelques grandes orientations46 ».
- 47 Ibid., 9DE75.
- 48 Ibid., 9DE26. Toutes les citations suivantes proviennent de ce carton.
- 49 Ibid., 9DE93.
22Michel Debré s’attache ainsi à soutenir de nombreux projets. Après la réorganisation de la coopérative de géranium, il impulse la création de la coopérative d’achat et de vente de Bras-Panon. Le tabac, dont le mode de production est resté basé sur des méthodes archaïques, retient également son attention. En 1964, il réussit à faire venir dans une première mission industrielle le directeur du Service d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA). Ministre des Finances, il soutient la construction à Saint-Louis d’un petit centre de préparation et obtient du SEITA une promesse d’achat en quantité illimitée de la production locale, sous réserve de bonne qualité. Le 1er décembre 1968, Michel Debré, ministre des Affaires étrangères, fait savoir au préfet que le tabac « paraît être une des voies les plus prometteuses en matière de diversification des cultures47 ». Il tente donc d’obtenir l’installation d’une manufacture de cigarettes dans l’île, mais il se heurte dans ce domaine à une forte réticence du SEITA. Le 11 novembre 1970, Michel Debré fait part au préfet de sa volonté de « hâter un processus qui tarde trop48 ». Mais le 8 mars 1971 la direction de l’entreprise réitère son opposition à Michel Debré : « Par sa trop faible capacité, entraînant un montant élevé d’investissements à l’unité produite et des coûts de fabrication onéreux, l’usine qui serait ainsi construite comporte des handicaps certains ». Mais le ministre annote le courrier, à l’attention de ses collaborateurs : « Malgré le caractère dubitatif du rapport, je suis partisan de continuer ». Le 5 avril, Michel Debré rédige une note qui laisse poindre son agacement à voir le projet sans cesse repoussé : « J’ai appris incidemment que les difficultés rencontrées par la manufacture de Tabac à la Réunion venaient des dirigeants du SEITA, Montremy [inspecteur général des Finances, président du comité d’administration du SEITA] et Sadrin, le premier plus que l’autre. Il paraît que le SEITA veut à la Réunion l’extension du monopole. Si cette extension peut se faire en respectant les droits acquis, pourquoi pas ? Mais de toute façon, il n’est pas admissible que l’on s’oppose à une décision politique et je voudrais que vous puissiez dire à Montremy mon intention d’évoquer la question à l’Élysée au prochain Conseil interministériel ». Le 6 avril 1972, c’est Jacques Calvet, directeur de cabinet du ministre de l’Économie et des Finances Giscard d’Estaing, qui fait connaître à Michel Debré sa grande réticence à un tel projet : « J’observe tout d’abord que la fabrication de cigarettes à la Réunion constituerait pour l’entreprise dont j’assume la tutelle une opération inopportune au moment où le Seita doit assurer par priorité la compétitivité de ses produits à l’intérieur de la Communauté Économique Européenne. (…) à l’exception de la création de 71 emplois, aux effets induits très limités, l’intérêt économique pour la Réunion ne me paraît pas correspondre à l’importance de l’investissement ». Le 17 avril, Michel Debré écrit cette fois à de Montremy, pour lui demander instamment de revoir la politique menée à l’égard des DOM : « Le Seita, je m’en étais rendu compte avant votre présidence se désintéresse par trop des départements d’outre-mer. Il faut que vous portiez d’urgence remède à cette attitude qui n’est pas concevable ». Dans ce projet, comme dans bien d’autres, le développement de structures industrielles à la Réunion se heurte, en dehors du peu d’intérêt que suscite parfois l’île pour les investisseurs, à des considérations d’ordre géopolitique. Le 9 janvier 1973, Michel Debré doit écrire à Pierre Billecoq, secrétaire d’État à la coopération, car le projet de manufacture se voit opposer cette fois la crainte exprimée par le gouvernement malgache de perdre le marché réunionnais et comorien : « Je n’ignore pas l’importance des problèmes concernant la coopération, mais je ne vois pas en quoi les autorités malgaches pourraient se formaliser de la création, par une Société d’État française, d’une usine de fabrication de cigarettes dans un département français. Je me permets d’insister bien vivement auprès de vous pour que vous puissiez indiquer au Ministre de l’Économie et des Finances que ce projet ne soulève aucune objection de votre part ». Si Michel Debré obtient finalement la création d’une petite usine à Saint-Pierre, il doit continuer à batailler ferme pour que le SEITA maintienne ses efforts d’importation du tabac réunionnais, de même qu’il lui faut défendre les intérêts de la production réunionnaise au sein de la CEE (il obtient en 1970 la garantie des prix). La lettre qu’il écrit le 27 janvier 1978, à Philippe Huet, PDG du SEITA, montre combien cette action s’inscrit dans la longue durée : « Vous savez que je suis à l’origine de la renaissance de la culture du tabac. Bien des difficultés ont été vaincues. D’autres le seront prochainement avec le développement de l’irrigation. Mais il en subsiste encore touchant notamment le classement du tabac, le principe même de sa dénomination (il s’agit d’un hybride du Paraguay et, me semble-t-il, on ne veut pas le reconnaître à Bruxelles). Ce que je peux vous dire, c’est que le tabac peut être à la Réunion une culture d’avenir, que ce sont de très bons cultivateurs, qui s’y intéressent en grand nombre, et que je souhaite que le SEITA continue à s’y intéresser. Vous savez qu’à cet égard j’ai eu quelques difficultés avec des techniciens quelque peu technocrates qui avaient assez mal traité la délégation de planteurs réunionnais venue au Quai d’Orsay. J’ai appris avec plaisir cette année qu’il avait été décidé d’apprécier la qualité des tabacs par une délégation venant à la Réunion49 ».
- 50 Journal de Île, 3 décembre 2001.
- 51 Debré Michel Trois Républiques pour une France. Combattre toujours. 1969-1993, op. cit., p. 251.
23Si l’acharnement de Michel Debré a abouti pour le tabac, la tentative conduite sur le thé constitue un échec. Après des premières tentatives en 1910, la culture est relancée à la fin des années 1950. Suite à des essais concluants dans les hauts de Saint-André, deux cents hectares sont défrichés à la Plaine des Palmistes en 1957. Une coopérative est créée en 1962 et l’usine de la Plaine, en service depuis le 3 décembre 1965, est inaugurée par Michel Debré le 27 mars 1966. La production ne dépassera jamais les 200 tonnes, alors que l’usine était prévue pour une capacité de 300. Au coût de la main-d’œuvre, qui rend le prix du thé local quatre fois plus élevé que celui de l’île Maurice, s’ajoute un marché intérieur peu demandeur, et surtout un détournement des aides. On estime qu’en 1968 il n’y avait que 20 % des planteurs de thé recensés qui étaient réellement des agriculteurs actifs50. L’ensemble se solde par la décision de fermeture votée par le conseil général en janvier 1972. Persuadé que la Réunion peut trouver un marché à l’exportation dans le domaine horticole, Michel Debré soutient encore en octobre 1973 l’organisation des premières Floralies de l’océan Indien. Mais le député reconnaît ne pas avoir réussi à mener à bien le grand projet qu’il avait dans ce secteur : « Malgré les exceptionnelles conditions de terre et de climat, l’individualisme des exploitants est la cause principale de l’insuccès que je rencontre avec le professeur Georges Becker, alors député gaulliste du Doubs, dans notre projet de mettre sur pied une grande industrie florale51 ».
24La polémique est très vive avec les communistes sur le sujet. La ligne de conduite du PCR est simple : chaque progrès est le résultat de la lutte des travailleurs tandis que chaque situation difficile est la conséquence de la politique colonialiste. Ainsi, par exemple, lorsque Michel Debré, ministre des Finances, annonce des mesures favorables aux planteurs de tabac, Témoignages estime, le 3 février 1967, qu’il s’agit d’un progrès dû à la mobilisation des planteurs : « Nouveau recul imposé à Michel Debré… à la veille des élections ! (…) Debré admet le principe de l’égalité des prix avec la France et fixe un prix de 180F le kilo pour 1967. Le succès des planteurs de tabac — qui doivent poursuivre leur action — encouragera les planteurs de cannes, de géranium et de vanille ». A l’inverse, le quotidien communiste du 19 juin 1967 explique, concernant la production de vanille : « Après la ruine des 2000 planteurs, la culture de la vanille est-elle définitivement condamnée ? Qui est responsable de la crise ? Le régime colonial qui nous est imposé et le gouvernement colonialiste français qui refuse toute protection à cette production réunionnaise. (….) La crise de la vanille avec la disparition de cette culture est bien à inscrire au passif de la départementalisation et à ‘l’actif’ de Michel Debré ».
- 52 JO, AN, 1re séance du 11 juin 1980, p. 1730.
- 53 Valy Amine, « Le rôle joué par l’agriculture dans le processus de départementalisation à la Réunio (...)
25Conscient de la fragilité de l’agriculture insulaire et afin de poursuivre le développement agricole, Michel Debré proposait à l’Assemblée, le 11 juin 1980 un institut d’initiative et de développement agricole52. Sa proposition n’a pas eu de suite. Amine Valy, qui a étudié précisément l’évolution de l’agriculture depuis 1946 relève qu’entre 1975 et 1993 la diversification agricole a poursuivi ses progrès ; les importations de produits agricoles et alimentaires sont en effet passées de 31 % du total des importations à 18 % durant la période53. Avec la forte augmentation de la demande intérieure, l’auteur y voit en particulier l’action des filières organisées. Qu’il s’agisse des infrastructures agricoles, de l’enseignement ou de la recherche agronomique, pour ne citer que ces secteurs, l’action générale de Michel Debré a servi d’impulsion, mais s’est heurtée à la « résistance de la société de plantation », confortée par le choix de s’appuyer d’abord sur la filière sucrière, ainsi qu’au peu d’intérêt des responsables politiques et économiques métropolitains pour un très lointain territoire.
L’industrie
- 54 AHC, 9DE45.
- 55 Ibid.
- 56 Ibid., 9DE25.
26Dans la loi de programme de 1960, Michel Debré, alors Premier ministre, avait fait accorder un ensemble conséquent de mesures d’incitation à l’investissement. Les problèmes ne manquent pas : isolement, absence ou manque d’infrastructures générales (aéroport, port, électricité…), formation insuffisante et coût de la main-d’œuvre trop élevé par rapport à l’environnement régional, mais aussi absence d’une quelconque richesse du sous-sol à mettre en exploitation. Devenu député, Michel Debré multiplie les missions industrielles et travaille avec le préfet à l’installation de petites industries de transformation locales. Les industriels métropolitains se montrent cependant réticents à venir s’installer car leur impératif est avant tout la recherche d’un profit possible et non une action désintéressée au service du développement insulaire. Le rapport de mission du 7 juin 1966, commandé par Michel Debré, alors ministre de l’Économie et des Finances, souligne de ce fait l’importance d’une volonté politique affirmée : « En matière d’industrialisation, les réalisations des dernières années sont restées très faibles, tragiquement insuffisantes même si l’on tient compte du nombre d’emplois à créer pour une jeunesse toujours plus nombreuse et impatiente. Pourtant l’arsenal des ‘incitations’ est important. Peut-être a-t-on longtemps trop compté sur des initiatives locales pour en tirer parti, alors que le problème nécessiterait, pour être résolu, pas moins qu’un petit ‘plan de Constantine’, avec pression au moins morale sur le patronat de la métropole et bon accueil aux capitaux étrangers en quête d’emplois54 ». Le 27 décembre 1966, c’est un conseiller économique de la Banque Worms qui, de retour d’une mission dans l’île, suggère de protéger des productions nouvelles comme l’arachide, d’ouvrir un marché commun de l’océan Indien francophone, ou propose encore que « pour pallier la carence des promoteurs locaux ou métropolitains – et, bien entendu, en l’absence de recours à certaines mesures autoritaires – les pouvoirs publics, par un truchement quelconque, prennent en charge la création d’une infrastructure industrielle susceptible d’amorcer la suite du développement55 ». Dans la fiche de transmission du 29 décembre qui accompagne le rapport de Relier, Francis Gavois, collaborateur de Michel Debré estime que « de toutes les personnalités que j’ai invitées à la Réunion, c’est lui qui a vu les problèmes de la manière la plus claire ». Michel Debré lui répond que son opinion personnelle est renforcée : « La conclusion de sa lettre rejoint ma pensé, il faudra créer, je crois, une société d’industrialisation de la Réunion ». Le projet n’aboutit pas, mais en attendant les grandes réformes qu’il ambitionne, Michel Debré agit là où une action immédiate est possible. Entre mai et août 1966, il intervient ainsi à de nombreuses reprises pour que le mobilier scolaire soit fabriqué sur place56.
- 57 Ibid., 9DE45.
- 58 Ibid., 9DE75.
27A la fin des années 1960, l’optimisme n’est cependant guère de rigueur face au chômage et à l’explosion démographique, comme l’indique l’inspecteur général des Finances de Lombarès, le 18 septembre 1967 : « Le général Billotte [ministre des DOM-TOM] et le préfet Vaudeville ont compris – et disent – que c’était une erreur de compter sur l’industrialisation pour sortir de cette situation. Le premier l’a dit dans son discours (…) ; le second a parlé d’une usine de peinture inaugurée récemment ‘à grand tam-tam’, qui a créé 22 emplois…57 ». Pourtant Michel Debré estime qu’il faut poursuivre les efforts. Le 11 août 1969, il encourage le préfet Vaudeville à organiser une nouvelle mission d’industriels métropolitains58 : « J’ai profité de mes premières heures à la campagne pour parcourir diverses fiches ou notes relatives à la Réunion et je me suis demandé s’il ne convenait pas d’envisager une action identique à celles qu’à deux reprises j’ai pu mener avant que vous fussiez préfet de ce département et qui ont donné des résultats. Vous avez su qu’en effet, entre 1963 et 1966, j’ai avec M. Max Moulins, organisé deux missions d’industriels et de techniciens, chacune de dix à douze personnes. Tout ce qui fut envisagé n’a pas abouti, mais certaines réalisations sont à l’actif de cet effort : Bourbon plastic, Cilam [coopérative laitière], les peintures Corona, la future industrie du ciment, sans oublier l’apport important en matière de pêche, et j’en oublie sans doute. Pourquoi ne pas recommencer ? Ces missions amènent des chefs d’entreprise de l’île à prendre conscience de certaines possibilités et aussi de certaines exigences. Elles créent aussi un intérêt de la part de certains métropolitains. Nous avons devant nous des éventualités, me semble-t-il, dans le domaine textile, dans le domaine alimentaire. On peut essayer d’intéresser certaines sociétés commerciales à l’exportation vers l’Afrique. Pourquoi ne pas chercher à mettre sur pied une troisième mission ? Voulez-vous y réfléchir ? ».
28Pour Témoignages, ces missions industrielles sont l’expression même du colonialisme. Le 8 avril 1970, le quotidien communiste annonce ainsi : « Une mission de gros capitalistes français est attendue à la Réunion où elle doit séjourner du 8 au 14 avril. Elle est composée de dirigeants de gros trusts de la construction, de l’électricité, ceux de sociétés hôtelières et de pêche etc. et d’un collaborateur du président du CNPF (Conseil National du Patronat Français). La Réunion ne peut intéresser ces capitalistes que dans la mesure où ils peuvent y faire de fructueuses affaires. Et Le Progrès nous révèle que c’est Michel Debré qui a amené ces industriels à ‘s’intéresser’ à la Réunion ! ». Parallèlement le journal s’en prend aux responsables économiques locaux. Le 18 avril 1973, il explique que les grandes familles locales n’assument plus leurs responsabilités, alors qu’autrefois « cette bourgeoisie avait un sens de la classe aigu, et le sentiment de ‘dignité’ que lui donnait la totale domination ». Il estime qu’en se débarrassant de ses terres pour investir dans le commerce ou l’immobilier « la grande bourgeoisie créole perd de sa capacité à diriger et à administrer. Elle accepte de jouer un rôle de second plan ». Le 2 octobre 1973, Témoignages dénonce cette fois la nomination d’un métropolitain à la tête de la Chambre de commerce comme une « discrimination raciale » et il met en demeure la bourgeoisie locale de réagir : « Ce sont ses représentants les plus puissants et les plus éminents qui sont à la direction de la Chambre de commerce. Leurs ancêtres commandaient et se faisaient respecter. Eux aujourd’hui n’osent rien objecter devant une injustice frappant leur compatriote et commise en leur nom. (…) Le système est tel aujourd’hui que c’est l’employé métropolitain qui commande aux patrons réunionnais. Cela s’appelle la démission et la décadence d’une classe ».
- 59 Ibid., 9DE17.
- 60 Ibid., 9DE26.
29Les implantations industrielles d’importance sont en fait très difficiles à obtenir. Le projet de minoterie de la part de la Continental Grain Company évoqué dans la séance de travail présidée par Michel Debré, le 9 février 1972, en est un exemple. Cette minoterie destinée à produire pour l’ensemble du marché régional remet d’abord en cause une petite entreprise locale dont le propriétaire n’est autre que le sénateur-maire de Saint-Pierre, Alfred Isautier : « M. Michel Debré estime que cette opération ne doit pas se faire au détriment de M. Isautier. Cependant, étant donné l’importance du projet de la Continental Grain Company et l’intérêt de faire venir à la Réunion des promoteurs extérieurs ayant une assise financière solide, M. Michel Debré pense que la meilleure solution serait d’amener M. Isautier à s’associer à ce projet59 ». L’autre problème est bien plus difficile à régler car il est d’ordre géopolitique. Une note d’Alain Plantey, ancien collaborateur du général de Gaulle, envoyée le 8 décembre 1971 au ministère des Affaires étrangères indique que Madagascar a très mal pris l’annonce faite par Pierre Messmer, ministre des DOM-TOM, d’une minoterie à la Réunion. La Grande Ile n’est pas décidée à perdre, au profit des Réunionnais, l’installation d’une minoterie et son gouvernement est même prêt, selon Alain Plantey, à se tourner vers les Américains au détriment des Français : « Cette déclaration n’est naturellement pas passée inaperçue à Tananarive où elle suscite une vive réaction de la part des autorités qui étudient depuis deux ans un projet analogue, pour lequel ils ont reçu des propositions françaises et américaines, ainsi que je l’ai déjà signalé au département. En l’absence d’une coordination industrielle entre les pays de l’océan Indien, il est certain que Madagascar poursuivra la réalisation de ses intentions en arguant de conditions économiques meilleures puisque pouvant reposer sur une production locale de blé, et déboucher sur un marché intérieur beaucoup plus large. Mais le retrait éventuel du marché réunionnais aurait pour effet de réduire la rentabilité de l’investissement, alors qu’en compensation de la construction à la Réunion d’une raffinerie faisant concurrence à celle de Tamatave, Paris avait indiqué officiellement que Madagascar serait seule à réaliser une minoterie commune60 ».
- 61 Ibid., 9DE24.
- 62 Ibid., 9DE27.
30Lorsque Michel Debré a quitté les Finances pour les Affaires Étrangères en 1968, il avait en effet impulsé l’idée d’une raffinerie à la Réunion en complément de la raffinerie de Madagascar qui arrivait à son développement maximum61. Même si les responsables du ministère de l’Industrie se montrent peu enthousiastes face à ce projet, Michel Debré poursuit ses démarches et demande au préfet de mener des discussions avec l’île Maurice. La première note technique adressée au ministre le 9 mars 1969 par Jean Couteaud, ingénieur des Ponts et Chaussées en mission à la Réunion, se montre très optimiste, mais à l’automne le projet n’a toujours pas avancé. Michel Debré ne cache pas un certain agacement devant l’inertie volontaire des parties concernées62 : « Il est indéniable qu’on vient de perdre six mois dans cette affaire. En effet, les compagnies pétrolières, qui ne se considèrent pas comme demandeurs en l’espèce, ont préparé une étude technique mais elles attendaient d’être officiellement saisies par le Ministère de l’Industrie pour faire des propositions. En fait elles gagnaient du temps ! ». Le collaborateur du ministre insiste sur la nécessité d’obtenir une aide publique tout en obtenant la garantie du gouvernement mauricien de ne pas créer une raffinerie, comme il le laisse entendre : « La partie reste donc difficile à jouer mais on peut incontestablement la gagner à condition de ‘monnayer’ l’abandon, par le gouvernement mauricien, de son projet. Cela signifie qu’il ne faut, au cours des dernières semaines, rien accorder au gouvernement mauricien et conserver nos atouts. C’est ainsi qu’il faut poursuivre les négociations avec les Finances pour l’obtention du prêt destiné à l’implantation du Club Méditerranée à Maurice, mais ne pas accorder officiellement ce prêt tant que nous n’aurons pas satisfaction sur la raffinerie. On pourrait également ouvrir légèrement nos frontières à quelques émigrants mauriciens. Enfin, j’ai fait demander aux Compagnies pétrolières françaises d’intervenir auprès de la Shell ».
- 63 Ibid.
- 64 Ibid.
- 65 Ibid., 9DE4.
- 66 Ibid., 9DE85.
- 67 Ibid., 9DE27.
31Le 14 novembre 1969, le secrétariat général des DOM demande à Michel Debré d’intervenir car « il est évident que les pétroliers, et notamment l’Union Générale des Pétroles, ne sont pas très chauds pour pousser l’affaire et qu’ils soulèvent des objections et des exigences plus ou moins valables63 ». Michel Debré relance donc les pétroliers et continue les tractations avec l’île Maurice. Le 6 novembre 1969, c’est son successeur aux Affaires étrangères, Maurice Schuman, qui reçoit en entretien le Premier ministre mauricien, Sir Seewoosagur Ramgoolam. Le 6 février 1970, les deux hommes passent un accord communiqué à Michel Debré64. La raffinerie est prévue pour 1975 à la Réunion et Maurice accepte de différer tout projet jusqu’à ce que le développement de la consommation régionale nécessite une nouvelle augmentation de la production. La France s’engage en contrepartie à construire une usine d’engrais à Maurice et s’engage à ce que la Réunion achète les engrais mauriciens. Mais en fait l’affaire est loin d’être réglée car Madagascar cherche à augmenter la capacité de sa raffinerie pour empêcher la création de la raffinerie à la Réunion. Par ailleurs, une note de l’ambassadeur de France à Maurice signale au ministre français des Affaires étrangères que le Premier ministre insulaire ne cache plus son hostilité au projet. En fait Maurice, sous l’influence des pétroliers américains, ne semble plus du tout disposée à laisser la Réunion développer son influence dans le domaine de l’approvisionnement pétrolier65. La victoire des communistes aux municipales de mars 1971 dans la ville du Port semble en outre ralentir un peu plus les compagnies françaises. Le 5 juillet 1971, Michel Debré demande au préfet de mobiliser toutes les bonnes volontés qu’il peut trouver pour sauver le projet : « Les compagnies qu’il avait fallu pousser l’épée dans les reins ont naturellement saisi le résultat au Port et à La Possession pour marquer leur intention de tirer leur épingle du jeu. J’ai réagi, mais il importe, me semble-t-il, que, d’une manière administrative et avec le concours du cabinet de M. Messmer, vous puissiez réunir les représentants des compagnies intéressées lors de votre séjour. Il est bien clair que, de mon côté, j’agirai comme il le faudra, mais j’ai besoin de votre action et de celle du ministre des départements d’outremer, comme j’ai besoin de l’action des Réunionnais intéressés, marquant sans délai leur volonté de continuer l’œuvre commencée66 ». Deux ans plus tard, le 23 mars 1973, une lettre envoyée par la préfecture à Jean-Claude Aurousseau montre que Michel Debré a encore demandé une nouvelle étude économique sur le projet de raffinerie qui n’a toujours pas abouti67…
- 68 Ibid., 9DE46.
- 69 Ibid., 9DE47
- 70 Ibid.
- 71 Ibid.
- 72 Ibid.
32Dans cette lutte d’influence géostratégique, Michel Debré doit non seulement convaincre les industriels français, parfois plus intéressés par les conditions offertes par les pays voisins, mais aussi lutter contre certains ministères français. Intimement persuadé que la pêche industrielle est un secteur d’avenir pour la Réunion, le ministre a entamé des démarches dans ce domaine depuis 196668. Le 21 février 1971, le préfet écrit à Michel Debré pour lui signaler cette contradiction : « Il est curieux que les pouvoirs publics puissent mener simultanément ainsi deux politiques contradictoires, subventionnant d’une part la création d’un port moderne à la Réunion et l’armement d’un premier thonier congélateur dans cette même île, aidant par ailleurs techniquement et financièrement, et surtout favorisant l’implantation d’armements français à Port-Louis, c’est-à-dire à moins de 200 kilomètres du port de la Pointe des Galets69 ». Dès le 17 mars, Michel Debré écrit à Maurice Pérouse, directeur général de la Caisse des dépôts et consignation : « Je voulais attirer votre attention sur le fait que la Réunion doit avoir priorité et qu’il serait très préjudiciable, pour nos intérêts dans cette partie du monde, qu’il en soit autrement70 ». Les projets en matière de pêche semblent d’autant plus urgents que l’URSS cherche à s’implanter en août 1968 à Maurice. Michel Debré, mis au courant, note alors à l’attention de ses collaborateurs71 : « Il ne faut pas s’affoler, mais il faut se hâter pour la pêche à la Réunion ! ». Témoignages n’hésite d’ailleurs pas à exploiter cette nouvelle pour montrer les avantages que présenterait l’autonomie. Le 1er septembre 1969, le journal annonce ainsi que « l’Union soviétique aidera l’île Maurice pour le développement de la pêche » alors que la pêche industrielle végète à la Réunion. L’information qui arrive début 1971 à Michel Debré est dans le même ordre d’idée peu banale : le préfet lui fait savoir qu’il a une proposition d’installation permanente des Cubains au Port de la Pointe des Galets ! Le préfet y est bien entendu hostile « car le Parti Communiste Réunionnais ne manquerait pas d’exploiter pour son compte l’installation permanente de Cubains au Port de la Pointe des Galets » et « sur un plan plus général, dans le cadre des problèmes stratégiques qui se posent entre les grandes puissances dans l’océan Indien, autoriser la relâche régulière des bateaux cubains à la Réunion pourrait être dangereux72 ». Le 2 avril, Pierre Messmer, ministre des DOM-TOM fait savoir d’ailleurs qu’il s’oppose catégoriquement à une telle éventualité.
- 73 Ibid., 9DE50.
- 74 Ibid., 9DE46.
- 75 Ibid., 9DE26.
33Au-delà de ce type d’exemples soulevant des enjeux d’ordre international, l’arrivée de Pierre Messmer au ministère de l’outre-mer, entre janvier 1971 et mai 1972, est suivie de toute une série de mesures destinées à favoriser les investissements métropolitains en matière industrielle : publication de brochures rappelant les différents avantages fiscaux, missions d’industriels à la Réunion, visite d’industriels réunionnais en métropole, création d’un bureau de promotion industrielle à Paris… Pierre Messmer explique aussi à Michel Debré, le 21 avril 1971, qu’il convient de lutter contre les monopoles à l’importation : « J’ai demandé une étude confidentielle et détaillée, car mes éléments d’information actuels sont insuffisants73 ». On mesure également combien la situation politique pèse sur le développement industriel. Le compte rendu de la visite d’un groupe d’industriels réunionnais au CNPF en juin 1972 indique en effet : « En réponse aux craintes formulées par un certain nombre d’industriels métropolitains et par le président Huvelin en ce qui concerne les risques d’ordre politique à la Réunion, toutes assurances sur l’avenir de l’île leur ont été données74 ». Les offres fiscales alléchantes suscitent cependant parfois des propositions douteuses. Ainsi par exemple, le 24 avril 1972, Jean-Emile Vié, secrétaire général des DOM, met en garde Jean-Claude Aurousseau à propos d’un projet de mini-aciérie dont l’honnêteté de l’auteur est loin d’être établie75. En tous les cas, pour le PCR, la campagne de promotion à grande échelle prouve, a contrario, que l’autonomie est inéluctable : « Huit pages publicitaires dans Le Monde pour inciter les capitalistes français à investir à la Réunion…. mais qui montrent la force de notre revendication d’autonomie. (…) En dehors des plaquettes publicitaires proprement dites, un article de présentation d’André Laurens journaliste du Monde, un article de Pierre Messmer sur ‘l’aide généreuse de la métropole’, un autre de Michel Debré promettant un avenir de progrès ‘à la jeunesse réunionnaise’, d’autres encore rédigés ici par des fonctionnaires métropolitains de haut rang… A la lecture de tous ces articles, il semble de toute évidence que ces messieurs sont hantés par le cauchemar de l’autonomie. Il fut un temps où il était de bon ton d’ignorer ce problème. Aujourd’hui les articles publiés par Le Monde le placent au tout premier plan ».
- 76 Ibid.
- 77 Ibid., Classeurs correspondances.
- 78 Ibid., 9DE78.
- 79 JO, AN, 1re séance du 11 juin 1980, p. 1730.
34En dix ans, l’industrialisation de la Réunion a cependant progressé comme l’indique une fiche de 1973 qui figure dans un dossier de travail du cabinet de Michel Debré : « L’industrialisation se poursuit activement puisque en 1962, 500 personnes travaillaient dans l’industrie (non compris bâtiment et sucreries), elles sont au nombre de 3 300 en 197176 ». Mais ce résultat est insuffisant face au défi démographique. Par ailleurs, depuis son départ du Gouvernement, Michel Debré reproche tout particulièrement au ministre de l’Économie et des Finances, Valéry Giscard d’Estaing, de ne pas prendre la mesure des enjeux à la Réunion. Le désaccord n’en devient que plus important lorsque ce dernier accède à la présidence de la République. Le 19 janvier 1976, Michel Debré écrit à Raymond Barre77, nommé ministre du Commerce extérieur par Jacques Chirac, pour lui signaler « l’intérêt et l’urgence d’aider quelques promoteurs à installer de petites affaires industrielles à la Réunion ». Et Michel Debré de lui expliquer : « je prêche dans le désert ». Mais même Raymond Barre devenu Premier ministre, Michel Debré reste fortement inquiet de l’évolution des projets industriels. Le 9 mars 1977, il écrit au préfet Lamy : « Je suis préoccupé du non-aboutissement de divers projets, qu’il s’agisse de l’huilerie, de l’élevage de tortues et de quelques autres. Je l’ai dit au téléphone à M. Stirn. Je l’ai écrit au Commissaire aux investissements, en fait rien n’aboutit78 ». Le 11 juin 1980, dans un discours fleuve à l’Assemblée nationale, le député propose, pour faire face à la « guerre économique », la création d’un institut du développement industriel et artisanal afin de décentraliser les initiatives et les responsabilités, de déconcentrer certaines décisions et d’adapter la législation79. Dans Le Monde du 8 septembre 1985, Michel Debré résume en fait son principe d’une départementalisation adaptée dans le domaine économique : « A la Réunion, le second problème [après la démographie], c’est celui du développement industriel, de l’investissement sur place. Il y a, en ce domaine, toute une série de mesures à prendre et notamment une décision peu populaire, dont je suis à peu près le seul défenseur : on ne peut assimiler les salaires à ceux de la métropole. Si l’on veut que la Réunion ait une capacité industrielle dans cette région du monde, il ne faut pas aligner les salaires sur ceux de la métropole, du moins pas avant une vingtaine d’années. Il faut aussi réduire les importations de produits finis, les remplacer par des importations de matières premières ou de produits en voie de transformation et les transformer sur place… ». La problématique a-t-elle changé après 1988 ? Si l’égalité sociale s’est imposée, il suffit de remarquer que la Loi d’Orientation pour l’outre-mer, votée par le gouvernement Jospin en décembre 2000 est assortie d’un ensemble important de mesures de défiscalisation pour soutenir le développement industriel et que le président communiste de la région Réunion, Paul Vergès, s’attache à défendre les avantages fiscaux dont bénéficient les régions dites ultrapériphériques de l’Union Européenne, pour remettre en perspective tout le combat de Michel Debré.
Le tourisme
- 80 AHC, 9DE51.
- 81 M. Fos a été envoyé à la Réunion pour être l’animateur de la Société d’équipement touristique de l (...)
- 82 Ibid., 9DE36 et 9DE75.
35Dans ce domaine, comme dans la plupart des secteurs d’activité, tout reste encore à faire dans les années 1960. Le rapport du 19 octobre 1966 rédigé par Alain Dessart, directeur de la Caisse centrale de coopération économique de la Réunion, et remis à Michel Debré, le montre clairement80 : « Presque rien n’a été fait ici, dans le domaine du tourisme, depuis un an et je redoute que les choses demeurent en l’état longtemps encore car les moyens mis en place me paraissent mal adaptés à nos besoins. (…) La Mission interministérielle (…) s’intéresse plus aux Antilles qu’à la Réunion où elle n’a pas désigné de représentant. Localement il n’y a pas de véritable responsable chargé de promouvoir un plan et de coordonner les actions ; il y a au contraire dilution de responsabilités et une dispersion des efforts. (…) On nous offre des subventions pour des études, missions et publicité et la seule mission financée par ces crédits est celle de M. Fos81 qui n’est pas expert en tourisme et qui suggère l’envoi ici d’un spécialiste. » C’est ainsi que Michel Debré se retrouve à organiser personnellement, en collaboration avec le préfet et le directeur de l’ORTF dans l’île, la présence d’un stand de la Réunion lors d’une foire-exposition de Montréal à l’été 1967. Le 3 août, le ministre des Finances prend même la peine d’écrire au préfet pour lui demander de faire envoyer rapidement les échantillons prévus pour le stand82…
- 83 Ibid., 9DE49.
- 84 Ibid., 9DE45.
- 85 Ibid., 9DE51.
- 86 Ibid.
- 87 Ibid., 9DE80.
36La note du 28 juillet 1967 rédigée par l’inspecteur des Finances Auboyneau, envoyé en mission d’étude par Michel Debré s’étonne de l’état de la situation par rapport à Maurice : « La Réunion est une île d’une beauté extraordinaire, mais pratiquement vierge du point de vue de l’organisation du tourisme : le nombre des vrais touristes ne s’y chiffre que par quelques unités, la grande masse des visiteurs étant constituée par des fonctionnaires ou des hommes d’affaires. L’île Maurice qui, malgré son charme, présente des attraits beaucoup moins variés, reçoit un nombre de touristes en constante augmentation : 4 430 en 1961, 7 727 en 1963, 10 058 en 1965, autour de 14 000 en 1966. Cette comparaison brutale impose une politique83 ». C’est donc avec grand intérêt que le cabinet de Michel Debré suit l’implantation en 1968 d’une agence de Riss Voyages dans l’île. Le 6 mai 1968, le ministre reçoit une note sur le sujet : « Des premiers contacts pris sur place, il apparaît que l’action promotionnelle entreprise est freinée par le monopole de fait des deux compagnies nationales : Air France et Air Madagascar84 ». Pour essayer de surmonter les difficultés d’implantation des agences et voir comment il est possible de promouvoir l’île, Michel Debré rencontre alors Jean Magnan, président du syndicat national des agences de voyages. Après leur première séance de travail, Jean Magnan suggère au ministre des Affaires étrangères, dans une lettre du 2 décembre 1968, une idée qui a fait son chemin depuis : « Il s’agirait, à chaque bulletin météorologique diffusé par l’ORTF, de faire figurer les trois groupes de départements d’outre-mer en y indiquant le temps et la température. Il y a là un rappel permanent de l’ensoleillement de ces territoires qui ne pourrait que s’imposer à tous les Français et serait donc une excellente promotion85 ». Immédiatement, Michel Debré transmet la proposition à Jean-Jacques de Bresson, directeur national de l’ORTF. Le cabinet de Michel Debré déploie une grande activité au service de la promotion de l’île. Le 14 mars 1969, Jean-Claude Aurousseau indique par exemple sur une fiche destinée à l’un de ses correspondants au ministère des DOM-TOM : « Vous avez bien voulu me faire part du projet de M. Michel Debré d’adresser un exemplaire de la Revue Française sur la Réunion à un certain nombre de personnalités avec un carton les incitant à visiter l’île. J’avais moi-même diffusé quelques exemplaires de cette brochure, mais on pourrait effectivement le faire sur une plus grande échelle et j’en ferai prendre 500 exemplaires par exemple rue Oudinot, si vous en êtes d’accord86 ». En tant que ministre des Affaires étrangères, il organise également à Saint-Denis, le 28 mars 1969, une conférence des ambassadeurs de France dans la région afin d’y attirer la presse parisienne, ne cachant pas qu’il s’agit de faire de la publicité pour l’île87.
- 88 Ibid., 9DE54.
- 89 Ibid., 9DE54.
- 90 Ibid., 9DE78.
- 91 Ibid., 9DE93.
37Le cabinet du ministre estime cependant qu’il est de plus en plus nécessaire de coordonner localement les actions de promotion, comme l’indique cette note, sans auteur, du 29 janvier 1971 : « Il conviendrait que toutes les questions relatives au tourisme fussent traitées par une personne d’une plus grande envergure que l’actuel chef du bureau de tourisme. La Réunion a le plus grand besoin d’un ‘Monsieur Tourisme’88 ». Le 18 novembre 1972, Michel Debré s’adresse à J.-P. Dannaud, conseiller d’État et Commissaire au Tourisme pour lui demander de développer les efforts en faveur de l’île89. La réponse de ce dernier, le 15 décembre, souligne combien la Réunion est encore à l’écart de toute véritable promotion touristique : « La promotion du tourisme dans les départements et territoires d’outre-mer, jusqu’à une époque récente du moins, ne nous était pas confiée. A la suite d’une décision de M. Messmer, l’an dernier, nous avons été chargés de la promotion dans les Antilles française (…). Le cas de la Réunion a été, jusqu’à présent – il faut bien le dire – peu approfondi, faute, principalement, d’une quantité suffisante de chambres d’hôtels à commercialiser. Toutefois, et je partage totalement votre sentiment à cet égard, une promotion se prépare par la création d’une certaine image de marque auprès des clientèles éventuellement intéressées et, de ce point de vue, il est souhaitable d’agir dès maintenant ». Au milieu des années 1970, Michel Debré s’emploie à obtenir la création d’un poste de délégué au tourisme à la Réunion. Le 10 février 1976, il fait savoir au préfet Lamy qu’il est intervenu auprès du Gouvernement en ce sens et que la réponse est positive : « Le secrétaire d’État au tourisme m’écrit qu’il intervient immédiatement auprès de ses services90 ». Le premier délégué au tourisme Patrick Goyet, qui prend ses fonctions en 1978, commence par contacter Michel Debré pour prendre son avis sur la politique à conduire91.
- 92 Ibid., 9DE26.
- 93 Ibid., 9DE75.
- 94 Ibid., 9DE15.
- 95 Ibid., 9DE54. Toutes les citations suivantes proviennent de ce carton.
38Il faut reconnaître que l’ancien Premier ministre est durant les années 1960 et 1970 au cœur de tous les grands projets touristiques. Du fait de son influence politique, il intervient pour soutenir tous les projets d’aménagement. C’est ainsi, par exemple, que le 18 novembre 1972 il écrit au ministre de la Santé publique, Jean Foyer, pour lui demander de traiter en priorité la mise en exploitation des sources thermales de Cilaos : « Vous allez avoir très prochainement à votre signature un projet d’arrêté portant agrément de la source Cilaos à la Réunion. Il est à peine besoin de vous dire combien ce projet, qui entre dans le cadre de l’industrialisation de l’île, me tient à cœur92… ». Parfois il impulse des idées : une note du préfet en date du 30 août 1967 montre que Michel Debré envisageait pour le Tampon un parc national « zoologique et de faune avec annexe à Mafate93 ». Une fiche de travail de juin 1968 montre même que malgré un premier échec, il reste très attaché à cette idée : « Il y a quelques années, l’idée de la création d’un parc national avait été écartée, motif pris de ce que l’autorité des Eaux et Forêts est suffisamment grande à la Réunion pour permettre la protection de la faune et de la flore. L’amélioration des procédures réglementaires (parcs nationaux, parcs régionaux) et les perspectives du tourisme justifient, me semble-t-il, que l’on revienne sur ce refus, et la création d’un parc naturel serait de la plus grande utilité. Il conviendrait de mettre en route la procédure sans tarder94 ». Si cette dernière ambition ne se concrétise pas, Michel Debré finit parfois par obtenir gain de cause comme le montre le cas exemplaire du Club Méditerranée. Dès le mois de septembre 1966, alors qu’il est installé au ministère des Finances, Michel Debré entame des contacts avec Gilbert Trigano pour obtenir l’implantation du Club à la Réunion95. Après avoir demandé au préfet toute une série de renseignements précis, Trigano annonce le 25 mai 1967 qu’une implantation est envisageable si elle combine un hôtel à L’Hermitage, pour la plage, et la reprise de l’Hôtel de Cilaos et de l’auberge du volcan pour la montagne. Le projet du ministre ne fait pas l’unanimité parmi les élus locaux. Le 26 décembre 1967, Michel Debré écrit par exemple au député Marcel Cerneau qui n’a pas caché son hostilité : « J’ai été un peu surpris de lire dans la presse les vives critiques que vous avez faites au sujet de l’implantation du Club Méditerranée. Je me permets de vous dire que cette expérience dont j’ai pris l’initiative représente sans doute la première grande ouverture de la Réunion sur le tourisme européen. (…) Le tourisme est, je n’en doute pas, une des chances futures de notre île, mais il ne suffit pas d’avoir des hôtels, et il ne suffit même pas d’avoir désormais un aérodrome moderne, il faut un courant qui, aujourd’hui, est alimenté par de grandes agences et, à vous dire vrai, je crois que le Club Méditerranée est, pour ce qui nous concerne et de loin, la meilleure agence possible ».
39Si la question de l’implantation à la Réunion est vite résolue, le projet se retrouve lié à des aléas de politique internationale. En effet, Gilbert Trigano ambitionne une implantation conjointe à l’île Maurice. Michel Debré, qui perçoit l’intérêt géopolitique que cela représente, demande alors à Maurice Schumann, ministre des Affaires étrangères, de convaincre le ministre de l’Économie et des Finances Valéry Giscard d’Estaing de la nécessité du projet. Le 18 septembre 1969, Schumann écrit donc à son collègue dans ce but : « Sur le plan politique enfin, cette réalisation permettrait de satisfaire rapidement la demande d’aide économique et financière présentée par le gouvernement mauricien, désireux de se soustraire à l’influence trop exclusive de la Grande-Bretagne et aux avances de l’URSS qui cherche à s’implanter dans cette partie de l’océan Indien. Elle instaurerait un début de coopération économique entre la Réunion et l’île Maurice, souhaitée par les chambres de commerce des deux territoires et contribuerait enfin à consolider nos liens d’amitié avec ce jeune État indépendant où nous avons de nombreux intérêts ». Les négociations ne sont pas des plus faciles et se jouent autour d’une aide alimentaire en blé à l’île Maurice. L’ambassadeur de France à Maurice souligne par ailleurs que l’attitude trop discourtoise de Gilbert Trigano vis-à-vis du gouvernement mauricien n’est pas non plus pour faciliter les négociations. Les coûts avancés par l’architecte du Club laissent également sceptiques les autorités mauriciennes comme les services préfectoraux de la Réunion. Le 17 août 1971, le secrétaire général pour les Affaires économiques avertit ainsi le cabinet du ministre : « La venue du Club dans le département ne peut être présentée comme une opération de prestige et il semble que l’on devrait envisager des réalisations confortables à des prix beaucoup plus modestes, le luxe exigé par le Club ne se justifiant certainement pas dans le département ». La polémique médiatique se développe à l’image de Témoignages qui, le 30 juin, dénonçait un projet considéré comme indécent par rapport à la misère locale, ajoutant : « Et une question se pose : qui paiera ? ». Les revues de presse de Michel Debré suivent également de près le retrait du Club Méditerranée de Persépolis. Le ministre est ainsi prévenu : « Cela montre que M. Trigano a les yeux plus gros que le ventre, à moins qu’il n’utilise de tels projets que comme argument publicitaire… »
- 96 Ibid., 9DE4.
- 97 Ibid., 9DE54.
- 98 Ibid.
40Le 19 janvier 1972, le préfet de la Réunion finit par demander à Michel Debré96 : « Croyez-vous sincèrement que le projet de Trigano a des chances de voir le jour ? ». Le ministre écrit alors le 8 février à Yvon Bourges, secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, pour accélérer le mouvement : « Le Club Méditerranée est disposé à s’engager dans l’opération sous réserve que le gouvernement français prenne une position de principe favorable au financement complémentaire du projet Mauricien grâce à des prêts (…). Je m’excuse de cette intervention qui peut vous paraître précipitée, mais j’ai maintenant la conviction que si nous voulons aboutir il faut ‘brûler les étapes’, et obliger, par un engagement de principe de l’administration, le Club Méditerranée à prendre une position définitive97 ». Le 11 juillet, Michel Debré apprend par son chef de cabinet que « les chantiers de la Réunion et de l’île Maurice sont effectivement ouverts98 ». Ce que Michel Debré annote d’un « bien ! » traduisant autant la satisfaction que le soulagement. Le 9 mars 1974, le député inaugure alors officiellement le Club Méditerranée.
- 99 Ibid., 9DE86.
- 100 Ibid., 9DE51.
- 101 Ibid., 9DE52.
- 102 Ibid., 9DE54.
41Au début des années 1970, l’infrastructure touristique est en fait toujours à l’état embryonnaire, comme l’indique une note figurant dans un dossier de travail du ministre : « Le nombre d’hôtels est passé de 5 en 1962 à 7 en 1968 et 8 en 1969. Évolution du nombre de chambre : 1966, 134 – 1967, 138 – 1968, 148 – 1969, 160. Coefficient d’utilisation 37 %. Nombre de clients accueillis : en 1968, 10 712 et en 1969, 7 861. Les deux tiers des clients passent moins de 2 jours consécutifs dans le même hôtel et 4 clients sur 10 sont domiciliés à la Réunion99 ». Une des difficultés à développer l’infrastructure hôtelière, que soulève à plusieurs reprises la préfecture, est le manque d’investisseurs locaux véritablement décidés à innover et à assumer des risques dans ce domaine alors qu’il existe une attente des voyagistes. Le 29 janvier 1971, un collaborateur de Michel Debré signale au ministre qu’il a reçu la visite de Christian Redon, représentant de l’agence Havas de la Réunion, venu demander la création de nouveaux hôtels : « L’intéressé est venu lancer — selon ses propres termes — un ‘appel au secours’ en ce qui concerne le tourisme à la Réunion. Il considère que les agences de tourisme implantées dans l’île sont, dès maintenant, assurées d’une clientèle, clientèle qui ne peut être attirée à la Réunion faute d’une infrastructure hôtelière suffisante. L’implantation d’un hôtel de 200 places et de deux hôtels de moindre capacité ainsi que d’un ‘complexe – loisirs’ revêt un caractère d’extrême urgence. A cet égard, l’installation du Club Méditerranée est bien accueillie, mais ne saurait être considérée que comme une réalisation incitative. Selon les agences, la clientèle du Club laissera à la Réunion en moyenne 2 500 F CFA par tête et pas plus100 ». Il lui est précisé également que les Sud-Africains ont investi dans toute la région : un hôtel Hilton à Madagascar et un autre de 220 chambres en construction ; trois hôtels de classe internationale, un complexe de loisirs et une piste de jet au Seychelles, quatre hôtels de classe internationale à Maurice. Interrogé sur l’opportunité d’ouvrir la Réunion à ces investisseurs, le ministre indique : « Je suis partisan et il faut les encourager sans aucun doute101 ». En fait, depuis le 26 décembre 1967, Michel Debré avait souligné à ses collaborateurs l’intérêt de développer le tourisme vers les pays riches de la zone : « Un autre tourisme doit être encouragé, c’est celui qui intéresse de riches Sud-Africains ou de riches Australiens, voire de riches Américains. A mes yeux, il ne présente pas le même intérêt que le tourisme organisé par le Club Méditerranée, mais il ne faut cependant pas le dédaigner et je m’y emploie102 ».
- 103 Ibid., 9DE52. Toutes les citations suivantes proviennent de ce carton.
42La mise en œuvre d’une hôtellerie de niveau international n’est cependant pas simple car la démarche se heurte au monopole d’Air France et de ses filiales hôtelières. Le 19 mars 1971, le préfet Cousseran fournit ainsi au ministre une interview donnée à l’ORTF par M. Georger, PDG d’Hôtel France International (HFI) en présence même de M. Galichon, PDG d’Air France103. Le représentant d’HFI y annonce que l’implantation présente des Relais aériens français – qui représentent HFI à la Réunion – est suffisante, car du fait de l’éloignement et de la cherté du trafic aérien, il faudrait attendre l’horizon 1979-1980 pour installer de nouvelles structures importantes. Ce que le préfet ne manque pas de commenter : « De telles contradictions ne facilitent certes pas les rapports entre les Réunionnais et la compagnie nationale ». Michel Debré prend alors l’initiative d’écrire, le 29 juillet 1971, à Georges Galichon, ancien directeur de cabinet du général de Gaulle, qu’il connaît personnellement : « J’ai reçu la visite d’un représentant de la chaîne Hilton. Après un séjour à la Réunion, ce représentant souhaite installer un hôtel important, maillon d’une chaîne déjà commencée en Afrique et dans l’océan Indien mais que la compagnie Hilton entend développer au cours des prochaines années. La condition posée par Hilton est la possibilité pour des compagnies américaines et sud-africaines de faire escale à la Réunion. Que puis-je répondre ? A la Réunion la perspective d’un hôtel Hilton est d’autant plus souhaitée que l’hôtel Hilton de Madagascar connaît, depuis peu, un succès certain et qu’à Maurice des projets touristiques importants sont en route. Je ne te cache pas mes préoccupations ». Le 19 août, Georges Galichon lui répond négativement en expliquant qu’une telle ouverture aurait forcément des incidences sur d’autres portions du trafic aérien. Il explique néanmoins qu’il tente de relancer HFI : « Comme tu le sais, les Relais aériens français, dont le capital est, depuis peu, en majorité détenu par Hôtel France International, n’avaient pas accepté, jusqu’à présent, de faire un effort à la Réunion. J’ai demandé à l’Hôtel France International d’étudier sérieusement une implantation à la Réunion ». Deux projets concurrents voient donc le jour, celui des Français de HFI, qui envisagent la construction d’un hôtel Méridien, celui des Sud-Africains de la Southern Sud. Le 6 septembre 1972, Michel Debré fait savoir à Paul Cousseran qu’il vient de recevoir le projet de l’hôtel Méridien et que ce dernier allait être rapidement transmis à la préfecture. La seule réserve qu’exprime le ministre à l’égard du projet HFI est l’installation d’un casino : « Je comprends que le tourisme international ne peut se développer qu’avec la création de centres attractifs tels que les casinos. Il faut donc accepter un casino. Mais la prudence s’impose pour des raisons d’ordre social ». Reste à résoudre le problème de l’implantation de l’hôtel international place Sarda Garrriga, c’est-à-dire en front de mer à Saint-Denis. Le terrain pressenti est en effet propriété de l’Armée. La position de Michel Debré arrange bien sûr la transaction, mais le 10 novembre, le général de division Guignard, sous-chef d’État major de l’Armée de Terre au ministère, demande en compensation la reconstruction de la résidence du Commandant de division car, explique-t-il, les propriétés foncières de l’Armée ne cessent d’être amputées. Michel Debré obtient également de Georges Galichon une liaison avec l’Afrique du Sud afin d’assurer la mise en route du flux touristique destiné à l’hôtel de standing. Mais le projet connaît des lenteurs et le 21 juin 1973 Michel Debré est alerté par une note : « Le temps perdu est très précieux car les prix de la construction montent à vive allure, plus particulièrement à la Réunion (coût de la chambre aux Antilles 15 millions AF, à la Réunion 20 millions AF) ».
- 104 Ibid., 9DE9.
- 105 Le Quotidien, 8 janvier 1996.
43La mise en place d’un flux touristique venant d’Afrique du Sud se heurte également à l’hostilité des communistes qui ne ménagent pas leur peine pour attaquer ces projets. Une note du 31 mars 1974 relève bien le climat dans lequel se déroule l’ouverture de la Réunion au tourisme international : « Une action conjoncturelle fut menée par le parti contre la venue de touristes ‘racistes’ sud-africains à l’occasion de l’inauguration de la ligne aérienne Johannesburg — Saint-Denis, primitivement fixée au 2 mars. Pour des raisons techniques, cette arrivée était reportée successivement au 9 puis au 23 mars puis en avril… Contre ce ‘débarquement’ éventuel de ‘racistes’, une campagne de presse était déclenchée. Des meetings d’informations étaient organisés. Des manifestations pour réserver un mauvais accueil aux arrivants étaient mises sur pied. Des manifestants ‘anti-racistes’ se rendaient à Gillot les 2 et 9 mars, mais en l’absence d’arrivée de Sud-Africains, ils ne pouvaient s’exprimer. Témoignages du 4 mars annonçait pour le 9 mars des démonstrations contre les Sud-Africains tout au long du parcours Gillot-St-Gilles — Club Méditerranée. Il faisait allusion à la possibilité de heurts entre policiers blancs (CRS) et manifestants de couleur comme en Afrique du Sud. Cependant ces menaces ne pouvaient être mises à exécution104 ». L’inauguration se fait en présence de Michel Debré et de Gilbert Trigano. Le « Club Med » est pendant une dizaine d’années le « royaume des Bronzés en vacances105 », mais à partir de 1984 les difficultés financières conduisent Gilbert Trigano à en faire un hôtel classique, les Villas du Lagon. Après un redressement judiciaire en juillet 1994, l’infrastructure est confiée à la Société de Développement de la Réunion qui assure un projet en liaison avec Nouvelles Frontières.
- 106 AHC, 9DE53.
- 107 Ibid., 9DE87.
- 108 Ibid., 9DE15.
44Il n’a pas été simple non plus de mettre en œuvre le projet d’un grand théâtre en plein air à Saint-Gilles, sur la côte sous le vent. Dès le 21 mars 1966, Michel Debré avait en main le rapport qu’il avait commandé sur le sujet à Marc Netter, directeur de la maison de la Culture du Havre106. Ce dernier, estimant qu’il ne pourrait s’agir que « d’un théâtre susceptible d’accueillir essentiellement des manifestations de prestige » suggère donc en parallèle « l’organisation annuelle d’un festival de culture française dans l’océan Indien, lié au développement touristique du département ». Marc Netter souligne cependant que « toutes les personnes rencontrées, à l’exception de deux (l’urbaniste du département et un journaliste) et des représentants de l’administration, sont formellement opposées au projet107 ». Une annotation en marge du rapport conclut avec cette phrase : « réserves fondées dans une perspective pessimiste ». Et Michel Debré fait accélérer le passage du projet devant le Conseil supérieur d’architecture, relance constamment ses collaborateurs sur le sujet et contacte les élus qui, à l’image de Marcel Cerneau, sont opposés aux grands projets touristiques du ministre. Bien que la construction débute en mars 1968, la note que Michel Debré rédige en juin pour ses collaborateurs résume son ambition : « Je sais que le théâtre en plein air n’a pas soulevé l’enthousiasme, mais les lenteurs constatées depuis quatre ans me causent beaucoup de soucis. On ne peut pas déclarer que le tourisme sera l’une des richesses de l’île et ne pas savoir que, de nos jours, le développement du tourisme est lié à certains efforts. Nous avons à juste titre, écarté l’installation d’un casino. Nous ne pouvons pas bénéficier de plages immenses et le tourisme à la Réunion prendra plutôt l’allure de voyage que l’allure de séjour. Dans ces conditions, un théâtre en plein air, en permettant un festival annuel de l’océan Indien, est une occasion unique et à ne pas manquer. (…) J’ajoute que l’attrait intellectuel d’un théâtre, pour les Réunionnais eux-mêmes, peut être considérable et c’est d’ailleurs pourquoi les communistes marquent leur hostilité108 ». Les communistes se montrent en effet particulièrement hostiles au projet. Témoignages, le 14 mars 1968, s’indigne : « Alors que notre population crève de faim. Debré pose la première pierre d’un ‘théâtre en plein air à Saint-Gilles’ ! (…) Mais au fond n’est-ce pas, dans le cas qui nous occupe, de ‘logique de la départementalisation’ qu’il faudrait parler puisqu’il s’agit toujours de satisfaire une poignée de privilégiés et de corrompus tandis que le peuple lui est condamné à crever de faim. C’est pourquoi ce peuple, tous les Réunionnais honnêtes aspirent tant à l’autonomie ».
- 109 Ibid., 9DE87.
- 110 Ibid., 9DE46.
45Après l’inauguration officielle en avril 1970, Michel Debré met sur pied le premier festival de l’océan Indien. Il obtient en particulier la venue d’une troupe de la Comédie française et la présence de la musique de la Garde républicaine dont il assure le transport, en tant que ministre de la Défense, par un DC8 de l’Armée de l’air. Mais il cherche également à ouvrir le festival, qui se veut une vitrine de la France dans l’océan Indien, à des troupes folkloriques insulaires. Michel Debré indique ainsi au préfet, dans sa lettre du 17 juillet, que le groupe « Mombolo » est « le seul groupe folklorique réunionnais existant à Paris » : « Il est sympathique et plein de bonnes intentions, et nous nous occupons de l’aider, mais ce groupe a encore à faire ses preuves109 ». Le ministre supervise une promotion par affichage à Paris, et en particulier dans le métro parisien. Enfin, il constitue une liste d’invités de marque et de journalistes dans le but d’obtenir ensuite des retombées pour la Réunion. C’est ainsi qu’y figure par exemple le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, ou encore le directeur des carburants au ministère du Développement industriel et technique (qui décline l’invitation) car Michel Debré se bat en même temps pour la création d’un dépôt de carburant à la Réunion. L’opération est renouvelée en septembre 1972110. Le théâtre est aujourd’hui une des grandes scènes locales ouvertes à tous les types de spectacle.
Notes
1 AHC, 9DE14.
2 Ibid.
3 Ibid., 9DE59.
4 Sur le développement de l’énergie électrique voir La Réunion des électriciens. Histoire… de la lampe Bobèche aux centrales, Saint-Denis, Azalées Éditions, 1996.
5 La société d’économie mixte Énergie Électrique de la Réunion (EER) est concessionnaire de la production et de la distribution haute tension, sauf à Saint-Denis où la société privée Bourbon Lumière rachète l’énergie électrique à l’EER et la distribue en basse tension dans la capitale. L’EER n’est qu’en partie filiale d’EDF.
6 AHC, 9DE26.
7 Ibid.
8 JIR, 27 novembre 1992. Voir également les articles des 6 et 30 octobre.
9 Il s’agit ici du JIR.
10 AHC, 9DE26.
11 Ibid.
12 Le gouverneur pétainiste Aubert avait fait couler un dragueur dans le chenal du Port pour empêcher tout débarquement.
13 Comité du Centenaire du Port, Des marines au port de la Pointe des Galets. 1886-1986, Saint-André, Graphica, 1987.
14 AHC, 9DE33.
15 Ibid., 9DE34.
16 Ibid., 9DE33.
17 Ibid.
18 Ibid.
19 Ibid., 9DE76.
20 Ibid., 9DE34.
21 Ibid., 9DE88.
22 Ibid., 9DE15.
23 Ibid., 9DE33.
24 Ibid.
25 Ibid., 9DE49. Rapport du 1er octobre 1963 de l’inspecteur général des Finances chargé de la division des DOM.
26 Ibid. Toutes les citations suivantes proviennent de ce carton.
27 Ibid. Le passage est souligné en rouge par Michel Debré ou un de ses collaborateurs qui en a pris connaissance.
28 AHC, 9DE45.
29 Ibid., 9DE115. Michel Debré annote sa revue de presse sur le sujet d’un « très bien ».
30 Ibid., 9DE3. Note sans date et sans auteur, dont il manque la première page, mais rédigée sans doute après les municipales de mars.
31 Ibid., 9DE49.
32 Le 4 juin 1970 Témoignages écrit par exemple : « Devant la passivité de ceux qui seraient les principales et premières victimes, les fonctionnaires, le Gouvernement est prêt maintenant pour la deuxième étape : l’exécution ».
33 AHC, 9DE9.
34 Debré Michel, Une politique pour la Réunion, Paris, Plon, 1974, p. 168.
35 Defos du Rau Jean, Revue française d’études politiques africaines, septembre 1968, no 33, p. 60.
36 Valy Amine, « Le rôle joué par l’agriculture dans le processus de départementalisation à la Réunion », in Edmond Maestri (dir.) 1946 : La Réunion, Département. Regards sur la Réunion contemporaine, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 535-555.
37 Le Monde, 6 juin 1972.
38 AHC, 9DE22.
39 Ibid., 9DE81.
40 Debré Michel, Une politique pour la Réunion, Paris, Plon, 1974, p. 79.
41 Témoignages, 3 janvier 1968.
42 JO, Lois et décrets, 22 mars 1966, p. 2320.
43 AHC, 9DE23.
44 Ibid.
45 Ibid.
46 Ibid., 9DE75.
47 Ibid., 9DE75.
48 Ibid., 9DE26. Toutes les citations suivantes proviennent de ce carton.
49 Ibid., 9DE93.
50 Journal de Île, 3 décembre 2001.
51 Debré Michel Trois Républiques pour une France. Combattre toujours. 1969-1993, op. cit., p. 251.
52 JO, AN, 1re séance du 11 juin 1980, p. 1730.
53 Valy Amine, « Le rôle joué par l’agriculture dans le processus de départementalisation à la Réunion », art. cit., p. 551.
54 AHC, 9DE45.
55 Ibid.
56 Ibid., 9DE25.
57 Ibid., 9DE45.
58 Ibid., 9DE75.
59 Ibid., 9DE17.
60 Ibid., 9DE26.
61 Ibid., 9DE24.
62 Ibid., 9DE27.
63 Ibid.
64 Ibid.
65 Ibid., 9DE4.
66 Ibid., 9DE85.
67 Ibid., 9DE27.
68 Ibid., 9DE46.
69 Ibid., 9DE47
70 Ibid.
71 Ibid.
72 Ibid.
73 Ibid., 9DE50.
74 Ibid., 9DE46.
75 Ibid., 9DE26.
76 Ibid.
77 Ibid., Classeurs correspondances.
78 Ibid., 9DE78.
79 JO, AN, 1re séance du 11 juin 1980, p. 1730.
80 AHC, 9DE51.
81 M. Fos a été envoyé à la Réunion pour être l’animateur de la Société d’équipement touristique de la Réunion.
82 Ibid., 9DE36 et 9DE75.
83 Ibid., 9DE49.
84 Ibid., 9DE45.
85 Ibid., 9DE51.
86 Ibid.
87 Ibid., 9DE80.
88 Ibid., 9DE54.
89 Ibid., 9DE54.
90 Ibid., 9DE78.
91 Ibid., 9DE93.
92 Ibid., 9DE26.
93 Ibid., 9DE75.
94 Ibid., 9DE15.
95 Ibid., 9DE54. Toutes les citations suivantes proviennent de ce carton.
96 Ibid., 9DE4.
97 Ibid., 9DE54.
98 Ibid.
99 Ibid., 9DE86.
100 Ibid., 9DE51.
101 Ibid., 9DE52.
102 Ibid., 9DE54.
103 Ibid., 9DE52. Toutes les citations suivantes proviennent de ce carton.
104 Ibid., 9DE9.
105 Le Quotidien, 8 janvier 1996.
106 AHC, 9DE53.
107 Ibid., 9DE87.
108 Ibid., 9DE15.
109 Ibid., 9DE87.
110 Ibid., 9DE46.
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