Introduction de la partie III
p. 118-120
Texte intégral
Illustration 8 : carte de Rio.
© Philippe Waniez & Violette Brustlein.
1La sociologie a consacré la ville comme le lieu où l’individu se détachait d’appartenances traditionnelles pour affirmer son individualité. Ce lien entre la ville et l’individu n’a cessé d’être revisité par les études urbaines. On le retrouve dans la tension qui les traverse entre, d’une part, une sociologie des modes d’inscription spatiale, qui privilégie l’étude des ancrages territoriaux et, d’autre part, une sociologie des mobilités, qui souligne la déterritorialisation des relations sociales. Dans la première perspective, la proximité géographique joue un rôle essentiel dans l’établissement d’un sentiment d’appartenance à un ensemble commun et la constitution de réseaux personnels pourvoyeurs de solidarités collectives1. Dans la seconde, l’accent est à l’inverse mis sur l’éparpillement des relations familiales et amicales dans l’ensemble de la ville2. Il ne s’agit pas là d’un problème nouveau. L’on retrouve dans cette tension deux des grandes conceptions du lien entre espace et société dont Jean-Samuel Bordreuil (2000) a montré l’importance dans les sociologies urbaines.
2Cette tension entre les sociologies de l’ancrage dans un territoire et les sociologies du déplacement a néanmoins ceci de particulier qu’elle redouble aujourd’hui la tension plus générale entre une sociologie qui suppose la consistance de groupes sociaux au risque de figer les individus dans un statut de membres de groupes et une sociologie qui, voulant explorer les dimensions individuelles de l’identité personnelle, tend à oublier l’influence des structures sociales.
3L’étude des travailleuses domestiques de Rio a tout à gagner d’une réflexion sur ces tensions. Sans collectif de travail sur lequel s’appuyer et éparpillées dans la ville, elles font d’autant plus l’épreuve de leur individualité qu’elles ne peuvent se tenir facilement à distance du rôle que leur impose le métier de domestique. Et les attentes des employeurs leur imposent en même temps de contrôler l’expression de cette individualité pour se conformer à ce qu’ils attendent d’elles.
4C’est à cette dimension de leur identité personnelle que cette partie va s’intéresser. L’on verra tout d’abord la spécificité du rapport à la ville de ces femmes qui ne peuvent être définies ni par l’inscription dans un territoire, ni par l’appartenance à un groupe aux contours bien définis. L’on montrera en particulier comment leur identité personnelle se construit par rapport à des supports territoriaux vécus sur un mode subjectif. S’intéresser à ces supports territoriaux de l’identité personnelle permet d’échapper à l’opposition entre sociologie des territoires et sociologie des déplacements, tout en offrant la possibilité de discuter tangentiellement les approches qui entendent constituer l’individu en objet central de la sociologie mais minorent l’influence des déterminants sociaux au nom du refus d’une conception hypersocialisée de l’acteur. L’on évoquera ensuite la narration de soi à laquelle s’adonnent les travailleuses domestiques. Dans des discours égocentrés qui cherchent sans cesse à établir une continuité biographique, elles révèlent leur besoin de voir reconnue leur conformité aux normes sociales dominantes et leur difficulté à être assurées de leur égalité formelle avec ceux qu’elles servent.
Notes de bas de page
1 Pour ne citer que quelques-uns des travaux les plus connus qui l’illustrent, voir Whyte (1995), Hoggart (1970), Gans (1962).
2 Cf. par exemple à ce propos les approches, pourtant substantiellement différentes de Joseph (1984) et Ascher (1995).
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