Les « supports » de l’individu vieillissant. Retour sur la notion de « déprise »
p. 25-42
Texte intégral
1Comment appréhender, dans une perspective sociologique, l’individu « vieillissant » – ou, pour être plus précis, l’individu retraité vieillissant puisque c’est de lui dont il va être question dans cet article ? Trois orientations différentes peuvent être envisagées1.
2Il est possible, tout d’abord, de décrire le contexte dans lequel se déroule l’avancée en âge et d’étudier de quelle manière la société structure les parcours de vie individuels. Ce qui émerge alors est le caractère inédit du contexte contemporain du vieillissement après la retraite. Comme l’observe Paul Baltes, d’un point de vue historique, « la vieillesse est jeune » (Baltes, 1997). En effet, l’augmentation de l’espérance de vie après soixante ans est un phénomène récent, qui remonte à la fin des années 1960 – auparavant, les gains d’espérance de vie se concentraient pour l’essentiel dans les premières années de la vie. Par ailleurs, le contexte du vieillissement dans la France contemporaine est marqué par les changements très importants qui, au cours de ces quarante dernières années, ont transformé la dernière phase du parcours de vie : conjointement avec l’augmentation de l’espérance de vie, la baisse de l’âge de la cessation d’activité a ouvert l’horizon de l’existence au sortir de la vie active ; dans le même temps, les représentations de la retraite ont profondément évolué, le modèle de la retraite épanouissement, né dans les classes moyennes, se diffusant au détriment de celui de la retraite repos tandis que l’idée d’une bipartition de la vieillesse s’est peu à peu imposée dans les esprits – le temps du « 4e âge » et de la « dépendance » succédant à celui du « troisième âge » et du dynamisme des « seniors ».
3Une deuxième manière d’appréhender l’individu retraité vieillissant consiste à considérer le vieillissement individuel comme une trajectoire, par exemple celle qui se trouve dessinée par la série des changements intervenus dans les positions sociales occupées au cours de l’avancée en âge. Cette approche est notamment celle qui a été développée par les sociologues fonctionnalistes et qui les a amenés à décrire l’avancée en âge dans la seconde partie de la vie comme la perte progressive des rôles sociaux – perte du rôle professionnel au moment de la retraite, perte de rôles familiaux lors du départ des enfants et du décès du conjoint (Rosow, 1985).
4Enfin, une troisième manière de procéder consiste à s’intéresser à l’expérience du vieillissement. Cette dernière approche, que nous avons fait notre depuis quelques années, nous a conduit à nous intéresser aux moments de « transitions identitaires » tels que la retraite et le veuvage et, plus récemment, à mobiliser la notion de déprise pour analyser le rapport au monde des vieilles personnes et l’évolution de ce rapport au monde (Caradec, 2004). Nous nous proposons ici de poursuivre cette réflexion en articulant la notion de déprise avec celle de « supports » dont Danilo Martuccelli (2002) a montré l’intérêt pour une approche sociologique de l’individu. Il nous semble en effet possible de tirer cm certain nombre de bénéfices analytiques du rapprochement entre ces deux notions, notamment si l’on travaille l’idée selon laquelle il convient, pour comprendre les trajectoires de vieillissement et le caractère plus ou moins accentué de la « déprise », de prêter attention aux supports dont bénéficie l’individu vieillissant. Nous développerons notre propos en trois temps : nous reviendrons tout d’abord sur la généalogie de la notion de déprise, ce qui nous permettra d’en proposer urne définition nouvelle ; puis, nous chercherons à rendre opérationnelle cette définition à travers l’étude de quelques-uns des supports de l’individu vieillissant et de leur évolution au cours de l’avancée en âge ; enfin, nous présenterons quelques réflexions sur le caractère différentiel de la déprise qui renvoie – telle est du moins l’idée que nous défendrons – au caractère différentiel des supports disponibles.
1. Généalogie de la notion de déprise
5C’est à une équipe de sociologues de Toulouse, réunie autour de Serge Clément et de Marcel Drulhe, que Ton doit d’avoir introduit la notion de déprise et de l’avoir inscrite dans une filiation critique par rapport à la théorie du désengagement (Barthe, Clément, Drulhe, 1988). Il est donc nécessaire de rappeler, pour commencer, en quoi consiste cette théorie, proposée au début des années 1960 par Elaine Cumming et William Henry (Cumming, Henry, 1961). D’inspiration structuro-fonctionnaliste – Talcott Parsons signe d’ailleurs l’avant-propos de Growing Old –, cette théorie pose que l’avancée en âge se caractérise par un retrait ou un désengagement inéluctable de la personne âgée par rapport à la société. Ce retrait se manifeste notamment par une diminution du nombre de rôles sociaux joués par l’individu – qu’il n’est pas souhaitable, contrairement aux recommandations de la théorie de l’« activité », de remplacer –, par une baisse de ses relations sociales et par un changement dans la nature de ses relations, désormais davantage centrées sur les liens affectifs et moins sur la solidarité fonctionnelle. Ce processus permet à la personne âgée d’atteindre un nouvel équilibre, comme en témoigne le portrait que dressent Cumming et Henry des personnes de plus de 80 ans, qui « apprécient leur existence désengagée » : « Elles ont réduit leurs liens avec la vie, ont abandonné leurs soucis et leurs responsabilités et ont tourné leurs préoccupations vers elles-mêmes. Elles mènent une existence tranquille, quelque peu égocentrique, qui leur convient parfaitement et qui paraît constituer un passage en douceur d’une vie, qui a été longue, à la mort inévitable » (ibid., p. 209). Ce désengagement – il faut insister sur ce point – est réciproque. D’un côté, la société l’organise : à travers des institutions comme la retraite, elle retire à la personne âgée ses rôles sociaux et assure ainsi le maintien de la productivité en remplaçant les salariés âgés, aux connaissances obsolètes et aux forces déclinantes, par des plus jeunes. De l’autre, les personnes âgées, en avançant en âge se tournent de plus en plus vers elles-mêmes et se détachent émotionnellement du monde, à la fois parce que leurs capacités déclinent – et, au-delà, leur « énergie vitale » s’épuise – et parce que, la mort approchant, elle prennent conscience de leur « finitude ». On perçoit combien ce désengagement est fonctionnel : il est positif tant pour la société qui organise de la sorte le renouvellement des générations que pour la personne âgée qui maintient ainsi une satisfaction élevée. La théorie du désengagement présente donc le rapport à la société des individus vieillissants comme marqué par une sorte de séparation à l’amiable, un éloignement progressif qui satisfait les deux parties.
6En introduisant la notion de « déprise », Serge Clément et Marcel Drulhe reprennent l’intuition centrale de la théorie du désengagement, tout en l’inscrivant dans une perspective non plus fonctionnaliste, mais compréhensive et en lui retirant son caractère mécanique et globalisant. La déprise se trouve en effet définie comme un processus de « réaménagement de la vie » qui trouve son origine dans une sorte d’« amoindrissement de l’impulsion vitale » que des personnes âgées, même en parfaite santé physique et mentale, expriment en disant qu’elles n’ont plus envie, qu’elles sont fatiguées, qu’elles ne « peuvent plus suivre » (Barthe, Clément, Drulhe, 1988). Cependant, si ce réaménagement de l’existence est marqué – comme chez Cumming et Henry – par l’abandon de certaines activités et de certaines relations, il ne s’y résume pas – et c’est là toute la différence : les activités et les relations délaissées sont susceptibles, en effet, d’être remplacées par d’autres qui exigent moins d’efforts. Pour en donner quelques illustrations concrètes, la déprise consiste, pour les personnes qui vieillissent, à poursuivre certaines activités antérieures sur une plus petite échelle : elles continuent à conduire, mais plus sur de longs trajets ; celle qui avait un jardin potager réduit peu à peu la surface cultivée, puis y renonce pour prendre soin de quelques plantes réunies dans un jardin d’hiver ; celle qui a été une parfaite ménagère tout au long de sa vie – et qui était fière de bien « tenir sa maison » – en vient à déléguer certaines tâches tout en s’efforçant d’en conserver quelques-unes sur lesquelles elle se concentre. Parallèlement, la déprise consiste à trouver des substituts (faute de pouvoir continuer à faire des voyages, certaines vieilles personnes vont lire des magazines qui leur donneront l’occasion de voyager et de découvrir des pays étrangers) ou encore à concentrer son énergie sur quelques activités jugées importantes. La déprise doit en effet être considérée comme « un principe d’économie des forces » qui consiste à « se ménager » afin de continuer à faire ce qui a le plus de signification à ses yeux. Elle est ainsi un processus actif à travers lequel les personnes qui vieillissent mettent en œuvre des stratégies de reconversion vers d’autres activités. Il apparaît dès lors clairement que la « déprise » se situe à la fois en continuité et en désaccord avec la théorie du désengagement. Elle lui reprend l’idée d’une prise de distance avec le monde au cours du vieillissement : la déprise décrit bien un abandon progressif des activités antérieures, un « rétrécissement » de l’espace, une « sorte d’amoindrissement de l’impulsion vitale ». Mais, elle est en désaccord avec son aspect mécanique : s’il y a déprise de certaines activités, elle se fait selon des stratégies de reconversion vers d’autres activités.
7Il faut savoir gré à Serge Clément et Marcel Drulhe d’avoir entrepris cette réhabilitation critique de la théorie du désengagement et d’avoir forgé la notion de « déprise » : il s’agit d’un outil analytique d’une grande pertinence pour saisir le processus individuel de vieillissement, plus fidèle à la réalité et plus acéré que le concept de désengagement. Cependant, malgré ces avancées, la notion de « déprise » présente certaines insuffisances. Nous en soulignerons deux. Tout d’abord, les mécanismes à travers lesquels se produit la déprise sont imparfaitement explicités : il n’est pas certain qu’ils se résument à un « amoindrissement de l’impulsion vitale ». Faire de cette baisse de l’Ego energy (pour reprendre le terme utilisé par Cumming et Henry) la caractéristique principale de la déprise présente le risque de rabattre le phénomène du vieillissement sur un registre psychologique – voire physiologique. Or la déprise doit d’abord être appréhendée dans sa dimension proprement sociologique et être associée aux mécanismes sociaux constitutifs de l’avancée en âge dans la société contemporaine. L’idée est d’ailleurs présente chez Cumming et Henry lorsqu’ils soulignent que la société retire aux plus âgés leurs rôles sociaux. On la trouve également dans des travaux plus récents de l’équipe de Toulouse (Clément, Mantovani, Membrado, 1996) qui, mettant à profit la perspective interactionniste, montrent que la déprise peut être le produit des interactions avec les autres, tant avec les proches (par exemple lorsque les enfants incitent leur parent âgé à ne plus conduire parce qu’ils craignent un accident et précipitent ainsi sa « démotorisation ») qu’avec des anonymes (les plus âgés cherchant, par exemple, à limiter leur présence dans l’espace public, du moins à certains moments et en certains lieux afin d’éviter la confrontation avec les plus jeunes). C’est ce sillon qu’il convient de creuser, nous semble-t-il, pour aller plus loin dans la caractérisation des mécanismes sociologiques de la déprise. La seconde critique porte sur le fait que la notion de déprise prend insuffisamment en compte la grande diversité des trajectoires de vieillissement alors même que les travaux psychologiques ont mis en évidence le caractère fortement différentiel du vieillissement. Serge Clément et Marcel Drulhe reconnaissent certes la diversité du vieillissement, en indiquant notamment que « le processus présenté est un processus modal, en quelque sorte idéal-typique » ; mais ils renvoient trop rapidement l’étude de cette diversité vers les variables sociologiques classiques comme le sexe, le milieu social ou l’appartenance sociale – ce qui n’est pas faux, bien sûr, mais ne tire pas suffisamment partie, nous semble-t-il, des potentialités de l’approche compréhensive.
8C’est pour essayer de dépasser ces insuffisances que nous voudrions proposer, dans cet article, une nouvelle définition de la « déprise », qui mobilise la notion de « supports », entendue dans l’acception assez large que lui confère Danilo Martuccelli (2002, p. 77), à savoir l’ensemble des « procédures par lesquelles (l’individu) parvient à se tenir face au monde », à se convaincre que son existence a un sens, à se doter du sentiment de sa valeur et d’une certaine « solidité » de son être. Il est alors possible de définir la déprise comme un processus de disparition et/ou de transformation des supports antérieurs. La double expression « disparition et/ou transformation » est employée ici à dessein pour souligner la dualité du processus de déprise chez les personnes âgées, et donc la double signification qu’il convient de lui associer : la déprise est un processus de reconversion des activités antérieures qui, dans le même temps, s’opère selon une tendance à la diminution des engagements – pour le dire autrement, elle est marquée par la transformation des supports et cette transformation consiste, le plus souvent, en leur raréfaction.
2. De quelques supports et de leur évolution au cours du vieillissement
9Il s’agit maintenant de rendre opérationnelle cette définition en étudiant comment évoluent, au cours de l’avancée en âge, différents supports qui, au vu des données empiriques2, apparaissent particulièrement importants pour les personnes qui vieillissent. Cinq de ces supports feront ici l’objet d’un examen particulier : le corps ; les supports interpersonnels ; la télévision ; le passé ; la réflexivité.
2.1. Le corps
10Le corps, tout d’abord, constitue un support particulièrement important puisque c’est à travers lui que l’on se tient, physiquement, face à l’extériorité du monde : le corps constitue ainsi un élément primordial de la « prise » sur le monde. Mais cette « prise » suppose une adéquation des caractéristiques corporelles avec celles de l’environnement matériel. Or cet environnement est en général conçu pour des adultes valides, il suppose – et prescrit – certains comportements qui ne sont plus accessibles aux personnes souffrant de déficiences physiques : que l’on songe aux grooms hydrauliques des portes à fermeture automatique qui exigent d’exercer une poussée suffisante pour pouvoir les ouvrir (Latour, 1993, p. 64), à la hauteur des marches d’accès de certains bus qui nécessitent force et dextérité pour se hisser dans le véhicule ou encore au temps imparti aux piétons, lorsque le feu est rouge, pour traverser la chaussée. Aussi, au fur et à mesure de l’avancée en âge, alors qu’adviennent de plus en plus souvent des problèmes de santé et des déficiences physiques, le corps devient-il plus fréquemment un support défaillant par rapport aux compétences minimales requises par l’environnement extérieur. Ce défaut de compatibilité est alors au principe de certaines déprises : telle personne qui éprouve des difficultés croissantes pour monter dans le bus va renoncer à se rendre dans le club qu’elle fréquentait ; telle autre, qui marche plus lentement désormais, ne va plus s’aventurer à traverser la chaussée ; telle autre encore, dont les problèmes oculaires s’aggravent, va limiter son écoute de la télévision.
2.2. Les supports interpersonnels
11Le deuxième type de support à envisager est constitué par les supports interpersonnels. Il s’agit là d’un type de supports que les chercheurs en psychologie sociale ont appréhendé à travers la notion de « soutien social » dont ils ont cherché à cerner l’impact dans le domaine de la santé – impact « direct » ou sous forme d’« effet tampon » réduisant le stress (Amiel-Lebigre, Gognalons-Nicolet, 1993 ; Coudin, Paicheler, 2002). La perspective qui est la nôtre ici nous invite à aborder ces supports interpersonnels de manière un peu différente et à considérer que leur importance, du point de vue de la déprise, tient au fait que les autres, et en particulier les proches, fournissent des « opportunités d’engagement ». Comme le souligne Danilo Martuccelli (2002) dans sa réflexion sur les supports de l’individu contemporain, l’un des supports les plus importants, dans nos sociétés, consiste en effet à être sollicité, engagé dans de multiples activités et relations, tenu par un ensemble d’occupations et par un dense réseau d’interdépendances. Pour se sentir exister, les sollicitations d’autrui, les supports interpersonnels, sont essentiels3. Or, l’avancée en âge est souvent marquée par la disparition de certains supports interpersonnels, qui s’opère sur fond de baisse de la sociabilité (Blanpain, Pan Ké Shon, 1998) et qui se traduit par la raréfaction des « opportunités d’engagement ».
12Ce phénomène peut se produire en différents moments de la trajectoire de vieillissement. L’arrêt de l’activité professionnelle, par exemple, peut constituer l’un de ces moments, même s’il n’est sans doute plus désormais le plus marquant : la retraite se trouve aujourd’hui socialement définie comme un moment de transition et diverses opportunités existent pour opérer sa reconversion, notamment dans le bénévolat ou dans le rôle grand-parental, opportunités valorisées et soutenues par tout en ensemble de représentations et de structures associatives. La raréfaction des opportunités d’engagement se produit plutôt en d’autres occasions qui surviennent, en général, plus tard dans le parcours de vie. C’est le cas notamment lors du décès des proches : celui de son père ou de sa mère âgés4 dont on prenait soin, d’un frère ou d’une sœur et, surtout, du conjoint. Ces disparitions ont pour conséquence l’abandon des activités réalisées jusqu’alors en commun, qu’il est parfois difficile de remplacer comme le montrent les enquêtes sur le veuvage. De plus, elles réduisent les possibilités de conversation avec des « contemporains », ceux avec lesquels il est possible de se comprendre à demi-mot (Clément, 2000) et dont la présence est si importante dans le sentiment d’adhérence à la réalité – au point que leur absence participe à la construction du sentiment d’étrangeté au monde si fréquent chez les plus âgés. Un autre phénomène qui produit une raréfaction des opportunités d’engagement est l’avancée en âge des petits-enfants : devenus adolescents, ils sollicitent moins leurs grands-parents, alors qu’ils avaient pu les accaparer quand ils étaient plus jeunes. Et il est exceptionnel que la naissance des arrière-petits-enfants procure des opportunités d’engagement nouvelles tant les arrière-grands-parents constituent des personnages effacés des relations familiales contemporaines.
13Il convient cependant de ne pas avoir une vision trop mécanique des choses et de ne pas considérer que la baisse des supports interpersonnels au cours de l’avancée en âge est inéluctable. Car si certains supports disparaissent, comme nous venons de le voir, d’autres peuvent surgir. C’est ce que l’on observe parfois après le veuvage, lorsqu’un enfant ou un ami sollicite la personne veuve en lui proposant de s’investir dans une activité nouvelle. Par ailleurs, et contrairement à ce que l’on pense souvent, de nouvelles relations peuvent se créer ou se développer, même à un âge avancé : des relations amicales, des relations conjugales quelquefois. De ce point de vue, il faut citer plus particulièrement les relations de la personne devenue physiquement fragile avec ceux (celles) qui la soutiennent : une aide ménagère, un enfant aidant avec lequel les liens peuvent se renforcer. Comme l’observe justement Françoise Cribier (1998), « beaucoup de gens sont soutenus au grand âge par des gens qu’ils ne connaissaient pas jusque là. » Ce sont là des supports essentiels pour la personne âgée, un moyen privilégié de conserver des relations sociales et, par ce biais, de maintenir une « prise » sur le monde. Ces supports peuvent cependant, du point de vue de la déprise, se révéler ambivalents. En effet, comme nous l’avons déjà signalé, certains enfants peuvent précipiter l’abandon, par leurs parents âgés, de certaines activités – conduire ou faire ses courses, par exemple – et peuvent être considérés, en quelque sorte, comme co-producteurs de la déprise. Cette ambivalence des supports interpersonnels ressort également des travaux de la psychologue Margret Baltes, qui a étudié l’attitude de « mise en dépendance » par rapport aux membres du personnel adoptée par certaines personnes âgées résidant en maison de retraite. Selon Margret Baltes (1996), il faut voir dans cette posture marquée par la remise de soi – le refus de se nourrir seul, de se laver seul ou de s’habiller seul – une stratégie visant à obtenir une plus grande attention de la part du personnel. On voit comment, dans ce cas de figure, c’est d’une recherche de supports que provient la déprise.
2.3. La télévision
14Comme nous avons pu le montrer ailleurs (Caradec, 2003), la télévision constitue un analyseur particulièrement précieux du vieillissement. En étudiant les évolutions de l’écoute au fur et à mesure de l’avancée en âge, il est possible, en effet, de mettre en évidence un double mouvement de déprise, repérable aussi bien dans les données quantitatives que dans des entretiens semi-directifs. Le premier mouvement consiste en une déprise par rapport aux activités extérieures, qui a pour conséquence une plus forte présence à domicile et une écoute accrue de la télévision. Cette déprise tient à l’affaiblissement progressif, que nous venons d’évoquer, des supports corporels ainsi que des opportunités d’engagement liées aux supports interpersonnels. Le second mouvement prend la forme d’une déprise par rapport à la télévision elle-même, dont les causes sont multiples : la fatigue, croissante avec l’âge, qui conduit à avancer son heure de coucher et donc à ne plus regarder les émissions en soirée ; certaines déficiences sensorielles, auditives ou visuelles, qui amènent à choisir avec soin les quelques moments qu’il est possible de consacrer à la télévision ; quelquefois, aussi, une sorte de lassitude, voire de désintérêt, qui se manifestent vis-à-vis de certaines émissions.
15Au-delà de cette distinction entre deux phases de la déprise, la télévision constitue, pour les plus âgés, un support particulièrement précieux du fait de la multiplicité des fonctions qu’elle est susceptible d’assurer et qui a déjà été mise en évidence dans les travaux de l’école des Uses and Gratifications5. C’est ainsi que la télévision « comble le silence » et procure le sentiment d’une « présence », comme le soulignent en particulier ceux qui ont perdu leur conjoint. De plus, elle constitue une occupation facilement disponible, qui vient structurer le temps laissé vacant par d’autres activités. Elle permet également de se sentir connecté au monde, cette connexion pouvant s’opérer dans des registres aussi divers que celui de la connaissance (la télévision permet à la fois de se tenir au courant de l’actualité et de « découvrir » des réalités nouvelles) et de la « participation » à un spectacle. Parallèlement, elle offre la possibilité de poursuivre, sous une autre forme, certaines activités qu’il a fallu abandonner : c’est le cas pour ceux qui, parce qu’ils ne peuvent plus se rendre à l’église pour assister à l’office, regardent la messe à la télévision – belle illustration de la manière dont une activité peut se maintenir, tout en se transformant, grâce à un changement dans les supports mobilisés. Enfin, la télévision nourrit la conversation intérieure et aide à se connecter au passé.
2.4. Un support essentiel, le passé
16Pour les personnes très âgées dont l’existence est marquée par une moindre sociabilité et par l’abandon de nombre de leurs engagements antérieurs, le passé constitue un point d’appui essentiel. Comme le souligne Maurice Halbwachs, les personnes âgées ont davantage le temps de penser au chemin accompli – et, pourrait-on ajouter, les personnes les plus âgées, en phase de déprise, en ont bien plus que les jeunes retraités engagés dans de multiples activités. Les vieillards, écrit Halbwachs, « sentent que, dans la société, ils n’ont rien de mieux à faire que d’utiliser, pour reconstituer le passé, tous les moyens, dont ils ont toujours disposé, mais qu’ils n’ont eu ni le temps, ni le désir d’employer » (Halbwachs, 1976, p. 105). De quelle façon le passé se trouve-t-il mobilisé en tant que « support » ? Nous proposons de distinguer trois figures de ce recours au passé : la valorisation de soi, la reconstruction narrative de soi et la reviviscence.
17Tout d’abord, le passé est source de valorisation de soi car il sert de point d’appui pour soutenir le sentiment de sa propre valeur. Dans les entretiens, cet usage du passé se manifeste à la fois par une insistance sur les engagements marquants de l’existence et à travers le jugement favorable sur la société d’hier lorsqu’elle est comparée à celle d’aujourd’hui.
18Cette valorisation de soi est fortement associée à une deuxième figure du recours au passé : la reconstruction narrative de soi, la mise en récit de son histoire – ce que Ton appelle parfois la « relecture de vie ». De ce point de vue, on ne peut qu’être frappé par la manière dont certaines vieilles personnes semblent synthétiser le cœur même de ce qu’elles ont le sentiment d’être en une formule qui revient comme un leitmotiv au cours des entretiens (« Je suis quelqu’un qui a toujours eu du caractère, je ne me suis jamais laissé faire » ou « J’ai toujours été un type qui avait du cœur »). Parfois, c’est à travers une anecdote particulièrement significative que s’exprime ce qui paraît constituer une caractéristique essentielle de soi, comme dans l’exemple de cette femme, rencontrée dans une maison de retraite, qui informe rapidement son interlocuteur de son « sale caractère » qu’elle illustre à travers un haut fait de sa jeunesse : elle raconte comment, alors qu’elle était toute jeune ouvrière, elle a « envoyé une gifle » à un contremaître qui avait essayé de l’embrasser. Si c’est au travers de cet acte de résistance ancien qu’elle choisit de se présenter, c’est sans doute parce qu’il symbolise bien, à ses yeux, ce qu’elle a été au cours de sa vie : une femme au caractère affirmé et une ouvrière qui ne s’est jamais laissé faire par les patrons.
19Enfin, la troisième figure du recours au passé est la reviviscence, qui consiste en un « branchement direct » sur le passé, marqué par une forte charge affective. L’expérience de la reviviscence procure, en effet, un plaisir particulier : celui que l’on éprouve à renouer avec le passé, à (re)vivre des émotions ressenties autrefois, à se plonger dans l’ambiance d’une époque révolue, à retrouver des êtres chers qui ne sont plus.
20Il faut souligner, pour terminer, que ce recours au « support » du passé prend lui-même appui sur des supports de l’environnement : la télévision et la radio, qui constituent de puissants médiateurs entre le présent et le passé, de formidables catalyseurs de la reviviscence à travers les anciennes chansons ou les vieux films qu’ils diffusent ; les photographies ; certains objets, qui évoquent tel ou tel moment important de l’existence.
2.5. Réflexivité et auto-évaluation
21Il reste à évoquer un dernier support : la réflexivité. Celle-ci est, bien sûr, déjà présente dans certaines des pratiques que nous venons d’évoquer, notamment dans l’élaboration d’un récit sur soi. Mais il convient maintenant d’être plus précis et de signaler l’importance d’un mécanisme qui intervient dans l’élaboration de ce récit sur soi et à travers lequel la réflexivité « fabrique » des supports : l’autoévaluation. Cette évaluation de soi s’opère selon deux dimensions : la comparaison avec le soi passé et la comparaison avec autrui.
22Sur la première dimension, on observe que beaucoup de personnes très âgées se définissent à distance de la vieillesse : c’est en affirmant qu’elles ne sont pas encore « vieilles » qu’elles parviennent à maintenir le sentiment de leur valeur. Cette affirmation est solidaire d’un récit sur soi qui établit une continuité entre le présent et le passé, entre ce que ces personnes ont le sentiment d’être aujourd’hui et ce qu’elles étaient hier. Ce sentiment d’une continuité avec le passé peut se fonder sur des éléments d’ailleurs assez variés : une activité continuée, la santé en partie maintenue, les facultés intellectuelles préservées, le caractère qui n’a pas changé, l’intérêt pour les informations qui perdure, etc. Le point important est que ces personnes n’ont pas le sentiment d’une rupture radicale, contrairement à d’autres dont le récit sur soi est marqué par une discontinuité nette avec le passé – discontinuité associée à un accident, à une hospitalisation, à une aggravation de l’état de santé qui empêche dorénavant de sortir, parfois à une date anniversaire – et qui considérant qu’elles sont devenus autres qu’elles étaient, se pensent « vieilles » désormais (Caradec, 2004, ch.5).
23La seconde dimension de l’auto-évaluation – la comparaison avec autrui – est également très présente dans les entretiens. Le plus souvent, elle consiste à se différencier de ceux qui vont plus mal que soi, ce qui permet de se rassurer sur le fait que l’on n’est pas si mal que cela. C’est ce qu’illustrent ces propos d’une femme de 86 ans, qui tire avantage de la comparaison qu’elle opère avec sa belle-sœur, d’un an plus âgée qu’elle : « Ma belle-sœur, elle ne saurait plus se débrouiller toute seule, même marcher dans la rue. Faut qu’elle ait quelqu’un qui lui donne le bras. Elle ne sait plus faire son ménage. Moi, j’ai une femme de ménage de temps en temps. Une fois par mois, deux fois quelquefois. Mais le reste c’est moi qui le fais hein, quand même. Tandis que ma belle-sœur... » Une recherche récente, menée en Grande-Bretagne, montre d’ailleurs que la stratégie du « contraste descendant » – la comparaison avec quelqu’un que l’on juge moins bien que soi – est, de loin, la plus fréquente des stratégies de comparaison avec autrui utilisées par les personnes âgées – beaucoup plus fréquente que la stratégie du « contraste ascendant » qui consiste, elle, à se comparer avec quelqu’un qui va mieux que soi (Beaumont, Kenealy, 2003). L’adoption de cette stratégie apparaît d’ailleurs comme un déterminant de la qualité de la vie : « “S’estimer heureux” (“Counting your blesssings”) constitue une stratégie particulièrement appropriée » concluent les auteurs de cette étude.
3. Déprise différentielle, supports différentiels
24Nous allons maintenant nous efforcer d’intégrer dans le schéma d’analyse du vieillissement que nous venons de proposer un constat bien étayé : celui de la grande diversité existant dans les trajectoires de vieillissement ou, pour le dire autrement, le caractère très variable de la déprise pour des personnes du même âge. En effet, même si un tel constat a du mal à s’imposer tant est prégnante la représentation selon laquelle, à partir d’un certain âge – 90 ans, 95 ans, 100 ans – on est nécessairement dépendant, le caractère différentiel du vieillissement constitue un résultat bien établi de la recherche. La fréquence des incapacités physiques et psychiques augmente certes avec l’âge, et de façon particulièrement forte après 80 ans, mais sans concerner l’ensemble des personnes très âgées : selon l’enquête HID (Handicap-Incapacités-Dépendance), 76 % des personnes âgées de 90 ans et plus ont besoin d’aide pour sortir de chez elles, mais 24 % peuvent encore sortir seules (Colin, 2001). La Berlin Aging Study dirigée par Paul Baltes démontre même que la variabilité interindividuelle augmente avec l’âge pour certains indicateurs comme la vitesse de traitement de l’information (Baltes, 1997). Quant aux enquêtes qualitatives réalisées avec des personnes très âgées, elles confirment qu’au même âge, certaines personnes ont dû abandonner des activités centrales pour leur définition de soi, connaissent une forte déprise et voient l’ennui envahir leur quotidien alors que d’autres, à l’inverse, restent investies dans de nombreuses activités. Il est ainsi des personnes qui semblent à bout de course, confinées dans leur chambre, parfois diminuées sur le plan psychique et n’attendant que la mort (Clément, Mantovani, 1994). Et il en est d’autres qui font preuve jusqu’au bout d’un dynamisme maintenu comme l’illustre6 la description proposée par Christine Ockrent des derniers jours de Françoise Giroud, décédée à l’âge de 86 ans : « La semaine précédente [i.e. celle qui précède son décès, à la suite d’une mauvaise chute survenue à l’Opéra Comique], elle avait fêté parmi une foule d’amis complices l’anniversaire du patron de Libération, envoyé dans les temps son papier au Nouvel Observateur, mis à jour les listes de dédicaces du roman qu’elle venait de terminer chez Fayard et dont elle devait encore signer le service de presse » (Ockrent, 2003, p. 356).
25La définition de la déprise que nous avons retenue permet de rendre compte de ce caractère différentiel des trajectoires de vieillissement : le caractère plus ou moins prononcé de la déprise peut en effet être considéré comme le produit de l’inégalité dans les supports que les vieilles personnes peuvent mobiliser. En effet, alors que certaines d’entre elles voient la plupart de leurs supports s’effriter au fil des ans du fait de l’accentuation de déficiences physiques et de la disparition de leurs proches, d’autres restent en bonne santé, connaissent peu de difficultés physiques malgré leur grand âge et continuent à être sollicités et à bénéficier d’opportunités d’engagement dans des activités de substitution. Pour reprendre l’exemple de Françoise Giroud, sa biographe évoque quelques-unes des sollicitations dont elle a été l’objet au cours des vingt dernières années de sa vie : elle se voit proposer d’écrire un billet hebdomadaire dans le Nouvel Observateur, devient membre du jury Fémina, est amenée à s’engager pour la Bosnie, conseille Lionel Jospin sur sa communication, etc. (Ockrent, 2003, ch. 12).
26À cette inégalité dans les supports dont les uns et les autres bénéficient, il faut ajouter une seconde source d’inégalité que pointe Danilo Martuccelli et qu’il invite à explorer plus avant : celle qui tient à la légitimité des supports mobilisés. « La reconnaissance du propre de la condition moderne oblige à regarder de près les véritables soutiens de soi à l’œuvre, et surtout contraint la sociologie à s’efforcer d’élucider les différentiels de légitimité dont jouissent les divers appuis de l’individu » écrit-il (Martuccelli, 2002, p. 138). De ce point de vue, deux observations méritent d’être mentionnées. Tout d’abord, il convient de noter qu’il existe un support qui, lorsqu’il est trop fortement sollicité, devient stigmatisant : c’est le support interpersonnel dans le cas où il conduit à une « mise en dépendance » de la personne âgée qui renonce ainsi à son autonomie. Cette « remise de soi » est, en effet, aux antipodes du modèle de l’individu autonome, qui est également prégnant chez les plus âgés comme l’illustre le faible attrait que beaucoup manifestent pour la cohabitation intergénérationnelle à laquelle ils préfèrent une « intimité à distance » avec leurs proches. Ce qui est légitime, pour les plus âgés comme pour les plus jeunes, c’est de disposer de supports multiples et variés, qui soutiennent sans enfermer dans une relation unique et aliénante (de Singly, 2003). Par ailleurs, la question de la légitimité ne renvoie pas seulement à la légitimité des supports existants, mais aussi à l’indisponibilité de certains supports dont l’absence apparaît illégitime. C’est le cas des enfants des personnes « dépendantes » qui sont perçus comme un support en quelque sorte « naturel » dont on imagine mal qu’il puisse être absent. C’est ce dont témoignent certaines réactions et déclarations publiques lors de la crise de la canicule de Tété 2003, qui se sont émues de l’abandon des personnes âgées par leur famille – par leurs enfants – sans considérer que certaines personnes n’ont jamais eu d’enfants, que d’autres les ont vu mourir, que certains – même s’ils sont une minorité – sont brouillés avec eux7. En ce qui concerne les personnes âgées elles-mêmes, cette absence éventuelle du support « enfant » apparaît à leurs yeux plus ou moins légitime. Ainsi, parmi celles qui vieillissent sans enfants, il est possible de distinguer deux groupes : les « "indépendants(es)" de longue date » qui n’ont jamais envisagé de compter sur leurs enfants dans leurs vieux jours (pour certains parce qu’ils n’en n’ont pas), qui sont habitués depuis longtemps à se débrouiller seuls et qui font preuve d’une capacité à mobiliser l’aide dont ils ont besoin et à diversifier leurs supports et, à l’inverse, les « dépendants anciens » qui s’étaient projetés dans une situation où leurs enfants s’occuperaient d’eux et qui souffrent de leur absence ou de leur présence insuffisante (Membrado, 1999).
Conclusion
27Dans la réflexion sociologique sur la vieillesse, la question de la catégorisation de la population âgée a joué un rôle majeur. Ainsi, pour cerner les caractéristiques de cette population et en analyser les pratiques, des découpages catégoriels ont été établis, à commencer par celui de « personnes âgées », défini depuis le XVIIIe siècle comme l’ensemble des 60 ans et plus et qui, selon les besoins, peut être subdivisé en tranches d’âge plus fines, quinquennales ou décennales. Au-delà de ces classements statistiques, des catégories plus élaborées, comme les typologies, ont été proposées afin de différencier les modes de vie à la retraite. Ce travail de catégorisation s’est accompagné d’une réflexion critique sur les catégories, celles utilisées en sciences sociales comme celles qui ont émergé dans l’espace public au cours des quarante dernières années. Certains auteurs se sont ainsi interrogés sur les dangers associés à certains usages de la catégorie de « personnes âgées » qui, non seulement, présente le risque d’occulter l’hétérogénéité de la population qu’elle rassemble, mais a aussi conduit à avancer la thèse contestable d’un « vieillissement démographique » de la nation du fait de l’augmentation de la part des 60 ans et plus (Bourdelais, 1993). D’autres chercheurs ont retracé la construction sociale des catégories, aujourd’hui si courantes, de « personnes âgées dépendantes » et de « seniors », et on souligné les ambiguïtés que ces termes véhiculaient8.
28Parallèlement à cette approche, une autre perspective nous paraît possible, qui envisage non plus la vieillesse comme un état, un groupe social ou une sous-population, mais s’efforce d’appréhender le processus de vieillissement individuel. Dans cette perspective, qui s’inscrit pleinement dans le cadre d’une sociologie de l’individu, l’objectif consiste à restituer l’expérience de l’avancée en âge après la retraite, le vieillissement étant entendu comme un ensemble de changements dans le rapport au monde. La finalité de l’analyse est alors de rendre compte de ces transformations et de comprendre pourquoi ces changements adviennent selon des modalités diverses. De ce point de vue, l’association des notions de déprise et de supports apparaît féconde. Il est d’ailleurs probable qu’un tel rapprochement analytique pourrait être utilisé avec profit en d’autres moments des trajectoires individuelles contemporaines, qui sont de plus en plus marquées, tant sur le plan professionnel que familial, par une série d’engagements et de désengagements que chacun doit aujourd’hui gérer en mobilisant les supports pour lui disponibles.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Pour une présentation plus précise de ces trois approches, cf. Caradec, 2004.
2 L’analyse est fondée sur plusieurs enquêtes réalisées avec des retraités, notamment avec des personnes âgées de plus de 75 ans : enquête sur leur rapport aux médias domestiques (radio, télévision) ; enquête sur les trajectoires et l’expérience du vieillissement ; récits de vie recueillis auprès de nonagénaires et de centenaires. Pour plus de détail sur ces enquêtes, on pourra se reporter aux annexes publiées dans Caradec, 2004.
3 Cette idée se trouve également magistralement exprimée par Pierre Bourdieu, dans ses Méditations Pascaliennes : « Etre attendu, sollicité, accablé d’obligations et d’engagements, ce n’est pas seulement être arraché à la solitude ou à l’insignifiance, c’est éprouver, de la manière la plus continue et la plus concrète, le sentiment de compter pour les autres, d’être important pour eux, donc en soi, et trouver dans cette sorte de plébiscite permanent que sont les témoignages incessants d’intérêt – demandes, attentes, invitations-, une sorte de justification continuée d’exister » (Bourdieu, 1997, p. 283).
4 Rappelons qu’à l’âge de 60 ans, la probabilité d’avoir encore l’un de ses parents en vie est de 40 % et qu’elle est, à 70 ans, de 10 % (Cassan, Mazuy, Toulemon, 2001, graphique 5).
5 La télévision apparaît ainsi comme le média le moins spécialisé, celui qui se trouve associée à la gamme la plus large de besoins et qui se caractérise donc par la plus grande poly-fonctionnalité. Cf. Katz, Gurevitch, Haas, 1973.
6 On peut facilement citer d’autres exemples – et les médias nous en montrent régulièrement – d’hommes politiques, de cinéastes âgés, ou encore d’artistes qui se produisent encore en public à un âge avancé.
7 Une étude réalisée à partir des données de l’enquête Handicap-Incapacités-Dépendance indique que 2 % des 60 ans et plus (soit environ 300 000 personnes) n’ont pas de « famille » (ni conjoint, ni enfant ou petit-enfant, ni frère ou sœur) et que 5 % en ont mais n’ont pas de contact avec elle. La probabilité de vivre en institution de ces personnes isolées sur le plan familial est beaucoup plus forte que pour ceux qui bénéficient d’une présence familiale. Cf. Désesquelles, Brouard, 2003.
8 Sur ces différents modes de catégorisation, nous renvoyons à Caradec, 2001, ch.1.
Auteur
Professeur de Sociologie, Université de Lille 3, GRACC
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