Chapitre IX. Pouvoir de veuve : pouvoir de mère ?
p. 357-388
Texte intégral
1L’incapacité juridique des femmes au haut Moyen Âge n’exclut pas qu’elles puissent jouer un rôle politique de premier plan1, du moins une minorité d’entre elles, reines ou aristocrates. Depuis l’époque mérovingienne mais surtout le IXe siècle, pour le milieu royal, et, à partir de la seconde moitié du Xe siècle, à l’échelon comtal, l’épouse est associée par son époux à l’exercice de la potestas2. Les études qui ont récemment analysé le queenship (souveraineté féminine) confirment qu’à partir de l’époque carolingienne, la reine est davantage associée à la fonction royale, ce qui lui confère des pouvoirs réels3. D’une manière plus générale, la christianisation du modèle conjugal, en imposant la monogamie et l’indissolubilité, ainsi que le durcissement des règles homogamiques et la patrimonialisation des honores ont contribué à renforcer la position de l’épouse au sein du couple et à l’associer à l’exercice du pouvoir4. Dans quelle mesure, devenue veuve, peut-elle continuer à exercer la potestas ? En quoi son autorité se trouve-t-elle modifiée ? Quelles conséquences l’évolution de la place de l’épouse dans le consortium conjugal a-t-elle sur le pouvoir qu'elle peut exercer, devenue veuve ?
2Cristina La Rocca a récemment souligné l’une des spécificités d’Angelberge, veuve de Louis II d’Italie († 875) : elle continue à se mêler des affaires du royaume pendant son veuvage malgré son manque de fils, condition qui conduit normalement à la relégation politique d’une reine5. En règle générale, la reine qui n’a pas de fils quitte la cour et perd tout pouvoir, comme je l’ai souligné au chapitre 2. De même, en l’absence de fils, la veuve aristocratique retourne le plus souvent dans sa parenté, voire se retire au sein d’une communauté religieuse. Elle peut y jouer un rôle important, de nature religieuse, économique, sociale ou familiale, mais sans bénéficier d’un véritable pouvoir politique. Le pouvoir qu’une veuve, royale ou aristocratique, est susceptible d’exercer apparaît donc étroitement lié à l’existence d’un fils. À la fin du VIe siècle, Grégoire de Tours rapporte que, lorsqu’un messager apprend à Frédégonde la mort de son troisième fils Chlodobert, il ajoute :
« (...) et je t’avertis que tu ne peux espérer aucun meilleur destin, maintenant que tu as perdu l’espoir qui te permettait de pouvoir régner »6.
3Au Xe siècle, à la mort de Lothaire (986), les grands reconnaissent l’autorité de la reine Emma, en même temps que celle de son fils Louis V. Mais, à la mort de celui-ci, en 988, Emma est exclue du pouvoir7. La naissance et la survie d’un fils sont essentielles, non seulement du vivant du roi pour renforcer la position de la reine qui a accompli son devoir en lui donnant un héritier, mais aussi pour conserver le pouvoir, en cas de veuvage8. Le pouvoir d’une reine veuve est donc lié à sa capacité à influencer et à contrôler ses fils, voire ses petits-fils : il s’agit donc d’un pouvoir de mère, voire de grand-mère. Les siècles suivants ne démentent pas cette règle. Il reste cependant à évaluer la nature de ce pouvoir, son évolution et ses limites, selon que le fils est mineur ou qu’il a atteint la majorité à la mort de son père. Le présent chapitre envisage successivement l’une et l’autre situation.
Assumer la « régence » ?
4La mort du roi pose la question de la succession. Chez les Francs, c’est le principe dynastique qui prévaut : les fils héritent du regnum Francorum qu’ils se partagent9, jusqu’à ce que les royaumes deviennent des entités indivisibles et que la règle de la primogéniture s’impose au Xe siècle. En l’absence de fils, les frères du défunt héritent, mais à partir de la fin du IXe siècle, dans le contexte difficile des raids normands, et jusqu’à ce qu’à ce que les Capétiens finissent par s’imposer, les grands estiment avoir le droit d’intervenir dans la désignation du roi et d’opter, si nécessaire, pour un non Carolingien10. Quoi qu’il en soit, la reine perd alors avec son mari tout pouvoir : elle quitte la cour, vit dans une villa, est placée dans un monastère ou retourne dans sa parenté, comme cela s’est produit quelquefois aux époques mérovingienne et carolingienne11. En revanche, si la reine a des fils, elle quitte son statut d’épouse pour prendre celui de mère du roi. Avant d’analyser les pouvoirs que cela lui procure, il convient de s’interroger sur son rôle en cas de minorité de l’héritier, ce qui revient à s’intéresser aux origines de la régence – plus particulièrement de celle exercée par la mère –, institution qui n’existe ni chez les Romains, ni chez les peuples germaniques. Après avoir envisagé l’échelon royal, il faudra s’intéresser au milieu aristocratique, à une époque où s’impose l’hérédité des honores.
Assurer la continuité dynastique
5À l’époque carolingienne, tous les rois laissent à leur mort au moins un fils majeur. En revanche, le cas où les héritiers sont encore mineurs s’est plusieurs fois présenté à l’époque mérovingienne et sous les Capétiens : les fils passent alors, avec leur mère, sous la protection d’un proche parent mâle, voire d’un fidèle12. Cela exclut-il tout rôle de la reine mère ?
6Les deux premiers cas de minorité sont enregistrés dans le dernier quart du VIe siècle13 : les deux principaux royaumes du regnum Francorum ont à leur tête des rois mineurs, secondés par leur mère dont les sources soulignent le rôle dans l’exercice du pouvoir. En Austrasie, Brunehilde, veuve du roi Sigebert († 575) gouverne au nom de son fils Childebert II, âgé d’environ 5 ans. Quelques années plus tard, en Neustrie, Frédégonde se trouve dans une situation comparable, après la mort de Chilpéric († 584), alors que son fils Clotaire n’a que quelques mois. Les deux reines veuves assument, chacune dans leur royaume et au profit de leur fils, la continuité dynastique, comme l’attestent Grégoire de Tours, à la fin du VIe siècle, et Frédégaire, au siècle suivant. Certains historiens n’hésitent pas à employer le terme de « régence ». L’analyse des textes montre qu’il convient d’être plus prudent, dans la mesure où il a fallu plusieurs siècles pour que s’impose la pratique de confier à la reine mère la responsabilité du gouvernement au nom d’un fils mineur14.
7Plusieurs extraits des Decem libri montrent en effet que, si l’on accepte que la royauté, transmise héréditairement depuis plus d’un siècle et trois générations, revienne aux fils du roi défunt, l’autorité de la reine mère n’est pas pour autant acceptée par tous. Selon l’évêque de Tours, Brunehilde est d’abord exclue du pouvoir : le duc Gundovald s’empare de son fils Childebert qu’il fait reconnaître par les fidèles de Sigebert, alors que la reine est laissée à la merci de Chilpéric qui l’exile à Rouen15. En cas de minorité, les Francs n’octroient a priori aucun droit à la reine mère. L’aristocratie compte profiter de la situation pour contrôler le jeune roi : le séparer de sa mère donne infiniment plus de latitude, mais cela traduit aussi l’influence, si ce n’est le pouvoir, que la reine serait susceptible d’exercer. C’est cependant compter sans l’opiniâtreté de Brunehilde qui entend préserver les droits de son fils tout autant que retrouver sa place à la cour royale. Elle parvient à regagner l’Austrasie et l’entourage de Childebert, mais doit coopérer avec des membres de l’aristocratie qui lui sont hostiles16. Selon Grégoire de Tours, un aristocrate nommé Ursion aurait répondu à la reine Brunehilde qui cherchait à dissuader les guerriers d’attaquer l’un de ses fidèles :
« Éloigne toi de nous, ô femme. Qu’il te suffise d’avoir gouverné le royaume sous ton époux ; car maintenant, c’est ton fils qui règne ; et si son royaume est sauvegardé, ce n’est pas grâce à ta protection, mais grâce à la nôtre »17.
8Une partie de l’aristocratie au moins juge donc qu’il lui appartient, et non à la reine mère, de seconder le jeune roi. Il est cependant possible qu'elle ait davantage remis en cause une trop forte autorité que le rôle de la reine mère. La harangue d’Ursion qui traduit certaines oppositions n’empêche pas Brunehilde de s’affirmer comme maître de l’autorité pendant la minorité de son fils et après, ce qui n’exclut pas le rôle de divers personnages masculins dans l’entourage du jeune roi18. À la mort de celui-ci, en 596, Brunehilde n’abandonne pas le pouvoir et entend l’exercer au nom de ses petits-fils : en Austrasie, pour Théodebert II, puis, après avoir été chassée par une partie de l’aristocratie austrasienne au début du VIIe siècle, en Burgondie, au nom de Thierry II19. Quand celui-ci meurt en 613, elle tente de conserver le pouvoir en faisant élever à la royauté son jeune arrière-petit-fils Sigebert II – l’aîné des quatre fils de Thierry –, au nom de qui elle espére gouverner20. À chaque succession et pendant chaque minorité, elle se heurte à l’opposition d’une importante fraction de l’aristocratie qui entend ne laisser à la reine mère que des pouvoirs réduits, voire aucun rôle.
9Si le gouvernement n’est pas officiellement confié à la mère à la fin du VIe siècle, on reconnaît cependant, dès cette époque, que le veuvage permet à la reine, mère d’un fils mineur, d’exercer le pouvoir, ce qui explique que certains membres de l’aristocratie aient cherché à l’éloigner de la cour. Les sources soulignent son rôle et la montrent aux côtés de son fils, voire devant, dans certains actes de souveraineté, mais elles n'évoquent pas explicitement qu'elle exerce le pouvoir au nom de celui-ci.
10Les choses évoluent progressivement à partir du VIIe siècle. Selon la chronique de Frédégaire, après la naissance de Clovis que lui a donné la reine Nanthilde, alors qu’il a déjà un fils de Ragnetrude – Sigebert —, Dagobert prévoit qu’après sa mort, le second reçoive l’Austrasie et le premier les royaumes de Neustrie et de Burgondie21. Quelques années plus tard, sentant sa fin proche, il fait venir Aega, maire du palais de Neustrie, et lui confie la reine Nanthilde et son fils Clovis : le roi tenait Aega « pour un homme de sage conseil et il pensait que par son entremise le royaume pouvait être bien gouverné »22. La chronique poursuit :
« Après la mort de Dagobert, son fils Clovis, encore mineur, reçut le royaume de son père. Tous les leudes de Neustrie et de Burgondie l’élevèrent à la royauté dans la villa de Mâlay (-le-Roi).
Aega, avec la reine Nanthilde que Dagobert avait laissée veuve, gouverna dignement le palais et le royaume pendant la première, la seconde et le début de la troisième année du règne de Clovis »23.
11Les différents extraits montrent que, si c’est un homme qui reçoit la tutelle du jeune roi et de sa mère, la reine se trouve associée à Aega pour gouverner au nom de Clovis II. Après la mort du maire du palais en 642, Nanthilde réalise elle-même certains actes de souveraineté. Le même schéma se reproduit à la génération suivante : Clovis II meurt en 657, laissant une veuve, Bathilde, et trois fils, dont l’aîné, Clotaire, né en 649, n’a que 8 ans24. Selon le Liber historiae Francorum et la continuation de la chronique de Frédégaire, rédigés au début du VIIIe siècle,
« Les Francs élèvent à la royauté l’aîné de ses trois fils, Clotaire, pour gouverner avec la dite reine-mère »25.
12On reconnaît alors à la reine, mère d’un roi mineur, une part de responsabilités à assumer aux côtés, voire au nom, de son fils. Cela ne signifie pas l’absence de tout contrôle masculin, mais les sources insistent désormais davantage sur l’association de la mère au pouvoir de son fils. Bathilde exerce effectivement le pouvoir avec le maire du palais Ébroin26 et c’est parce son autorité est trop grande que celui-ci, soutenu par un puissant parti aristocratique, profite de la majorité de Clotaire III (664-665) pour l’écarter du pouvoir en la contraignant à se retirer à Chelles27. Entre la fin du VIe et le début VIIIe siècle, on observe donc une évolution qui tend à associer la reine-mère au gouvernement de son fils mineur.
13Le cas de Plectrude au début du VIIIe siècle montre que le modèle royal a alors gagné la famille des Pippinides. En 714, à la mort du maire du palais Pépin II, sa veuve Plectrude « prétendait décider de tout et gouverner », explique la continuation de Frédégaire, « au nom de ses petits-fils et du roi », avait précisé le Liber Historiae Francorum28, antérieur de quelques années. Plectrude n’est pas reine, mais elle agit comme une reine, à une époque où les maires du palais ont fortement accru leur pouvoir. Elle n’a plus de fils29 susceptible d’exercer le principat à la suite de Pépin II, mais son petit-fils Théodoald a été désigné maire du palais de Neustrie par Pépin II avant de mourir30. Elle n’est peut-être pas étrangère à ce choix, qui écarte de la succession le fils que son époux a eu d’Alpaïde, Charles Martel – qu'elle fait emprisonner après la mort de son mari31 –, et lui permet de conserver sa place à la cour et d’exercer le pouvoir aux côtés d’un garçon de six ans32. La tentative de Plectrude pour se maintenir au pouvoir échoue, mais elle montre que la veuve ne peut exercer de pouvoir que s’il y a continuité dynastique : ce n’est pas suffisant mais c’est nécessaire. Le pouvoir des veuves est un pouvoir de mères ou de grand-mères. Le rôle des mères pour établir leur fils au pouvoir ne s’explique pas seulement par les désirs maternels de protéger l’héritage des enfants ; c’est aussi le seul moyen pour elles de conserver leur place et leur pouvoir à la cour royale.
14La seule exception que l’on trouve à l’époque mérovingienne de veuve qui conserve le pouvoir, alors qu'elle n’a pas de fils au nom de qui l’exercer, est Chimnechilde. Veuve de Sigebert III († 656), elle joue un rôle relativement effacé tant que vit le maire du palais d’Austrasie, Grimoald : celui-ci est étroitement lié au roi Childebert qui succède à Sigebert III, sans que l’on sache si Childebert, fils de Grimoald, a été adopté par Sigebert III ou si, prince mérovingien, il a été adopté par le maire du palais33. Quoi qu’il en soit, il semble que Childebert ait déjà atteint la majorité quand il arrive sur le trône34. À sa mort en 662, c’est le second fils de Bathilde, Childéric II, âgé de sept ans qui lui succède – dans un contexte de réaction en Austrasie à la montée des Pippinides – et est marié à la fille de Chimnechilde, Bilihilde35. Selon le Liber Historiae Francorum, Childéric règne alors avec le duc Vulfoald36, mais les diplômes37 et la passio Praeiecti38 révèlent le rôle de la veuve de Sigebert aux côtés du jeune roi. Chimnechilde est probablement restée à la cour après la mort de Sigebert, en tant que mère du roi Childebert ou épouse de son père adoptif, mais son rôle est éclipsé par celui de Grimoald. La mort de celui-ci lui permet de récupérer une influence plus grande, impossible à vérifier sous le règne de Childebert. Mais elle n’est peut-être pas étrangère à l’alliance négociée avec sa belle-sœur Bathilde qui lui permet d’exercer une double influence en tant que mère de la reine, mais surtout, me semble-t-il, en tant que veuve du roi d’Austrasie : porteuse d’une certaine légitimité et soutenue par une fraction de l’aristocratie, elle partage le pouvoir avec le jeune roi, son neveu et gendre, à l’image de Bathilde avec son fils Clotaire III. Il y a compromis entre les deux royaumes : l’Austrasie élève sur le trône un roi neustrien, mais affranchi de la tutelle de Bathilde et de l’aristocratie neustrienne. Chimnechilde et le parti aristocratique austrasien qui la soutient entendent exercer le pouvoir au nom de Childéric II. Le rôle exceptionnel de Chimnechilde ne s’explique que par le contexte spécifique des années 650-660.
15Sous les Carolingiens, le problème des minorités ne se pose qu’à partir de la fin du IXe siècle, à un moment où l’aristocratie s’octroie le droit de désigner, à la mort d’un roi, son successeur. Dans un contexte difficile, marqué notamment par les raids normands, son choix se porte sur le candidat le plus apte à assurer la protection, ce qui exclut du pouvoir les fils de roi trop jeunes, et par là-même leur mère. C’est le sort réservé à Adélaïde, seconde épouse de Louis le Bègue, qui ne donne naissance à un fils, le futur Charles le Simple, qu’après la mort de son époux. Ce sont les deux fils de Louis le Bègue et de sa première épouse Ansgarde, Louis III et Carloman, qui succèdent à leur père. Adélaïde, qui n’est donc pas la mère des successeurs de son époux, quitte la cour et confie peut-être l’éducation de son fils au comte Ramnulf II de Poitiers ou à l’archevêque Foulques de Reims39. Le règne des fils aînés de Louis le Bègue est cependant éphémère : Louis III meurt en 882 et son frère, deux ans plus tard. En 884, le dernier fils de Louis le Bègue susceptible de recevoir la couronne, Charles, n’a que cinq ans alors que les raids normands sont particulièrement dévastateurs : les grands se tournent vers le Carolingien qui leur semble le plus apte à défendre le royaume, l’empereur Charles le Gros. Leurs espoirs sont déçus et une révolte en Germanie contraint Charles le Gros à abdiquer en 887. En 888, à sa mort, les aristocrates de Francie occidentale élèvent sur le trône le Robertien Eudes, comte de Paris, qui s’est illustré lors du siège de la ville par les Normands (885-886). Les partisans de Charles n’ont cependant pas renoncé et le préparent à revendiquer le trône : en 893, l’archevêque Foulques de Reims le fait couronner40. Si les sources évoquent peu Adélaïde, elle n’est peut-être pas étrangère aux prétentions de son fils si l’on en croit le rôle qu’elle joue à ses côtés, une fois celui-ci roi : dès 894, plusieurs diplômes la montrent intervenir auprès de lui41. En 898, avant de mourir, Eudes désigne Charles le Simple pour lui succéder. La révolte d’une partie de l’aristocratie aboutit cependant à l’emprisonnement du roi carolingien et, en 922, à l’élection à la royauté de Robert, frère du roi Eudes42 : il meurt au combat l’année suivante. Son fils, Hugues le Grand qui n’a pas encore de fils – Hugues Capet naît entre 939 et 94143 – préfère laisser la couronne44 à son beau-frère, Raoul, qui meurt en 936, sans héritier direct, puis au fils de Charles le Simple, Louis, que sa mère Ogive avait envoyé dans sa famille en Angleterre.
16C’est dans ce contexte où alternent sur le trône Carolingiens et Robertiens, en fonctions des choix de l’aristocratie, que survient une nouvelle minorité. En 954, Lothaire est encore enfant (puer) à la mort de son père Louis IV d’Outre Mer45. Né en 94 146, il n’a pas treize ans, mais une mère influente et énergique, Gerberge. Celle-ci obtient la protection du puissant duc des Francs, son beau-frère, Hugues le Grand, et, fort de ce soutien, Lothaire est sacré roi à Saint-Rémi de Reims47. À un moment où l’élection compte beaucoup, Gerberge pouvait craindre que son fils ne soit pas élevé à la royauté : ses démarches et les appuis sur lesquels elle peut compter permettent aux Carolingiens de rester au pouvoir. Gerberge joue donc un rôle essentiel pour assurer la continuité dynastique. Elle s’attache ensuite à diriger les premiers pas de son fils : en 955, selon Flodoard, c’est la reine Gerberge et son fils – et non le roi et sa mère – que reçoit Hugues le Grand48, ce qui révèle très certainement la répartition réelle des pouvoirs. À partir de la fin du IXe siècle, lorsque le principe dynastique cède le pas à l’élection royale, la reine ne peut espérer gouverner au nom de son fils mineur que si elle bénéficie de puissants soutiens.
17Dans la première moitié du XIe siècle, les craintes des reines quant à leur avenir restent toujours vivantes. Raoul Glaber, qui rédige ses Histoires dans les années 1030-1040, rapporte que Robert le Pieux, songeant à sa succession, interroge les grands sur l’élévation au trône de son fils aîné Hugues, alors âgé de dix ans. Ceux-ci jugent la chose prématurée, mais le roi, à l’instigation de sa femme, fait cependant couronner l’enfant. Raoul Glaber explique en ces termes la pression exercée par la reine sur le roi :
« (...) par peur d’être privée de sa dignité royale au cas où un malheur arriverait à son mari, elle avait, seule contre tous, fait élever l’enfant au trône (...) »49.
18À un moment où la dynastie capétienne ne s’est pas encore totalement imposée, la reine peut craindre, si le roi meurt sans héritier majeur, que les grands n’écartent ses fils et n’élèvent à la royauté l’un d’entre eux : Constance perdrait alors sa place à la cour, sa dignité royale et une large part de son pouvoir. En revanche, l’extrait montre que si l’enfant a déjà été sacré, la reine entend conserver son statut, même si son fils est encore mineur, et probablement, dans le cas de la forte personnalité de Constance, exercer l’autorité royale au nom de son fils. La question ne se pose cependant pas alors.
19À la génération suivante néanmoins, Philippe Ier n’a que huit ans à la mort de son père (1060). Henri Ier avait préparé sa succession, en le faisant sacrer l’année précédente et en confiant la tutelle à son beau-frère, le comte Baudouin V de Flandre50. Les diplômes montrent cependant que la reine Anne fait partie de l’entourage royal : elle accompagne souvent son fils dans ses déplacements et souscrit ou consent avec lui un grand nombre d’actes51, dont l’un, daté de 1060, évoque les très pieux rois, Philippe et sa mère, Anne52, et un autre de 1061, de manière plus explicite encore, le royaume que Philippe, encore jeune, a reçu avec sa mère53. Si Baudouin s’est vu confier la tutelle du jeune roi, la reine Anne a la prééminence – elle est mentionnée avant lui –, et elle semble plus étroitement que lui associée à la royauté. Comme aux VIIe-VIIIe siècles, la reine mère exerce le pouvoir aux côtés, voire au nom, de son fils mineur. Elle doit cependant compter avec Baudouin, tuteur désigné et puissant prince. On ne conçoit pas avant le XIIIe siècle, que la reine mère puisse assumer seule, en titre du moins, le gouvernement de son fils et ce n’est pas avant le XIVe siècle que le terme de « régence » apparaît pour désigner une fonction plus officielle et mieux définie juridiquement54. On reconnaît cependant, dès les premiers siècles du haut Moyen Âge, que la reine mère est associée au gouvernement de son fils. Il n’en reste pas moins que le queenship est conçu comme un statut complémentaire de celui du souverain mâle : sans être dénué de tout pouvoir, il n’est pas en lui même source de pouvoir55.
20Une situation et une évolution analogues sont repérables au sein de l’aristocratie. On a vu que, dès le début du VIIIe siècle, les Pippinides avaient réussi à imposer « la patrimonialité de leur honore et sa succession en ligne directe et patrilinéaire, sur le modèle royal »56 : à la mort de Pépin II, Plectrude imite le comportement et les prétentions des reines dans sa situation. Cela reste cependant une exception. Le modèle de la virago, c’est-à-dire de la femme – et notamment de la veuve – qui agit comme l’aurait fait un homme57, reste un modèle royal jusque dans le dernier quart du Xe siècle58. À partir de là, les cas de comtesses qui assument le gouvernement avec et au nom de leurs fils mineurs se multiplient. La diffusion d’un mode de succession lignager a non seulement renforcé la position de l’épouse au sein du couple, mais aussi accru le rôle de la veuve en cas de minorité de l’héritier. À la mort de Frédéric Ier, duc de Haute-Lotharingie, en 978, sa veuve, Beatrix, gouverne seule le duché au nom de son jeune fils Thierry et prend même une part active à la diplomatie européenne59. Gerbert d’Aurillac, alors conseiller de l’évêque de Reims, reconnaît son autorité et la pare, comme souvent ses contemporains, du titre de dux dans les lettres qu’il rédige au nom de divers hauts personnages laïques et ecclésiastiques60. S’il est rare de voir cette titulature masculine utilisée pour désigner une femme, la position dominante d’une veuve dans le gouvernement d’une principauté héritée par un fils mineur devient en revanche relativement courante. En 988, Le comte Arnoul II de Flandre laisse à sa mort une veuve Rozala et un fils encore enfant Baudouin IV : Rozala entreprend de guider le jeune comte61. C’est la perspective d’exploiter l’autorité dont elle dispose qui pousse Hugues Capet à unir son fils Robert le Pieux à la comtesse62.
21Lorsqu’Eudes Ier meurt en 996, alors que son fils aîné n’a que quatorze ou quinze ans, Berthe se substitue à son époux dans le gouvernement de la principauté : elle se fait épauler par un bras mâle, celui du roi Robert63, mais c’est elle qui semble détenir le pouvoir. Le roi Robert n’apparaît, parmi les souscripteurs, que dans un seul acte des comtes de Blois64. Jusqu’en 1004, Berthe intervient dans la majorité des actes souscrits par ses fils, qui la placent parfois en première position : on a vu que c’est à elle que sa belle-sœur Emma est venue s’adresser65 ; elle souscrit avant son fils Eudes la donation qu’effectue à Marmoutier Hugues de Saint-Maurice, vicomte de Chateaudun et doyen du chapitre de l’église de Tours66. Cette prééminence accordée à Berthe s’explique parce qu’elle assume, en chef de famille, la gestion du patrimoine familial, mais elle traduit aussi sa prise en main du gouvernement, la gestion du patrimoine étant souvent, à cet échelon, indissociable des stratégies de pouvoir. D’ailleurs, lorsqu’en 996, les comtes de Blois cherchent à obtenir des rois Hugues Capet et Robert le Pieux la confirmation de la fondation de l’abbaye de Bourgueil, Berthe est présentée en tête de la délégation par le diplôme qui enregistre la concession royale :
« après la mort du comte Eudes, son épouse Berthe, accompagnée de ses fils et de l’abbé Joubert, a demandé notre clémence pour que nous confirmions cette chose (...) »67.
22Berthe assure donc la continuité du pouvoir jusqu'à ce que son fils Eudes soit en mesure de l’exercer68. En Aquitaine, à partir de 1039, la duchesse Agnès joue le même rôle pour ses fils, dont l’aîné est alors âgé d’environ seize ans, après l’élimination des deux aînés de son mari. Elle s’est remariée pour bénéficier d’un soutien masculin afin de réaliser ses projets, mais les sources montrent que c’est elle qui détient l’autorité en Aquitaine, au nom de ses fils. Si certains actes se contentent de l’associer au pouvoir de ses fils69, d’autres insistent sur son rôle. Plusieurs chartes datées du début des années 1040, conservées dans le cartulaire de Saint-Maixent, sont particulièrement explicites :
« le comte Guillaume est dans le pagus d’Aquitaine avec son frère Geoffroi, leur vénérable mère la comtesse Agnès gouverne le pays des Gaules de façon excellente »70.
« Comme dans le pagus de Poitiers, la comtesse Agnès avait reçu avec ses fils, Guillaume et Geoffroi, la direction des affaires et qu'elle gouvernait énergiquement (strenue regisset) le duché, dans la mesure où elle le pouvait, (...) »71
«(...) en ce temps où la comtesse Agnès commença à gouverner (dominari) dans le pagus de Poitiers avec ses fils (...) »72.
23Un extrait de la chronique de Saint-Maixent souligne par ailleurs le rôle secondaire de Geoffroi Martel, son deuxième époux. En 1044,
« la comtesse Agnès vint à Poitiers avec ses deux fils Pierre et Geoffroi, ainsi que leur père nourricier Geoffroi Martel, son époux, et ils tinrent un plaid en présence de tous les grands du Poitou »73.
24Le comte d’Anjou seconde son épouse. Il n’exerce pas l’autorité au nom des enfants de celle-ci74. De même, lorsque meurt, en 1102, le comte de Blois Étienne-Henri, ses fils sont encore mineurs : Adèle assume seule, en leur nom, le gouvernement de la principauté qui lui a été délégué lors du départ de son époux pour la croisade jusqu’à ce que Thibaud atteigne la majorité, ce que symbolise son adoubement en 110775. Dans l’ensemble de l’espace étudié, à partir de la fin du Xe siècle, lorsqu’un prince meurt en laissant des fils mineurs, le pouvoir ne revient plus à des fidèles mâles, mais est assumé par la mère des enfants pour autant qu'elle ait survécu à son époux.
25Les mêmes pratiques semblent s’être imposées à un échelon moins élevé de l’aristocratie, bien que cela soit plus difficile à observer. Le dossier constitué par les chartes au profit de Saint-Père de Chartres qui font intervenir Mahilde montre que celle-ci a hérité de l'honor d’Alluyes dont elle devient la domina76, terme qui, comme les autres formes féminines de titres, traduit certains pouvoirs, privilèges et responsabilités77. Mahilde transfère son autorité à son second époux78, puis au fils né de sa première union79, sans l’abandonner cependant totalement. Après la mort de son premier mari Guillaume et avant son remariage, alors que son fils Guillaume est manifestement mineur, elle exerce seule l’autorité80. D’autres actes du cartulaire de Saint-Père de Chartres, datés des années 1090, révèlent qu’après la mort de son mari, Philippa de Courville exerce le pouvoir au nom de son fils mineur, alors que son époux avait quatre frères, susceptibles de l’assumer au nom de leur neveu : en 1094, elle donne avec son fils, à l’abbaye, le ban sur le village de La Pommerai et persuade cinq de ses vassaux de concéder certains de leurs droits81. Pour les moines, elle est la domina de Courville82 : elle exerce les mêmes droits et prérogatives que ses prédécesseurs masculins83. En Normandie, les veuves semblent pouvoir exercer des pouvoirs analogues : un acte enregistre un peu avant le milieu du XIe siècle, la concession réalisée par Ansfred, « avec le consentement de ses seigneurs, Emma veuve du sénéchal Osbern et ses fils Guillaume et Osbern »84. Neveu de la duchesse Gunnor, Osbern est un puissant seigneur normand et fait partie des fidèles à qui Robert le Magnifique a confié la tutelle de son jeune fils Guillaume lorsqu’il part en Terre Sainte en 1033. Mais il est assassiné85, laissant une veuve Emma et deux fils, peut-être mineurs si l’on en croit la place prééminente que l’acte donne à leur mère.
26S’il n’est pas toujours facile de percevoir les pouvoirs qu’une femme est en mesure d’exercer concrètement durant son veuvage, certains indices permettent de supposer qu’elle détient une autorité réelle. Les donations réalisées par des veuves, avec leurs enfants – dont il est cependant souvent difficile de préciser s’ils sont majeurs ou non –, et souscrites par de puissants témoins peuvent être ainsi considérées comme autant de témoignages du pouvoir qu’elles assument au nom de leurs fils, dans la mesure où elles permettent de renforcer les alliances avec ces personnages. Vers 992, Arsinde et son fils Guillaume font une importante donation à Saint-Cyprien, souscrite notamment par le comte Guillaume IV d’Aquitaine, un évêque et deux vicomtes86. Dans les années 1040-1046, la noble Tescha veuve de Supice fait, avec l’accord de son fils dont le rôle semble assez effacé – peut-être du fait de son jeune âge ? –, deux donations à la Trinité de Vendôme dont l’une est souscrite par la comtesse d’Anjou et la seconde par plusieurs fidèles87. Les références à des biens détenus en fiefs d’une femme et de ses enfants sont aussi révélatrices du pouvoir d’une veuve. La concession d’un fief dépasse la simple gestion du patrimoine. Elle permet de s’attacher des vassaux et de renforcer sa puissance en multipliant le nombre des alliés et des fidèles. Vers 1090, Renaud de Piollant et ses frères cèdent aux moines de Saint-Cyprien de Poitiers une terre qu’ils tenaient en fief « de Thomase et de Guillaume », le fils qu'elle a eu de son premier mari Albert de Saint-Jouin88.
27Durant le haut Moyen Âge, s’est donc imposée progressivement, d’abord à l’échelon royal, puis, à partir de la fin du Xe siècle, au sein de la haute aristocratie avant de se diffuser à la moyenne et petite aristocratie, l’idée qu’en cas de minorité de l’héritier à la mort de son père, sa mère assume le gouvernement en son nom. L’évolution suit celle de l’association progressive de l’épouse par l’époux à l’exercice de la potestas. Le pouvoir que l’on reconnaît alors à la veuve reste cependant conditionné à l’existence d’un héritier mâle. De même que les reines sans fils quittent la cour et perdent une large part de leur influence, les femmes de l’aristocratie dans une situation identique sont privées de l’essentiel de leur pouvoir, comme le montre le cas de Liégearde après la mort du duc Guillaume Longue-Épée de Normandie ou celui d’Adélaïde la Teutonne, après le décès du comte Geoffroi Martel d’Anjou. Agnès qui a perdu la première place à la cour d’Aquitaine, après la mort de Guillaume V, ne la retrouve que parce que ses fils ont fini par récupérer l’héritage de leur père.
28En tant que mère d’un héritier mineur, certaines mères se trouvent dépositaires d’une autorité dont il convient de définir les contours.
Exercer l’autorité
29Les reines mères et les veuves aristocratiques dont le fils est encore mineur lorsqu’il succède à son père s’imposent progressivement pour exercer l’autorité au nom de leur fils : en quoi ce nouveau statut modifie-t-il le pouvoir qu’elles étaient susceptibles de partager avec leur époux, du vivant de celui-ci ?
30Sous les Mérovingiens, la situation d’une reine demeure fragile et soumise au bon vouloir du roi, toujours susceptible de la négliger, voire de s’en débarrasser, au profit d’une autre femme89. L’arrivée sur le trône d’un fils représente incontestablement un renforcement de la position de la reine, si tant est que la haute aristocratie ne l’écarte pas du pouvoir pour mieux contrôler le jeune roi. Les pouvoirs qu’une reine veuve est susceptible d’exercer peuvent être cernés à partir des cas de Brunehilde et de Frédégonde. Il ne me semble pas innocent que Grégoire de Tours évoque si peu le rôle des reines du vivant de leur mari90 : même si les épouses royales portent le titre de regina et exercent, à ce titre, un honor qui leur confère des parcelles de pouvoir91, les principaux actes de souveraineté sont réalisés par le roi. En revanche, la reine devenue veuve, alors que son fils n’est pas encore en capacité d’assumer le gouvernement, se trouve en mesure, parce que veuve, de les accomplir. Brunehilde et Frédégonde apparaissent ainsi aux côtés de leur fils, voire devant, lorsqu’il faut prendre des villes ; il arrive que ce soit elles qui donnent des ordres à l’armée92, qui s’interposent dans les rivalités aristocratiques93, désignent les évêques94, envoient des ambassades aux autres rois95 et libèrent des prisonniers96. Si la reine bénéficie d’une certaine influence du vivant du roi et qu'elle est associée à la fonction royale, elle ne participe pas à la regalis potestas, réservée au roi seul. La mort du roi lui permet de l’exercer au nom d’un fils mineur, du moins si elle en a les moyens. Frédégonde, comme Brunehilde, sont dans un premier temps, écartées du pouvoir : c’est parce qu’elles ont une forte personnalité, disposent de richesses amassées pendant leur vie conjugale et d’un réseau d’alliés, constitué du vivant de leur époux97 et consolidé après, qu’elles sont en mesure de reconquérir leur place à la cour et de renforcer leur pouvoir98.
31Les siècles suivants donnent d’autres exemples de reines qui profitent de la minorité de leur fils pour accroître leur pouvoir. La chronique de Frédégaire a conservé pour Dagobert le souvenir d’un roi à trois reines et aux nombreuses concubines99. Du vivant du roi, la reine Nanthilde n’est qu’une des femmes qui gravitent dans son entourage. À la mort de Dagobert (639), elle gouverne au nom de son fils Clovis, avec Aega100 : la situation de la reine s’en trouve affermie et ses pouvoirs renforcés. Si Nanthilde et son fils sont placés sous la tutelle du maire du palais, c’est la reine qui semble détenir l’autorité. Quand les Austrasiens revendiquent leur part du trésor royal, laissé par Dagobert, ils envoient des messagers à la reine Nanthilde et au roi Clovis : le trésor est alors divisé, sur l’ordre (jubente) de Nanthilde et Clovis, en présence (instancia) d’Aega101. S’il est difficile de connaître le rôle réel de celui-ci dans cette décision, il n’en reste pas moins que c’est Nanthilde et son fils qui ordonnent, donc qui sont maîtres de l’autorité, dont l’essentiel revient à la reine vu l’âge de son fils. Après la mort d’Aega (642), elle agit en toute souveraineté. En 643,
« La reine Nanthilde se rend à Orléans avec son fils, et convoque l’ensemble des seigneurs, évêques, ducs et aristocrates de Burgondie. Après les avoir ralliés un à un, elle institue à la dignité de maire du palais dans le royaume de Burgondie, le franc Flaochad, élu par l’ensemble des évêques et des ducs »102.
32La reine mère se comporte en maître de l’autorité royale et agit à l’instar d’un roi. À la génération suivante, Bathilde, seule reine de Clovis II, dispose d’une situation plus assurée que Nanthilde et elle semble avoir eu une forte influence du vivant du roi103. Selon la vita Bathildis, rédigée à la fin du VIIe siècle peu après la mort de la reine, Bathilde partageait le pouvoir du roi Clovis. Elle était notamment chargée de prélever une partie du trésor au profit des communautés religieuses et prenait soin des jeunes aristocrates nourris et éduqués à la cour104 : autant de fonctions qui lui permettent de créer des liens personnels, essentiels en cas de veuvage, avec les évêques, les abbés et l’aristocratie105. Même si elle seconde le roi106, elle ne lui reste pas moins soumise avec un dévouement attentif, comme le précise la vita107. À la mort de Clovis II (657), la reine se voit confier la royauté, à exercer au nom de son fils et avec le soutien de son réseau d’alliés : son pouvoir en est accru. Les chroniques s’y intéressent peu, mais le pouvoir dont elle dispose est attesté par plusieurs sources hagiographiques dont l’impact serait réduit si elles étaient déconnectées des réalités : Bathilde s’attache à contrôler les sièges épiscopaux et à réformer les principaux monastères, elle intervient dans la fiscalité et interdit la simonie108, et selon la vita Bathildis,
« ce fut grâce à Dieu et à la grande foi de dame Bathilde que les trois royaumes maintinrent entre eux paix et concorde »109.
33Or la paix comme la guerre, les désignations épiscopales comme la fiscalité sont autant de domaines réservés au souverain. Les minorités royales offrent donc aux reines mères mérovingiennes la possibilité d’exercer des pouvoirs beaucoup plus importants qu’elles n’en avaient en tant qu’épouses. Elles sortent de leur sphère traditionnelle d’action, essentiellement centrée sur le palais, pour exercer une véritable autorité publique : elles agissent et décident comme le ferait un roi. Cela ne signifie pas qu’elles disposent d’une autorité absolue : comme n’importe quel roi, elles doivent compter avec l’aristocratie, prête à profiter de toutes les occasions pour accroître sa puissance.
34À partir de l’époque carolingienne, la reine est associée plus étroitement à l’exercice du gouvernement royal, ce qui l’amène à accomplir des actes de souveraineté, notamment en l’absence du roi, comme convoquer ou présider une assemblée des grands, garder une place forte, négocier avec d’autres souverains110. Les minorités royales sont peu nombreuses, mais le cas de Gerberge, au Xe siècle, montre qu’après la mort du roi, la reine, qui n’a que de jeunes enfants, exerce un pouvoir qui peut être plus important, mais qui n’est pas véritablement nouveau. Après la mort de Louis IV en 954, Gerberge prend en main le gouvernement au nom de son fils, comme elle l’a déjà assumé pendant la captivité du roi en 945-946111. Elle s’attache, en premier lieu, à obtenir pour son fils le soutien d’Hugues le Grand, son beau-frère, et de ses frères, l’empereur Otton et l’évêque Brunon de Cologne112, comme elle a œuvré, du vivant de Louis IV, au rapprochement du roi avec les Ottoniens et le duc des Francs113. Elle suit Lothaire, à moins que cela ne soit le contraire, dans la plupart de ses déplacements114, comme elle accompagnait souvent Louis IV.
35Il est, en revanche, plus difficile de cerner la nature du pouvoir exercé, après 1060, par la reine Anne, pouvoir probablement réel mais de courte durée, son remariage rapide lui faisant quitter la cour sans lui enlever cependant toute influence. Anne, originaire du lointain royaume de Kiev et reine pendant huit ans seulement, ne dispose pas des mêmes appuis que Gerberge : elle ne peut compter ni sur un soutien familial, ni sur un réseau d’alliés qu'elle n’a pas eu le temps de constituer. Si son titre de reine la place au dessus des princes, et notamment de Baudouin de Flandre, elle ne dispose pas des moyens d’imposer sa politique. C’est peut-être la perspective de retrouver un certain pouvoir en étant associée à celui d’un époux princier qui l’a incitée à se remarier115.
36Les minorités royales offrent donc aux reines la possibilité d’exercer un pouvoir, plus important qu’elles n’en avaient du vivant du roi à l’époque mérovingienne, davantage dans la continuité de celui quelles partageaient avec leur époux à partir de l’époque carolingienne. Dans tous les cas cependant, les reines mères ne parviennent à s’imposer et à exercer l’autorité royale que si elles ont su, ou pu, préparer leur veuvage du vivant de leur époux, en se garantissant les fondements du pouvoir : richesses et alliés.
37À l’échelon aristocratique, la mort du mari peut de même, à partir du Xe siècle, accroître le pouvoir de la mère d’un jeune héritier, mais, souvent, les responsabilités qu’elle assume alors sont celles qu'elle partageait auparavant avec son mari en tant que domina.
38Le pouvoir qu’Agnès exerce en Aquitaine au nom de ses fils est particulièrement bien éclairé. Si les sources ont laissé peu de traces du rôle de la duchesse aux côtés du duc d’Aquitaine, la documentation angevine la présente agissant de concert avec son second époux, Geoffroi Martel, et les multiples relations qu’Agnès continue d’entretenir avec de puissants Aquitains montrent que son rôle n’était peut-être pas aussi effacé à la cour de Poitiers116. Une fois ses fils devenus ducs d’Aquitaine, elle exerce l’autorité ducale en leur nom, tout en conservant son statut et son rôle de comitissa en Anjou, du moins jusque vers 1050. Selon la chronique de Saint-Maixent, en 1044, c’est la comtesse qui convoque les grands en plaid à Poitiers et préside l’assemblée117. Considérant que son fils aîné est désormais adulte – elle le marie cette même année118 –, elle décide de partager le patrimoine échu à ses fils et de faire reconnaître ce partage par les grands d’Aquitaine : le Poitou à l’aîné Pierre, plus souvent appelé dans les actes Guillaume (Aigret) pour s’inscrire dans la continuité dynastique ; la Gascogne au cadet119. D’autres indices témoignent de l’important pouvoir dont elle jouit. Les puissants aristocrates poitevins qui souscrivent ses donations sont autant de personnages qui appartiennent à son réseau d’alliés : la dédicace, en 1040, de l’abbaye de la Trinité de Vendôme, fondée par Agnès et Geoffroi Martel est faite en présence de nombreux Poitevins qui apposent leur signum sur l’acte de dotation120. Elle souscrit à la suite de ses fils de nombreuses donations d’individus qui sont autant de fidèles121. Elle négocie les mariages de ses trois enfants, ce qui constitue, à cet échelon, autant de choix politiques. Elle dispose même de suffisamment d’atouts pour que l’empereur Henri III opte pour une alliance avec l’Aquitaine en épousant sa fille, aussi nommée Agnès122. Agnès joue donc un véritable rôle politique, à l’intérieur du duché, mais aussi sur la scène internationale.
39Au début du XIIe siècle, Adèle de Blois, devenue veuve, agit en maître de la principauté de Blois, comme elle l’a déjà fait seule du vivant de son mari, lorsque celui-ci lui a délégué le gouvernement avant de partir pour la croisade123. Elle assume alors toutes les charges et responsabilités que cela implique. Elle préside la cour de justice comtale : Adèle règle le différend qui oppose la communauté de Rebais à celle de Sainte-Foy de Conques124, en 1101, et, en 1104, un conflit entre Marmoutier et Girard de Conon125. Elle décide des alliances, y compris militaires : en 1101, elle envoie des contingents au roi en lutte contre Bouchard de Montmorency126. Elle entretient des relations avec les évêques, notamment Yves de Chartres, et de nombreuses communautés religieuses qui recherchent sa protection, mais constituent aussi autant de relais à son autorité127.
40À un échelon moins élevé, quoique plus difficile à saisir, le pouvoir que les veuves, mères de jeunes fils, sont susceptibles d’exercer est néanmoins certain. Les chartes montrent que les veuves de la moyenne et petite aristocratie sont intégrées aux relations féodo-vassaliques, qu’elles détiennent des fiefs, quelles disposent de vassaux, de chevaliers et d’écuyers qui leur permettent d’exercer l’autorité locale au nom de leur fils. Un acte daté de vers 1090 évoque une terre de Thomase et de son fils Guillaume, tenue en fief par Renaud de Piollant et ses frères128. Une notice de 1099, montre que Gaudin II de Malicorne laisse, à sa mort, sa femme avec un fils encore enfant, entourée de chevaliers129. Les veuves consentent les donations des vassaux, ce qui leur permet de créer ou de consolider leur réseau d’alliance. Vers 1040-1050, Emma, veuve du sénéchal Osbern, consent avec ses fils, Guillaume et Osbern, la donation qu’effectue leur vassal Ansfred à La Trinité-du-Mont de Rouen130.
41À partir du moment où la place de l’épouse se trouve redéfinie dans le couple conjugal, le veuvage permet à l’épouse d’exercer, au nom de son fils mineur, des pouvoirs qu'elle partageait avec son époux mais dont certains – comme l’exercice de la justice ou la défense d’une place forte – ne lui revenaient qu’exceptionnellement, en l’absence du mari ou si les circonstances l’exigeaient. La mort du mari peut donc aboutir au renforcement du pouvoir de sa veuve : exerce-t-elle pour autant une autorité équivalente à celle d’un homme ?
L’illusion du pouvoir ?
42Quelques veuves ont réussi à détenir une autorité comparable à celle de leurs prédécesseurs mâles. Pour ses contemporains du début du XIIe siècle, Adèle, veuve du comte de Blois, Étienne-Henri, disposait des mêmes pouvoirs que ses homologues masculins131. Pourtant, les minorités apparaissent généralement comme des périodes de difficultés pour l’autorité royale ou comtale.
43La mort d’un souverain ou d’un prince sans fils majeur réveille souvent les amertumes et les ambitions, face auxquelles leur veuve se montre impuissante. Très souvent, ces dernières craignent d’ailleurs les conséquences de la mort de leur mari, certaines à juste titre d’ailleurs. Selon Grégoire de Tours,
« quand Chilpéric fut décédé (...), les Orléanais unis aux Blésois se jettent sur les gens de Châteaudun et les écrasent à l’improviste ; ils incendient les maisons, les récoltes et tout ce qu’ils ne peuvent déplacer dans la localité ; ils ravissent les troupeaux et emportent les biens qu’ils peuvent enlever (...) »132.
44Le déchaînement des violences est directement lié à la mort du roi, assimilée à une disparition, ou du moins à un relâchement, de l’autorité. Il est d’autant plus fréquent dans les périodes où la transition du pouvoir est plus longue à se faire. En 584, Chilpéric ne laisse qu’une veuve avec un fils de quelques mois, alors qu’il est en conflit avec son neveu Childebert. Dans l’entourage royal même, certains font défection :
« Devenue veuve, Frédégonde arrive à Paris et se réfugie dans l’église [cathédrale] avec les trésors qu'elle avait enfermés à l’intérieur des murs (...). Quant aux autres trésors qui étaient demeurés dans la villa de Chelles (...), les trésoriers les emportèrent et se rendirent rapidement auprès du roi Childebert qui séjournait dans la villa de Melun »133.
45La mort de Chilpéric est le signal des changements de camp : une partie des officiers royaux préfère se rallier aux ennemis austrasiens de la veille, ce qu’ils n’auraient probablement pas fait s’il y avait eu un roi en âge de régner. Une fois retrouvée sa place à la cour, Frédégonde reste constamment sur ses gardes, probablement plus qu’un roi dans sa situation, s’attachant à utiliser toutes les opportunités pour renforcer sa position et celle de son fils : le pouvoir d’une veuve royale, gouvernant au nom de son fils, est certainement plus faible que celui d’un roi134. Au début du VIIIe siècle, la mort de Pépin II qui laisse deux petits-enfants aux mains de leur grand-mère, sa veuve Plectrude, suscite la révolte des Neustriens qui avaient été vaincus à Tertry (687), suivie de peu par celle des Frisons, soumis à la suite de campagnes répétées entre 690 et 69 5135. Contrairement à Pépin, Plectrude, qui dispose pourtant du trésor royal et du soutien d’une puissante famille136, est incapable de continuer à imposer l’autorité austrasienne.
46Au milieu du Xe siècle, à la mort de Louis IV, Gerberge, qui a pourtant partagé le pouvoir avec le roi et l’a même assumé seule pendant la captivité de celui-ci, n’est pas sans crainte quant à la succession royale – ce qui la pousse à rechercher le soutien de sa famille et d’Hugues le Grand –, alors qu’à la génération suivante, Louis V, sans grande personnalité mais majeur137, succède « naturellement » à son père138. À la fin du Xe siècle, Richer dresse, au début de son Histoire, un tableau de la situation pendant la minorité de Charles le Simple :
« Il avait encore deux ans quand il perdit son père auquel sa mère survécut à peine quatre ans. Du fait de son bas âge, les grands du royaume qui rivalisaient entre eux d’excès de cupidité en profitèrent pour accroître tant qu’ils purent leurs possessions. Personne ne s’inquiétait du profit du roi ni de la défense du royaume (...). Aussi la concorde qui régnait entre tous dégénéra en une discorde complète (...) »139.
47Richer transforme la réalité : Charles le Simple n’est pas encore né à la mort de son père et sa mère survit à son père beaucoup plus longtemps qu’il ne le prétend ; mais, surtout, Charles le Simple ne succède pas à son père. Richer qui écrit dans les années 991-998, cherche probablement à mettre en garde les princes et autres grands aristocrates contre leurs rivalités et leurs ambitions : la suite du texte précise que le comportement des grands a incité les Normands à les imiter. Il n’en révèle pas moins son opinion et probablement celle de ses contemporains : alors qu’un roi est en mesure d’imposer la concordia, un enfant secondé par sa mère est incapable d’imposer son autorité à l’aristocratie. Dans son esprit comme dans celui de la majorité des hommes de l’époque médiévale, le pouvoir exercé par une femme, au nom d’un fils mineur, est synonyme de fragilité et donc source de désordre. Plusieurs veuves de prince en ont d’ailleurs fait les frais à la fin du Xe et au XIe siècle. Foulques Nerra profite de la mort de son ennemi, le comte Eudes de Blois (996), pour s’emparer de Tours140. En 1070, la mort du comte de Flandre, Baudouin VI, provoque une guerre de succession. Il laisse deux jeunes fils, Arnoul et Baudouin, sous la responsabilité de leur mère, sa veuve, Richilde. Mais son frère Robert le Frison, soutenu par de nombreux Flamands, s’empare de la Flandre que Richilde est incapable de récupérer malgré les soutiens dont elle dispose141. Il est vrai que Baudouin VI n’a hérité de la Flandre qu’en 1067, ce qui a laissé peu de temps à la comtesse – qui a jusque-là vécu dans le Hainaut avec son époux – pour créer les liens nécessaires à la constitution d’un réseau d’alliés142. Contrairement à son époux, elle n’a cependant pas été en mesure de conserver l’unité du patrimoine créée par leur mariage.
48Même si le pouvoir d’une veuve s’avère souvent plus fragile que celui exercé par un homme de rang équivalent, il n’en demeure pas moins que le veuvage permet à une mère dont le fils est encore jeune d’exercer, du moins si elle dispose de suffisamment de richesses et d’alliés, une autorité plus grande que durant le mariage où, en temps ordinaire, le premier rôle était joué par l’époux. Que devient-elle lorsque son fils s’émancipe ? Perd-elle tout pouvoir ? Lorsque les fils ont déjà atteint la majorité quand ils succèdent à leur père, quel rôle revient à celle qui partageait jusque-là le pouvoir avec celui-ci ?
Seconder ses fils
49Il arrive que les fils, les petits-fils – ou leurs conseillers –, profitent de leur passage à l’âge adulte pour s’émanciper de la tutelle maternelle ou de celle de leur grand-mère. Brunehilde est ainsi éliminée de la cour austrasienne de son petit-fils Théodebert II, quand celui-ci atteint sa majorité vers 600143. Bathilde est écartée du pouvoir par le maire du palais Ébroin et cloîtrée à Chelles, au moment de celle de Clotaire III144. À la fin du Xe siècle, Thierry fait emprisonner sa mère Beatrix, peu après l’avoir atteinte.
50Plus souvent cependant les mères secondent leur fils, dans la continuité du rôle quelles assumaient pendant leur minorité ou de celui qu’elles jouaient auprès de leur père, chacun y trouvant son intérêt : les fils un soutien, les mères la possibilité de conserver leur place et de continuer à exercer le pouvoir. Comment fonctionne cette cohabitation ? Quelles circonstances peuvent la mettre en péril ? Quelles stratégies utilisent les mères pour la faire durer ?
Influencer et soutenir ses fils
51Lorsque la veuve a gouverné pendant un temps plus ou moins long au nom de son fils, elle continue souvent à exercer un fort ascendant sur lui et à partager le pouvoir avec lui, même si le rôle principal revient désormais à celui-ci, ne serait-ce que symboliquement. Selon Grégoire de Tours, Brunehilde conserve une forte autorité après 585, date à laquelle Childebert parvient à la majorité145 : si l’auteur montre parfois le roi Childebert agir seul146, il présente aussi des actes de souveraineté réalisés par Brunehilde, sans son fils. Lors du conflit qui oppose, en 585, Gontran à Gondovald, le roi de Burgondie qui souhaite connaître les intentions de son adversaire lui adresse une lettre, au nom de la reine Brunehilde, « où il était écrit qu’après avoir licencié l’armée et lui avoir ordonné de rentrer dans ses foyers, lui-même devait s’éloigner et passer l’hiver dans la ville de Bordeaux. Il avait écrit cela par ruse pour pouvoir connaître plus amplement ce qu’il allait faire »147. La ruse ne peut réussir que si Brunehilde est effectivement susceptible de donner de tels ordres. Selon le même auteur, Reccarède envoie une ambassade au roi Childebert pour faire la paix, mais ce sont le roi Childebert et sa mère qui promettent « de garder entièrement avec lui paix et amitié »148. Brunehilde partage l’autorité avec son fils. Les grandes décisions sont prises de concert et les actes solennels les montrent étroitement associés. Le pacte d’Andelot (587) place la reine à égalité avec les deux rois, comme le montre le préambule du pacte, inséré par Grégoire de Tours, dans son œuvre :
« Au nom du Christ, les très excellents seigneurs Gontran et Childebert rois et la très glorieuse dame Brunehilde reine se sont réunis (...) et il a été arrêté, décidé et convenu entre eux (...) »149.
52Dans cette cohabitation de la mère et du fils, Brunehilde semble même avoir été la tête pensante : lorsque Gontran soupçonne Childebert de vouloir s’emparer de son royaume,
« Il proféra beaucoup d’insultes à l’adresse de la reine Brunehilde, prétendant que ces choses se faisaient sur son conseil (...) »150.
53Lors du procès de l’évêque Egidius de Reims, accusé d’avoir participé à un complot contre Childebert, est jointe au dossier une lettre que le roi Chilpéric lui aurait envoyée et dans laquelle il explique que « tant que la racine d’une plante n’a pas été coupée, la tige qui est sortie de terre ne se dessèche pas », « d’où on pouvait conclure avec une entière évidence », poursuit Grégoire de Tours, « que ces mots avait été écrits pour qu’on se débarrassât de Brunehilde avant d’abattre son fils »151.
54D’autres reines ont ensuite su conserver le même type d’influence. Gerberge intervient régulièrement dans près du quart des diplômes de Lothaire, pris entre 955 et 968. Les annales de Flodoard multiplient les références au « couple » formé par Lothaire et sa mère, avec une évolution cependant : en 954-955, la reine Gerberge se déplace cum filio rege152 ; l’année 956 est marquée par l’expédition militaire contre Régnier au Long-Col, dirigée par Lothaire153 alors majeur. À partir de là, Lothaire passe au premier rang, mais il est fréquemment secondé par sa mère. En 957, il se rend cum matre auprès de son oncle maternel Brunon qu’il revoit en 959, à Compiègne, toujours accompagné de Gerberge, avant de se rendre ensemble à Cologne. En 960, il part cum matre regina assiéger Dijon. En 961, il gagne la Bourgogne avec sa mère et plusieurs grands de Francie. En 962, c’est avec la reine Gerberge qu’il reçoit Thibaud le Tricheur. La même année, la reine mère joint son consentement au sien pour l’élection d’Olderic sur le siège épiscopal de Reims. En 965, c’est avec elle qu’il se rend à Cologne où ils sont reçus par l’empereur Otton et la reine Mathilde154. Gerberge seconde son fils comme elle avait, auparavant, épaulé Louis IV, en les soutenant dans leurs entreprises et en leur apportant l’alliance de sa puissante famille.
55Le même type de schéma se retrouve ensuite à l’échelon princier, comme le montre le cas d’Agnès. Après avoir transmis le pouvoir à ses fils en 1044, elle ne renonce pas complètement à toute autorité. Elle reste dans l’entourage de son fils Pierre / Guillaume VII qui a été reconnu duc d’Aquitaine et continue d’être associée au gouvernement, comme le montrent plusieurs chartes issues du cartulaire de Saint-Maixent qui évoque l’Aquitaine sous l’autorité du duc Guillaume et de sa mère Agnès155. Agnès est certes mentionnée en second, mais elle n’en reste pas moins étroitement associée au pouvoir : elle joue notamment un rôle essentiel dans les relations entre le duc et les communautés religieuses ainsi que, par leur intermédiaire, avec un large réseau d’aristocrates méridionaux156.
56Lorsque les fils sont déjà adultes quand ils succèdent à leur père, ils rejettent rarement le soutien que leur mère peut leur apporter – expérience du pouvoir, réseau d’alliés, peut-être liens privilégiés avec le sacré – et qu'elle est prête à leur fournir tant par amour maternel que pour conserver le pouvoir à leurs côtés. Grégoire de Tours, qui écrit à la fin du VIe siècle, montre la reine Clotilde conserver ainsi une certaine influence auprès de ses fils dans l’entourage desquels elle apparaît entre deux séjours à Tours. Vers 520, elle est en mesure, par deux fois, d’imposer ses candidats sur le siège épiscopal de Tours : d’abord Théodore et Procule, puis Difinius qui leur succède157. Deux siècles et demi plus tard, selon Eginhard, Berthe, mère de Charlemagne, « vieillit auprès de lui environnée d’honneur ; car il était à son égard si plein de respect qu’il ne s’éleva jamais entre eux le moindre dissentiment (...) »158. C’est sur ses conseils que Charlemagne épousa la fille du roi des Lombards Didier159. Selon les Annales royales, en 770, Berthe rencontre à Seltz Carloman, pour maintenir la paix entre ses deux fils160. Berthe n’apparaît cependant que dans un diplôme de Charlemagne161. Il y a décalage entre l’influence de Berthe sur ses enfants162, soulignée par les sources narratives, et le pouvoir réel qu'elle est en mesure d’exercer : cela traduit les ambiguïtés du queenship163, qu’il s’exerce du vivant du roi ou dans le veuvage. En 841, Charles le Chauve, en conflit avec son demi-frère Lothaire, peut compter sur le soutien de sa mère Judith et lui confier la conduite des renforts aquitains jusqu’à Châlons, mission dont elle s’acquitte avec succès164. Son influence à la cour est cependant de courte durée et elle n’apparaît pas plus que Berthe dans les actes de son fils. Il faut attendre le tournant du IXe et du Xe siècle pour que les diplômes royaux révèlent la participation active de certaines reines mères au gouvernement : Adélaïde dans celui de Charles le Simple, Adélaïde dans celui de Robert le Pieux, Anne dans celui de Philippe Ier. Leur présence, leur souscription, leur consentement ou leurs initiatives s’expliquent par leur influence et leurs réseaux d’alliance tant laïques qu’ecclésiastiques.
57Les mêmes raisons expliquent qu’on trouve très souvent, au sein de l’aristocratie, des mères influentes aux côtés de leurs fils. La comtesse de Blois Liégearde jouit, après la mort de son mari Thibaud le Tricheur entre 974 et 978, d’une grande influence auprès de ses fils, l’évêque de Bourges Hugues et le comte Eudes Ier, bien qu’ils aient alors dépassé l’un et l’autre vingt-cinq ans165. Deux générations plus tard, Ermengarde agit souvent de concert avec ses fils, Thibaud III et Etienne166, comme elle le faisait auparavant avec leur père Eudes II († 1037)167.
58En Aquitaine, la duchesse Emma influence et soutient son fils Guillaume V, comme elle l’avait fait pour Guillaume IV168, du moins avant qu'elle ne quitte la cour à la suite de l’adultère de celui-ci. Elle souscrit les concessions que fait son fils en faveur des communautés religieuses169, appose son signum à la suite du sien dans les actes réalisés par des fidèles170. Adémar de Chabannes associe Emma à la politique de Guillaume V à l’égard des monastères de Maillezais et de Bourgueil171, à la fondation desquels elle avait participé du vivant de Guillaume IV172. Les chartes la montrent réaliser plusieurs concessions aux côtés de son fils ou l’inciter à en faire à leur profit173. Elle paraît donc jouer un rôle essentiel dans les relations entre la cour ducale et les communautés religieuses qui constituent autant d’appuis politiques. C’est elle qui semble négocier, vers fin 997-début 998, le mariage de son fils avec Aumode qui consolide l’autorité de celui-ci en Aquitaine et renforce la sécurité des frontières : l’union avec Aumode qui est fille d’Adélaïde – veuve d’Étienne de Gévaudan alors remariée au comte de Provence Guillaume d’Arles – et sœur de Pons, comte de Gévaudan, mais aussi cousine de Foulques Nerra, permet à Guillaume V de faire entrer dans sa vassalité son beau-frère et obtenir l’amitié de son puissant voisin angevin174.
59En Normandie, Gunnor exerce une forte influence sur son fils Richard IL Elle apparaît dans près de 30 % des actes du duc qui nous sont parvenus, alors que ceux de Richard 1er ne la mentionnaient jamais. Son rôle dépasse un simple contrôle de la gestion du patrimoine familial : elle souscrit les donations de son fils175, mais aussi celles réalisées par des fidèles176, ainsi que les transactions opérées entre les communautés religieuses177. Elle est explicitement associée au pouvoir ducal dans l’un des actes : un certain Arefast fait une donation au monastère pour son salut et celui de ses ancêtres mais aussi pour celui « du comte Richard, de sa mère Gunnor et de leurs fils respectifs, sur le conseil et avec le consentement desquels » il a agi178.
60En Anjou, Hildegarde joue un rôle similaire, pendant les années 1040-1046, auprès de son fils Geoffroi Martel : un acte issu du cartulaire du Ronceray évoque « le noble prince Geoffroi gouvernant la ville d’Angers avec sa très excellente mère et son illustre épouse Agnès »179. Hildegarde souscrit un grand nombre de ses actes dont une partie a été réalisée sur son conseil ou à sa demande180. Elle est à ses côtés lors des cérémonies publiques, comme à l’occasion de la dédicace de la nouvelle église de Saint-Florent de Saumur en 1041181. Elle seconde son fils comme elle l’avait fait auparavant pour Foulques Nerra182. L’autorité qu'elle a exercée a profondément marqué les esprits : c’est la seule comtesse angevine à voir sa mort enregistrée par les chroniqueurs, aux côtés de celle de tous les comtes183.
61En Flandre, Adèle conserve sur ses fds, Baudouin VI et Robert le Frison, l’influence qu'elle avait déjà sur leur père, Baudouin V184. En 1075, elle est associée à Robert le Frison pour demander au roi Philippe Ier de confirmer les biens du chapitre de Saint-Pierre d’Aire185. Elle semble notamment jouer un rôle important dans les affaires religieuses de la principauté. Elle est en relation avec la papauté dont elle obtient des bulles au profit des communautés flamandes186. Selon la chronique de Watten, en 1078, Robert le Frison consulte sa mère avant d’accepter Manassès de Saint-Airy de Verdun comme abbé de Bergues187.
62Dans l’ensemble des principautés de l’espace étudié, comme plus généralement dans le reste de l’Occident188 les comtesses et duchesses veuves sont présentes dans l’entourage de leurs fils qu’elles conseillent et influencent, ce qui leur permet de conserver le pouvoir après la mort de leur mari et parfois de l’accroître lorsqu’elles disposent un fort ascendant sur leurs fils. Cette influence perdure même si la veuve se remarie ou se retire dans un monastère. Agnès, on l’a vu, exerce l’essentiel du gouvernement pendant la minorité de ses fils puis intervient ensuite régulièrement à leurs côtés dans les affaires d’Aquitaine, et cela, alors qu’elle est remariée à Geoffroi Martel et assume auprès de lui son rôle de comtesse d’Anjou. La seconde épouse de Geoffroi Martel, Grécie, reste influente auprès des fils qu’elle a eus de sa première union, ce qui explique d’ailleurs que le comte d’Anjou ait opté pour cette union. On peut cependant s’interroger sur l’influence du second mari dans les relations mère/fils : la mère agit-elle dans l’intérêt de ses enfants ou devient-elle, à la suite de son remariage, l’instrument de son nouvel époux ? Il est rarement possible de cerner avec exactitude les motivations de tout acte. L’un des atouts des veuves réside dans l’influence quelles peuvent avoir sur leurs enfants, et notamment leurs fils : certains n’ont probablement pas manqué de l’exploiter. Cela ne signifie cependant pas forcément une politique menée au détriment des enfants du premier lit de la veuve. Celle-ci, souvent soucieuse de l’avenir de sa progéniture, peut agir de manière à concilier les intérêts de son mari, comme ceux de ses enfants : c’est probablement le cas d’Agnès.
63Une fois celle-ci retirée à Notre-Dame de Saintes, peut-être dès 1054 et au plus tard en 1061189, elle continue de soutenir et d’influencer son second fils Gui-Geoffroi qui a succédé à son frère en 1058. En 1061, elle se trouve à Saint-Maixent et souscrit après lui la donation réalisée par un couple de fidèles190. En 1064, un acte qui enregistre une autre donation faite au même monastère précise que celle-ci a été réalisée « en présence de l’évêque Isembert, du duc Gui et de la comtesse Agnès »191. Elle est en contact avec la papauté : elle sollicite des papes Nicolas II, puis Alexandre II, la confirmation des donations faites à la Trinité de Vendôme192, ainsi qu’à Notre-Dame de Saintes193 et à Saint-Nicolas de Poitiers194. Vers 1060-1064, les moines de la Trinité de Vendôme vont se plaindre à elle des méfaits de Foulques le Réchin195, ce qui prouve qu'elle est en mesure d’agir en leur faveur. Le cas d’Agnès n’est pas spécifique. À la génération précédente, la comtesse Hildegarde, retirée à Notre-Dame de la Charité d’Angers, avait conservé un fort ascendant sur son fils Geoffroi Martel. Le remariage ou la retraite monastique d’une veuve s’inscrit dans les stratégies familiales196 : sa nouvelle situation, loin de la couper de ses fils, lui permet de contribuer à renforcer leur pouvoir. Sa personnalité, l’ascendant qu’elle exerce sur eux et le contexte plus ou moins dramatique influent cependant sur sa capacité d’initiative.
64À un échelon social moins élevé, certaines veuves semblent disposer de la même influence, si ce n’est autorité, sur leurs fils et partager avec eux le pouvoir. Au début des années 1060, la mère de Mathieu de Montoire souscrit à la suite de son fils, premier témoin d’une concession de Geoffroi le Barbu en faveur de Notre-Dame de la Charité d’Angers197 : elle est associée à son fils dans les relations que celui-ci entretient avec le comte d’Anjou. Vers 1090, Ainor, mère de Cadelon consent et souscrit la donation d’un vassal à Saint-Cyprien de Poitiers198. Au tournant du XIe et du XIIe siècle, Richilde veuve de Girard de Clefs consent avec son fils Hugues à ce que l’un de leurs vassaux vende des biens issus du fief qu’il tient d’eux199. En 1097, après la mort de Garin, sa veuve Agnès et son fils aîné Hildebert reconnaissent qu’ils détiennent injustement une terre de Marmoutier et la lui restituent, ce que les deux autres fils d’Agnès, alors absents, approuvent un peu plus tard, en présence de leur mère. L’acte qui évoque à trois reprises les principaux acteurs mentionne toujours Agnès en tête, comme si c’était elle qui menait la transaction. Or l’acte est souscrit par plus de vingt laïcs200 qui sont autant de fidèles et d’alliés de la communauté religieuse mais aussi de la famille. Sa position de mère de châtelains et l’ascendant qu'elle semble exercer sur ses fils permettent donc à Agnès d’exercer un pouvoir local aux côtés de ses fils, voire à leur place. Au tournant du XIe et du XIIe siècle, une fois Guillaume devenu seigneur d’Alluyes, sa mère Mahilde le seconde et reste associée à son pouvoir, comme le montre une donation réalisée par Landi et ses fils au profit de Saint-Père de Chartres, pour leur âme et celle de leurs parents, mais aussi pour le salut de leur seigneur Guillaume et de sa mère Mahilde qui ont donné leur accord201.
65Les reines mères et les veuves aristocratiques soutiennent donc leurs fils, après avoir secondé leur époux, ce qui leur permet de conserver le pouvoir, voire de l’accroître si elles ont une forte personnalité et que le contexte le permet. Elles sont à leurs côtés lors des plaids, des cérémonies officielles et des conflits. Avec eux, elles tiennent des fiefs, en concèdent et consentent aux donations réalisées par leurs vassaux. Elles entretiennent des relations étroites avec les communautés religieuses locales et leurs clients, voire avec le sacré, qu’elles utilisent à leur profit. La position des mères et leur capacité d’action restent cependant étroitement liées à leurs fils, susceptibles de remettre en question leur autorité à un moment ou à un autre.
Un pouvoir souvent temporaire
66Si certaines veuves semblent exercer leur vie durant une forte influence sur leur fils, à l’image des reines Brunehilde, Berthe – mère de Charlemagne – et Gerberge, ou de la duchesse d’Aquitaine Emma, il arrive fréquemment qu’elles soient, au bout de quelque temps, écartées du pouvoir, sans forcément être exclues de tout rôle. Dans certains cas, les fils, parfois soutenus ou influencés, se rebellent contre l’autorité maternelle et aspirent à exercer le pouvoir de manière plus indépendante. Cette rupture peut intervenir au moment de la majorité, comme dans le cas de Bathilde, ou plus tardivement. Judith, après avoir joui d’une importante influence sur son fils Charles le Chauve, est écartée du pouvoir, à la suite du mariage du roi, en décembre 842202. En 986, la reine Emma, après avoir été associée au pouvoir de son fils et avoir reçu à ce titre les serments de fidélité des grands203, est écartée quelques mois plus tard. Elle explique alors à sa mère, l’impératrice Adélaïde :
« Quand je perdis mon époux, mon fils fut mon espoir. Il est devenu mon adversaire »204.
67On peut difficilement exprimer plus clairement la dépendance des veuves à l’égard de leur fils pour conserver le pouvoir. À la même époque, la duchesse Beatrix, après avoir exercé pendant plusieurs années une forte autorité en haute Lotharingie, finit par être emprisonnée, après 987, par son fils probablement lassé de la tutelle maternelle205. Dans le Vendômois des années 1030, Foulques l’Oison, après avoir cohabité avec sa mère Adèle sur l'honor divisé, s’attaque à la part de celle-ci206. L’accusation formulée à son encontre ne correspond peut-être pas à la réalité207. L’argument qui permet au demi-frère d’Adèle de récupérer la part de celle-ci n’a cependant de sens que s’il correspond à une situation possible.
68Les cas de rupture, réalisés de manière aussi brutale, voire dramatique, restent cependant exceptionnels. Plus souvent, la séparation se traduit par une présence moins fréquente de la mère dans les actes de ses fils ou par une retraite monastique. La comtesse de Blois Berthe apparaît moins souvent aux côtés de son fils Eudes II, après 1004, et, quand elle intervient, c’est après sa belle-fille Ermengarde208. Il en est de même, après 1054, pour la duchesse d’Aquitaine Agnès qui se retire peut-être dès cette date dans le monastère de Saintes. Cet effacement de la mère, rarement total, est souvent lié à la volonté d’affirmation de la belle-fille.
69Les sources montrent que la mère – du moins tant qu’elle est acceptée – a la préséance sur l’épouse de son fils, non pas seulement lorsqu’il s’agit de gestion du patrimoine familial209, mais aussi dans les actes et les gestes liés à la potestas. Le pacte d’Andelot (587) associe Brunehilde à son fils Childebert, alors que l’épouse de celui-ci ne semble jouer aucun rôle, et, lorsqu’est envisagé le cas où Childebert décèderait avant son oncle Contran, il est prévu que celui-ci prenne sous sa protection « la mère du seigneur Childebert, la dame Brunehilde reine, et la fille de celle-ci Clodosinde, sœur germaine du seigneur Childebert roi (...) ainsi que sa reine Faileuba », qui arrive donc en dernière position210. En 966, lorsque Lothaire confirme les biens donnés à Saint-Pierre de Gand et renouvelle l’immunité qu’il a accordée au monastère, l’acte précise qu’il agit à la suite de l’intervention de sa mère Gerberge et de son épouse Emma211. Tous les actes du duc de Normandie Richard II qui sont souscrits par sa mère et son épouse présentent le même ordre : sa mère Gunnor avant son épouse Judith212, puis après 1017, Papie213. Selon un acte issu du cartulaire du Ronceray, le comte Geoffroi Martel gouvernait l’Anjou avec sa mère Hildegarde et son épouse Agnès214. L’histoire de Saint-Florent de Saumur rapporte que la dédicace de la nouvelle basilique se fit en présence de Geoffroi Martel, de sa mère Hildegarde et de son épouse Agnès215. La position délicate de la belle-fille d’une veuve gardant ses droits n’est pas spécifique au haut Moyen Âge : on la trouve chez presque tous les peuples indo-européens216.
70À partir du moment où l’épouse a acquis de la maturité, voire qu'elle a conforté sa place en donnant naissance à un héritier mâle, elle aspire à jouer tout son rôle de consors, ce qui n’est pas sans créer des rivalités si sa belle-mère vit trop longtemps217. Certaines veuves comprennent très certainement quand se termine leur rôle dans la transition du pouvoir entre leur époux et leur fils et s’écartent volontairement du nouveau couple, sans abandonner cependant tout lien avec lui. Elles se retirent alors sur l’un de leurs domaines ou optent pour une retraite monastique qui leur permet de vivre une piété plus intense, voire de jouir d’une relative liberté en bénéficiant d’une protection, tout en travaillant à renforcer le pouvoir familial par les liens qu’elles créent ou renforcent avec la communauté religieuse et son réseau de clients. La retraite monastique relativement tardive de certaines comtesses, à l’image de celle de la duchesse d’Aquitaine Agnès ou de la comtesse de Blois Adèle, peut ainsi s’expliquer, dans ce contexte, par le désir de concilier désirs personnels et intérêts familiaux.
71D’autres veuves, moins enclines à céder leur place, prennent des dispositions pour éviter leur exclusion ou du moins en retarder le moment. L’une des solutions consiste à différer le mariage de leur fils et à choisir une femme moins puissante218. Selon Frédégaire, qui s’inspire de la Vita Colombani rédigée au milieu du VIIe siècle219, Brunehilde incitait son petit-fils à prendre des maîtresses plutôt qu’une épouse légitime, car
« elle craignait que la substitution à la cour d’une reine à des concubines ne la prive d’une part de ses dignités et de sa fonction »220.
72La reine est parfaitement consciente de la précarité de sa situation. On comprend qu'elle ait pu dissuader son fils Childebert d’épouser Théodelinde221, issue de la puissante famille des Agilolfides222, au profit de Faileuba, probablement de basse naissance223, puis qu'elle ait monté son petit-fils Thierry contre la princesse wisigothique Ermenberge à laquelle il s’était uni : le mariage ne fut pas consommé et la reine fut renvoyée en Espagne au bout d’un an224. Brunehilde entend continuer à contrôler l'aula regis225.
73La plupart des mères qui cherchent à renforcer la position familiale en multipliant les alliances n’ont cependant intérêt ni à refuser le mariage de leur fils ni à leur faire contracter une union hypogamique. Cela n’empêche pas celles qui sont douées d’un fort ascendant d’imposer leur autorité à leur belle-fille comme à leur fils, ce qui explique qu’elles puissent partager le pouvoir avec celui-ci pendant de nombreuses années : cela ne concerne qu’une minorité de personnalités exceptionnelles.
Conclusion
74La mort du mari permet parfois à sa veuve d’exercer un pouvoir bien plus important que lorsqu’elle était jeune fille et soumise à son père, puis épouse et dépendante de son mari. Elle ne peut cependant assumer une autorité publique qu’au nom d’un fils – voire d’un petit-fils : le pouvoir de la veuve – en dehors de l’autorité familiale et domestique – est un pouvoir de mère – voire de grand-mère. L’évolution du pouvoir dont peut jouir une veuve suit donc celle de la transmission de l'honor : à partir du moment où la succession s’opère en ligne directe et patrilinéaire, la veuve s’impose comme partenaire de gouvernement. En cas de minorité, on reconnaît, progressivement à partir de VIIe siècle, à la reine un rôle à jouer aux côtés de son fils. Le modèle se diffuse à l’aristocratie à partir du Xe siècle : comtesses puis châtelaines exercent l’autorité au nom de leurs fils mineurs. Si les reines mères et les veuves aristocratiques ont souvent assumé ces fonctions du vivant de leur mari, elles ne le faisaient cependant qu’exceptionnellement : sans en modifier profondément la nature, le veuvage accroît le pouvoir des femmes, ou du moins peut l’accroître. L’existence d’un fils est une condition nécessaire, mais non suffisante. La personnalité de la veuve, celle de son fils, le contexte familial et politique, les ressources matérielles et humaines sur lesquelles chacun peut compter, sont autant de critères qui jouent en faveur ou en défaveur de la veuve.
75La veuve peut aussi exercer une forte influence sur des fils majeurs : elle les conseille et les soutient, comme elle a souvent secondé leur père, assurant ainsi la transition du pouvoir. Elle est peut-être associée de manière plus institutionnalisée à partir du Xe siècle. Le pouvoir qu’une veuve est susceptible d’exercer s’avère cependant généralement plus fragile que celui exercé par un homme dans une situation similaire et temporaire226 : contrairement au veuf qui assume le pouvoir jusqu’à sa mort, la place et le rôle de la mère se trouvent souvent redéfinis, voire remis en cause, par ses fils, au moment de leur majorité ou de leur mariage.
Notes de bas de page
1 J. Nelson, « Women and the word... », art. cit., p. 207-208.
2 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 356-365.
3 Pour une approche générale, voir L.O. Fradenburg, « Rethinking queenship », Ead. éd., Women and sovereignty, Edinburgh, 1992, p. 1-13 ; J.C. Parsons, « Introduction : Family, sex, and power : the rhythms of medieval queenship », Id., Medieval Queenship, New York, 1993, p. 1-11 ; A.J. Duggan, « Introduction », Ead éd., Queens and Queenship in medieval Europe, Woodbridge, 1997, p. XV-XXI. Sur le tournant carolingien, voir P. Delogu, « « Consors regni » : un problema carolingio », Bolletino dell istituto storico italiano per il medio evo e archivio muratoriano, 76 (1964), notamment p. 85-98 ; J. Nelson, « Early medieval rites of queen-making and the shaping of medieval queenship », A.J. Duggan éd., Queens and Queenship..., op. cit., p. 301-315 ; Ead., « Les reines carolingiennes », S. Lebecq & alii éd., Femmes et pouvoirs des femmes..., op. cit., p. 121-132.
4 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 360-362 ; A.J. Duggan, « Introduction », art. cit., p. XVIII.
5 C. La Rocca, « La reine et ses liens... », art. cit., p. 270.
6 Grégoire de Tours, l. V, c. 39, p. 352,
7 Gerbert d’Aurillac, Correspondance, op. cit., no 74, p. 180-183.
8 J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 38 ; P. Stafford, « Sons and mothers... », art. cit., p. 90-9 ; D. Harrison, The age of abbesses and queens..., op. cit., p. 352.
9 F.L. Ganshof, « Le statut de la femme... », art. cit., p. 54 ; P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 153 ; K. F. Werner, Les origines, Paris, 1984, p. 360-361 ; R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 243. Sur les partages et le précédent de 511, voir E. Ewig, « Die fränkischen Teilungen und Teilreich (511-613) », Id., Spätantikes und fränkisches Gallien, éd. H. Atsma, t. I, Munich, 1976, p. 114-171.
10 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 243-248.
11 Voir chapitre 2.
12 Ibid.
13 Selon Grégoire de Tours, à la mort de Clodomir, en 524, son frère Clotaire épouse sa veuve Gontheuc et la reine Clotilde, sa mère, recueille ses enfants, l. III, c. 6, p. 152. Il ne précise cependant pas que ce sont aussi les enfants de Gontheuc et je ne pense pas qu’ils le soient : Clotaire qui souhaite s’emparer du royaume de son frère aurait, sinon, utilisé l’influence de la mère sur ses enfants et n’aurait pas eu besoin de les éliminer (ibid., l. III, c. 18, p. 170-174).
14 A. Poulet, « Capetian women and the regency : the genesis of a vocation », J.C. Parsons éd., Medieval queenship, op. cit., p. 106.
15 Grégoire de Tours, l. V, c. l, p. 278.
16 J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 40-41 ; I. Wood, The merovingian kingdoms..., op. cit., p. 128-129.
17 Grégoire de Tours, l. VI, c. 4, p. 8.
18 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 146 et p. 155 ; I. Wood, The merovingian kingdoms..., op. cit., p. 129.
19 Frédégaire, Chronique, op. cit., l. IV, c. 18-19, p. 78-81, c. 24, p. 86-89 et c. 36, p. 102 ; Voir J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 43-44 ; P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 147 ; I. Wood, The merovingian kingdoms..., op. cit., p. 130-131.
20 Frédégaire, l. IV, c. 39-42, p. 116-123. Voir J. L. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 45 ; I. Wood, The merovingian kingdoms..., op. cit., p. 125 et p. 134 ; D. Harrison, The age of abbesses and queens, op. cit., p. 222-227.
21 Frédégaire, Chronique, op. cit., l. IV, c. 76, p. 174.
22 Ibid., l. IV, c.79, p. 180.
23 Ibid, l. IV, c.79-80, p. 182.
24 J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 47.
25 LHF, c. 44, p. 317 ; Continuations de la chronique de Frédégaire, éd. J.M. Wallace-Hadrill, op. cit., c. l, p. 202.
26 J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 48-51 ; R.A. Gerberding, The rise of the Carolingians..., op. cit., p. 68-69.
27 Voir chapitre 3.
28 Continuations de la chronique de Frédégaire, op. cit., c. 8, p. 212 ; LHF, c. 51, p. 325.
29 Drogon est mort en 707 et Grimoald en 714, R.A. Gerberding, The rise of the Carolingians..., op. cit., p. 115.
30 LHF, c. 50, p. 325.
31 Ibid, c. 51, p. 325.
32 R. A. Gerberding, The rise of the Carolingians..., op. cit., p. 114-116.
33 Sur les différentes thèses proposées, voir E. Santinelli, « Continuité ou rupture ?... », art. cit., p. 16-17.
34 N. Gautier, L'évangélisation des pays de la Moselle (IIIe-VIIIe siècles), Paris, 1980, p. 265.
35 J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 48-49 ; J.L. Laporte, « La reine Bathilde... », art. cit., p. 156.
36 LHF, c. 45, p. 317.
37 Diplômes mérovingiens, no 25, p. 25-26 ; no 26, p. 26 ; no 28, p. 27-28 ; no 29, p. 28-29. Voir chapitre 7.
38 I. Wood, The merovingian kingdoms..., op. cit., n. 35, p. 125 ; D. Harrison, The age of abbesses and queens..., op. cit., p. 314.
39 P. Riché, Les Carolingiens..., op. cit., p. 207-209 ; A. Eckel, Charles le Simple, Paris, 1899, p. 3-11.
40 A. Eckel, Charles le Simple, op. cit., p. 12 ; P. Riché, Les Carolingiens..., op. cit., p. 229 ; Y. Sassier, Hugues Capet, op. cit., p. 60.
41 Charles III le Simple, no 4 (894), p. 5-7 ; no 7 (896), p. 10-12 ; no 10 (898), p. 16-17 ; no 11 (898), p. 18-19 ; no 14 (898), p. 25-26 ; no 15 (898), p. 27-28 ; no 22 (899), p. 43-45 ; no 23, p. 46-48 ; no 27 (899), p. 57-59 ; no 32 (900), p. 67-68 ; no 35 (900), p. 75-76 ; no 39 (901), p. 83 ; no 41 (901), p. 88-90.
42 Charles le Simple reste prisonnier d’Herbert de Vermandois jusqu’à sa mort en 829, A. Eckel, Charles le Simple, op. cit., p. 116-134 ; Y. Sassier, Hugues Capet, op. cit., p. 80-90.
43 Y. Sassier, Hugues Capet, op. cit., p. 135.
44 K.F. Werner, Les origines, op. cit., p. 516-517 ; Y. Sassier, Hugues Capet, op. cit., p. 89-90.
45 Flodoard, a. 954, p. 139.
46 Ibid., a. 941, p. 82.
47 Ibid., a. 954, p. 138-139 ; Richet, l. III, c. 1-2, t. II, p. 8-9.
48 Flodoard, a. 955, p. 140.
49 Raoul Glaber, l. III, c. 32, p. 202-203.
50 A. Fliche, Le règne de Philippe Ier.... op. cit., p. 9 ; A. Poulet « Capetian woman... », art. cit., p. 106-107.
51 Philippe Ier, no 2 (1060), p. 7 ; no 3 (1060), p. 12 ; 4 (1060), p. 14 ; no 5 (1060), p. 17 ; no 10 (1061), p. 31 ; no 11 (1061), p. 34 ; no 12 (1061), p. 35 ; no 16 (1063), p. 48 ; no 18 (1065), p. 53 ; no 19 (1065), p. 56.
52 Ibid., no 6, p. 20.
53 Ibid., no 13, p. 40.
54 J. Le Goff, Saint-Louis, Paris, 1996, p. 84-85. Voir aussi A. Poulet, « Capetian woman... », art. cit., p. 110-111.
55 A.J. Duggan, « Introduction », art. cit., p. XX.
56 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 252.
57 A.M. Helvétius, « Virgo et virago... », art. cit., p. 190.
58 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 375.
59 Ibid., p. 375-376.
60 Gerbert d’Aurillac, Correspondance, op. cit., no 32 (984), p. 74 ; no 55 (985), p. 138 ; no 61 (985), p. 154 ; no 63 (985), p. 158 ; no 101 (987), p. 244.
61 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 377.
62 Voir chapitre 6.
63 Voir chapitres 3, 5 et 6.
64 Lex, no 7 (996-1001), p. 131.
65 Voir chapitre 8.
66 Lex, no 7 (996-1001), p. 131.
67 Hugues Capet, no 13, p. 563.
68 E. Santinelli, « La veuve du prince... », art. cit., p. 82.
69 Saint-Maixent, no 101 (1040-1044), p. 126 ; no 102 (1040-1044), p. 126-128 ; no 105 (1040-1044), p. 130-131 ; no 107 (1044), p. 132-133 ; no 108 (vers 1045), p. 134-136.
70 Ibid., no 95 (1041), p. 115-118.
71 Ibid., no 99 (1040-1044), p. 123-125.
72 Ibid, no 103 (1040-1044), p. 128-129.
73 Chronique de Saint-Maixent, p. 122.
74 Sur le rôle d’Agnès, voir A. Richard, Les comtes de Poitou..., op. cit., p. 238-239 ; I. Soulard-Berger, « Agnès de Bourgogne.... », art. cit., p. 48.
75 K.A. Loprete, « Adela of Blois... », art. cit., p. 8, p. 20-23 et p. 25.
76 Saint-Père de Chartres, l. 7, no 68 (avant 1070), p. 194. Voir aussi no 87 (1069), p. 211 et infra.
77 A. Livingstone, « Aristocratic women in the Chartrain », art. cit., p. 66.
78 Le second mari de Mahilde, Geoffroi de Mayenne, récupère l’autorité sur l'honor d’Alluyes qu’il exerce conjointement avec sa femme et le fils de celle-ci : Saint-Père de Chartres, l. 7, no 66 (avant 1070), p. 193 ;, l. 7, no 84 (avant 1080), p. 208.
79 Saint-Père de Chartres, l. 7, no 89 (avant 1080), p. 213.
80 Ibid., l. VII, no 36 (1059), p. 163 ; l. VII, no 87 (1069), p. 211. Sur Mahilde d’Alluyes, voir A. Livingstone, « Aristocratic women in the Chartrain », p. 65 et infra.
81 Saint-Père de Chartres, l. III, no 43, p. 499-500.
82 Ibid., l. II, no 24, p. 417-421 : la notice datée de vers 1109 rappellant une donation souscrite notamment a domna Philippa de Curva Villa et filio ejus Ivone.
83 A. Livingstone, « Aristocratie women in the Chartrain », art. cit., p. 71.
84 Fauroux, no 119 (1040 env.-1050), p. 283.
85 E.M.C. Van Houts éd. et trad., The Gesta Normanorum ducum, op. cit., l. VII, c. 2, p. 94 (interpolation apportée vers 1110 par Ordéric Vital).
86 Saint-Cyprien, no 514, p. 311-312.
87 TV, no 58, p. 113-114 ; no 59, p. 115.
88 Saint-Cyprien, no 141, p. 96. Sur la filiation de Guillaume, voir chapitre 6.
89 J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 35 ; I. Wood, The merovingian kingdoms..., op. cit., p. 121-123 ; D. Harrison, The age of abbesses and queens..op. cit., p. 350.
90 Brunehilde n’est mentionnée qu’une seule fois du vivant de Sigebert, en dehors de son arrivée pour l’épouser : quand elle rejoint Sigebert à Paris en 575 (l. V, c. 1, p. 278). Un passage – évoqué supra – laisse cependant supposer l’influence de Brunehilde sur son époux. Quant à Frédégonde, elle est mentionnée plus fréquemment, mais essentiellement à propos de rivalités domestiques.
91 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 360-361. Voir aussi J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 36.
92 Frédégaire, l. IV, c. 17, p. 12.
93 Grégoire de Tours, l. VI, c. 4, p. 6-8.
94 Ibid., l. VIII, c. 41, p. 218.
95 Ibid., l. VIII, c. 44, p. 222.
96 Ibid., l. X, c. 11, p. 346-348.
97 I. Wood, The merovingians kingdoms..., op. cit., p. 125. Voir aussi P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 155 et p. 161.
98 D. Harrison, The age of the abbesses and queens..., op. cit., p. 115, p. 118-121 et p. 127 (pour Frédégonde) ; p. 132-135 et p. 143-148 (pour Brunehilde).
99 Frédégaire, l. IV, c. 60, p. 150.
100 Ibid, c. 79-80, p. 182.
101 Ibid., c. 85, p. 188.
102 Ibid., c. 89, p. 194.
103 J.L. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 47-48.
104 Vita S. Bathildis, op. cit., c. 4, p. 483-487.
105 J.L. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 48 et p. 61 ; P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 161.
106 J.L. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 47.
107 Vita S. Bathildis, op. cit., c. 4, p. 485.
108 R.A. Gerberding, The rise of the Carolingians..., op. cit., p. 68 ; J.L. Laporte, « La reine Bathilde... », art. cit., p. 152-155 ; E. Santinelli, « Les reines mérovingiennes ont-elles une politique territoriale ? », à paraître.
109 Vita S. Bathildis, op. cit., c. 5, p.488.
110 P. Delogu, « Consors regni... », art. cit., p. 47-98 ; J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 34-35 ; S. Wemple, Women in frankish society..., op. cit., p. 97-123 ; P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 127-133 ; A. Sprengler-Ruppenthal, « Zur Theologie der consors-regni... », art. cit., p. 85-107 ; F.M. Erkens, « Sicut Esther regina... », art. cit., p. 15-38 ; R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 361-362 ; J. Nelson, « Les reines carolingiennes », art. cit., p. 121-132.
111 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 362-363 ; Ead., « Entre Carolingiens et Ottoniens... », notamment p. 35.
112 Flodoard, a. 954, p. 138 ; Richer, l. III, c. 1-2, t. II, p. 8-9. Voir supra.
113 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 362-363 ; Ead., « Entre Carolingiens et Ottoniens... », notamment p. 34-35.
114 J. Verdon, « Les veuves des rois de France... », art. cit., p. 191.
115 Voir chapitre 3.
116 A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 228 et p. 237 ; A. Soulard-Berger, « Agnès de Bourgogne... », art cit., p. 46-47. Voir aussi P.D. Johnson, « Agnes of Burgondy... », art. cit., p. 94.
117 Chronique de Saint-Maixent... op. cit., p. 122 : texte cité supra.
118 A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 245.
119 Chronique de Saint-Maixent... op. cit., p. 123.
120 TV, no 35, p. 55-60.
121 Notamment, Saint-Maixent no 95 (1041), p. 115-118 ; no 97 (1040-1044), p. 120-121 ; no 102 (1040-1044), p. 126-128 ; no 105 (1040-1045), p. 130-131 ; no 107 (1044), p. 132-133 ; no 110 (vers 1046), p. 138-139 ; no 113 (1051), p. 141-142 ; no 118 (1061), p. 148-150.
122 Sur ces trois mariages, voir chapitre 5. Sur celui d’Agnès avec Henri III, voir aussi J. Dhondt, « Henri Ier, l’Empire et l’Anjou (1043-1056) », Revue Belge de Philologie et d'Histoire, 25 (1946-1947), p. 87-109, qui sous-estime cependant, me semble-t-il, l’influence d’Agnès.
123 K. A. Loprete, « Adela of Blois », art. cit., p. 20. Adèle partage plus généralement le gouvernement de son mari, ibid., p. 16-20.
124 G. Desjardins éd., Cartulaire de l’abbaye de Conques en Rouergue, Paris, 1879, no 470, p. 340-342, cité par N. Gaillard, Adèle de Blois († 1137) : un exemple de virago, mémoire de maîtrise rédigé sous la direction de M. Aurell, Poitiers, 1996, p. 54.
125 Cartulaire blésois de Marmoutier, no 118, p. 114-116.
126 Ordéric Vital, Histoire ecclésiastique, l. 11, c. 35, éd. et trad. angl. M. Chibnall, t. 6, Oxford, 1978, p. 156-157.
127 K. A. Loprete, « Adela of Blois », art. cit., p. 27.
128 Saint-Cyprien, no 141, p. 96 : in casamento a Tomasa et Willelmo.
129 Saint-Aubin, no 318, p. 361-362.
130 Fauroux, no 119, p. 283. Voir supra.
131 K. A. Loprete, « Adela of Blois », art. cit., p. 27-29.
132 Grégoire de Tours, l. VII, c. 2, p. 94-96.
133 Ibid., l. VII, c. 4, p. 96.
134 D. Harrison, The age of the abbesses and the queens, op. cit., p. 130.
135 LHF, c. 51, p. 325.
136 R.A. Gerberding, The rise of the Carolingians..., op. cit., p. 116 et p. 127-129.
137 F. Lot, Les derniers Carolingiens..., op. cit., p. 186.
138 Richer, l. IV, c. 1, p. 144. La mère de Louis V, Emma, n’a pas besoin d’entreprendre toutes les démarches qu’avait faites Gerberge pour que son fils succède à son père.
139 Ibid., l. I, c. 4, p. 10-12.
140 Voir chapitre 3.
141 A. Fliche, Le règne de Philippe Ier..., op. cit., p. 252-266 ; C. Verlinden, Robert le Frison..., op. cit., p. 51-72.
142 K.S. Nicholas, « Countesses as rulers in Flanders », T. Evergates éd., Aristocratic women..., op. cit., p. 115-116.
143 J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 44.
144 Voir supra.
145 Grégoire de Tours, l. VII, c. 33, p. 134-136.
146 Ibid., l. VIII, c. 13, p. 174 ; l. VIII, c. 18, p. 184 ; l. VIII, c. 45, p. 224 ; l. IX, c. 16, p. 252-254 ; l. IX, c. 29, p. 278-280.
147 Ibid., l. VII, c. 34, p. 136.
148 Ibid., l. IX, c. 16, p. 252-254.
149 Ibid, l. IX, c. 20, p. 260.
150 Ibid, l. IX, c. 32, p. 284.
151 Ibid, l. X, c. 19, p. 376.
152 Flodoard, a. 954, p. 139 ; a. 955, p. 140.
153 Ibid., a. 956, p. 143.
154 Ibid., a. 957, p. 144 ; a. 959, p. 146 ; a. 960, p. 148 ; a. 961, p. 150 ; a. 962, p. 153-154 ; a. 965, p. 157.
155 Saint-Maixent, no 108 (1045), p. 136 ; no 112 (1045-1050), p. 140 ; no 113 (1051), p. 141.
156 Voir chapitres 7 et 8, ainsi que RD. Johnson, « Agnes of Burgondy... », art. cit., p. 99-100.
157 Grégoire de Tours, l. X, c. 31, p. 408.
158 Eginhard, Vie de Charlemagne, op. cit., c. 18, p. 56-58.
159 Ibid., c. 18, p. 54.
160 Annales Regnum Francorum, op. cit., a. 770, p. 149.
161 MGH Diplom., no 252, p. 359.
162 J. Nelson, « La famille de Charlemagne », art. cit., p. 205.
163 Ead, « Les reines carolingiennes », art. cit., p. 132.
164 Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, op. cit., l. II, c. 6, p. 55 ; l. II, c. 9, p. 65-67. Voir aussi J. Nelson, « Les reines carolingiennes », art. cit., p. 128.
165 R. Le Jan, Famille et Pouvoir..., op. cit., p. 376.
166 Cartulaire blésois de Marmoutier, no 35 (1060), p. 44-46 ; no 33 (1064), p. 41 ; no 36 (1060), p. 47 ; Ronceray, no 170 (1037), p. 113-114. ; Livre noir de Saint-Florent de Saumur, no 52 (1037-1057), p. 252-253 ; Philippe Ier, no 6 (1060), p. 19 et no 7 (1060), p. 23.
167 Cartulaire blésois de Marmoutier, no 35 (1060), p. 45 (évoque une donation d’Eudes II avec le consentement de ses fils Thibaud et Étienne ainsi que de son épouse Ermengarde) ; no 55 (1083 ?), p. 66 ; Lex, no 20 (1023-1037), p. 153-154 ; no 21 (1034), p. 154 ; no 22 (1034), p. 155 ; no 24 (1034), p. 159-160 ; no 25 (1034-1037), p. 160-162 ; Saint-Père de Chartres, l. V, no 5 (avant 1024), p. 96 ; Philippe Ier, no 74 (1075), p. 187 ; no 75 (1075), p. 189-190.
168 Saint-Cyprien, no 522 (968 ou 969), p. 316 ; no 401 (969), p. 254 ; no 179 (vers 982 ?), p. 115 ; no 194 (987-990), p. 128 ; no 52 (vers 993 ?), p. 51 ; no 521 (995), p. 315 ; Besly, p. 267-268, p. 280-281, p. 290-291 ; voir aussi A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 112, p. 124-127 (influence à l’égard de Maillezais) ; p. 129-131 (envers Bourgueil), ibid., p. 127-129 (à l’égard des autres établissements religieux).
169 Saint-Cyprien, no 17 (vers 997 ?), p. 22 ; no 513 (1003), p. 310.
170 Ibid., no 561 (996-1000), p. 330.
171 Adémar de Chabannes, Chronique, op. cit., l. III, c. 41, p. 164-165.
172 A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 112 ; M. Dupont, Monographie..., op. cit., p. 11-18.
173 Le cartulaire de l’abbaye de Bourgueil n’est pas édité, mais on trouve l’analyse de ces donations dans M. Dupont, Monographie..., op. cit., p. 20-21. Quelques actes ont été reproduits par Besly, p. 353-355, p. 355-356, p. 356-357. Pour Maillezais, on dispose d’une histoire de l’abbaye rédigée, vers 1060, par Pierre qui y était moine : G. Pon, Y. Chauvin éd. et trad., La fondation..., op. cit.
174 A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 146-148.
175 Fauroux, no 15 (1014), p. 96 ; no 18 (1015), p. 102 ; no 20 (1010-1017 ou 1016-1017), p. 104 ; no 29 (1015-1025 environ), p. 117 ; no 32 (1021-1025), p. 122 ; no 47 (1017-1026), p. 156. Voir chapitre 9.
176 Ibid, no 16 (vers 1015), p. 16 ; no 19 (1006-1017), p. 103 ; no 21 (1015-1017), p. 106 ; no 43 (1015-1026), p. 149.
177 Ibid, no 14 bis (1012), p. 92.
178 Saint-Père de Chartres, l. VI, no 3, p. 108.
179 Ronceray, no 237 (vers 1045), p. 151.
180 Ibid., no 5, p. 7-8 ; no 129 (1040-1060), p. 92-94 ; Brevium fundationis..., op. cit., p. 9-11, De rerum scitu..., op. cit., p. 9-10 et p. 44-46.
181 Chronique des églises d'Anjou, op. cit., Histoire de Saint-Florent de Saumur, p. 292.
182 Ronceray, no 1 (1028), p. 1-5 ; no 2 (vers 1028), p. 5 ; no 4 (vers 1028), p. 6-7 ; no 15 (1028), p. 16-17 ; no 18 (vers 1028), p. 19 ; no 19 (vers 1030), p. 19-20 ; no 47 (vers 1080), p. 40-41 (évoque une donation du couple) ; no 63 (1028), p. 55 ; no 63 (1028), p. 55-56 ; no 126 (vers 1028), p. 91 ; no 125 (vers 1028), p. 90-91 ; no 171 (1037), p. 114 ; no 229 (vers 1028), p. 148-149 ; no281 (vers 1028), p. 178-179 ; L. Lepelletier, Brevium fundationis..., op. cit., p. 7 ; Id., De rerum scitu..., op. cit., p. 7-8.
183 Recueil des Annales angevines..., op. cit., Annales de Saint-Aubin, p. 4 ; Annales de Vendôme, p. 62 ; Annales de Saint-Florent, p. 118. Chroniques des églises d'Anjou..., op. cit., Chronique de Saint-Aubin, p. 24 ; Chronique de saint-Florent de Saumur, p. 188. Chronique de Saint-Maixent, op. cit., p. 122.
184 Selon un diplôme de Philippe Ier, le comte Baudouin cultivait la paix et la justice à l’instigation de son épouse Adèle, et il avait fondé un collège de chanoines à Harlebeke sur le conseil et à la prière de sa vénérable et religieuse épouse Adèle, Philippe Ier, no 15 (1063), p. 46, texte aussi reproduit dans Gysseling, no 154, p. 262. Pour d’autres entreprises réalisées conjointement par le couple, Gysseling, no 157 (1064), p. 269 ; no 160 (1065), p. 276 ; no 161 (1065), p. 277 ; no 162 (1066), p. 279 ; no 163 (1080), p. 280-281 ; Philippe Ier, no 22 (1065), p. 60 ; no 24 (1066), p. 67-69 ; no 25 (1066), p. 72 ; no 116 (1081-1085), p. 294-296.
185 Philippe Ier, no 87 (1075), p. 184.
186 Gysseling, no 155 (1070), p. 263-264 (au profit d’Harlebeke) ; no 158 (1070), p. 270-271 (au profit d’Eenane) et η. 156, p. 267 et n. 158, p. 271. Voir aussi N. Huyghebaert, « Les femmes laïques... », art. cit., p. 379.
187 Chronica monasterii Watinense, c. 24, MGH SS 14, p. 173.
188 S. Wemple, « Le pouvoir des femmes... », art. cit., p. 351. En Catalogne, voir M. Aurell, Les noces du comte..., op. cit., notamment p. 151-161 et p. 223-234.
189 A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 261 et 281.
190 Saint-Maixent, nol 18, p. 148-150.
191 Ibid., no 119, p. 150-152.
192 TV, no 146 (1061), p. 255-258 ; no 164 (1063), p. 284-290 ; voir C. Métais, « De l’authenticité des chartes de fondation et bulles de l’abbaye de la Trinité de Vendôme », Le Moyen Age, 2e série, t. VIII (1904), p. 1-44, p. 40-44.
193 Saintes, no 4 (1061), p. 8-10.
194 Saint-Nicolas, no 4 (1061-1068), p. 10-12.
195 TV, no 173, p. 300-302.
196 Voir chapitre 3.
197 Ronceray, no 7, p. 9-10.
198 Saint-Cyprien, no 565, p. 331.
199 Saint-Aubin, no 366 (1082-1106), p. 424-426.
200 Cartulaire blésois de Marmoutier, no 71, p. 82-83.
201 Saint-Père de Chartres, l. VIII, no 17 (avant 1102), p. 242.
202 J. Nelson, « Les reines carolingiennes », art. cit., p. 130.
203 Gerbert d’Aurillac, Correspondance, op. cit., no 74, p. 180-183.
204 Ibid., no 97 (fin 986-début 987), p. 232.
205 K. F. Werner, « Les femmes, le pouvoir... », art. cit., p. 369 ; R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 376.
206 TV, no 6, p. 17. Voir O. Guillot, Le comte d'Anjou..., op. cit., p. 48-51 ; D. Barthélémy, La société dans le comté de Vendôme..., op. cit., p. 296-297.
207 D. Barthélémy, La société dans le comté de Vendôme..., op. cit., p. 551 : elle permet à Geoffroi Martel de justifier la commise qu’il accomplit.
208 E. Santinelli, « La veuve du prince... », art. cit., p. 82-83.
209 Voir chapitre 8.
210 Grégoire de Tours, l. IX, c. 20, p. 260-262.
211 Lothaire, no 25, p. 61, expression que l’on retrouve dans un acte pris en faveur de Saint-Bavon de Gand, no 26 (966), p. 62-66.
212 Fauroux, no 14 bis (1012), p. 92 ; no 15 (1014), p. 96 ; no 18 (1015), p. 102 ; η o 19 (1006-1017), p. 103 ; no 20 (10-1017 ou 1016-1017), p. 104 ; no 21 (1015-1017), p. 106.
213 Ibid., no 47 (1017-1026), p. 156.
214 Ronceray, no 237 (vers 1045), p. 151.
215 Chroniques des églises d’Anjou, op. cit., Histoire de Saint-Florent de Saumur, p. 292.
216 K.F. Werner, « Les femmes, le pouvoir... », art. cit., p. 370.
217 P. Bourdieu, « Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction », Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, 27 (1972), p. 1118-1119.
218 Ibid., p. 1119.
219 J.L. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 44. Il s’agit notamment du chapitre 18 de la vita, MGH SSRM, 4, p. 86.
220 Frédégaire, l. IV, c. 36, p. 102.
221 Ibid., c. 34, p. 98.
222 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 39.
223 J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 43.
224 Frédégaire, l. IV, c. 30, p. 94.
225 J. Nelson, « Queens as Jezebels... », art. cit., p. 43-44 et p. 57-58.
226 Le colloque sur les Femmes et pouvoirs des femmes à Byzance et en Occident (VIe-XIe siècles) a abouti de manière plus générale à la même conclusion, S. Lebecq, « Sur les femmes et leurs éventuels pouvoirs au premier Moyen Âge. Conclusion du colloque », Id. & alii, Femmes et pouvoirs..., op. cit., p. 255.
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