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Des femmes éplorées ?

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Emmanuelle Santinelli

Première partie. La mort du mari et ses conséquences

Chapitre III. La perte du statut d’épouse

Texte intégral

1Après la mort du mari, outre la question – immédiate – de la protection de la veuve, se pose celle, à court ou moyen terme, de la réintégration de la femme dans la vie sociale avec un nouveau statut.

  • 1 L.V. Thomas, « Leçon... », art. cit., p. 36.

2Dans toute société, le deuil ne se limite pas aux rites qui entourent la mort : il se poursuit pendant un temps plus ou moins long. Sa fin fait parfois, comme en Afrique Noire, l’objet d’un rituel spécifique, la levée de deuil, qui symbolise la rupture entre le défunt et le conjoint survivant qui peut retrouver une vie normale1. Si ce type de rituel n’est pas attesté pour le haut Moyen Âge, la veuve se trouve néanmoins placée, pendant un laps de temps, dans un état de mort symbolique, avant de renaître à l’existence sociale normale. Il convient donc d’analyser cette période où la veuve continue, après l’inhumation, d’accompagner son mari dans son passage vers l’au-delà avant d’examiner comment s’opère sa réintégration dans la vie sociale. Quelles possibilités lui sont offertes ? Qui intervient dans le choix de son nouveau statut ? Les problèmes sont-ils posés de la même manière pour les veufs ?

3Privée brusquement d’un mari et du statut d’épouse, la veuve, mais aussi les parentèles qui se sont alliées au moment du mariage, se trouvent face à de nouvelles conditions. Je souhaite analyser dans ce chapitre comment la veuve et les parentèles gèrent ces nouvelles données et évaluer la marge de manœuvre dont dispose la première face aux secondes.

De la mise en marge de la vie sociale à la réintégration

  • 2 Ibid., p. 23.

4On n’a pas de trace pour l’époque médiévale de certaines pratiques, attestées en Afrique noire par exemple, qui imposent à la veuve, pendant le temps de deuil, de se raser le crâne, de jeûner ou de vivre retirée, à l’image des épreuves vécues par son défunt époux2. En revanche, les veuves sont soumises, au haut Moyen Âge comme dans la plupart des civilisations, à un certain nombre d’interdits : elles ne peuvent, pendant un certain temps, ni se remarier ni prendre le voile. Cela symbolise leur mise en marge de la société et s’apparente à une conduite d’accompagnement du défunt. Que recouvre ce que les historiens ont qualifié de « délai de viduité » ? Comment celui-ci est-il perçu ?

Un délai de viduité ?

  • 3 S. Lebecq, « Mort et mémoire des rois mérovingiens », (à paraître).
  • 4 Grégoire de Tours, l. VI, c. 34, p. 60.
  • 5 Ibid., l. V, c. 35, p. 346.
  • 6 Ibid, l. III, c. 6, p. 152.

5Jusqu’au IXe siècle, la question de ce délai ne retient pas l’attention des législateurs et les sources narratives précisent rarement le temps qui sépare le décès de l’époux du remariage de la veuve, ce qui rend difficile toute statistique. Elles attestent cependant l’existence d’un temps de deuil pendant lequel les proches sont exclus de la vie sociale3 : selon Grégoire de Tours, la mort du petit prince Thierry plonge son père, le roi Chilpéric, et sa famille dans le deuil, ce qui implique notamment l’ajournement de l’accord conclu avec Léovigild pour le mariage de Rigonthe – fille de Chilpéric – et du fils du roi des Wisigoths4 ; le même auteur souligne, un peu plus loin, que c’est une fois le deuil public accompli selon la coutume (peracto ex more iusticio) que Gontran entreprend de s acquitter de la promesse qu’il avait faite à son épouse Austrechilde juste avant que celle-ci ne meurt5. L’auteur ne donne aucune précision sur la durée de ce deuil, mais lors de la mort de Clodomir (524), il oppose clairement l’attitude de Clotaire qui, sans délai (nec moratus), épouse la veuve de son frère, Gontheuc, et celle de la reine Clotilde qui attend que le temps de deuil soit achevé (exactis diebus luctus) pour recueillir ses petits-fils6. La coutume semble donc prévoir qu’à la suite d’un deuil, les proches du défunt renoncent pendant quelque temps à entreprendre certains actes et à prendre des engagements, à commencer par les mariages : cela suppose que la veuve respecte ce délai avant de se remarier. Le mariage de Clotaire et de Gontheuc apparaît donc doublement condamnable, puisque ni la veuve, ni le frère du défunt ne respectent ce temps « mort » lié au deuil.

  • 7 Ibid, l. VI, c. 13, p. 30-32.
  • 8 Ibid, l. IV, c. 26, p. 230.
  • 9 Sur la définition de l’inceste au haut Moyen Âge et sa condamnation par l’Église, voir chapitre 6.
  • 10 Sur les différents mariages de Charibert, voir D. Harrison, The age of abbesses and queens, op. cit (...)

6Grégoire de Tours condamne ouvertement la veuve d’Ambroise qui, non seulement est adultère et fait assassiner son mari par son amant, mais encore ne respecte pas le deuil de son mari : peu de jours après (paucis diebus interpositis), elle rejoint son amant7. Le deuil de la veuve doit se prolonger au-delà de quelques jours. Dans un autre passage, l’auteur rapporte qu’à la mort de Charibert (567), une de ses reines, Théodechilde, aurait proposé le mariage au frère de son défunt mari, Gontran, qui l’aurait invitée à venir le rejoindre avec ses trésors. Le roi de Burgondie lui aurait dit à son arrivée : « il est préférable que ces trésors soient en ma possession plutôt qu’ils restent sous le contrôle de celle qui a été indigne du lit de mon frère ». Conservant donc une large part de ces trésors, il l’envoie avec le peu restant au monastère d’Arles8. L’auteur ne donne aucune précision quant aux délais qui séparent les différents évènements, mais il semble que ceux-ci se soient enchaînés assez rapidement. Manifestement, Grégoire de Tours condamne l’attitude de Théodechilde : reste à savoir ce qui le choque et rend Théodechilde, à ses yeux, « indigne du lit de Charibert ». L’auteur peut condamner l’union incestueuse que la veuve propose à son beau-frère9, mais Charibert lui-même ne s’était pas montré particulièrement exemplaire sur ce plan : il a même été excommunié par l’évêque de Paris pour avoir épousé Marcovef alors qu’il était déjà marié à la sœur de celle-ci, Mérofled10. Il est donc possible que cela soit l’empressement de Théodechilde à contracter une nouvelle union qui soit condamnable aux yeux de Grégoire de Tours. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où Gontran n’est pas intéressé par la reine, celle-ci voit ses plans déjoués : punition légitime, selon l’auteur. Elle est cloîtrée à Arles, contre sa volonté – sans que l’on sache cependant si elle y a reçu le voile. Dans l’hypothèse où c’est l’empressement de Théodechilde à se remarier qui est condamné par Grégoire de Tours, il convient de noter qu’aucune remarque n’est faite sur la rapidité de la clôture monastique.

  • 11 Vita S. Geretrudis, op. cit., c. 2, p. 455.
  • 12 Sur les modèles de veuvage présentés par l’hagiographie et leur évolution, voir chapitre 4.
  • 13 Vita Eustadiolae, op. cit., c. 3, p. 133.
  • 14 Sur la question du remariage, voir chapitre 6 ; sur celle de la conversion monastique, voir chapitr (...)
  • 15 Voir chapitre 7.

7Les vitae mérovingiennes n’évoquent pas le temps de deuil. La Vita Geretrudis, rédigée à la fin du VIIe siècle, lie la mort de Pépin Ier, la convoitise dont sa veuve Itte et sa fille Gertrude font l’objet et leur retraite monastique11. Elle vise à souligner les dangers qu’il y a pour les veuves à rester dans le siècle et les invite à ne pas tarder à prendre le voile12. La Vita Eustadiolae du début du VIIIe siècle établit, de même, un lien de cause à effet entre la mort du mari qui entraîne le veuvage de la sainte et les pressions qu'elle subit en vue d’un remariage. Elle parvient néanmoins à imposer son choix : des noces spirituelles avec Dieu13. Si l’on en croit donc les vitae, les veuves de l’aristocratie sont très rapidement, après la mort de leur mari, sollicitées pour de nouvelles noces et certaines optent pour la conversion monastique14. Aucune vita ne fait référence à un délai quelconque à respecter avant le remariage ou l’engagement religieux : parce que ce délai relève de la coutume et qu’il est donc évident pour tous, ou parce qu’il n’est pas nécessaire, du moins pour l’entrée au monastère ? Il est possible que, jusqu’au IXe siècle, le respect du deuil par les veuves ait davantage prévalu pour le remariage que pour la retraite monastique, considérée par l’Église comme une forme d’accompagnement du défunt15. La faveur de l’Église pour une retraite monastique rapide n’exclut cependant pas le respect d’un temps de deuil avant la conversion.

  • 16 Grégoire de Tours, l. X, c. 8, p. 340.

8Pour les veufs, la conversion monastique est rarement liée à la mort de l’épouse. En revanche, leur remariage est fréquent et souvent relativement rapide, sans que l’on puisse préciser les délais. On apprend souvent qu’un homme est veuf lorsque l’auteur rapporte son remariage, comme dans l’extrait suivant des Decem libri de Grégoire de Tours : Virus, neveu du comte de Clermont Eulalius, parce qu’il avait perdu sa femme, désira épouser la femme de son oncle, Tétradie, maltraitée par son mari. Celle-ci, profitant de l’absence de son mari, s’enfuit avec Virus qui, craignant la réaction d’Eulalius, l’envoya chez le puissant duc Didier, projetant de l’épouser plus tard. Mais Virus est tué par son oncle : quand Didier l’apprend, comme il avait lui-même récemment (nuper·) perdu sa femme, il épouse Tétradie16. Ce court extrait évoque le cas de deux hommes qui, après la mort de leur femme, prévoient de se remarier et cela rapidement dans le cas de Didier, sans que cela fasse l’objet d’aucune critique de la part de Grégoire de Tours. Il est cependant impossible de préciser davantage les choses.

9À partir du IXe siècle, en revanche, rois et évêques légifèrent sur les délais minima pendant lesquels les veuves – il n’est jamais question des veufs – ne peuvent contracter aucun engagement. Les sources narratives parfois plus précises permettent par ailleurs de confronter législation et pratique.

  • 17 MGH, Capit., c. 21, p. 278, repris dans la collection d’Anségise, l. I, c. 96, ibid., p. 408.
  • 18 Concile de Paris (829), l. I, c. 44, MGH Conc. 2.2, p. 638-639.
  • 19 H. Herold, « Der Dreissigste und die rechtsgeschichtliche Bedeutung des Totengedachtnisses », Zeits (...)
  • 20 Dt 34, 8, pour Moïse ; Nb 20, 29, pour Aaron.

10En 818-819, un capitulaire de Louis le Pieux prévoit que les femmes qui ont perdu leur mari ne puissent plus se voiler immédiatement, comme cela se faisait jusque-là : elles doivent désormais attendre trente jours, puis consulter leur évêque, ainsi que leurs parents et leurs amis avant de se prononcer17. En 829, le concile de Paris reprend ce délai de trente jours que les femmes nobles devenues veuves doivent respecter pour se consacrer à Dieu mais aussi pour se remarier18. C’est donc sous le règne de Louis le Pieux, capital en matière de réforme monastique, qu’un délai de viduité légal est défini : les législateurs laïques et ecclésiastiques l’ont fixé à trente jours. H. Herold a montré que ce délai a une origine biblique19 : l’Ancien Testament rapporte que les fils d’Israël pleurèrent Moïse ainsi qu’Aaron pendant trente jours20. Il s’agit là cependant d’un temps de deuil et non d’un délai de viduité.

  • 21 M. Humbert, Le remariage à Rome..., op. cit., p. 384.

11L’Église ancienne n’imposait aucun délai à la veuve avant de se remarier. Saint Paul affirme dans la première Épître aux Corinthiens que « la femme est liée à son mari aussi longtemps qu’il vit. Si le mari meurt, elle est libre d’épouser qui elle veut, mais un chrétien seulement » (1 Cor 7, 39). Par ailleurs, il explique « aux célibataires et aux veuves qu’il est bon de rester ainsi, comme [lui]. Mais s’ils ne peuvent vivre dans la continence, qu’il se marient ; car il vaut mieux se marier que brûler » (1 Cor 7, 8-9) : cela sous-entend qu’une veuve peut se remarier très rapidement après la mort de son mari, même si l’idéal de perfection qui lui est proposé est celui du deuil perpétuel. Saint Paul se montre réaliste. Il présente le modèle à suivre, mais il sait qu’il ne peut l’être que par une minorité et adapte donc son discours ainsi que ses préceptes aux réalités humaines. Dans la mesure où l’Église propose aux veuves comme idéal de perfection le deuil perpétuel, elle ne peut fixer de manière quantitative aucun délai de viduité21. L’Église carolingienne rompt avec cette tradition.

  • 22 Lex romana Wisig, l. III, t. VIII, c. 1, p. 84 ; M. Humbert, Le remariage à Rome..., op. cit., p. 3 (...)
  • 23 Leges Burg., c. 42, § 2, p. 73 : « si elle veut se remarier, dans l’année qui suit la mort de son p (...)
  • 24 Liber Judiciorum, l. III, t. II, c. 1, p. 133 : « Si une femme se remarie avec un autre moins d’un (...)

12Jusqu'alors, la définition d'un délai de viduité légal a toujours été le fait des autorités civiles, confrontées à des situations concrètes. À Rome, la question est liée à celle de la légitimité des enfants : le tempus luctus est d’abord fixé à dix mois, de manière à protéger la paternité du défunt sur le fœtus qu’il aurait pu procréer avant de mourir. En 381, l’empereur romain chrétien Théodose aménage cependant la législation. Il établit un compromis entre d’une part, la nécessité pratique de fixer une limite au deuil tout en essayant de la détacher de considérations matérielles liées a la crainte de la turbatio consanguinis pendant la grossesse, en allongeant le tempus luctus à un an, et d’autre part, l’idéal défendu par l’Église, en affirmant que, même étendu, le délai paraissait bien court22. Si l'on ne trouve chez les Francs aucune référence au délai de viduité fixé à un an par le droit romain et que la loi burgonde précise qu'elle ne le reconnaît pas23, celui-ci est, en revanche, repris par le droit wisigothique24.

13C'est aussi le délai d'un an que retient la législation lombarde, non quant au remariage pour lequel aucun délai n’est requis, mais quant à la prise du voile des veuves. Un édit de Liutprand (729) justifie ce choix de la manière suivante :

« après la mort de l'époux, la douleur est vive et peut pousser la veuve à prendre ce parti ; or, avec le temps, la douleur s’estompe, le désir de la chair revient et, ce qui est pire, [la veuve] tombe dans l’adultère et ne peut donc être ni moniale, ni laïque ».

  • 25 Lois de Liutprand, c. 100, p. 178.
  • 26 Capitulaire de Pavie pro lege tenendum, c. 2, MGH Capit., p. 90. Sur les veuves « victimes » de rap (...)

14La loi prévoit néanmoins que le roi puisse accorder une dispense à celle qui souhaite sincèrement se convertir, après avoir vérifié ses intentions25. Les Carolingiens reviennent ensuite sur cette loi, en 856, jugeant que ce long délai favorise le rapt des veuves, sans préciser cependant si un délai plus réduit y a été substitué26. Il est possible qu’on ait étendu au royaume lombard le délai des trente jours.

  • 27 Concile d Aenham, c. 19, Mansi, 19, col. 308 : « Que toute veuve (...) persiste dans la continence (...)
  • 28 C’est le cas du décret de Gratien et de plusieurs décrétales pontificales, voir A. Rosambert, La ve (...)

15Après cet effort législatif du IXe siècle, la question ne semble plus évoquée. En Angleterre, le concile d’Aenham (1009) se prononce en faveur d’un délai de douze mois27. Peut-être liée à la redécouverte du droit romain, la disposition reste néanmoins locale et marginale. Au XIIe siècle, les autorités ecclésiastiques se prononcent à plusieurs reprises sur le droit des veuves à se remarier dans l’année qui suit le décès de leur mari, conformément aux paroles de saint Paul28. La législation carolingienne et la disposition anglaise du concile d'Aenham apparaissent comme des parenthèses dans l’approche par l’Église du délai de viduité. Il reste à expliquer la signification du délai de trente jours retenu par les Carolingiens pour le remariage comme pour la prise du voile.

16Il convient tout d’abord de noter qu’aucun autre type de sources n’y fait référence, pas plus d’ailleurs qu’à l'an de deuil d'origine romaine. Comme pour la période mérovingienne, les sources narratives permettent rarement de préciser le délai entre la mort d’un époux et le remariage de son conjoint. Un cas peut néanmoins faire l’objet d’une analyse plus détaillée : la chronologie des différents événements a été soigneusement enregistrée par l'un des maîtres a penser de la Francie occidentale de la seconde moitié du IXe siècle, Hincmar. Celui-ci ne cache pas sa désapprobation à l’égard de la hâte indécente de Charles le Chauve à se remarier. C’est donc sur l’attitude d’un veuf que se prononce Hincmar :

  • 29 Annales de Saint-Bertin, op. cit., a. 869, p. 167.
  • 30 Ibid, a. 870, p. 169.

« Le [9 octobre 869], Charles apprit, alors qu’il était dans sa villa de Douzy, que sa femme Ermentrude était morte le [6 octobre] à Saint-Denis et qu'elle y avait été inhumée. Le roi dépêcha Boson, fils du comte Bivin, à la mère de celui-ci ainsi qu a sa tante, Theutberge, veuve du roi Lothaire, avec l’ordre royal de lui envoyer rapidement (mox) Richilde, sœur de Boson, pour qu’il en fasse sa concubine. (...) Prenant sa concubine avec lui, il se hâta de gagner aussi vite (festinare acceleravit) que possible le palais d'Aix-la-Chapelle pour y recevoir sous son autorité le reste des hommes qui avaient été sous celle de Lothaire29.
(...) Le [22 janvier 870], il prit pour épouse Richilde qu’il avait déjà prise pour fiancée et dotée »30.

  • 31 J.L. Nelson, Charles le Chauve, op. cit., p. 243-246 ; J. Hyam, « Ermentrude and Richildis », art. (...)
  • 32 Annales Regni Francorum, MGH SS, 1, a. 783, p. 165.
  • 33 Ibid., a. 794, p. 181. Liutgarde devient dès 794 sa concubine, mais elle n’est épousée qu’en 796, v (...)
  • 34 Ermengarde succombe le 5 des nones d’octobre (3 octobre) 818. Ce n’est qu’après Noël, rapportent le (...)

17Tout semble aller beaucoup trop vite pour Hincmar. Les fiançailles auraient été conclues dès le 12 octobre, moins d’une semaine après la mort d’Ermentrude, ce qui vaut le « statut » de concubine à Richilde. L’empressement de Charles le Chauve s’explique par le contexte politique. Richilde appartient à une puissante famille lotharingienne et elle est apparentée à Theutberge, dernière reine – du moins légitime – de Lotharingie. Or Charles le Chauve a, un mois auparavant, profité de la mort de son neveu, Lothaire II, pour se faire couronner roi à Metz (9 septembre). En prenant pour épouse Richilde, il peut espérer rallier à sa cause une partie de l’aristocratie31. Ce mariage n’avait de sens que s’il était conclu rapidement puisque le processus d’annexion de la Lotharingie était déjà en cours. La mort d’Ermentrude constituait une aubaine politique : Charles le Chauve l’avait saisie. Il est probable que, dans un contexte différent, le souverain se serait montré moins prompt à remplacer la reine défunte. Plus que la hâte à se remarier, c'est l'empressement a se fiancer que me semble remettre en cause Hincmar. C’est probablement pour cette raison que Charles le Chauve attend quelque temps – trois mois – après les fiançailles pour célébrer les noces, même s’il associe Richilde à son pouvoir dès la première de ces cérémonies. Ses prédécesseurs qui ont connu le veuvage se sont aussi remariés et relativement rapidement, mais avec moins d’empressement : Charlemagne quelque six mois après la mort d’Hildegarde32 et deux ans après celle de Fastrade33 ; Louis le Pieux, un peu plus rapidement après celle d'Ermengarde, mais il ne commence ses recherches que trois mois après le décès de la reine34.

  • 35 J.L. Nelson, Charles le Chauve, op. cit., p. 244.

18Si la législation carolingienne a fixé un délai de trente jours pour le remariage de la veuve, il n'en est jamais question pour le veuf. La désapprobation d'Hincmar à l'égard de la hâte de Charles le Chauve montre néanmoins que la coutume veut que le mari respecte un minimum le deuil de sa conjointe, peut-être trois mois, selon Janet Nelson35 : c'est possible ; cela correspond au délai que Louis le Pieux attend pour se mettre en quête d'une nouvelle épouse et que Charles le Chauve respecte avant d’organiser ses noces. Si le respect du deuil est attendu des veufs, il l’est d’autant plus des veuves, et si l’hypothèse des trois mois est retenue pour les premiers, le délai de viduité ne peut être moindre pour les secondes. Quelle signification faut-il alors donner au délai trente jours requis par la législation ?

  • 36 Richer, 1. IV, c. 94 et c. 108, t. II, p. 302-303 et 330-331 ; E Lot, Études sur le règne de Hugues (...)
  • 37 Voir chapitre 6.
  • 38 Flodoard, a. 951, p. 132 ; Richer, l. II, c. 101, t. 1, p. 292.
  • 39 Voir chapitre 6.
  • 40 On a vu, plus haut, le cas de la veuve d’Ambroise rapporté par Grégoire de Tours.

19Il me semble symbolique : il a été choisi en référence au deuil biblique, mais ne correspond à aucune réalité concrète. Le concile de Paris (829) évoque le délai de trente jours dans un canon qui traite avant tout de la prise du voile des veuves et invite à ne pas agir à la légère ni de manière précipitée en la matière. L’Église, qui intervient de plus en plus a partir du IXe siècle dans les questions matrimoniales, cherche a imposer un mariage consensuel et indissoluble qui implique donc, comme pour les vœux monastiques, une décision réfléchie. Pourtant, les remariages, comme les mariages, ne sont généralement pas négociés dans la précipitation. Il y a souvent plusieurs mois entre la mort du mari et le remariage de sa veuve. Le délai est fonction des opportunités et des urgences. Berthe, en difficulté dans sa principauté, n’attend que huit à dix mois après le décès d’Eudes Ier (mars 996) pour se remarier avec Robert le Pieux, fin 996-début 99736. Dans la majorité des cas, la veuve qui se remarie le fait dans les deux a trois années qui suivent son veuvage37. Le cas de la reine Ogive qui attend 22 ans, après la mort de Charles III, pour contracter une nouvelle union38 est une exception. Mais les remariages dans un délai de trente jours s'avèrent hors norme : lies a un rapt ou à l’assassinat du conjoint pour épouser l'amant, ils sont évoqués par la législation39 et attestés par les autres sources40. L’introduction d’un délai de viduité apparaîtrait alors comme un moyen destine à lutter contre ces pratiques.

  • 41 L.V. Thomas, « Leçon... », art. cit., p. 37.

20Si la loi prévoit donc un délai de viduité purement symbolique, la coutume semble exiger des veuves, comme des veufs, d’attendre quelque temps – probablement plusieurs mois – avant de contracter une nouvelle union : c’est le temps, attesté sous différentes formes dans de nombreuses sociétés, qu'il faut pour rompre, d’une certaine manière, les liens qui unissaient les conjoints et que la mort a commencé à distendre41.

  • 42 Voir chapitre 4.
  • 43 Vita S. Sadalbergae, op. cit., c. 6, p. 53 (mariée contre son gré) ; c. 9, p. 54 (souhaite se vouer (...)
  • 44 Vita S. Bathildis, op. cit., c. 3, p. 485 (vœux de jeunesse) ; c. 5, p. 487 (mort du roi) ; c. 10, (...)

21L’interdiction, pour une veuve, de prendre le voile dans le mois qui suit la mort de son mari, tout en plaçant celle-ci par voie de conséquence en marge de la société, a une autre finalité. L’analyse des sources narratives ne révèle aucun exemple de veuve qui ait montré un tel empressement, y compris parmi les saintes veuves du VIIe siècle dont les Vitae ont été écrites ou réécrites aux VIIIe-XIe siècles, alors que ces femmes nourrissaient depuis longtemps, au dire de leurs biographes, le désir de se libérer du monde séculier42. Salaberge, qui a été mariée contre son gré, souhaitait se vouer à Dieu après la mort de son premier époux. Mais ses parents et le roi ont d'autres projets pour elle et la remarient deux ans après. Ce n’est que plus tard, après avoir eu cinq enfants de son deuxième époux, qu'elle prend l’habit religieux avec l’accord de celui-ci43. Bathilde qui, vierge, « s’efforçait par tous les moyens d’échapper au mariage humain, pour mériter de parvenir jusqu’à l’Époux spirituel et céleste » accepta néanmoins d’épouser le roi Clovis II. Or, lorsque celui-ci rend son dernier soupir, la reine ne montre aucune précipitation à se consacrer à Dieu. Ce n’est que huit ans après et sous la contrainte qu'elle se retire à Chelles44. La vita plus tardive (Xe siècle) de Rictrude montre que la sainte ne s’est retirée à Marchiennes que plusieurs années après la mort de son époux.

  • 45 Ronceray, no 64, p. 56 et no 238, p. 152.
  • 46 Chronique de Saint-Maixent, op. cit., p. 118-119 ; Saint-Maixent, no 118, p. 149. Voir A. Richard, (...)
  • 47 B.L. Venarde, Women’s monasticism..., op. cit., p. 98, donne d’autres exemples de veuves du début d (...)

22Ce constat est confirmé pour les comtesses des Xe-XIe siècles : Hildegarde, devenue veuve de Foulques Nerra en 1040, reste quelque temps dans le siècle avant de se retirer au monastère de Notre-Dame-de-la-Charité d'Angers45 Agnès, après la mort de Guillaume V d'Aquitaine en 1030, attend presque deux ans avant d’épouser Geoffroi Martel en 1032. Après leur séparation vers 1050, elle retourne à la cour de Poitiers auprès de ses fils. Puis, peut-être dès 1054, au plus tard en 1061, elle se retire dans le monastère de Saintes qu'elle a fondé avec Geoffroi Martel46. Quant à Adèle de Blois, veuve d’Étienne-Henri, ce n’est qu’en 1122, après avoir vécu les vingt premières années de son veuvage dans le siècle, qu'elle se retire dans le monastère de Marcigny47.

  • 48 Voir chapitre 4.

23Si toutes ces femmes ne montrent aucun empressement à prononcer des vœux, quelles sont donc ces femmes nobles qui, d’après la législation capitulaire et conciliaire, se réfugient dans des monastères peu après la mort de leur époux, sans réelle vocation semble-t-il puisque, quelque temps après, elles renient leur engagement ? Le capitulaire de Louis le Pieux (818-819) montre que si l’entrée au monastère d’une veuve la concerne bien évidemment, elle ne saurait être décidée sans son évêque mais aussi ses parents et ses amis. Le délai exigé par l’Église vise à informer la veuve sur un engagement qu'elle prend pour le restant de sa vie, mais aussi à ce que les différents intéressés aient pu être consultés, aient réfléchi aux implications de ce choix et donné leur accord. Pour les autorités publiques, il s’agit de contribuer à limiter les conflits ; pour l’Église, d’éviter que la veuve ou son entourage considèrent le monastère comme une solution d’attente48, alors qu'elle s’attache à imposer le respect des vœux. En ce sens, le délai exigé – probablement symbolique – correspond à un temps de réflexion, de négociations et de décisions : il vise à prendre acte de la nouvelle situation de la femme et à envisager différentes solutions pour elle. Si les Vitae du VIIe siècle invitaient les veuves à se convertir à la vie monastique rapidement après la mort de leur mari, la législation carolingienne insiste sur la nécessité de réfléchir aux conséquences d’un engagement irrévocable.

24La coutume attend donc de la veuve, comme du veuf, qu’ils respectent quelque temps – probablement plusieurs mois – le deuil du conjoint défunt : ils vivent dans une période transitoire au cours de laquelle ils accompagnent le défunt dans son passage dans l’au-delà avant de reprendre eux-mêmes une existence sociale normale. Si les législateurs ont donné, au IXe siècle, une valeur légale à ce délai, ce n’est pas tant pour en fixer une durée – qui reste symbolique – que pour veiller, dans un contexte de mise en ordre, à ce que l’engagement, quel qu’il soit, ait été réfléchi, négocié et pris en toute connaissance de cause par l’ensemble des intéressés. Entre l’idéal proposé par l’Église, la situation et le désir de la veuve et les stratégies familiales, il y a souvent des décalages et des intérêts divergents qu’il convient de souligner.

Entre idéal patristique et contraintes sociales

  • 49 Voir chapitre 6.
  • 50 Mt, 13, 3-8 ; Mc, 4, 3-8 ; Lc, 8, 5-8.

25L’Église, sans condamner le remariage49, invite les veuves à vivre dans la continence. Le fondement de cet idéal se trouve dans la parabole du semeur rapportée par les Évangiles de Matthieu, Marc et Luc et utilisée pour définir la hiérarchie des états féminins. La parabole explique que, selon l’endroit où tombent les grains, ils peuvent rapporter « trente pour un, soixante pour un, cent pour un »50. Jérôme reprend la parabole et les valeurs définies pour hiérarchiser les différents états de perfection :

  • 51 Jérôme, Epistolae, op. cit., t. II, no 49, § 2, p. 121. Voir aussi no 123 (ad Geruchiam), § 8, t. 7 (...)

« La virginité est au mariage ce que le fruit est à l’arbre, le froment au chaume. Sur la terre et pour un grain semé, la récolte peut être pourtant de 100, 60 et 30, et il y a une grande différence dans les chiffres. 30 correspond au mariage, (...) 60 aux veuves, (...) 100 aux vierges »51.

  • 52 Ibid., t. II, no 49, § 3, p. 122.
  • 53 P. Lhermite-Leclercq, L'Église et les femmes dans l'Occident chrétien des origines à la fin du Moye (...)
  • 54 Césaire d’Arles, Sermons, éd. et trad. M.J. Delage, Paris, 1978, sermon 6, t. I, p. 332-333.

26Il n’est pas le premier à utiliser la parabole du semeur pour définir la hiérarchie des états de vie proposée par le Nouveau Testament : virginité, chasteté, conjugalité. Un anonyme l’avait devancé au second siècle et la « comptabilité de l’au-delà » avait été reprise, au siècle suivant, par Origène. Mais Jérôme se montrait plus optimiste que ses devanciers qui gratifiaient seulement les martyrs du rendement de cent pour un, ce qui décalait les récompenses des autres catégories : 60 pour les vierges, 30 pour les veuves, et 0 pour les femmes mariées. Jérôme explique lui-même que, contrairement aux auteurs grecs et latins qui excluent presque tous les gens mariés, il accorde une chance de salut à l’épouse52 et, comme le souligne Paulette Lhermite-Leclerq, double donc celle de la veuve53. Césaire d’Arles reprend ensuite, dans ses sermons, cette parabole et la hiérarchie qui en découle54.

  • 55 A.M. Helvétius, « Virgo et virago : réflexions sur le pouvoir du voile consacré d’après les sources (...)
  • 56 F. Rädie, « Einige Bemerkungen zur Bewertung der Witwenschaft... », art. cit., p. 21-22.

27Les Pères de l’Église définissent donc une hiérarchie qui classe les femmes en fonction de leur sexualité – alors que les hommes le sont par rapport à leur place dans la hiérarchie ecclésiastique55 : ils évaluent leur perfection en fonction de leur chasteté56. L’état virginal correspond à la condition la plus parfaite, l’état conjugal à la plus souillée, le veuvage se situant à un niveau intermédiaire : contaminée dans le passé par le péché de la chair, la veuve, en se vouant à la chasteté, rachète en partie ses fautes et s’élève dans la hiérarchie. Le choix de la continence lui permet donc de se distinguer de la femme mariée, dont elle vaut le double. Son ancien état d’épouse, en lui faisant perdre sa virginité, la place néanmoins en dessous de la vierge qui vaut deux fois plus qu'elle. C’est l’argument qu’utilise Jérôme pour inciter une jeune veuve à opter pour la continence :

« Il te suffit d’avoir perdu le premier degré de la virginité, et du troisième d’en être arrivé au second, c’est-à-dire du service conjugal au veuvage continent ».

  • 57 Jérôme, Epistolae, op. cit., no 123 (ad Geruchiam), § 10, t. 7, p. 84.

28Il justifie ce choix en lui expliquant que la mort de son époux est une volonté de Dieu57.

  • 58 B. Jussen, « On Church organisation and the définition of an estate. The idea of Widowood in the la (...)
  • 59 P. Lhermite-Leclercq, L'Église et les femmes..., op. cit., p. 53. P.A. Février, « Religiosité tradi (...)
  • 60 R. Metz, La consécration des vierges dans l’Église romaine. Étude d’histoire de la liturgie, Paris, (...)

29La hiérarchie des états féminins définie par les Pères de l’Église garde toute sa valeur pendant le haut Moyen Âge, voire même se précise58. L’ordonnancement des processions liturgiques en est le symbole : les vierges ont la préséance sur les chastes qui passent avant les mariées59 alors qu’au IVe siècle, lorsque l'ordo des vierges était en voie de constitution, celles-ci étaient placées au même rang que les veuves60. La hiérarchie est reprise par les moralistes carolingiens. Jonas d’Orléans explique, dans son de institutione laicali, que

  • 61 Jonas d’Orléans, De institutione laicali, PL 106, l. II, c. l, col. 169.

« les mariages sont bons, mais ils ne sont quand même pas comparables au bien que constituent la virginité et la continence gardée par les veuves »61.

  • 62 PL 103, col. 279.

30Sedulius Scottus reprend l’allégorie dans son commentaire de l’Évangile de Saint Matthieu et attribue au mariage, au veuvage et à la virginité une récolte respective de trente, soixante et cent62. Hincmar évoque, dans le De coercendo et extirpando raptu,

  • 63 Hincmar, De coercendo et extirpando raptu viduarum, puellarum et sanctimonialium, PL 125, c. 18, co (...)

« les trois degrés de l’Église, ou pour mieux dire le triple fruit du champ divin (...) : le trentième dans l’union du mariage, le soixantième dans la continence des veuves, le centième dans la retenue et la chasteté des moniales »63.

  • 64 B.M. Tock, « L’image des veuves... », art. cit., p. 40, n. 15.
  • 65 Vita S. Rictrudis, op. cit., c. 8, col. 837.
  • 66 Vita tertia S. Foillani, AA SS Oct. 13, p. 395.
  • 67 Jean de Fécamp, « Lettre à l’impératrice Agnès », J. Leclercq et J. Bonnes, Un maître de la vie spi (...)
  • 68 C. Casagrande, « La femme gardée », Histoire des femmes, t. 2, p. 93-95.

31Ce « lieu commun »64 est repris par l’hagiographie, comme par exemple dans la Vie de sainte Rictrude65 ou dans la Vita Foillani66. Jean de Fécamp y fait référence dans la lettre qu’il adresse vers 1073 à l’impératrice Agnès67 et on le trouve encore chez les principaux prédicateurs du XIIIe siècle68.

  • 69 Sur la valorisation constante par l’Église de la virginité et de la chasteté, quel que soit l’état (...)

32Si le veuvage chaste est recommandé aux veufs comme aux veuves, l’Église s’adresse beaucoup plus souvent aux secondes, peut-être plus sensibles au discours ecclésiastique et prêtes à renoncer aux plaisirs de la chair, mais aussi parce que placées sous le contrôle des hommes. Que les Pères de l’Église et les clercs aient loué les mérites du veuvage chaste et cherché à dissuader les veuves du remariage, cela semble logique : cela fait partie de l’idéal de perfection qu’ils cherchent à atteindre et à faire atteindre69. Cet idéal n’est cependant pas toujours compatible avec le fonctionnement de la société et notamment les stratégies définies par l’aristocratie.

33Si la veuve veut suivre l’idéal prôné par l’Église, cela signifie qu'elle ne contracte pas – ou que sa parenté ne lui fait pas contracter – une nouvelle union. Dans un monde qui partage sexuellement les tâches au sein du couple et où la puissance se mesure au nombre d’alliés que l’on s’attache par l’intermédiaire des femmes et des liens matrimoniaux, il est souvent difficile de demeurer continente. Il suffit que l’opportunité d’un beau parti ou d’une alliance se présente pour une veuve aristocratique, et la chasteté de la veuve – si tant est que celle-ci ait désiré la conserver – est sacrifiée.

  • 70 S.D. White, Custom, kinship and gifts..., op. cit. ; B.H. Rosenwein, To be the Neighbor..., op. cit (...)
  • 71 Sur tout ceci, voir chapitre 4.
  • 72 B.L. Venarde, Women's monasticism..op. cit., p. 55.

34L’idéal de continence n’est cependant pas toujours incompatible avec les stratégies aristocratiques. La recherche récente a montré l’importance des liens de voisinage que l’aristocratie noue avec les communautés religieuses : ils se manifestent par des transferts patrimoniaux, l’obtention de bienfaits spirituels, mais aussi par l’intermédiaire des membres de la famille qui se convertissent à la vie religieuse dans ces communautés70, ce qui permet, sans forcément nier toute vocation religieuse, d’établir des relais prêts à défendre les intérêts familiaux, tant spirituels que politiques et économiques. Les parentèles ont donc parfois tout intérêt à ce que « leurs » veuves restent continentes – que cela corresponde ou non au souhait de celles-ci – et qu’elles vivent leur continence au sein d’une communauté monastique choisie en fonction de leurs intérêts71. Le phénomène se serait même peut-être développé à la fin du XIe siècle, dans la mesure où les relations entre les monastères et l’aristocratie ne se seraient plus limitées aux familles royales et princières mais se seraient étendues à la moyenne et petite aristocratie72.

35Différentes options sont donc possibles pour la veuve : la continence dans le siècle, la retraite monastique ou le remariage. Différents critères interviennent pour expliquer que l’une de ces options ait été retenue plutôt qu’une autre. Il convient de les passer en revue, avant d’analyser qui intervient dans le choix.

Trois critères pour se déterminer

  • 73 Vita S. Eustadiolae, op. cit., c. 3, p. 133.
  • 74 Jean de Fécamp, « Lettre à l’impératrice Agnès », op. cit., § 2, p. 212.
  • 75 Jérôme, Epistolae, op. cit., no 123 (ad Geruckiam), c. 3, t. 7, p. 75. Même idée no 127 (ad Princip (...)

36Au début du VIIIe siècle, l’auteur de la Vie d’Eustadiole rapporte qu’une fois devenue veuve, les richesses et l’âge de la sainte l’appelaient à renouveler des noces73. Au XIe siècle, lorsque Jean de Fécamp s’adresse à l’impératrice Agnès, il utilise les mêmes arguments : « (...) ta noblesse, tes richesses et ton jeune âge t’invitaient à renouveler des noces »74. C’était déjà ceux de Jérôme au tournant du IIIe et IVe siècle, quand il écrivait à une veuve que « sa noblesse, sa beauté, son âge et sa fortune [la] rendent désirable à tous »75. De la fin de l’Antiquité au XIe siècle, l’âge et la richesse apparaissent comme des critères déterminants. Si la veuve est jeune et fortunée, donc désirable et « négociable », elle est en principe remariée ; sinon c’est la continence, dans l’entourage familial ou dans un monastère. À ces deux critères, j’en ajouterai un troisième qui me paraît tout aussi déterminant : l’existence d’enfants ainsi que leur âge et leurs droits.

L’âge

  • 76 M. Humbert, Le remariage à Rome..., op. cit., p. 155.

37La femme qui perd son mari alors qu'elle a cinquante ans ne dispose pas des mêmes atouts que celle qui se trouve dans la même situation à vingt ans. Les lois romaines qui encourageaient le mariage et le remariage dans l’optique de la procréation en limitaient l'obligation en fonction de l’âge des époux : cinquante ans pour la femme ; soixante pour l'homme76. Passé cet âge, les veuves échappaient aux peines établies contre le célibat. Les législateurs romains considéraient donc l’âge comme un critère déterminant. C’était tenir compte des réalités.

  • 77 Guibert de Nogent,, l. I, c. 13, p. 94.
  • 78 Ibid., l. I, c. 12, p. 74.
  • 79 N. Huyghebaert, « Les femmes laïques... », art. cit., p. 351-332.
  • 80 Voir chapitre 4.

38La comtesse d’Anjou Hildegarde, qui a plus de cinquante ans quand meurt son époux, Foulques Nerra, ne s’est pas remariée. En revanche, si l’on suppose qu'Agnès a entre 12 et 20 ans lors de son premier mariage avec Guillaume V d’Aquitaine, en 1019, elle se retrouve veuve, en 1030, à un âge compris entre 23 et 31 ans, et peut donc envisager une seconde union. Lorsque la mère de Guibert de Nogent devient veuve, un neveu de son époux « vint la trouver et l'aborda de la manière suivante : « vous avez pour vous, dame, jeunesse et beauté ; il vous siérait donc de vous remarier »77. Mariée alors qu'elle était à peine nubile78, donc vers douze ou treize ans, elle n’a pas plus de vingt-cinq ans à la mort de son mari79. Il semble donc normal pour les hommes de la seconde moitié du XIe siècle qu’une jeune veuve se remarie. Inversement, pour une veuve âgée, sans espoir de remariage, il n’y a parfois pas d’autre alternative que d’aller trouver refuge dans un monastère80.

  • 81 Vita S. Sadalbergae, op. cit., c. 6, p. 53 et c. 9, p. 54-55.
  • 82 Vita S. Segolena, op. cit., c. 9, p. 632. Voir I. Réal,, « Vie et vita de sainte Ségolène, abbesse (...)

39Lorsque les veuves ont l’âge d’être remariées, c’est-à-dire d’avoir des enfants, les parentés n’hésitent pas à les utiliser dans leurs stratégies matrimoniales. Au VIIe siècle, Salaberge devient veuve après deux mois de vie conjugale alors qu elle a été donnée en mariage peu après être parvenue adperfectae aetatis annos. À la mort de son premier mari, elle est donc toute jeune. Retournée dans la maison paternelle, ses parents l’unissent, à la demande du roi Dagobert, à l'un des grands du palais81. Les parents de Ségolène, veuve à 22 ans, souhaitent, de la même manière, l’utiliser aux profits de leurs intérêts : son père et son frère la poussent à se remarier afin d’acquérir grâce à elle plus de gloire dans le monde82.

  • 83 Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actisprimorum Normaniae ducum, Mémoire de la Société des Anti (...)
  • 84 Saint-Père de Chartres, l. III, c. 18, p. 79.
  • 85 Raoul Glaber, p. 216.
  • 86 En 978, pour H. d’Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne, Paris, 1859, (...)

40Au Xe siècle, Liégearde, fille du comte Herbert II de Vermandois, est donnée en mariage vers 936 au comte de Normandie Guillaume Longue-Épée83. Les sources ne précisent pas son âge, mais elle doit être relativement jeune, puisqu’elle ne meurt qu’après 98584. Devenue veuve, à la suite de l’assassinat de son époux en 942, elle n’a que six ans de plus – probablement moins de vingt ans. Selon Raoul Glaber, Thibaud le Tricheur, impliqué dans le meurtre, se serait rendu chez Herbert II, comte de Vermandois, pour lui demander sa sœur (en fait, sa fille), Liégearde, en mariage, ce qui lui aurait été accordé85. Lorsque Thibaud meurt à une date comprise entre 974 et 97886, Liégearde a plus de cinquante ans : elle n’a plus l’âge de se remarier. Ce n’est cependant pas la seule explication. Liégearde se trouve alors dans une situation qui diffère de celle de son premier veuvage : alors que son union avec Guillaume Longue-Épée était restée stérile, celle avec le comte de Blois a donné naissance à deux fils et une fille. L’existence d’enfants constitue un autre critère déterminant pour expliquer le devenir de la veuve.

Les enfants

41Le sort de la veuve n’est pas du tout envisagé de la même façon selon qu’elle a, ou n’a pas, d’enfants. Interviennent ensuite l’âge des enfants ainsi que leur statut, notamment leur qualité d’héritiers du défunt.

  • 87 Raoul Glaber, p. 216.
  • 88 Voir chapitre 2.
  • 89 Vita S. Sadalbergae, op. cit., c. 6, p. 53-54 ; c. 9, p. 54-55.
  • 90 Vita S. Rictrudis, op. cit., c. 6, col. 834 ; c. 8 et 9, col. 836-837.

42Lorsqu’au milieu du Xe siècle, Thibaud vient demander la main de Liégearde au comte de Vermandois, Raoul Glaber précise qu’Herbert « la fit venir pour l’en entretenir et, comme celle-ci n'avait pas eu d’enfant de son premier mariage, elle fut donnée à Thibaud »87. L’absence d’enfant favorise très certainement le remariage des veuves. Ni le couple, ni leurs parentés n’ont fortifié le lien qui les unit par l'intermédiaire d’une descendance commune. En l’absence d’enfant, la veuve aristocratique retourne le plus souvent dans sa parenté88. La veuve, voire souvent sa parenté, disposent d’une plus grande liberté pour décider d’une nouvelle union : elles n’ont pas à tenir compte des intérêts d’une descendance qui n’existe pas. Cela avait déjà été le cas, au VIIe siècle, pour Salaberge qui, n’ayant pas d’enfant, était revenue chez ses parents, après la mort de son premier époux, et avait été remariée par son père, conformément au désir du roi, deux ans après89. Inversement, l’existence d’enfants exige que soient protégés leurs intérêts et rend responsable leur mère. Même jeunes, les veuves avec enfants sont moins systématiquement remariées : Rictrude qui a quatre enfants peut rester chez elle90, de même que la mère de Guibert de Nogent.

43Si le remariage des jeunes veuves sans enfant semble relativement systématique, l’existence d’enfants ne constitue pas un empêchement au mariage. Des propositions ont été faites à Rictrude comme à la mère de Guibert, mais celles-ci les ont refusées. Agnès, veuve de Guillaume V d’Aquitaine se remarie en 1032 avec Geoffroi Martel, alors qu’elle est mère de trois enfants. La veuve, parce qu'elle a des enfants, échappe en partie à l’autorité de sa famille et dispose de davantage de liberté pour choisir, parmi les différentes solutions, celle qui lui convient le mieux. Ses choix dépendent cependant de l’âge de ses enfants, selon qu’ils sont majeurs ou non.

  • 91 Voir chapitre 5.
  • 92 F. Lot, Étude sur le règne de Hugues Capet.... op. cit., p. 178-180 ; E. Santinelli, « La veuve du (...)
  • 93 Sur le contexte politique et les rivalités dans la région de la Loire moyenne dans les années 980-9 (...)
  • 94 Richer, l. IV, c. 108, t. II, p. 330.

44Si le mari laisse à sa mort des enfants en bas âge, sa veuve est responsable de leur avenir : elle assume désormais seule cette responsabilité qu'elle partageait jusque-là avec son époux91. Elle organise sa nouvelle vie en fonction de leurs intérêts et n’hésite pas à se remarier pour préserver leurs droits. C’est le cas de Berthe, veuve du comte de Blois Eudes Ier, dont le fils aîné Thibaud doit avoir quatorze ou quinze ans à la mort de son père en 99692. Or, la principauté de Blois-Tours-Chartres est directement menacée par le comte d’Anjou, puissant voisin auquel Eudes n’a cessé de s’opposer de son vivant. Foulques Nerra a, probablement en 995, lancé une offensive en Touraine qu’il ravage avant de construire en aval de Tours, à Langeais, une forteresse dans laquelle il installe une garnison. Eudes riposte en mettant le siège (hiver 995-996) devant cette place forte où le comte d’Anjou s’est enfermé. Il doit cependant négocier une trêve avec Hugues Capet, arrivé avec ses troupes pour soutenir son allié angevin. Mais Eudes meurt le 12 mars avant d’avoir pu régler les problèmes et signer la paix avec le roi. Foulques n’hésite pas à profiter de la situation : dès le printemps – voire en été-, il s’empare de Tours que la trêve l’avait empêché de conquérir. On comprend que Berthe ait cherché dans le remariage un moyen de sauver l’héritage de ses enfants : en s’offrant à Robert le Pieux, elle cassait de surcroît l'alliance de longue date qui liait les comtes d’Anjou aux Capétiens93. Mariée fin 996début 997, elle pousse Robert à attaquer Foulques dès le début de l’année 997, ce qui permet à la maison de Blois de récupérer Tours et les autres biens dont le comte d’Anjou s’était emparé94. Son fils aurait été plus âgé et en mesure de prendre lui-même la direction des opérations militaires, elle n’aurait peut-être pas songé à se remarier.

45Si les enfants sont majeurs, ils sont en mesure de prendre en charge leur mère – qui a atteint de ce fait un âge plus avancé. Un passage de la Vie de Patrocle rédigée par Grégoire de Tours montre que la veuve attend soutien matériel et consolation de ses enfants et petits-enfants :

  • 95 Grégoire de Tours, Vitae Patrum, MGH SSRM, 1, Patrocle (no 9), § 1, p. 703.

« Maintenant que ton père est mort mon très cher enfant », dit-elle à son fils, « je vis sans consolation. Je vais donc chercher une belle jeune fille de condition libre, avec laquelle étant marié, tu pourras fournir la consolation (solatium) à ta mère veuve »95.

46À la fin du VIIe siècle, la Vie de saint Didier révèle les craintes de la mère du saint, Herchenfreda, qui vient de perdre ses deux aînés, à l’idée de se retrouver sans le soutien d’un fils :

  • 96 Vita et miracula S. Desiderii, op. cit., c. 11, p. 570.

« Moi mère infortunée, que ferai-je alors que tes frères déjà ne sont plus ? Si toi, tu venais à disparaître, je serais privée d’enfants (orbata absque liberis). Mais toi, mon très pieux enfant, mon très cher, tiens toi sans cesse sur tes gardes, afin que, ayant perdu l’aide de tes frères, tu n’ailles à ta perte (...) »96.

  • 97 I. Réal, Vies de saints..., op. cit., p. 390-391.
  • 98 L’obituaire de la Trinité de Poitiers mentionne aux ides de septembre : Obiit Eustachia monacha, vo (...)
  • 99 Vie d’Ide de Boulogne, écrite vers 1130, MGH SS 2, p. 369-576, analysée par G. Duby, Le chevalier.. (...)
  • 100 Voir chapitres 5 et 9.

47Ces extraits soulignent l’importance qu’il y a pour une femme d’avoir des fils : outre l’affermissement de son statut d’épouse, ils sont la garantie future, en cas de veuvage, d’une aide et d’un soutien97. Sans enfant pour assumer ce rôle, la veuve n’a parfois d’autres solutions que de trouver refuge dans un monastère, comme ce fut probablement le cas pour la veuve de Guillaume VI d’Aquitaine, Eustachie, qui finit moniale à la Trinité de Poitiers98. Mère, la veuve peut vivre dans l’entourage de ses enfants à la cour, dans la maison comtale ou seigneuriale. Georges Duby a analysé le cas de la comtesse Ide, donnée en mariage par son père à Eustache II de Boulogne, en 1057. Devenue veuve vers 1070, elle peut mener une vie de célibat sous la protection de l’aîné de ses garçons, Eustache III, successeur de son père99. C’est dans cette situation, auprès de leurs enfants, que les veuves apparaissent le mieux dans les sources100.

  • 101 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 176.

48Un dernier élément est à prendre en considération pour expliquer le devenir d’une veuve : le lien qu’entretient celle-ci avec l’héritier de son défunt époux. Dans la mesure où le veuvage des hommes est courant et que ceux-ci se remarient très fréquemment, il arrive que la veuve ne soit pas la mère de l’héritier de son époux. Le cas s’est présenté dans la famille carolingienne dans le dernier tiers du IXe siècle : à la mort de Charles le Chauve (877), Louis le Bègue monte sur le trône. Il est le fils de la première femme du roi, Ermentrude († 869). La veuve de son père, Richilde, qui n’est que sa belle-mère, perd tout pouvoir à la cour carolingienne101. Le cas de Richilde s’apparente à celui d’une veuve sans enfant : à la mort de son mari, ses relations avec sa belle famille se trouvent distendues. Si elle avait eu un fils, celui-ci aurait très certainement reçu sa part d’héritage, conformément à la coutume du partage du patrimoine et du royaume entre tous les fils légitimes qui continuait alors de prévaloir.

  • 102 G. Duby, « Le mariage dans la société du haut Moyen Âge », art. cit., p. 24-25 ; R. Le Jan, Famille (...)
  • 103 Sur l’influence de ces veuves sur leurs fils, voir chapitre 9.

49Mais, à partir des années 880, certaines familles de proceres profitent de l’affaiblissement du pouvoir royal pour imposer un mode de transmission directe des honores et pour s’organiser autour de cette transmission. La mise en place des lignages s’accompagne d’un nouveau mode d’utilisation de la parenté, pour préserver l'honor et le renforcer. Cela se traduit notamment par l’exclusion des cadets de l’héritage102. Pour certaines femmes épousées en secondes ou troisièmes noces par un veuf qui a déjà des fils, la mort du mari signifie pour sa veuve et ses enfants l’exclusion du pouvoir. Selon que la veuve est, ou non, la mère de l’héritier, la question de son devenir se pose en des termes différents. Hildegarde, veuve de Foulques Nerra, est la mère de Geoffroi Martel qui succède à ce dernier. Elle reste auprès de son fils, et garde son rang, comme Ermengarde, auprès de Thibaud III dans le comté de Blois, Gunnor auprès de Richard II en Normandie, ou Adèle auprès de Baudouin VI en Flandre103. En revanche, Agnès, troisième épouse de Guillaume V, et Adélaïde la Teutone, quatrième épouse de Geoffroi Martel, n’ayant aucun lien avec les héritiers de leur mari, perdent leur place et leur rôle, après la mort de leur époux.

  • 104 Sur les difficultés de ces jeunes adultes, liées notamment à la gestion du patrimoine aristocratiqu (...)
  • 105 A. Richard, Histoire des comtes de Poitiers..., op. cit., p. 169, 177-178, 195-196, 220-237 ; L. Ha (...)

50Ces deux dernières femmes ont cependant un devenir différent qui met en lumière le facteur déterminant que représente l’existence d’enfants : Adélaïde, qui n’en a pas, semble avoir ensuite vécu dans le siècle sans se remarier et sans faire de vagues, pourrait-on ajouter. Agnès, dont les enfants sont mineurs (et non héritiers) à la mort de leur père (1030), espére trouver dans son remariage avec Geoffroi Martel un moyen de conquérir l’héritage aquitain à leur profit. Au tournant du Xe et du XIe siècle, Guillaume V a en effet eu trois épouses successives qui lui ont chacune donné des fils : il a eu de sa première épouse Aumode Guillaume VI le Gros à qui doit revenir le duché d’Aquitaine ; avec Brisque, Eudes ; avec Agnès enfin, Pierre et Guy-Geoffroy. Les fils d’Agnès ne peuvent donc espérer recueillir l’héritage paternel qu’après la mort de leurs deux demi-frères. Agnès devait être consciente de la situation et il est probable que Guillaume V ait craint que sa jeune épouse n’élimine d’une manière ou d’une autre les fils de ses deux premières unions pour rester au pouvoir après sa mort : il juge prudent, dans les années 1023-1026, d’associer au pouvoir son fils aîné, puis, en 1029, de se retirer dans l’abbaye de Maillezais, de manière à lui transmettre le titre et le pouvoir de son vivant. Pour Agnès, il ne reste qu’un seul espoir de récupérer l’héritage au profit de ses fils : se remarier avec un prince ambitieux qui l’aiderait dans son entreprise. En 1032, elle épouse Geoffroi Martel, fils du comte d’Anjou Foulques Nerra, qui subissait toujours l’autorité de son père à vingt six ans : Agnès, outre son illustre ascendance et l’influence de sa famille en Bourgogne, dans le Nivernais, voire en Italie et dans l’Empire, lui offrait la perspective de gouverner le duché d’Aquitaine104. Il fallut cependant au couple quelque neuf ans pour éliminer Guillaume le Gros († 1038), puis Eudes († 1039) et parvenir ainsi à ses fins : Pierre est reconnu duc d’Aquitaine sous le nom de Guillaume VII et Guy-Geoffroi recueille la Gascogne – dont Eudes avait hérité de sa mère Brisque105.

  • 106 J.L. Nelson, « The wary widow », art. cit., p. 110.

51Selon que la veuve a des enfants ou non, et, si elle en a, selon qu’ils sont mineurs ou majeurs, son avenir ne se pose pas dans les mêmes termes. La maternité permet à la veuve de rester vivre chez elle et de continuer à jouer un rôle dans le siècle en tant que mère. Mais la défense des intérêts de ses enfants peut l’amener à envisager un remariage. Enfin, l’absence d’enfants ou le mariage de ceux-ci peut l’inciter à trouver refuge ou à se retirer dans un monastère, ce qui la différencie du veuf dont l’avenir n’est pas menacé par des situations comparables106. Le critère des enfants est donc déterminant pour la veuve. Un dernier aspect est à prendre en considération pour comprendre comment se décide l’avenir de la veuve : le poids des contraintes sociales.

Le poids des contraintes sociales

52Toutes les veuves ne disposent pas des mêmes forces pour affronter les nouvelles conditions de vie définies par la mort de l’époux. Au sein de l’aristocratie, le devenir de la veuve est lié aux stratégies familiales. Libérée du lien conjugal, la femme peut à nouveau servir les intérêts de sa famille ou de celle de son époux : si elle est encore jeune, elle peut être utilisée, comme les jeunes filles de la famille, dans les stratégies matrimoniales pour renouveler d’anciennes alliances ou en créer de nouvelles ; sinon, elle peut être placée, comme n’importe quel autre membre de la famille, dans un monastère et contribuer aux relations avec le sacré.

  • 107 Sur le rôle d’Hugues le Grand, oncle maternel de Liégearde, dans la conclusion de ce mariage qui lu (...)

53Le cas de Liégearde illustre parfaitement la première solution. La fille du comte de Vermandois qui s’apparente par sa mère aux Robertiens est utilisée deux fois, d’abord comme jeune fille puis en tant que veuve, dans la politique d’alliance définie par son père et son oncle maternel107. Elle sert d’abord à consolider l’alliance conclue en 935-936 entre Herbert II de Vermandois, Hugues le Grand, le duc de Normandie Guillaume Longue-Épée et le comte de Poitiers Guillaume Tête d’Étoupe. Devenue veuve en 942, Liégearde, qui est encore jeune, est réintégrée dans le vivier des femmes susceptibles d’être utilisées par les hommes de la famille pour soutenir leurs intérêts. Ceux-ci ne perdent pas de temps à réinvestir ce « potentiel » : Liégearde est mariée pour construire un axe d’alliance avec le comte de Blois contre la Normandie.

  • 108 E. Magnou-Nortier, « Formes féminines de vie consacrée... », art. cit., p. 206.
  • 109 S.D. White, Custom, Kinship andgifts..., op. cit. ; B.H. Rosenwein, To be the neighbor.... op. cit.(...)
  • 110 Vita S. Geretrudis, op. cit., c. 2, p. 455.
  • 111 J.J. Hoebbanx, L'abbaye de Nivelles..., op. cit., p. 47 ; E. de Moreau, Les abbayes de Belgique, VI (...)
  • 112 I. Réal, « Vie et vita de sainte Ségolène... », art. cit., p. 397-400.

54La parenté peut parfois avoir intérêt à placer « ses » veuves dans un monastère. Les veuves, pour peu qu elles soient un peu trop âgées pour être remariées, peuvent par ce biais servir les intérêts spirituels et l’influence de leur famille108, en contribuant à renforcer les relations de voisinage entre leur parentèle et la communauté monastique109. L’historiographie, s’appuyant sur la Vita Geretrudis110 insiste habituellement sur le rôle de saint Amand dans la fondation de Nivelles par la veuve de Pépin Ier, Itte, vers 648-649111. Mais lorsque l’on sait que Grimoald s’est appuyé sur un réseau de fondations monastiques qu’il s’est attaché à développer, où il a installé parents et proches afin que ceux-ci prient pour sa famille et soutiennent ses entreprises, n’est-il pas légitime de supposer qu’il n’est pas étranger à la fondation de Nivelles, entreprise par sa mère en 640 ? Isabelle Réal, qui a étudié le cas de Ségolène, aboutit aux mêmes conclusions : la fondation du Troclar est une affaire familiale destinée à servir les intérêts spirituels et l’influence des fondateurs, ceux du père et des frères de la sainte prioritairement112. D’une manière générale, les veuves de l’aristocratie, comme les filles et les autres membres de la parentèle placés dans un monastère, parfois fondé pour l’occasion, assurent le prestige de toute leur parenté.

55Je reviendrai au chapitre suivant sur le rôle des veuves dans les monastères. Ce que je voulais montrer ici, c’est que la veuve est soumise à des contraintes liées à son milieu social et aux ambitions de sa parenté : son devenir est largement déterminé par les stratégies familiales. Il reste à savoir dans quelle mesure la veuve participe aux stratégies définies par les parentèles : entre le choix et la contrainte, de quelle marge de manœuvre dispose-t-elle ?

Choisir librement ou sous la contrainte ?

  • 113 B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 101.

56La question du mariage ou le choix de la vie monastique ne relèvent-ils, pour les veuves comme pour tout autre individu, que des stratégies familiales, sans laisser aucune place au choix individuel, comme le constate Bruce Venarde113 ? Il me semble qu’il ne faut pas généraliser. Il est souvent difficile, à la lecture des sources, de savoir ce qui se joue derrière les décisions, de connaître l’ensemble des intervenants et de déterminer leurs mobiles. À force de croiser les sources, il apparaît cependant que, si certaines veuves subissent sans aucun doute la contrainte familiale, royale ou seigneuriale, d’autres se donnent les moyens de passer outre ou semblent agir en toute liberté.

Subir la contrainte familiale, royale ou seigneuriale

  • 114 MGH, Capit., Chlotharii II. Praeceptio, c. 7, p. 19.
  • 115 Le précepte reprend ici une idée déjà exprimée dans le concile de Paris III (561-562), Conciles mér (...)
  • 116 D. Harrison, The age of abbesses and queens..., op. cit., p. 303.
  • 117 Vita S. Sadalbergae, op. cit., c. 6, p. 53-54 et c. 9-10, p. 54-55.
  • 118 G. Duby, Mâle Moyen Âge, op. cit., notamment « Le mariage dans la société du haut Moyen Âge », p. 1 (...)
  • 119 Concile de Paris III (561-562), Conciles mérovingiens, c. 6, t. II, p. 420.

57Dans un précepte, Clotaire II (584-629) enjoint : « que nul n’ose épouser, prétextant [son] autorité, une veuve ou une jeune fille sans le consentement de celle-ci »114. Cette mesure montre que des veuves, comme des jeunes filles, sont mariées contre leur volonté d’une part, que l’autorité royale est susceptible d’imposer une union puisque certains l’invoquent pour parvenir à leurs fins d’autre part115. Bien que le roi interdise ces pratiques et s’en désolidarise, le cas de Salaberge montre que ni la parenté ni le roi ne prenaient plus en compte les désirs des veuves que ceux des jeunes filles. L’objectif du roi vise à maintenir l’équilibre des richesses et du pouvoir au sein de l’aristocratie franque, ce qui l’amène à intervenir pour contrôler les mariages et à favoriser des unions qui lui sont profitables116. Alors que Salaberge a été mariée une première fois contre sa volonté, elle souhaite, après la mort de son époux, se consacrer à Dieu et se retirer dans le monastère de femmes édifié dans les Vosges par Romaric. Mais le roi négocie avec son père son remariage avec un des fidèles du Palais. Salaberge doit se plier à leur volonté117. Le mariage d’une sainte contre son gré relève certes du topos hagiographique ; il n’empêche qu’il reflète largement la réalité. La veuve se trouve placée, comme les autres femmes de la parenté, dans l’étroite dépendance des mâles – pour reprendre l’expression de Georges Duby118 – et soumise aux stratégies que ceux-ci définissent, manifestement sans elle. Le concile de Paris III (561-562) ne rappelle-t-il pas que nul ne peut épouser la veuve ou la fille d’autrui sans le consentement de ses parents119 ?

  • 120 Raoul Glaber, p. 216.
  • 121 R. Le Jan, famille et pouvoir..., op. cit., p. 267.

58Le cas de Liégearde montre qu’au Xe siècle, le sort d’une veuve dépend des stratégies familiales et non de son libre choix. Certes, Raoul Glaber précise que le comte Herbert II appela sa sœur (en fait, sa fille) pour l’entretenir de la proposition de mariage que venait de lui faire Thibaud le Tricheur120, ce qui peut laisser supposer que Liégearde a son mot à dire. Les clercs carolingiens ont, en effet, imposé, parmi les conditions pour qu’un mariage soit valide, le consentement des époux, donc celui de la future épouse121. Mais, dans les faits, les veuves – comme les jeunes filles – n’ont pas d’autres solutions que de se soumettre aux pressions familiales et de donner leur accord. C’est probablement le cas pour Liégearde : si l’on suit le récit du chroniqueur bourguignon, Herbert avait déjà promis sa sœur (en fait, sa fille) au comte de Blois, avant d’avoir entretenu du projet la principale intéressée. L’entretien se limitait donc à convaincre, ou contraindre, la jeune femme d’accepter la proposition qui lui était faite.

  • 122 Vita Arnulfi, op. cit.
  • 123 G. Duby, Le chevalier..., op. cit., p. 1258-1260 ; P. Lhermite-Leclercq, « L’ordre féodal (XIe-XIIe(...)

59L’enseignement de la vie de saint Arnoul, composée à l’extrême fin du XIe siècle ou au début du XIIe siècle par l’abbé Hariulf d’Oudenbourg aux confins occidentaux de la principauté flamande, entre Boulogne et Bruges, va dans le même sens. La réputation du reclus amène Guy de Châtillon-sur-Marne et sa femme à le consulter : leur fille ne veut pas épouser celui qu’ils ont choisi pour elle ; elle en aime un autre. Arnoul se fait fidèle interprète du message épiscopal favorable au principe du consentement mutuel des époux : la jeune fille doit épouser celui qu'elle aime. Doué de prescience, il rassure cependant les parents : leur fille mariée selon ses vœux sera bientôt veuve et alors heureuse d’épouser celui qu’ils lui destinaient. Très vite, l’aimé, qui était un « jeune » dont la gloire avait séduit la jeune fille, perd effectivement la vie dans un combat122. La leçon est entendue : les parents doivent respecter la volonté de la jeune fille, mais le but du récit est de montrer que le choix de celle-ci a été mauvais, puisque l’union fut éphémère et que celui des parents était le bon. La veuve, comme la jeune fille, est invitée à se plier aux projets de sa parenté123.

  • 124 TV, no 6, p. 14-18.
  • 125 O. Guillot, le comte d'Anjou..., op. cit., p. 21-22, 27-28, p. 44 et p. 48-51.

60Ceux-ci ne visent pas toujours à remarier la veuve. Foulques Nerra n’est peut-être pas étranger au fait que sa fille Adèle, veuve de Bodon, ne se remarie pas : cette fille que le comte d’Anjou a eue de sa première épouse Élisabeth, fille de Bouchard, hérite vers 1016-1020 du comté de Vendôme. Or, le fils aîné d’Adèle, Bouchard, est mineur : Adèle confie celui-ci et la tutelle du comté à son père Foulques Nerra qui s’en acquitte jusqu’à la majorité du jeune comte124. Bouchard meurt quelques temps après, suivi de peu par son père. Adèle substitue à son fils aîné un puîné, Foulques l’Oison, tout en conservant des droits sur la moitié du comté. Ces droits seraient revenus au nouveau mari d’Adèle, si cette dernière avait contracté une nouvelle union. Interdire tout remariage à sa fille permettait au comte d’Anjou d’accroître son influence au nord-est de sa principauté125.

  • 126 B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 101.
  • 127 Grégoire de Tours, l. IV, c. 26, p. 230. Voir chapitre 2.
  • 128 Cité par B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 130.

61La famille peut aussi avoir intérêt à placer une veuve dans un monastère. Les hommes contraignent parfois les veuves de leur parenté à se retirer dans un monastère, moyen de tisser des liens avec ces établissements tout en se débarrassant de la charge de ces femmes126. On l’a vu au VIe siècle pour Théodechilde, envoyée contre son gré par Contran dans le monastère d’Arles127. En 1096, le chevalier Gilbert d’Alost donne aux moines d’Afflinghem, avant de partir en croisade, une terre pour qu’ils y construisent un monastère pour sa mère (et sa sœur)128 : l’objectif de la fondation n’est pas de fournir à la veuve les moyens de mener la vie qu'elle souhaite, mais d’assurer sa prise en charge, tout en bénéficiant de prières.

  • 129 Sur leurs motivations, voir chapitre 2 (pour Gontheuc) et chapitre 9 (pour Brunehilde).
  • 130 J. Verdon, « Les veuves des rois de France aux Xe et XIe siècles », M. Parisse, Veuves et veuvage.. (...)
  • 131 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 49 ; C. La Rocca, « La reine et ses liens avec les monastères (...)
  • 132 Michel Parisse fait le même constat pour la dynastie ottonienne, « Des veuves au monastère », art. (...)
  • 133 Concile de Tolède (683), C.J. Hefele, Histoire des conciles..., op. cit., III. 1, p. 548.
  • 134 Voir chapitres 4 et 9.

62Les reines subissent des contraintes spécifiques. Très peu d’entre elles ont contracté une nouvelle union. Gontheuc et Brunehilde le font au VIe siècle129. Ensuite, seules deux reines se sont remariées, Ogive et Anne de Kiev, et toutes les deux contre l’avis de leur fils130. Contrairement à la coutume lombarde qui confie à la reine veuve le pouvoir de transmettre la royauté à son nouvel époux131, les Francs ne semblent pas favoriser le remariage des reines132. Dans les deux derniers cas relevés, les fils devaient voir d’un mauvais œil les nouvelles unions hypogamiques de leur mère. Si les sources enregistrent la colère des rois quand ils apprennent la nouvelle et les sanctions dont ils frappent leur mère, les Francs n’en interdisent pas la pratique, contrairement aux Wisigoths qui prescrivent en 633 que « nul ne peut épouser la veuve du feu roi »133. Les reines franques semblent contraintes de vivre à la cour dans l’entourage de leurs fils, puis parfois de se retirer dans un monastère134, quand leur présence est devenue indésirable ou que des intérêts politiques l’exigent.

  • 135 Vita S. Bathildis, op. cit., c. 10, p. 495.
  • 136 J.P. Laporte, « La reine Bathilde ou l’ascension sociale d’une esclave », M. Rouche, J. Heuclin éd. (...)
  • 137 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 179.

63Bathilde gagne le monastère de Chelles dans le contexte de la crise de 664-665. La vita cherche à justifier cette retraite tardive : la reine avait depuis longtemps l’intention de se retirer dans ce monastère, mais les Francs, qui l’aimaient trop, avaient cherché à retarder cette échéance. Ce n’est qu’après avoir assassiné contre sa volonté l’évêque Sigobrand qu’ils lui permettent tout à coup de gagner Chelles, craignant que ce forfait ne la dresse contre eux135. Je rejoins Jean-Pierre Laporte qui a montré que cette crise correspondait à une réaction du maire du Palais, soutenu par un puissant parti aristocratique, contre l’autorité exercée par Bathilde avec l’appui de l’Église. Ébroin contraint la reine à se retirer à Chelles de manière à l’exclure du pouvoir. Ce n’est pas avec ferveur qu’elle arrive à Chelles, mais avec rancœur contre ceux qui s’étaient rebellés contre son autorité136. Au siècle suivant, Carloman et Pépin III font enfermer, dans le même monastère, Swanahilde, la veuve de leur père, le « presque-roi » Charles Martel137.

  • 138 Concile provincial de Saragosse (691), C.J. Hefele, Histoire des conciles..., op. cit., III. 1, p.  (...)
  • 139 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 178-180.
  • 140 Vita S. Chrotildis, op. cit., c. 9, p. 345. Sur les modèles de veuvage présentés par l’hagiographie (...)
  • 141 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 180.

64En Espagne wisigothique, le concile provincial de Saragosse (691) impose à la reine veuve de prendre l’habit religieux et d’entrer dans un monastère138. En Francie occidentale, la retraite monastique, quand elle n’est pas imposée139, ne constitue qu’un idéal souhaité par l’Église, comme le montre la Vita S. Chrotildis, présentée en modèle à la reine Gerberge : Clotilde résidait le plus souvent à Tours, dans l’entourage du monastère de Saint-Martin, et là elle s’adonnait aux bonnes œuvres et au service de Dieu140. Le modèle n’est qu’exceptionnellement appliqué par les Carolingiennes et les premières Capétiennes141.

  • 142 A. Rosambert, La veuve en droit canonique..., op. cit., 147-149 ; J. Jolly, Des seconds mariages... (...)

65Avec le développement des relations féodo-vassaliques, puis de l’hérédité et de la patrimonialisation des fiefs, une nouvelle contrainte apparaît : le seigneur qui a concédé un fief à charge de services avant tout militaires entend que les veuves de ses vassaux – comme leurs filles héritières – se remarient de manière à ce que le service d’ost puisse lui être rendu. Comme le vassal s'engage envers son seigneur dans un contrat qui comporte des obligations réciproques, le dominus a un droit de regard sur le mari choisi : toute veuve doit obtenir le consentement de son seigneur avant de contracter une nouvelle union. Dans la pratique, ce droit s’est souvent transformé en contrainte142. Le seigneur, en imposant le nouvel époux, y gagne sur deux plans : d’une part, il choisit lui-même son vassal ; d’autre part, il peut utiliser la veuve et son fief pour récompenser ses fidèles ou négocier de nouvelles alliances.

  • 143 Richer, l. I, c. 11, t. I, p. 28-30.
  • 144 A. Richard, Histoire des comtes du Poitou..., op. cit., p 158-159 et p. 167.
  • 145 Chronique des comtes d'Anjou et des seigneurs d’Amboise, op. cit., p. 99.
  • 146 Ibid, p. 101.

66Richer rapporte que, vers 890, le roi Eudes donna a son fidèle Ingon le château de Blois dont le châtelain avait été tué dans une guerre menée contre les Normands et il lui accorda en mariage la veuve de ce dernier143 : c'est là l'origine du pouvoir des comtes de Blois. L’anecdote relève très probablement du mythe, destiné à justifier l’autorité des comtes, mais elle s’appuie sur une pratique courante pour la rendre vraisemblable : le roi, en tant que seigneur des châtelains de Blois, dispose des biens et de la veuve de son vassal. Vers 1012, lorsque Jousselin, seigneur de Parthenay, meurt, le duc d’Aquitaine Guillaume V le Grand propose le fief et la veuve de celui-ci à Hugues de Lusignan, de manière a renforcer la fidélité de ce dernier et à éviter qu’il ne s’allie au vicomte de Thouars144. Le comte d’Anjou ne fonctionne pas autrement : il utilise les filles et les veuves de ses vassaux pour accroître son autorité. Selon la chronique des comtes d’Anjou et des seigneurs d’Ambroise, Foulques le Réchin organise par deux fois le mariage de Corbe, fille de Foucois et d'Élisabeth : la première fois, avec un homme de sa cour, Aimeri de Courron et avec l'accord de Lisois, grand-père maternel de la jeune fille145 ; la seconde, avec un vieil homme qui avait su, moyennant finances, persuader le comte à son avantage, alors que la mère de Corbe et son cousin n’avaient même pas été consultés146. Le seigneur agit comme s’il disposait de la tutelle de la veuve, se substituant au père : il s’octroie, après disparition – semble-t-il – des parents mâles en ligne directe, la négociation du remariage qui implique, comme tout mariage, que le prétendant offre des cadeaux à celui qui lui donne la femme. Le lien féodal est créateur de liens de parenté artificielle. Les échanges dont Corbe fait l’objet sont réglés par des hommes (seigneur, prétendant, parfois parent) qui ne semblent pas se soucier du souhait de la principale intéressée, parce qu’il n’est pas déterminant.

  • 147 Lambert d’Ardres, Histoire des comtes de Guines..., op. cit., c. 98, p. 608.
  • 148 Ibid., c. 99, p. 608.
  • 149 Ibid., c. 103, p. 611.
  • 150 G. Duby, « Remarques sur la littérature généalogique en France aux XIe-XIIe siècle », Hommes et str (...)
  • 151 Lambert d’Ardres, Histoire des comtes de Guines..., op. cit., c. 114, p. 615.

67La femme qui serait à l’origine de la dynastie des seigneurs d’Ardres, Adèle, et qui vivait dans la première moitié du XIe siècle aurait subi la même contrainte. Le chroniqueur Lambert qui retrace, vers 1200, la généalogie des comtes de Guines rapporte qu’Adèle était héritière de l’important patrimoine d’une famille illustre par ses lointaines origines. Menacée par les entreprises de l’un de ses parents (consanguineus), elle recherche la protection de son oncle Frameric, évêque de Thérouanne : elle lui remet tous ses biens qu'elle lui reprend en fief147. Son seigneur exige alors la présence d’un homme qui puisse défendre militairement ce fief. Il donne Adèle à un « chevalier fort et vaillant », Herred148. Après la mort d’Herred, « Adèle ne reste pas longtemps veuve » : l’évêque de Thérouanne et d’autres amis lui « conseillent » d’épouser un autre guerrier, Elbodon. C’est avec celui-ci qu’elle conçoit, lors de sa nuit de noce, Arnoul149 qui, vers 1050, élève un château sur le patrimoine maternel, à Ardres. Si Lambert d’Ardres cherche à justifier la noblesse de son patron en lui découvrant des origines mythiques et à renforcer son autorité en retraçant la transmission du patrimoine au sein de la parenté150, il n’en souligne pas moins le pouvoir du seigneur sur les veuves de ses vassaux. Arnoul Ier bénéficie lui-même ensuite de ce droit féodal, puisque Eustache de Boulogne récompense ses services en lui permettant d’épouser la veuve du comte de Saint-Pol151.

  • 152 Cité par J. Jolly, Des seconds mariages..., op. cit., p. 190, et repris par A. Rosambert, La veuve (...)
  • 153 L’exemple est donné, en Angleterre, par la Grande Charte de 1215 : Jean sans Terre accorde que les (...)

68La contrainte exercée par le seigneur sur les veuves des vassaux est toujours attestée sous le règne de Philippe Auguste (1180-1223). Dans une lettre adressée aux bourgeois de Caen, le roi s’engage à ce que ni lui, ni ses héritiers ne donnent en mariage leurs filles ou leur veuve contre la volonté de celles-ci, à moins qu’elles ne tiennent un fief152. Il faut attendre les premières libertés conquises au XIIIe siècle pour obtenir le renoncement du seigneur à ce droit153.

  • 154 On a vu, chapitre 1, que des couples ont appris à s’aimer.

69La veuve subit donc des contraintes. Les sources donnent maints exemples de femmes qui, après la mort de leur mari, sont remariées ou placées dans un monastère, pour servir les intérêts familiaux, royaux ou seigneuriaux. Le plus souvent, la documentation n’évoque pas le point de vue de la veuve ce qui laisse supposer qu’il n’est pas pris en considération. Il devait néanmoins arriver que la veuve, comme les autres membres de la parenté, se satisfît des choix déterminés par les stratégies définies154. Les sources précisent cependant parfois que la veuve est opposée au choix qui a été fait pour elle : les intérêts familiaux, royaux et seigneuriaux passent au dessus des volontés individuelles. Certaines veuves parviennent cependant à imposer leur choix en passant outre les pressions, quelles soient familiales ou d’autres natures.

Passer outre

  • 155 Vita S. Segolenae, op. cit., c. 9-11, p. 632.
  • 156 I. Réal, « Vie et vita de sainte Ségolène... », art. cit., p. 397.

70Les sources donnent quelques exemples de veuves qui se remarient ou se retirent dans un monastère, alors que leur famille ou le roi y sont opposés ou ont d’autres projets. La Vie de Ségolène, rédigée dans la deuxième moitié du VIIe siècle, rapporte que la sainte, devenue veuve, ses parents cherchent à la remarier. Loin d’obtempérer, elle résiste. Face à sa résolution, son entourage ne peut s’opposer à son désir de vie monastique et finit par donner son consentement. Puis, comme après avoir été consacrée par l’évêque d’Albi, elle souhaite rejoindre une communauté de moniales, son père entreprend pour elle la construction du monastère du Troclar sur une de ses terres155. Ségolène a donc réussi à imposer sa volonté à ses parents. La fondation du monastère du Troclar n’est cependant pas sans intérêt pour la parenté de la sainte : elle permet de contrôler le patrimoine de l’une des leurs tout en récupérant, pour le compte de la famille, le prestige que procure une fondation monastique156. Ségolène œuvre donc aux intérêts familiaux, tout autant, même si c’est de manière différente, que si elle avait, par son remariage, créé ou consolidé une alliance. Il est possible qu’au sein des parentés, les individus aient pu bénéficier d’une marge de manœuvre entre les différentes options qui visaient toutes à favoriser les intérêts familiaux. Ségolène opta pour la vie monastique.

  • 157 D. Harrison, The age of abbesses andqueens..., op. cit., p. 221 et p. 303.
  • 158 Vita S. Rictrudis, op. cit., c. 8, col. 836-837. Voir aussi l’analyse d’A.M. Helvétius, « Virgo et (...)
  • 159 A.M. Helvétius, « Virgo et virago... », art. cit., p. 192.

71Au-delà des familles aristocratiques, le roi cherche à renforcer son pouvoir et à maintenir l’équilibre entre les différentes factions aristocratiques en contrôlant les mariages, notamment ceux des riches veuves, de manière à éviter que ces richesses ne viennent grossir celles d’une parentèle ennemie ou qu’elles ne rendent trop puissante une famille qui l’est déjà suffisamment157. Ce sont donc parfois les pressions royales que doit subir et surmonter la veuve. Selon la vita Rictrudis, rédigée en 907, Dagobert souhaite ainsi utiliser Rictrude. Il fait pression pour qu'elle se remarie avec l’un de ses proches fidèles, de manière à renforcer son entourage : il utilise la flatterie, puis les menaces, mais en vain. Rictrude a déjà choisi de se vouer à Dieu. Elle juge cependant plus prudent de suivre le conseil de saint Amand et de promettre au roi qu’elle fera ce qui sera jugé le plus utile pour elle, avec sa permission et en suivant ses conseils. Comme Dagobert se montre suspect quant à ses intentions, elle organise pour lui, dans sa villa de Boiry, un banquet et elle y convie tous les plus grands, comme si elle voulait se soumettre à sa volonté. Après avoir rendu honneur à ses invités, elle se lève et demande au roi s’il lui accorde de faire ce qu'elle veut dans sa maison et d’agir librement en sa présence. Celui-ci donne son assentiment, mais à la stupeur de tous, elle pose sur sa tête un voile auparavant béni par saint Amand, ce qui rend le roi fou de colère, mais ne lui laisse pas d’autre alternative que de quitter le banquet158. Si le roi peut faire pression, il ne peut contraindre : Rictrude doit donner son accord pour que le mariage soit légitime. La prise du voile permet de faire cesser les pressions. Comme la sainte est une femme d’exception, elle sait ignorer ces pressions, rester fidèle à son projet et donc affronter le roi virilement (viriliter), c’est-à-dire courageusement, selon « un cliché hagiographique que l’on retrouve dans la majorité des vies de saintes »159. Soutenue par saint Amand, elle arrive à berner le roi et à prendre le voile, comme elle le voulait.

  • 160 Voir chapitre 2.
  • 161 Ronceray, no 64, p. 57.
  • 162 Jean de Fécamp, « Lettre à Léon IX », PL, 143, col. 799. Sur la condamnation des mariages consangui (...)

72Au XIe siècle, Ermengarde, veuve de Geoffroi de Gâtinais, néglige l’avis de son frère, Geoffroi Martel, pourtant puissant, et se remarie, probablement pour soutenir les intérêts de la famille de son défunt époux160. Selon une charte du Ronceray, Ermengarde aurait offensé son frère en négligeant son conseil et en se souillant par un mariage incestueux, honteux et illégal161 : elle a épousé Robert, duc de Bourgogne, son parent au quatrième degré qui vient de répudier son épouse légitime162. Geoffroi Martel lui confisque pour la peine l’usufruit du clos de vigne que lui avait donné leur mère Hildegarde. Je ne pense pas que le comte d’Anjou se soit senti particulièrement offensé par le mariage incestueux – selon les critères de l’époque – de sa sœur : lui-même avait contracté une union condamnée en épousant Agnès, veuve de son parent au troisième degré, Guillaume V d’Aquitaine. En revanche, il me semble qu’en confisquant à sa sœur une partie de ses biens, il veut condamner la liberté que celle-ci s’est octroyée : si Ermengarde avait été mariée contre son gré, pourquoi s’en serait-il pris à elle au lieu de régler ses comptes plus directement avec la famille des comtes de Gâtinais. Si celle-ci est probablement à l’origine du mariage, il semble que la perspective d’une union avec le duc de Bourgogne n’ait pas déplu à Ermengarde qui décide de se passer de l’accord de son frère. En lui confisquant certains de ses biens, Geoffroi Martel entend lui rappeler son droit de regard, en tant que chef de lignage, sur les veuves de la famille. Cette sanction prouve qu’Ermengarde s’est passée de l’accord de son frère pour contracter cette seconde union et qu'elle a agi à sa guise.

  • 163 Flodoard, a. 951, p. 132 ; Richer, l. II, c. 101, p. 292-293 ; M. Lauer, Louis IV d'Outre-Mer, op. (...)

73Un siècle auparavant, une situation analogue avait été réglée de façon identique. En 951, la reine Ogive avait épousé le comte Herbert III, sans l’accord de son fils, Louis IV d’Outre-mer. Celui-ci, en colère, lui confisque l’abbaye Sainte-Marie de Laon et le fisc d’Attigny163. La reine est soumise à la tutelle de son fils qui doit consentir ses actes. Persuadée que Louis n’acceptera pas son projet, elle profite de l’expédition de son fils en Bourgogne pour s’enfuir auprès du comte de Vermandois. Elle est certes sanctionnée, comme Ermengarde, sur ses biens, mais elle n’en a pas moins réussi à faire ce qu'elle voulait.

  • 164 Guibert de Nogent, l. I, c. 13, p. 92-93. Voir l’analyse de G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1 (...)

74La mère de Guibert de Nogent parvient, de même, à déjouer les plans des hommes de sa parenté. Après la mort de son époux, elle entend demeurer une veuve continente. De proches parents veulent cependant l’exclure de la possession des biens de son mari et les récupérer à leur profit. Ils se réunissent pour régler son sort, peut-être son retour dans sa parenté. Mais lorsqu’ils veulent la faire venir afin d’écouter leur sentence, ils la trouvent devant l’image du seigneur crucifié, affirmant qu'elle n’entreprendrait rien sans la présence de ce dernier : ils renoncent à leur projet. Puis l’un d’entre eux lui propose le mariage. La mère de Guibert doit trouver une nouvelle parade : elle n’épousera qu’un homme beaucoup plus noble que son premier époux. Guibert précise que si sa mère avait parlé ainsi, c’était qu'elle savait que ce serait pour elle une perspective quasi ou totalement impossible. La mère de Guibert ne peut probablement pas s’opposer aux projets de remariage organisés par les hommes de sa parenté. Elle peut cependant y mettre des conditions qui les rendent impossibles. Elle parvient ainsi à demeurer veuve continente164.

  • 165 Conciles d’Arles II (453), c. 46, Mansi 7, col. 884 ; concile d’Orléans III (538), Conciles mérovin (...)
  • 166 Grégoire de Tours, l. IV, c. 26, p. 230 : ses projets sont cependant découverts par l’abbesse et Th (...)
  • 167 Capitulaire de Louis le Pieux ajouté aux lois (818-819), MGH Capit., c. 4, p. 281 ; Conventus de Sa (...)
  • 168 Hincmar condamne ceux qui pensent pouvoir obtenir le mariage par le rapt, dans son traité, De coerc (...)

75Le rapt, réalisé avec le consentement de la veuve (seductio), peut être considéré comme un moyen pour celle-ci de déjouer les projets prévus pour elle par sa parenté. L’Église, soutenue par les rois, condamne celles qui, après s’être vouées à Dieu, ont été consentantes ou acceptent de demeurer avec leur ravisseur165 : ne peut-on penser qu’il s’agit de ces veuves qui ont été contraintes par leur famille de prêter les vœux monastiques, sans réelle vocation et qui organisent leur enlèvement de manière à échapper à ce destin qu'elles n’ont pas choisi, comme ce fut le cas au VIe siècle pour Théodechilde par exemple166 ? Les conciles condamnent le rapt de manière générale, notamment celui des veuves opéré avec le consentement de celles-ci167 : si les jeunes hommes peuvent contourner par ce biais les contraintes sociales et démographiques pour obtenir une épouse168, cela permet aussi aux veuves d’échapper à la tutelle familiale.

  • 169 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 298-302.
  • 170 Annales de Saint-Bertin, op. cit., a. 862, p. 87-88 ; Conventus de Savonnières (862), MGH Capit., c (...)
  • 171 J.L. Nelson, Charles le Chauve, op. cit., p. 225-226 ; J. Devisse, Hincmar..., op. cit., p. 436.

76Dans la seconde moitié du IXe siècle, le respect général des principes homogamiques ainsi que l’affirmation d’un mode de transmission patrilinéaire des honores ont conduit à contrôler le mariage des filles, et donc des veuves. Dans la famille carolingienne, le processus a démarré un peu plus tôt : le mariage des filles est limité pour éviter de multiplier, en ligne féminine, les revendications à la regalispotestas169. Judith est l’une des rares petites-filles de Louis le Pieux à être mariée : à Aethelwulf, puis au fils de celui-ci Aethelbald. Après la mort de son deuxième époux, elle revient auprès de son père, Charles le Chauve qui l’installe à Senlis où elle est placée « sous surveillance royale et épiscopale », en attendant qu'il décide de son sort. Craignant probablement de devoir passer là le restant de ses jours, elle préfère s’enfuir avec Baudouin qui l’a séduite. Le roi, furieux, convoque les grands laïques et ecclésiastiques de son royaume. Après avoir rendu la sentence selon la loi séculière, il demande aux évêques de prononcer l’anathème pour les deux coupables, conformément à la sanction prévue par les canons pour le rapt des veuves170. Judith, qui ne doit guère apprécier l’étroite tutelle imposée par son père et craint d’y demeurer, s’est assuré le soutien de son frère Louis le Bègue – alors en révolte contre leur père-, pour mettre ses projets à exécution. Charles le Chauve est mis devant le fait accompli et ne peut que condamner. Il finit cependant, près de deux ans plus tard et après l’intervention du pape, par reconnaître le mariage de sa fille171 : Judith est parvenue à ses fins.

77Les quelques exemples analysés montrent donc que si les veuves subissent des contraintes réelles, certaines d’entre elles, douées d’une personnalité plus forte, parviennent à les déjouer et à imposer leurs propres choix ; d’autres, enfin, semblent disposer de leur avenir en toute liberté.

Agir en toute liberté

  • 172 Grégoire de Tours, l. II, c. 43, p. 140.
  • 173 Vita S. Eustadiolae, op. cit., c. 3, p. 133.

78Les sources montrent parfois des veuves décider seules de leur devenir. C’est le cas des Dix livres d’histoires à la fin du VIe siècle, dans lesquels Grégoire de Tours évoque la reine Clotilde qui vit dans l’entourage de Saint-Martin de Tours, après la mort de Clovis, mais qui se rend parfois à Paris172. La Vie d’Eustadiole, rédigée au début du VIIIe siècle, rapporte qu’alors que ses richesses et son âge destinaient la sainte à un second mariage, celle-ci préféra suivre le conseil de saint Paul et rester chaste173. C’est ainsi qu'elle se livre au service de Dieu et donne ses biens aux pauvres sans qu’il soit fait mention d’une quelconque pression. Eustadiole semble agir en toute liberté.

  • 174 Richer, 1. IV, c. 108, t. II, p. 330. Voir E. Santinelli, « La veuve du prince... », art. cit., p.  (...)
  • 175 A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 225.
  • 176 L. Halphen, Le comté d’Anjou..., op. cit., p. 56-57 ; O. Guillot, Le comte d’Anjou..., op. cit., p. (...)
  • 177 Chronique de Saint-Maixent, op. cit., p. 118.

79Les cas de veuves qui prennent en main leur vie et décident en toute indépendance de leur devenir deviennent plus nombreux à partir de la fin du Xe siècle. Selon Richer, c’est Berthe qui, à la tête de la principauté de Blois, songe à une nouvelle union avec Robert le Pieux : c’est elle qui entreprend les démarches et va consulter Gerbert à ce sujet174. Si l’auteur attribue à Berthe l’initiative de cette union, c’est peut-être du fait que ce mariage était condamné par l’Église car non valable canoniquement : la responsabilité en est ainsi rejetée sur la comtesse et non sur le roi. Richer n’en révèle pas moins le portrait d’une femme qui organise son remariage, sans qu’apparaisse la moindre pression des parents en général, de son frère en particulier, ou d’autres tutelles. De même, les sources ne présentent aucun homme poussant Agnès à se remarier avec Geoffroi Martel. Les chercheurs ont souvent vu dans cette union l’œuvre d’Agnès qui cherchait un chef militaire pour conquérir l’héritage de ses fils175. Geoffroi Martel trouvait cependant, lui aussi, des avantages dans ce mariage176 : selon la chronique de Saint-Maixent, « Geoffroi avait épousé la femme susdite en vue de soumettre les Poitevins »177. L’initiative est donc ici attribuée au comte. Qu’elle vienne du comte ou de la duchesse, il semble que ce soit Agnès elle-même qui ait négocié son remariage.

  • 178 Guibert de Nogent, l. I, c. 13-14, p. 94-101.
  • 179 Ibid., l. I, c. 14, p. 100-101.
  • 180 Ibid., l. I, c. 14, p. 100-101 et l. II, c. 4, p. 244-245. Voir B.L. Venarde, Women’s monasticism.. (...)

80La mère de Guibert de Nogent, après avoir affirmé son droit à jouir de ses biens et imposé à sa parenté sa volonté de rester continente, « continua à gouverner nos personnes et nos biens », explique l’auteur, tout en menant une vie pieuse. Quand son cadet – Guibert – eut atteint l’âge de douze ans, « elle se préoccupa de mener à bon terme le projet qu'elle avait porté en elle au cours de longues réflexions », celui de se vouer à Dieu. Elle quitta le château où elle résidait pour s’établir, avec l’autorisation de l’évêque de Beauvais, dans l’une des maisons voisines de l’église de Catenoy178. Dans la mesure où Guibert loue, tout au long de son autobiographie, la piété de sa mère, et où il nous décrit l’évolution de sa réflexion quant à ce dessein, on peut supposer que la réalisation de ce projet correspond au choix de sa mère. La parenté de son père n’est pas mentionnée. Sa mère semble agir à sa guise. Guibert évoque cependant l’intervention de parents maternels : ce sont eux qui sollicitent pour elle de l’évêque de Beauvais l’autorisation de s’établir à Catenoy179. Ils soutiennent donc ce projet qui, par ailleurs, leur permet d’entretenir les liens, anciens, avec l’évêque Guy de Beauvais. Lorsque, quelque temps après, la mère de Guibert se donne au monastère de Fly, puis, quand elle prend le voile, à la fin de sa vie, elle semble agir selon sa propre volonté et en toute liberté180.

  • 181 J. Richard, Cartulaire de Marcigny, op. cit., no 109, p. 79-80. Voir B.L. Venarde, Women's monastic (...)
  • 182 Voir chapitre 9.
  • 183 B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 98.
  • 184 K. Loprete, « Adela of Blois... », art. cit., p. 40.

81En 1106, un croisé bourguignon, Robert Damas, fait une donation à Marcigny : il fait préciser dans l’acte que la communauté s’engage à accueillir, après sa mort, sa femme et sa fille, si elles le voulaient181. La liberté des veuves à disposer d’elles-mêmes est rarement exprimée avec une telle clarté. Le plus souvent, les sources ne nous permettent que d’émettre des suppositions. Ainsi, après la mort de son mari Étienne-Henri (1102), aucun indice ne révèle qu’Adèle ait subi la moindre contrainte de la part de sa parenté. La veuve du comte de Blois hérite du gouvernement de la principauté, alors que ses fils sont mineurs182. Pourtant, contrairement à la comtesse de Blois, Berthe, placée dans la même situation un siècle auparavant, elle ne se remarie pas. Le contexte, moins dangereux, ne le rend pas nécessaire et le veuvage continent dans le siècle lui permet de protéger les intérêts familiaux, au nom puis aux côtés de ses fils. Quand Thibaud devient majeur, en 1107, elle continue à soutenir les actions de celui-ci pendant quinze ans, puis elle prend le voile à Marcigny, en 1122. La documentation ne donne aucune explication à cette conversion. Divers indices peuvent cependant laisser supposer qu'elle a été librement décidée. D’une part, la décision est prise tardivement : elle est peut-être le fruit d’une longue méditation. D’autre part, les sources n’enregistrent aucun conflit entre la mère et le fils qui expliquerait que celui-ci ait cherché à s’affranchir de la tutelle maternelle en plaçant sa mère dans un monastère. Par ailleurs, Thibaud ne se marie que l’année suivante, en 1123 : la retraite d’Adèle ne peut donc s’expliquer par des tensions entre belle-mère et belle-fille. Enfin, Adèle, née en 1072, atteint cinquante ans en 1122, âge relativement avancé pour l’époque médiévale : sa retraite peut s’expliquer par le désir – alors fréquent – d’assurer le salut de son âme à l’approche de la mort183. Toutes ces raisons n’excluent cependant pas une pression de Thibaud pour consolider des liens spirituels et politiques avec une filiale de Cluny – fondée par le parrain de son oncle184-, ni qu’il ait autorisé cette retraite parce qu'elle ne s’opposait pas à ses stratégies politiques.

82Si les parentés définissent des stratégies, les individus disposent d’une petite marge de manœuvre entre les différentes options qui permettent de renforcer les intérêts familiaux. Certains, pour peu qu'ils aient de la personnalité, se montrent capables d’imposer leurs choix face à la petite palette d’alternatives. Les veuves aristocratiques, qui ont bénéficié de l’expérience du pouvoir et acquis une certaine maturité aux côtés de leur mari sont, probablement, mieux armées que lorsqu’elles étaient jeunes filles, pour imposer leurs vues à leur parenté, comme le montrent, par exemple, la Vie de Ségolène (2e moitié du VIIe siècle) ou celle de Rictrude (début du Xe siècle). Il est par ailleurs possible que la veuve d’un puissant seigneur ait disposé d’une liberté plus grande pour organiser son devenir à partir du Xe siècle : la mise en place des lignages et l’association plus étroite de l’épouse au sein du couple lui ont donné une place et une autorité qu’il devient plus difficile de remettre en cause, surtout si elle est dotée d’une forte personnalité, à l’image de la comtesse Berthe ou la duchesse Agnès.

Conclusion

83Après la mort de son mari, la veuve doit respecter un temps de deuil : fixé à un an par la législation romaine, sans limite pour l’Église, exception faite pour l’époque carolingienne qui l’établit à trente jours, il dure souvent plusieurs mois et a une valeur sociale. Si la législation ne fixe aucun délai équivalent pour le veuf, la coutume attend de lui le même respect du deuil. Ce délai vise d'abord a accompagner le conjoint défunt dans son passage dans l’au-delà et à rompre une partie des liens qui attachaient les époux, de manière à ce que le défunt puisse trouver sa place et le survivant retrouver une existence sociale. Il sert ensuite à réfléchir sur ce que doit être l’avenir de la veuve, celui du veuf suscitant moins d’enjeux. Si l’Église se prononce en faveur du veuvage continent, les laïcs, sans exclure cette possibilité qui n’est pas sans intérêt pour les familles, en font une option parmi d’autres. C’est la situation de la veuve – son âge, l’existence d’enfants, leur âge, sa situation sociale, etc. – qui détermine largement les choix qui sont faits. Si les veuves subissent la contrainte des stratégies familiales, il est possible qu’elles aient été parfois associées ou qu'elles se soient imposées, et cela davantage que lorsqu’elles étaient jeunes filles. Parmi les différentes options envisageables pour contribuer à défendre et à renforcer les intérêts de la parentèle, elles choisissent et imposent celle qui leur convient le mieux. Il est probable que la nouvelle autorité dont sont pourvues les épouses aristocratiques à partir du Xe siècle, et notamment celles des chefs de lignages, ait contribué à leur donner plus de poids au sein des parentèles.

Notes

1 L.V. Thomas, « Leçon... », art. cit., p. 36.

2 Ibid., p. 23.

3 S. Lebecq, « Mort et mémoire des rois mérovingiens », (à paraître).

4 Grégoire de Tours, l. VI, c. 34, p. 60.

5 Ibid., l. V, c. 35, p. 346.

6 Ibid, l. III, c. 6, p. 152.

7 Ibid, l. VI, c. 13, p. 30-32.

8 Ibid, l. IV, c. 26, p. 230.

9 Sur la définition de l’inceste au haut Moyen Âge et sa condamnation par l’Église, voir chapitre 6.

10 Sur les différents mariages de Charibert, voir D. Harrison, The age of abbesses and queens, op. cit., p. 98.

11 Vita S. Geretrudis, op. cit., c. 2, p. 455.

12 Sur les modèles de veuvage présentés par l’hagiographie et leur évolution, voir chapitre 4.

13 Vita Eustadiolae, op. cit., c. 3, p. 133.

14 Sur la question du remariage, voir chapitre 6 ; sur celle de la conversion monastique, voir chapitre 4.

15 Voir chapitre 7.

16 Grégoire de Tours, l. X, c. 8, p. 340.

17 MGH, Capit., c. 21, p. 278, repris dans la collection d’Anségise, l. I, c. 96, ibid., p. 408.

18 Concile de Paris (829), l. I, c. 44, MGH Conc. 2.2, p. 638-639.

19 H. Herold, « Der Dreissigste und die rechtsgeschichtliche Bedeutung des Totengedachtnisses », Zeitschrift für Schweizerisches Recht, 57 (1937), cité par J.L. Nelson, « The wary widow », art. cit., p. 91, n. 40.

20 Dt 34, 8, pour Moïse ; Nb 20, 29, pour Aaron.

21 M. Humbert, Le remariage à Rome..., op. cit., p. 384.

22 Lex romana Wisig, l. III, t. VIII, c. 1, p. 84 ; M. Humbert, Le remariage à Rome..., op. cit., p. 378-387 ; F. Pellaton, « La veuve et ses droits... », art. cit., p. 91-92 ; P. L. Reynolds, Marriage in the western church..., op. cit., p. 5. Voir aussi A. Rosambert, La veuve en droit canonique..., op. cit., p. 121-124 et J. Jolly, Des seconds mariages..., op. cit., p. 181.

23 Leges Burg., c. 42, § 2, p. 73 : « si elle veut se remarier, dans l’année qui suit la mort de son précédent mari, qu'elle en ait la libre potestas ».

24 Liber Judiciorum, l. III, t. II, c. 1, p. 133 : « Si une femme se remarie avec un autre moins d’un an après la mort de son mari (...), que les fils nés du premier mariage ou, à défaut, ses autres héritiers (ceux du défunt, fait préciser Ervig) obtiennent, par décision du juge, la moitié de ses biens ».

25 Lois de Liutprand, c. 100, p. 178.

26 Capitulaire de Pavie pro lege tenendum, c. 2, MGH Capit., p. 90. Sur les veuves « victimes » de rapt, voir infra et chapitre 6.

27 Concile d Aenham, c. 19, Mansi, 19, col. 308 : « Que toute veuve (...) persiste dans la continence pendant douze mois, puis qu'elle décide librement, soit de se remarier, soit de persister dans la continence ».

28 C’est le cas du décret de Gratien et de plusieurs décrétales pontificales, voir A. Rosambert, La veuve en droit canonique..., op. cit., p. 124-125.

29 Annales de Saint-Bertin, op. cit., a. 869, p. 167.

30 Ibid, a. 870, p. 169.

31 J.L. Nelson, Charles le Chauve, op. cit., p. 243-246 ; J. Hyam, « Ermentrude and Richildis », art. cit., p. 156-157.

32 Annales Regni Francorum, MGH SS, 1, a. 783, p. 165.

33 Ibid., a. 794, p. 181. Liutgarde devient dès 794 sa concubine, mais elle n’est épousée qu’en 796, voir S. Wemple, Women in frankish society..., op. cit., Annexes, p. 199.

34 Ermengarde succombe le 5 des nones d’octobre (3 octobre) 818. Ce n’est qu’après Noël, rapportent les Annales royales, que Louis convoque une assemblée générale à Aix-la-Chapelle et, après avoir réglé les affaires du royaume, l’empereur, s’étant fait présenter les filles de la plupart des familles nobles, choisit pour femme Judith, fille du comte Welph, Annales Regni Francorum, op. cit., a. 818 et a. 819, p. 205 ; E. Ward, « Caesar’s wife : the career of the empress Judith 819-829 », P. Godman, R. Collins éd., Charlemagne’s heir. New perspectives on the reign of Louis the Pious, Oxford, 1990, p. 207 ; P. Depreux, Prosopographie de l’entourage de Louis le Pieux (781-840), Sigmaringen, 1997, p. 279.

35 J.L. Nelson, Charles le Chauve, op. cit., p. 244.

36 Richer, 1. IV, c. 94 et c. 108, t. II, p. 302-303 et 330-331 ; E Lot, Études sur le règne de Hugues Capet et la fin du Xe siècle, Paris, 1903, p. 178-180 ; C. Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux.... op. cit., p. 50 ; J. Dhondt, « Sept femmes et un trio de rois », Contribution à l’histoire économique et sociale, 3 (1964-1965), p. 42 ; E. Santinelli, « La veuve du prince au tournant de l’an mil : l’exemple de Berthe de Bourgogne », S. Lebecq & alii, Femmes et pouvoirs des femmes..., op. cit., p. 81.

37 Voir chapitre 6.

38 Flodoard, a. 951, p. 132 ; Richer, l. II, c. 101, t. 1, p. 292.

39 Voir chapitre 6.

40 On a vu, plus haut, le cas de la veuve d’Ambroise rapporté par Grégoire de Tours.

41 L.V. Thomas, « Leçon... », art. cit., p. 37.

42 Voir chapitre 4.

43 Vita S. Sadalbergae, op. cit., c. 6, p. 53 (mariée contre son gré) ; c. 9, p. 54 (souhaite se vouer à Dieu) ; c. 12 (prend l’habit religieux).

44 Vita S. Bathildis, op. cit., c. 3, p. 485 (vœux de jeunesse) ; c. 5, p. 487 (mort du roi) ; c. 10, p. 495 (retraite à Chelles).

45 Ronceray, no 64, p. 56 et no 238, p. 152.

46 Chronique de Saint-Maixent, op. cit., p. 118-119 ; Saint-Maixent, no 118, p. 149. Voir A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 225 et p. 258-261 ; J. Verdon, Les femmes dans la société..., op. cit., p. 352-354 ; I. Soulard-Berger, « Agnès de Bourgogne... », art. cit., p. 46-47, p. 50-51, p. 55 ; L. Halphen, Le comté d'Anjou au XIe siècle, Paris, 1906, p. 61-62 ; O. Guillot, Le comte d'Anjou et son entourage au XIe siècle, Paris, 1972, p. 45-46 et p. 77-79.

47 B.L. Venarde, Women’s monasticism..., op. cit., p. 98, donne d’autres exemples de veuves du début du XIIe siècle qui se retirent dans un monastère après avoir passé plusieurs années dans le siècle.

48 Voir chapitre 4.

49 Voir chapitre 6.

50 Mt, 13, 3-8 ; Mc, 4, 3-8 ; Lc, 8, 5-8.

51 Jérôme, Epistolae, op. cit., t. II, no 49, § 2, p. 121. Voir aussi no 123 (ad Geruchiam), § 8, t. 7, p. 83.

52 Ibid., t. II, no 49, § 3, p. 122.

53 P. Lhermite-Leclercq, L'Église et les femmes dans l'Occident chrétien des origines à la fin du Moyen Âge, Paris, 1997, p. 53.

54 Césaire d’Arles, Sermons, éd. et trad. M.J. Delage, Paris, 1978, sermon 6, t. I, p. 332-333.

55 A.M. Helvétius, « Virgo et virago : réflexions sur le pouvoir du voile consacré d’après les sources hagiographiques de la Gaule du Nord », S. Lebecq & alii éd., Femmes et pouvoirs des femmes..., op. cit., p. 193-194.

56 F. Rädie, « Einige Bemerkungen zur Bewertung der Witwenschaft... », art. cit., p. 21-22.

57 Jérôme, Epistolae, op. cit., no 123 (ad Geruchiam), § 10, t. 7, p. 84.

58 B. Jussen, « On Church organisation and the définition of an estate. The idea of Widowood in the late Antique and early medieval christianitaty », Tel Aviver Jahbuch fur deutsche Geschichte, 22 (1993), p. 25-42.

59 P. Lhermite-Leclercq, L'Église et les femmes..., op. cit., p. 53. P.A. Février, « Religiosité traditionnelle et christianisation », J. Le Goff, R. Rémond éd., Histoire de la France religieuse, t. I, Paris, 1988, p. 150, reprenant une description de Victritius de Rouen.

60 R. Metz, La consécration des vierges dans l’Église romaine. Étude d’histoire de la liturgie, Paris, 1954, p. 75.

61 Jonas d’Orléans, De institutione laicali, PL 106, l. II, c. l, col. 169.

62 PL 103, col. 279.

63 Hincmar, De coercendo et extirpando raptu viduarum, puellarum et sanctimonialium, PL 125, c. 18, col. 1031.

64 B.M. Tock, « L’image des veuves... », art. cit., p. 40, n. 15.

65 Vita S. Rictrudis, op. cit., c. 8, col. 837.

66 Vita tertia S. Foillani, AA SS Oct. 13, p. 395.

67 Jean de Fécamp, « Lettre à l’impératrice Agnès », J. Leclercq et J. Bonnes, Un maître de la vie spirituelle au XIe siècle. Jean de Fécamp, Paris, 1946, § 2, p. 212 : « après avoir perdu la palme de la virginité, elle se propose de vivre dorénavant dans la sobriété et la chasteté ». Sur la datation de cette lettre vers 1073-1074, voir T. Struve, « Die Romreise der Kaiserin Agnes », Historisches Jahrbuch, 105 (1985), p. 22-25, suivi par J.M. Sansterre, « Mère du roi, épouse du Christ et Fille de saint Pierre : les dernières années de l’impératrice Agnès de Poitou, entre image et réalité », S. Lebecq & alii, Femmes et pouvoirs des femmes..., op. cit., p. 165. Sur le contexte de cette lettre et les relations entre l’impératrice et Jean de Fécamp, voir M. Parisse, « Des veuves au monastère », art. cit., p. 261-262.

68 C. Casagrande, « La femme gardée », Histoire des femmes, t. 2, p. 93-95.

69 Sur la valorisation constante par l’Église de la virginité et de la chasteté, quel que soit l’état de la femme, voir C. Thiellet, « Quelques aspects de la sainteté féminine... », art. cit., p. 15-21, et plus généralement P. Brown, Le renoncement à la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif trad. fr., Paris, 1995.

70 S.D. White, Custom, kinship and gifts..., op. cit. ; B.H. Rosenwein, To be the Neighbor..., op. cit. ; M. McLaughlin, Consorting with saints..., op. cit.

71 Sur tout ceci, voir chapitre 4.

72 B.L. Venarde, Women's monasticism..op. cit., p. 55.

73 Vita S. Eustadiolae, op. cit., c. 3, p. 133.

74 Jean de Fécamp, « Lettre à l’impératrice Agnès », op. cit., § 2, p. 212.

75 Jérôme, Epistolae, op. cit., no 123 (ad Geruckiam), c. 3, t. 7, p. 75. Même idée no 127 (ad Principiam virginem), c. 2, p. 137.

76 M. Humbert, Le remariage à Rome..., op. cit., p. 155.

77 Guibert de Nogent,, l. I, c. 13, p. 94.

78 Ibid., l. I, c. 12, p. 74.

79 N. Huyghebaert, « Les femmes laïques... », art. cit., p. 351-332.

80 Voir chapitre 4.

81 Vita S. Sadalbergae, op. cit., c. 6, p. 53 et c. 9, p. 54-55.

82 Vita S. Segolena, op. cit., c. 9, p. 632. Voir I. Réal,, « Vie et vita de sainte Ségolène, abbesse du Troclar au VIIe siècle », MA, 150 (1995), p. 394 ; Ead., Vies de saints..., op. cit., p. 192.

83 Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actisprimorum Normaniae ducum, Mémoire de la Société des Antiquaires de Normandie, 33 (1865), p. 193 ; Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum ducum, op. cit., l. III, c. 3, p. 80-81. F. Lot, Études sur le règne de Hugues Capet..., op. cit., p. 398 ; L. Musset, « Actes inédits du XIe siècle (III) », art. cit., p. 28 ; M. Bur, La formation du comté de Champagne.... op. cit., p. 512 ; J. Verdon, Les femmes dans la société..., op. cit., p. 318 ; R Bauduin, La frontière normande au Xe-XIe siècle : origine et maîtrise politique de la frontière sur les confins de la haute Normandie (911-1087), Thèse de doctorat dactylographiée, p. 180.

84 Saint-Père de Chartres, l. III, c. 18, p. 79.

85 Raoul Glaber, p. 216.

86 En 978, pour H. d’Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne, Paris, 1859, p. 135, η. 1 ; entre 974 et 977, pour L. Lex, Eudes, comte de Blois, de Tours, de Chartres et de Meaux (995-1037) et son frère Thibaud (995-1004), Troyes, 1892, p. 18 ; entre 975 et 977, pour A. Chédeville, Chartres et ses campagnes XIe-XIIIe siècles, Paris, 1973, p. 252 ; en 975, pour R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 376.

87 Raoul Glaber, p. 216.

88 Voir chapitre 2.

89 Vita S. Sadalbergae, op. cit., c. 6, p. 53-54 ; c. 9, p. 54-55.

90 Vita S. Rictrudis, op. cit., c. 6, col. 834 ; c. 8 et 9, col. 836-837.

91 Voir chapitre 5.

92 F. Lot, Étude sur le règne de Hugues Capet.... op. cit., p. 178-180 ; E. Santinelli, « La veuve du prince... », art. cit., p. 79.

93 Sur le contexte politique et les rivalités dans la région de la Loire moyenne dans les années 980-990, voir Y. Sassier, Hugues Capet, op. cit., p. 237-262. Sur les raisons du remariage de Berthe, voir E. Santinelli, « La veuve du prince... », art. cit., p. 80-81.

94 Richer, l. IV, c. 108, t. II, p. 330.

95 Grégoire de Tours, Vitae Patrum, MGH SSRM, 1, Patrocle (no 9), § 1, p. 703.

96 Vita et miracula S. Desiderii, op. cit., c. 11, p. 570.

97 I. Réal, Vies de saints..., op. cit., p. 390-391.

98 L’obituaire de la Trinité de Poitiers mentionne aux ides de septembre : Obiit Eustachia monacha, voir Chronique de Saint-Maixent..., op. cit., p. 116-117 ; A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 234.

99 Vie d’Ide de Boulogne, écrite vers 1130, MGH SS 2, p. 369-576, analysée par G. Duby, Le chevalier..., op. cit., p. 1264-1265.

100 Voir chapitres 5 et 9.

101 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 176.

102 G. Duby, « Le mariage dans la société du haut Moyen Âge », art. cit., p. 24-25 ; R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 422-424.

103 Sur l’influence de ces veuves sur leurs fils, voir chapitre 9.

104 Sur les difficultés de ces jeunes adultes, liées notamment à la gestion du patrimoine aristocratique, voir G. Duby, « Les « jeunes » dans la société aristocratique dans la France du nord-ouest au XIIe siècle », Hommes et structures..., op. cit., p. 213-225, rééd. Id., Féodalité, op. cit., p. 1385-1397.

105 A. Richard, Histoire des comtes de Poitiers..., op. cit., p. 169, 177-178, 195-196, 220-237 ; L. Halphen, Le comté d'Anjou..., op. cit., p. 56-57 ; O. Guillot, Le comte d'Anjou..., op. cit., t. I, p. 45-46 et p. 52-53 ; J. Verdon, Les femmes dans la société..., op. cit., p. 352 ; I. Soulard-Berger, « Agnès de Bourgogne... », art. cit., p. 46-48 ; P.D. Johnson, « Agnes of Burgondy... », art. cit., p. 94.

106 J.L. Nelson, « The wary widow », art. cit., p. 110.

107 Sur le rôle d’Hugues le Grand, oncle maternel de Liégearde, dans la conclusion de ce mariage qui lui permet de s’allier à un puissant voisin, Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum ducum, op. cit., l. III, c. 3, p. 80-81. Voir M. Bur, La formation du comté de Champagne..., op. cit., p. 512 ; P. Bauduin, La frontière normande..., op. cit., p. 212 ; Y. Sassier, Hugues Capet, Paris, 1987, p. 131.

108 E. Magnou-Nortier, « Formes féminines de vie consacrée... », art. cit., p. 206.

109 S.D. White, Custom, Kinship andgifts..., op. cit. ; B.H. Rosenwein, To be the neighbor.... op. cit. Thèse reprise par B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 109.

110 Vita S. Geretrudis, op. cit., c. 2, p. 455.

111 J.J. Hoebbanx, L'abbaye de Nivelles..., op. cit., p. 47 ; E. de Moreau, Les abbayes de Belgique, VIIe-XIIe siècles, Bruxelles, 1952, p. 22 ; Marquise de Maillé, Les cryptes de Jouarre, Paris, 1971, p. 36 ; W.K. Werner, « Le rôle de l’aristocratie dans la christianisation du nord-est de la Gaule », RHEF, t. 62, no 168 (janv-juin 1976), p. 66 ; et surtout A. Dierkens, « Saint Amand et la fondation de l’abbaye de Nivelles », Revue du Nord, t. 68, no 269 (avril-juin 1986), p. 325-332.

112 I. Réal, « Vie et vita de sainte Ségolène... », art. cit., p. 397-400.

113 B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 101.

114 MGH, Capit., Chlotharii II. Praeceptio, c. 7, p. 19.

115 Le précepte reprend ici une idée déjà exprimée dans le concile de Paris III (561-562), Conciles mérovingiens, c. 6, t. II, p. 420 : « Que nul ne pense pouvoir se prévaloir de l’autorité royale pour épouser la veuve ou la fille d’autrui sans le consentement de ses parents ». Sur la datation du concile (561-562, contre la datation traditionnelle 556-573), voir O. Pontal, Histoire des conciles mérovingiens, Paris, 1989, p. 151-153.

116 D. Harrison, The age of abbesses and queens..., op. cit., p. 303.

117 Vita S. Sadalbergae, op. cit., c. 6, p. 53-54 et c. 9-10, p. 54-55.

118 G. Duby, Mâle Moyen Âge, op. cit., notamment « Le mariage dans la société du haut Moyen Âge », p. 16.

119 Concile de Paris III (561-562), Conciles mérovingiens, c. 6, t. II, p. 420.

120 Raoul Glaber, p. 216.

121 R. Le Jan, famille et pouvoir..., op. cit., p. 267.

122 Vita Arnulfi, op. cit.

123 G. Duby, Le chevalier..., op. cit., p. 1258-1260 ; P. Lhermite-Leclercq, « L’ordre féodal (XIe-XIIe siècles), Histoire des femmes, t. 2, p. 232.

124 TV, no 6, p. 14-18.

125 O. Guillot, le comte d'Anjou..., op. cit., p. 21-22, 27-28, p. 44 et p. 48-51.

126 B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 101.

127 Grégoire de Tours, l. IV, c. 26, p. 230. Voir chapitre 2.

128 Cité par B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 130.

129 Sur leurs motivations, voir chapitre 2 (pour Gontheuc) et chapitre 9 (pour Brunehilde).

130 J. Verdon, « Les veuves des rois de France aux Xe et XIe siècles », M. Parisse, Veuves et veuvage..., op. cit., p. 187-188 ; M. Parisse, « Des veuves au monastère », art. cit., p. 263. Sur leurs motivations, voir chapitre 6.

131 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 49 ; C. La Rocca, « La reine et ses liens avec les monastères dans le royaume d’Italie », R. Le Jan éd., La royauté et les élites..., op. cit., p. 270. Dans le royaume mérovingien, une tentative pour imposer cette pratique échoue à la fin du VIe siècle : Mérovée, le fils de Chilpéric, espère récupérer le royaume de Sigebert en épousant sa tante Brunehilde, mais il n’obtient pas le soutien de l’aristocratie (Grégoire de Tours, l. V, c. 2, p. 280).

132 Michel Parisse fait le même constat pour la dynastie ottonienne, « Des veuves au monastère », art. cit., p. 263.

133 Concile de Tolède (683), C.J. Hefele, Histoire des conciles..., op. cit., III. 1, p. 548.

134 Voir chapitres 4 et 9.

135 Vita S. Bathildis, op. cit., c. 10, p. 495.

136 J.P. Laporte, « La reine Bathilde ou l’ascension sociale d’une esclave », M. Rouche, J. Heuclin éd., La femme au Moyen Âge, op. cit., p. 157-158. Voir aussi l’analyse de M. Cristiani, « La sainteté féminine », art. cit., p. 419-425.

137 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 179.

138 Concile provincial de Saragosse (691), C.J. Hefele, Histoire des conciles..., op. cit., III. 1, p. 558.

139 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 178-180.

140 Vita S. Chrotildis, op. cit., c. 9, p. 345. Sur les modèles de veuvage présentés par l’hagiographie, voir chapitre 4.

141 P. Stafford, Queens..., op. cit., p. 180.

142 A. Rosambert, La veuve en droit canonique..., op. cit., 147-149 ; J. Jolly, Des seconds mariages..., op. cit., p. 187-195 ; J.C. Bologne, Histoire du mariage..., op. cit., p. 104-106 ; G. Duby, « Le mariage dans la société du haut Moyen Âge », art. cit., p. 25-26.

143 Richer, l. I, c. 11, t. I, p. 28-30.

144 A. Richard, Histoire des comtes du Poitou..., op. cit., p 158-159 et p. 167.

145 Chronique des comtes d'Anjou et des seigneurs d’Amboise, op. cit., p. 99.

146 Ibid, p. 101.

147 Lambert d’Ardres, Histoire des comtes de Guines..., op. cit., c. 98, p. 608.

148 Ibid., c. 99, p. 608.

149 Ibid., c. 103, p. 611.

150 G. Duby, « Remarques sur la littérature généalogique en France aux XIe-XIIe siècle », Hommes et structures..., op. cit., p. 287-298 ; Id., Le souvenir des aïeules, op. cit., p. 181-183.

151 Lambert d’Ardres, Histoire des comtes de Guines..., op. cit., c. 114, p. 615.

152 Cité par J. Jolly, Des seconds mariages..., op. cit., p. 190, et repris par A. Rosambert, La veuve en droit canonique..., op. cit., p. 149, n. 5.

153 L’exemple est donné, en Angleterre, par la Grande Charte de 1215 : Jean sans Terre accorde que les veuves ne soient plus tenues de se remarier, si elles souhaitent vivre sans mari. Mais pour des raisons de sécurité, elles ne doivent pas se remarier sans l’autorisation royale ou celle de leur seigneur, si elles tiennent leur fief d’un autre que lui, cité par J. Jolly, Des seconds mariages..., op. cit., p. 193, et A. Rosambert, La veuve en droit canonique..., op. cit., p. 147, n. 3.

154 On a vu, chapitre 1, que des couples ont appris à s’aimer.

155 Vita S. Segolenae, op. cit., c. 9-11, p. 632.

156 I. Réal, « Vie et vita de sainte Ségolène... », art. cit., p. 397.

157 D. Harrison, The age of abbesses andqueens..., op. cit., p. 221 et p. 303.

158 Vita S. Rictrudis, op. cit., c. 8, col. 836-837. Voir aussi l’analyse d’A.M. Helvétius, « Virgo et virago... », art. cit., p. 202.

159 A.M. Helvétius, « Virgo et virago... », art. cit., p. 192.

160 Voir chapitre 2.

161 Ronceray, no 64, p. 57.

162 Jean de Fécamp, « Lettre à Léon IX », PL, 143, col. 799. Sur la condamnation des mariages consanguins, voir chapitre 6.

163 Flodoard, a. 951, p. 132 ; Richer, l. II, c. 101, p. 292-293 ; M. Lauer, Louis IV d'Outre-Mer, op. cit., p. 220 ; R. Le Jan, « Entre Carolingiens et Ottoniens... », art. cit., p. 35.

164 Guibert de Nogent, l. I, c. 13, p. 92-93. Voir l’analyse de G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1270, et celle de B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 99.

165 Conciles d’Arles II (453), c. 46, Mansi 7, col. 884 ; concile d’Orléans III (538), Conciles mérovingiens, c. 19, p. 247 ; concile de Tours II (567), ibid., c. 21, t. II, p. 368-377 ; de Clichy (626-627), ibid., c. 26, p. 543 ; de Trosly (909), Mansi, 18, c. 8, col. 286-287. Édit de Clotaire II (614), MGH Capit, c. 18, p. 23.

166 Grégoire de Tours, l. IV, c. 26, p. 230 : ses projets sont cependant découverts par l’abbesse et Théodechilde est condamnée à passer le reste de son existence dans le monastère d’Arles.

167 Capitulaire de Louis le Pieux ajouté aux lois (818-819), MGH Capit., c. 4, p. 281 ; Conventus de Savonnières (862), MGH Capit., c. 5, p. 160.

168 Hincmar condamne ceux qui pensent pouvoir obtenir le mariage par le rapt, dans son traité, De coercendo et exstirpendo raptu..., op. cit., c. 4, col. 1020. Voir aussi S. Kalifa, « Singularités matrimoniales chez les anciens Germains : le rapt et le droit de la femme à disposer d’elle-même », RHDFE, 1970, p. 199-225 ; S. Joye, De pacis custodia per conjugium et feminam. Traduction et commentaire du De coercendo et exstirpando raptu viduarum, puellarum ac sanctimonialium d’Hincmar de Reims, Maîtrise dactylographiée préparée sous la direction de M. Parisse, Paris, 1998, p. 56-58.

169 R. Le Jan, Famille et pouvoir..., op. cit., p. 298-302.

170 Annales de Saint-Bertin, op. cit., a. 862, p. 87-88 ; Conventus de Savonnières (862), MGH Capit., c. 5, p. 160 ; Concile de Soissons II (862), Mansi, 15, col. 637-638.

171 J.L. Nelson, Charles le Chauve, op. cit., p. 225-226 ; J. Devisse, Hincmar..., op. cit., p. 436.

172 Grégoire de Tours, l. II, c. 43, p. 140.

173 Vita S. Eustadiolae, op. cit., c. 3, p. 133.

174 Richer, 1. IV, c. 108, t. II, p. 330. Voir E. Santinelli, « La veuve du prince... », art. cit., p. 80.

175 A. Richard, Histoire des comtes de Poitou..., op. cit., p. 225.

176 L. Halphen, Le comté d’Anjou..., op. cit., p. 56-57 ; O. Guillot, Le comte d’Anjou..., op. cit., p. 45-46 ; I. Soulard-Berger, « Agnès de Bourgogne... », art. cit., p. 46-47.

177 Chronique de Saint-Maixent, op. cit., p. 118.

178 Guibert de Nogent, l. I, c. 13-14, p. 94-101.

179 Ibid., l. I, c. 14, p. 100-101.

180 Ibid., l. I, c. 14, p. 100-101 et l. II, c. 4, p. 244-245. Voir B.L. Venarde, Women’s monasticism..., op. cit., p. 102 ; G. Duby, Le chevalier,.... op. cit., p. 1271-1272.

181 J. Richard, Cartulaire de Marcigny, op. cit., no 109, p. 79-80. Voir B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 130.

182 Voir chapitre 9.

183 B.L. Venarde, Women's monasticism..., op. cit., p. 98.

184 K. Loprete, « Adela of Blois... », art. cit., p. 40.

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