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    Presses universitaires du Septentrion
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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral 1. Bismarck et l’Europe des États 2. Un fédéraliste pragmatique : Julius Frobel (1805-1893) 3. Un fédéraliste catholique : J.-E. Jörg 4. Le fédéralisme chrétien et germanique de K. Frantz 5. L’Europe des juristes 6. L’Europe des pacifistes 7. L’Europe des socialistes 8. L’Europe des économistes Notes de bas de page

    Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950)

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre V. L’idée d’Europe à l’époque bismarckienne

    p. 91-146

    Texte intégral 1. Bismarck et l’Europe des États 2. Un fédéraliste pragmatique : Julius Frobel (1805-1893) 3. Un fédéraliste catholique : J.-E. Jörg 4. Le fédéralisme chrétien et germanique de K. Frantz 5. L’Europe des juristes 6. L’Europe des pacifistes Le pacifisme républicain et la « Ligue internationale de la paix et de la liberté » Le pacifisme « intégral » d’Eduard Löwenthal « La Paix en Europe » d’Eugen Schlief 7. L’Europe des socialistes Johann Philipp Becker et la « République social-démocratique des Etats-Unis d’Europe » Marx-Engels : l’Europe et la révolution mondiale 8. L’Europe des économistes Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Au milieu du xixe siècle, le concept national s’impose de plus en plus face à l’idée européenne, avec cette particularité essentielle sur laquelle il faut insister : ces deux termes ne sont pas antinomiques, ils se complètent. Ainsi pensent non seulement les libéraux, mais aussi des auteurs d’orientation philosophique et politique différente, chez qui l’idée d’Europe se teinte fortement de nationalisme. Le mythe d’une mission spécifique du germanisme n’est d’ailleurs pas le seul en Europe. Un certain nombre de peuples prétendent alors être investis d’une vocation particulière, cherchant ainsi à affirmer ou à définir leur identité.

    2L’échec du Parlement de Francfort est dû surtout à l’impossibilité de délimiter et de préciser les contours d’un État viable au centre du continent. Il n’est pas dans notre propos de traiter des problèmes extrêmement complexes de l’unification allemande, et nous nous bornerons à les évoquer dans la mesure où ils ont eu des implications européennes.

    3Au milieu du siècle, la question allemande et l’idée européenne n’échappent par ailleurs ni l’une ni l’autre aux transformations philosophiques, économiques et sociales du monde moderne, dont les structures politiques s’effondrent en une vingtaine d’années, de 1848 à 1870, passant de la domination autrichienne à la prédominance de la Prusse.

    4La guerre de Crimée (1854-1856), la guerre d’Italie (1859), la guerre austro-prussienne (1866) sont les crises qui provoquent la disparition de la Confédération Germanique créée par le Congrès de Vienne, et à laquelle succédera l’Empire bismarckien.

    5Parallèlement à ces mutations, l’Allemagne s’ouvre à la révolution industrielle, au libéralisme économique et à la Realpolitik. L’Allemagne des « poètes et des penseurs » décrite par Mme de Staël s’efface progressivement devant les idées modernes.

    6On assiste par conséquent, à partir du milieu du siècle, à la confrontation entre l’idée d’Europe, ou plutôt les diverses formes de l’idée d’Europe, et un univers politique, économique, intellectuel et idéologique en rapide mutation, un univers marqué en particulier par la constitution d’un État national allemand au centre du continent, et en conséquence par un changement radical des données de la politique européenne.

    7Nous n’entrerons pas ici dans le détail des controverses qui ont divisé les porte-parole de l’opinion publique au sujet du principe national entre 1848 et 1870. Les historiens distinguent parmi eux deux groupes, l’un « petit-allemand », l’autre « grand-allemand » sans que cette schématisation corresponde toujours à l’exacte réalité.

    8Ramenée à un commun dénominateur, la pensée politique des auteurs « Kleindeutsch » suppose au centre de l’Europe un État allemand bien circonscrit et groupé autour de la Prusse, tandis que celle des « Grossdeutsche » favorable à l’Autriche reste fidèle aux tendances universalistes de l’esprit germanique.

    9Ces conflits d’opinion se compliquent d’une autre dispute concernant le système politique à appliquer pour l’unification des pays de langue allemande : le débat tourne autour du fédéralisme et de l’unitarisme, problème concernant également la construction européenne. Rappelons que c’est dans les années 1860 que Proudhon fait en France la théorie du fédéralisme.

    10Le problème du fédéralisme a été soulevé au Parlement de Francfort et l’idée fédéraliste a inspiré à peu près toutes les tentatives de réforme de la Confédération germanique entre 1849 et 1866.

    11On peut affirmer que, dans son ensemble, le mouvement national a été largement favorable à une solution fédérative de la question allemande. La polémique entre les partisans du fédéralisme et leurs adversaires a été illustrée en particulier par les historiens G.-G. Gervinus (1805-1871), libéral avancé et républicain, et H. von Treitschke, monarchiste, antidémocrate et probismarckien. Dans son Introduction à l’histoire du xixe siècle (Einleitung in die Geschichte des 19. Jahrhunderts, 1853), Gervinus prend résolument parti pour l’esprit des Lumières, les forces du progrès, le libéralisme occidental et la fédéralisation de l’Europe autour d’une fédération allemande. Treitschke, partisan fervent de la « Petite Allemagne », s’oppose dans État fédéral et État unitaire (Bundesstaat und Einheitsstaat, 1864) aux théories de Gervinus, qui « prétend vraiment faire régresser l’histoire des peuples modernes jusqu’au point d où elle est partie il y a mille ans. Et tout ceci simplement parce qu’on s’imagine que seule la fédération unit les avantages des grands et des petits États. »1 Treitschke estime que les modèles suisse et américain ne sont applicables ni à l’Allemagne ni à l’Europe.

    12Une autre polémique d’importance a concerné l’idée essentielle de « Reich ». Elle s’est déroulée également entre historiens « Kleindeutsch » et « Grossdeutsch », notamment entre H. von Sybel, le fondateur de la Historische Zeitschrift, et J. Ficker (1826-1902), d’origine hanovrienne et professeur à Innsbruck. Le premier, dans La nation allemande et l’Empire (Die deutsche Nation und das Kaiserreich, 1861), met l’accent sur les divergences nationales, sur l’évolution séparée des nations européennes et rejette toute éventualité d’un nouveau Reich qui serait « un décalque de la vieille idée impériale dans le pire des styles. »2 Le second, dans L’Empire allemand et ses implications universelles et nationales (Das deutsche Kaiserreich in seinen universalen und nationalen Beziehungen, 1861) estime que l’Allemagne doit rester fidèle à sa vocation fédératrice de l’Europe centrale, comme le fut le Saint-Empire.

    13Il est clair que ces polémiques des années 1850 et 1860 entre fédéralistes et anti-fédéralistes, « Grossdeutsche » et « Kleindeutsche », sont toutes centrées sur un thème : le principe national. Les controverses sur l’idée nationale, sur l’identité allemande sont extraordinairement complexes et confuses. On évoque alors, non seulement en Allemagne mais partout en Europe, les critères les plus variés, les plus flous pour déterminer les nationalités.

    14Bruno Bauer (1809-1882), philosophe et historien, disciple de Hegel comme Marx, qui attaqua violemment ses écrits, résume en 1854 la question allemande, dont il dit qu’elle est « une énigme non résolue ». Dans son opuscule Russie et Angleterre (Russland und England), il exprime bien le caractère hautement problématique du sentiment national allemand, écartelé entre des tendances contradictoires3.

    15En vérité, s’il nous est permis de schématiser quelque peu les divergences d’opinion qui opposent les partisans et les adversaires du sentiment national, il apparaît que les premiers s’inscrivent en faux contre le conservatisme traditionaliste du système de 1815 et considèrent que le développement des grands États nationaux va dans le sens de l’histoire, et que les seconds tiennent une pareille révolution pour un danger majeur de balkanisation de l’Europe centrale, voire de toute l’Europe. Cela dit, les uns et les autres sont loin de donner des réponses univoques à ces questions. Ils ne surmontent que rarement les ambiguïtés des notions linguistiques, ethniques, historiques, culturelles, idéologiques qui sont censées fonder la nationalité. Ils s’illusionnent les uns et les autres sur les avantages que pourrait tirer l’Europe de l’application ou de la non-application du principe national au centre du continent. L’une des principales illusions fut celle des partisans des États-Unis d’Europe, qui croyaient à une confédération des peuples enfin émancipés et constitués en États nationaux. Une autre utopie fut celle des tenants de la « Petite Allemagne », intimement convaincus que le processus de regroupement en grands blocs nationaux était inscrit dans la géographie et dans l’histoire et qu’il assurerait la paix de l’Europe plus sûrement que les traités diplomatiques et les mouvements pacifistes. Les articles publiés à partir de 1865 dans les Preussische Jahrbücher, revue dirigée par Treitschke, sont à cet égard éloquents4.

    16Il faut enfin mentionner dans ce contexte l’opposition radicale qui a divisé l’Europe entre principe national occidental et principe national herdérien. Le premier, né de la Révolution française, se réfère à la notion d’Etat et d’appartenance politique. Le second ressortit au concept herdérien de génie populaire, de communauté de langue, de culture, de caractère. Or c’est ce concept de « peuple » (Volk) qui a trouvé l’écho le plus grand en Europe centrale et orientale, en particulier chez les Allemands. D’où la profonde scission qui a dès lors séparé la pensée politique occidentale et les peuples du centre et de l’Est du continent. Entre la France et l’Allemagne s’instaure désormais un dialogue de sourds, un malentendu reposant sur les ambiguïtés du concept national. La polémique sur l’annexion de l’Alsace-Lorraine est révélatrice de l’abîme qui sépare dorénavant la conception de la nation vue comme collectivité de citoyens, et la notion organiciste du peuple « jeune », dynamique, créant lui-même ses valeurs, réalisant en Europe un ordre nouveau. Bien rares furent les voix qui s’élevèrent en Allemagne contre les excès du nationalisme et pour le respect de l’autodétermination des peuples. Seuls quelques esprits lucides, parmi lesquels les sociaux-démocrates et les « Bons Européens » comme J. Burckhardt et F. Nietzsche pressentirent les périls qui menaçaient l’avenir.

    17Citons, pour terminer ce préambule à l’étude de l’idée européenne à l’époque bismarckienne, trois auteurs assez typiques de cette période de formation du sentiment national.

    18Le premier, Wolfgang Menzel, publie, entre la Fête de Hambach et la Révolution de 1848, Europa im Jahr 1840, où il passe en revue les nations et fait l’éloge du nationalisme. Il critique la politique de Gentz, qui a refusé en 1814 le retour de l’Alsace à l’Allemagne, et, à l’instar de List, il considère la Hollande, la Belgique et la Suisse comme devant naturellement faire partie d’un ensemble germanique5.

    19Le second, Karl Gutzkow, rédige en 1848 un écrit assez nuancé dans lequel il dépeint non seulement les qualités, mais aussi les faiblesses du caractère national allemand. Nous en extrayons ce passage :

    « Coincés entre les peuples latins et slaves, nous voulons être forcés de concentrer enfin une fois pour toutes la totalité de notre puissance germanique et de devenir véritablement par l’action ce que nous sommes présentement à Francfort par le seul moyen d’un mécanisme artificiel... »6

    20Le troisième écrit, Deutschland und die abendländische Zivilisation (L’Allemagne et la civilisation occidentale) de Gustav Diezel, est un manifeste antifrançais, anticatholique et antirusse, dans lequel l’auteur fait l’apologie des pays protestants. Ceux-ci, en effet, représenteraient mieux que la France étatiste, révolutionnaire et décadente les valeurs de la civilisation européenne, à savoir la liberté individuelle et la liberté d’entreprise. Diezel déduit de ses analyses que seule l’union de la nation allemande peut sauver la civilisation en péril :

    « Le progrès futur de la civilisation sur le continent dépend de la constitution de la nation allemande. »7

    1. Bismarck et l’Europe des États

    21Face aux exaltations nationalistes que nous venons d’évoquer, Bismarck impose sa « Realpolitik » et remplace l’ancien système de Metternich par un système plus conforme à la réalité de l’Europe des nationalités.

    22Il n’existe pas, pour le Chancelier de fer, de prédestination allemande. Il ne construit pas l’avenir selon des rêves plus ou moins fantasmagoriques, mais selon la froide raison d’Etat. Il est conscient que l’application intégrale du principe national au « Deutschtum » romprait l’équilibre européen et serait source de conflits incessants. S’il a fait pendant un temps cause commune avec les aspirations populaires à un État national, il ne s’est jamais laissé déborder par les utopies pangermanistes.

    23De par ses origines et sa formation, Bismarck était lié aux traditions de la politique et de la diplomatie européennes. Il connaissait par expérience le « concert européen », le monde des chancelleries dont il fallait respecter les lois. Son sens aigu du concret, son pragmatisme le rapprochent plus de la diplomatie de cabinet que des dictateurs du xxe siècle8.

    24L’Europe, pour Bismarck, n’est pas une autorité morale, pas plus qu’un pouvoir juridique supérieur aux Etats. Il le dit et le répète aux hommes d’Etat, en particulier à ceux qui évoquent une éventuelle intervention des pays neutres dans le conflit franco-allemand de 1870-1871. Pour Bismarck, le terme d’Europe n’est la plupart du temps que le masque de l’égoïsme national. Citons ces lignes dictées à son fils Herbert en 1876 :

    « J’ai toujours entendu le mot d’« Europe » prononcé par ces hommes politiques qui exigeaient d’autres puissances quelque chose qu’ils n’osaient pas revendiquer en leur nom propre... »9

    25La primauté absolue de la raison d’État interdisait au Chancelier d’envisager l’Europe sous la forme d’une unité politique. Il voyait dans l’idée des États-Unis d’Europe l’expression de l’idéologie démocratique, et une imitation des États-Unis d’Amérique envers lesquels il a toujours été très réservé. Bismarck repousse avec force toute « fiction » qui tendrait à faire apparaître le continent comme une « sorte de fédération »10. L’idée de fédération européenne n’est pour lui qu’un rêve de visionnaires, une utopie de songe-creux. Par ailleurs il rejette, comme toute forme d’abstraction, tout idéal d’universalisme chrétien, même si des bases religieuses sont pour lui une garantie de stabilité. Pour Bismarck, chrétienté et Europe ne coïncident pas, ce qui le différencie des romantiques, des conservateurs prussiens et des fédéralistes chrétiens.

    26Le Realpolitiker n’est aucunement un idéologue, mais un homme d’État conditionné par une expérience diplomatique, des traditions sociales, des convictions politiques, une culture personnelle. L’Europe est tout d’abord pour lui une « notion géographique », comme il l’écrit en 1876 dans sa correspondance avec le diplomate russe Gortchakov. Dans ce cadre continental, l’Europe est aussi un ordre politique imposant ses réalités et la loi impérative de l’équilibre. C’est pourquoi, après l’unification allemande, le Chancelier s’attache à éviter les aventures et à maintenir la paix, au besoin par le système de la réciprocité des intérêts étatiques. C’est ainsi que Bismarck, même s’il n’écarte pas le danger panslaviste, applique envers la Russie une politique d’échange de bons procédés et intègre, comme Metternich, Ranke et d’autres, l’Empire tsariste à son système politique. L’Europe bismarckienne est en effet essentiellement une Europe monarchique, fondement de l’ordre social contre la subversion révolutionnaire :

    « La révolution européenne est solidaire dans tous les pays », s’exclame le Chancelier en février 186311.

    27Dans ces conditions, peut-on affirmer comme certains que Bismarck « prépare de longue main et parvient à construire une Europe allemande » qui serait à la fois « inorganique » et « conservatrice » ?12

    28Que l’Europe bismarckienne soit conservatrice comme celle de Metternich, du moins à certains points de vue, c’est l’évidence même. Elle est aussi inorganique dans la mesure où aucun projet d’ensemble n’en assure la cohésion. Après Bismarck, rien n’empêchera plus le choc des forces antagonistes. Mais s’il a été l’ordonnateur de l’équilibre des États, il ne semble pas avoir voulu imposer un ordre « organique » à partir d’une domination « grand-allemande » de l’Europe centrale, comme ont prétendu le montrer certains auteurs à l’époque du Troisième Reich13.

    29C’est que le Chancelier de fer a une conscience très vive de la situation centrale de son pays et des impératifs de l’équilibre européen. Obsédé par le « cauchemar des coalitions » autant que par celui des révolutions, il s’ingénie à prouver que l’Allemagne veut la paix et à poursuivre le but qu’il s’est fixé : bâtir au cœur du continent « une puissance qui, sans être elle-même conquérante, soit assez forte pour interdire la guerre à ses voisins »14.

    30Bismarck pratique donc une « politique du milieu », politique active qui se distingue de celle de la Restauration et du système de balance traditionnel par le renforcement de la partie médiane et l’édification d’un ensemble de forces que l’on a très justement comparé à une cathédrale gothique.

    31La conception bismarckienne de l’équilibre des États était cependant condamnée à disparaître avec Bismarck. L’Europe des États portait en elle sa propre ruine, comme la suite de l’histoire devait le démontrer.

    2. Un fédéraliste pragmatique : Julius Frobel (1805-1893)

    32Dans l’Allemagne bismarckienne, toute idée de confédération européenne est repoussée sine die, ce qui n’empêche pas certains auteurs de tracer les contours d’une communauté politique, économique, juridique qui peut revêtir les formes les plus diverses.

    33Le fédéralisme continue alors à s’imposer comme le principe d’organisation le plus adéquat. Il inspire les projets d’hommes très différents quant à leurs tendances idéologiques, entre autres J. Frobel et K. Frantz.

    34J. Frobel, dont l’œuvre est à peu près tombée dans l’oubli, a joué à l’époque bismarckienne un rôle assez considérable comme théoricien du fédéralisme et comme écrivain politique engagé dans les débats sur l’unification allemande. Sa carrière mouvementée l’a amené à côtoyer nombre de personnalités connues, ce qui peut expliquer son absence de dogmatisme.

    35Nous ne pouvons entrer ici dans le détail de son itinéraire personnel15. Neveu du pédagogue thuringien Friedrich Frobel, il devient après 1830 citoyen de Zurich, où il dirige le journal libéral Der Schweizerische Republikaner. Ses idées progressistes lui valent l’hostilité des conservateurs. Il doit quitter la Suisse pour Dresde, où il rencontre R. Wagner à la veille de la Révolution de 1848. Élu député démocrate au Parlement de Francfort, il est envoyé avec R. Blum à Vienne en octobre 1848, participe à la Révolution de Bade en 1849, se réfugie en Suisse, puis aux États-Unis, où il reste jusqu’en 1857. Revenu en Europe, il devient l’homme de confiance du gouvernement de Vienne, puis défend l’idée d’une organisation triadique autour des Etats de l’Allemagne moyenne. Après 1866, la victoire de la Prusse sur l’Autriche précipite le ralliement de Frobel à la cause bismarckienne. Après 1871, il quitte Munich, où il dirigeait la Süddeutsche Presse, pour Berlin. Bismarck lui confie alors des postes diplomatiques dans les pays musulmans. Il passera les dernières années de sa vie à Zurich.

    36Frobel fait donc partie de ces hommes de gauche qui, après l’échec de la Révolution de 1848, ont dévié vers la Realpolitik. Son expérience de l’Amérique a joué ici un rôle décisif. Elle s’exprime en particulier dans l’écrit L’Amérique, l’Europe et les points de vue politiques du présent (1858), où l’auteur analyse les rapports du Nouveau Monde avec l’Ancien Continent. Il est l’un des premiers intellectuels allemands à rivaliser sur ce point avec Tocqueville et à prédire que l’Europe sera tôt ou tard encadrée par l’Amérique et la Russie. A-t-il lu le fameux parallèle tracé par Tocqueville à la fin de son ouvrage sur La démocratie en Amérique ? Nous l’ignorons. Toujours est-il qu’il se livre, dans l’ouvrage cité plus haut, aux considérations suivantes : l’Europe occidentale, civilisée, « historique » au sens hégélien du terme, cette Europe qui représente la « culture idéale » saura-t-elle prendre conscience de sa nouvelle situation face aux pays du réalisme et de l’utilitarisme, à savoir « l’Ouest américain et l’Est russe » ? La Russie, écrit Fröbel dans Theorie der Politik (Theorie de la politique), est une « Amérique inversée » et les États-Unis une « Russie républicaine »16.

    37Il note dès son séjour en Amérique que les États-Unis s’éloignent progressivement de l’esprit européen abstrait et théorique pour représenter l’esprit de l’avenir, réaliste et pragmatique. Et dès cette époque, il remarque lors de la guerre de Crimée des translations de forces, des mutations dans l’équilibre des puissances présageant l’apparition d’une « triade » mondiale dans laquelle l’Europe constituerait le centre de gravité17.

    38En d’autres termes, l’Europe résume le dualisme mondial, et en son milieu l’Europe centrale est « pour l’Europe ce que l’Europe est pour la politique mondiale : le point central et par là le champ de bataille des extrêmes »18.

    39Vision prophétique, anticipant de près d’un siècle le partage de Yalta. Mais par ailleurs les considérations de Fröbel sur l’avenir européen, comme celles de beaucoup de ses contemporains, n’échappent pas au dilemme suivant : foi en la mission providentielle de l’Europe d’une part, conviction de sa relativité croissante d’autre part. Dans les années 1870, il prône le colonialisme le plus brutal tout en considérant la perte des colonies comme un phénomène inévitable. Il n’écarte pas l’hypothèse d’une colonisation de l’Angleterre par les Américains19.

    40Dès 1852, Fröbel écrit dans un article intitulé Die Zukunft Europas vom Standpunkt des Flüchtlings (L’avenir de l’Europe vu par un réfugié) et paru dans la New Yorker Allgemeine Zeitung :

    « L’état actuel de l’Europe est un grand point d’interrogation à la dernière page du livre de l’Histoire »20.

    41Le séjour américain agit comme un révélateur. Le réfugié prend conscience du fait que l’avenir appartiendra aux peuples réalistes et aux vastes espaces. La perspective de la politique mondiale lui fait comprendre la nécessité pour l’Europe de surmonter ses particularismes. Fröbel en vient à condamner le principe national, qu’il estime être une aberration de doctrinaires, « un poison qui menace de désagréger toute vivante l’Europe occidentale »21.

    42Dans les années 1850, il a donc fait table rase des axiomes de 1848. Il est désormais convaincu que si l’Europe veut assumer sa « mission civilisatrice particulière et constante »22 elle ne pourra le faire que par la fusion progressive des esprits, notamment de l’esprit allemand et de l’esprit français créant ensemble un « réalisme moderne tourné vers l’intérieur ». Un dosage équilibré d’idéalisme et de réalisme assurera une organisation collective où chaque pays concourra à représenter l’ensemble.

    43Nous voici parvenus au cœur de l’idée européenne de Fröbel, dont l’expression la plus frappante est sans doute celle-ci :

    « Les Etats de l’Europe occidentale ne peuvent plus apparaître dans la pénombre de l’avenir que comme les cantons d’une grande confédération (die Kantone einer grossen Eidgenossenschaft) ».23

    44Le terme de « Eidgenossenschaft », qui se réfère évidemment au passé suisse de Fröbel, nous amène à nous intéresser de plus près au fédéralisme fröbélien. Ses conceptions ont évolué avec le temps. Elles remontent à 1848 et au petit écrit Vienne, l’Allemagne et l’Europe (Wien, Deutschland und Europa), où l’auteur propose de réunir dans la capitale autrichienne un vaste congrès des nations libres et où il propose la création d’une confédération de style helvétique, démocratique mais centrée sur les Etats germaniques. Ce petit opuscule est une illustration de l’idéologie fédérative des démocrates de l’époque. Le fédéralisme y est conçu, dans l’esprit kantien, comme processus de rassemblement des peuples autour d’une nation libre24. D’autre part, Fröbel propose deux modèles : la Suisse et les États-Unis d’Amérique.

    45Par la suite, le modèle américain semble bien prendre le pas sur l’exemple helvétique. Dans les années 1860, l’auteur de Theorie der Politik voit dans les USA la première réalisation intégrale du système fédératif, lequel pourrait, estime-t-il, également s’appliquer à l’Europe monarchique25. Sur ce dernier point Fröbel est en complet désaccord avec nombre de ses contemporains, en particulier avec le juriste J.-C. Bluntschli, dont nous nous proposons d’analyser plus loin le projet d’« Organisation de l’union des Etats européens » (1878).

    46C’est que l’évolution de Fröbel vers le réalisme l’incite à souligner désormais non plus la notion de démocratie fédérale, mais celle de souveraineté et de puissance des Etats. Les Etats étant dorénavant pour lui des données fondamentales de la politique, il s’oppose à l’idée d’un Etat universel.

    47Quant au concept d’« États-Unis d’Europe », le ralliement de Fröbel au Reich bismarckien prouve assez que ses positions se sont éloignées de celles des démocrates et des pacifistes héritiers de 1848. Toutefois il paraît bien ne pas avoir complètement rompu avec ses idéaux de démocrate-révolutionnaire dans la mesure où il considère que la conception d’une fédération européenne exprime « un besoin inhérent à l’histoire de notre civilisation, qui ne peut être ignoré de la grande politique »26.

    48Et même s’il dit n’employer la formule d’« États-Unis d’Europe » que pour sa concision, il rend compte en 1867, dans la Süddeutsche Presse, des travaux de la « Ligue internationale de la paix et de la liberté », réunie à Genève avec beaucoup d’impartialité. Il tient les efforts de ses anciens compagnons de lutte pour généreux bien qu’illusoires.

    49Fröbel est devenu conscient du fait que, pour construire une fédération, il faut une puissance directrice susceptible d’actions concrètes. Le problème est de savoir quel pays peut jouer ce rôle de fédérateur. Fröbel a songé d’abord à la France, mais dans les années 1860 une Allemagne fédérativement unifiée lui semble préférable à un Etat centralisé. Dans sa Théorie de la politique, il réfléchit au nouvel équilibre européen, voire mondial, et il conclut à une inévitable translation du centre de gravité européen vers l’Est. D’où l’importance croissante du lien entre question allemande et construction européenne. Fröbel préconise alors un aménagement de la Confédération germanique au centre d’une « Mitteleuropa » qui deviendrait elle-même le noyau d’une confédération européenne27.

    50Dans les années 1860, l’auteur de la Théorie de la politique est proche de la pensée européenne et fédéraliste de K. Frantz, glorificateur du Saint-Empire et de l’idée de Reich, qui vient de publier en 1859 ses Recherches sur l’équilibre européen (Untersuchungen über das europäische Gleichgewicht).

    51Fröbel est avec R. Wagner un des rares Allemands à rendre hommage à Frantz, dans ses Forderungen der deutschen Politik. Ein Brief an den Verfasser der « Untersuchungen über das europäische Gleichgewicht28 » L’identité de vues des deux écrivains politiques est alors telle que l’on pourrait fort bien attribuer à Frantz cette phrase de Fröbel :

    « Tout Reich... est une sorte de fédération et toute fédération mérite le nom de Reich. »29

    52Pour l’un et l’autre, le fédéralisme est plus créateur, plus fécond, plus garant de la tradition et plus porteur d’avenir qu’un centralisme purement « mécanique ». C’est pourquoi Fröbel est resté jusqu’à la veille de la guerre de 1870 fidèle à l’Autriche et à l’idée « Grossdeutsch ». Son ralliement final à la « Realpolitik » et à l’Empire bismarckien, dernier avatar de son évolution idéologique, le sépare radicalement de Frantz, comme nous le verrons par la suite. Ce changement de cap, cette conversion à l’État dynastique comme bastion de l’ordre et pilier de la nouvelle triade mondiale sont-ils les raisons de l’indifférence relative dont souffre son œuvre ? Fröbel n’a certes pas échafaudé de projets d’union. Il ne cite jamais les projets irénistes du passé, pas même Kant, auquel il emprunte pourtant le principe de cristallisation progressive autour d’un noyau fédérateur. Le réalisme fröbélien tend à faire abstraction de tout dogmatisme, ce qui n’est sans doute pas dénué d’intérêt pour la construction de l’Europe actuelle.

    53Même si Fröbel n’a pas eu le génie de définir un fédéralisme vraiment novateur, il a été l’un des rares Allemands à déceler les signes de la relativité de l’Europe, à proclamer la nécessité de créer une Europe européenne reposant sur la communauté de civilisation et l’originalité d’un type nouveau de société.

    54L’organisation fédérative de ce continent ne peut surgir que de son génie spécifique. Tel est finalement le message essentiel de Fröbel.

    3. Un fédéraliste catholique : J.-E. Jörg

    55Si Fröbel s’est rallié à l’Europe des États après avoir milité pour l’Europe de la Raison, nous retrouvons avec Jörg et Frantz l’Europe de la Foi, caractéristique de la pensée romantique.

    56Le premier des deux, né en 1819 et mort en 1901, est resté fidèle à sa patrie bavaroise. Contrairement à Fröbel, il est resté toute sa vie très critique envers l’œuvre bismarckienne, d’autant plus qu’il était chef de la « Bayerische demokratische Volkspartei », puis député du « Zentrum » au Reichstag. Il prend en outre une importance particulière en tant que rédacteur en chef de la revue catholique d’extrême-droite, fondée par Joseph Gorres en 1832 à Munich, les Feuilles historico-politiques pour l’Allemagne catholique (Historisch-politische Blätter für das katholische Deutschland). Il y commente pendant un demi-siècle les événements, avertit et exhorte l’Europe, prophétise et vaticine sur la crise de la société bourgeoise ébranlée par les « idées modernes » et minée par les internationales révolutionnaires.

    57A ces périls s’ajoutent, cela va de soi, le principe national, fourrier de la démocratie socialiste, négation du droit, « péché originel personnifié », et, après 1870, le danger du regroupement des peuples en grands blocs ethniques. Cette dénonciation du panslavisme, du pangermanisme, du panlatinisme n’est d’ailleurs pas propre à la revue munichoise.

    58Les crises et les catastrophes, l’éclatement du système européen traditionnel en nations, en classes, en races, ne sont, pour Jörg et ses collaborateurs, que les manifestations multiples d’un mal plus profond : la déchristianisation.

    59En présentant l’histoire de l’Allemagne depuis la Renaissance comme celle de la corruption du christianisme germanique, les catholiques bavarois reprennent une idée chère aux romantiques et amplifiée par K. Frantz. La nostalgie constante de la restauration d’une unité perdue fait en effet de Jörg un fidèle émule du romantisme, avec toutefois un pessimisme foncier qui s’exhale jusqu’à la fin du siècle en tableaux apocalyptiques.

    60Il est cependant un autre aspect de la pensée européenne de Jörg qui est plus intéressant pour notre propos que cette analyse de la désagrégation de l’Europe historique : c’est dans ses méditations sur la relativité grandissante de notre continent qu’il se révèle le plus original.

    61Il est avec J. Fröbel l’un des premiers en Allemagne à avoir clamé l’avènement de la politique mondiale, et cela dès 1853. Il s’exprime alors en deux formules lapidaires :

    « C’est du dedans qu’est menacée la civilisation romano-germanique » (Von innen droht der romanisch-germanischen Zivilisation die Gefahr)
    « Les questions européennes deviennent des questions mondiales. » (Die europäischen Fragen werden Weltfragen)30

    62Avenir problématique que celui de l’Europe prise entre la révolution socialiste russe et l’hégémonie libérale nord-américaine. Dès la guerre de Crimée, Jörg entrevoit la « finis Germanorum et Romanorum » entre les deux mâchoires d’un gigantesque étau, le « double-moulin européen » (die europâische Zwickmühle). Il note, comme Fröbel à la même époque, qu’il existe de naturelles et mutuelles sympathies entre les futurs « Deux Grands », même si chacun des deux vise à l’hégémonie mondiale31.

    63Tous les événements politiques de l’époque, de la guerre de Crimée à la guerre franco-prussienne de 1870, le confirment dans ses sombres prédictions. Il ne ménage ni Napoléon III, ni Bismarck, ni le libéralisme et le protestantisme anglo-saxons, ni le despotisme russe et le panslavisme, véhicule de la révolution sociale.

    64Que propose Jörg pour restaurer l’unité de l’Occident européen et lui éviter la balkanisation, les bouleversements révolutionnaires, les guerres nationales et raciales, l’assujettissement aux futures puissances mondiales ? La croisade soit contre la Russie, soit contre la Turquie, idée courante non seulement dans les publications des conservateurs, mais aussi dans celles des libéraux. Nous verrons que le protestant K. Frantz rejoint sur ce point le catholique Jörg. Celui-ci a-t-il vraiment cru à la possibilité de restaurer l’ordre chrétien par le moyen de grandes entreprises communes de colonisation ? En fait, il mettait comme condition première à ce projet une Allemagne conservatrice, pluraliste et confédérale comme centre de gravité de l’Europe, mais le spectacle qui s’offrait à lui à la fin de l’ère bismarckienne n’était pas fait pour le rasséréner.

    « L’image des Etats-Unis du continent s’estompe dans des lointains nébuleux. », écrit-il en 188 632.

    65Jörg a le sinistre pressentiment d’avoir prêché dans le désert. Son rêve d’un Reich pacifique parce que fédératif, chrétien et germanique, placé sous l’égide de l’Autriche et de l’Église catholique était un anachronisme.

    4. Le fédéralisme chrétien et germanique de K. Frantz

    66Les reproches véhéments que Jörg adresse à la politique bismarckienne constituent l’essentiel du réquisitoire de K. Frantz, le publiciste le plus fécond de tendance « Grossdeutsch », proche aussi de Fröbel par sa pensée fédéraliste, mais resté constamment hostile à l’Allemagne bismarckienne.

    67Né en 1817 dans la région du Harz, fils de pasteur, élève de Ranke et de Schelling à Berlin, Frantz voyage dans les années 1840 à travers l’Europe centrale, rencontre Metternich et Schwarzenberg à Vienne, séjourne à Paris, parcourt la péninsule ibérique pour le compte des Affaires étrangères de Prusse. Considéré par Bismarck vers 1860 comme un publiciste de talent, il rompt cependant avec le Chancelier en 1866, après Sadowa. Contrairement à Fröbel, il ne se ralliera jamais au Reich bismarckien et consacrera, jusqu’à sa mort en 1891, son œuvre à la défense du fédéralisme chrétien33.

    68Frantz est essentiellement l’héritier de l’idéalisme romantique, en particulier de Schelling. Il prolonge jusqu’à la fin du siècle l’idée d’une Europe de la Foi, le mythe du « Reich » œcuménique, organique et rédempteur, dans lequel l’Allemagne jouerait un rôle majeur. On comprend aisément qu’il ait constamment mis l’accent sur le fédéralisme (Bundschaft) comme principe d’unité, et sur l’importance du principe de médiation pour surmonter les oppositions.

    69Dans ses dimensions comme dans ses caractères, l’Europe de Frantz s’apparente étroitement à celle de Ranke : c’est l’Europe romano-germanique dans les limites de la chrétienté occidentale, dans la sphère d’influence de l’Église romaine34. Mais, contrairement à Ranke, notre auteur est, avec Fröbel et Jörg, l’un de ceux qui ont dénoncé avec le plus de force les périls extérieurs venus à la fois de l’Est et de l’Ouest.

    70Dès la guerre de Crimée, et pendant près de quatre décennies, Frantz se fait le héraut des conceptions antirusses. Ses diatribes atteignent leur paroxysme dans sa dernière œuvre Die Gefahr aus Osten (Le péril de l’Est, 1899), où il reprend et amplifie toute l’argumentation des russophobes contemporains. L’opposition entre l’Occident et la Russie atteint chez lui au manichéisme absolu. La Russie est l’antipode de l’Europe, et également l’antipode de l’Amérique.

    71Frantz ne manque pas d’emprunter à Tocqueville le fameux parallèle entre le glaive russe et la charrue américaine. Cependant, s’il préfère le libéralisme de l’Ouest à l’autocratisme de l’Est, il se rend compte que les États-Unis représentent un énorme danger potentiel et que la démocratie nord-américaine sera « aussi dominatrice que toute autre puissance »35. L’auteur de Grande puissance et puissance mondiale (Grossmacht und Weltmacht, Tübingen, 1888) imagine les USA, qu’il connaît par la lecture de Tocqueville et par l’expérience de Fröbel, dépassant économiquement l’Europe du xxe siècle, donnant l’exemple du fédéralisme à l’Ancien Continent, mais l’écrasant de tout leur poids du fait de ses divisions internes.

    72Comment surmonter ces désastreuses dissensions ? Frantz, à vrai dire, n’envisage que très vaguement une unification politique ou économique fondée sur des intérêts matériels et pratiques. Le lien profond de l’Europe est pour lui la tradition religieuse, dont l’abandon caractérise l’ère moderne. Frantz adopte ici la démarche dialectique du romantisme et de Fichte : il veut démontrer que le déclin de l’Europe est causé par le déclin de l’Allemagne, lui-même consécutif à l’intrusion d’idées étrangères.

    73La première d’entre elles est le principe romain. Frantz applique systématiquement au droit romain les critiques déjà formulées à l’époque de la Réforme. Il lui attribue l’origine de la centralisation étatique, du mercantilisme, du capitalisme. Il vilipende la Renaissance, le machiavélisme, la science politique moderne. Tous ses écrits ne sont au fond que des variations sur la disparition de l’idée de « Reich » au profit de la notion d’Etat, avec comme corollaire le morcellement de l’Europe en entités hostiles et oppressives.

    74En second lieu, cette œuvre reprend une bonne partie des griefs formulés au début du siècle contre la Révolution française et le libéralisme.

    75Frantz tire à boulets rouges sur ce qu’il estime être l’une des séquelles les plus funestes de la Révolution, à savoir le principe national. Il tient certes la nation pour une phase nécessaire de l’évolution historique, il reconnaît que la nationalité est un lien puissant entre les hommes36 mais en souligne la relativité. Il croit même voir dès 1865 s’annoncer le déclin des nations37. Au lendemain de la fondation de l’Empire bismarckien, il voue aux gémonies le « culte de la nationalité et de la puissance, selon le modèle de l’ancienne Rome », chaque pays se déifiant lui-même38.

    76Vouloir faire coïncider en Europe États et nationalités signifierait, affirme-t-il, la figer dans un système rigide et agir contre son génie même. A ce propos, Frantz émet une idée qui mérite attention et qui émane de sa théorie du fédéralisme médiateur : il estime que les États composés de deux ou de plusieurs ethnies sont précisément les moyens termes indispensables à l’apaisement des tensions nationales. Il cite en exemple la Belgique, la Suisse, l’Autriche.

    77Autre cible des attaques de Frantz : le libéralisme, mécaniste, dissolvant, analytique, négatif. Il ruine le droit international, fomente les révolutions, provoque la démocratie, le communisme, l’anarchisme. Ces critiques sont connues, car elles se trouvent chez tous les conservateurs de cette époque.

    78Pour expliquer la situation désastreuse qu’il décrit, l’auteur cherche évidemment des boucs émissaires. Il en trouve deux : les Français et les Juifs. La France, principale représentante du principe latin, héritière de Rome, est ici l’objet d’un mythe caricatural, selon le schéma déjà appliqué par Fichte dans ses Discours. A une Allemagne idéale, on oppose une France dangereuse parce qu’impérialiste, centralisatrice, matérialiste, militariste et corruptrice. Des décennies durant, Frantz ne varie guère dans ses réflexions antifrançaises, et même un fédéraliste comme Proudhon ne trouve guère grâce à ses yeux. Bref, il considère que tout projet français d’unification européenne ne peut être que schématique et mécaniste.

    79Les Juifs sont un autre élément de corruption, plus dangereux, affirme l’auteur de Der Bankrott der herrschenden Staatsweisheit (La faillite de la science politique régnante)39, que le panslavisme. A des motifs d’ordre politique et économique, l’antisémitisme de Frantz joint des motifs religieux, l’essence de l’Europe étant le christianisme.

    80Ainsi sont amalgamés dans la même réprobation Rome, le judaïsme, le libéralisme, le capitalisme et tout ce qui constitue les « idées modernes ». Frantz place à la fin du Moyen Âge le grand tournant historique à partir duquel l’idée d’une unité européenne a périclité. Jusque là, l’esprit germanique était le ciment de l’unité incarnée dans le Saint-Empire. Ensuite un esprit nouveau, purement temporel, se substitua à lui, et le « grand Dessein » d’Henri IV et de Sully, projet de république européenne, remplaça la forme germanique et monarchique du Saint-Empire médiéval40.

    81Selon Frantz, le Reich bismarckien marque l’ultime dégradation du principe germanique. L’un des principaux griefs envers Bismarck est d’avoir trahi la mission de l’Allemagne et d’ignorer ses traditions morales et spirituelles. En bref, le Chancelier méconnaît la vocation du « Deutschtum » en introduisant au centre de l’Europe l’idée romaine d’État. La « Grande Prusse » païenne et matérialiste ne ressemble pas plus à l’ancien Empire qu’une « caserne moderne à une cathédrale gothique »41.

    82Après toutes ces critiques, Frantz réserve à son pays une mission prestigieuse de restauration, sur la base de considérations géopolitiques qu’il développe en particulier dans sa Théorie de la question allemande (Theorie der deutschen Frage, 1866).

    « L’Allemagne forme le milieu du corps européen, et si nous considérons ce dernier comme un tout organique, son cœur est en Allemagne. »42

    83Citons encore la Lettre ouverte à Richard Wagner, parue en 1878 dans les Bayreuther Blätter, et où nous retrouvons la même pensée et la même terminologie issues des philosophies organicistes :

    « ... l’Allemagne forme... au point de vue géographique, le noyau du continent européen. La nature elle-même a fait d’elle le terrain sur lequel se décident en dernier ressort les plus hautes destinées de l’Europe ; c’est que l’Allemagne est précisément le pays du milieu ; elle englobe les organes centraux du corps européen... Et c’est entre l’Est et l’Ouest que s’accomplit l’histoire universelle. »43

    84Frantz déduit de ces données, ainsi que des faits historiques, ethnographiques et culturels, que l’Allemagne est « un peuple de peuples » (il souscrit ici à la formule de Schelling), que le principe national stricto sensu ne lui est pas applicable et que « de quelque côté que l’on puisse prendre la question allemande, dès que l’on pénètre dans ses profondeurs, elle se mue en une question européenne »44.

    85Ces constatations amènent Frantz à réserver aux Allemands un rôle politique éminent (création d’une « métapolitique »), mais aussi un rôle économique et social décisif grâce à une sorte de corporatisme chrétien et monarchique qui, espérait-il, parviendrait à éviter à l’Europe des crises fatales. Cependant cet avenir n’est possible que par un retour aux sources de l’esprit germanique et par l’élimination des influences latines. Frantz ne cesse de célébrer les mérites du Reich médiéval, préfiguration de l’ère nouvelle au cours de laquelle la communauté européenne d’Occident renforcera sa « parenté intime »45.

    86La notion de « Reich » fédératif, reprise à l’idéologie romantique, est au centre de la philosophie politique de Frantz. Pour lui, Reich et fédération sont les deux faces d’une même conception46. Il ne s’agit pas de copier le Saint-Empire, mais d’en retrouver l’esprit. Quelle sera la nature de cette organisation que l’auteur tient pour révolutionnaire ? Elle consistera à installer au centre du continent un « corps intermédiaire » (ein Mittleres) qui maintiendra la paix entre les peuples et assurera la synthèse de l’État (Staat) et de la société (Gesellschaft). Seul le Reich fédératif sera à même de réduire les contradictions internes de l’Allemagne et les oppositions européennes. Seul il pourra assurer l’autonomie des collectivités municipales et régionales, permettre l’application des principes d’autonomie et de coopération, concilier unité et liberté47.

    87Frantz envisage l’application de ces théories au système des États européens, qui, estime-t-il, évolue depuis 1815 grâce aux échanges et au rapprochement des peuples et des idées vers une organisation confédérale, non par la vertu d’un tribunal d’arbitrage, mais « par la tendance naturelle des choses, par l’imbrication des intérêts et la mutation des manières de penser... »48

    88Il nous reste à étudier le processus d’organisation de l’Europe tel que Frantz entend le mener conformément à ses principes.

    89Le concept de Reich coïncide dans une grande mesure chez lui avec celui d’une organisation de l’Europe centrale autour de l’Allemagne, ce qui, à son avis, livre la solution du problème crucial de la clé de voûte du système. L’idée n’est pas neuve et elle domine en grande partie la pensée politique allemande au xixe siècle. Toutefois Frantz s’est fait le théoricien sans doute le plus dogmatique en la matière, ce qui lui a valu d’être taxé de pangermanisme par certains, puis réhabilité par d’autres49.

    90Ces jugements divergents nous invitent à analyser plus avant la pensée de l’auteur. L’idée d’une fédération regroupant tous les pays situés entre la Russie et la France traverse toute son œuvre, sans que cet avatar de la « Mitteleuropa » soit considéré par lui comme un but en soi.

    « D’une manière générale, lisons-nous dans Die Weltpolitik, la fédération d’Europe centrale ne devra pas uniquement servir les intérêts propres des peuples qui y seront réunis, mais n’être rien d’autre qu’un moyen en vue de buts supérieurs. »50

    91Dans l’esprit de Frantz, en effet, il s’agirait d’un mécanisme tout à fait classique d’extension du système fédératif à partir d’un noyau central. Processus d’élargissement par cercles concentriques : confédération restreinte (engerer Bund), confédération élargie (weiterer Bund), puis système d’alliances et de connexions avec coopération contractuelle51. Il va de soi que seul un pays fédéraliste par nature comme l’Allemagne peut en être l’initiateur, le noyau (Kernland). Au centre de la confédération restreinte se trouverait l’Allemagne occidentale, complétée dans la confédération élargie par l’Est de la Prusse et par l’Autriche et attirant dans son orbite d’autres pays, à l’Ouest (Pays-Bas, Suisse), et à l’Est.

    92Après quoi Frantz projette une entreprise plus audacieuse, la restauration de la communauté européenne, tâche indispensable, écrit-il en citant Fröbel et son allusion à une « Confédération helvétique » des Etats d’Europe occidentale52.

    93Mais s’il abonde dans le sens de Fröbel, il rejette en bloc tous les projets qui ne ressortissent pas au fédéralisme chrétien : ceux de Sully, de l’Abbé de Saint-Pierre, de Kant, des juristes comme J.-C. Bluntschli, ainsi que toutes les conceptions mécanistes d’équilibre européen. Bien entendu, il écarte toute idée d’États-Unis républicains inspirée par les tendances révolutionnaires de 184853.

    94A tout cela, Frantz oppose son fédéralisme, qu’il veut médiateur, synthétique, évolutif, pratique, concret, réaliste et surtout chrétien. Il en a exposé les grandes lignes dans plusieurs ouvrages, et plus particulièrement dans Le fédéralisme comme principe directeur (Der Föderalismus als das leitende Prinzip für die soziale, staatliche und internationale Organisation. Mainz, 1879). Ce traité est sans aucun doute l’un des plus importants du xixe siècle en matière de doctrine fédéraliste et R. Wagner en fit de grands éloges. Une réédition est parue en 196254.

    95La famille européenne, telle que l’entend Frantz, n’exclut aucun peuple, hormis les Russes. Succédant au rêve d’une « grande alliance germanique », incluant l’Angleterre, la « Sainte-Alliance chrétienne » préconisée par l’auteur de Réponse allemande à la question d’Orient (Deutsche Antwort auf die orientalische Frage, 1877) permettrait de revenir à l’esprit d’un christianisme œcuménique. Frantz s’inspire ici de Leibniz pour proposer aux nations européennes une grande tâche commune, la rechristianisation de l’Orient et la colonisation de l’Afrique et de l’Asie.

    96La Russie et l’Amérique du Nord elles-mêmes sont invitées à participer à ce gigantesque plan de croisade et d’expansion, dont le centre doit bien entendu rester l’Europe unie :

    « Et si de chaque côté d’elle grandissent deux puissances géantes, écrit l’auteur de Die Naturlehre des Staates (La doctrine naturelle de l’État), elle doit d’autant plus faire bloc, car ce n’est que comme unité, comme totalité, qu’elle pourra s’affirmer à l’avenir... jamais on ne pourra concevoir une union des États occidentaux sans une communauté spirituelle »55.

    97Au total, les conceptions de Frantz ont été diversement accueillies, favorablement par ses contemporains R. Wagner et Jakob Burckhardt, le grand historien bâlois, de manière plus critique par Fröbel. La postérité a porté sur lui des jugements fort divergents selon les écoles de pensée. Les fédéralistes chrétiens et pacifistes (F.W. Förster, B. Schmittmann) se sont recommandés de ses idéaux, alors que l’on a pu par ailleurs voir en lui un représentant du pangermanisme, et même un précurseur du nazisme56.

    98Frantz, qui a eu l’ambition de créer une philosophie politique synthétique et un fédéralisme englobant, a été victime de ses propres ambiguïtés. Adversaire de la solution bismarckienne de la question allemande, il a pourtant exalté un nationalisme germanique mythique, susceptible de gauchissements ultérieurs, mais intéressant au plus haut point l’histoire de l’idée européenne. L’œuvre de Frantz est en effet un jalon capital entre l’Europe mystique des romantiques et l’impérialisme pangermaniste. Elle transmet au xxe siècle l’idée d’une Europe de la foi fondée sur les notions de « Reich » et de chrétienté occidentale.

    99La réédition de Der Föderalismus als das leitende Prinzip et la publication à une époque récente d’écrits reprenant les thèmes principaux de la pensée chrétienne prouvent que l’idéologie d’auteurs comme Frantz et Jörg manifeste une surprenante persistance57.

    5. L’Europe des juristes

    100A l’opposé de l’Europe de la Foi préconisée par Jörg et Frantz, on rencontre à l’ère bismarckienne des plans d’organisation inspirés du rationalisme et du juridisme kantiens. Les juristes que nous allons évoquer retiennent du kantisme un principe que les chrétiens rejettent : l’arbitrage international des litiges entre Etats. Leur réflexion s’inscrit dans le système de droit public européen issu du Traité de Vienne sous le nom de « Concert européen » des grandes puissances.

    101Le plus connu d’entre eux est J.-C. Bluntschli (1808-1881), dont l’écrit Die Organisation des europäischen Staatenvereins (L’organisation de l’union des Etats européens, 1878) est sans aucun doute l’un des plus importants projets d’union du xixe siècle, après le traité De la réorganisation de la société européenne (1814), du comte de Saint-Simon.

    102Né à Zurich, Bluntschli quitta sa patrie avant 1848 pour faire en Allemagne une brillante carrière de juriste, de publiciste et d’homme politique. Figure marquante du national-libéralisme, il joua un rôle considérable dans la genèse de l’unification allemande. Il fonda avec Sybel la Süddeutsche Zeitung (1859) et collabora à la revue de Ranke Historisch-politische Zeitschrift. Après 1871, il a marqué la pensée juridique de son siècle. Il a largement contribué à définir l’État moderne et à déterminer les relations interétatiques58.

    103Mais quelles sont les caractéristiques prêtées par Bluntschli à l’Europe du droit qu’il entend organiser ? Le premier critère retenu est d’ordre ethnique. Non pas que la race soit pour lui ce qu’elle sera pour les doctrinaires du racisme. S’il approuve Gobineau de l’avoir réhabilitée comme facteur historique et politique, il rejette toute idée d’épuration raciale59. Lorsqu’il utilise le terme d’« aryen », qu’il emprunte à F. Schlegel, il n’y a là aucune connotation antisémite. Le sens en est évidemment spirituel et évoque les vertus de noblesse, de liberté viriles propres, selon l’auteur, à la race blanche, la race de l’Europe. Lorsque Bluntschli hiérarchise les races en « actives » et « passives », « historiques » et « non historiques », il ne fait que sacrifier aux tendances anthropologiques de son temps. Pour lui, l’Europe est un creuset. Elle est multiple et diverse, et il constate une parfaite adéquation entre le milieu géographique et climatique et cette humanité supérieure, « caucasique », « iranienne », « japhétique » appelée par la Providence à penser la philosophie, le droit, la politique. L’Europe, terre promise des Indo-Européens, leur a donné les conditions naturelles indispensables à l’accomplissement de leur haute mission : la réalisation de la liberté et du droit.

    104Nous n’entrerons pas ici dans le détail des réflexions que notre auteur consacre aux caractères géographiques et climatiques de ce continent. Elles abondent, depuis Montesquieu, dans nombre d’ouvrages. Nous en retiendrons surtout que la loi de l’Europe, notamment occidentale, est la variété des paysages, des races, des langues, des cultures, des États. Bluntschli, rappelant en ceci Leibniz, déduit de cette diversité essentielle une sorte d’harmonie préétablie, voulue par la Providence et s’exprimant en particulier dans l’équilibre entre Latins, Germains et Slaves60.

    105Dans cette triade, ce sont les deux premiers termes qui importent le plus, car pour Bluntschli la communauté des peuples romano-germaniques est la quintessence de l’Europe, le centre de la civilisation. Et, selon le théoricien de la science politique, elle est le berceau de l’État moderne. Les peuples d’Occident sont donc les dignes successeurs des Aryens. Bluntschli attend beaucoup de la « fraternité future des Allemands et des Français, dont l’existence conditionne le salut de l’Europe »61.

    106Diverse dans ses races, l’Europe l’est aussi dans ses nations. Mais qu’est une nation selon Bluntschli ? Il proscrit la théorie de la filiation ethnique pour affirmer que les nations d’Europe sont des entités historiques, les produits d’une lente maturation. Ce qui relie entre eux les hommes, c’est une culture commune, ce sont des éléments spirituels, linguistiques, psychologiques62.

    107Quant à l’État national, Bluntschli estime que nationalité et État ne doivent pas forcément coïncider. L’application intégrale du principe national signifierait la balkanisation du continent. Rappelons que notre juriste est d’origine suisse. De plus, comme beaucoup de ses contemporains, il tend à hiérarchiser les peuples suivant leur prétendue capacité à fonder des États. Il dénie ainsi aux petites nations du Sud-Est européen toute existence autonome. Il pense que l’existence de fragments d’ethnies étrangères au sein des grands États nationaux permettrait une médiation bénéfique entre cultures différentes63. Bluntschli rejoint ici le point de vue de ses contemporains E. Renan et K. Frantz, avec lequel il est d’ailleurs en complète opposition sur le problème de l’État moderne.

    108Le juriste libéral, plus hégélien qu’il n’a voulu l’admettre, s’est fait le glorificateur de l’État, qu’il conçoit comme la suprême réalisation de la civilisation occidentale. Son objectif ultime est l’État universel, l’État de droit et de la liberté dans lequel culminerait la pensée créatrice de l’homme blanc, les États nationaux représentant les premiers degrés de l’État mondial. Unissant en quelque sorte Kant et Hegel, la démarche téléologique de Bluntschli esquisse le « développement ordonné de l’âme du genre humain » à travers les peuples historiques vers la réalisation de la liberté64.

    109Ainsi est donné un essai de réponse à l’un des grands problèmes du temps : celui des rapports entre phénomène national et universalisme. L’auteur du projet d’Organisation de l’Union des Etats européens s’est efforcé de proposer une solution à la question de l’unité juridico-politique de l’Europe, ou plus exactement de ce qu’il appelle « la société de l’ensemble des Etats européens » (Verein der europäischen Staatenwelt).

    110La philosophie politique de Bluntschli a pour objectif essentiel d’introduire les principes de la Raison et du Droit dans les relations entre ces Etats, faisant ainsi de lui l’un des représentants les plus typiques de l’Europe rationaliste d’une part et de l’Europe des réalités politiques et diplomatiques d’autre part. L’auteur du projet que nous nous proposons d’analyser doit admettre que l’idéal kantien de citoyenneté du monde (Weltbürgertum) est encore irréalisable. Il tient la paix éternelle pour une utopie et se déclare également en désaccord avec la théorie de l’équilibre européen, que ce soit à la manière de l’Abbé de Saint-Pierre ou à celle de F. von Gentz65. Il juge en outre caduc le système pentarchique fondé sur l’autorité des souverains et l’exclusion des peuples66.

    111Suisse et libéral, il se tourne alors vers les deux modèles qui lui semblent le mieux à même de garantir les droits des citoyens : la Confédération helvétique et les États-Unis d’Amérique.

    112Bluntschli ne manque pas de faire l’éloge de sa patrie, libre, pacifique, multinationale et médiatrice entre les grands Etats. Anticipant largement, il affirme que le peuple suisse apportera un jour à l’Europe, lorsqu’il viendra s’y intégrer, un modèle de paix et d’union67.

    113Quant à l’exemple américain, il en fait aussi grand cas et lui a consacré une étude spéciale en 1868. Très sensible au fédéralisme hamiltonien, il estime que c’est un système équilibré, parfaitement adapté aux institutions républicaines et tenant le juste milieu entre confédération et État unitaire68.

    114Cependant le plan d’« Organisation de l’Union des États européens », résultat de la réflexion d’un juriste proche des milieux princiers et diplomatiques, s’attache à rester dans les limites du raisonnable. Partant des réalités de l’Europe de son temps, l’auteur propose non pas une fédération, mais une confédération d’États. L’opuscule paraît en 1878, l’année où Bismarck réunit le Congrès de Berlin et où Bluntschli rencontre le roi de Suède, qui lui promet son soutien.

    115L’auteur y reprend ses idées antérieures. Il souligne à nouveau l’impossibilité d’appliquer à l’Ancien Continent le fédéralisme à l’américaine, l’extrême diversification et la force des sentiments nationaux interdisant une pareille révolution :

    « L’Europe, écrit-il, se compose de nations très diverses, qui ne se laisseront pas... unir politiquement, car elles sont séparées par le lieu de résidence, la race, l’histoire, la civilisation, les intérêts, le droit. Allemands et Français, Anglais et Russes, Autrichiens et Italiens ne sont aucunement enclins à former un Etat européen unitaire et collectif. Ils considéreraient celui-ci comme une dissolution et une suppression de leur véritable nationalité, à laquelle ils tiennent par-dessus tout. »69

    116Loi de diversité donc, mais à laquelle s’oppose une loi d’unité liant les peuples en une « communauté juridique » dont est issu le droit international, révélé historiquement dans la Pentarchie et la Sainte-Alliance. L’histoire, dit Bluntschli, enseigne que l’idée d’unir les Etats d’Europe n’est pas chimérique70. Il cherche évidemment à se prémunir contre le reproche d’utopisme et prend ses distances vis à vis des projets du xviiie siècle, qu’il accuse de n’envisager que des congrès de souverains. Il vise surtout l’Abbé de Saint-Pierre, mais aussi Leibniz, Kant, voire Rousseau71.

    117Il considère qu’à la fin du xixe siècle, une constitution sans liberté n’est plus envisageable et qu’il convient d’harmoniser les constitutions particulières des États et les institutions communautaires. Sur ce point, il partage les vues de son collègue écossais James Lorimer (1818-1890), l’un des fondateurs de l’Institut du Droit international (1873). Les deux juristes sont d’accord sur l’application du principe représentatif, mais divergent sur la possibilité d’introduire en Europe le fédéralisme à l’américaine, car, note Bluntschli, il y a un peuple américain, « mais il n’y a pas de peuple européen »72.

    118Il en est de même concernant une éventuelle républicanisation de l’Europe, contre laquelle l’auteur s’inscrit en faux. Pourtant, même si Lorimer reproche à son collègue de vouloir réduire son projet à un collège de grandes puissances, en somme à une sorte de « Concert européen », tous deux se rejoignent sur un point capital : le respect de l’indépendance des États et des nations73.

    119Considérant la situation de l’Europe de son temps, Bluntschli en déduit l’impossibilité pour un État particulier d’imposer son hégémonie, de même que l’impossibilité pour une autorité supranationale de s’ingérer dans les affaires intérieures des nations. En conséquence :

    « Seule la confédération réalisera l’objectif d’une union et d’une communauté durables de l’Europe sans léser la souveraineté des Etats confédérés. »74

    120Toujours réaliste, du moins le croit-il, l’auteur fixe à sa confédération des buts limités, des compétences modestes ne nécessitant « ni division des pouvoirs, ni parlement souverain pour la législation, ni gouvernement commun »75. Les objectifs seront uniquement d’assurer la paix, d’appliquer le droit, de promouvoir les valeurs de la civilisation. L’esprit de coopération et la bonne volonté devraient suffire pour l’accomplissement de ces tâches.

    121Il nous reste encore à donner un aperçu des institutions proposées par Bluntschli.

    122Le pouvoir, cela va de soi, reviendra aux Etats, qui seront au nombre de dix-huit, dont six grandes puissances : Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Autriche-Hongrie, Russie. Sont écartés tous les petits peuples, résidus de l’histoire. En tant que personnalités juridiques autonomes, les dix-huit Etats seront égaux en droits, mais les grandes puissances, assumant de plus lourdes responsabilités, disposeront d’une représentation plus forte au sein des organismes communautaires, le « Conseil confédéral » (Bundesrat) et le « Sénat » (Repräsentantenhaus).

    123Le « Conseil confédéral » serait composé des représentants des gouvernements, la présidence étant assurée à tour de rôle par chacune des six grandes puissances.

    124Le « Sénat » comprendrait les représentants des peuples, à raison de huit ou dix pour chaque grande puissance, de quatre ou cinq pour les puissances moyennes. Il se réunirait tous les deux ou trois ans ; son président serait élu.

    125Bluntschli envisage comme capitale non une métropole, mais une ville culturelle d’Europe centrale ou occidentale, telle que Bruxelles, La Haye ou Genève. Le français, l’anglais, l’allemand seraient les langues officielles de l’« Union des Etats européens », avec traduction éventuelle des débats.

    126La Confédération n’aurait ni autonomie financière, ni compétences militaires. Toutefois les grandes questions telles que la sauvegarde de la paix ou les conflits entre la Confédération et un État-membre seraient du ressort du « Conseil fédéral », qui aurait également la haute main sur l’administration et la justice internationales. Soulignons que Bluntschli, qui prend tant de précautions pour que les Etats ne soient pas lésés, prévoit néanmoins le vote à la majorité absolue, et non à l’unanimité.

    127Ce projet, note l’auteur, aurait l’avantage de contribuer à la moralisation des relations interétatiques, aucune nation n’osant défier l’autorité morale de l’Europe. Bluntschli ne se cache pas que son plan n’a dans l’immédiat qu’une valeur académique. Il espère seulement qu’un jour un homme « aux larges vues et au grand cœur » en entreprendra la réalisation76. Dans la conclusion, l’évocation du « Grand Dessein » d’Henri IV et de Sully atteste que ce projet s’inscrit dans la tradition du protestantisme libéral. Bluntschli, à l’instar de la majorité des libéraux allemands de son temps, envisage l’organisation de l’Europe sous la forme d’une coopération interétatique institutionnalisée, d’un système confédéral dont il dénonce lui-même l’instabilité et le manque d’unité77. Illogisme qu’un autre Suisse, Denis de Rougemont, n’a pas manqué de souligner plus tard78.

    128Quoi qu’il en soit, l’œuvre de Bluntschli est loin d’être dénuée d’intérêt, même de nos jours. Juristes et pacifistes n’ont pas omis de s’y référer, avant et après la Première Guerre mondiale, et elle a été rééditée en 1962, après la signature du Traité de Rome79.

    6. L’Europe des pacifistes

    129A l’époque bismarckienne, le pacifisme a déjà une longue histoire. L’idée de la « paix éternelle » est en fait un aspect sécularisé du moralisme d’inspiration chrétienne et elle est étroitement liée au cosmopolitisme rationaliste du xviiie siècle. Bannir le recours à la guerre, assurer le repos de l’Europe, tel a été l’un des objectifs majeurs des philosophes. Kant allie l’idéal de la paix au concept de « société des nations » (Völkerbund) et il tente ainsi de remplacer l’Europe de la Foi et de l’irrationalisme par celle de la Raison et du Droit, de faire passer l’humanité de l’état « naturel » de guerre à l’état « civilisé » de paix. Par ce qu’elle doit au moralisme kantien, l’Europe des pacifistes est proche de celle des fédéralistes et de celle des juristes. Vers 1848, l’idéologie pacifiste se charge d’un contenu nouveau, national et républicain. Nous savons qu’Arnold Ruge, comme d’autres prophètes d’une Europe fédérée tels V. Hugo ou Mazzini, milite au Parlement de Francfort pour le désarmement et une fédération de peuples libres et fraternels. Or la plupart des pacifistes allemands de l’époque bismarckienne sont nourris de l’enthousiasme quelque peu utopique de 1848. On chercherait d’ailleurs en vain dans ces écrits des projets élaborés, des plans précis et détaillés d’union de l’Europe. Le slogan des « États-Unis d’Europe » conserve après 1848 tout le prestige, mais aussi tout le flou du romantisme révolutionnaire, si bien que son contenu ira s’affaiblissant au cours des années et que l’idéal pacifiste devra souvent tenter de s’adapter aux réalités politiques.

    Le pacifisme républicain et la « Ligue internationale de la paix et de la liberté »

    130Au cours des années 1860, un slogan revient sans cesse dans la presse allemande de gauche. En 1865, Der deutsche Eidgenosse, organe de l’association « Deutsche Freiheit und Einheit », paraissant à Hambourg et à Londres, propose de transformer l’Allemagne en une république fédérative et l’Europe en une fédération d’États libres80. On trouve parmi les membres de cette association d’anciens révolutionnaires de 1848 comme Gustav Struve (1805-1870), réfugié après 1848 en Suisse et en Amérique, ainsi que le philosophe matérialiste L. Feuerbach (1804-1872) et F. Freiligrath (1810-1876), ancien rédacteur avec Marx de la Nouvelle Gazette rhénane.

    131En 1865, Der deutsche Eidgenosse salue la fondation du « Parti populiste allemand » (Deutsche Volkspartei), qui se propose de transformer l’Allemagne en une confédération de type helvétique et l’Europe en une vaste fédération ayant pour objectif la paix générale grâce à un congrès des peuples. En 1868, le chef du nouveau parti, le parlementaire prussien Johann Jacoby (1805-1877), en précise les buts : défense des droits des citoyens et des peuples, affirmation de la solidarité internationale, réalisation de « cette grande idée formulée avec tant d’éloquence au congrès pacifiste de Genève, l’idée des États-Unis libres d’Europe »81.

    132La bataille de Sadowa, qui permet en 1866 à Bismarck de triompher de l’Autriche, marque pour Jacoby le début d’une ère nouvelle, symbolisée en 1867 par le grand Congrès pacifiste de Genève, qui donne lieu à la création de la « Ligue internationale de la paix et de la liberté » (Friedens- und Freiheitsliga).

    133Cette initiative fut saluée avec enthousiasme par les réfugiés politiques allemands regroupés dans le « Deutscher Arbeiterbildungsverein in der Schweiz », dont les journaux s’intitulaient respectivement Der Volkerbund et Dus Felleisen. De plus, l’association ouvrière suisse du « Grütliverein » partageait également dans une très large mesure les objectifs de la « Ligue »82.

    134La « Ligue internationale de la paix et de la liberté » eut d’illustres parrains, dont Dostoïevski, Bakounine, Garibaldi, V. Hugo, E. Quinet, Louis Blanc, Jules Favre et Jules Simon. De leur côté, les Allemands et les Suisses jouèrent un rôle important dans sa fondation et dans la rédaction de sa revue Les États-Unis d’Europe, qui parut à Berne de 1867 à 1922. Le numéro spécial de novembre 1867 présente Les États-Unis d’Europe comme le premier journal européen. En fait, l’organe de la « Ligue » fut essentiellement franco-allemand. On y inséra par la suite des articles en anglais et en italien. On trouvait à son comité de rédaction un nombre important d’Allemands, dont A. Gögg (1820-1897), ancien révolutionnaire de Bade, Jacoby et Gustav Vogt (1829-1901), le premier président de la « Ligue ».

    135Avant 1870, cette association eut en Allemagne une assez large audience. Le programme défini dans le numéro spécimen de novembre 1867 répondait globalement aux vœux des hommes de gauche, à l’exception de la plupart des libéraux ralliés à Bismarck après 1866 : lutte contre les absolutismes et les égoïsmes nationaux, instauration d’un nouveau droit international, paix par la liberté, le républicanisme et le fédéralisme.

    136Mais n’ayant de doctrine solide ni au point de vue politique ni au point de vue social, étant dépourvue de rigueur idéologique à cause du caractère hétérogène de ses éléments constitutifs, la « Ligue » s’est trouvée très vite engagée dans de vives polémiques, notamment avec la Première Internationale. Le congrès de l’Internationale tenu à Bruxelles en 1868 proposa sa dissolution. Elle répliqua que la question sociale n’était pour elle qu’une question parmi d’autres83. En fait, dans les colonnes des États-Unis d’Europe, l’aspect social de l’organisation de l’Europe future n’était pas négligé. Le deuxième congrès de la « Ligue », réuni à Berne en septembre 1868 en même temps que celui de l’Internationale à Bruxelles, répercuta les proclamations des travailleurs viennois invitant le prolétariat européen à lancer un « Comité central de la jeune démocratie européenne »84. Mais nulle part ne figure un programme de création d’États-Unis libres incluant la transformation de la société capitaliste.

    137Le programme politique de la « Ligue internationale de la paix et de la liberté » n’était pas beaucoup plus précis que son programme social. Dès 1868, il y eut divergence entre fédéralistes partisans du principe d’autonomie et collectivistes adeptes du socialisme d’État.

    138Jusqu’à la fin de l’ère bismarckienne, des voix de plus en plus isolées continuèrent à s’élever pour proclamer l’idéal kantien du fédéralisme républicain et le bien-fondé des objectifs de la « Ligue ». Gustav Vogt avait d’ailleurs fait paraître dès sa fondation, à Berne, une édition populaire de Zum ewigen Frieden, plaçant ainsi d’emblée le mouvement qu’il présidait sous l’égide de Kant. Le congrès de 1892 faisait bien entendu encore mention des futurs États-Unis d’Europe, mais en réalité, à partir de 1871, cette revendication s’estompe graduellement pour céder le pas aux idées de congrès pacifistes et d’arbitrage international, également issues de la pensée rationaliste. A cette époque, l’antagonisme franco-allemand contamine, au sein même de la « Ligue », beaucoup des meilleurs esprits. Les messages de V. Hugo aux congrès de 1872 et 1874 illustrent bien cette évolution85. Toutefois il est juste de souligner le fait que l’idée d’instaurer une fédération de républiques pacifiques resurgit parfois chez les auteurs allemands comme le social-démocrate Bruno Geiser (1846-1898), gendre de W. Liebknecht et rédacteur en chef de Die neue Welt. C’est en 1886, à l’occasion de la relance du journal Les Etats-Unis d’Europe, que Geiser publie sa brochure Die Überwindung des Kriegs durch Entwicklung des Völkerrechts. Zugleich eine Beantwortung der Frage, wie eine internationale Friedensgesellschaft die Kulturmacht werden kann (Triompher de la guerre par le développement du droit international et répondre à la question : comment une association pacifiste internationale peut-elle devenir la puissance civilisatrice ?)86.

    139Par ses revendications politiques et sociales (autodétermination des peuples, abolition des armées permanentes et des monopoles capitalistes, internationalisation de la législation et des syndicats), Geiser tente un compromis entre l’Europe fédéraliste des pacifistes et l’Europe révolutionnaire des socialistes.

    Le pacifisme « intégral » d’Eduard Löwenthal

    140A la devise de la « Ligue internationale de la paix et de la liberté » « Si vispacem, para libertatem », E. Löwenthal oppose la sienne : « Si vis pacem, parapacem ». Originaire du Wurtemberg où il est né en 1836, il est le premier Allemand à avoir entièrement consacré ses efforts à la cause pacifiste, ainsi qu’à la propagation d’une « religion scientifique basée sur le spiritualisme positiviste ». Journaliste, publiciste et auteur d’écrits philosophiques, politiques, sociaux et juridiques, Löwenthal a fondé des revues à Francfort et à Leipzig, avant d’émigrer en Belgique, en Angleterre et en France. Rentré à Berlin en 1888, il y a poursuivi pendant plus de deux décennies sa lutte pour la paix et pour une réforme politique, sociale et spirituelle87.

    141L’évolution des conceptions de Löwenthal rappelle celle de la « Ligue internationale de la paix et de la liberté » : la notion démocratique d’une Europe des peuples tend progressivement à passer au second plan, et cela au profit des idées d’arbitrage, de codification du droit international, puis de congrès européen.

    142Après avoir créé à Dresde une « Académie des cogitants », dont certains membres correspondants étaient Feuerbach, Renan et Stuart Mill, l’inspirateur de la nouvelle religion du « cogitantisme » lança en 1869 une « Association pour l’union européenne » (Europäischer Unionsverein). Au cours de l’été 1870, l’ardent pacifiste gagna Zurich, où il prit la tête d’un nouveau mouvement, le « Parti de l’Union européenne » (Europäische Unionspartei) et publia un journal intitulé Die Freiheitswacht. Dans un Manifeste à nos frères d’Allemagne, Löwenthal déclare la guerre à l’absolutisme et au militarisme. Il demande la réalisation d’une « fédération libérale des peuples européens identique à l’union nord-américaine ». Il exhorte les Allemands à participer, au côté de la république française créée après Sedan, à la défense de la liberté et de la fraternité en Europe88.

    143En 1871, il publie à Zurich Daspreussische Volker-Dressur-System und die europäische Fôderativ-Republik der Zukunft (Le système prussien de dressage des peuples et la république européenne fédérative de l’avenir). Il y appelle de ses vœux l’Europe des peuples et s’élève contre la « conjuration prusso-russe ».

    144Dans les années 1870, Löwenthal se préoccupe surtout d’arbitrage international, rejoignant les conceptions de juristes comme Bluntschli, auquel il fait du reste grief de « ménager le droit international du plus fort ». Son ouvrage de 1874, Principes de réforme et de codification du droit international89, suggère une première ébauche de « pouvoir législatif international contractuellement reconnu », ce pouvoir devant émaner de la conscience juridique des Etats civilisés et de la communauté d’intérêts des peuples. L’auteur prévoit diverses institutions : assemblée des chefs d’Etat, assemblée des diplomates, tribunal d’arbitrage. Il a bien conscience de la nécessité de moyens coercitifs pour faire appliquer les décisions du pouvoir législatif international, mais il reste très discret à ce sujet.

    145Précisons qu’il existe pour Löwenthal deux réalités politiques : les États, séparés par des institutions différentes, et les peuples, liés par une indissoluble solidarité d’intérêts et par une même civilisation rationaliste et hostile à la guerre. Son optimisme l’incite à croire qu’il suffira d’institutionnaliser cette communauté « par la création d’une confédération européenne »90.

    146Par sa croyance en le pouvoir de la raison, Löwenthal est dans la ligne de la philosophie des Lumières, par son argumentation utilitariste, il se range au côté de l’école libérale, selon laquelle le progrès des sciences, des techniques et de l’économie est un facteur décisif de •91 paix.

    147Ces idées aussi chimériques que généreuses paraissent aujourd’hui bien utopiques, et cependant Löwenthal pensait faire œuvre réaliste en fondant son « Association pour l’Union européenne », qu’il voulait très différente de la Première Internationale et de la « Ligue internationale de la paix et de la liberté ». Il n’aspirait ni à une république socialiste, ni aux États-Unis d’Europe républicains, car il considérait que l’organisation de la paix ne devait pas dépendre de la nature des institutions. Il espérait pouvoir renforcer le contrôle parlementaire, y compris dans les Etats dynastiques, et parvenir ainsi à une confédération pacifique92.

    148Conformément à sa devise « Si vis pacem, para pacem », ce pacifiste libéral et intégral a poursuivi jusqu’au début du xxe siècle son action persévérante, contribuant notamment à l’organisation de congrès de la paix et à la fondation de l’« Union interparlementaire ». Ces activités ont été approuvées par des pacifistes de grand renom, particulièrement Bertha von Suttner.

    149En somme, l’évolution de l’idée de communauté européenne chez Löwenthal semble bien être caractéristique d’une époque. Nourri des principes de 1848, il se rallie finalement à une Allemagne dont il espère qu’elle se réconciliera avec la France pour combattre l’absolutisme russe. En font foi les écrits de 1890 et 1891 Der Kampf um die europàische Suprematie oder die Konsequenzen einer französisch-russischen Allianz (La lutte pour la suprématie européenne ou les conséquences d’une alliance franco-russe), Berlin, 1890, et Ein französisch-deutscher Ausgleich im Hinblick auf die Vorgänge in Russland (Un compromis franco-allemand eu égard aux événements de Russie), Berlin, 1891.

    « La Paix en Europe » d’Eugen Schlief

    150Avocat au Tribunal de Commerce du Reich et fondateur de la « Deutsche Friedensgesellschaft » (Société pacifiste allemande), E. Schlief (1851-1912), originaire de Lusace, fait paraître en 1892 à Leipzig Der Friede in Europa. Eine völkerrechtlich-politische Studie (La paix en Europe. Étude de droit international et de politique). Cet ouvrage bat en brèche tous les projets antérieurs et contemporains, de l’Abbé de Saint-Pierre jusqu’au pacifisme socialiste et aux théories de J.-C. Bluntschli.

    151Schlief part du principe que rien ne doit entraver la souveraineté des États, ni les Internationales, ni les congrès de la paix, ni les spéculations sur l’État universel. Pour lui, la paix de l’Europe est indépendante des idéologies. C’est « un pur problème juridique ». Cela dit, il a bien conscience que l’Europe de son temps doit impérativement s’organiser si elle ne veut pas sombrer dans l’anarchie. Il croit lui aussi à un certain nombre de facteurs d’unité : communauté de culture, règlement des problèmes sociaux, imbrication des économies. Signalons toutefois sur ce point une contradiction entre cette interpénétration des économies et le principe « politico-économique » selon lequel, estime Schlief, tout État aurait le droit de se développer de manière autonome. Il est cependant juste de souligner que l’auteur récuse le système protectionniste et les politiques économiques et commerciales agressives.

    152C’est la « communauté des États civilisés » qui doit être le juge compétent en matière de droit. De ces États réunis en un système permanent doit naître un organisme de droit international doté d’une cour de justice. L’auteur de La paix en Europe donne à l’organisme en question le nom de « Système des États européens », institution à vrai dire extrêmement modeste, puisque dépourvue de tout caractère permanent. L’aspect contractuel que lui reconnaît Schlief doit écarter toute possibilité d’évolution vers un système unitaire. C’est pourquoi le projet proscrit toutes les dénominations telles que « Staatenverein » (Union des États), « Staatenbund » (confédération) ou « Etats-Unis d’Europe ».

    153En dépit d’une volonté évidente de sauvegarder l’autonomie des États, l’auteur est bien obligé d’envisager des moyens de pression envers les puissances récalcitrantes. Il compte beaucoup, semble-t-il, sur l’autorité morale de l’« ensemble de l’humanité civilisée ». Ce « système des États » suppose donc la solidarité des intérêts matériels et moraux entre peuples occidentaux. C’est pourquoi aux yeux de Schlief – et ce point est capital – il ne peut comprendre que les Etats européens garants de la civilisation93. Seules seraient exclues les entités minuscules comme le Luxembourg ou le Liechtenstein. Comme Bluntschli, Schlief estime que les grandes puissances ne doivent pas être « les gardiennes privilégiées de la vertu du continent »94, étant entendu toutefois quelles disposeraient d’un pouvoir plus considérable que les puissances moyennes ou petites au sein des organismes internationaux. Toujours comme Bluntschli, l’auteur de La paix en Europe écarte les grandes métropoles comme sièges de la cour. Il leur préfère des villes moyennes et neutres comme Berne et Bruxelles. Notons encore qu’il propose le français en tant que langue commune.

    154Dans la pensée de Schlief, le système, pour être efficace, doit comprendre la totalité des États européens, à l’exception de la Turquie, contre laquelle il préconise une véritable croisade. D’une manière générale, il considère que l’Europe a le devoir d’imposer sa civilisation aux continents réputés barbares. A l’époque, l’idée n’était ni neuve ni originale, puisqu’elle dérive de la notion de croisade et ressortit au colonialisme du xixe siècle.

    155Partant du dogme de la supériorité absolue de la civilisation occidentale, Schlief songe à diriger hors d’Europe le principe « politico-économique » d’expansion, démarche permettant à la fois de répandre la civilisation et de préserver l’unité du « Staatensystem ». La politique coloniale fournirait aux Européens des objectifs pratiques, hâterait la réalisation de la communauté des États et la forcerait à constituer un front uni contre la « barbarie ». L’auteur, en effet, n’exclut pas l’éventualité d’un déferlement de « peuplades sauvages ou à demi-sauvages » venues d’Asie et d’Afrique. Dans ces spéculations, il est aisé de percevoir l’écho qu’ont eu à l’époque des mythes comme celui du « péril jaune ».

    156Selon Schlief, l’Europe a donc l’impérieux devoir de s’armer contre les dangers extérieurs, l’état de paix étant réservé au seul système des États civilisés95. Réfutant les arguments des nationalistes et bellicistes, notamment de l’historien Treitschke concernant une prétendue stagnation du processus historique en cas d’arrêt des conflits, l’auteur du projet expose que la guerre, même bannie des pays avancés, ne perdrait pas sa valeur formatrice et stimulatrice.

    157L’optimisme de Schlief ne se dément jamais. Il lui fait entrevoir la pacification de l’Europe comme réalisable à court terme, par paliers et à partir d’un noyau d’Etats influents. Reste le point suivant : de quel pays peut venir la proposition initiale ? L’auteur n’exclut pas les petits Etats, neutres ou pacifistes, ou même la Russie. Mais l’État le plus concerné à cause de sa situation géographique et politique est évidemment l’Allemagne, « cœur de l’Europe », « organe central » du système des États96.

    158L’année 1890, celle du départ de Bismarck, prend pour Schlief la signification d’un tournant historique : le passage de la paix armée à la paix organisée. D’autant plus que la période a été marquée par l’organisation des congrès de la paix de Paris (1889), Londres (1890), Rome (1891) et des congrès interparlementaires (1889, 1893).

    159L’œuvre de Schlief a éveillé en son temps un vif intérêt chez les pacifistes et les juristes. Certains en ont loué le réalisme et la lucidité. Mais la suite des événements s’est chargée de montrer que l’optimisme d’un projet apparemment concret et réalisable était intempestif. L’ouvrage ne faisait que sanctionner la division de l’Europe en Etats-nations. Ce projet interétatique, radicalement hostile à toute idée de confédération et de participation populaire n’avait pas plus de chance de voir le jour que les projets antérieurs. Il était condamné d’avance à rejoindre dans les oubliettes de l’Histoire ceux que son auteur trouvait si peu réalistes.

    160Nous avons tenté de montrer comment, dans la seconde moitié du xixe siècle, la généreuse idée d’une Communauté pacifique de peuples libres, constitués en nations autonomes, cette idée issue du kantisme et nourrie de l’idéologie de 1848 n’a pas résisté à l’épreuve des faits. La grande pensée des « États-Unis d’Europe », dans laquelle vibrait tout l’enthousiasme des quarante-huitards, ne pouvait que s’affaiblir dans un monde balkanisé par les nationalismes et divisé par les problèmes sociaux. Les conceptions qui lui ont succédé et qui visaient à sauvegarder la paix par le moyen de l’arbitrage des conflits et la médiation diplomatique veillaient à laisser aux États leur entière souveraineté. On sait ce qu’il en est advenu.

    161Pourtant le message de 1848, celui d’une Europe des peuples, des citoyens et du droit, celui d’une Europe de la Raison, unie et pacifique, survivra au déchaînement des nationalismes et des impérialismes, et cela surtout grâce à la diaspora des émigrés politiques allemands.

    7. L’Europe des socialistes

    162Pacifistes et socialistes ont des points communs, en particulier l’idéologie internationaliste et républicaine, mais sont divisés sur l’essentiel, à savoir l’impérieuse nécessité de la révolution sociale. Nous verrons comment Marx engage l’action contre la « Ligue internationale de la paix et de la liberté ». D’autre part, le Volksstaat, journal dirigé par W. Liebknecht de 1869 à 1875, dénonce Löwenthal comme agent de la Prusse. Il est vrai, comme cela a été avancé, que l’Europe constitue le cadre où s’inscrit la pensée politique de la plupart des socialistes allemands97, mais il n’en reste pas moins que la vision marxiste, comme celle de Fröbel ou de Frantz, tend à déborder les limites du Vieux Continent, et qu’au surplus les circonstances obligent les socialistes à mener prioritairement la lutte sur le plan national. Ceci explique que l’idée européenne se réfugie dans une grande mesure chez les émigrés politiques, comme c’est le cas pour les pacifistes. En Allemagne même, l’Internationale ne joue qu’un rôle mineur jusqu’en 1879, même dans les déclarations des chefs de la social-démocratie, W. Liebknecht (1826-1900), rentré d’émigration en 1861 et fondateur du « Parti social-démocrate des travailleurs » (1869), ainsi que son compagnon A. Bebel (1840-1913).

    163La crise de 1870-1871 provoque chez l’un et l’autre des prises de position conformes aux idéaux de l’Internationale. Les discours de Bebel au Reichstag, le 21 juillet 1870 à propos des crédits de guerre, le 26 novembre à propos de l’annexion de l’Alsace-Lorraine évoquent sans ambiguïté les dangers du principe national, du militarisme, de la société de classe et revendiquent pour les peuples d’Europe l’autodétermination. L’éloge de la Commune de Paris le 25 mai 1871 constitue le point culminant des proclamations de Bebel concernant la future révolution socialiste continentale. Une phrase comme celle-ci : « ... le cri de guerre du prolétariat parisien... deviendra celui du prolétariat européen tout entier » ne pouvait manquer de faire impression98.

    164Mais les lois répressives contre la social-démocratie et la dissolution de l’« Association internationale des travailleurs » au lendemain de la guerre de 1870-1871 expliquent sans doute le fait que la presse socialiste d’alors se réfère rarement à l’idée européenne et ne professe qu’un internationalisme de plus en plus théorique. Dès 1872, Engels notait que les relations entre l’Internationale et le monde ouvrier allemand étaient purement platoniques. Il est évident que les sociaux-démocrates, vivant et agissant dans une Allemagne nationaliste, devaient forcément faire la part du feu, ce qui explique le caractère souvent théorique de leur internationalisme et par voie de conséquence de leur idée européenne.

    165Dans ces conditions, notre étude portera sur les conceptions de trois émigrés politiques, à savoir Johann Philipp Becker, Karl Marx et Friedrich Engels.

    Johann Philipp Becker et la « République social-démocratique des Etats-Unis d’Europe »

    166L’internationalisme forme la toile de fond de toute l’activité politique de Becker (1809-1886), socialiste réfugié en Suisse et figure typique de la démocratie au xixe siècle. Présent à la « Fête de Hambach » en 1832, engagé avec Engels dans la révolution badoise de 1849, compagnon de Marx à partir de 1860, Becker milita d’abord à la « Ligue internationale de la paix et de la liberté » puis devint un pionnier de la Première Internationale en Allemagne et en Suisse. De 1866 à 1871, il dirigea à Genève Der Vorbote, organe central de la section allemande de l’Internationale.

    167La pensée européenne de Becker se ressent des influences subies dès avant 1848 : socialisme humaniste, cosmopolitisme généreux, idéal d’États républicains égaux entre eux empêchent chez lui toute véritable conversion au marxisme orthodoxe. Marx n’a pas manqué de souligner les contradictions de celui qu’il appelait familièrement « le vieux Becker » (der alte Becker)99.

    168Le rédacteur en chef de Der Vorbote développe les grands thèmes chers aux démocrates de l’époque : antitsarisme, antibonapartisme, lutte contre tous les despotismes, y compris l’impérialisme européen dans le monde. Son optimisme positiviste lui fait espérer que le xixe inaugurera l’ère du « siècle social », c’est-à-dire le triomphe absolu de la civilisation moderne, grâce à sa supériorité morale, sur la loi historique du déclin100.

    169L’auteur de Comment et quand ? (Wie und Wann ?) préconise une Europe des nations libres, où serait assuré l’épanouissement des hommes et des peuples, où chaque collectivité jouirait d’une complète autonomie.

    170La pensée de Becker s’inscrit donc dans le cadre de l’Europe de la Raison, que nous avons évoquée. Elle participe de l’idéalisme kantien et du républicanisme de 1848. La société future qu’il appelle de ses vœux permettrait la coexistence du « cosmopolitisme » et du « nationalisme », à savoir de l’indépendance nationale considérée comme facteur de progrès. Influencé par la « Jeune Allemagne » des réfugiés allemands en Suisse, ainsi que par les associations ouvrières, Becker n’a jamais renié son enthousiasme pour une Europe composée de républiques fédérées, même si après 1871 son cosmopolitisme se teinte de plus en plus d’internationalisme socialiste, même s’il adopte, au moins partiellement, les doctrines du matérialisme dialectique. Il faut noter qu’il reste fidèle aux concepts d’association et de coopération. Pour lui, l’Europe ne peut être qu’une fédération d’associations, ce qui révèle sans aucun doute une influence proudhonienne, mais ce qui ne l’empêche pas de considérer l’Internationale comme l’instrument le plus propre à construire une Europe socialiste, comme « le seul... parti européen » :

    « Le parti de la régénération européenne, organisé dans l’Association internationale des travailleurs, écrit-il en 1866, a prouvé au monde... qu’elle s’efforce d’harmoniser idéalisme et matérialisme, théorie et pratique... »101

    171En 1916, Karl Kautsky citera J.-P. Becker comme exemple typique de la coexistence de deux conceptions qui s’excluent absolument chez Marx et Engels102.

    172Il est d’ailleurs symptomatique qu’en 1868 Der Vorbote ne fasse aucune différence entre les objectifs politiques, sociaux et économiques de l’Internationale et ceux de la « Ligue de la paix et de la liberté », les deux mouvements prônant la fraternité des peuples, le fédéralisme républicain et les grands principes révolutionnaires. Der Vorbote insiste sans doute davantage sur la lutte des classes et la révolution prolétarienne, mais il n’en reste pas moins que la pensée de Becker et du Comité central de l’Internationale à Genève trahit, surtout avant 1871, un curieux mélange d’anticapitalisme, de fédéralisme et d’humanitarisme, allant jusqu’à l’évocation d’une future « race européenne » issue des mélanges ethniques. Ce thème anthropologique sera repris un peu plus tard par Nietzsche.

    173A cette époque, l’idée d’« États-Unis d’Europe » populaires, libres, mais solidaires et fraternels apparaît comme la solution adéquate pour unifier et pacifier le continent. Il est rare que l’on revendique alors, comme le fait le « Parti ouvrier de Saxe » fondé en 1865 par Liebknecht et Bebel, un « État social-démocratique européen » unitaire103.

    174Les formules d’organisation proposées sont presque toujours d’inspiration fédéraliste, mais d’un fédéralisme vague et abstrait qui ne dépasse guère le niveau du slogan : « la République social-démocratique fédérée d’Europe »104, « la fédération d’États européens libres »105, « la République social-démocratique des États-Unis d’Europe »106.

    175Toutes ces déclarations ronflantes, émanant des mouvements ouvriers de Suisse, d’Autriche et d’Allemagne, prouvent qu’à la veille de 1870 l’idéal des États-Unis d’Europe se charge d’un contenu nouveau, social et populaire.

    176Le grand modèle est pour Becker sa seconde patrie, la Confédération Helvétique, noyau républicain au milieu d’une Europe essentiellement monarchique. Pas de liberté pour lui sans fédéralisme, notamment sans autonomie des collectivités et des ethnies (Volkerschaften)107. Il magnifie par ailleurs une future Allemagne républicaine, bastion de la paix, pivot d’une Europe démocratique, médiatrice des peuples et pacificatrice du continent, une Allemagne qui serait avec la Suisse l’organe essentiel de l’équilibre, de la raison et de la justice.

    177L’État socialiste dont rêve Becker diffère donc sensiblement de l’État démocratique centralisé, pilier d’un « État européen solidaire » dont en 1867 le parti de Bebel et Liebknecht trace les contours108.

    178Sur la question du fédéralisme, Marx et Engels sont, eux aussi, loin de partager les vues de Becker qui, malgré son ralliement au socialisme marxiste, continue à en appeler aux forces spirituelles et morales et ne renie pas au fond ses convictions de 1848 : la transformation de l’Europe en une ligue de républiques démocratiques et de peuples égaux et libres.

    Marx-Engels : l’Europe et la révolution mondiale

    « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe ont conclu une alliance sacrée pour traquer ce spectre... »109

    179Dès 1848, ce préambule du Manifeste rédigé par Marx et Engels à la veille de la révolution replace le combat ouvrier dans son contexte idéologique : son opposition radicale à l’Europe conservatrice de 1815, dont le bastion principal est évidemment la Russie tsariste. Mais dès 1848, dès le milieu du siècle et peu avant la guerre de Crimée, Marx annonce que l’absolutisme russe est condamné par l’évolution historique110. Citons pour mémoire ces lignes tirées d’un article publié dans un grand journal américain :

    « Il n’y a plus en Europe que deux forces réelles : la Russie et l’absolutisme, la Révolution et la démocratie... Les peuples de l’Ouest remonteront au pouvoir et retrouveront l’unité de but, tandis que le colosse russe sera ruiné par le progrès des masses et la force explosive des idées. »111

    180Il apparaît clairement ici que Marx partage les vues de ses contemporains démocrates et républicains concernant l’opposition entre les peuples occidentaux et le panslavisme, les premiers étant naturellement destinés à être les vecteurs de l’histoire et à changer la face du monde. Cependant l’Occident lui-même est divisé en deux camps rivaux, les puissances conservatrices et réactionnaires d’une part, les forces révolutionnaires de progrès d’autre part112. Sa pensée dialectique amène Marx à considérer que le progrès de l’histoire naîtra de la confrontation des forces antithétiques : antagonismes entre Russie et Occident, conflits entre impérialismes nationaux, et surtout lutte des classes. Marx attaque dès 1852, dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, l’étatisme dictatorial de Napoléon III. Plus tard, Engels s’en prend à l’expansionnisme du Second Empire113. Mais lorsqu’en 1870 l’Allemagne de Bismarck succède à la France sur la scène de l’Histoire, Marx stigmatise avec énergie le dernier-né du monde conservateur et bourgeois, « le lion rugissant du patriotisme » allemand, désormais rival du chauvinisme français114.

    181Toutefois, au-delà de la lutte des nationalismes, l’auteur de La guerre civile en France révèle une autre opposition, à ses yeux fondamentale : la lutte des classes. L’épisode de la Commune de Paris est interprété par lui comme la coalition des puissances réactionnaires « pour massacrer en commun le prolétariat ». De même que la classe ouvrière s’organise internationalement, « la domination de classe ne peut plus se cacher sous un uniforme national » :

    « Tandis que les gouvernements européens témoignent ainsi devant Paris du caractère international de la domination de classe, ils crient haro sur l’Association internationale des travailleurs, contre-organisation internationale du travail opposée à la conspiration cosmopolite du capital... »115

    182Marx et Engels, les initiateurs du socialisme scientifique, poussent jusqu’à leurs ultimes conséquences leurs analyses de la situation politique, sociale et économique de l’Europe. Les puissances conservatrices ne sont pas le seul objet de leurs attaques, qui visent aussi un certain nombre d’idéologies dites « bourgeoises », même si elles sont l’expression de l’esprit républicain et démocratique. Ainsi dès 1849 Engels attaque dans la Nouvelle Gazette rhénane les « rêveurs » comme Lamartine et Ruge, qui croient au mirage de la fraternité des peuples et au fédéralisme européen116. En 1850, Marx fustige les émigrés allemands en Suisse et leur « Comité central de la démocratie européenne »117 et en 1851 il tourne en dérision les « philistins » du « Comité pour les affaires allemandes » regroupant à Londres des réfugiés de 1848-1849 et proclamant la « Sainte-Alliance des peuples »118.

    183Des hommes comme Ruge, Karl Blind, Fröbel, voire des socialistes comme Jacoby, B. Geiser, J.-R Becker ne sont pas non plus à l’abri des sarcasmes. Fröbel est accusé de s’être rallié à la bourgeoisie américaine et de prédire un avenir américano-russe119. Du côté du pacifisme, la désapprobation n’est pas moindre. Marx tonne contre les « charlatans pacifistes » et refuse de collaborer au journal Les Etats-Unis d’Europe120. Engels, de son côté, reproche à Gögg son horizon borné et son attachement à la « Ligue internationale de la paix et de la liberté ». C’est un « morceau fossilisé de fédéralisme républicain », écrit-il à Marx en janvier 1868121.

    184La condamnation de la « Ligue » et du fédéralisme pacifiste des émigrés allemands est à nouveau prononcée en 1875 à l’occasion de la Critique du programme de Gotha (Kritik des Gothaer Programms), dans laquelle Marx accuse la social-démocratie de formuler des revendications politiques n’allant pas au-delà de celles des mouvements « bourgeois » comme la « Ligue de la paix et de la liberté » ou le « Parti du peuple » (Volkspartei) de Jacoby. Et Engels de renchérir dans une lettre à Bebel : contrairement à son attitude « authentiquement internationaliste durant la guerre », le mouvement ouvrier allemand n’a plus, après le Congrès de Gotha, que « la vague perspective, non d’une coopération ultérieure des travailleurs européens en vue de leur libération, mais d’une future « fraternité internationale des peuples »-les « États-Unis d’Europe » des bourgeois de la « Ligue de la Paix » ». La social-démocratie, écrit encore Engels, « rabaisse son internationalisme au niveau d’Amand Gögg »122.

    185Cette hostilité foncière envers l’idée d’« États-Unis d’Europe » fédératifs, qui a orienté durablement la pensée marxiste, requiert quelques explications concernant la conception de la nation et de l’État national chez Marx et Engels. Ils considèrent en effet que l’histoire travaille en Europe, depuis la fin du Moyen Âge, à la constitution de grandes nationalités, l’État national correspondant à la phase bourgeoise du processus historique123. L’État national est donc nécessairement un Etat de classe, dont l’indépendance et la souveraineté sont justifiées par le fait qu’elles conditionnent dialectiquement le développement du mouvement prolétarien.

    « Un mouvement prolétarien international n’est possible, affirme Engels en 1882, en tout état de cause qu’entre nations indépendantes. »124

    186De ces conceptions de base découlent deux affirmations : d’abord que l’Europe doit être composée de grandes nationalités consolidées selon le principe d’autodétermination, ensuite qu’il est nécessaire d’établir une hiérarchie entre les nations. Cette hiérarchisation rappelle de toute évidence la distinction hégélienne entre peuples historiques et non-historiques, mais le marxisme introduit ici des critères sociaux et économiques, la primauté étant réservée aux nations industriellement avancées, c’est-à-dire possédant les potentialités révolutionnaires les plus grandes.

    187Ainsi s’explique l’hostilité constante de Marx envers les petites ethnies d’Europe Centrale et Orientale, « misérables débris » dont parle Engels dans sa correspondance. Un passage significatif de Po und Rhein (1859) mérite une citation in extenso :

    « Nul ne prétendra, explique Engels lors de la guerre d’Italie, que la carte de l’Europe soit définitivement arrêtée. Mais toutes les transformations... doivent en gros tendre à donner toujours davantage aux grandes nations européennes viables leurs véritables limites naturelles, fixées par la langue et les sympathies, tandis que corrélativement les débris des peuples encore épars çà et là, devenus inaptes à une existence nationale, resteront incorporés aux nations plus grandes, seront assimilés par elles, ou bien ne survivront que sous forme de monuments ethnographiques sans importance politique. »125

    188Monuments ethnographiques sans importance politique ? Cette affirmation sera corrigée par Engels lui-même dans un article de 1866 sur la Pologne, où il donne de précieuses indications sur la constitution de l’Europe future envisagée dans l’optique marxiste. Il y réaffirme le principe d’autodétermination des « grandes entités nationales de l’Europe », des « grandes nations historiques bien définies » comme l’Italie, la Pologne, l’Allemagne et la Hongrie, en voie de rejoindre le groupe des Etats-nations. Il y règle à nouveau de manière expéditive le sort des nationalités mineures y compris celui des Celtes d’Europe occidentale, qui n’ont pas droit au titre de nations. Parvenu à ce point, Engels est obligé de constater que le schéma « État-Langue-Nation », propre à la conception occidentale et « bourgeoise » du principe national, n’est pas précisément adéquat aux réalités européennes. Introduisant ici une distinction entre « nation » et « nationalité », il reconnaît « qu’aucune frontière d’Etat ne coïncide avec les frontières naturelles de la nationalité, celles de la langue »126.

    189Mais laissons à nouveau parler Engels lui-même :

    « La conséquence naturelle du développement historique confus et lent de l’Europe au cours du dernier millénaire est que presque toutes les grandes nations se sont séparées de quelques parties limitrophes de leur propre corps, qui se sont trouvées coupées de la vie nationale, et, dans la plupart des cas, intégrées à la vie nationale d’un autre peuple »127.

    190C’est alors que l’auteur de l’article donne à sa réflexion un tour quelque peu inattendu concernant l’utilité de ces « débris » et « résidus » épars à travers l’Europe :

    « Et après tout, poursuit-il, ce n’est pas un mince avantage que des nations différentes, telles qu’elles se sont constituées politiquement, aient absorbé pour la plupart quelques éléments étrangers qui servent de liaison avec leurs voisins et tranchent dans l’uniformité, sans cela trop monotone, du caractère national. »128

    191En son temps, des hommes comme Frantz, Bluntschli et Renan ne disaient pas autre chose, conscients qu’ils étaient des périls d’une Europe de grands États-nations centralisateurs, niveleurs et impérialistes.

    192Mais pour Engels, l’existence d’ethnies médiatrices typique de la pensée fédéraliste n’a qu’une importance relative. L’essentiel pour lui est la création de grands ensembles nationaux centralisés et doués de capacités révolutionnaires. La plus urgente des tâches est, pour lui comme pour Marx, l’affranchissement du prolétariat d’Europe occidentale.

    193Cette tâche historique doit, dans la pensée des pères du socialisme, émaner essentiellement des trois nations les plus avancées, l’Allemagne, la France, l’Angleterre. Triade déjà évoquée, dans les années 1840, par Moses Hess et Arnold Ruge, mais qui joue chez Marx un rôle majeur dans la mesure où la doctrine marxiste est la synthèse de l’esprit philosophique allemand, de la tradition révolutionnaire française et de l’économisme britannique. En fait, l’auteur du Capital croit discerner alternativement chez les Français et chez les Allemands, et cela suivant les circonstances politiques, la possibilité d’affranchissement du prolétariat.

    194Dès 1844, sa Critique de la philosophie hégélienne du droit constate le retard politique de l’Allemagne, qui risque de se retrouver « au niveau de la décadence européenne avant d’avoir jamais été au niveau de l’émancipation européenne ». La révolution de 1848 semble confirmer la prédiction suivante :

    « Le jour de la résurrection allemande sera annoncé par le chant du coq gaulois »129.

    195Mais dans les années 1860, Marx et Engels font le procès du bonapartisme, de Proudhon, du mutualisme, du pacifisme et du fédéralisme, si bien qu’en 1870 le premier écrit au second :

    « Ma ferme conviction est... que l’Allemagne est beaucoup plus mûre pour un mouvement social et qu’elle dépassera de beaucoup les Français. »130

    196Survient un nouveau coup de théâtre avec la Commune de Paris. Dès le 4 septembre 1870, le jour de la proclamation de la République, le Conseil fédéral des sections parisiennes de l’Internationale s’était adressé aux démocrates socialistes allemands pour leur proposer la réconciliation des deux peuples et la création d’une république universelle des Etats-Unis d’Europe, programme certes peu orthodoxe en matière de marxisme, mais qui n’empêchera pas Marx de dresser, dans La guerre civile en France, un monument aux révolutionnaires de Paris, fussent-ils proudhoniens, blanquistes, anarchistes ou libertaires. Rappelons ce passage extrait d’une lettre à Kugelmann, correspondant de Marx en Allemagne (12 avril 1871) à propos de la Commune :

    « C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent... L’histoire ne connaît pas encore d’exemple d’une pareille grandeur... Que l’on compare les Titans de Paris aux esclaves du Saint-Empire romain prusso-germanique, avec ses mascarades posthumes, ses relents de caserne et d’église, de féodalité, et surtout de philistinisme. »131

    197Nouvel avatar après l’échec de la Commune : Marx et Engels mettent à nouveau leurs espoirs dans la social-démocratie, si bien qu’en 1884 le second croit pouvoir écrire à Kautsky que l’Allemagne bismarckienne est le pays révolutionnaire par excellence132.

    198Cette euphorie sera cependant de courte durée, et à la fin de l’ère bismarckienne Engels verra son attente déçue. Il estimera que le socialisme ne pourra triompher en Allemagne que « porté par un raz-de-marée européen ».

    199Pour lui comme pour Marx, l’Allemagne est le théâtre principal des bouleversements qui amèneront inéluctablement la chute du capitalisme et la naissance de la société socialiste. Les articles que Marx publie dès 1848 dans la Nouvelle Gazette rhénane, puis au cours des années 1850 analysent avec acuité la genèse de la grande révolution européenne à travers ses diverses péripéties. Mais le philosophe ne se contente pas de scruter l’évolution de la société bourgeoise d’Europe. Il étudie aussi avec attention les événements extra-européens, replaçant ainsi la situation de l’Ancien Continent dans un cadre mondial.

    « L’Europe ne sera probablement la proie des guerres et des révolutions qu’à la suite d’une crise générale du commerce et de l’industrie, et comme d’habitude, c’est l’Angleterre, représentante de l’industrie européenne sur le marché mondial, qui devra en donner le signal », prophétise-t-il en 1853 dans un journal américain133.

    200De la guerre de Crimée (1854-1856) à la fin de l’ère bismarckienne, Marx et surtout Engels, qui meurt en 1895, modifient considérablement leur vision des futurs « Deux Grands ». La Russie, tenue depuis le début du siècle pour le bastion du conservatisme monarchique, finit par apparaître comme le pays d’une éventuelle révolution, offrant la perspective la plus favorable au socialisme134. Quant aux États-Unis d’Amérique, Marx notait à la veille de la guerre de Crimée « l’apparition à l’horizon européen de la politique américaine »135, l’Amérique n’étant encore à cette époque que « le plus jeune et le plus puissant représentant de l’Ouest ». Trois ou quatre décennies plus tard, elle est devenue la principale concurrente du Vieux Continent, une concurrente qui précipite la crise du capitalisme européen et qui, en cas de conflits en Europe, « serait victorieuse sur toute la ligne »136.

    201Il faut reconnaître que les analyses et les prédictions des deux socialistes concernant la Russie et l’Amérique se sont en général confirmées. Il est loin d’en être de même pour l’Europe occidentale. Car s’il est vrai qu’elle a connu tous les cataclysmes annoncés par Engels en 1888 : une nouvelle Guerre de Trente ans, la faillite économique, la chute des monarchies et l’effondrement des États, il n’en est pas sorti le triomphe du prolétariat137.

    202L’Europe occidentale, « le continent le plus doué », c’est-à-dire le plus avancé dans l’ordre des sciences, des techniques, de l’industrie, et, partant, dans les domaines de la politique, de l’économie et de la société, n’a pas vraiment joué le rôle qu’attendaient d’elle les théoriciens du marxisme.

    203Une chose est sûre cependant : le grand mérite de Marx et d’Engels est de dépasser un horizon strictement européen et de donner une vision globale de l’évolution politique, économique et sociale. Ils sont, avec Tocqueville, Fröbel, Jörg parmi les premiers à avoir jugé l’Europe de manière relative, en fonction des impératifs de la situation mondiale, à avoir annoncé l’ascension des puissances extra-européennes et à avoir soumis à une analyse méthodique les répercussions des événements mondiaux sur l’état de l’Ancien Continent.

    204L’Europe socialiste, et plus précisément marxiste, non seulement ne s’inscrit plus dans une perspective étroitement continentale, mais n’est plus une communauté de peuples uniquement politique, historique ou culturelle, contrairement à celle des fédéralistes, des chrétiens, des juristes, des pacifistes. Elle s’apparente de toute évidence à celle des économistes.

    8. L’Europe des économistes

    205L’idée de la paix par la liberté commerciale émane aux xviiie et xixe siècles des économistes libéraux britanniques, d’Adam Smith à Cobden, qui font du libre-échangisme la condition première du pacifisme universel. L’idée est développée en France par le comte de Saint-Simon, grand admirateur de l’Angleterre et inspirateur de Napoléon III. L’œuvre de Saint-Simon a eu sur les Allemands une profonde influence, notamment le traité De la réorganisation de la société européenne paru à l’époque du Congrès de Vienne. L’auteur de ce projet extrêmement novateur en matière politique et économique fait la part belle non seulement au parlementarisme et à l’industrialisme anglais, mais aussi à la future Allemagne unifiée qui, estime-t-il, devrait jouer un rôle éminent dans un parlement anglo-franco-allemand, noyau d’un grand parlement européen.

    206Le courant libéral se heurte dès le début du xixe siècle à la réaction romantique, puis à l’époque bismarckienne aux idéologies conservatrices d’une part, au système de pensée socialiste d’autre part. Par ailleurs, l’Allemagne se transforme profondément entre le milieu et la fin du siècle, passant d’un type de société essentiellement agrarien à une économie plus industrielle. L’irruption de la « Weltpolitik » et de la concurrence mondiale à la fin des années 1880 impose aux économistes une perspective beaucoup plus large, aux dimensions du continent.

    207Une vive controverse divise les économistes de l’ère bismarckienne : le grand débat, lancé avant 1848 par leur maître à penser F. List, sur le libre-échange et le protectionnisme. Et en outre le père spirituel du « Zollverein » leur lègue le concept de « Mitteleuropa », qui connaîtra jusqu’au xxe siècle une extraordinaire fortune et qui constitue presque toujours l’infrastructure de leurs projets d’union économique de l’Europe. C’est en fonction des théories de List qu’ils se définissent et prennent position sur les questions majeures de l’époque.

    208Entre List et Werner Sombart, l’auteur de Der Bourgeois138, d’autres économistes et sociologues allemands se font les théoriciens du dynamisme productiviste de l’Europe139.

    209L’un des plus considérables est sans doute Lorenz von Stein (1815-1890), économiste, juriste et politologue, professeur à Vienne. Fondateur de la science politique moderne et de la sociologie, il a inspiré, au moins en partie, Marx par sa critique du capitalisme libéral. Les conceptions de Stein, exprimées dans ses cours, ses ouvrages maintes fois réédités et traduits, et dans d’innombrables articles, ont largement pénétré dans les milieux scientifiques et politiques, ainsi que dans la presse. Elles sont donc d’une extrême importance quant à l’idée d’unité de la civilisation européenne dans la seconde moitié du siècle.

    210L’idée que cette civilisation est le résultat de l’accumulation de richesses à la fois matérielles et culturelles est au centre de la pensée politique et sociale de Stein. Comme List, il estime que l’avenir de l’expansion européenne est en Asie. Comme List, et aussi comme d’autres, il est préoccupé par la future et redoutable concurrence de l’Amérique. Comme Marx, il est impressionné par le développement du commerce américain au cours de la guerre de Crimée, et il en déduit qu’il serait bon « que l’Europe se sente unie face à l’Amérique »140.

    211Il affirme en même temps que l’Européen est le « dominateur naturel des Asiatiques », et ce thème de l’action européenne sur l’Asie reste constant chez lui, puisqu’on le retrouve beaucoup plus tard dans le grand article Europa und Asien, paru dans la Allgemeine Zeitung de Munich. Stein y regrette que les Occidentaux n’aient qu’une notion très nébuleuse de l’Orient et il souhaite que, grâce au Congrès de Berlin, l’Europe constituée en fédération d’États (der europäische Staatenstaat) puisse régler la question asiatique141.

    212Lorenz von Stein se fait du génie de l’Europe une idée très proche de l’idéologie libérale du Staatslexicon de Rotteck et Welcker : continent multiple, antithétique et identique à la fois, dynamique et progressiste, elle est le pays du travail et de l’action.

    « L’Europe est ce qu’elle est et elle peut ce qu’elle peut grâce à son travail. Ce que l’Europe est dans le monde et ce qu’elle peut, elle le doit à son labeur. »142

    213Le plus petit des continents est miraculeusement parvenu à s’assimiler la substance de toutes les civilisations, à créer une philosophie commune, une conception fondamentale de l’univers, à laquelle l’auteur conseille de revenir constamment pour éviter l’affaiblissement de la conscience communautaire dans l’Europe moderne143.

    214Un autre économiste et sociologue de renom, Albert Schäffle (1831-1903), exerça une influence considérable, notamment sur la politique sociale de Bismarck. Révolutionnaire badois en 1849, puis membre du « Zollparlament », il fut appelé comme Stein à enseigner à Vienne (1868) avant de devenir ministre du commerce d’Autriche (1871). Adversaire à la fois du capitalisme libéral et du marxisme, il prônait une sorte d’associationnisme fédéraliste et corporatiste. Il fut, beaucoup plus que Stein, sensible aux théories darwiniennes et à celles de l’« anthropogéographe » Friedrich Ratzel144.

    215Schäffle s’appuie sur les données géographiques pour affirmer que la « presqu’île d’Europe » est la cause première de ce don du perfectionnement qui caractérise l’Occidental. Il a une idée très dynamique de l’évolution des peuples « historiques », soumis depuis toujours à la lutte permanente, au mouvement incessant, à la loi de rivalité.

    « L’apparition des Européens sur tous les continents introduit partout la norme la plus élevée : celle de la lutte... »145

    216Fidèle à ses principes de sélection naturelle, Schäffle tient la race anglo-saxonne pour particulièrement vigoureuse. C’est pourquoi il envisage pour l’Europe une émulation fructueuse avec l’Amérique146. La concurrence américaine forcera les Européens à « se rassembler en États-Unis d’Europe, graduellement et à partir de l’Europe centrale »147.

    217L’idée de « Mitteleuropa » joue en effet, à partir de F. List, un rôle prépondérant, mais avec des caractéristiques différentes selon la conjoncture. L’Europe des économistes varie considérablement dans sa nature et ses dimensions au gré de la politique entre 1850 et la fin du siècle. Les thèses s’affrontent sur le système qui doit prévaloir dans l’organisation de l’Europe centrale, les uns se ralliant au protectionnisme, les autres se réclamant du libre-échangisme.

    218Des hommes comme Alexander von Peez (1829-1912) et Karl Ludwig von Bruck (1798-1860) sont des représentants de la première tendance. Peez, économiste, homme politique, historien et journaliste, devint en 1864 secrétaire général de l’« Association des industriels » de Vienne, où il exerça une grande influence sur les milieux de la finance et du commerce. Disciple enthousiaste de List, il milita contre le libre-échange et pour une union douanière germano-autrichienne d’inspiration « grand-allemande ». Dès 1853, il fonda ses plans d’un grand rassemblement des peuples d’Europe centrale sur de vastes considérations historico-politiques et sur des visions d’avenir comme le triomphe final de la supériorité germanique148.

    219Après son écrit L’Allemagne au tournant de son histoire (Deutschland am Wendepunkt seiner Geschichte, 1859), où il prônait une organisation fédérative de l’Europe centrale, Peez prit nettement position, après le traité commercial franco-prussien, contre la politique de conversion au libre-échange et il se lança dans un plaidoyer pour une union douanière d’Europe centrale, qui serait une extension du « Zollverein » à l’Autriche. Ces idées, exprimées par l’auteur des Sept lettres d’Angleterre sur la politique commerciale (Sieben handelspolitische Briefe aus England, 1863), sont issues directement des théories de List.

    220Ce sont, à peu près, celles du baron Karl Ludwig von Bruck (1798-1860), ministre du commerce, puis des finances du gouvernement autrichien. Élu député de Trieste au Parlement de Francfort, il devint dès 1848 membre du cabinet Schwarzenberg et orienta d’emblée sa politique vers l’unification de l’Europe centrale en un vaste ensemble économique allant de la Scandinavie à la Mer Noire, du Rhin à l’Adriatique. Ce bloc engloberait donc « tout le centre et la partie principale de l’Europe » et serait seul capable de concurrencer la Grande-Bretagne.

    221Ce projet est exposé en 1849 dans un mémoire intitulé Mémorandum du ministre impérial autrichien du commerce sur la préparation d’une union douanière et commerciale austro-allemande (Denkschrift des kaiserlich osterreichischen Handelsministers über die Anbahnung der österreichisch-deutschen Zoll- und Handelseinigung). Bruck précise ses idées dans un second écrit, en 1850 : Denkschrift des kaiserlich österreichischen Handelsministers über die Zollverfassung und Handelspolitik der Zollvereinten Staaten von Österreich und Deutschland. Il tente d’y harmoniser le système protectionniste et le système libre-échangiste en une vaste construction dont la cohésion reposerait sur l’identité des intérêts. Le centre du continent serait économiquement et politiquement organisé autour de Vienne, en une fédération regroupant l’Autriche, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, la Hollande, la Scandinavie et l’Italie.

    222Il est aisé de discerner dans ces plans l’influence de List. Il s’agit pour Bruck d’agrandir le Zollverein grâce à des structures fédératives. D’ailleurs il fait du fédéralisme le thème de sa dernière œuvre Les tâches de l’Autriche (Die Aufgaben Österreichs, 1860), où il propose en 1859 de régler la question italienne par la création d’une confédération de la péninsule, qui viendrait compléter les confédérations germanique et helvétique149.

    223Bruck est mort à temps pour ne pas assister à l’écroulement de ses rêves, ruinés par l’avènement de l’Allemagne bismarckienne.

    224En tout état de cause, à la veille de l’arrivée au pouvoir du Chancelier de fer, l’organisation de l’Europe centrale est loin de susciter seulement des réactions protectionnistes. Les économistes autrichiens ou partisans de l’Autriche semblent bien s’acheminer progressivement vers des solutions de compromis, à la fois libre-échangistes à l’intérieur de la « Mitteleuropa » et protectionnistes à l’extérieur.

    225C’est ce qui ressort d’une série d’articles publiés en 1858 et 1859 par la revue libérale Deutsche Vierteljahres-Schrift, qui a joué un rôle considérable dans le débat sur le principe national. Cette revue, qui avait compté F. List au nombre de ses collaborateurs et dans laquelle s’exprimait A. Schäffle, constate que les choses sont en train d’évoluer vers une interdépendance des nations et que « les temps de la vie économique nationale fermée sont révolus », l’industrialisation menant à l’internationalisme économique150.

    226Certains économistes estiment urgent à cette époque de réviser les théories de List. Quant à Fröbel, il apportera en 1865 sa contribution à la libéralisation de l’économie et du commerce. S’interrogeant dans L’Autriche et le libre-échange (Österreich und der Freihandel, Wien, 1865) sur le problème de l’ouverture à la libre concurrence, il croit ne pas trahir la pensée de son maître F. List qui, comme lui, avait une connaissance directe de l’Amérique et était capable d’une vision dépassant les limites de la Mitteleuropa.

    227En vérité, la notion d’« Europe centrale » va subir après 1871 d’assez curieuses métamorphoses selon les fluctuations de la situation politique et économique. Le retour du Reich bismarckien au protectionnisme à partir de 1876, la concurrence mondiale grandissante entraînent dans les années 1880 la résurgence de l’idée d’une « Mitteleuropa » économique, d’autant plus qu’une nouvelle école d’économistes, celle des « Socialistes de la Chaire » (Kathedersozialisten), renoue avec le « Système national d’économie politique » de List.

    228C’est ainsi que Lujo Brentano (1844-1931), professeur à Breslau, puis à Strasbourg, Leipzig, Vienne et Munich, propose en 1885 la création d’une union douanière austro-allemande étendue aux pays balkaniques. Il est convaincu que le xxe siècle verra s’affronter de grands blocs concurrents et que seul un vaste rassemblement économique du centre et du sud-est de l’Europe sera à même de relever le défi151.

    229« On parle sérieusement d’une union douanière commune des États d’Europe centrale contre l’Amérique et la Russie », écrit de son côté en 1882 Gustav Schmoller (1838-1917), « socialiste de la chaire », professeur à Berlin et rédacteur en chef de la revue Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft. Dans l’article qu’il y consacre à La concurrence américaine et la situation de l’agriculture d’Europe centrale, en particulier de l’Allemagne, il élargit le cadre de sa réflexion en notant un peu plus loin :

    « Les Etats européens dans leur totalité (die gesamten Staaten Europas) seront obligés de faire cause commune pour soutenir la lutte du système douanier européen contre le système américain »152.

    230Mais si Schmoller évoque la nécessité d’une cohésion contre l’empire capitaliste et la libre concurrence, son Europe reste excessivement floue. Sa pensée n’est précise que sur un point : le bien-fondé du protectionnisme. Il suit donc F. List pas à pas et a rendu hommage à ses dons d’anticipation153.

    231C’est aussi le cas de l’Allemand de Transylvanie Guido von Baussnern, qui parle de l’inspirateur des projets d’Europe centrale économique comme d’un « Martin Luther de l’économie politique ». Reprenant en 1880 les idées de Bruck, Baussnern leur fait subir des extensions, des translations et des réductions successives, allant du rassemblement des pays germaniques (y compris l’Angleterre et la Scandinavie) à une « union douanière entre l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et la France ». Il est en effet convaincu que le problème européen ne peut être réglé que par une « unification organique » des forces économiques des deux grandes nations154.

    232Baussnern part de l’hypothèse que l’avenir sera dominé par les grands empires économiques et que l’intérêt de l’Allemagne serait d’agir « comme régulatrice de tout le commerce mondial, afin de subsister à côté des puissances mondiales d’Amérique, de Russie et d’Angleterre ». Son projet, envoyé à Bismarck, se heurta pourtant aux obstacles et aux impératifs de la politique, le Chancelier étant désireux de ne pas mécontenter la Russie. Baussnern n’abandonna pas ses plans d’union de la Mitteleuropa, mais semble avoir renoncé par la suite à y intégrer la France155.

    233Les exemples cités prouvent l’émergence, au cours des années 1880, de l’idée d’un regroupement continental dépassant les limites de l’Europe centrale. Mais il faut souligner que cette prise de conscience des données nouvelles de l’économie mondiale s’accompagne souvent d’une sorte de scepticisme, d’inquiétude, de crainte face à la montée des puissances extra-européennes. Le philosophe Bruno Bauer, ancien « Jeune hégélien » pourfendu par Marx dans La Sainte Famille (1844), dénonce en 1880 les illusions de l’Europe et l’appauvrissement spirituel de l’Allemagne bismarckienne :

    « Les journaux allemands répandirent en octobre de l’année dernière la nouvelle qu’une vaste union douanière incluant la France et les Etats voisins plus petits allait inaugurer pour toute l’Europe centrale (Zentraleuropa) l’âge d’or du bonheur et du bien-être... Mais le seul côté réaliste et concret de cette idée était celui-ci : on a eu le sentiment, on a eu conscience que les Etats du continent, qui paraissaient grands, sont en réalité devenus très petits et commencent à s’atrophier. »156

    234Les prédictions de Schmidt-Phiseldek, de Tocqueville et d’autres commencent donc à se réaliser. Bruno Bauer voit juste. L’avenir se chargera de lui donner raison. Certains de ses contemporains sentent qu’il faut appliquer les grands moyens pour surmonter le morcellement de l’Europe.

    235C’est le cas d’A. Schäffle qui, partant de la traditionnelle union douanière entre l’Allemagne et l’Autriche, l’étend à l’ensemble du continent sous la dénomination d’« Association continentale » (Festlandverein), sorte de « contrat de droit international résiliable à terme, afin de n’entraver la souveraineté d’aucune nation »157.

    236Tous les Etats de l’Europe continentale, y compris la Russie, pourraient y adhérer, la solidité de l’ensemble étant assurée par la solidarité des intérêts matériels. La stabilité économique serait garantie par l’harmonisation de l’industrie et de l’agriculture, le règlement des problèmes monétaires dans le cadre continental, l’augmentation de la productivité, les mesures de protection contre les crises de l’économie mondiale. Il s’agit en somme, comme l’indique Schäffle, de trouver une troisième voie entre l’économie nationale et la libre concurrence mondiale158.

    237A la même époque, A. von Peez reprend ses projets vieux de trois décennies, mais déborde également l’espace économique de l’Europe centrale. Toujours fidèle aux théories de List, il voit alors se concrétiser les intuitions de son génial devancier : la division du monde en blocs rivaux, surtout l’union panaméricaine et « Greater Britain », vaste zone protectionniste comprenant le Commonwealth. Devant la nouvelle situation mondiale, estime-t-il, l’union de l’Europe est indispensable :

    « Si les Etats continentaux ne veulent pas être broyés économiquement, financièrement et ensuite politiquement par le géant anglo-saxon, s’ils ne veulent pas rétrograder peu à peu jusqu’au rang de petits États, menacés d’étouffement sous le poids de la surpopulation, de la prolétarisation, des partis, de la discorde et de la méfiance, ainsi que des armements qui en sont la conséquence, leur union est une nécessité. »159

    238A vrai dire, Peez n’envisage pas autre chose qu’une conférence permanente des représentants des Etats, en l’occurrence la France, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, les petites nations voisines, l’Italie, et éventuellement la Russie. Influencé par l’évolution de la situation diplomatique dans les dernières années de l’ère bismarckienne, il voit poindre à l’horizon une nouvelle menace, celle de la puissance russe, et revient à l’idée d’organiser l’Europe centrale autour de la Triplice en y adjoignant la Scandinavie, la Belgique, la Suisse, les Balkans et même la Turquie. Peez exprime le vœu qu’un jour la France, les Pays-Bas et les peuples ibériques rejoignent cette « union européenne »160.

    239Mais il n’ignore pas qu’il s’agit d’un vœu pieux, et c’est pourquoi il met quelque espoir dans un éventuel choc psychologique provoqué par le Congrès panaméricain de Washington en 1890 :

    « J’espère donc, déclare-t-il en avril 1890, c’est-à-dire peu après la chute de Bismarck, que le panaméricanisme éveillera tôt ou tard un « paneuropéisme », à savoir une alliance de tous les États européens à la manière des amphictyonies de l’antique Hellade... »161

    240Mais, vers 1890, le scepticisme, voire le pessimisme gagnent du terrain. Rares sont ceux qui, comme Hugo Preuss, professeur de droit constitutionnel à Berlin et futur rédacteur de la Constitution de Weimar, croient encore que la prospérité matérielle est forcément facteur d’unité.

    241En réponse aux suggestions de Peez concernant la formation d’une « union européenne », l’économiste autrichien Alexander von Dorn (1838-1918) dénonce les mobiles nationalistes des hommes d’État en ces termes :

    « Je crains qu’il ne soit difficile d’amener les nations ou les Etats d’Europe, tant que leur situation ne sera pas pire qu’aujourd’hui, à conclure entre eux une entente, un cartel douanier qui en tout état de cause leur assurerait une existence sensiblement meilleure. »162

    242C’est en 1890 que le journaliste et publiciste prussien Konstantin Rössler (1820-1896) publie son écrit L’avenir des peuples de l’Europe centrale (Die Zukunft der Völker von Mitteleuropa), ouvrage nettement pessimiste où l’auteur dresse un constat de faillite. Selon lui, l’Europe véritablement européenne, en l’occurrence celle des peuples latins et germaniques à l’exception de l’Angleterre, est en train de jouer l’avenir de sa civilisation avec le sort de son économie. Voyons ses arguments : à l’extérieur, l’Amérique et la Russie s’émancipent et font surgir grâce aux technologies européennes des civilisations qui sont la négation de la culture, laquelle repose en effet sur des facteurs moraux et spirituels. A l’intérieur règnent l’anarchie, la discorde, l’autodestruction de l’économie et, partant, de la civilisation. Le monde romano-germanique, sommet de l’histoire, est voué à « un lent dépérissement »163.

    243Rössler pense-t-il que la cause est entendue ? Il tient pour insensé que les Européens ne se souviennent pas tôt ou tard de leur patrimoine spirituel. Il indique des moyens, modestes et réalistes, non pas d’emblée une union douanière, mais un effort dans cette direction, une amorce d’anti-protectionnisme, d’harmonisation des secteurs industriels, de division du travail. Mais, et Rössler le sait, il ne peut y avoir de coopération économique sans règlement du contentieux franco-allemand. Le point de départ doit en être un pacte d’assurance limité entre l’Allemagne et la France.

    244Et pourtant Rössler n’y croit guère, et au bout du compte il écrit cette phrase désabusée : « Nous savons que nous nous perdons dans les nuées » (wir wissen, dass wir ins Blaue zeichnen)164.

    245En jetant un dernier coup d’œil sur les considérations européennes des économistes de l’ère bismarckienne, nous constatons que cette période est marquée par l’échec de la coopération économique. A lire les écrits de cette époque, l’impression dominante est que l’Europe est de moins en moins perçue comme une unité, même si l’exploitation des continents colonisés entretient encore l’illusion d’une certaine solidarité.

    246D’où le flou et la timidité des projets d’auteurs généralement réticents à sortir du cadre d’une Europe centrale plus ou moins vaste, d’un espace économique à géométrie variable, mais presque toujours limité à l’Europe du centre et de l’ouest.

    247Une ultime remarque s’impose : aucun des successeurs de F. List n’a eu son génie d’anticipation et de prédiction. Ils ont pu toutefois constater ce que les économistes libéraux n’avaient pas prévu, à savoir que les progrès de la science et de la technique, l’essor de l’industrie et du commerce ne conduiraient pas forcément à l’union et à la paix.

    Notes de bas de page

    1 Bundesstaat und Einheitsstaat, dans Historische und politische Aufsätze, 6e édition, Leipzig, 1903, Bd 2, p. 150.

    2 La nation allemande et l’Empire. Düsseldorf, 1861, p. 46.

    3 Cf. Russland und England. Charlottenburg, 1854. Traduction française La Russie et l’Angleterre, Charlottenburg, 1854.

    4 Cf. à ce sujet J. Nurdin : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne. Berne, 1980, pp. 70-73.

    5 Cf. W. Menzel : Europa im Jahr 1840. Stuttgart, 1839.

    6 K. Gutzkow : Deutschland am Vorabendseines Faites oder seiner Grösse. Frankfurt/Main, 1848, p. 61.

    7 Deutschland und die abendländische Zivilisation. Stuttgart, 1852, p. 391.

    8 Cf. J. Nurdin : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., p. 107.

    9 Bismarck, Reden und Gespräche. Paderborn, 1957, p. 52.

    10 Die grosse Politik der europäischen Kabinette 1871-1914. Sammlung der diplomatischen Akten des auswärtigen Amtes. Berlin, 1922, Bd 2, Nr 256, p. 88.

    11 Les discours de M. le Prince de Bismarck. Berlin, Paris, Londres, 1885. Seconde série. Première période 1862-1866, p. 119.

    12 Cf. J. Dautry : Le pangermanisme et l’idée européenne de Bismarck à Guillaume II, dans L’Europe de Napoléon à nos jours. Mythes et réalités. Editions sociales, 1954, pp. 29 à 38.

    13 Cf. en particulier W. Frauendienst : Bismarck als Ordner Europas. Festrede zum Tag der nationalen Erhebung und der Reichsgründung. 30-01-1941, dans Hallische Universitätsreden 78, p. 18.

    14 Discours du 15-06-1868 au Reichstag de la Confédération d’Allemagne du Nord.

    15 Cf. J. Nurdin : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., partie II, chap. 1.

    16 Theorie der Politik, Bd 2, p. 191, Wien, 1861-1864.

    17 Die europäischen Ereignisse und die Weltpolitik (Les événements d’Europe et la politique mondiale) paru en 1855 dans le San Francisco Journal et repris dans Kleinepolitische Schriften (Petits écrits politiques), Bd 1, Stuttgart, 1866.

    18 Kleine politische Schriften, Bd 1, p. 54, Stuttgart, 1866.

    19 Cf. Die Gesichtspunkte und Aufgaben der Politik (Les points de vue et les tâches de la politique). Leipzig, 1878, p. 464.

    20 Kleine politische Schriften, Bd 1, p. 3.

    21 Ibid, p. 215.

    22 Gesichtspunkte und Aufgaben der Politik, op. cit., p. 465.

    23 Amerika, Europa und die politischen Gesichtspunkte der Gegenwart. Berlin, 1859, p. 210.

    24 Cf. Wien, Deutschland und Europa. Wien, 1848, p. 29.

    25 Cf. Theorie der Politik, op. cit., Bd 1, p. 322.

    26 Die Gesichtspunkte und Aufgaben der Politik, op. cit., p. 465.

    27 Cf. Kleine politische Schriften, Bd 1, op. cit.

    28 Kleine politische Schriften, Bd 1, op. cit.

    29 Ibid., Bd 2, p. 404.

    30 Historisch-politische Blätter fur das katholische Deutschland. München, Bd 32, 1853, p. 67 et p. 293.

    31 Cf. ibid., Bd 35,1855, p. 834.

    32 Ibid., Bd 97.

    33 Sur la biographie de K. Frantz, nous renvoyons à notre ouvrage L’idée d’Europe dam la pensée allemande à l’époque bismarckienne. op. ct/., pp. 215-275.

    34 Cf K. Frantz : Die Weltpolitik. Chemnitz, 1882, chap. 1, p. 124.

    35 Untersuchungen über das europäische Gleichgewicht (Recherches sur l’équilibre européen). Berlin, 1859, p. 89.

    36 Cf. en particulier Die Weltpolitik, op. cit., tome 3, p. 87.

    37 Cf. Die Wiederherstellung Deutschlands (La restauration de l’Allemagne). Berlin, 1865, p. 14.

    38 Die Religion des National liberalismus (La religion du national-libéralisme). Leipzig, 1872, p. 116.

    39 Dans Blätter für deutsche Politik und deutsches Recht. München, 1886.

    40 Cf. Untersuchungen über das europäische Gleichgewicht. Berlin, 1859, p. 13.

    41 Die Weltpolitik, op. cit., tome 2, p. 136.

    42 Theorie der deutschen Frage. Dans : Deutsche Vierteljahrsschrift. Hefte II/III. 29. Jg, Stuttgart, 1866, p. 36.

    43 Offener Brief an R. Wagner. Dans : Der Föderalismus als universale Idee von K. Frantz Berlin 1948, p. 252.

    44 Théorie de la question allemande. op. cit., Heft III, p. 225.

    45 Der Föderalismus. op. cit., p. 166.

    46 Die Wiederherstellung Deutschlands. Berlin, 1865, p. 357.

    47 Cf. en particulier Lettre ouverte à R. Wagner, op. cit., p. 275, et Der Föderalismus, op. cit., p. 21.

    48 Die Wiederherstellung Deutschlands. op. cit., pp. 440 et 441.

    49 Voir à ce sujet notre ouvrage sur L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., p. 260.

    50 Die Weltpolitik. op. cit., tome 2, p. 164.

    51 Cf. Die Wiederherstellung Deutschlands. op. cit., p. 425.

    52 Die Weltpolitik. op. cit., tome 2, p. 425.

    53 Cf. à ce sujet : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne. op. cit., p. 263.

    54 Scientia Verlag, Aalen.

    55 Die Naturlehre des Staates als Grundlage aller Staatswissenschaft. Leipzig-Heidelberg, 1870, p. 451.

    56 Cf. notre ouvrage, op. cit., pp. 275-276.

    57 Cf ibid, p. 277.

    58 Sur J.C. Bluntschli, voir notre ouvrage L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne. op. cit., pp 293 à 322.

    59 Cf. J.C. Bluntschli : Politik als Wissenschaft (La politique comme science). Stuttgart, 1876, livre III, chap. 1, p. 124.

    60 Cf Deutsche Staatslehre für Gebildete (Science politique allemande pour lecteurs cultivés). Nördlingen, 1874, p. 415.

    61 Denkwürdiges aus meinem Leben (Mémoires de ma vie). II, p. 131.

    62 Cf. Die nationale Staatenbildung und der moderne deutsche Staat (La constitution des Etats nationaux et l’Etat allemand moderne). Berlin, 1870, p. 17.

    63 Ibid., p. 31.

    64 Cf. La Politique. Paris, 1879, p. 84.

    65 Cf. Das moderne Völkerrecht der zivilisierten Staaten (Le droit international moderne des États civilisés). Nordlingen, 1872, pp. 101-103.

    66 Cf. Deutsche Staatslehre. op. cit., p. 418.

    67 Cf. Die schweizerische Nationalität (La nationalité suisse). Dans : Gesammelte kleine Schriften. Bd 2. Nordlingen, 1881, p. 130.

    68 Cf Die Gründung der amerikanischen Union von 1787 (la fondation de l’Union américaine de 1787). Dans : Sammlung gemeinverständlicher wissenschaftlicher Vorträge. Hrsg von R. Virchow und Fr. von Holtzendorff. Serie III, Heft 54, Berlin 1868.

    69 Gesammelte kleine Schriften. op. cit., p. 293.

    70 Ibid., p. 280.

    71 Ibid, p. 292.

    72 Ibid, p. 293.

    73 Cf. James Lorimer : Principes du droit international. Bruxelles-Paris, 1885, p. 347.

    74 Gesammelte kleine Schriften. op. cit., p. 284.

    75 Ibid., p. 298.

    76 Ibid., p. 312.

    77 Cf. Politik als Wissenschaft. Stuttgart, 1876, traduit sous le titre de La politique, op. cit., pp. 259-262.

    78 Cf Denis de Rougemont : 28 siècles d’Europe. Paris, 1961, p. 262.

    79 Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt.

    80 Cf. Der deutsche Eidgenosse (Le confédéré allemand). London – Hamburg, 1865, p. 171.

    81 Das Ziel der deutschen Volkspartei. Dans : Jacoby J. : Gesam. Schriften und Reden. Teil II, Hamburg, 1872, p. 333.

    82 Sur tous ces mouvements démocratiques et pacifistes, nous renvoyons à notre ouvrage sur Vidée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 359-362.

    83 Cf Les États-Unis d’Europe No 38, 20-09-1868.

    84 Ibid., No 13, 29-03-1868.

    85 Cf. notre ouvrage L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne. op. cit, pp 370-371.

    86 Stuttgart, 1886.

    87 Sur E. Lowenthal, cf. L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 343-351.

    88 Cf. Der Demokrat aus Baselland. Laufen, No 130, p. 3 et N 132, p. 3. 29-10-1870.

    89 Grundsätze zur Reform und Kodifikation des Völkerrechts. 1874.

    90 Cf. Mein Lebenswerk, auf sozialpolitischem, neu-religiösem, philosophischem und naturwissenschaftlichem Gebiete-Memoiren (L’œuvre de ma vie). Berlin, 1910.

    91 Cf à ce sujet : Pacifisme et internationalisme xviie-xxe siècles, textes choisis et présentés par Marcel Merle. Paris, 1966, pp. 184-194.

    92 Cf. Mein Lebenswerk, op. cit., p. 32.

    93 Cf. Der Friede in Europa. Leipzig, 1892, p. 110.

    94 Ibid., p. 285.

    95 Cf. Ibid., p. 443.

    96 Ibid., p. 482.

    97 Cf G. Schlott : Nationales und internationales Denken der deutschen und französischen Sozialisten, besonders in den Jahren 1863-1871. Dissert. Frankfurt/Main, 1960, p. 36.

    98 Cf. A. Bebel : Ausgewählte Reden und Schriften. Bd 1, Berlin, 1970, p. 150.

    99 Sur Becker et le marxisme cf. J. Nurdin : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 384-385.

    100 Cf. Wie und wann ? Ein ernstes Wort über die Fragen und Aufgaben der Zeit. Genf, London, Manchester, 1862, p. 237.

    101 Der Vorbote, Bd 1, p. 179.

    102 Cf K. Kautsky : Die vereinigten Staaten Mitteleuropas. Stuttgart, 1916, p. 41.

    103 Cf Der Vorbote, Bd 1, p. 47.

    104 Der Vorbote, Bd 2, p. 164.

    105 Ibid, Bd 1, p. 47.

    106 Ibid., Bd 2, p. 19.

    107 Ibid, Bd 3, p. 12.

    108 Ibid., Bd 1, p. 47.

    109 Manifeste du parti communiste. Edition bilingue Aubier-Montaigne, Paris, 1971, p. 169.

    110 Cf. Die Neue Rheinische Zeitung. 18-06-1848.

    111 New York Tribune, 31-12-1853, dans K. Marx : Œuvres choisies, Tome 1, Paris, 1963.

    112 Cf. Enthüllungen zur Geschichte der Diplomatie im 18. Jahrhundert, dans K. Marx : Politische Schriften. Bd 2, Darmstadt, 1971, pp. 798-822.

    113 Cf. Marx-Engels : Briefwechsel. Dietz Verlag, Berlin, 1949, Tome 3, p. 525.

    114 Cf. La guerre civile en France. Editions sociales, Paris, 1963, pp. 33-37.

    115 Ibid., p. 87.

    116 Cf. Neue Rheinische Zeitung, 15 et 16-02-1849.

    117 Cf Aussprachen der Zentralbehörde an den Bund 1850, dans K. Marx. Politische Schriften, op. cit., Bd 1, p. 260.

    118 Cf Marx-Engels : Briefwechsel, op. cit., Tome 1, pp. 211-215.

    119 Ibid., lettre de Marx à Engels, 24-11-1858, Bd 2, p. 430.

    120 Ibid., lettre de Marx à Engels, 29-11-1867, Bd 3, p. 539.

    121 Ibid., p. 12.

    122 Engels à Bebel, 18-03-1875, dans K. Marx/F. Engels : Briefe an A. Bebel,, W. Liebknecht, K. Kautsky und Andere. Teil I, p. 108, Moskau-Leningrad, 1933.

    123 Cf en particulier : F. Engels : Die Rolle der Gewalt in der Geschichte. Dietz Verlag, Berlin, 1984, p. 44.

    124 Lettre à Kautsky, 07-02-1882, Ibid., p. 251.

    125 F. Engels : Po und Rhein, rééd. Stuttgart, 1915, p. 51.

    126 What have the working classes to do with Poland ? Article du 31-03-1866 dans la revue Commonwealth. Cité par G. Haupt, M. Lowy, C. Weill : Les marxistes et la question nationale 1848-1914. Paris, 1974, p. 91.

    127 Ibid., p. 92.

    128 Ibid.

    129 Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie. Dans : Frühe Schriften. Darmstadt, 1971, Bd 1, pp. 497-505.

    130 Briefwechsel, op. cit., Bd 4, p. 234.

    131 Dans : La guerre civile en France, op. cit., p. 101.

    132 Lettre du 08-11-1884, dans Marx-Engels, Briefe an A. Bebel... op. cit., p. 375.

    133 Fie Revolution in China und in Europa, New York Daily Tribune, 14-06-1853, dans Politische Schriften, op. cit., Bd 1, p. 545.

    134 Cf. Engels à Bebel. 13-09-1886, Ibid., pp. 467-472.

    135 Article du 31-12-1853, dans K. Marx : Œuvres choisies. NRF, Paris, 1963, p. 332.

    136 Lettre d’Engels à Sorge, 07-01-1888, dans : Briefe und Auszüge aus Briefen von J.P. Becker, J. Dietzgen, F. Engels, K. Marx und Anderen an FA. Sorge und Andere. Stuttgart, 1906, p. 289.

    137 Cf. F. Engels : Ce qui menace l’Europe (Was Europa bevorsteht), dans : Der Sozialdemokrat, 15-01-1888, Zürich.

    138 Der Bourgeois. Zur Geistesgeschichte des modernen Wirtschaftsmenschen. München, 1913.

    139 Nous renvoyons ici à notre ouvrage L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 418 ss.

    140 Die Grundlagen und Aufgaben des künftigen Friedens. Wien, 1856, p. 7.

    141 Cf. Allgemeine Zeitung. München, 25-27 août 1884.

    142 Gegenwart und Zukunft der Rechts- und Staatswissenschaft Deutschlands, chap. 4, p. 312, Stuttgart, 1876.

    143 Cf. Lehrbuch der Nationalökonomie. Wien, 3e éd. 1887, p. 17.

    144 Cf. notre ouvrage L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 420-421.

    145 Bau und Leben des sozialen Körpers. Bd 2, rééd. Tübingen, 1896, p. 649.

    146 Cf. Darwinismus und Sozialwissenschaft. Dans : Gesammelte Aufsätze. Bd 1, Tübingen, 1885, pp. 1 à 36.

    147 Bau und Leben des sozialen Körpers. op. cit., p. 648.

    148 Cf. Die Deutschen in Vergangenheit und Zukunft. Einepatriotische Phantasie. Göttingen, 1853.

    149 Cf. Die Aufgaben Österreichs. Leipzig, 1860, p. 85.

    150 Cf Handelspolitische Betrachtungen aus der Gegenwart, dans Deutsche Vierteljahres-Schrift, Heft 1, 1859. Nous renvoyons à notre ouvrage sur L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., p. 425.

    151 Cf. Uber eine zukünftige Handelspolitik des Deutschen Reiches, dans Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft im Deutschen Reich, Jahrg. 9, Heft 1, Leipzig, 1885, pp. 1 à 22.

    152 Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft im Deutschen Reich. Jahrg. 7, Heft 2, Leipzig, 1882, p. 256.

    153 Cf. F. List als praktischer Volkswirt, dans : Schriften des deutschen Volkswirtschaftlichen Verbandes, Bd 2, Heft 1, Berlin, 1909.

    154 Cf G. von Baussnern : Deutschland und Österreich-Ungarn-Abhandlungen, Reden und Briefe 1868-1889. Leipzig, 1890, pp. 123-126.

    155 Cf. Der mitteleuropäische Friedensbund und dessen wirtschaftlicher und staatsrechtlicher Ausbau, 01-02-1888. Dans : Deutschland und Österreich-Ungarn. op. cit., pp. 210-219.

    156 Zur Orientierung über die Bismarck’sche Aera. Chemnitz, 1880, p. 289.

    157 Cf. Kornzoll, Währung und Volkswirtschaftlicher Festlandverein. Dans Gesammelte Aufsätze, Bd 1, Tübingen, 1885, p. 296.

    158 Cf. Ibid., p. 298.

    159 Wandlungen in der Weltwirtschaft und Weltpolitik. Dans : Allgemeine Zeitunp, 18-12-1884, München, p. 5186.

    160 Cf. Conférence du 11-03-1889 Mitteleuropa und die drei Weltmächte Grossbritannien, die Vereinigten Staaten und Russland. Dans : Zur neuesten Handelspolitik. Sieben Abhandlungen. Wien, 1895.

    161 Der all-amerikanische Tag 1889-1890 und seine Bedeutung für Europa. Dans : Zur neuesten Handelspolitik. op. cit., p. 63.

    162 Cf. A. Peez, Ibid, p. 35.

    163 Cf. Die Zukunft der Völker von Mitteleuropa. Berlin, 1890, p. 30.

    164 Ibid., p. 43.

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    1 Bundesstaat und Einheitsstaat, dans Historische und politische Aufsätze, 6e édition, Leipzig, 1903, Bd 2, p. 150.

    2 La nation allemande et l’Empire. Düsseldorf, 1861, p. 46.

    3 Cf. Russland und England. Charlottenburg, 1854. Traduction française La Russie et l’Angleterre, Charlottenburg, 1854.

    4 Cf. à ce sujet J. Nurdin : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne. Berne, 1980, pp. 70-73.

    5 Cf. W. Menzel : Europa im Jahr 1840. Stuttgart, 1839.

    6 K. Gutzkow : Deutschland am Vorabendseines Faites oder seiner Grösse. Frankfurt/Main, 1848, p. 61.

    7 Deutschland und die abendländische Zivilisation. Stuttgart, 1852, p. 391.

    8 Cf. J. Nurdin : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., p. 107.

    9 Bismarck, Reden und Gespräche. Paderborn, 1957, p. 52.

    10 Die grosse Politik der europäischen Kabinette 1871-1914. Sammlung der diplomatischen Akten des auswärtigen Amtes. Berlin, 1922, Bd 2, Nr 256, p. 88.

    11 Les discours de M. le Prince de Bismarck. Berlin, Paris, Londres, 1885. Seconde série. Première période 1862-1866, p. 119.

    12 Cf. J. Dautry : Le pangermanisme et l’idée européenne de Bismarck à Guillaume II, dans L’Europe de Napoléon à nos jours. Mythes et réalités. Editions sociales, 1954, pp. 29 à 38.

    13 Cf. en particulier W. Frauendienst : Bismarck als Ordner Europas. Festrede zum Tag der nationalen Erhebung und der Reichsgründung. 30-01-1941, dans Hallische Universitätsreden 78, p. 18.

    14 Discours du 15-06-1868 au Reichstag de la Confédération d’Allemagne du Nord.

    15 Cf. J. Nurdin : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., partie II, chap. 1.

    16 Theorie der Politik, Bd 2, p. 191, Wien, 1861-1864.

    17 Die europäischen Ereignisse und die Weltpolitik (Les événements d’Europe et la politique mondiale) paru en 1855 dans le San Francisco Journal et repris dans Kleinepolitische Schriften (Petits écrits politiques), Bd 1, Stuttgart, 1866.

    18 Kleine politische Schriften, Bd 1, p. 54, Stuttgart, 1866.

    19 Cf. Die Gesichtspunkte und Aufgaben der Politik (Les points de vue et les tâches de la politique). Leipzig, 1878, p. 464.

    20 Kleine politische Schriften, Bd 1, p. 3.

    21 Ibid, p. 215.

    22 Gesichtspunkte und Aufgaben der Politik, op. cit., p. 465.

    23 Amerika, Europa und die politischen Gesichtspunkte der Gegenwart. Berlin, 1859, p. 210.

    24 Cf. Wien, Deutschland und Europa. Wien, 1848, p. 29.

    25 Cf. Theorie der Politik, op. cit., Bd 1, p. 322.

    26 Die Gesichtspunkte und Aufgaben der Politik, op. cit., p. 465.

    27 Cf. Kleine politische Schriften, Bd 1, op. cit.

    28 Kleine politische Schriften, Bd 1, op. cit.

    29 Ibid., Bd 2, p. 404.

    30 Historisch-politische Blätter fur das katholische Deutschland. München, Bd 32, 1853, p. 67 et p. 293.

    31 Cf. ibid., Bd 35,1855, p. 834.

    32 Ibid., Bd 97.

    33 Sur la biographie de K. Frantz, nous renvoyons à notre ouvrage L’idée d’Europe dam la pensée allemande à l’époque bismarckienne. op. ct/., pp. 215-275.

    34 Cf K. Frantz : Die Weltpolitik. Chemnitz, 1882, chap. 1, p. 124.

    35 Untersuchungen über das europäische Gleichgewicht (Recherches sur l’équilibre européen). Berlin, 1859, p. 89.

    36 Cf. en particulier Die Weltpolitik, op. cit., tome 3, p. 87.

    37 Cf. Die Wiederherstellung Deutschlands (La restauration de l’Allemagne). Berlin, 1865, p. 14.

    38 Die Religion des National liberalismus (La religion du national-libéralisme). Leipzig, 1872, p. 116.

    39 Dans Blätter für deutsche Politik und deutsches Recht. München, 1886.

    40 Cf. Untersuchungen über das europäische Gleichgewicht. Berlin, 1859, p. 13.

    41 Die Weltpolitik, op. cit., tome 2, p. 136.

    42 Theorie der deutschen Frage. Dans : Deutsche Vierteljahrsschrift. Hefte II/III. 29. Jg, Stuttgart, 1866, p. 36.

    43 Offener Brief an R. Wagner. Dans : Der Föderalismus als universale Idee von K. Frantz Berlin 1948, p. 252.

    44 Théorie de la question allemande. op. cit., Heft III, p. 225.

    45 Der Föderalismus. op. cit., p. 166.

    46 Die Wiederherstellung Deutschlands. Berlin, 1865, p. 357.

    47 Cf. en particulier Lettre ouverte à R. Wagner, op. cit., p. 275, et Der Föderalismus, op. cit., p. 21.

    48 Die Wiederherstellung Deutschlands. op. cit., pp. 440 et 441.

    49 Voir à ce sujet notre ouvrage sur L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., p. 260.

    50 Die Weltpolitik. op. cit., tome 2, p. 164.

    51 Cf. Die Wiederherstellung Deutschlands. op. cit., p. 425.

    52 Die Weltpolitik. op. cit., tome 2, p. 425.

    53 Cf. à ce sujet : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne. op. cit., p. 263.

    54 Scientia Verlag, Aalen.

    55 Die Naturlehre des Staates als Grundlage aller Staatswissenschaft. Leipzig-Heidelberg, 1870, p. 451.

    56 Cf. notre ouvrage, op. cit., pp. 275-276.

    57 Cf ibid, p. 277.

    58 Sur J.C. Bluntschli, voir notre ouvrage L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne. op. cit., pp 293 à 322.

    59 Cf. J.C. Bluntschli : Politik als Wissenschaft (La politique comme science). Stuttgart, 1876, livre III, chap. 1, p. 124.

    60 Cf Deutsche Staatslehre für Gebildete (Science politique allemande pour lecteurs cultivés). Nördlingen, 1874, p. 415.

    61 Denkwürdiges aus meinem Leben (Mémoires de ma vie). II, p. 131.

    62 Cf. Die nationale Staatenbildung und der moderne deutsche Staat (La constitution des Etats nationaux et l’Etat allemand moderne). Berlin, 1870, p. 17.

    63 Ibid., p. 31.

    64 Cf. La Politique. Paris, 1879, p. 84.

    65 Cf. Das moderne Völkerrecht der zivilisierten Staaten (Le droit international moderne des États civilisés). Nordlingen, 1872, pp. 101-103.

    66 Cf. Deutsche Staatslehre. op. cit., p. 418.

    67 Cf. Die schweizerische Nationalität (La nationalité suisse). Dans : Gesammelte kleine Schriften. Bd 2. Nordlingen, 1881, p. 130.

    68 Cf Die Gründung der amerikanischen Union von 1787 (la fondation de l’Union américaine de 1787). Dans : Sammlung gemeinverständlicher wissenschaftlicher Vorträge. Hrsg von R. Virchow und Fr. von Holtzendorff. Serie III, Heft 54, Berlin 1868.

    69 Gesammelte kleine Schriften. op. cit., p. 293.

    70 Ibid., p. 280.

    71 Ibid, p. 292.

    72 Ibid, p. 293.

    73 Cf. James Lorimer : Principes du droit international. Bruxelles-Paris, 1885, p. 347.

    74 Gesammelte kleine Schriften. op. cit., p. 284.

    75 Ibid., p. 298.

    76 Ibid., p. 312.

    77 Cf. Politik als Wissenschaft. Stuttgart, 1876, traduit sous le titre de La politique, op. cit., pp. 259-262.

    78 Cf Denis de Rougemont : 28 siècles d’Europe. Paris, 1961, p. 262.

    79 Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt.

    80 Cf. Der deutsche Eidgenosse (Le confédéré allemand). London – Hamburg, 1865, p. 171.

    81 Das Ziel der deutschen Volkspartei. Dans : Jacoby J. : Gesam. Schriften und Reden. Teil II, Hamburg, 1872, p. 333.

    82 Sur tous ces mouvements démocratiques et pacifistes, nous renvoyons à notre ouvrage sur Vidée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 359-362.

    83 Cf Les États-Unis d’Europe No 38, 20-09-1868.

    84 Ibid., No 13, 29-03-1868.

    85 Cf. notre ouvrage L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne. op. cit, pp 370-371.

    86 Stuttgart, 1886.

    87 Sur E. Lowenthal, cf. L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 343-351.

    88 Cf. Der Demokrat aus Baselland. Laufen, No 130, p. 3 et N 132, p. 3. 29-10-1870.

    89 Grundsätze zur Reform und Kodifikation des Völkerrechts. 1874.

    90 Cf. Mein Lebenswerk, auf sozialpolitischem, neu-religiösem, philosophischem und naturwissenschaftlichem Gebiete-Memoiren (L’œuvre de ma vie). Berlin, 1910.

    91 Cf à ce sujet : Pacifisme et internationalisme xviie-xxe siècles, textes choisis et présentés par Marcel Merle. Paris, 1966, pp. 184-194.

    92 Cf. Mein Lebenswerk, op. cit., p. 32.

    93 Cf. Der Friede in Europa. Leipzig, 1892, p. 110.

    94 Ibid., p. 285.

    95 Cf. Ibid., p. 443.

    96 Ibid., p. 482.

    97 Cf G. Schlott : Nationales und internationales Denken der deutschen und französischen Sozialisten, besonders in den Jahren 1863-1871. Dissert. Frankfurt/Main, 1960, p. 36.

    98 Cf. A. Bebel : Ausgewählte Reden und Schriften. Bd 1, Berlin, 1970, p. 150.

    99 Sur Becker et le marxisme cf. J. Nurdin : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 384-385.

    100 Cf. Wie und wann ? Ein ernstes Wort über die Fragen und Aufgaben der Zeit. Genf, London, Manchester, 1862, p. 237.

    101 Der Vorbote, Bd 1, p. 179.

    102 Cf K. Kautsky : Die vereinigten Staaten Mitteleuropas. Stuttgart, 1916, p. 41.

    103 Cf Der Vorbote, Bd 1, p. 47.

    104 Der Vorbote, Bd 2, p. 164.

    105 Ibid, Bd 1, p. 47.

    106 Ibid., Bd 2, p. 19.

    107 Ibid, Bd 3, p. 12.

    108 Ibid., Bd 1, p. 47.

    109 Manifeste du parti communiste. Edition bilingue Aubier-Montaigne, Paris, 1971, p. 169.

    110 Cf. Die Neue Rheinische Zeitung. 18-06-1848.

    111 New York Tribune, 31-12-1853, dans K. Marx : Œuvres choisies, Tome 1, Paris, 1963.

    112 Cf. Enthüllungen zur Geschichte der Diplomatie im 18. Jahrhundert, dans K. Marx : Politische Schriften. Bd 2, Darmstadt, 1971, pp. 798-822.

    113 Cf. Marx-Engels : Briefwechsel. Dietz Verlag, Berlin, 1949, Tome 3, p. 525.

    114 Cf. La guerre civile en France. Editions sociales, Paris, 1963, pp. 33-37.

    115 Ibid., p. 87.

    116 Cf. Neue Rheinische Zeitung, 15 et 16-02-1849.

    117 Cf Aussprachen der Zentralbehörde an den Bund 1850, dans K. Marx. Politische Schriften, op. cit., Bd 1, p. 260.

    118 Cf Marx-Engels : Briefwechsel, op. cit., Tome 1, pp. 211-215.

    119 Ibid., lettre de Marx à Engels, 24-11-1858, Bd 2, p. 430.

    120 Ibid., lettre de Marx à Engels, 29-11-1867, Bd 3, p. 539.

    121 Ibid., p. 12.

    122 Engels à Bebel, 18-03-1875, dans K. Marx/F. Engels : Briefe an A. Bebel,, W. Liebknecht, K. Kautsky und Andere. Teil I, p. 108, Moskau-Leningrad, 1933.

    123 Cf en particulier : F. Engels : Die Rolle der Gewalt in der Geschichte. Dietz Verlag, Berlin, 1984, p. 44.

    124 Lettre à Kautsky, 07-02-1882, Ibid., p. 251.

    125 F. Engels : Po und Rhein, rééd. Stuttgart, 1915, p. 51.

    126 What have the working classes to do with Poland ? Article du 31-03-1866 dans la revue Commonwealth. Cité par G. Haupt, M. Lowy, C. Weill : Les marxistes et la question nationale 1848-1914. Paris, 1974, p. 91.

    127 Ibid., p. 92.

    128 Ibid.

    129 Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie. Dans : Frühe Schriften. Darmstadt, 1971, Bd 1, pp. 497-505.

    130 Briefwechsel, op. cit., Bd 4, p. 234.

    131 Dans : La guerre civile en France, op. cit., p. 101.

    132 Lettre du 08-11-1884, dans Marx-Engels, Briefe an A. Bebel... op. cit., p. 375.

    133 Fie Revolution in China und in Europa, New York Daily Tribune, 14-06-1853, dans Politische Schriften, op. cit., Bd 1, p. 545.

    134 Cf. Engels à Bebel. 13-09-1886, Ibid., pp. 467-472.

    135 Article du 31-12-1853, dans K. Marx : Œuvres choisies. NRF, Paris, 1963, p. 332.

    136 Lettre d’Engels à Sorge, 07-01-1888, dans : Briefe und Auszüge aus Briefen von J.P. Becker, J. Dietzgen, F. Engels, K. Marx und Anderen an FA. Sorge und Andere. Stuttgart, 1906, p. 289.

    137 Cf. F. Engels : Ce qui menace l’Europe (Was Europa bevorsteht), dans : Der Sozialdemokrat, 15-01-1888, Zürich.

    138 Der Bourgeois. Zur Geistesgeschichte des modernen Wirtschaftsmenschen. München, 1913.

    139 Nous renvoyons ici à notre ouvrage L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 418 ss.

    140 Die Grundlagen und Aufgaben des künftigen Friedens. Wien, 1856, p. 7.

    141 Cf. Allgemeine Zeitung. München, 25-27 août 1884.

    142 Gegenwart und Zukunft der Rechts- und Staatswissenschaft Deutschlands, chap. 4, p. 312, Stuttgart, 1876.

    143 Cf. Lehrbuch der Nationalökonomie. Wien, 3e éd. 1887, p. 17.

    144 Cf. notre ouvrage L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., pp. 420-421.

    145 Bau und Leben des sozialen Körpers. Bd 2, rééd. Tübingen, 1896, p. 649.

    146 Cf. Darwinismus und Sozialwissenschaft. Dans : Gesammelte Aufsätze. Bd 1, Tübingen, 1885, pp. 1 à 36.

    147 Bau und Leben des sozialen Körpers. op. cit., p. 648.

    148 Cf. Die Deutschen in Vergangenheit und Zukunft. Einepatriotische Phantasie. Göttingen, 1853.

    149 Cf. Die Aufgaben Österreichs. Leipzig, 1860, p. 85.

    150 Cf Handelspolitische Betrachtungen aus der Gegenwart, dans Deutsche Vierteljahres-Schrift, Heft 1, 1859. Nous renvoyons à notre ouvrage sur L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, op. cit., p. 425.

    151 Cf. Uber eine zukünftige Handelspolitik des Deutschen Reiches, dans Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft im Deutschen Reich, Jahrg. 9, Heft 1, Leipzig, 1885, pp. 1 à 22.

    152 Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft im Deutschen Reich. Jahrg. 7, Heft 2, Leipzig, 1882, p. 256.

    153 Cf. F. List als praktischer Volkswirt, dans : Schriften des deutschen Volkswirtschaftlichen Verbandes, Bd 2, Heft 1, Berlin, 1909.

    154 Cf G. von Baussnern : Deutschland und Österreich-Ungarn-Abhandlungen, Reden und Briefe 1868-1889. Leipzig, 1890, pp. 123-126.

    155 Cf. Der mitteleuropäische Friedensbund und dessen wirtschaftlicher und staatsrechtlicher Ausbau, 01-02-1888. Dans : Deutschland und Österreich-Ungarn. op. cit., pp. 210-219.

    156 Zur Orientierung über die Bismarck’sche Aera. Chemnitz, 1880, p. 289.

    157 Cf. Kornzoll, Währung und Volkswirtschaftlicher Festlandverein. Dans Gesammelte Aufsätze, Bd 1, Tübingen, 1885, p. 296.

    158 Cf. Ibid., p. 298.

    159 Wandlungen in der Weltwirtschaft und Weltpolitik. Dans : Allgemeine Zeitunp, 18-12-1884, München, p. 5186.

    160 Cf. Conférence du 11-03-1889 Mitteleuropa und die drei Weltmächte Grossbritannien, die Vereinigten Staaten und Russland. Dans : Zur neuesten Handelspolitik. Sieben Abhandlungen. Wien, 1895.

    161 Der all-amerikanische Tag 1889-1890 und seine Bedeutung für Europa. Dans : Zur neuesten Handelspolitik. op. cit., p. 63.

    162 Cf. A. Peez, Ibid, p. 35.

    163 Cf. Die Zukunft der Völker von Mitteleuropa. Berlin, 1890, p. 30.

    164 Ibid., p. 43.

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    • Béland, Martine. (2015) Lectures nietzschéennes. DOI: 10.4000/books.pum.3157

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