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Trith-Saint-Léger

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Odette Hardy-Hémery

Troisième partie. De progressifs désengagements

Chapitre IX. Les premières restructurations

Texte intégral

Introduction. En arrière-plan, la création d’Usinor Dunkerque

1L’usine de Valenciennes produit en 1967 500 000 tonnes d’acier et va porter ce tonnage à un maximum de 842 000 en 1974. Tonnage respectable mais qui vient loin derrière celui de Denain : 2 420 000 tonnes d’acier en 1974 et surtout de Dunkerque : 4 222 000 tonnes la même année (voir tableau 18). Dès 1965, la production d’Usinor Dunkerque est du même ordre que celle de Denain.

Tableau 18 : Production d'acier d’Usinor et des usines de Valenciennes, Denain, Dunkerque, 1956-1975, en tonnes

Tableau 18 : Production d'acier d’Usinor et des usines de Valenciennes, Denain, Dunkerque, 1956-1975, en tonnes

N.B. En 1966, la production d'Usinor s’accroît du fait de la fusion avec Lorraine-Escaut ; de même en 1975 du fait de l’arrivée de Solmer.

Source : procès-verbaux du Comité central d'entreprise d’Usinor, Centre des Archives du Monde du Travail, cote 199 4018, 0334. Tableau établi par nos soins.

  • 1 M. Camut, op. cit., Camut, p 329.
  • 2 Usinor, Comité central d’entreprise, séance du 29 avril 1969, Centre des Archives du Monde du Trava (...)
  • 3 C’est-à-dire Linz-Donawitz, voir infra.
  • 4 Usinor, Comité central d’entreprise, séance du 11 décembre 1970, CAMT, 199 4018, 0334.

2Une première restructuration est la décision de construire l’usine de Dunkerque prise en 1956 ; son démarrage a lieu de décembre 1962 à février 1963. Cette usine a profité au début des années 1960 de la littoralisation de la sidérurgie. En 1970, le tonnage d’acier d’Usinor Denain est largement dépassé par celui d’Usinor Dunkerque (voir tableau 18) : l’avenir est déjà en train de se jouer. En 1967, la capacité des hauts fourneaux de Valenciennes est deux fois plus faible que celle des appareils de Dunkerque : alors que la capacité de production de chaque haut fourneau de Valenciennes est de 800 et de 900 tonnes par jour, Denain a un haut fourneau et Dunkerque deux de 2 000 tonnes par jour, le troisième haut fourneau dunkerquois alors en construction devant en produire 30001. Ce nouveau haut fourneau est mis en service le 18 novembre 19682 et va permettre de porter la production de l’usine à 3 000 000 tonnes d’acier. A Dunkerque, non seulement l’aciérie a tout de suite fonctionné en L. D3, c’est-à-dire à l’oxygène pur, mais la coulée continue y est réalisée fin 19704. En outre, Usinor Dunkerque est avantagé par ses dimensions optimales, par l’économie d’échelle et par la proximité de la mer lui permettant de recevoir par gros minéraliers les minerais étrangers à forte teneur. Dunkerque est en 1962 la première usine en France complètement construite hors des bassins traditionnels et installée sur la mer. Elle est calquée sur les plus grosses installations américaines et japonaises. La Direction d’Usinor prévoit dès avril 1969 pour Dunkerque une capacité de production de 4 000 000 tonnes d’acier pour fin 1970 et de 7 à 8 000 000 tonnes pour les années 1975 (projet Dunkerque III). En fait, les 8 000 000 tonnes ne seront pas atteintes, les 4 000 000 l’étant en 1974. Ces chiffres disent toutefois combien l’avenir appartient aux unités de production les plus puissantes.

I. Usinor Valenciennes : une usine sans long terme

Une productivité accrue mais l’ombre des premières fermetures

  • 5 Ibid, séance du 24 mai 1973.

3Les années 1960 voient les premiers arrêts d’installations anciennes et surtout un recul de l'investissement à la division de Valenciennes. Les plus petits hauts fourneaux, le 2 et le 4, sont éteints en 1960 et en 1963. Seuls subsistent les hauts fourneaux no 1 et no 3, de plus grands diamètres de creuset. Le no 1 atteint en 1967 une production journalière de 900 tonnes et le no 3 une de 800 tonnes. L’usine produit autant avec deux hauts fourneaux qu’en 1957 avec quatre. En 1966, pour le personnel Usinor, le nombre d’heures travaillées par tonne d’acier est de 13 h 33, il va passer à 9 h 19 en 1970, 9 h 73 en 1971 et 8 h 80 en 19725 pour tomber actuellement à 4 h 48. Depuis 1963, les hauts fourneaux sont équipés pour l’injection de fuel, ce qui active la combustion et réduit la mise au mille de coke.

4De même, de vieux trains de laminoirs sont fermés : celui de 600 en janvier 1967, celui de 850 à la fin de la même année, ses productions étant transférées sur le train de 920. Seule continue à fonctionner la quatrième cage du train de 850 ou train à billettes. Ces décisions provoquent le départ d’une fraction du personnel s’inquiétant des réorganisations de l'usine, en particulier de l’arrêt d’une partie des laminoirs.

5Ces arrêts ne sont pas alors les seuls dans le groupe Usinor : fermeture de l’usine d’Anzin en 1967 après la mise en route à cette unité (La Chiers) du train continu à fil machine en 1962 ; arrêt en 1968 et 1969 des deux hauts fourneaux de Louvroil où l'usine se borne désormais à du laminage.

6En outre et surtout, ces différentes suppressions sont contemporaines d’un fort ralentissement de l’investissement à la division de Valenciennes d’Usinor : dès 1966, pour la première fois depuis la libération, il est, exprimé en francs 1980, inférieur à 10 millions de francs. Si l’on compare la répartition des investissements par usine de 1966 à 1971, c'est à celle de Valenciennes qu’on investit le moins, 54 983 000 francs, sans prendre en compte les très faibles investissements de Louvroil et de l'usine des Ardennes (voir tableau 19).

Train de 600 mm à Usinor Valenciennes dans les années 1950.

Train de 600 mm à Usinor Valenciennes dans les années 1950.

Il s’agit d’un train trio de laminage de profilés, arrêté fin 1966. Les cages trio à cylindres horizontaux sont positionnées manuellement.

Espace Archives USINOR. Collection Photothèque USINOR La Défense.

Tableau 19. Répartition, dans les usines d’Usinor, des investissements effectués de 1966 à 1971.

Usines

Investissements cumulés en francs

Dunkerque

1 969 148 830

Mardyck

285 527 134

Denain

186 907 268

Montataire

95 107 219

Valenciennes

54 983 824

Louvroil

25 816 197

Longwy

178 182 576

Thionville

76 666 244

Ardennes

24 029 456

Source : Usinor, Comité central d'entreprise, procès-verbal de réunion du 28 novembre 1972. Tableau établi par nos soins.

Quelques investissements masquant une stagnation

7Quelques investissements se dégagent. En 1962, la réalisation du train de 920 qui permet de fabriquer des poutrelles à ailes parallèles de 200 à 600 mm entraîne un brusque accroissement des investissements à l’usine de Valenciennes : 423 millions de francs 1980 pour les deux années 1960 et 1962. Ce type de poutrelles remplace de plus en plus les anciennes à ailes normales. En effet, les ailes plus larges donnent un profil plus rigide à la construction métallique.

  • 6 Voir chapitre précédent pour cette modernisation.
  • 7 Dans les procédés LD-OLP et LD-AC permettant de traiter les fontes phosphoreuses, le jet d’oxygène (...)
  • 8 Dans le procédé à l’oxygène ou LD, l’affinage de la fonte au convertisseur est effectué au moyen d’ (...)

8Rappelons la création d’une agglomération des minerais avec la mise en route des fours Schmidt dans les années 19606. Une reprise suit les événements de 1968 après le grand mouvement social. Le passage de l’acier Thomas à l’acier à l’oxygène grâce au procédé OBM se fait à Valenciennes en 1970 bien que cette technologie ne représente pas un investissement très lourd. Dès 1956, à Valenciennes et à Denain, l'air soufflé dans les convertisseurs Thomas est enrichi par l’oxygène produit par Air Liquide à Denain-Bellevue et transporté par des conduites jusqu’aux aciéries. Ce faisant, la teneur de l’air soufflé est moins chargée d’azote. L’usine de Denain a d’abord été le laboratoire de l’Institut de recherche de la Sidérurgie ou IRSID pour mettre au point le procédé OLP7 dès 1960, ensuite développé sur trois convertisseurs de 60 tonnes avant que ceux-ci n’utilisent à la fin des années 1960 le procédé LD8. À Valenciennes, en 1970, les convertisseurs Thomas dont les fonds ont été modifiés ont pu rapidement être transformés grâce à un procédé autrichien tout récent, l’OBM, ou Oxygène-Bottom-Maxhutte.

  • 9 Les recherches ont consisté à imaginer un système de refroidissement du fond du convertisseur. La t (...)

9Avec ce procédé, l’affinage de la fonte au convertisseur est effectué à l’aide d’un jet d’oxygène accompagné d’injection simultanée d’hydrocarbures gazeux9. Les avantages de l’OBM sont les suivants : la déphosphoration est meilleure, le laitier contient moins de fer qu’avec le LD, on prolonge la durée de vie du fond du convertisseur. Usinor Valenciennes est la première usine française à utiliser l’OBM, suivie par les Aciéries de Longwy. Valenciennes qui, en 1970, a les plus gros convertisseurs (73 tonnes) va servir de modèle à Fairfields et Gary Works, premières usines américaines à adopter le procédé.

Agglomération d’Usinor Valenciennes, tubes Schmidt dans les années 1960.

Agglomération d’Usinor Valenciennes, tubes Schmidt dans les années 1960.

Le cylindre, gigantesque, servait à mélanger le minerai de fer et le poussier de coke avant l’expédition aux hauts fourneaux. Le four I de cette agglomération est mis en service en mars 1958, le four II en 1961. L’arrêt a lieu pour le four I en 1972 et pour l’ensemble au 31 octobre 1976. Le procédé, lors de son adoption, est celui alors en vigueur ; c’est un procédé danois provenant de l’avant-guerre. Il est alors uniquement employé, notamment chez Arbed au Luxembourg. C’est peu après que l’on utilisera des agglomérations sur chaîne, type Greenawalt puis Dwight-Lloyd.

Coll. O. Hardy-Hémery.

Usinor Valenciennes. Nettoyage du tube Schmidt de l’agglomération.

Usinor Valenciennes. Nettoyage du tube Schmidt de l’agglomération.

Coll. O. Hardy-Hémery.

Usinor Valenciennes entre rénovation et mise en question

10Les années 60 peuvent apparaître comme un temps de rénovation pour la division B d’Usinor. À l’usine de Valenciennes est mise à feu l’agglomération Schmidt en 1958 et en 1961, puis entre en production en 1962 le nouveau laminoir à grosses poutrelles qui va désormais assurer tout le programme de laminage. L’usine est l’un des plus gros producteurs nationaux de roues pour le matériel ferroviaire.

11Et pourtant le groupe B auquel se rattache l’usine de Valenciennes voit désormais son importance s’amenuiser. L'usine d'Anzin, berceau de la société, est fermée en avril 1967. Les deux hauts fourneaux de Louvroil sont arrêtés en 1968 et 1969, toute production de fonte et d’acier cessant à cet établissement. À la fin de 1969, l'usine de Valenciennes est la seule du groupe à subsister. L’appréciation donnée par la direction d’Usinor dès cette époque au comité central d’entreprise ne laisse guère planer de doute sur l'avenir à long terme de cette unité ; à la réunion du 14 décembre 1967, Maurice Borgeaud, vice-président directeur général d’Usinor, a cette phrase choc : « À Valenciennes, rien de particulier à signaler. L’usine continue sous sa forme actuelle à court et moyen terme ». Pour cette usine, le long terme n’est pas à l’ordre du jour. Les premières restructurations vont commencer à la fin des années 1970. En 1974 est créé le Groupement d’intérêt économique Valdunes, issu d’un rapprochement entre la division Roues et Essieux de Valenciennes et l’usine des Dunes de Creusot-Loire. Dans ce GIE Valdunes, Usinor a une part minoritaire de 43 %.

II. À Métalescaut, un effort de régénération

  • 10 Société Métallurgique de l’Escaut, rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale ordin (...)
  • 11 Les sidérurgistes du Valenciennois préfèrent, nous l’avons vu, livrer des produits finis plutôt que (...)

12À la libération, Métalescaut connaît de sérieuses difficultés. Lors de l’exercice 1944 de janvier à décembre, l’usine de Trith marche à l’extrême ralenti, la production n’est que de 13 000 tonnes, la plus faible enregistrée jusqu'à ce jour puisqu'en 1943 elle a atteint 16 000 tonnes10. Durant l’exercice 1932-1933, cette production avait dépassé 47 000 tonnes. 22 journées de travail ont été perdues en alertes. L’usine arrête plus de deux mois, d’août à octobre 1944 et ses résultats sont déficitaires. Lors de l’exercice suivant, l’usine de Trith marche à nouveau à l’extrême ralenti, la production stagne à 13 000 tonnes ; elle est freinée par le manque de combustibles et de demi-produits, ce dernier lié en partie seulement à la rareté du coke11. Le taux d’activité de l’usine de Trith est à peine de 40 % de celui de l’année 1938, alors que, pour l’ensemble de la France, en produits finis, ce même taux est en 1945 de 55 %. Même les prix sont défavorables aux lamineurs transformateurs : les demi-produits subissent un relèvement supérieur à celui des produits finis, réduisant encore la marge de transformation.

Convertisseurs Thomas d’Usinor Valenciennes dans les années 1950 avant leur passage à l’OBM.

Convertisseurs Thomas d’Usinor Valenciennes dans les années 1950 avant leur passage à l’OBM.

Coll. Lacheroy.

13La Société lance en octobre 1945 un emprunt obligataire de 20 000 000 francs courants pour reconstituer ses stocks. Les achats d’immeubles et de matériel pour cet exercice 1945 se limitent à la modique somme de 2 000 000 francs courants.

  • 12 Soit 38 099 tonnes, la même production de ronds, fers marchands, profilés et laminés ayant été de 3 (...)
  • 13 Elle atteint dans les trois divisions de la Société 67000 tonnes en 1949 et 63000 en 1950 contre 62 (...)

14Par contre, la production des exercices 1946 et 1947 se relève à Trith à 31 000 et 38 000 tonnes, ce dernier chiffre retrouvant le niveau de 193912. La production s’accroît à nouveau à 40 200 tonnes en 1948, 43 000 en 194913, 38 000 et 37 000 tonnes en 1950 et 1951.

  • 14 Dans l’hypothèse d’une production nationale d’acier portée à 15 000 000 tonnes à la fin du plan.

15Voilà pour l’aspect quantitatif. Reste que l’équipement des installations de Métalescaut à Trith-Saint-Léger est vétuste. À la libération de 1944, la totalité du matériel à cette usine date de 1921-1923, époque de la reconstruction. Comme le Plan Monnet prévoit de porter la production des lamineurs transformateurs à 300 000 tonnes14 et d'en réserver une part importante aux laminés spéciaux, la firme décide de s'orienter vers la fourniture de produits demandant du parachèvement. Elle entreprend, dès l’exercice 1946 le développement d’outillages de finition et l’électrification de ses trains de laminoirs pour supprimer la sujétion qu’est alors l’approvisionnement en charbon demi-gras d'un prix exorbitant et d’une livraison irrégulière et difficile. Pour la division de Trith, Métalescaut commande donc les moteurs nécessaires à l’électrification des laminoirs qui ne seront pas mis en service avant 1949 et un four à réchauffer permettant d’économiser un personnel difficile à recruter.

  • 15 Les bénéfices déclarés avant amortissement et distribution oscillent entre 135 et 151 000 000 franc (...)
  • 16 Société Métallurgique de l’Escaut, description de ce premier plan en date du 12 juin 1953, archives (...)
  • 17 Il s'agit d’un type breveté mis au point par la firme et pour lequel elle a de grosses commandes.

16Grâce aux dispositions prises dès 1947 par la Sidérurgie Française, la Société, en accord avec le ministère de la Production Industrielle, conçoit un premier plan de modernisation et d’extension, suivi d’un second, les usines sidérurgiques obtenant que le prix de vente des produits finis tienne compte d’une certaine marge réservée aux réinvestissements. Cet autofinancement est appelé « amortissement technique ». Le premier plan de modernisation, couvrant les exercices 1947 à 1953, s'élève pour la division de Trith à 600 000 000 francs courants (800 000 000 pour les trois divisions). Comparativement, le chiffre d’affaires de la Société, toutes divisions réunies, atteint 2 000 000 000 francs courants pour l’exercice 1949 et 1 800 000 000 pour l’exercice 195015. Ce plan16 porte entre autres à Trith sur un atelier de fabrication de persiennes métalliques17, l’aménagement des réseaux électriques, la modification du port fluvial, la construction d’un four, le rapprochement des laminoirs des cisailles de découpage et surtout l’électrification des trains de laminoirs. Cette modernisation doit permettre un accroissement de la production au minimum de 20 000 tonnes par an sans main-d'œuvre ni force motrice supplémentaire.

  • 18 Société Métallurgique de l’Escaut, description de ce second plan en date du 18 septembre 1958, arch (...)
  • 19 La production globale doit passer de 54 000 tonnes par an à 100 000 avec une réduction d’effectif a (...)
  • 20 Le chiffre d’affaires prévisionnel en 1960 est de 5 200 000 000 francs courants.

17En 1955, un second plan de modernisation18 prévoit la mécanisation du train de 300, une meilleure alimentation de celui de 275, le prolongement du magasin à fers et du parc à blooms. Ce plan de 524 000 000 francs courants pour la division de Trith et de 800 000 000 à nouveau pour l’ensemble de la Société doit augmenter la production par poste de 40 %19. La Société prévoit de couvrir ce second plan par 280 000 000 francs courants de bénéfices d’ici 196020, 220 000 000 francs à dégager du fonds de roulement et 300 000 000 francs courants d’emprunt.

18Métalescaut a donc fait un effort notable de mise à jour à 1 échelle de la Société ; il consiste dans un meilleur agencement, une desserte plus rationnelle des appareils de production et une modernisation des équipements engendrant des gains de productivité.

Conclusion. Longue incertitude ou simple pause ?

  • 21 CAMT, doc. cit.
  • 22 Usinor, Comité central d’entreprise, séance du 14 mai 1970, CAMT, doc. cit. Cette participation d’U (...)
  • 23 Abréviation du Comité central d'entreprise.

19Dans la période de consolidation de l’après-guerre, les menaces ne semblent pas peser sur l’avenir de Métalescaut. En 1968, cette Société devient une filiale d’Usinor qui renforce sa participation dans le capital en 197021. Métalescaut concentre alors son activité sur Trith en fermant ses divisions de Flize et de Puy-Guillaume ainsi que l’usine qu'elle vient d’absorber, les Forges et Laminoirs de Saint-Amand. À l’inverse, dans l’esprit de la direction d’Usinor, la stratégie concernant le bassin sidérurgique du Valenciennois semble arrêtée dès 1965-1966 car l’avenir de Denain est également envisagé en dehors de tout dynamisme dès cette époque. Â la séance du Comité d’entreprise du 22 décembre 196522, Maurice Borgeaud, représentant d’Usinor, déclare : « les répercussions du développement de Dunkerque sont celles déjà connues à Denain où l'on prévoit d'arrêter certains fours Martin. La production d'acier de Denain doit se situer entre 1 750 000 tonnes et 1 800 000 tonnes, production assez voisine du record de 2 000 000 tonnes atteint une seule fois en période de haute conjoncture ». Un an plus tard, lors du Comité central d’entreprise du 29 novembre 1966, la direction précise sa position : « Pour Denain, il n’est pas prévu d’accroître la production d'acier. Il y aura une modernisation du train à chaud en 1968 ». La stagnation est programmée tant pour l’usine de Denain que pour celle de Valenciennes. Le sort de cette dernière n'est plus évoqué qu'épisodiquement. À la séance du 29 avril 1969 du même CCE23, Maurice Borgeaud laisse entrevoir un avenir négatif pour Valenciennes :

  • 24 CAMT, Usinor, procès-verbal de réunion du Comité central d'entreprise du 29 avril 1969, 199 410 18  (...)

« on peut confirmer le rapprochement à plus ou moins long terme des fabrications de Denain et de Valenciennes. Cette orientation doit être précisée dans les 2-3 ans à venir. Actuellement, il ne se pose aucun problème d'emploi à Valenciennes puisqu’au contraire, on recherche du personnel pour passer certaines lignes de fabrication au régime des feux continus. À long terme, la production de fonte et d’acier pourrait être transférée à Denain, mais le regroupement en un seul établissement se fera peut-être dans 10 ou 15 ans, ou à moins long terme en fonction des possibilités... Il ne faut pas chercher à différer de tels projets. Il faudra dans la mesure du possible essayer d’accélérer »24.

  • 25 L’effectif pour l’usine de Valenciennes d’Usinor est passé, pour le personnel ouvrier, de 4046, max (...)

20Un signe ne trompe pas dans l’immédiat : la nouvelle orientation de la politique de main-d'œuvre d’Usinor au sein du groupe de Valenciennes. Les dirigeants souhaitent et recherchent une flexibilité plus grande du personnel. L’effectif total à cette usine a reculé de 700 personnes entre 1964 et 196 725. Certes, l’établissement a connu dans le passé des baisses d’emploi : lors de la crise des années 1930, lors du lock out de 1935. Mais il s’agit cette fois d’un phénomène structurel. L’usine, peu à peu, cesse d’être un large pôle d’attraction pour la main-d'œuvre régionale ; les plus qualifiés commencent à la quitter. Une instabilité endémique fait suite à la longue stabilité du personnel.

  • 26 Ph. Subra, Le temps d'une conversion. Le Valenciennois (1965-1995), Saint-Denis, Presses Universita (...)
  • 27 À l’origine, la ville de Valenciennes construit des locaux provisoires, l’équipe en salle de travau (...)

21Un point positif est la création dans cette période de l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis qui entre en fonctionnement à la rentrée de 1967. Le projet date de 1962-1964. La primauté à l’origine va au Droit et aux Sciences. Cette dernière section comporte 70 étudiants à la rentrée de 1968. L’IUT démarre en 1968, reprenant la section Bureau des Études du Lycée Technique. Le développement de l’Université n’a rien de brutal. Comme l’écrit Philippe Subra, « elle s'est construite progressivement, par petites touches, par accumulation de décisions apparemment mineures, sans qu’apparaisse aucune démarche planificatrice et prospective de la part de l’État »26. L’université, dont la création s’appuie financièrement sur la municipalité de Valenciennes puis sur les autres communes de l’arrondissement27 et politiquement sur la Chambre de Commerce et d’industrie, établit peu à peu des liens avec les entreprises locales. Sans doute la stagnation de la sidérurgie, la fermeture des houillères ont-elles pesé dans la volonté d’une grande partie des élus locaux de soutenir le développement de l’Université.

Notes

1 M. Camut, op. cit., Camut, p 329.

2 Usinor, Comité central d’entreprise, séance du 29 avril 1969, Centre des Archives du Monde du Travail abrégé en CAMT, cote 199 4018, 0334.

3 C’est-à-dire Linz-Donawitz, voir infra.

4 Usinor, Comité central d’entreprise, séance du 11 décembre 1970, CAMT, 199 4018, 0334.

5 Ibid, séance du 24 mai 1973.

6 Voir chapitre précédent pour cette modernisation.

7 Dans les procédés LD-OLP et LD-AC permettant de traiter les fontes phosphoreuses, le jet d’oxygène est additionné de poudre de chaux.

8 Dans le procédé à l’oxygène ou LD, l’affinage de la fonte au convertisseur est effectué au moyen d’une lance à oxygène introduite par le bec du convertisseur. C’est la firme autrichienne Voest qui, en collaboration avec les spécialistes suisses, met au point en 1950 le procédé LD, abréviation des usines de la société à Linz et Donawitz.

9 Les recherches ont consisté à imaginer un système de refroidissement du fond du convertisseur. La tuyère injectant l’oxygène est refroidie car placée dans un autre tube. Dans la partie séparant les deux tubes est injecté du gaz naturel qui se craque sous l’effet de la chaleur : cet effet endothermique refroidit le fond du convertisseur, Valenciennes Informations, Services Centraux, avril 1970, no 3, CAMT, 1993, 007 0010.

10 Société Métallurgique de l’Escaut, rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire des actionnaires du 16 mai 1945, archives privées. À Flize, l’usine est encore arrêtée et le reste en 1945 ; à la petite division de Puy-Guillaume, troisième usine de la Société, la production n’est pour le même exercice que de 2000 tonnes contre 8000 en 1941.

11 Les sidérurgistes du Valenciennois préfèrent, nous l’avons vu, livrer des produits finis plutôt que des demi-produits.

12 Soit 38 099 tonnes, la même production de ronds, fers marchands, profilés et laminés ayant été de 32 200 tonnes en 1938.

13 Elle atteint dans les trois divisions de la Société 67000 tonnes en 1949 et 63000 en 1950 contre 62000 tonnes en 1930.

14 Dans l’hypothèse d’une production nationale d’acier portée à 15 000 000 tonnes à la fin du plan.

15 Les bénéfices déclarés avant amortissement et distribution oscillent entre 135 et 151 000 000 francs courants de 1950 à 1952. Ces chiffres représentent un minimum, les déclarations des entreprises étant souvent en deçà de la réalité.

16 Société Métallurgique de l’Escaut, description de ce premier plan en date du 12 juin 1953, archives privées.

17 Il s'agit d’un type breveté mis au point par la firme et pour lequel elle a de grosses commandes.

18 Société Métallurgique de l’Escaut, description de ce second plan en date du 18 septembre 1958, archives privées.

19 La production globale doit passer de 54 000 tonnes par an à 100 000 avec une réduction d’effectif au train mécanisé permettant un poste supplémentaire à l’autre train.

20 Le chiffre d’affaires prévisionnel en 1960 est de 5 200 000 000 francs courants.

21 CAMT, doc. cit.

22 Usinor, Comité central d’entreprise, séance du 14 mai 1970, CAMT, doc. cit. Cette participation d’Usinor au capital de Métalescaut va permettre de financer et de mettre en service en 1977 le nouveau train à petits fers marchands et de supprimer les autres trains de laminoirs.

23 Abréviation du Comité central d'entreprise.

24 CAMT, Usinor, procès-verbal de réunion du Comité central d'entreprise du 29 avril 1969, 199 410 18 0334.

25 L’effectif pour l’usine de Valenciennes d’Usinor est passé, pour le personnel ouvrier, de 4046, maximum enregistré en février 1951, à 3182 en mars 1969, Usinor Valenciennes, 1971, doc. cit. Cette flexibilité de la main-d'œuvre, phénomène nouveau à Usinor Valenciennes, est évoquée au chapitre VI.

26 Ph. Subra, Le temps d'une conversion. Le Valenciennois (1965-1995), Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 1996, 259 p., p 203.

27 À l’origine, la ville de Valenciennes construit des locaux provisoires, l’équipe en salle de travaux pratiques, en assure l’entretien. Le forcing pour obtenir la localisation de l’Université à Valenciennes est opéré par Pierre Carous, maire de Valenciennes et par Marc Lefrancq, président de la Chambre de Commerce et d’industrie. Si, peu à peu, la subvention de la municipalité de Valenciennes à la jeune Université se réduit, le relais est pris par les autres communes de l’arrondissement. C’est en effet un syndicat intercommunal groupant les 82 communes, créé en 1967, qui finance l’acquisition des terrains du Mont Houy nécessaires à la création et à l’extension du campus, Ph. Subra, op. cit., pp. 205-207.

Table des illustrations

Titre Tableau 18 : Production d'acier d’Usinor et des usines de Valenciennes, Denain, Dunkerque, 1956-1975, en tonnes
Légende N.B. En 1966, la production d'Usinor s’accroît du fait de la fusion avec Lorraine-Escaut ; de même en 1975 du fait de l’arrivée de Solmer.
Crédits Source : procès-verbaux du Comité central d'entreprise d’Usinor, Centre des Archives du Monde du Travail, cote 199 4018, 0334. Tableau établi par nos soins.
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Titre Train de 600 mm à Usinor Valenciennes dans les années 1950.
Légende Il s’agit d’un train trio de laminage de profilés, arrêté fin 1966. Les cages trio à cylindres horizontaux sont positionnées manuellement.
Crédits Espace Archives USINOR. Collection Photothèque USINOR La Défense.
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Titre Agglomération d’Usinor Valenciennes, tubes Schmidt dans les années 1960.
Légende Le cylindre, gigantesque, servait à mélanger le minerai de fer et le poussier de coke avant l’expédition aux hauts fourneaux. Le four I de cette agglomération est mis en service en mars 1958, le four II en 1961. L’arrêt a lieu pour le four I en 1972 et pour l’ensemble au 31 octobre 1976. Le procédé, lors de son adoption, est celui alors en vigueur ; c’est un procédé danois provenant de l’avant-guerre. Il est alors uniquement employé, notamment chez Arbed au Luxembourg. C’est peu après que l’on utilisera des agglomérations sur chaîne, type Greenawalt puis Dwight-Lloyd.
Crédits Coll. O. Hardy-Hémery.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/53692/img-3.jpg
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Titre Usinor Valenciennes. Nettoyage du tube Schmidt de l’agglomération.
Crédits Coll. O. Hardy-Hémery.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/53692/img-4.jpg
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Titre Convertisseurs Thomas d’Usinor Valenciennes dans les années 1950 avant leur passage à l’OBM.
Crédits Coll. Lacheroy.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/53692/img-5.jpg
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