XVII. La vie d’Hugues de Marchiennes († 1158). Les différentes facettes d’un document hagiographique
p. 311-326
Note de l’éditeur
Extrait de Académie royale de Belgique, Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques, t. III, no 3-4, 1992, pp. 69-97.
Texte intégral
1Les vies des saints écrites en si grand nombre au Moyen Âge sont des sources familières aux historiens médiévistes. Ils leur portent même une secrète tendresse, précisément à la mesure des difficiles problèmes que pose ce genre de document. Il faut en effet s’immerger dans le texte en question pour pouvoir le comprendre vraiment, pour démêler le vrai du faux, pour distinguer les différents « messages » : le faux, dont on parlait à l’instant, étant à sa manière un message comme le vrai.
2Je n’ai pas l’intention de faire ici la théorie des « légendes hagiographiques » pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre en la matière1. Mais je voudrais, à partir d’un exemple favorable qui intéresse à la fois la Belgique et le nord de la France, montrer l’étonnante richesse d’informations qu’on peut y trouver. Naturellement aucun inventaire n’est exhaustif, puisque les points de vue se renouvellent suivant les temps et les chercheurs.
3Il s’agit de la Vie d’Hugues de Marchiennes, né à Tournai en 1102/1103 et mort abbé de Marchiennes le 11 juin 1158. Cette biographie, longue et détaillée, mais écrite dans une langue assez difficile, fut composée peu après sa disparition par un de ses plus intimes confidents : la situation est donc excellente sur le plan critique, sans que pour autant tous les problèmes soient supprimés. Hugues de Marchiennes ne fut jamais canonisé et semble n’avoir jamais bénéficié d’un culte public. Toutefois un pieux auteur du xviie s., Martin Lhermite, le classe parmi les bienheureux dans son Histoire des saints de la province de Lille-Douay-Orchies (Douay, 1638). Il est plus intéressant de constater que notre Vita ne contient aucun récit. de miracle. L’auteur s’explique même sur ce sujet (ch. 22) en disant que si les temps avaient encore été favorables aux miracles, il en aurait certainement fait beaucoup, tant sa vie avait été admirable2. De toute manière il a accompli de nombreux miracles spirituels d’assistance ou de conversion grâce à ses paroles, à sa prière, à son exemple. Ce point de vue est intéressant.
Présentation des lieux
4Considérons pour commencer la carte générale sur laquelle ont été reportées toutes les villes et localités citées dans la Vita Hugonis. On y a ajouté à dessein la frontière moderne, née pourtant cinq ou six cents ans après les événements, pour bien faire ressortir que dans nos régions l’histoire en cette période lointaine est absolument commune, sans relation aucune avec cette délimitation. Regardons les noms cités : il ne s’agit pas de mentions dues au hasard ; ils évoquent au contraire des réseaux de relations stables, soit dans le domaine scolaire (puisque notre héros avec d’autres compatriotes a fait ses études à Reims et à Laon), soit dans le domaine monastique (puisque nous voyons des sujets de choix passer de maison en maison pour exercer différentes dignités). Et que dire du rayonnement de saint Bernard de Clairvaux que rien ne pouvait arrêter ?
5Les limites diocésaines anciennes ont plus de signification. Tournai et Noyon sont encore – et jusqu’en 1146 – liés par une union personnelle, l’évêque résidant en principe à Noyon. Or, il est frappant que notre héros, moine de Saint-Martin de Tournai, ait été à un moment de sa carrière sous-prieur de Saint-Éloi de Noyon et qu’il ait eu des relations étroites avec Saint-Amand de Thourotte, un prieuré de Saint-Martin, à proximité également de Noyon. Marchiennes, pour sa part, est situé dans le diocèse d’Arras et la Vita Hugonis nous signale qu’à un moment donné (1141) l’évêque d’Arras Alvise essaya en vain d’imposer un abbé à Marchiennes. C’est l’unique fois où apparaisse un évêque durant ce long récit. La réapparition d’un évêque propre à Tournai en 1146 n’a pas même retenu l’attention du narrateur.
6Marchiennes appartient à l’Ostrevant petit pays naturel, un pagus carolingien entre la Scarpe et l’Escaut3. Situé sur la rive gauche de ce dernier fleuve, il a très logiquement fait partie du royaume de Charles le Chauve, puis du comté de Flandre. Il glissa ensuite sous l’emprise du Hainaut et par conséquent de l’Empire. On place ce changement en 1071, au moment de l’usurpation de Robert le Frison, mais ce point n’a pas d’importance pour nous. Retenons seulement que nous sommes ici à limite extrême du comté de Flandre. L’abbaye de Marchiennes était même un point d’appui important pour le prince flamand qui en possédait l’avouerie depuis 1038 et avait pu s’assurer des enclaves en plein territoire hennuyer. On remarquera encore le grand nombre d’abbayes souvent fort anciennes et bien dotées situées en Ostrevant ou sur ses bords. Une première génération date du viie siècle et se rattache directement ou indirectement à l’action de saint Amand ; une seconde génération apparaît quatre à cinq cents ans plus tard dans le sillage de la Vita apostolica.
7Nous n’avons pas à nous attarder sur cet ensemble. Deux monastères seulement doivent être présentés avec plus de détail parce qu’ils figurent au premier plan de notre récit, à savoir Saint-Martin de Tournai et Sainte-Rictrude de Marchiennes.
8Saint-Martin de Tournai est né à la fin du xie siècle de la conversion d’Odon, le célèbre écolâtre de l’école capitulaire4. En 1092, abandonnant son enseignement, il se retire du siècle et avec quelques compagnons s’installe dans l’ecclesiola Sancti Martini que lui a donnée l’évêque Ratbode. L’historien Hériman, l’un des premiers abbés de la maison, a même voulu voir dans cette fondation la restauration d’une ancienne maison carolingienne, mais il s’agit sans doute d’une thèse inspirée par la vanité locale. Quoi qu’il en soit, après des débuts très rudes – où l’on retrouve les aspirations des premiers cisterciens – le groupement se stabilise. Dès 1094, sous l’influence de l’abbé d’Anchin Aimery, tous ces convertis adoptent la règle bénédictine et Odon reçoit la dignité abbatiale. Le couvent compte alors 30 membres ; il en a 70 en 1105 au moment où Odon devient évêque de Cambrai.
9Les relations entre le chapitre cathédral et l’abbaye naissante, jusque là excellentes, se gâtent précisément au moment de l’élection de Ségard (1106-1127), un moine qui, à la différence d’Odon, n’a plus aucune attache avec la cathédrale. Comme le dit A. D’Haenens, un certain nombre de chanoines séculiers « voyaient partir d’un mauvais œil une partie importante du domaine capitulaire entre les mains d’une institution qui avait de moins en moins d’affinités avec le chapitre ». Il y eut des expéditions militaires contre des fermes de Saint-Martin et des ripostes armées entraînant des morts. Il fallut un arbitrage pontifical en 1108 pour ramener la paix. Ces difficultés sont intéressantes à relever, car nous allons les retrouver sous une forme atténuée au moment de l’entrée en religion de notre héros, précisément au temps de l’abbé Ségard (sans doute en 1123).
10L’abbaye de Marchiennes et sa voisine Hamage – devenue au xiie siècle une simple dépendance de la précédente – étaient des fondations mérovingiennes portant la double empreinte de saint Amand, le grand évangélisateur de la région, et d’une famille aristocratique, celle du noble franc Adalbaud5. Ce personnage ayant été assassiné, sa veuve Rictrude vint chercher refuge à Marchiennes, une abbaye fondée par saint Amand sur des terres sans doute données par Adalbaud. En tout cas, la maison, composée de deux communautés d’hommes et de femmes, selon une formule fréquente à l’époque, eut successivement à sa tête saint Jonat nommé par le fondateur, sainte Rictrude, puis une fille de celle-ci Clotsende. Hamage pour sa part, né à la même époque, avait fourni un abri à Gertrude la grand’mère d’Adalbaud, et passa plus tard sous le gouvernement d’Eusébie, une autre fille de Rictrude.
11Il s’agit donc en somme d’une sorte de complexe familial, où l’existence simultanée de frères et de sœurs peut se constater jusqu’à la fin du xe siècle. Un tournant décisif se produisit en 1024 quand Marchiennes passa sous l’autorité de Léduin, déjà abbé de Saint-Vaast et disciple du réformateur Richard de Saint-Vanne. Il chassa les religieuses et les remplaça par des moines vivant « régulièrement ». C’est sans doute à cette occasion qu’Hamage fut réduit à l’état subalterne de prieuré.
12La vie de Marchiennes-Hamage se déroule dès lors dans le cadre difficile du régime seigneurial naissant. Les chartes de l’abbaye et des récits de miracles du plus haut intérêt nous mettent en présence de seigneurs ou d’officiers domaniaux (avoués, maires), qui cherchent par tous les moyens à alourdir leur emprise ou à étendre leur zone de domination et cette situation s’exaspéra encore durant l’anarchie qui suivit l’assassinat de Charles le Bon. Des malheurs domestiques s’ajoutaient parfois à ces difficultés externes. Le règne d’un mauvais abbé nommé Fulcard (1103-1115) faillit amener la ruine des deux maisons : quelques moines seulement continuaient à habiter à Marchiennes, tandis que Hamage était confié à la garde d’un couple de paysans… Le monastère fut relevé par le saint abbé Amand (1116-1136), un ancien prieur d’Anchin qui arriva de son abbaye avec une colonie de moines exemplaires. Mais les relations furent parfois difficiles avec Anchin, la vieille maison de sainte Rictrude acceptant mal la tutelle d’une création toute récente… C’est à peu près en cet endroit que s’insère le récit de la Vita Hugonis.
Présentation du document
13La Vita Hugonis6 n’a pas eu les honneurs des Acta Sanctorum, sans doute parce que les états de service du héros n’étaient pas suffisants. Jusqu’à présent elle n’était donc accessible qu’au travers de l’édition de Martène et Durand dans le Thesaurus novus anecdotorum, tome III, Paris, 1717, c. 1709-1736, une édition dont on pouvait suspecter la fidélité, tant était profonde l’obscurité de nombreux passages. Il fallait donc rechercher les manuscrits et faire une édition critique. Il est finalement apparu qu’il n’existait que deux manuscrits qui – d’une manière frappante – se rattachent soit à Tournai, soit à Marchiennes, c’est-à-dire, aux deux termes de cette existence. L’ancien manuscrit de Saint-Martin de Tournai – sur lequel Martène a fait son édition – est maintenant conservé à la Bibliothèque Nationale à Paris sous la cote lat. 18357. C’est un beau livre transcrit au xiiie s. qui ne contient que cette œuvre. Il est décoré de nombreuses lettres ornées ou historiées et a été muni au xve siècle d’une reliure à fermoir7. Cette qualité d’exécution prouve évidemment que dans son monastère d’origine on gardait avec honneur le souvenir de ce saint homme. Le manuscrit médiéval de Marchiennes a disparu, mais une copie fort soignée en a été prise par (ou pour) les Bollandistes, qui songeaient alors à publier ce texte dans les Acta. C’est l’actuel manuscrit Boll. 125.
14On dispose donc maintenant de trois termes de comparaison : le manuscrit de Paris (P), celui de Bruxelles-Bollandistes (B) et l’édition de 1717 (MART.)8. Il apparaît très vite que les deux manuscrits P et B représentent des traditions indépendantes qui, par un nombre inégal de chaînons, se rattachent à un archétype perdu. Le manuscrit P donne un texte très fautif, encore défiguré par l’édition MART. B en revanche donne un texte bien meilleur, qui toutefois demeure souvent difficile et obscur, en raison de la langue de l’Auteur. C’est donc sur cette base qu’il faut tenter une édition critique, quitte à recourir à P pour corriger quelques erreurs.
15L’ouvrage est anonyme, mais l’auteur livre au fil des pages bien des informations sur sa personne et sur la date de cette composition. C’est indiscutablement un ami intime de celui qu’il veut célébrer. Novi et bene novi, dit-il dans le prologue, et il explique qu’il a été mis dans la confidence de toutes ses affaires, petites et grandes, privées et publiques, extérieures et intérieures. De telles relations – peut-être ici exagérées – n’ont pas pu commencer seulement en 1148 au moment de l’élection d’Hugues à la tête de l’abbaye de Marchiennes. De fait dans une scène qui se passe à Tournai (ch. 16) on voit notre Anonyme accompagner Hugues jusqu’au seuil de la maison de Guerric, le futur abbé d’Igny. Mais, nous dit-il, on lui refusa toujours, comme à d’autres personnages plus importants, de pouvoir accéder au saint des saints, c’est-à-dire à la pièce où ces deux spirituels échangeaient leurs secrets. On peut donc supposer qu’il était lui aussi Tournaisien et que c’est dans une deuxième partie de sa vie qu’il entra à l’abbaye de Marchiennes, dont il faisait certainement partie en 1148 au moment où Hugues, selon son expression, « nous fut donné par Dieu ». En tout cas il décrit en témoin direct les différentes crises de dépression que l’abbé Hugues a connues durant son gouvernement ; une fois même il accompagne le malade dans une résidence de repos où on l’a envoyé pour se refaire (ch. 23). Enfin durant la dernière quinzaine on entend le mourant lui adresser des reproches pour s’être obstinément opposé à un projet d’abdication (ch. 26).
16Ce témoin si bien placé n’a pas tardé à mettre la main à la plume. Différents recoupements le prouvent. Le plus net concerne Robert, deuxième abbé de Clairvaux, décédé le 5 avril 1157, dont il est dit au chapitre 3 qu’il nous a été « récemment enlevé ». De même l’abbé Gautier de Saint-Martin de Tournai, dont il est question par exemple au chapitre 23, est assurément encore en vie ; or il est mort en 1163 au plus tard. Enfin Gautier de Mortagne, ancien compagnon d’études de notre héros, est signalé au chapitre 2 comme étant maintenant évêque de Laon (1155-1174). On petit donc tenir que cette Vita a été composée dans les quelques années qui ont suivi la mort d’Hugues de Marchiennes (11 juin 1158). On comprend mieux du même coup la conclusion du prologue où l’auteur affirme avoir voulu faire œuvre de vérité : « si je voulais mentir, est-ce que je ne serais pas fou, puisque sont encore présents les gens qui ont connu cet homme, ses vertus et les grandes choses que Dieu a réalisées en lui ? »
17Cette remarque soulève le problème de la véracité de l’hagiographe. Les conditions, nous venons de le constater, sont excellentes du point de vue de la proximité chronologique et psychologique. Il n’en reste pas moins que l’auteur entend écrire une œuvre d’édification pour son propre usage et pour celui de ses confrères. Par conséquent, même si les faits sont matériellement exacts, ils sont toujours sélectionnés, orientés, stylisés, mis dans une certaine perspective pour qu’un sens religieux se dégage de l’amas confus de données. Naturellement d’autres préoccupations, matérielles ou polémiques, peuvent interférer avec cette première orientation ; mais dans le cas présent, sans être absentes, elles ne jouent pourtant qu’un rôle tout à fait secondaire.
18La Vita Hugonis s’insère donc dans l’abondante production historique qui a vu le jour à Marchiennes au xiie s.9. Des explications plus détaillées seront données sur ce sujet à l’occasion de l’édition critique. Retenons ici seulement que notre Vita est certainement antérieure aux Miracula S. Rictrudis (recueil écrit entre 1164 et 1166) et que ces deux compositions proviennent de deux auteurs différents10.
Présentation du héros
19Ce long document plein de détails, très vivant, malgré une certaine obscurité de style, peut naturellement être l’objet de multiples analyses. Nous retiendrons ici seulement trois données : en premier lieu la description d’une carrière, ou mieux d’un itinéraire religieux, pour éviter la note d’ambition préconçue impliquée dans le terme de « carrière » ; en second lieu un portrait moral fouillé et cohérent, qui montre chez 1e biographe une remarquable pénétration psychologique ; enfin une page fort curieuse intéressant la médecine médiévale, un domaine auquel ressortissait déjà en partie l’étude de caractère citée à l’instant.
A. Un itinéraire religieux
20Hugues voit donc le jour à Tournai « ville royale », en 1102/1103 : il était en effet dans la 46e année de son âge au moment de son élection en 1148 et dans la 56e année lors de son décès en 1158 (ch. 20 et 27). Il appartenait à l’aristocratie, puisqu’on le dit bene natus (ch. 1), qu’on insiste sur sa richesse (ch. 2, 5, 7) et que même on rappelle au ch. 15 qu’il était « selon le siècle grand et honoré ». D’autres détails sont plus suggestifs encore : sa famille voulut s’opposer par la force à son entrée au monastère (ch. 7) et l’on redouta la même réaction quand sa mère, sur ses vieux jours, choisit la vie religieuse (ch. 12). Enfin on apprend au ch. 15 que son frère tomba victime d’une trahison, sans doute au cours d’une guerre privée. Tout cela oriente la pensée vers le milieu chevaleresque.
21Les pages concernant la période scolaire de notre personnage (ch. 1 à 4) ont été repérées depuis longtemps par les spécialistes tant elles sont intéressantes11. Hugues commence donc à parcourir à Tournai même – c’est-à-dire à l’école cathédrale de la cité – la litteratura conforme à son âge – c’est l’initiation littéraire – ; puis au moment de l’adolescence il part avec toute une escorte pour les écoles de Reims alors si fréquentées, nous dit-on, que dans les rixes les écoliers (clerici) l’emportaient parfois sur les habitants (cives). Parmi ses compagnons se trouvait un fils de famille, Gautier de Mortagne, de la lignée des châtelains de Tournai, qui ne tarda pas à passer du rang de condisciple à celui de maître. Tout le groupe en effet commence par suivre à l’école capitulaire les cours de l’archidiacre Albéric, un maître éloquent, mais, paraît-il, incapable de résoudre les problèmes. Gautier de Mortagne doté d’une intelligence plus rapide s’affronte à lui et finit par quitter la place pour aller à son tour enseigner dans l’abbaye suburbaine et exempte de Saint-Remi : il échappait ainsi au monopole scolaire du chapitre12. C’est absolument l’histoire d’Abélard, qui, une dizaine d’années plus tôt sans doute, s’était opposé à Guillaume de Champeaux à Paris, puis à Anselme de Laon dans cette dernière ville. Toujours est-il qu’Albéric, en tant qu’archidiacre, rend l’existence difficile à ce rival et une fois encore Gautier de Mortagne, suivi de notre « Hugonellus », selon l’expression de la Vita, abandonne la partie et part pour Laon où il reprend son enseignement en faisant régner une stricte discipline parmi ses élèves. Retenons cette formule de notre source : « en Gaule – où ce n’est certes pas l’habitude des Gaulois – ce Gautier tenait une école de philosophie (gymnasium) à l’abri de toute mauvaise réputation ».
22Parmi les philosophantes de Laon, Hugues se lie avec Robert de Bruges, un clerc, qui devint ensuite cistercien, dirigea l’abbaye des Dunes et succéda à saint Bernard à la tête de Clairvaux13. Ce Robert, qui était plus âgé, servait de répétiteur à notre héros et tous deux restèrent unis jusqu’à leur mort par une étroite amitié (ch. 3). Toute cette section scolaire de la Vita s’achève sur une violente sortie contre les clercs écoliers (ch. 4). A en croire notre auteur, ils recherchent l’éloignement et l’isolement pour mieux satisfaire leurs passions et reviennent chez eux avec un mauvais caractère (dyscoli). Bien entendu, ce ne fut pas le cas de notre petit Hugues, qui assure assez drôlement le biographe, se garda intact aussi bien au milieu des « dragons » dans son pays qu’au milieu des « autruches » en terre étrangère14. Il a tout de même l’honnêteté de signaler que son héros se laissa pendant quelque temps prendre aux caresses d’une femme, mais qu’il se ressaisit bientôt.
23On en arrive ainsi au moment décisif de la « conversion » c’est-à-dire au passage à une vie plus parfaite, moment qui bénéficie toujours d’une attention particulière dans de telles biographies (ch. 5 et 6). Hugues était alors dans sa vingtième année et jouait le rôle de conseiller auprès de sa mère veuve pour l’aider à gérer ses grandes richesses. Celle-ci avait déjà partagé l’héritage paternel entre ses enfants – fils et filles – et Hugues avait eu naturellement sa part. Ce fut l’occasion pour ses parents et amis de lui conseiller d’acheter quelque bénéfice ecclésiastique, maintenant qu’il en avait le moyen15. Il refusa avec indignation, comme il l’avait déjà fait du vivant de son père. Ses désirs de vie religieuse s’affermissaient d’ailleurs dans son cœur, grâce à des contacts avec des moines de Saint-Martin. Mais l’abbé Ségard (1106-1127) était absent et rien ne pouvait être décidé en dehors de lui. Cette attente éprouva vivement notre héros, dont le caractère inquiet se révèle ici pour la première fois – nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet. Sa mère s’aperçut naturellement de ce changement de physionomie, mais elle ne pouvait croire que de son vivant elle serait abandonnée par ce fils chéri.
24Le dénouement pourtant était proche. L’abbé Ségard, une fois rentré, écrivit à Hugues pour lui faire savoir que tous au monastère se réjouissaient de sa venue et qu’il était attendu le lendemain. La lettre était cachée dans un livre qui fut apporté à l’intéressé alors qu’il prenait son repas avec sa mère ; de la sorte le message fatidique passa devant les yeux de celle-ci sans qu’elle pût le voir. Le lendemain de grand matin, Hugues se rendit à l’église du monastère ; il y avait pourtant été précédé par sa mère qui y priait déjà ; il passa donc près d’elle sans la saluer, ni lui demander sa bénédiction et avec un compagnon qu’il entraînait dans l’aventure il rejoignit la troupe des moines (ch. 6).
25L’affaire pourtant n’était pas close. Peu de temps après, le bruit se répandit en ville que les moines agissant en véritables voleurs et brigands avaient proprement enlevé Hugues. Derrière cette accusation de rapt et de vol, il faut voir sans doute la crainte de la famille d’être dépouillée d’un riche héritage. Toujours est-il qu’une troupe de parents (parentum fortitudo) armée de glaives et de bâtons força les portes du couvent et rechercha partout le nouveau moine. Celui-ci, qui avait commencé par se cacher, finit par se résoudre à l’affrontement : il parut devant les émeutiers revêtu du « saint habit » et à cette vue la fureur se transforma en larmes, c’est-à-dire sans doute que les menaces furent remplacées par des prières. Mais Hugues demeura inflexible et tout finit par rentrer dans l’ordre (ch. 7).
26La période tournaisienne de cette existence monastique s’étend sur quelque vingt-cinq ans, de 1123 environ à 1148 ; date de l’élection à Marchiennes16. Hugues y connut trois abbés, avec lesquels il entretint des rapports bien différents. Ségard qui l’avait accueilli dans la communauté le fit rapidement promouvoir aux ordres sacrés, une étape qui est beaucoup moins soulignée que l’entrée au monastère (ch. 11). C’est que même si l’accès au sacerdoce était en voie de se généraliser chez les moines, il s’agissait toujours d’un charisme gratuit, étranger à la profession monastique elle-même17. L’abbé Ségard en tout cas témoignait beaucoup de bienveillance à sa nouvelle recrue et se reposait sur lui pour nombre de choses. Mais il abdiqua bientôt, en profitant pour ce faire de la présence inopinée d’un légat pontifical. Une nouvelle élection eut lieu, qui porta au pouvoir Hériman (1127-1136), le futur chroniqueur de l’abbaye, un homme certainement qualifié « par son instruction et sa parenté », mais qui selon la Vita « ne recherchait pas les choses de Jésus-Christ ». Cette hostilité déterminée de l’hagiographe et de son héros tranche sur l’image fournie par d’autres sources tournaisiennes18. Même s’il y entre une bonne dose de jalousie, c’est un écho qu’il faut retenir (ch. 11).
27Un épisode en tout cas s’impose à l’attention, tout au début de cette période (ch. 12). On était au moment où l’assassinat du comte Charles le Bon avait complètement déstabilisé la région (2 mars 1127). Or, très précisément en ces jours-là19, Hugues et sa mère entreprirent un voyage pour se rendre au prieuré de Saint-Amand-les-Thourotte, près de Noyon, une possession de Saint-Martin de Tournai. C’est là que la pieuse veuve entendait terminer ses jours dans la vie religieuse, une solution déjà adoptée à la même époque par les parents d’Abélard ou par la mère de Guibert de Nogent20. L’hagiographe signale comme une sorte de miracle que les voyageurs avec leurs bagages et leur argent ne subirent en route aucun dommage. Un autre point mérite également d’être relevé : la comtesse Clémence, veuve du comte Robert de Jérusalem (mort en 1111) construisait alors un monastère de femmes à Faumont, hameau du village de Coutiches, près d’Orchies21. Elle voulait donc y attirer la mère d’Hugues afin de servir d’exemple et sans doute de supérieure dans cette maison. Hugues pourtant s’y opposa absolument, car il jugeait le lieu trop voisin et craignait les entreprises de sa parenté contre « cette œuvre sainte », entendons l’entrée en religion de cette riche veuve. On retrouve là la situation observée au moment de la « conversion » d’Hugues lui-même (cf. plus haut et ch. 7).
28Après dix ans d’un abbatiat négligent – tout au moins au dire de la Vita – Hériman finit par se retirer (1136) sous l’effet des reproches continuels de notre héros ; d’autres sources, il est vrai, parlent tout simplement de maladie (ch. 13). Sous le nouvel abbé Gautier (1136-1160/1163), un ancien écolâtre de Tournai devenu moine à Saint-Amand, Hugues retrouva toute son influence et s’imposa comme un zélateur impitoyable de la règle (ch. 14 et 15). Cette rigueur souleva tellement d’oppositions qu’il dut un moment quitter la place ; finalement pourtant il désarma cette hostilité par la constance qu’il montra au moment de l’assassinat de son frère (sans doute au cours d’une guerre privée) ; malgré cette terrible nouvelle, Hugues avait eu la force de participer à l’office comme si de rien n’était. Sa renommée d’ailleurs dépassait maintenant l’horizon local ; quelques années avant 1144, il fut appelé à Saint-Éloi de Noyon pour y exercer la charge de sous-prieur (ch. 17) ; il y remplaça pendant tout un an l’abbé Thierry (futur évêque d’Amiens 1144-1164) qui était parti pour Rome. A Tournai, cependant, on craignait de le perdre et l’abbé Gautier le fit revenir en lui confiant cette fois la fonction de prieur et la Vita le représente aux côtés de son maître « comme sa main droite, sa bouche, sa langue et la lumière de ses yeux ».
29Cette nature rigide et inquiète ne pouvait qu’être tentée par l’ambition de perfection qui soutenait le mouvement cistercien. Nous savons déjà que durant son séjour scolaire à Laon, Hugues avait noué des liens d’amitié avec Robert de Bruges, devenu depuis 1138/1139 abbé cistercien des Dunes. Des influences nouvelles s’exercèrent dans le même sens durant ses années tournaisiennes. La Vita cite en premier lieu saint Bernard, mais sans donner de détails, tandis qu’elle présente d’une manière très vivante les contacts spirituels que notre héros eut avec Guerric d’Igny (ch. 16). Ce dernier qui devint en 1136 écolâtre du chapitre – habitait une petite maison près de la cathédrale, tandis que le monastère de Saint-Martin était situé hors les murs. Et c’est ainsi que selon notre source, Hugues « venait du bout du monde écouter la sagesse de Salomon ». Il était souvent accompagné dans ce déplacement par notre biographe, qui regrette d’avoir toujours été tenu à l’écart de ces entretiens réservés. Guerric devint cistercien au cours d’un voyage à Clairvaux, où saint Bernard le retint par une seule parole avant de lui confier l’abbaye d’Igny. Hugues fut naturellement tenté de prendre le même chemin, mais – chose remarquable en ce temps de recrutement fiévreux – son ami l’en détourna en se référant à ce passage de l’évangile de saint Jean (XXI 22) : « Je veux qu’il demeure dans cet état jusqu’à ce que je vienne ». Ce texte mystérieux, d’allure eschatologique, rassura d’un coup notre héros sur sa vocation et il resta bénédictin.
30C’est pendant les dix dernières années de sa vie qu’Hugues de Marchiennes mérite véritablement son nom, puisqu’il est élu en 1148 à la tête de cette antique maison et qu’il y meurt le 11 juin 1158, entouré de regrets universels. Les pages très nourries que la Vita consacre à cette période nous apprennent cependant peu de choses sur son gouvernement, car elles visent surtout à nous présenter ses vertus et ses tourments intérieurs. Nous reviendrons sur ce sujet. Retenons seulement cette antithèse frappante : après s’être montré précédemment dur et même cruel dans son zèle pour la règle, Hugues manifeste désormais un cœur de père et même de mère pour ses fils22. Il était tout à tous et en causant avec lui on croyait causer avec soi-même : reflet d’une certaine réalité ou « miroir » du bon gouvernement abbatial, il doit y avoir des deux dans ces notations proches de la vie.
31Sur un plan plus extérieur il faut retenir les circonstances particulières de l’élection, ainsi que la reconstruction presque totale de l’église abbatiale. Enfin tout l’ensemble trouve sa conclusion dans l’ample récit de sa « mort précieuse ».
32L’élection de 1148 donne à notre hagiographe l’occasion d’écrire une belle page d’histoire monastique (ch. 18). Il remonte, en effet, sept ou huit ans en arrière et explique comment en si peu de temps Marchiennes a connu trois abbatiats successifs. Le premier personnage concerné, dont le nom n’est pas fourni ici, s’appelait Hugues et venait de Saint-Remi de Reims. Il avait été imposé par l’évêque d’Arras Alvise (1131/1147) ; mais les moines de Marchiennes s’étaient pourvus en cour de Rome dès le début du conflit. Or, ils obtinrent rapidement une décision favorable ; si bien que l’intrus dut vider les lieux huit jours seulement après son installation officielle (1141). L’affaire d’ailleurs ne trouva son épilogue qu’au concile de Lagny de 1142 où l’évêque et saint Bernard lui-même durent reconnaître leur erreur. Toute cette histoire est racontée en détail par les Miracula sanctae Rictrudis, qui y voient une protection singulière de la fondatrice, tandis que notre Vita se borne à un simple rappel23.
33Après ce fâcheux intermède, les moines de Marchiennes élurent Eudes, un religieux de Saint-Martin-des-Champs près de Paris. Mais après deux ans d’abbatiat (1141-1143) il fut repris par l’amour du sol natal et selon les termes de notre auteur « répudia cette église qu’il avait légitimement épousée ». Ce fut alors le temps de l’abbé Ingran élu en 1144, un ancien prieur de Corbie, qui gouverna quatre ans à la satisfaction de tous. Nous en arrivons ainsi à l’année 1148 et au concile de Reims tenu par le pape Eugène III, qui put y manifester sa plenitudo potestatis. Les moines de Saint-Médard de Soissons avaient alors perdu leur pasteur et s’en étaient remis au pape pour le choix de leur nouvel abbé. Le pontife jeta les yeux sur Ingran de Marchiennes et le transféra à Soissons ; quant aux moines de Marchiennes, ils exercèrent librement leur droit de vote pour désigner notre héros ; mais il fallut toute l’autorité du pape cui totus obedit mundus pour que l’abbé de Saint-Martin consentît à se séparer d’un collaborateur si précieux, un autre lui-même. On voit bien tout ce que de tels transferts doivent à la théocratie.
34Sur la reconstruction de l’église, nous disposons des informations croisées de la Vita (ch. 22) et des Miracula S. Rictrudis24, cette seconde source étant beaucoup plus détaillée que la première. Les travaux commencèrent en 1153/1154 : les recoupements fournis de part et d’autre coïncident parfaitement. Et les quatre années qui lui restaient à vivre permirent à l’abbé de mener presque jusqu’à son terme « cette construction et cette décoration faites de pierre et de colonnes ». L’exagération n’est pas douteuse dans une telle présentation, car il est bien certain qu’on n’a pu en si peu de temps procéder à une réédification quasi totale. On peut supposer que les travaux en question n’ont porté que sur une partie de l’église, peut-être la plus ancienne. En effet, les Miracula nous font connaître des résistances au sein de la communauté à cause de l’atteinte portée au souvenir de saint Amand lié à ce monasterium antiquum (église, oratoire). Hugues passa outre à toutes les objections et, comme toujours, les opposants finirent par se réjouir du succès de l’entreprise.
35Comme c’est souvent le cas dans les biographies de saints moines, la mort d’Hugues de Marchiennes nous est racontée dans une sorte de procès verbal extrêmement détaillé (ch. 24 à 26) : preuve évidente de l’importance que le transitus d’un moine et surtout d’un abbé avait aux yeux de tous25. Cette image est sans doute stylisée puisqu’elle obéit à des rites traditionnels, mais ce caractère répétitif ne nuit en rien à la sincérité, puisque ces usages sont foncièrement acceptés par tous. L’essentiel assurément, c’est la publicité de l’ensemble du processus, depuis le Viatique donné solennellement dans l’église abbatiale jusqu’à l’Extrême onction reçue sur la cendre et le cilice en signe de pénitence, et pour finir l’agonie veillée par toute la communauté, tandis que le mourant se munit du signe et du bois de la croix comme arme de victoire… C’est ainsi que trépassa le saint abbé Hugues de Marchiennes le 11 juin 1158, en la 56e année de son âge. C’était aussi la réalisation ultime du programme que lui attribuaient les Miracula : « bene vivere et feliciter consummari », « vivre bien et faire une heureuse fin ».
B. Un portrait moral
36Dans l’histoire essentiellement externe qui vient d’être retracée on a déjà pu au passage entrevoir le portrait moral de notre héros. Il nous faut revenir sur ce sujet auquel le biographe attache une extrême importance, puisqu’il y consacre environ le sixième de son texte, ce qui est énorme. Il ne s’agit pas de développements gratuits, de pure rhétorique, car toutes ces informations se tiennent et sont parfaitement cohérentes. De plus et surtout elles n’ont en elles-mêmes rien de particulièrement édifiant, puisqu’elles nous présentent un homme à la fois inquiet et déprimé, sujet à des crises morales très cruelles qui lui rendaient la vie commune difficile. Ce spectacle déroutant est décrit avec honnêteté et finesse par l’auteur, qui, ne l’oublions pas, était l’ami intime d’Hugues de Marchiennes. Il conclut ainsi le chapitre 25 consacré tout entier à la dernière crise de ce genre, juste avant la mort du saint homme26 : « Dans tout ce qui précède, nous n’avons pas dit vraiment ce qu’était sa maladie, mais nous avons d’une certaine manière exprimé l’allure de cette maladie. Qui en effet pourrait le faire parfaitement quand celui-là même qui l’endurait ne pouvait pas le faire ? » On ne peut pas mieux rendre l’espèce de désarroi qu’une crise de dépression suscite à la fois chez la victime et chez les témoins.
37Ces épreuves morales se renouvelèrent quatre ou cinq fois au cours de l’existence monastique d’Hugues de Marchiennes, en alternant avec des périodes de calme où il pouvait dire : « paix et sécurité » (ch. 10). L’élément le plus caractéristique, c’est la propension à une activité fébrile de l’esprit incapable de maîtriser ses pensées, ce qui engendre naturellement l’obsession. La première manifestation de cette tendance se place au moment de sa « conversion », alors qu’il attendait la réponse de l’abbé Ségard pour pouvoir entrer au monastère de Saint-Martin de Tournai (ch. 6). « A cause de la prolifération incessante de ses pensées » (propter excrescentes cogitationes continuas) son visage change et à ce spectacle sa mère devine quelque obscure menace. Un autre symptôme de ces crises, c’est le dégoût et même parfois le refus catégorique de toute nourriture : une attitude significative aux yeux des psychiatres, mais qui chez notre homme disparaissait presque naturellement une fois que l’onde porteuse s’était épuisée.
38C’est d’ailleurs au cours de la première de ces crises (ch. 9) que nous rencontrons sur ce sujet l’expression la plus forte. Hugues avait alors environ 24 ans et se trouvait au début de sa vie religieuse. Or, voici qu’il est pris par un désir de tout abandonner et de revenir au monde : tentation classique bien connue des auteurs spirituels, qui parlent d’acedia. On rangeait même ce trouble parmi les péchés capitaux. L’originalité du cas présent, c’est la durée et la violence de l’épreuve : « ce n’est pas en passant, en effet, qu’il fut tourmenté, mais pendant longtemps et presque jusqu’à l’accablement. La nuit il disait : quand me lèverai-je ? Et le matin il attendait le soir rempli de douleur jusqu’aux ténèbres ; son âme en arriva à prendre en abomination toute espèce de nourriture et par approcher de la mort. Pour finir, il trouva son réconfort dans ce Pain venu du ciel, qui dans sa vision l’avait rassasié ». Retenons au moins cette expression : « in tantum ut omnem escam abominaretur anima ejus ».27
39Au chapitre suivant (ch. 10) il est question de doutes lancinants sur la Providence et la grâce, en somme une tentation de désespoir. Et le biographe rend bien le caractère à la fois obstiné et mobile de l’idée fixe – comme Valéry lui-même l’a remarqué – en ayant recours à une comparaison. Hugues, nous dit-il, « souffrait de ces oiseaux vifs et importuns du Père de nombreuses nations (sans doute Satan dans ce contexte)… qui volent jusqu’aux cieux et descendent jusqu’aux abîmes pour scruter les profondeurs insondables des jugements de Dieu. Malgré ses efforts il était incapable de les chasser vraiment de l’autel de son cœur et de sa pensée… »28. La guérison ne vint que lentement et l’auteur fournit cette intéressante précision qu’Hugues s’attacha à lire des livres mettant en valeur la confiance, la grâce, la soumission à la volonté divine. Cet antidote permet en même temps de mieux cerner la nature du mal.
40Un peu plus loin, en 1142, semble-t-il, la Vita nous montre notre héros assiégé de « pensées très contraires à la sainteté, très opposées à sa volonté » (ch. 15). S’agit-il d’obsessions sexuelles ou d’autres hantises ? En tout cas l’épreuve intérieure dura six mois (de la Saint-Michel à la fin du Carême suivant) et plongea Hugues dans un profond abattement. C’est alors que le biographe, avec un sens très sûr de l’effet, signale l’appui que saint Bernard et surtout Guerric d’Igny apportèrent au malade. Nous savons déjà qu’Hugues et Guerric n’admettaient personne dans la confidence de leurs échanges, pas même le futur auteur de la Vita qui devait rester à la porte. C’est peut-être parce que la cure d’âme réalisée dans ces contacts n’était pas accessible à un tiers.
41Treize ans plus tard, trois ans avant sa mort, en 1155 par conséquent (ce sont d’ailleurs ces recoupements qui permettent de dater l’épisode précédent), Hugues est une fois encore « revendiqué par Satan en vue d’une épreuve ». La Vita (ch. 23) trouve à nouveau de fortes expressions pour caractériser cette nouvelle crise : « il était comme entouré d’un rempart de ténèbres… Le cœur troublé, le courage défaillant, la lumière intérieure non pas disparue, mais éloignée, il attendait sa fin du matin jusqu’au soir ». Son entourage lui conseillait d’avoir recours aux services des médecins, mais Hugues sans doute trop conscient de la nature surtout intérieure de son mal s’y dérobait obstinément. Il finit cependant par céder, notamment quand on fit intervenir son ancien père spirituel, Gautier abbé de Saint-Martin de Tournai. Les médecins demandèrent alors à Hugues de déclarer ce qui dans sa vie lui avait apporté le plus de joie, afin de pouvoir s’y replonger comme dans une fontaine de jouvence. Hugues répondit que ses plus vives délices avaient consisté dans le service de Dieu en compagnie de ses frères, autrement dit dans la prière chorale, et il ajoutait : « S’il m’était donné d’y participer (preuve donnée en passant qu’il avait dû y renoncer) et si mes souffrances de corps et d’âme le permettaient, je crois que je guérirais ». On l’envoya alors à Saint-Amand-les-Thourotte, un prieuré de Saint-Martin de Tournai, son ancienne maison. C’est dans ce lieu qu’il aimait, où sa mère était morte et enterrée, qu’il retrouva rapidement la santé.
42Une dernière fois Hugues de Marchiennes eut à supporter un assaut de « sa maladie familière » (solita infirmitas) pour parler comme la Vita (ch. 25). Cette crise qui dura cinq mois (fin 1157-début 1158) et qui le fit passer par des angoisses indicibles est racontée par le biographe avec une pénétration singulière, où se révèlent à la fois le regard d’un ami et une véritable connivence avec le sujet. Pour commencer, remarque-t-il, les médecins trompés par les apparences (experientia fallax) ne décèlent aucun signe de maladie et garantissent à l’intéressé une longue vie ; c’est que rien ne transparaissait au dehors du trouble de son âme. Plus tard, cherchant à reprendre pied, Hugues se réfugie dans ses souvenirs, mais le remède se révèle vite pire que le mal, car c’est l’occasion pour lui de se découvrir comme le pire des pécheurs, « lui qui, avec la grâce de Dieu, aurait pu à peine pécher ». Ici encore l’extérieur ne rendait pas la réalité intime : à voir cet homme de Dieu, explique la Vita, on aurait cru qu’il était oublieux de lui-même, mais en fait dans son for intérieur il ne songeait qu’à son état, plongé dans son désespoir obsédant29. De là un recours incessant « à la sainte pratique du jugement », entendons : à la confession ou en tout cas à l’ouverture de conscience. Toute autre maladie ne touchant que le corps lui semblait préférable à cette épreuve, car alors, pensait-il, son attention aux choses de Dieu n’eût pas été mise en danger. Et le narrateur termine par cette notation saisie sur le vif : les souffrances physiques et morales avaient considérablement émoussé la mémoire d’Hugues dans le domaine courant de la vie, mais dans le domaine des choses spirituelles – seul objet de sa passion – elle demeurait aussi vive et impeccable que jadis. Et c’est au terme de cette belle page que le biographe fait cet aveu plein de modestie, que nous avons déjà cité plus haut, concernant l’impossibilité de bien saisir une situation qui échappait même à l’intéressé30.
C. Une chute de cheval et ses suites médicales
43Nous avons vu plus haut qu’au cours d’une de ses crises Hugues avait déclaré préférer n’importe quelle souffrance physique aux mystérieux tourments intérieurs qu’il éprouvait. Ce n’était pas là une parole en l’air, car il avait aussi connu un grave accident, de nature purement externe, qu’il avait effectivement supporté avec sérénité. Ainsi donc (ch. 21) un jour d’hiver il chevauchait sur une route verglacée et sa monture en glissant l’entraîna dans une lourde chute. Le texte latin malheureusement n’est pas très clair sur les circonstances proprement dites, mais il est facile de voir par le traitement qui s’en suivit qu’Hugues avait récolté une luxation de hanche et une fracture de rotule. Voici cette page qui est à verser au dossier de la chirurgie médiévale : « Que dire de plus ? On le ramena au lieu d’où il était venu ; on le lia sur une planche et on désigna douze hommes afin de tirer sur la cuisse et de la remettre en son lieu normal. Mais voilà que la corde se rompt et que ceux qui tiraient tombent sens dessus dessous : le seul qui demeurât immobile étant celui qui était étiré. Aucune parole de plainte, aucun cri de douleur ne sortait de sa bouche en cette si grande souffrance. Alors que tous pleuraient, il ne pleurait pas, se contentant de faire mention du « Bon Jésus ». « O Bon Jésus, disait-il, O Bon Jésus ! » Dans une nouvelle tentative on ajoute quatre nouveaux hommes plus vigoureux encore à la troupe précédente et ce sont ces seize qui réussissent à ramener la cuisse démise dans un état premier ».
44À la suite de ce traitement brutal, qui fait penser au supplice de Ravaillac, mais qui devait être traditionnel31, Hugues connut de longs jours de langueur et de maladie, sans que sa sérénité en soit jamais altérée : différence essentielle par rapport aux temps de dépression. « Une seule chose l’attristait, continue la Vita, c’était de rester au repos dans son lit et de ne pouvoir assister avec les autres à l’office. « Maintenant, disait-il, plongé dans le sommeil de la nuit, je garde le silence et je me repose, tandis que les moines au cours de leurs longues vigiles sont affligés par le froid et ont la peau hérissée sous la rigueur du grand hiver ». Qui aurait cru qu’il reviendrait à la santé ! Qu’il pourrait à nouveau marcher droit sur ses pieds ? Dans un premier temps il est soutenu à droite et à gauche, puis il prend appui d’un seul côté. Mais il n’y avait personne pour espérer que sans appui extérieur il pourrait aller droit son chemin ». Et voilà qu’un matin – nous abrégeons ici quelque peu – il jette son bâton et s’avance tout seul, droit et joyeux… On avouera qu’un tel récit d’une exactitude indiscutable est d’un très grand intérêt.
Conclusion
45L’étude qui s’achève n’a pas à dissimuler ses limites qui sont celles mêmes de sa source. Nous n’avons pas voulu faire l’histoire d’une abbaye au temps d’Hugues de Marchiennes, que ce soit celle de ses origines ou celle qu’il a gouvernée. Simplement en marchant sur les traces du biographe nous avons suivi les étapes d’une existence monastique jusqu’à l’accomplissement final du transitus et dans cette perspective intériorisée nous avons pu retrouver une personnalité attachante et douloureuse qui semble se mouvoir sur de véritables lacs souterrains. Le reste – et notamment les conditions économiques et sociales – n’a été abordé que de manière occasionnelle et pourtant nous savons par les sources hagiographiques elles-mêmes (les Miracula sanctae Rictrudis) le problème que représentait la violence seigneuriale face à l’opulence ou à l’avidité des monastères. Mais c’est littéralement une autre histoire. Les auteurs des vies de saints médiévales se placent très loin de notre conception d’une histoire totale. Pourtant dans leurs limites et dans certains cas ils nous apportent un témoignage incomparable sur le monde intérieur de nos lointains prédécesseurs32.
Notes de bas de page
1 Delehaye H, Les légendes hagiographiques, Bruxelles, 1905, 3e ed. 1927. La localité de Marchiennes dont il s’agit ici est située en France, dép. Nord, ar. Douai, ch.l.c.
2 Sur la question de savoir si les miracles sont une réalité du passé ou quelque chose de présent, voir les intéressantes remarques de P. Boglioni, « Miracles et nature chez Grégoire le Grand » dans Épopées, légendes et miracles (cahiers d’études médiévales, no 1), Montréal, Paris, 1974, pp. 11-102 (ici pp. 82-88, positions de saint Augustin et de saint Grégoire). L’attitude de Raoul Glaber (mort avant 1050) est très révélatrice. Cet auteur très porté à découvrir partout l’intervention de Dieu ou de l’Au-delà explique aussi en un passage pourquoi depuis le temps du Christ l’époque des visions et des miracles est passé (Ed. Pognon, L’an mille, 1947, p. 134.) On a l’impression que deux lectures simultanées des événements pouvaient ainsi se superposer.
3 E. Delcambre, « L’Ostrevant du ixe au xiiie s. » dans Le Moyen Âge, 1927, pp. 254-288 (L’orthographe de ce nom n’est pas bien fixée : on rencontre dans les noms de lieux à la fois Marcq-en-Ostrevent et Marquette-en-Ostrevant. Nous choisissons Ostrevant, plus conforme à l’étymologie).
4 Sur les débuts de Saint-Martin de Tournai, voir Hériman de Tournai, Liber de restauratione monasterii Sancti Martini Tornacensis, M.G.H., SS., t. XIV, 1883, pp. 274-327 ; Ch. Dereine, « Odon de Tournai et la crise du cénobitisme au xie s. » dans Revue de Moyen Âge latin, IV, 1948, pp. 137-154 ; A. D’Haenens, « Moines et clercs à Tournai au début du xiie s. », dans La vita commune del clero nei secoli xie- xiie (Atti della Settimana di studio, Mendola, settembre 1959), t. Il, Milano, 1962, pp. 90-103.
5 L’histoire de Marchiennes n’est pas faite. L’ouvrage ancien et méritant de L. Spriet (Marchiennes et son abbaye, Orchies, 1891) est insuffisant. Voir la notice Marchiennes (H. Platelle, dans Catholicisme, t. VIII, 1979, c. 414-416.). Pour les origines la source essentielle est la Vita Rictrudis écrite par Hucbald de Saint-Amand en 907 (A.S., Maii, III, 81-88). Malgré sa date relativement tardive, elle est tout à fait acceptable (Cf. Van der Essen, Étude critique et littéraire sur les vitae des saints mérovingiens, Louvain-Paris, 1907, 260-265). Il faut utiliser aussi les Annales Marchianenses (M.G.H., SS., t. XVI, 609-617) dont la rédaction semble dater du xiie s. Importante publication récente de B. Delmaire, L’histoire-polyptique de l’abbaye de Marchiennes (1116-1121) (Centre belge d’histoire rurale, public., no 84) Louvain-la-Neuve, 1985, 178 p. Nous avons nous-même présenté le milieu de Marchiennes dans « La religion populaire entre la Scarpe et la Lys d’après les Miracles de sainte Rictrude » dans Colloque Alain de Lille, Lille, 1978, édité en 1980, réédité dans H. Platelle, Terre et ciel aux anciens Pays-Bas, Lille, 1991, pp. 265-302. Il faut insister sur l’importance exceptionnelle de ce corpus de miracles en ce qui concerne l’histoire sociale, en particulier 1e recueil en deux livres composé entre 1164 et 1168 (A.S., Maii, t. III, éd. nov. pp. 88-117
6 Chose curieuse, Hugues est signalé deux fois par les A.S. au nombre des praetermissi, d’abord en juin (Jun., t. II, éd. nov., 1867, p. 414) puis en juillet (Jul., t. III, éd. nov., 1868, p. 168). Hugues est indiscutablement mort le 11 juin 1158. Nous remercions vivement le P. Robert Godding bollandiste, pour nous avoir indiqué la référence de l’ancien manuscrit de Tournai (lat. 18357) et pour nous avoir facilité l’étude de la copie prise sur l’ancien manuscrit de Marchiennes (Boll. 125.)
7 Ce manuscrit a été présenté pour sa reliure à l’exposition Le livre, Paris, Bibliothèque Nationale, 1972, Catalogue, p. 116 (sous le no 343).
8 Il existe aussi quelques témoins partiels (extraits ou citations) qui renvoient en général au texte de Boll. 125 (ou d’un manuscrit analogue). Ce point sera traité en détail dans l’édition critique annoncée.
9 Les noms principaux sont ceux de Galbert au début du siècle et d’André de Marchiennes († 1202) à la fin. Entre les deux il y a place pour plusieurs anonymes, dont notre hagiographe et l’auteur des Miracula S. Rictrudis.
10 Ceci ressort d’une comparaison entre notre Vita et le passage des Miracula (A.S., Maii, Ed. nov., pp. 112-113) relatif à Hugues de Marchiennes.
11 Par exemple E. Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique, t. V, Les écoles, Lille, 1940, pp. 237-259 (avec quelques contre-sens de traduction) ; P. Petit, « Gauthier de Mortagne » dans Analecta Praemonstratensia, t. 50, 1974, pp. 158-170, ici 158-159 (erreur sur la date où Gautier arrive à Laon) ; J. Pycke, Le chapitre cathédral Notre-Dame de Tournai de la fin du xie à la fin du xiiie s., Louvain-la-Neuve, 1986, pp. 274-275 (à propos de l’école capitulaire de Tournai). Du même, Répertoire bibliographique des chanoines de Notre-Dame de Tournai 1080-1300, Louvain-la-Neuve-Bruxelles, 1988. Ces deux ouvrages sont tout à fait essentiels.
12 Sur le problème du monopole scolaire et des « maîtres agrégés », c’est-à-dire acceptés par quelques établissements exempts, voir Ph. Delhaye, « L’organisation scolaire au xiie siècle » dans Traditio, t. V, 1947, pp. 211-268.
13 Sur Robert de Bruges, voir N. Huyghebaert, « Abbaye des Dunes » dans Monasticon belge, t. III, Province de Flandre occidentale, deuxième volume. Liège, 1966, pp. 353-44, ici pp. 375-376.
14 L’image des dragons et des autruches vient de Job, 30, 29.
15 On trouve une histoire assez semblable chez Guibert de Nogent, Histoire de sa vie, éd. G. Bourgin, 1907, p. 19 (sa famille veut le pourvoir d’un canonicat).
16 C’est à partir de ce moment qu’Hugues connaît de temps à autre des crises de dépression longuement décrites, voir plus loin.
17 Voir par exemple Dom Jean Leclercq, « Le sacerdoce des moines » dans Chances de la spiritualité occidentale, Paris, 1966, pp. 125-178, réédition d’une étude parue en 1963.
18 Par exemple la Continuatio de l’Historia restaurationis monasterii S. Martini Tornacensis (d’Hériman), SS., t. XIV, 1883, pp. 324-325.
19 Au moment où ils se mirent en route les voyageurs ignoraient encore l’assassinat du prince
20 Abelard, Historia calamitatum, Ed. J. Monfrin, 1973, p. 67 ; Guibert de Nogent, Histoire de sa vie, éd. G. Bourgin, 1907, p. 47.
21 Cette maison avait été fondée en 1110 comme un monastère indépendant par le comte Robert de Jérusalem et sa femme (F. Vercauteren, Actes des comtes de Flandres 1070-1138, Bruxelles, 1938, p. 22,) mais elle devint très vite une dépendance du monastère de Bourbourg, fondé par les mêmes princes, puisque en 1113 le pape Pascal Il place parmi les biens de Bourbourg tota terra ad monasterium de Falmonte pertinens, cf. I. de Coussemeker, Un cartulaire de l’abbaye de Bourbourg, Lille, 1882-1891, p. 13. Ce prieuré de Faumont dura jusqu’à la Révolution.
22 «Durus prius dictus est et crudelis, dudum magister et non pater. Ipsi viderint quibus et quare fuit. Nos matris affectum probavimus, loco magistri patris experti severitatem».
23 Miracula S. Rictrudis, A.S., Maii III, Ed. nov., pp. 109-110.
24 Miracula, pp. 112-113. L’église abbatiale de Marchiennes est souvent représentée sur les vues des Albums de Croÿ (des environs de 1600). Selon l’un des commentateurs, J. Thiébaut, le gros de la bâtisse était d’origine romane, ce qui était en outre confirmé par l’organisation complexe des parties orientales (existence d’un arrière-chœur pouvant provenir d’une ancienne crypte extérieure), cf. Albums de Croÿ VII, Hainaut IV, 1987, no 59.
25 Nous avons déjà commenté ces page dans « La mort précieuse. La mort des moines d’après quelques sources des Pays-Bas du sud », Revue Mabillon, t. 60, 1982, pp. 151-174, ici 167-171. Rappelons aussi Dom L. Gougaud, « La mort du moine » dans Revue Mabillon, 1929, 281-302, réédité dans Anciennes coutumes claustrales, Ligugé, 1930, pp. 69-95.
26 « Hec diximus, non exponentes omnino morbum ipsius, sed modum morbi aliquatenus exprimentes. Quis enim hoc posset, quando qui patiebatur nec ipse posset » (texte rectifié de notre édition critique).
27 P. Valéry, L’idée fixe, 1934 : « Vous ne trouvez pas que ce nom d’idée fixe est mal fait ?… Il n’y a rien de plus ambulatoire qu’une idée fixe… Cette idée qui vous préoccupe acquiert… la propriété de réapparaître plus souvent qu’à son tour… Votre idée fixe n’est qu’une idée favorisée… Elle gagne neuf fois sur dix à la roulette » (p. 31).
28 «Aves illas patris multarum gentium acres nimis et importunas patiebatur. Ipse sunt que volitantes usque ad celos et descendentes usque ad abyssos profundum judiciorum Dei inscrutabile perscrutari volunt».
29 «Putares eum oblitum sui, si cerneres, at ille soli intendebat sibi, ad omnem humanam delectationem oblivioni datus, tanquam mortuus a corde».
30 Nous avons soumis le cas d’Hugues de Marchiennes à notre ami et collègue, le Docteur Alain Gérard de la Faculté de médecine de Lille, que nous remercions vivement. Il croit pouvoir avancer un diagnostic de dépression mélancolique constitutionnelle, avec des crises d’une durée de cinq à six mois, délai normal pour la guérison temporaire de ces troubles. La dépression est grave, mais resta dans le domaine de la névrose (le patient ayant conscience de son mal et l’exagérant), tandis que dans les psychoses le malade n’en a pas conscience…
31 On s’en rend bien compte en voyant comment un manuscrit médical des environs de 1540 (Nicetas, Collection chirurgicale) envisageait la remise en place de vertèbres déplacées. Le patient était lié à une échelle, tandis qu’un système de cordes, de treuils et de poulies assurait l’extension du corps : c’est à peu de choses près le traitement infligé à Hugues de Marchiennes (cf. La médecine médiévale à travers les manuscrits médicaux de la Bibliothèque Nationale, Paris, B.N., 1982).
32 L’édition critique plusieurs fois annoncées dans le cours de cet article est maintenant parue : Henri Platelle et Robert Godding, Vita Hugonis marchianensis († 1158), présentation, édition critique et traduction française dans Analecta Bollandiana t. 111 (1993) fasc. 3 et 4. pp. 301-384.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les entrepreneurs du coton
Innovation et développement économique (France du Nord, 1700-1830)
Mohamed Kasdi
2014
Les Houillères entre l’État, le marché et la société
Les territoires de la résilience (xviiie - xxie siècles)
Sylvie Aprile, Matthieu de Oliveira, Béatrice Touchelay et al. (dir.)
2015
Les Écoles dans la guerre
Acteurs et institutions éducatives dans les tourmentes guerrières (xviie-xxe siècles)
Jean-François Condette (dir.)
2014
Europe de papier
Projets européens au xixe siècle
Sylvie Aprile, Cristina Cassina, Philippe Darriulat et al. (dir.)
2015