• Contenu principal
  • Menu
OpenEdition Books
  • Accueil
  • Catalogue de 15530 livres
  • Éditeurs
  • Auteurs
  • Facebook
  • X
  • Partager
    • Facebook

    • X

    • Accueil
    • Catalogue de 15530 livres
    • Éditeurs
    • Auteurs
  • Ressources numériques en sciences humaines et sociales

    • OpenEdition
  • Nos plateformes

    • OpenEdition Books
    • OpenEdition Journals
    • Hypothèses
    • Calenda
  • Bibliothèques

    • OpenEdition Freemium
  • Suivez-nous

  • Lettre d’information
OpenEdition Search

Redirection vers OpenEdition Search.

À quel endroit ?
  • Presses universitaires du Septentrion
  • ›
  • Histoire et civilisations
  • ›
  • Les territoires de la laine
  • ›
  • Chapitre 4. Roubaix-Tourcoing : le Manch...
  • Presses universitaires du Septentrion
  • Presses universitaires du Septentrion
    Presses universitaires du Septentrion
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Liens vers le livre
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Formats de lecture

    Plan

    Plan détaillé Texte intégral I. Une croissance exceptionnelle II. Le patronat : un avantage comparatif important III. Le marché du travail : abondance, dualisme et flexibilité IV. Une place de négoce dynamique V. Un outil de production puissant VI. Un investissement insuffisant VII. Le processus de concentration Conclusion Notes de bas de page

    Les territoires de la laine

    Ce livre est recensé par

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Chapitre 4. Roubaix-Tourcoing : le Manchester français

    p. 217-330

    Texte intégral I. Une croissance exceptionnelle 1. Une croissance soutenue Du coton à la laine Les vicissitudes de la croissance roubaisienne 2. Une politique d’innovation commerciale Une production très diversifiée L’article de Roubaix : du tissu mélangé à l’étoffe pure laine Le négoce de tissus 3. Des marchés extérieurs en expansion Une industrie exportatrice Des industriels tournés vers l’extérieur La création de filiales à l’étranger II. Le patronat : un avantage comparatif important 1. Continuité, homogénéité et solidarité Des familles prolifiques Endogamie et solidarité La continuité familiale Un milieu homogène 2. L’élaboration progressive d’une formation patronale spécifique Le modèle initial : humanités et apprentissage sur le tas Remises en cause et évolutions L’ENAI : une formation technique sous l’égide de l’État L’EIT : une création des patrons tourquennois HEI : une école industrielle catholique de haut niveau L’ITR : l’école technique la mieux adaptée à la formation des patrons III. Le marché du travail : abondance, dualisme et flexibilité Des réserves de main-d’œuvre illimitées Dynamisme démographique et immigration Croissance démographique et industrialisation 2. Un marché du travail dualiste La colonie belge : une communauté spécifique La structure professionnelle de la colonie belge 3. Une gestion flexible de la force de travail La faiblesse des institutions paternalistes Le rôle de l’Association catholique des patrons du Nord IV. Une place de négoce dynamique 1. Le développement des importations directes La Plata, Sydney, Le Cap Le rôle de l’acheteur 2. La puissance du négoce Des sociétés familiales aux moyens inégaux Le financement du commerce des laines 3. Les institutions du commerce des laines Condition publique et magasins généraux Marché à terme et caisse de stabilisation V. Un outil de production puissant 1. De la Fabrique au complexe industriel 2. Des stades inégalement modernisés Un peignage puissant et moderne Une filature trop peu modernisée Le tissage : une modernisation précoce mais progressive 3. L’industrie roubaisienne vue d’Allemagne Des avantages concurrentiels Des faiblesses structurelles VI. Un investissement insuffisant 1. Autofinancement et crédit bancaire Le rôle du crédit bancaire L’autofinancement : ses différentes formes 2. L’investissement sacrifié ? Un réinvestissement systématique des profits La dégradation de la rentabilité Un endettement important ? Modernisation ou expansion ? VII. Le processus de concentration 1. La prépondérance des établissements moyens 2. Grandes entreprises et groupes familiaux 3. Une erreur de perspective Conclusion Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Sans doute Roubaix n’avait-il pas le lustre de centres lainiers plus anciens et ses produits la réputation dans les classes aisées des draps de Sedan ou des mérinos de Reims. Son industrie avait en revanche tous les caractères d’une industrie jeune, et d’abord le dynamisme. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à ce que, dès le début des années 1860, le « Manchester français » – appellation que le Journal de Lille lui avait donnée en 18431 – dépassât par l’importance de ses ventes tous les autres centres lainiers français. L’onde elbeuvienne n’avait pas encore reflué que déjà le Nord lainier affirmait sa domination. De ce moment jusqu’à la guerre, celle-ci n’a cessé de se renforcer, si bien que, en 1910, Roubaix et Tourcoing assuraient à elles seules 59,3 % des ventes françaises de tissus de laine au lieu de seulement 30,8 % en 1869 (Tableau 3). Même si l’expansion de Roubaix qui étonnait tant les contemporains qu’ils la qualifiaient d’américaine, avait plus d’éclat, le sort des deux villes sœurs n’est pas dissociable tant leurs genres de fabrication étaient à peu près identiques et leurs intérêts étroitement imbriqués. D’ailleurs, ne formaient-elles pas, selon l’heureuse expression de Jean-Pierre Daviet, un unique « complexe industriel » ?

    2L’organisation à Roubaix en 1911 de l’Exposition internationale du Nord de la France est venue couronner avec pompe cette marche ascendante, consacrant du même coup aux yeux de tous une prééminence que personne (en France du moins) ne songeait plus à contester. Il reste que cette apothéose a quelque chose de paradoxal puisque, à Roubaix-Tourcoing, la première décennie du siècle ne mérite guère l’étiquette flatteuse de « Belle Époque », son industrie donnant des signes d’essoufflement. Qui plus est, pendant la première guerre mondiale, les enquêteurs allemands qui cherchaient à mesurer les forces économiques de la France occupée, ont mis en évidence dans l’industrie du Nord de surprenantes faiblesses.

    3C’est cette combinaison de puissance incontestée, de ralentissement de la croissance et de faiblesses structurelles qui fait la spécificité de Roubaix-Tourcoing au début du siècle. Ce qui invite à rechercher tout à la fois les ressorts de son exceptionnelle croissance et de son hégémonie sur l’ensemble de la branche, les facteurs qui expliquent son essoufflement à la veille de la guerre et les raisons de sa faiblesse vis-à-vis de ses concurrents étrangers. Naturellement, chacune de ces questions doit en quelque sorte être explorée pour elle-même mais c’est la conjonction de ces trois dimensions qu’il convient d’interroger.

    I. Une croissance exceptionnelle

    4Seul centre où l’essor des ventes de tissus s’est maintenu sur l’ensemble de la période, Roubaix-Tourcoing a vu son chiffre d’affaires multiplié par 3,3 entre 1869 et 1910. Cette expansion remarquable a été fondée sur la diversité des fibres travaillées et des produits fabriqués, une politique constante d’innovation en matière commerciale et la place importante faite aux marchés étrangers.

    1. Une croissance soutenue

    5Fondée sur la conversion du coton à la laine, la croissance de Roubaix-Tourcoing s’est poursuivie jusqu’à la guerre. Unique par sa durée et son ampleur, elle n’a cependant pas été régulière, la Belle Époque étant même marquée par des difficultés récurrentes.

    Du coton à la laine

    Tableau 14. Nombre de broches de coton et de laine à Roubaix, 1833-1913

    Coton

    Laine

    1833
    1850
    1870
    1872
    1892
    1913

    176 000
    128 000
    248 073
    325 054
    203 998
    410 550

    16 848
    130 000
    246 400
    289 128
    358 650
    478 830

    Source : M. Raman, « Mesure de la croissance d’un centre textile », p. 484, 487, 490 et 493.

    6À la veille de la guerre, Roubaix-Tourcoing est le plus important centre français d’industrie de la laine. À vrai dire, c’est bien davantage un centre textile polyvalent puisqu’on y travaille toutes les fibres – laine, coton, lin, jute, chanvre, soie.

    7Si, à l’échelle de l’ensemble du complexe de Roubaix-Tourcoing, la laine l’emporte nettement par le nombre de broches de filature (666 218, soit 57 % du total), en revanche, à Roubaix, laine et coton s’équilibrent à peu près. C’est du reste, ce qui fait sa supériorité sur Tourcoing et Lille, plus étroitement spécialisées (Tableaux 14 et 15).

    Tableau 15. Nombre de broches actives dans la filature à Roubaix, Lille et Tourcoing, 1872

    Coton

    Laine

    Chanvre Jute Lin

    Soie

    Roubaix
    Tourcoing
    Lille

    325 054
    150 000
    496 968

    289 128
    377 090
    5 808

    7 424
    12 484
    251 331

    7 424
    –
    –

    Source : M. Raman, « Mesure de la croissance d’un centre textile », p. 490.

    8Cette situation est le résultat d’une longue évolution puisque, à la fin du xviiie siècle, la laine qui était travaillée à Roubaix depuis longtemps y avait été éclipsée par le coton, la production de tissus de laine tombant de 70 000 pièces en 1771 à 4 240 seulement en l’an IX, alors que celle de cotonnades progressait de 1 200 pièces en 1789 à 78 400 en l’an IX. À cette date, le travail du coton y était devenu une spécialité presque exclusive puisque, sur 300 fabricants, 20 seulement tissaient la laine2. Aussi forçant quelque peu le trait, le maire de Roubaix pouvait écrire en 1806 que l’industrie lainière avait disparu de la ville. Du reste, la laine disparaît de la statistique après la crise de 1811 pour n’y réapparaître qu’en 1833. Soutenue par la mécanisation de la filature, la baisse du prix du tissu et le revirement de la clientèle, la croissance du coton a été continue jusqu’en 1827. Mais la production de filés de coton s’effondra entre 1827 et 1831. C’est pendant la crise de la filature de coton que s’est amorcé le retour de la laine : l’utilisation pour la première fois à Roubaix en 1828 du métier Jacquard pour tisser des étoffes de laine a préparé l’expansion des nouveautés en laine, alors que, en 1830, étaient montées les premières filatures à travailler la laine. En 1833, la laine n’utilisait encore que 8,7 % des broches actives dans la filature roubaisienne. C’est entre 1833 et 1850 que le coton recula au profit de la laine, nombre de filatures de coton étant alors transformées en filatures de laine peignée. En 1850, les deux cycles se partageaient à peu près également l’activité de la filature de laine3. Malgré d’inévitables variations conjoncturelles, cet équilibre n’a plus été remis en cause jusqu’à la guerre. Quant à la production de tissus de laine, elle n’a cessé de progresser : de 3 % du total des pièces produites à Roubaix, la proportion est montée à 28 % en 1833 (53 700 pièces de tissus de laine), puis 47 % en 1839 (125 500), avant de s’établir à 63 % en 18434.

    9La multiplication des métiers Jacquard – 600 en 1833, 3 500 en 1835, 5 200 en 1838 – a facilité l’expansion des tissus nouveautés, mi-coton, mi-laine, qui ont remplacé les napolitaines, calmandes ou lastings, unis ou rayés, en coton, utilisés pour la fabrication des vêtements d’été5. La réputation de ces tissus mélangés s’est affirmée en même temps que leur gamme ne cessait de s’élargir. À elle seule, l’étoffe Orléans qui a détrôné le stoff – étoffe légère de laine peignée pour vêtements de dames – représentait un cinquième de la production6. C’est « l’article de Roubaix » qui a soutenu la croissance des ventes de tissus de la place qui sont passées de 16,5 MF en 1833 à 35,2 MF en 1843 (+ 113,3 %), avant de s’élever à 190 MF en 1865 (+ 439,7 %).

    Graphique 8. Evolution des expéditions de tissus de Roubaix (en kg), 1870-1912

    Image 100000000000027D000001753AB7E00587BEADF5.jpg

    Source : Archives de la Chambre de Commerce de Roubaix, 1870-1914

    Les vicissitudes de la croissance roubaisienne

    10L’activité du tissage, qui est en quelque sorte le maillon névralgique de la filière, peut-être reconstituée grâce aux chiffres des expéditions de tissus en poids fournis par la chambre de commerce qui, en revanche, n’indique pas leur valeur7 (Graphique 8).

    11En poids, la production de Roubaix s’est accrue de 442,7 % entre 1870 et 1912, passant de 9 253 t à 50 216, 451 t. Même si la progression a été irrégulière, l’élargissement de la demande a profité, tout au long de la période, à Roubaix dont la production s’est accrue beaucoup plus que celle de n’importe quel centre lainier français. Au cours des années 1870, la production a progressé de 4,3 % par an, ce qui recouvre en fait deux mouvements de sens contraires : d’abord une hausse jusqu’en 1875, puis une baisse sensible, le point le plus bas étant atteint en 1879. C’est pendant les années 1880 que les expéditions ont connu leur augmentation la plus forte avec un accroissement annuel de 12,8 %. Au cours de la décennie suivante la croissance s’est ralentie (4,8 %). Surtout, 1897 représente une année de crise intense qui est due à la fermeture du marché américain à la suite de la promulgation du McKinley Act qui a porté le montant des droits de 9 à 12 cents par yard et de 40 à 50 % « ad valorem ». Paradoxalement, alors que la crise de 1900 toucha durement le négoce et le peignage, elle atteignit peu le tissage qui, en volume, connut au contraire une de ses meilleures années. Les mauvaises années se sont multipliées à partir de la fin du siècle mais il semble que Roubaix-Tourcoing soit sorti du cycle des crises à partir de 19088. Au total, entre 1900 et 1911, les expéditions ont progressé seulement de 0,5 % par an. En définitive, la répétition d’années difficiles et le ralentissement de l’activité témoignent de ce que la croissance est devenue plus difficile à partir de la fin du siècle. Michel Raman parvient d’ailleurs au même constat à partir de données un peu différentes :

    « Les signes de ralentissement dans les deux décennies d’avant-guerre sont peut-être significatifs d’une crise profonde qui mûrit : le textile roubaisien, pour reprendre la problématique de Jean Marczewski, n’est plus, à l’échelle nationale une industrie « vedette ». Mais il demeure probablement une industrie « motrice ». Les taux de croissance se ralentissent mais la masse produite est considérable »9.

    12On ne connaît malheureusement le chiffre des ventes du tissage que pour quelques années seulement (Tableau 3). L’évolution qui dépend à la fois de la conjoncture économique nationale, des variations du cours de la laine, du mouvement des prix des tissus, des caprices de la mode et des aléas météorologiques apparaît à la fois plus chaotique et moins ample que celle de la production. Le chiffre d’affaires a en effet seulement progressé de 228 % entre 1869 (125 MF) et 1910 (410 MF). Sa part dans le chiffre des ventes des principaux centres lainiers français est ainsi passée de 30,8 % en 1869 à 59,3 % en 1910, le Nord dominant désormais de manière incontestable tous ses rivaux.

    2. Une politique d’innovation commerciale

    13Roubaix-Tourcoing, et c’est peut-être un des traits qui distinguent le plus nettement le complexe du Nord de tous les centres lainiers français, a sans cesse fait preuve d’une étonnante capacité à innover, tant en termes de produits que de clientèles, afin de s’adapter à la démocratisation de la demande et aux variations de la mode, tout en préservant la réputation de qualité dont l’article de Roubaix était sans doute la meilleure illustration. Si cette politique constante d’innovation commerciale lui a permis d’élargir ses débouchés, en revanche, il ne contrôlait pas davantage que les centres concurrents la distribution de ses tissus.

    Une production très diversifiée

    14Repris depuis le milieu du siècle d’exposition en exposition, ce catalogue fastidieux des tissus fabriqués à Roubaix montre que le « Manchester du Nord » s’est développé en diversifiant progressivement sa production jusqu’à finir par fabriquer les genres les plus divers :

    « Jusqu’à la Révolution, la fabrique de Roubaix ne fut pas des plus florissantes, mais cette époque fut pour elle le commencement de la merveilleuse prospérité qui, d’étape en étape, la plaçait au rang élevé qu’elle occupe actuellement. Se consacrant exclusivement, dans le principe, à la fabrication de draps ordinaires dont l’écoulement n’allait pas au-delà de limites restreintes, elle apporta successivement des variétés infinies dans sa production et elle en est arrivée à l’heure présente à ce résultat que ses tissus embrassent tous les genres et toutes les qualités et sont répandus et appréciés dans toutes les parties du monde. Spécialisée tout d’abord dans le travail de la laine, elle a fait entrer peu à peu dans ses combinaisons d’autres textiles, si bien qu’elle est arrivée à produire et qu’elle produit en réalité, dans les meilleures conditions, des tissus dans lesquels le coton, la soie, le lin ou le jute, occupent une certaine place quand ils ne l’occupent pas tout entière. C’est ainsi que l’on relève dans la production de la fabrique de Roubaix : les draperies, nouveautés et fantaisie de tous genres, en pure laine, laine et coton et tout coton, pour hommes, femmes et enfants ; articles de coton en tous genres, teints et écrus, spécialité pour pantalons et gilets ; satins de Chine noirs et couleurs ; flanelles, doublures, pachas, tartants, articles de confections pour homme et pour femmes ; robes en classique et fantaisie, nouveautés, serges, cheviottes, étoffes pour chaussures, velours, velvets, guipures, rideaux, reps et cretonnes moulinées, tissus pour ameublement, tapisseries, soieries, velours, tapis de table en jute, coton et soie, portières, couvertures de laine et de coton, bonneterie, toiles à bâches, toiles à sacs, feutres, tissus tout coton en toile et croisé, spécialement destinés aux colonies françaises… »10.

    15Si Roubaix travaillait toutes les fibres, ses tissages fabriquaient cependant surtout des tissus de laine, en pure laine ou en laine mélangée de coton ou de soie. Les tissus en pure laine représentaient 72 % du total, le reste revenant aux tissus mélangés qui, malgré leur recul, continuaient de former une part importante de la collection roubaisienne11. L’étonnante diversité de sa fabrication ne doit pourtant pas dissimuler la spécialisation de Roubaix dans les tissus pour robe qui faisaient sa réputation dans le monde entier et constituaient 56,7 % de sa fabrication de tissus de laine :

    « La robe est l’article fondamental de Roubaix ; elle utilise tous les genres de textiles : laine, coton, soie, soie artificielle, mohair, lin, etc. ; elle se prête à des milliers de combinaisons et de contextures. L’ingéniosité de nos fabricants et de nos échantillonneurs a un champ excessivement vaste pour s’exercer : tresses, amazones, voiles, velours de laine, satin chaîne soie, gaze… La robe de Roubaix a une réputation mondiale et s’exporte dans tous les pays »12.

    16Notons, de surcroît, que les collections des deux villes sœurs étaient bien différentes dans leur composition. À Tourcoing, en effet, les draps pour homme et femme l’emportaient nettement (48,5 %, contre 18,2 % à Roubaix) et les tissus pour ameublement constituaient un appoint significatif (14,1 %, contre 0,4 %), alors que l’article robe n’y avait qu’une place secondaire (14,1 % au lieu de 56,7 %)13.

    17Dans l’ensemble, les tissus de Roubaix s’accordaient bien avec l’évolution des consommateurs qui recherchaient des tissus légers, cette tendance s’affirmant de plus en plus depuis le Second Empire. La fabrication de Roubaix se portait en effet sur les tissus les plus légers – robe de moins de 250 g et tissus mélangés de moins de 200 g – qui constituaient une part très largement majoritaire de sa collection (76,6 %). Même en draperie, ses tissus étaient sensiblement moins lourds que ceux des autres centres spécialisés dans le travail de la laine cardée comme Sedan où 70 % des étoffes pesaient plus de 555 g au mètre ou Elbeuf où les tissus de plus de 400 g représentaient 80 % de la production14.

    L’article de Roubaix : du tissu mélangé à l’étoffe pure laine

    18La croissance de Roubaix-Tourcoing au xixe siècle est liée au succès de deux genres de tissus bien différents qui se sont d’ailleurs moins succédé que chevauchés : les étoffes mélangées d’abord, qui mêlaient la laine à d’autres fibres, principalement le coton, afin d’en diminuer le prix, et les tissus de pure laine qui imitaient des genres fabriqués depuis longtemps à Fourmies et à Reims sous le nom de mérinos et dans la composition desquels rentrait exclusivement de la laine peignée. Plus cher, c’était « un produit de demi-luxe, voire de simili-luxe »15.

    19Disons-le d’emblée, on ne peut rendre compte du succès comme des difficultés de l’article de Roubaix – dans ses deux versions successives – qu’à condition de prendre ses distances à l’égard du discours partisan de la chambre de commerce de Roubaix qui a imposé un tableau très noir des conséquences de l’ouverture des frontières pour l’industrie lainière qui, malgré les analyses critiques très convaincantes de Claude Fohlen, continue, peu ou prou, d’influencer bien des travaux historiques, alors même qu’il est en contradiction avec les données que procure le Tableau du commerce de la France, lesquelles doivent servir de point de départ à l’analyse.

    20On a généralement analysé la conversion de Roubaix entre 1860 et 1880 de l’étoffe mélangée au tissu pure laine comme une réaction à la concurrence de Bradford16. L’argument comporte, en réalité, deux volets qu’il faut dissocier : d’un côté, l’invasion du marché national par les produits anglais et, de l’autre, les difficultés des exportations françaises sur les marchés étrangers, notamment anglais.

    21L’idée que le traité de commerce de 1860 aurait porté un coup mortel à la fabrication de tissus mélangés en ouvrant toute grande la porte aux produits de Bradford dont la supériorité aurait été écrasante parce qu’ils étaient fabriqués dans des usines concentrées et mécanisées n’est en fait que la reprise de l’argumentation inlassablement défendue par la chambre de commerce de Roubaix dans sa campagne en faveur du protectionnisme, soit qu’elle ait réclamé la dénonciation des traités de commerce17, soit qu’elle ait bataillé pour obtenir le relèvement des droits sur les tissus importés18. Dans son discours devant l’Empereur en visite à Roubaix en 1867, Mimerel dressa un tableau très sombre de la situation de la Fabrique qu’il imputait à la concurrence anglaise19. Lors de l’enquête de 1870, les représentants de Roubaix expliquèrent qu’elle était « paralysée par la concurrence des articles de Bradford »20. Ce sera désormais le leitmotiv des analyses de la chambre de commerce. Dans sa réponse à l’enquête de 1870 sur le tarif général des douanes, elle estima que les ventes de tissus mélangés de Roubaix étaient tombées de 100 MF en 1860 à 40 MF en 1878, les tissus anglais ayant envahi le marché national : « C’est l’Angleterre qui a pris notre place sur notre propre marché ». La chambre jugeait que son industrie ne pouvait être sauvée que par un relèvement des droits, sinon les fabricants seraient « obligés de recourir à un moyen extrême : l’abaissement des salaires »21.

    22Or, l’invasion du marché français par les tissus mélangés anglais est une pure fiction. D’une part, il n’y a pas eu de poussée continue des exportations anglaises. Au contraire, leur évolution a été très irrégulière et, sur l’ensemble de la période 1864-1880, elles sont tombées de 539,1 t à 42,3 t, soit une baisse de 92,1 %22. D’autre part, la balance des échanges entre la France et l’Angleterre a été positive plus de deux années sur trois. Enfin, les produits anglais et français étaient moins concurrents que complémentaires parce qu’ils s’adressaient à des marchés différents, les milieux populaires pour les tissus anglais et les consommateurs plus aisés pour les articles français. Dans le but d’obtenir les prix les plus bas pour toucher un marché de masse, les manufacturiers anglais mélangeaient largement à la laine mère et au coton de la laine renaissance, ce qui a donné une puissante impulsion à la récupération de chiffons et à l’effilochage. Le shoddy23 est ainsi devenu le produit caractéristique de Bradford et, même si l’industrie anglaise ne négligeait pas les marchés européens, son principal débouché se trouvait dans l’Empire24. Qui plus est, Claude Fohlen a montré de manière irréfutable que les difficultés de Roubaix sont moins imputables à l’ouverture des frontières qu’au retour du coton après la fin de la guerre de Sécession (1865) et, plus précisément, à la dépression de 1867 qui, d’ailleurs, a touché l’Angleterre comme la France25.

    23Quant aux difficultés des tissus mélangés de Roubaix à l’exportation, elles ne s’expliquent pas, ou pas seulement, par la concurrence de Bradford26. Après avoir progressé de 153, 5 % entre 1850 (789,1 t) et 1860 (2 001,1 t), puis de 114,3 % entre 1860 et 1864 (4 288,9 t), les exportations françaises d’étoffes mélangées ont diminué de 31,8 % entre 1864 et 1870 (2 925,9 t). Ce coup d’arrêt a des causes multiples : le recul des ventes en Angleterre touchée comme la France par la dépression de 1867, le retour du coton qui détournait une partie de la clientèle des étoffes mélangées plus chères, et, enfin, la forte diminution des exportations des lainages aux États-Unis à la suite de l’application de mesures protectionnistes à partir de 186727. Mais, naturellement, il faut également tenir compte de la progression des tissus de pure laine qui s’est en partie opérée aux dépens des tissus mélangés. Cela dit, il ne faut rien exagérer. Les exportations de tissus mélangés se sont stabilisées autour de 3 à 4 000 t pendant toute la décennie soixante-dix, dépassant même en 1882 (4 835,7 t) le chiffre record atteint en 1864 (4 288,9 t). Ce n’est qu’après 1882 que la baisse a été continue et de grande ampleur (-76,7 % entre 1882 et 1913). Mais pour ce qui est de l’Angleterre, les exportations françaises y avaient déjà reculé de plus de moitié à cette date, les pertes outre-Manche étant compensées par une expansion réussie sur les marchés continentaux et aux États-Unis. En 1883, ces derniers représentaient à eux seuls 50,8 % des exportations françaises de tissus mélangés28.

    24Le développement des tissus de pure laine peignée n’est pas, comme le veut la légende dorée de Roubaix, une réponse à la concurrence de Bradford. On notera d’abord que leur essor est bien antérieur aux difficultés éprouvées par les tissus mélangés à la fin des années soixante : dès 1860, les exportations françaises de tissus de pure laine étaient nettement supérieures (3 316,7 t) à celles de tissus mélangés (2 001,1 t). D’autre part, la progression des ventes de tissus pure laine ne peut s’analyser exclusivement comme une réponse au recul des exportations de tissus mélangés que l’on constate à partir de 1882 et qui serait imputable à la concurrence britannique puisque ce n’est pas un phénomène spécifiquement français : on le retrouve également au Royaume-Uni où les exportations d’étoffes mélangées à base de laine peignée se sont effondrées (– 48,7 % pour la seule période 1890-1913)29.

    25L’essor des tissus pure laine a eu deux « moteurs ». D’un côté, la demande croissante de ce type de tissus par les grands magasins et les confectionneurs. De l’autre, le développement des exportations qui prirent, notamment, une importance considérable et croissante au Royaume-Uni. C’est ainsi que les ventes dans ce pays ont représenté 43,4 % des exportations françaises de tissus de pure laine en 1873 (3 064,9 t), 49,6 % en 1880 (4 625 t), 65,5 % en 1897 (6 916,9 t), 73,7 % en 1903 (6 106 t) et 71,2 % en 1913 (5 622 t). Ce succès est d’ailleurs d’autant plus remarquable que l’industrie de la laine peignée britannique voyait sa clientèle se restreindre tant sur son propre marché qu’à l’exportation. Les importations de tissus peignés au Royaume-Uni se sont en effet accrues jusqu’à atteindre leur sommet en termes absolus à la fin des années 1890, tandis que les exportations britanniques, de leur côté, déclinaient rapidement30.

    26Comment expliquer le succès des tissus français tant sur le marché britannique que sur les autres marchés d’exportation ? S’appuyant sur les travaux de la Commission royale qui enquêta en 1886 sur la dépression du commerce et de l’industrie, les historiens britanniques expliquent les difficultés de l’industrie de leur pays par l’évolution de la mode et la supériorité technique de la fabrication française. Comme les contemporains, ils ont constaté que la réorientation de la demande de tissus pour vêtements de femme s’est opérée en faveur de la France qui, après le milieu du siècle, s’est imposée comme « fashion leader »31. D’autre part, les manufacturiers anglais étaient incapables de concurrencer victorieusement les tissus français pour des raisons techniques. Le principal facteur de la supériorité française tenait aux méthodes de filature : en France, on employait le renvideur, quand en Angleterre on utilisait le continu qui était certes bien adapté à la fabrication de tissus mélangés mais beaucoup moins à celle de tissus pure laine. Cependant, les manufacturiers anglais ne modifièrent pas leur matériel parce qu’ils attendaient que la mode revînt aux tissus mélangés32.

    27Les méthodes de teinture et la qualité des dessins jouèrent également un rôle. Les filateurs anglais utilisaient davantage d’huile pour obtenir un fil très serré. Cela affectait les couleurs utilisées en teinture. Si bien que, en 1903 encore, la chambre de commerce de Bradford admonestait les filateurs en leur expliquant qu’il n’y aurait pas de progrès en teinture tant qu’ils n’auraient pas réduit la quantité d’huile utilisée dans la préparation des fils ! Par ailleurs, et depuis le milieu du siècle, les tissus français étaient réputés en Angleterre pour la qualité de leurs dessins. Les fabricants ont bien cherché à les imiter mais, semble-t-il, sans beaucoup de résultats puisque, en 1889 encore, le Bradford Observer se plaignait qu’un simple coup d’œil sur un cahier d’échantillons français suffise pour constater la supériorité des dessinateurs français. Cette situation s’explique par l’insuffisance de la formation technique de la main-d’œuvre, les industriels attendant trop de son habileté naturelle33.

    28Dès lors, seule l’orientation de la demande en faveur des tissus légers en laine peignée qui s’amplifie à partir des années 1860, l’Exposition de 1867 stimulant cette véritable révolution du goût, peut expliquer le succès croissant des tissus de pure laine que Fourmies comme Reims fabriquaient depuis longtemps déjà sous le nom de mérinos et que Roubaix s’est approprié avec succès. Par ailleurs, la baisse des prix a vraisemblablement joué un rôle important. D’un montage compliqué, ces tissus se prêtaient mal à l’emploi du métier mécanique et ont donc d’abord été fabriqués sur des métiers à bras. Ce n’est qu’en 1878 que s’installa à Roubaix la première fabrique sur métier mécanique d’un tissu de pure laine34. En abaissant les prix, la mécanisation rendit désormais accessible à une clientèle plus large les tissus peignés légers « genre anglais ». Enfin, ces tissus ont trouvé un large débouché sur les marchés étrangers. Si les exportations en ont d’abord progressé plus lentement que pour les tissus mélangés (+116,4 % de 1850 à 1860 au lieu de 153,5 %) et ont moins profité de la prospérité artificielle due à la famine de coton (+62,2 % de 1860 à 1864 au lieu de + 114,3 %), en revanche, elles ont moins souffert des difficultés de la fin des années soixante et, surtout, leur expansion s’est poursuivie jusqu’en 1895 (+75,7 % de 1869 à 1895).

    29La demande internationale a joué un rôle essentiel dans l’expansion des ventes de Roubaix35. Mais, comme le montre l’évolution des exportations aux États-Unis, les positions conquises étaient fragiles. En effet, alors que les ventes de tissus pure laine aux États-Unis représentaient 16,6 % des exportations françaises de ce genre de tissus en 1883 (1 286,9 t), elles n’en formaient plus que 9 % en 1897 (948 t) et 4,5 % en 1903 (373,5 t). Ce recul de grande ampleur (-71,8 % en vingt ans) qui était bien sûr la conséquence directe du renforcement de la politique protectionniste américaine dans les années 1890, a d’ailleurs largement été compensé par la très forte poussée des ventes sur le marché britannique, l’Angleterre absorbant une part croissante de nos ventes de tissus en laine peignée (43,4 % en 1873, 49,6 % en 1880, 65,5 % en 1897, 73,7 % en 1903), très loin devant notre second client, la Belgique (11 % en 1897). Ce succès remarquable est dû à l’adaptation de ce type d’étoffe à la clientèle des classes moyennes aisées pour qui la mode française continuait de faire prime36.

    Le négoce de tissus

    30Si le complexe de Roubaix-Tourcoing s’est rendu maître de son approvisionnement en laine, en revanche, et comme dans les autres centres lainiers, la vente des tissus y dépendait largement du négoce parisien. Cette situation résulte de la faiblesse du négoce local qui était composé d’assez nombreuses petites maisons, seule une poignée ayant un capital de 1 à 3 MF et un chiffre d’affaires d’une dizaine de millions, alors que le marché national des tissus était dominé par de puissants négociants regroupés dans le quartier du Quatre Septembre à Paris qui exerçaient un véritable « monopole » (Paul Descamps) sur l’évolution de la mode et une poignée de grands magasins qui procédaient à des achats massifs dans les centres de production.

    31Cherchant à mettre un peu d’ordre dans les relations multiformes entre les fabricants et le marché des tissus, Jean-Pierre Daviet a inventorié trois types principaux de situation : le fabricant, généralement sans grande envergure, livre directement une ou deux maisons de confection pour lesquelles il travaille régulièrement ; le négociant, presque toujours parisien, commande ferme des modèles au fabricant ; quelques grosses affaires, tissages spécialisés ou entreprises intégrées (Carissimo, Wibaux Florin, Pollet, Masurel frères, Tiberghien Charles et fils, Tiberghien frères…), qui se sont dotés d’un embryon de service commercial, démarchent grands magasins, négociants, tailleurs et confectionneurs37.

    32Assurément intéressante, cette typologie n’épuise pas néanmoins la complexité des relations entre fabricants et négoce de tissus et, en particulier, ne rend pas compte du caractère déséquilibré et inégal des rapports existant entre l’industrie et les puissants organismes d’achat qu’étaient les grands magasins et les négociants du Quatre Septembre qui disposaient d’énormes moyens financiers et intervenaient sur l’ensemble du marché national des tissus où ils passaient des ordres d’achat très importants, payant d’avance une partie des commandes, les seconds jouant même un rôle d’intermédiaires absolument indispensables pour les ventes à l’étranger38.

    33C’est ce point que Paul Descamps qui a enquêté sur place dans les années 1910, a mis en évidence avec force à propos des relations avec le négoce parisien. Il souligne d’abord que la nature de ces relations dépend de la taille des entreprises : « Tandis que les petits fabricants tendent à tomber sous la coupe des gros négociants, les grands industriels jouissent de l’autonomie la plus complète »39. Toutefois, nuançant son analyse, il ajoute à propos des plus grosses affaires de tissage : « Les transactions ne se font que deux fois par an, et n’ont lieu qu’entre quelques intéressés, les gros fabricants créateurs de Roubaix et les grands magasins de nouveautés à Paris. Financièrement, les premiers sont capables de lutter à armes égales contre les seconds, mais ils en dépendent plus ou moins pour le lancement de leurs produits »40. Et de dénoncer « l’instabilité constante qui existe dans les relations » entre gros fabricants et maisons de commerce et qui, selon lui, rend absolument nécessaire une réaction collective des industriels (il parle à son propos d’« utilité pressante ») :

    « Il paraîtrait que certaines maisons de nouveautés ne pratiquent pas des coutumes absolument correctes vis-à-vis des gros fabricants créateurs. Ceux-ci les accusent de faire copier les échantillons qu’ils ont inventés, et de réserver leurs commandes pour les petits fabricants, qui, n’étant pas chargés de frais de recherche et d’invention, peuvent les exécuter à meilleur compte. C’est ce qui permet à un certain nombre de petits tissages de vivre. Tous les gros fabricants se plaignent de cet état de choses, mais jusqu’à présent, ils ont été incapables de former une union cohérente, une espèce de trust, qui serait le seul remède possible à l’instabilité actuelle des transactions »41.

    34Sans doute pour mieux dégager la logique des relations complexes entre fabricants et négociants faudrait-il pouvoir les décortiquer à partir des comptabilités des entreprises et des correspondances commerciales42. Cependant, les éléments procurés par Paul Descamps suffisent pour affirmer que c’est du côté de l’aval que se trouve le principal point faible de la filière lainière puisque, pour l’écoulement de ses produits qu’elle ne contrôlait que dans une bien faible proportion, elle dépendait des grands négociants du Quatre Septembre et des grands magasins parisiens qui, en définitive, dominaient l’industrie roubaisienne comme celle des autres centres lainiers français.

    3. Des marchés extérieurs en expansion

    35Pour l’industrie roubaisienne, les marchés étrangers représentaient un débouché décisif qui absorbait une part importante de sa production de peignés, de fils et de tissus. Aussi ses fabricants ont-ils fait beaucoup d’efforts pour pénétrer les marchés extérieurs, la création de filiales constituant un moyen privilégié de cette politique.

    Une industrie exportatrice

    36L’industrie de Roubaix-Tourcoing était exportatrice à tous les stades de la transformation de la laine. On considère généralement que le tonnage exporté sous forme de peignés, fils et tissus, se situait entre 50 et 60 % du poids de la laine lavée à fond utilisée à Roubaix : soit, sur 60 000 t en 1907, 21 000 t pour les peignés, 5 000 t pour les fils et 8 000 t pour les tissus43. C’est dire que l’exportation constituait un débouché primordial pour l’industrie lainière du Nord.

    37D’après le rapport de Sayet sur l’exposition de Roubaix, les ventes de rubans de peigné se répartissaient à peu près également entre les filatures locales (38 %), celles des autres villes lainières (31 %) et l’exportation (31 %). Aussi, en 1910, Roubaix-Tourcoing a exporté 19 200 t de peignés sur une production de 64 000 t. Trois pays absorbaient alors la quasi-totalité des exportations : la Belgique (55,5 %), l’Allemagne (25 %) et l’Italie (13,4 %)44.

    38Les exportations de fils ne sont pas connues avec précision. On admet généralement que la plus grande partie de la production était utilisée par le tissage local, mais une partie en était néanmoins exportée. Les enquêteurs allemands faisaient pour leur part l’hypothèse que les exportations du Nord évoluaient comme celles de la France entière et que, comme elles, se répartissaient essentiellement entre trois pays : Grande Bretagne (50 %), Belgique (16,4 %) et Allemagne (12,8 %)45.

    39Quant aux tissus, ils alimentaient un important courant d’échanges avec l’étranger : en 1900, Roubaix a produit pour 300 MF dont la moitié a été exportée46. D’après Jean-Pierre Daviet, vers 1880, c’est un tiers environ de la production qui était écoulé sur les marchés étrangers, l’essentiel allant vers les États-Unis, les pays continentaux voisins de la France (Belgique, Allemagne, Suisse, Italie, Espagne) et la Grande Bretagne qui, vers 1900, était devenue le principal client47.

    Des industriels tournés vers l’extérieur

    40Par tradition et nécessité, l’industrie roubaisienne était présente sur tous les marchés d’exportation. Aussi, plus qu’ailleurs, les industriels étaient préparés, dés leur jeunesse, à se tourner vers l’extérieur. Dans les années 1870, les collèges de la région firent dans leurs programmes une plus large place à l’enseignement des langues, mais certains patrons n’ont pas hésité à donner la préférence à l’enseignement secondaire spécial qu’ils jugeaient plus moderne et où, à côté des sciences, les élèves apprenaient l’anglais et la géographie commerciale. On retrouve cette orientation, plus affirmée encore, dans les institutions d’enseignement professionnel supérieur créées par les patrons du Nord pour leurs fils, notamment à l’école des Hautes Études Industrielles à Lille (1885) et à l’Institut Technique de Roubaix (1895), ce dernier ouvrant même une section commerciale en 1905. Enfin, nombreux sont les futurs patrons qui ont fait des études et des stages en Angleterre et en Allemagne pour y apprendre ou y perfectionner la langue48.

    41C’est dotés de ce solide bagage que les chefs d’entreprise et leurs représentants sillonnaient le monde, ouvrant des agences dans un grand nombre de pays. C’est ainsi, par exemple, que la société Mathon-Dubrulle, fondée en 1880, et qui employait 1500 salariés, était présente, grâce à ses 59 agences (24 en Europe, autant en Amérique, 4 en Asie, 4 en Australie et 3 en Afrique), sur tous les continents49. Cette politique de représentation commerciale directe n’avait pas d’équivalent dans les autres centres lainiers où les entreprises étaient généralement moins puissantes et où même les plus grandes vendaient à l’étranger par l’intermédiaire de maisons de négoce. Par ailleurs, moins individualistes qu’on ne l’a dit50, les plus gros industriels roubaisiens n’ont pas hésité à se grouper pour mettre en place en 1910 un Comptoir d’exportation dirigé par le directeur honoraire de la succursale de la Banque de France, afin de vendre en commun leurs tissus à l’étranger51.

    42L’exportation devenant plus difficile à partir de la fin des années 1890, l’action des entreprises a été complétée par celle des chambres de commerce qui ont organisé ou participé à des missions d’exploration commerciale dans des pays susceptibles de devenir des marchés pour les produits du Nord. Il y en eut trois. En 1895, la chambre de commerce de Roubaix s’est associée à une mission en Chine dont l’initiative revenait à celle de Lyon52. Soigneusement choisi, son délégué, Albert Waeles parlait et écrivait l’anglais et avait suivi les cours de tissage de l’École des Arts Industriels de Roubaix. Il était chargé d’étudier la possibilité de remplacer les tissus en soie fabriqués sur place par des étoffes de laine bon marché importées. Si la mission fut un échec, Waeles découvrant bien vite l’irréalisme du projet, du moins eut-elle le mérite d’informer de manière sérieuse les industriels du Nord sur la situation dans les pays visités, la Chine et le Tonkin, dont on avait songé à faire le point de départ pour la pénétration de son grand voisin. En 1900, la chambre de Tourcoing prit l’initiative d’envoyer Fleurisse Marescaux au Danemark53. Le délégué, qui avait la pratique courante de l’anglais, connaissait bien la filature, avait séjourné longuement à Leipzig et Manchester et travaillait dans le négoce des laines, avait une double mission : étudier les conditions du marché et, muni d’échantillons de fils et de tissus, placer des commandes auprès de la clientèle locale. La mission échoua parce que ses initiateurs avaient eu tort de confondre voyage d’études et prospection commerciale et que les principales maisons tourquennoises étaient déjà représentées au Danemark par des agents locaux, bien implantés et efficaces. Si, sur le plan commercial, la mission n’a donc pas donné les résultats attendus, en revanche, elle a procuré aux industriels des informations intéressantes sur les conditions et le fonctionnement du marché danois. Enfin, en 1902, la chambre de Tourcoing a envoyé un représentant au Chili et en Uruguay54. Léon Sizaire, son délégué, était diplômé de l’École des Hautes Études Commerciales, parlait anglais et espagnol et avait séjourné en Amérique du Sud où il avait pris part au commerce des laines. Cette fois, il s’agissait seulement d’une mission d’études : Sizaire devait se renseigner sur les goûts de la clientèle, les usages commerciaux, les modes de paiement, les relations avec les banques et les conditions de transport. S’étant rapidement convaincu que dans ces pays qui absorbaient une énorme quantité de tissus importés mais dont le marché était dominé par l’Allemagne et le Royaume-Uni, il existait une clientèle potentielle pour les produits de Tourcoing, le délégué s’est employé à recruter sur place des agents exclusifs. Sa mission a été un succès puisqu’elle a contribué à développer les ventes de tissus au Chili.

    La création de filiales à l’étranger

    43Parallèlement, les grandes entreprises de Roubaix-Tourcoing ont mis en œuvre une stratégie de création systématique de filiales à l’étranger afin de s’affranchir des barrières douanières. Les États-Unis et l’Europe de l’Est ont formé les espaces privilégiés d’implantation pour les capitaux nordistes55.

    44C’est le renforcement de la politique protectionniste des États-Unis qui amena les industriels roubaisiens à créer des usines dans ce pays. La promulgation du McKinley Act en octobre 1890 détermina un important relèvement des droits d’entrée sur les tissus étrangers que le président de la chambre de commerce dénonça vigoureusement : « C’est en quelque sorte la prohibition, c’est la ruine de notre industrie »56. Les effets de ce tarif ont encore été aggravés par le Dinley Act promulgué en avril 1897. C’est pourquoi les exportations de tissus de laine aux États-Unis qui s’élevaient à 1 162 684 kg à la fin des années 1880 étaient tombées à 214 675 kg en 1897 ! D’après Albert Demangeon, on estimait à 150-200 MF la valeur des tissus pour robe annuellement exportés de France aux États-Unis en 1880-1885, et à 100 MF environ la part de Roubaix-Tourcoing. En 1913, ce chiffre était tombé à 10 MF environ pour toute la France, la majeure partie venant de Roubaix qui n’y vendait plus que ses tissus les plus légers et les plus beaux (voile, éolienne, crépeline, taffetas…)57.

    45C’est dans ces circonstances que plusieurs fabricants de Roubaix-Tourcoing qui voyaient chaque jour décliner leurs exportations décidèrent d’édifier leurs propres usines en terre américaine afin de tourner les obstacles douaniers. Les Lepoutre furent les premiers à s’implanter à Woonsocket dans l’État du Rhode Island, au nord-est du pays, à la suite de la visite que leur fit à Roubaix en 1897 le gouverneur de ce petit État. Ils y fondèrent en 1898, sous le nom symbolique de « La Fayette Worsted Co », la première filature française de laine peignée. Pour l’occasion, ils s’étaient associés avec la famille Simonis, de Verviers, qui se retira de l’affaire en 1914. Les Lepoutre furent rejoints quelques années plus tard par les Tiberghien (« French Worsted », 1906), Desurmont (« Desurmont Worsted », 1907), Masurel et, après la guerre, Prouvost. Dans la plupart des cas, ces filatures n’ont pas tardé à s’annexer un peignage. De surcroît, trois autres fabricants se sont associés pour établir à Frankfort (Philadelphie) une usine de tissage et de teinturerie qui recevait ses modèles de France et les adaptait au goût local avant de les vendre sous l’appellation flatteuse de « nouveauté parisienne ».

    46Si les premiers pas furent difficiles, à la veille de la guerre, toutes ces affaires étaient parfaitement prospères. Albert Demangeon parlait à leur propos de « forme de colonisation très raffinée » puisqu’il s’agissait de « l’implantation d’une industrie supérieure par ses procédés, ses capitaux et ses traditions dans un pays plus jeune » et de « l’adaptation de cette industrie aux conditions d’un nouveau milieu ». Si le personnel ouvrier a été recruté sur place dans les rangs de la colonie canadienne francophone et catholique, en revanche, techniciens et directeurs venaient de France. Le cas de Jacques Lepoutre, un des fils d’Auguste, le fondateur de la « La Fayette Worsted », est particulièrement significatif : il fit ses études chez les Jésuites, à Montréal, afin de s’y familiariser avec l’anglais et le mode de vie américain, avant de s’installer à Woonsocket où il géra l’entreprise familiale, épousa une canadienne et fit souche. Ce qui faisait dire à Demangeon que cette « colonisation industrielle » n’était pas seulement une exportation de capitaux mais aussi « d’intelligence et de technique »58.

    47Les industriels de Roubaix-Tourcoing se sont également intéressés à l’Allemagne (Lepoutre à Aix-la-Chapelle) et à l’Italie (Tiberghien à Vérone)59, mais c’est vers l’Europe de l’Est qu’ils orientèrent particulièrement leurs efforts. Les Tiberghien et les Prouvost ont essaimé en Bohème, quand les Motte créaient des usines importantes en Pologne russe et en Russie. C’est en association avec d’autres familles textiles du Nord que les Motte ont fondé en 1899 à Czestochowa la société Motte, Meillassoux, Caulliez et Delaoutre qui débuta avec 50 000 broches (il y en avait le double en 1912) et réunissait tissage et teinture, travaillait également le jute et fabriquait des sacs et des toiles à matelas. Associés avec Joseph Gillet, l’ami indéfectible de leur père, ils ont pris des intérêts dans deux teintureries situées près de Moscou, avant d’entrer l’année suivante pour 80 % dans un établissement de filature et retorderie possédé par Paul Desurmont à Lodz et de prendre une importante participation dans une filature appartenant à F. Defourmentel, également située à Moscou. En 1910, Motte reprit une filature et un tissage de jute à Odessa et créa une filature de laines fines à Moscou60. Au total, pour les industriels du Nord, il s’agissait non seulement de conquérir de nouvelles clientèles mais aussi de participer directement au développement économique de pays neufs.

    II. Le patronat : un avantage comparatif important

    48Depuis Louis Reybaud61 qui, le premier, s’est étonné de la croissance exceptionnelle de Roubaix tant, au départ, les conditions géographiques paraissaient peu favorables, c’est un lieu commun que d’affirmer qu’elle est tout entière un produit de l’histoire62. Géographes, économistes et historiens ont vu notamment dans l’originalité des traditions comportementales du patronat roubaisien un des facteurs susceptibles de l’expliquer. N’ont-elles pas en effet fortement influencé son rapport à l’entreprise et son style de gestion ?

    49C’est à David Landes que l’on doit la tentative la plus ambitieuse pour compléter l’explication par l’économique par une explication qui fait toute leur place aux facteurs socio-culturels. Après avoir mis en évidence les avantages que l’industrie roubaisienne a tirés de la révolution des transports, de l’abondance de main-d’œuvre et de la proximité des réserves de charbon et montré qu’ils ne suffisent pas à expliquer sa réussite, il a fait ressortir tout ce qu’elle devait aux structures, aux comportements et aux valeurs du patronat local. Retournant la critique impitoyable qu’il avait faite précédemment du capitalisme familial qu’il rendait responsable du manque d’imagination et d’initiative des patrons et de la lenteur de l’industrialisation française63, D. Landes a vu dans le caractère familial de l’industrie roubaisienne un facteur de force plus que de faiblesse. À ses yeux, c’est le culte de la famille, l’adhésion au catholicisme et un véritable complexe d’infériorité vis-à-vis de Lille qui ont nourri le dynamisme d’un patronat qui a propulsé le « Manchester français » au premier rang des villes lainières françaises64.

    50L’hypothèse de l’historien américain que les facteurs socioculturels doivent être pris au sérieux pour expliquer le succès de Roubaix est ici reprise de manière systématique sur la base d’une documentation plus large, et sous deux angles différents : d’une part, les relations entre la famille et l’entreprise parce que la famille est la matrice où s’élaborent les valeurs, les normes de comportement et les réseaux dont l’entreprise ne peut se passer ; d’autre part, la formation professionnelle des fils de patrons parce que la qualité de la performance entrepreneuriale est largement tributaire des compétences acquises par les industriels.

    1. Continuité, homogénéité et solidarité

    51Les familles patronales de Roubaix-Tourcoing se distinguent par une fécondité élevée, une solidarité agissante, la continuité de leur engagement professionnel et une forte homogénéité idéologique et politique qui est à l’origine d’une sorte de réflexe de minorité.

    Des familles prolifiques

    52Le premier trait caractéristique des familles du Nord est leur forte fécondité, supérieure même à celle des grandes familles alsaciennes pourtant réputée élevée65. Leur comportement démographique est aujourd’hui bien connu. Mariée à vingt et un ans, la bourgeoise du Nord met habituellement son premier enfant au monde onze mois après le mariage, la dernière naissance survenant alors qu’elle est en moyenne âgée de 37 ans. Elle donne généralement naissance à une progéniture nombreuse. Comment expliquer cette prolificité ? Persistance de comportements traditionnels ? Influence des enseignements de l’Église catholique ? Besoins de l’entreprise ? Il est difficile de trancher. En tout cas, et contrairement à ce que l’on a prétendu66, il n’y a pas eu de baisse dans la fécondité des grandes familles puisque le nombre moyen d’enfants par famille qui était de cinq pendant toute la première moitié du siècle tend vers sept à la fin du siècle67. On est donc en présence de grandes tribus et ce comportement se reproduit à chaque génération : chez les Motte, par exemple, pour les quatre premières générations prises globalement, il y eut six enfants en moyenne par famille68.

    53Sans verser dans un fonctionnalisme qui serait à la fois naïf et caricatural, il faut pourtant bien observer que ce comportement démographique a son utilité pour l’entreprise : d’une part, l’existence d’un grand nombre d’enfants, et notamment de fils, permet de parer aux risques de décès prématurés ou d’incompétence des héritiers et, de l’autre, elle garantit que ceux-ci seront assez nombreux pour diriger les différents départements de la firme, chaque fils se spécialisant dans une branche d’activité, ce qui dispense de faire appel à des employés supérieurs pour diriger les usines, les filiales ou les comptoirs à l’étranger.

    54Par ailleurs, la taille de la famille a certainement stimulé le dynamisme entrepreneurial de la famille : en effet, le souci de donner plus tard une situation à tous ses fils ne pouvait qu’inciter l’industriel à développer son affaire. Cette préoccupation que l’on retrouve également en Alsace69, a pris à Roubaix-Tourcoing la forme de l’essaimage familial. Il était en effet de tradition de créer un nouveau rayon de production ou une nouvelle usine pour accueillir les fils en âge d’être associés dans l’affaire familiale, « le but poursuivi étant de fonder autant d’usines qu’il y a de fils ». Le sociologue leplaysien Paul Descamps voyait dans cette pratique « une charge pour la famille roubaisienne » et jugeait que « l’établissement paternel (était) grevé d’une dette envers les enfants »70. L’argument n’est pas sans valeur mais, à l’inverse, on peut se demander si cette tradition n’a pas été, pour le patronat du Nord, une source de dynamisme puisqu’elle poussait les fils à travailler, à prendre des responsabilités et à réussir pour se montrer digne de la lignée. Qui plus est, la multiplication d’entreprises familiales, à la fois indépendantes et solidaires, est à l’origine d’un phénomène typiquement roubaisien : les groupes familiaux qui réunissaient les nombreuses entreprises appartenant à une même famille. Cette forme d’intégration souple, qui caractérisait notamment ce que les observateurs ont baptisé le « système Motte »71, fonctionnait grâce à la bonne entente et à la confiance qui régnaient entre membres d’une même famille et permettaient d’alléger les coûts de fonctionnement d’entreprises souvent éloignées.

    55Par ailleurs, ces familles nombreuses étaient remarquables par la bonne entente qui régnait entre les enfants et qu’entretenaient de grandes réunions périodiques rassemblant toute la famille et les vacances prises en commun comme celles que passaient les descendants de Motte-Bossut dans la belle propriété de Lannoy. Gaston Motte ne souligne-t-il pas à propos des fils de Motte-Bossut comme de ceux de Motte-Duvillier « l’union intime, affectueuse et confiante » qui les a unis jusqu’à la mort ? Il existait entre eux une « solidarité absolue » et si un désaccord venait à les séparer, la solution était laissée à l’arbitrage de l’aîné ou de celui des frères qui avait la plus forte personnalité72.

    Endogamie et solidarité

    56Le mariage a, dans le patronat nordiste, une importance fondamentale : en effet, générateur de liens nouveaux, il permet à la fois de doubler l’étendue du réseau de relations et de combiner alliances familiales et communautés d’intérêts. Ce tout petit monde était caractérisé par une pratique rigoureuse de l’endogamie : on s’alliait à l’intérieur de sa cité natale73, dans la profession textile74 et avec des familles de même rang social75. Qui plus est, les renchaînements d’alliances n’étaient pas rares : à Roubaix, trois générations de Florin – Carlos Florin père, Carlos Florin fils (1811-1862) et Achille Florin (1837-1909) – ont épousé des Defresnne76. Du reste, à Tourcoing, avant même que ne débute la révolution industrielle, il existait déjà d’inextricables cousinages entre les Motte et les Desurmont, les Tiberghien et les Masurel que les alliances postérieures n’ont fait que renforcer avec d’ailleurs pour conséquence une très forte consanguinité77.

    57L’habitude nordiste de combiner les noms de l’époux et de l’épouse répondait d’abord à une nécessité pratique évidente : elle permettait d’identifier avec certitude chaque individu alors même que dans chaque ville il existait plusieurs foyers portant le même nom78. Le double patronyme était également « le signe patent de l’appartenance à un double réseau de relations »79. Cependant, étant donné la forte fécondité des familles patronales, l’application de cette règle a abouti à un enchevêtrement si complexe de patronymes doubles que, en 1912, fut publié un annuaire détaillé des grandes familles du Nord – Les grandes familles de Roubaix-Tourcoing et environs – qui, depuis, a fait l’objet de nombreuses mises à jour.

    58Le nom, qui marque l’appartenance à la tribu et qui, dans le Nord est l’objet d’une véritable religion80, intègre la personne qui le porte dans tout un réseau de solidarités qui jouent un rôle décisif dans le lancement d’une nouvelle affaire ou le franchissement d’une passe difficile. Le lien étroit et direct entre la famille et les affaires apparaît d’abord dans la structure de sociétés qui, quelle que soit la forme juridique adoptée, y compris lorsque exceptionnellement on avait recours à la société anonyme, demeuraient strictement familiales : les associés se recrutaient en effet presque exclusivement dans le cadre de la famille large81. D’autre part, il n’était pas rare que la famille apporte son soutien aux débuts d’une nouvelle entreprise : c’est ainsi que lorsque, en 1881, les quatre fils de François Motte qui était décédé prématurément montèrent une filature, leur oncle Florentin Eloy-Duvillier les aida à la fois de ses capitaux et de ses conseils afin qu’ils puissent démarrer rapidement82. Enfin, le sentiment d’appartenance à la famille obligeait à soutenir les parents en difficulté. L’exemple des relations entre les Lepoutre et les Tiberghien est, de ce point de vue, tout à fait instructif. Fabricant de tissus depuis 1852, Auguste Lepoutre monta en 1866 un tissage important en association avec les Motte sous la raison sociale Lepoutre et Compagnie. Victime des variations de la mode, il ne put redresser sa situation que grâce à un prêt de 800 000 F consenti par son beau-frère Charles Tiberghien (il avait épousé une fille Lepoutre en 1858) qui, n’ayant pas lui-même les fonds nécessaires, les emprunta à deux riches veuves de Tourcoing. Ayant rétabli sa trésorerie et désintéressé ses associés, il céda – sur le conseil de son beau-frère – l’affaire à ses fils qui, toujours conseillés par leur oncle Tiberghien, en firent une des plus puissantes entreprises de la place83.

    La continuité familiale

    59L’ancienneté des entreprises caractérise le complexe de Roubaix-Tourcoing84. À la veille de la guerre, la plupart de celles qui donnaient le ton avaient été fondées au milieu du siècle, voire sous le Premier Empire par des familles qui, dés le milieu du xviiie siècle et parfois au xviie siècle pour les plus anciennes, s’étaient illustrées comme négociants ou marchands-fabricants dans le textile où elles avaient accumulé les capitaux utilisés par la suite pour lancer et développer leur entreprise. C’est le cas, entre autres, des Prouvost, des Leclercq-Mulliez, des Flipo ou des Tiberghien.

    60Mais c’est bien sûr les Motte qui offrent le plus bel exemple de continuité familiale. Leur activité de marchands est attestée à Tourcoing dès le xviie siècle. Pierre Motte-Florin (1758-1795) fut maire de Roubaix, mais c’est la descendance de son frère, Jean-François Motte-Clarisse (1750-1822) qui s’illustra dans le textile. Plusieurs de ses fils poursuivirent à Tourcoing son activité de marchand-fabricant avant d’y fonder des usines. Jean-François Motte-Destombes (1790-1840) monta dès 1819 une filature qui travaillait la laine et le coton. Son frère, Philippe Motte-Roussel créa plus tardivement une filature de lin. Enfin, le troisième fils de Motte-Clarisse, Jean-Baptiste (1794-1864) s’installa à Roubaix où il épousa Pauline Brédart en 1816. Passant du coton à la laine, il poursuivit le tissage et monta une petite filature. Des cinq enfants du couple, deux des garçons, Louis (1817-1883) et Alfred (1827-1887) furent des acteurs essentiels de la vie industrielle locale. Louis Motte-Bossut est le fondateur d’une filature de coton gigantesque surnommée l’usine monstre par les Roubaisiens. Quant à Alfred, il fonda en 1852 une entreprise intégrée qui rassemblait filature, tissage, teinturerie et apprêts, avant de multiplier les entreprises dans tous les domaines. Ses trois fils, Albert, Eugène et Alfred poursuivirent son activité créatrice. Si l’on voit en Jean-Baptiste Motte-Brédart le vrai fondateur de la dynastie, à la veille de la guerre, les Motte étaient déjà dans l’industrie depuis trois générations.

    61À Roubaix-Tourcoing, comme ailleurs, il y eut bien sûr des familles qui souffrirent du manque d’héritiers mâles – les Réquillart à la fin du xixe siècle85 – ou de l’incompétence de l’un des leurs – Etienne Motte qu’Alfred dut flanquer d’un bon technicien, Henri Blanchot86 – mais la longévité des familles patronales témoigne d’abord d’un fait essentiel : à chaque génération, elles ont trouvé dans leurs rangs des hommes capables de prendre la succession. L’attraction d’autres activités y fut, en effet, moins forte qu’ailleurs. Le cas de la famille Motte, une fois encore, est éclairant : dans les 81 foyers que comptent les trois générations qui courent à partir de la fin du xviiie siècle, la grande majorité des chefs de famille a exercé une profession textile (81,5 %), seule une petite minorité travaillant dans d’autres secteurs de l’industrie (6,2 %), dans la fonction publique (4,9 %) ou les professions libérales (3,7 %), ou même vivant de ses rentes (2,5 %). Encore les carrières de la magistrature et de l’armée ont-elles été embrassées seulement par des étrangers entrés dans la famille par mariage87 ! Cette continuité professionnelle, de génération en génération, était d’ailleurs pour le patronat roubaisien un sujet de fierté : en 1900, Eugène Motte qui voulait persuader Millerand de donner la Légion d’honneur à son cousin Léon Motte, faisait valoir : « nous, place de commerce de père en fils et sans absentéisme et sans que personne fasse Charlemagne »88. Du reste, n’a-t-il pas repris ce thème en 1927, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de son père Alfred Motte, pour expliquer que le secret du succès de Roubaix, c’est que « personne ne fait Charlemagne, personne ne passe la main »89 ?

    62Si les fils succédaient aussi régulièrement aux pères, c’est que, dès leur plus jeune âge, ils avaient été élevés avec l’usine pour horizon et dans la religion du nom. Les études ne faisaient en fait que renforcer les dispositions acquises dans la famille. C’est pourquoi, dans les familles du Nord, la vocation se transmettait de génération en génération et, aux yeux des industriels, elle était en quelque sorte héréditaire. Gaston Motte ne déclarait-il pas : « C’est par imbibation et par atavisme plus que par formation que la plupart d’entre nous nous sommes trouvés industriels »90 ? De son côté, évoquant sa jeunesse et sa formation, Eugène Motte affirmait en une formule laconique : « Nous avons dans le sang le goût du métier »91.

    63De cette chaîne des hommes qui, fiers du nom qu’ils portent, se succèdent dans l’entreprise, les Tiberghien offrent un exemple éclatant. C’est en 1848 que, prenant la suite de son père Louis qui était négociant en laines, Charles se lança dans la fabrication de tissus avant de s’associer avec ses frères en 1853 ; liquidée en 1875, la société Tiberghien frères fut immédiatement reconstituée par deux fils de Charles, Carlos et Louis ; la scission de 1895 donna naissance à deux des plus grandes sociétés de Tourcoing, Tiberghien frères et Charles Tiberghien et fils ; en 1920, la multiplication des associés conduisit à une nouvelle dissolution et à une réorganisation sur d’autres bases, mais toujours dans le cadre de la famille qui maintint son contrôle sur les sociétés créées au lendemain de la guerre presque jusqu’à la fin du siècle (dissolution de la société Charles Tiberghien et fils en 1977, et rachat par le groupe Chargeurs de la société Paul et Jean Tiberghien en 1988)92. Bien d’autres noms pourraient être convoqués pour illustrer la continuité du contrôle familial sur les entreprises lainières de Roubaix-Tourcoing : pour ne citer que les plus connus, on observe en effet le même comportement chez les Motte, les Lepoutre, les Toulemonde, les Prouvost, les Lefèbvre, les Desurmont ou les Dewavrin.

    64Ajoutons que le passage d’une génération à l’autre se faisait sans heurts apparents parce que toutes les précautions étaient prises pour protéger l’entreprise, œuvre familiale pourtant, contre la famille qui était perçue comme un facteur de vulnérabilité, des dispositions étant conçues pour mettre la société à l’abri des accidents biologiques comme des prétentions des héritiers. L’exemple de Tiberghien dont les statuts ont été modifiés à deux reprises, éclaire bien cette prudence des familles. En 1895 d’abord, les règles ont été aménagées pour prémunir la société contre les risques liés à la disparition de l’un des associés : on a prévu que la société ne serait pas dissoute mais continuerait entre les associés survivants jusqu’à son terme normal et, afin d’éviter toute source de frictions, le capital a été réparti également entre les quatre associés. En 1909, les possibilités de dissolution ont encore été restreintes afin d’assurer la pérennité de l’entreprise et le partage des bénéfices a été conçu de façon à encourager les fils à continuer l’œuvre entreprise. Qui plus est, afin de préparer au passage en douceur du pouvoir dans les mains de la génération suivante, les associés ont commencé à transférer leurs parts sociales à leurs fils93.

    65C’est parce que les fils ne s’évadaient pas vers d’autres horizons que le capital s’est accumulé dans les entreprises et ne leur a pas fait défaut. S’identifiant à leur entreprise, les industriels de Roubaix-Tourcoing y réinvestissaient systématiquement les profits de l’année. Aussi, s’ils étaient riches, c’était d’abord de briques, de balles de laine et de machines. Ce que montre la composition de leur patrimoine où la participation dans l’entreprise familiale l’emporte toujours, et de beaucoup, sur le portefeuille d’actions et les investissements immobiliers94. Cette conclusion vaut bien sûr pour le Second Empire mais aussi pour les décennies suivantes puisque bien des patrons recensés dans l’enquête sur les patrons du Second Empire dans le Nord sont décédés après 1870. Naturellement, l’enquête devrait être poursuivie jusqu’à la guerre afin de confirmer de manière statistique les indications dispersées que livre la littérature. Eugène Motte a d’ailleurs souligné avec beaucoup de perspicacité les conséquences de cette situation :

    « Nous avons profité de ce que d’autres mœurs étaient coutumières dans d’autres centres textiles, comme Reims, comme Amiens, comme Elbeuf, où il était assez fréquent de passer la main pour embrasser des professions moins astreignantes. Comment l’aurions-nous fait ? Nos pères investissaient tout leur avoir dans l’usine ou dans le négoce. Ils nous laissaient à leur mort des immobilisations et des comptes souvent débiteurs, mais bien gagés en banque. Il ne nous restait plus qu’à naviguer avec les vents favorables, ou contre le vent et parfois traverser l’orage… Voilà toute l’histoire, vécue et vue de près de la grande industrie lainière. Elle est la preuve du succès de l’effort continu de trois, quatre générations qui s’adonnèrent au travail avec allégresse, sachant que leurs successeurs ne laisseraient pas l’héritage tomber en quenouille »95.

    66Ce texte remarquable fait bien ressortir ce qui fait la spécificité du patronat du Nord : la réussite d’affaires poursuivies sur plusieurs générations, autrement dit sa dimension à la fois industrialiste et dynastique. L’entreprise y était, en quelque sorte, une fin en soi et la famille dont elle constituait la base de l’existence, avait l’obligation de mobiliser toutes ses ressources pour en assurer la pérennité. Bien plus, chaque génération avait le devoir de transmettre agrandi le patrimoine qu’elle avait reçu et dont elle n’était que l’usufruitière. Le témoignage d’Eugène Motte mérite encore une fois d’être cité. Évoquant les sentiments qu’il éprouva avec ses frères lors de la mort de leur père en 1887, ne déclarait-il pas en 1927 :

    « Nous eûmes le frisson du vide. Nous avions perdu le meilleur des guides. Nous pensions nous recueillir et consolider mais le sang bouillonnait en nous. Il nous avait si longtemps électrisés que nous étions comme des bouteilles de Leyde toutes chargées d’étincelles. « Je maintiendrai » est une devise. C’est même une devise fière puisque c’est la devise de l’Angleterre. « Je créerai, nous créerons nous aussi » est une meilleure profession de foi. Nous ne serons pas des fils à papa, nous serons les dignes fils de notre père, succession doit être occasion d’ascension et nous servirons sa mémoire en poursuivant sa ligne. Nous ajouterons des rayons à sa gloire »96.

    67Au total, il y avait identification entre l’industriel, la famille et l’entreprise qu’elle a fondée. Ce que nous rappelle d’ailleurs le titre célèbre de la biographie de Motte-Bossut : « Un homme, une famille, une firme »97.

    Un milieu homogène

    68La monotonie des généalogies patronales traduit bien l’homogénéité et la fermeture du milieu. Cependant, celles-ci ne s’expliquent pas seulement par la structure des familles. L’adhésion au catholicisme et une sensibilité réactionnaire en sont également de puissants facteurs. Surtout, ils ont nourri une sorte de réflexe de minorité qui n’est pas étranger au dynamisme roubaisien.

    69Le sentiment religieux était profondément ancré chez les patrons de Roubaix-Tourcoing98. Formés d’abord dans les collèges religieux de la région, puis dans des écoles professionnelles supérieures où l’instruction religieuse tenait une place très importante, c’était, pour la plupart, des catholiques fervents, très attachés à l’Église et au pouvoir temporel du pape. Il y eut cependant bien des nuances au sein de ce patronat : les lettres d’Alfred Motte témoignent en effet d’un catholicisme sincère, vécu au quotidien, éloigné de toute préoccupation dogmatique et étranger à la crispation contre-révolutionnaire et ultramontaine qui a gagné bon nombre de patrons du Nord. Cependant, la vie religieuse des Motte est assez représentative de ce milieu. Très sensible à la dimension religieuse de l’éducation donnée à ses fils, Alfred Motte n’a cessé de leur rappeler que le but des études qu’il leur faisait suivre était de faire d’eux « de bons citoyens, de bons maîtres, de bons chrétiens » et qu’ils avaient le devoir de dire quotidiennement leurs prières « avec dévotion »99. Alfred Motte fit en famille deux pèlerinages à Rome où il fut reçu par le pape et fut un temps marguillier de l’église Ste Elisabeth100. Tous les membres de la famille ont participé à toute sorte d’œuvres religieuses et charitables. Mais c’est peut-être Joseph, un des quatre fils d’Eugène Motte, qui fit preuve de l’engagement religieux le plus profond : il soutenait avec une générosité sans limite la presse catholique, était un propagandiste inlassable du culte marial et trois de ses enfants ont pris les ordres101. Du reste, une statistique révèle la profondeur de l’attachement des Motte à l’Église : sur les 492 enfants des quatre premières générations, 39, soit 8 % sont entrés en religion102. Par ailleurs, les plus militants des patrons du textile se retrouvaient à Notre-Dame du Hautmont pour faire des retraites et entendre les Conférences d’études sociales. Surtout, ils participaient à l’Association Catholique des Patrons du Nord créée en 1884 qui, sous l’influence de Léon Harmel et de son mouvement de « l’usine chrétienne », mit sur pied un syndicat mixte (1890), multiplia les œuvres d’assistance et entreprit de rechristianiser les usines. Parmi les manufacturiers, les éléments les plus actifs sur le plan social tiraient leur force d’une vision du monde qui ne séparait pas attachement à la religion, refus du monde moderne et rejet de la démocratie. Ce catholicisme de combat s’exprima d’ailleurs avec force lorsque, en 1891, le monde patronal presque unanime prit position contre l’encyclique Rerum Novarum où Léon XIII défendait la notion de juste salaire et admettait l’existence de syndicats ouvriers séparés103.

    70Dans sa majorité, et l’attachement à un catholicisme autoritaire, conservateur et ultramontain n’y est pas pour rien, le patronat du Nord était de sensibilité monarchiste, voire légitimiste. Malgré la question romaine qui provoqua bien des tiraillements, le ralliement à l’Empire fut massif. En fait, qu’ils fussent orléanistes, légitimistes ou bonapartistes, ils étaient avant tout conservateurs, et la consolidation de la Troisième République comme les progrès du mouvement ouvrier ont radicalisé chez la plupart des patrons l’hostilité au nouveau régime, si bien qu’après 1871 ils continuèrent d’apporter leurs suffrages aux candidats impérialistes qui paraissaient être les meilleurs défenseurs de l’ordre. Dans ce milieu profondément réactionnaire, les républicains ne furent qu’une minorité insignifiante bien représentée par Alfred Motte, très tôt rallié à une République modérée capable d’assurer « le calme, l’obéissance aux lois, le travail, le respect de la liberté religieuse »104. Sa correspondance montre les déchirements de ce patron écartelé entre ses opinions et son milieu, si totalement hostile : en 1877, c’est toute sa famille qui, alors qu’il est opposé à un candidat bonapartiste, se mobilise pour faire échouer son élection ! Certes, les consignes de ralliement de Léon XIII donnèrent le branle de l’évolution mais celle-ci fut lente et bien loin d’être générale, si bien que dans une France en pleine mutation le patronat textile apparaissait bien isolé dans ses refus d’un autre âge.

    71Cette idéologie a été pour le patronat de Roubaix-Tourcoing un incontestable ciment d’unité mais, plus encore, dans une France républicaine et laïque, le fondement d’un véritable particularisme qu’il a tout fait pour préserver. Cette situation a fait naître un « comportement de minorité » et, dans ce contexte, les affaires ont été vécues par les patrons comme un puissant moyen « d’auto-affirmation »105. Du reste, ce sentiment a très certainement été renforcé par le combat mené par Roubaix depuis le milieu du xve siècle pour s’affranchir de la domination de Lille, la capitale provinciale, qui en multipliant règlements et prohibitions, s’efforçait de se réserver la partie la plus lucrative du travail textile106. Gaston Motte n’a-t-il pas vu dans le « complexe d’infériorité » des Roubaisiens et des Tourquennois vis-à-vis de Lille la source de leur dynamisme107 ?

    2. L’élaboration progressive d’une formation patronale spécifique

    72Le patronat textile du Nord a progressivement pris conscience dans les années 1870 des limites de la formation que recevaient ses fils, laquelle associait humanités et apprentissage sur le tas qui prévalait alors. C’est dans un climat d’expérimentation et d’émulation entre villes voisines qu’ont été créées plusieurs écoles dont l’objectif était d’assurer aux futurs patrons une formation professionnelle complète et de haut niveau. Né le dernier, l’Institut Technique de Roubaix semble avoir été l’institution de formation qui a le mieux répondu aux attentes des industriels de la laine.

    Le modèle initial : humanités et apprentissage sur le tas

    73Jusqu’au dernier tiers du siècle où le patronat local a créé pour ses fils des écoles supérieures, la formation des futurs patrons a reposé entièrement sur deux piliers : les études secondaires dans des collèges religieux de la région où les enfants de patrons faisaient leurs humanités et préparaient le baccalauréat et l’apprentissage du métier sur le tas dans l’entreprise familiale. En effet, si nombre de patrons de la première génération ont dû quitter l’école assez tôt pour travailler dans l’entreprise paternelle, en revanche, à partir du Second Empire, les familles ont eu le souci de donner à leurs fils une solide formation générale. Aussi n’étaient-ils pas de purs techniciens, un peu frustes et sans curiosité pour les choses de l’esprit.

    74En l’absence de collège jésuite dans l’arrondissement de Lille, les familles du patronat textile n’ont d’abord eu d’autre ressource que de mettre leurs enfants dans les pensionnats religieux réputés de la région de Saint Omer. Cependant, au milieu du siècle, l’offre d’enseignement s’élargit avec la création des collèges St Bertin à Marcq-en-Baroeul en 1840, St Joseph à Lille en 1851 et Notre-Dame-des-Victoires à Roubaix en 1858, alors que, redevenu religieux en 1838, l’Institut du Sacré-Cœur prenait son essor à Tourcoing108. Ce n’est d’ailleurs qu’après 1870 que Notre-Dame-des-Victoires et le Sacré-Cœur ont attiré plus spécialement les fils du patronat roubaisien et tourquennois. Cette vocation de plus en plus affirmée de collèges pour fils de patrons tient sans doute au rôle croissant que le patronat local jouait dans leur fonctionnement. Dans les deux cas, en effet, les conflits avec les municipalités qui menaçaient de les laïciser ont amené les patrons catholiques à former une société civile – en 1882 à Tourcoing, en 1892 à Roubaix – pour prendre en charge la gestion de l’établissement. Leurs membres fondateurs se recrutaient dans l’élite du patronat textile local. Dès lors, les fils d’industriels ont fait leurs études dans des écoles fondées par la bourgeoisie industrielle elle-même et où l’enseignement, assuré par des prêtres, avait pour objectif de leur fournir non seulement « une instruction solide » mais aussi « une éducation morale et religieuse conforme à (ses) croyances »109.

    75Alfred Motte résume assez bien l’orientation que la majorité des patrons de Roubaix-Tourcoing entendait donner aux études de leurs fils dans une lettre d’août 1875 à son ami Gillet : son but en poussant ses fils à faire leurs humanités était de « leur permettre de goûter les plaisirs de l’intelligence et les mettre en garde contre les fausses doctrines soit en philosophie, soit en littérature, soit en histoire »110. Tous étaient favorables à l’obtention du baccalauréat parce qu’il sanctionnait l’acquisition d’une culture classique et d’un jugement sûr.

    76Deux disciplines occupaient dans cet enseignement une place toute particulière qui exprime bien la spécificité des choix du patronat textile de Roubaix-Tourcoing. D’abord, bien sûr, l’instruction religieuse qui, dans toutes les filières, constituait « la base de l’enseignement » et qui, à travers les cours d’apologétique chrétienne, les offices, les exercices de piété et la participation aux conférences de St Vincent de Paul, visait à inculquer aux futurs patrons le respect des valeurs familiales et chrétiennes, une vision hiérarchique de la société et le sens de leur devoir social111.

    77D’autre part, les collèges religieux de Roubaix et de Tourcoing ont fait, semble-t-il, une large place à l’enseignement des langues étrangères car ils avaient conscience que leur maîtrise était une arme pour l’industrie textile locale112. C’est ainsi que, en 1871, un rapport sur la situation du collège Notre-Dame-des-Victoires souligne :

    « Nos diverses industries sont appelées chaque jour, par la nécessité de leurs affaires, sinon à voyager dans les diverses contrées de monde, du moins à correspondre avec les négociants de tous les pays. L’ignorance de la langue qu’il importerait de savoir nous condamnera toujours à une infériorité marquée, tandis que la supériorité des hommes qui ont appris les langues vivantes se manifestera dans toutes les circonstances de la vie »113.

    78En 1904, un professeur de langues du Sacré-Cœur donne à cet enseignement une finalité plus pratique encore :

    « Pour le commerçant ou pour l’industriel il y a tout avantage de connaître la langue de leurs correspondants. Ce sera pour eux la possibilité de gérer leurs affaires par eux-mêmes, sans perdre de temps, sans l’intermédiaire maladroit et indiscret, ce sera la faculté d’aller étudier chez nos rivaux leurs procédés de fabrication pour perfectionner les nôtres »114.

    79Du reste, convaincues de l’importance de l’apprentissage de l’anglais, les familles ont systématiquement envoyé leurs enfants en Angleterre pour des séjours plus ou moins longs. Certains y ont fait une partie de leurs études. C’est le cas notamment de Jean Prouvost (né en 1885) ou des fils Leclercq, Louis (1886) et Marcel (1887) qui suivirent les cours du Beaumont College à Old-Windsor, quand François Flipo (1869) passait trois ans chez les jésuites à Canterbury. D’autres y ont séjourné dans une famille pendant les vacances d’été. Enfin, Albert Prouvost (1855) ou les trois fils de Louis Motte-Bossut, Léon (1842), Georges (1846) et Édouard (1857), y ont, par exemple, préparé leur entrée dans la vie professionnelle par des stages en usine qui leur ont permis de se familiariser tout à la fois avec la langue et les techniques du pays d’accueil115.

    80À la sortie du collège, les fils de patrons faisaient leur apprentissage sur le tas. Alfred Motte justifiait auprès de ses fils cette tradition en leur expliquant « qu’il y aurait pour eux trop grand danger à trop s’adonner aux plaisirs de l’esprit, parce que nos corps réclament la connaissance et la pratique assidue d’une profession quelle qu’elle soit »116. Cet apprentissage permettait au futur patron de bien connaître la matière première (l’apprentissage commençait généralement par un stage au triage des laines), les machines (les patrons du Nord aimaient à les régler eux-mêmes et même à les transformer pour mieux les adapter à leurs besoins) et les gestes du travail (l’idéal étant que le futur patron pût remplacer au pied levé n’importe quel ouvrier). Comme il passait par tous les ateliers et tous les services, ce stage pratique lui donnait également une vue d’ensemble et intime de l’organisation et du fonctionnement de l’usine.

    81Albert Prouvost qui fit son apprentissage à l’usine en 1930, fait bien ressortir l’intérêt de cette formation pratique :

    « L’époque où le patron surveillait l’entrée du personnel est révolue. Il n’a plus guère non plus le temps ni l’occasion de régler lui-même ses machines. Il n’en reste pas moins qu’un jugement sain sur les propositions novatrices qu’on lui soumet, vient d’une connaissance profonde d’un métier plus complexe qu’on ne le croit de l’extérieur. Avoir partagé un temps la vie ouvrière permet une écoute constructive sur le plan technique et sur le plan social »117.

    82Une fois ce stage achevé, le futur patron s’initiait aux secrets de la direction de l’usine auprès d’un directeur ou de son père. D’Emile Hus, directeur du peignage de Cartigny, Jean Prouvost, qui a fondé la Lainière de Roubaix en 1910, disait avec reconnaissance : « il m’a appris ce que je sais, il me suivit pour créer la Lainière et ne me quitta que pour mourir »118.

    Remises en cause et évolutions

    83Cependant, après 1870, les critiques contre le type d’enseignement reçu par les futurs patrons se multiplient. Les plus acérées viennent de Louis Cordonnier, fabricant à Roubaix, qui, en 1885, dénonce dans un rapport municipal consacré à l’enseignement de Notre-Dame-des-Victoires l’inadaptation des humanités à la préparation des futurs chefs d’entreprise : selon lui, les élèves reçoivent une éducation de luxe qui orne leur esprit plus qu’elle ne les prépare à affronter les difficultés et, en conséquence, il recommande de développer l’enseignement des langues et des sciences et d’étudier les applications de celles-ci à l’industrie. Allant plus loin, Cordonnier se faisait le défenseur de l’enseignement secondaire spécial, créé en 1865, qui, débarrassé de l’enseignement des langues mortes, avait pour mission de préparer aux carrières industrielles, mais qui connut des bonheurs divers jusqu’à sa suppression en 1902119.

    84La remise en cause est radicale mais elle rencontre les préoccupations de beaucoup de patrons. D’un côté, des aménagements ont été apportés aux programmes de Notre-Dame-des-Victoires où, vers 1900, en classe de philosophie, les élèves avaient la possibilité de suivre des cours de dessin, de comptabilité et de droit commercial ainsi que de langues120. D’autre part, nombre de patrons ont orienté leurs enfants vers l’enseignement secondaire spécial. Même si, au départ, elle semble avoir eu du mal à trouver son public, cette filière a accueilli à Notre-Dame-des-Victoires un nombre croissant d’élèves puisque la part de ceux qui y étaient inscrits est passée de 18 % de l’effectif total de l’école en 1871 à 29 % en 1890. Cependant, les critiques adressées à cet enseignement n’ont pas manqué : parmi les patrons roubaisiens, on lui reprochait des programmes trop lourds et trop théoriques, finalement mal adaptés aux besoins locaux. Au contraire, il semble qu’il ait connu un succès plus large à Tourcoing. Au Sacré-Cœur, la classe était presque entièrement composée de fils d’industriels parmi lesquels on trouve les noms de quelques grandes familles (Flipo, Destombes, Pollet, Tiberghien)121. C’est que les industriels y voyaient « quelque chose de très moderne et de vraiment pratique »122. Réorganisé en 1909 sous le nom de cours professionnels, cet enseignement qui durait deux ans et ne préparait pas au baccalauréat, faisait en effet une large place à la géographie commerciale, la chimie organique, la comptabilité, le droit, l’anglais, la mécanique et la technologie textile123.

    L’ENAI : une formation technique sous l’égide de l’État

    85Les industriels de Roubaix-Tourcoing ont, très tôt, souhaité la création d’écoles où les patrons pourraient apprendre leur métier. La municipalité a d’ailleurs créé successivement plusieurs écoles techniques – dessin en 1841, tissage en 1857, teinture en 1876 – dont les fils de patrons pouvaient suivre les cours mais leur projet était, en réalité, beaucoup plus ambitieux : en 1870, Émile Moreau proposait la création à Roubaix-Tourcoing d’une « école d’arts industriels appliqués spécialement aux textiles » qu’il jugeait « indispensable »124. Mais rien ne fut fait, si bien qu’il fallut attendre les années 1880 pour que les fils de patrons disposent enfin de deux écoles techniques dignes de ce nom, l’École Nationale des Arts Industriels (ENAI) fondée à Roubaix en 1881 et l’École Industrielle (EIT) créée à Tourcoing en 1889, sans toutefois que leurs programmes répondissent pleinement aux vœux du monde patronal.

    86Créée par l’État, l’ENAI avait absorbé les différentes écoles textiles fondées par la municipalité. Un conseil de perfectionnement où siégeaient des industriels avait pour tâche d’assurer une adaptation continue aux besoins de l’industrie locale mais ses compétences en matière de programme et d’organisation des cours étaient limitées. Très spécialisé, l’enseignement y était divisé en trois sections : filature, tissage et teinture. Inspiré du modèle des Écoles d’Arts et Métiers, l’enseignement faisait peu de place à la théorie et accordait au contraire une place importante au travail en atelier afin que les élèves suivent le processus complet de fabrication. C’est sans doute ce qui explique pourquoi cette école que l’on a qualifiée, non sans grandiloquence, de « petite université artistique et industrielle » ou de « grande université d’art industriel du Nord », n’a eu qu’un recrutement patronal très limité. Elle a formé davantage des techniciens et des chefs d’ateliers que des futurs patrons. Il y a cependant quelques exceptions. La plus marquante est celle des trois fils d’Alfred Motte qui y suivirent les cours de teinture pour y acquérir « les connaissances théoriques et la démonstration expérimentale des principes de la teinture » avant de faire leur apprentissage dans l’usine paternelle. Du reste, l’un d’eux, Eugène, fut toujours un ardent défenseur de l’ENAI dont, encore après la guerre, il voulait faire « l’école normale » du textile. Ce qu’elle ne fut jamais125.

    L’EIT : une création des patrons tourquennois

    87A l’opposé de l’ENAI qui avait été fondée par l’État, l’École Industrielle de Tourcoing était une création patronale, puisque c’est un syndicat d’industriels de la ville qui fut à l’origine du projet et en assura le financement. Son enseignement qui s’inspirait fortement des écoles professionnelles avait un but strictement utilitaire : « donner satisfaction aux exigences de l’industrie textile locale de la filature et du tissage ». A l’origine, l’école comptait trois sections – filature de coton, peignage et filature de la laine, tissage – mais, afin de répondre aux besoins de l’industrie locale, deux autres furent ouvertes : mécanique et électricité en 1893, et commerce en 1897. Créée pour former des chefs d’ateliers et des contremaîtres parmi les enfants d’ouvriers, l’école mettait l’accent sur le travail en atelier et le niveau des études y était relativement faible. Toutefois, alors même qu’elle n’avait pas été conçue pour eux, l’EIT a accueilli des fils de patrons car il existait alors des besoins de formation non satisfaits126. D’où le succès des cours du jour qui s’adressaient à des jeunes gens ayant fait des études scientifiques classiques. Mais l’enseignement qu’ils y recevaient était court – généralement une seule année – et spécialisé – ils pouvaient ne suivre que les cours d’une seule section. D’ailleurs, en 1904, le Journal de Roubaix regrettait l’étroitesse de l’enseignement qu’ils y recevaient. C’est sans doute ce qui explique que l’EIT qui avait compté parmi ses élèves nombre de jeunes gens appartenant à des familles de grands industriels (Flipo, Lorthiois, Masurel, Mulliez, Pollet, Tiberghien), ait vu à la longue le recrutement patronal se tarir : alors que les élèves du cours du jour (qui comprenait en majeure partie des fils de patrons) représentaient 16,8 % des effectifs de l’École en 1889, leur part était tombée à 4,9 % en 1909127. Du reste, le déclin du recrutement patronal a très certainement été accéléré par la création d’établissements mieux adaptés : les Hautes Études Industrielle (HEI) à Lille et l’Institut Technique Roubaisien (ITR).

    HEI : une école industrielle catholique de haut niveau

    88C’est en 1873 que les comités catholiques du Nord et du Pas-de-Calais réunis en congrès ont formulé pour la première fois le projet de fonder une école d’arts et métiers à caractère catholique où seraient formés des patrons chrétiens qui auraient à la fois un bon niveau technique et de solides qualités morales128. Retardée par la mise en place de l’université catholique de Lille, la réalisation du projet fut relancée par Léon Harmel qui demanda en 1884 « la formation immédiate d’une école de hautes études industrielles et commerciales ». Créée en 1885 sous le nom de Hautes Études Industrielles (HEI), l’école de Lille était organisée sur le modèle de l’École d’Arts et Métiers de Châlons. Son enseignement était général et embrassait toutes les branches de l’industrie régionale. Il visait à donner une éducation générale technique et la théorie n’était pas sacrifiée au profit des travaux pratiques qui ne représentaient qu’un cinquième de l’horaire des cours.

    89Par ailleurs, l’enseignement d’HEI était doublement original. D’une part, il faisait une place importante (le quart de l’horaire d’enseignement) au droit, au commerce, à la comptabilité et aux langues (anglais et allemand étaient obligatoires), toutes disciplines qui avaient pour objectif de mieux préparer les élèves à leur métier de patron. D’autre part, l’enseignement avait un caractère religieux très marqué puisque son objectif était, selon un prospectus datant de 1907, de « satisfaire aux besoins du patronat industriel sur les bases du devoir chrétien ». C’est dans cette perspective que les élèves recevaient des cours d’apologétique et de morale chrétiennes, de sociologie et d’économie politique et participaient à l’action caritative de l’Association Catholique des Patrons du Nord. Il fallait le baccalauréat es sciences pour y entrer et les études duraient deux ans. Selon le vœu de ses promoteurs, le niveau de l’enseignement était élevé car il s’agissait de former une élite de patrons chrétiens129.

    90De 1885 à 1895, les élèves venant de Roubaix et de Tourcoing ont constitué une part importante des effectifs de l’École : 18,6 % entre 1885 et 1889 et 22,7 % pour les années 1890-1894, période où ils furent même plus nombreux que les Lillois. Mais, à partir de 1895, le nombre de Roubaisiens et de Tourquennois s’effondre130. La création de l’Institut Technique Roubaisien en 1895 est bien sûr la cause principale de cette évolution. Toutefois, on peut penser que le changement d’orientation de HEI qui, à partir de 1900, privilégie la formation des ingénieurs – les études y durent désormais trois ans – et se transforme progressivement en polytechnicum par la création de sections de commerce, d’électricité et de chimie, n’y est pas non plus étrangère.

    L’ITR : l’école technique la mieux adaptée à la formation des patrons

    91C’est parce qu’il était insatisfait de l’enseignement dispensé par l’ENAI et l’EIT – trop pratique et trop spécialisé – d’un côté, et de HEI – trop difficile et trop général – de l’autre, que le patronat roubaisien a pris sur lui de créer une école industrielle qui répondît mieux aux besoins de l’industrie textile locale. Son fondateur et directeur, l’abbé Vassart en a parfaitement résumé le programme en 1907 : « L’ITR a pour but principal de former pour la direction des usines dans les différentes branches de l’industrie textile, non seulement des hommes compétents dans leur spécialité, mais aussi des hommes de devoir, de justice, de travail et de progrès »131.

    92L’ITR se situait en quelque sorte à mi-chemin entre l’EIT où l’enseignement très spécialisé ne durait qu’un an, et HEI où, plus général, il demandait trois ans d’études. En deux ans, l’ITR cherchait à donner une formation technique de bon niveau et adaptée aux besoins de l’industrie textile. Cependant, l’Institut se distinguait des autres écoles textiles par sa spécialisation : au lieu d’étudier l’ensemble des opérations de la transformation de la laine en tissu, les élèves se spécialisaient dans une des trois sections qui existaient initialement : filature, tissage, teinture-apprêts-chimie industrielle. De plus, si l’enseignement associait étroitement théorie et pratique, il mettait cependant l’accent sur la pratique de l’atelier dans une école organisée comme une usine. Par ailleurs, et sur le modèle de HEI, les élèves recevaient un enseignement général – instruction religieuse, économie sociale, comptabilité et droit commercial – qui complétait la formation technique et les préparait à leur métier de patrons. En 1906, fut créée une section commerciale ouverte aux élèves ayant déjà suivi deux années d’études et dont l’enseignement comprenait les matières suivantes : langues étrangères, commerce et comptabilité, droit usuel, géographie commerciale et industrielle. L’abbé Vassart justifia cette initiative par les conditions nouvelles de la concurrence internationale132.

    93L’ITR fut plébiscité par les patrons, mais la plupart des élèves venait de Roubaix puisque les Tourquennois, dans leur majorité, continuaient de suivre les cours de l’EIT. En tout cas, la liste des élèves de l’ITR montre que, après 1895, les grandes familles roubaisiennes y ont systématiquement envoyé leurs enfants133.

    94Les raisons du succès de l’ITR sont sans mystère : l’enseignement de cet établissement dont le patronat local (ou du moins le syndicat mixte) avait voulu la création et élaboré les programmes, répondait bien à ses vœux. D’une part, il s’agissait d’une école au caractère confessionnel affirmé : sa mission était de former des patrons chrétiens dirigeant des usines chrétiennes. En inculquant aux élèves une commune vision du monde et, notamment, une haute idée des devoirs du patron chrétien, l’instruction religieuse contribuait à unifier idéologiquement le milieu industriel local. D’autre part, organisée sur le modèle des Écoles d’Arts et Métiers, l’ITR ne se préoccupait guère de spéculation intellectuelle et, en privilégiant l’enseignement des notions techniques élémentaires et des applications de la science à l’industrie, il cherchait à former de bons techniciens plus que des ingénieurs : la direction d’une usine textile n’exigeait pas alors la mobilisation d’un savoir scientifique important. Enfin, et cette fois en s’inspirant de HEI, en complétant l’enseignement technique par tout un ensemble de disciplines qui sont enseignées aujourd’hui dans les écoles de commerce et de gestion, l’ITR voulait donner aux futurs patrons les compétences nécessaires pour diriger de grandes entreprises dont l’administration était de plus en plus complexe (comptabilité, droit, économie politique) et pour affronter la concurrence internationale (langues, géographie commerciale).

    95En somme, le patronat roubaisien a d’abord largement utilisé (faute de mieux ?) pour former ses fils à leur métier de patrons les écoles créées par les patrons lillois et tourquennois. Ce n’est que tardivement, dans les années 1890, que, après avoir tiré les leçons de ces réalisations et dans une atmosphère d’opposition à l’État laïque (une École d’Arts et Métiers a été ouverte à Lille en 1900 mais le projet en était ancien) et d’émulation avec les villes textiles voisines, qu’il a finalement réussi à créer une école qui répondait bien aux besoins de formation tels qu’il les percevait.

    III. Le marché du travail : abondance, dualisme et flexibilité

    96La situation existant sur le marché du travail à Roubaix-Tourcoing était tout à fait unique dans l’industrie lainière française. Elle devait sa spécificité à l’abondance des réserves de main-d’œuvre qui était imputable à l’ampleur, tout au long du siècle, de l’immigration belge. Cependant, et même si les contemporains n’en ont eu que faiblement conscience, l’afflux d’ouvriers belges n’a pas seulement procuré aux entreprises la main-d’œuvre toujours plus nombreuse dont elles avaient besoin. La présence d’une forte colonie belge est également à l’origine de la structure dualiste du marché du travail qui, en opposant travailleurs belges et français, a créé la possibilité pour le patronat de mettre en œuvre une politique de gestion de la main-d’œuvre caractérisée tout à la fois par la compression des coûts salariaux et la recherche de la flexibilité.

    Des réserves de main-d’œuvre illimitées

    97Jusqu’à la fin du siècle, la poussée démographique a été continue, quoiqu’un peu moins soutenue et surtout plus heurtée après le milieu du siècle : 8 300 habitants en 1800, 34 656 en 1851, 75 987 en 1872 et, enfin, 124 661 en 1896. En moins d’un siècle, la population roubaisienne s’est accrue de 1 380 % ! Cet accroissement énorme, à l’américaine, le plus élevé de France, s’explique évidemment par un taux de fécondité qui, tout au long de la période, a été beaucoup plus haut à Roubaix qu’au niveau national : à son maximum, en 1866, il était de 45,9‰ contre 26,4‰ pour la France entière et, s’il a baissé par la suite, n’est jamais descendu en dessous de 30‰. Malgré une mortalité très élevée, l’excédent naturel a toujours été beaucoup plus important qu’au niveau national (17,2‰ en 1861 contre 3,7‰).

    Dynamisme démographique et immigration

    98Néanmoins, l’accroissement naturel ne suffit pas à expliquer l’impétueuse croissance de la population. En effet, pendant la plus grande partie du siècle, l’excédent migratoire l’a emporté sur l’excédent naturel. Le phénomène s’est d’ailleurs accentué après 1860, si bien que l’immigration a représenté un peu plus de la moitié de l’accroissement total de la population (52,7 % entre 1814 et 1891). Toutefois, tous les migrants n’étaient pas des étrangers. Jusqu’au milieu du siècle, prés de la moitié était de nationalité française et venait des campagnes alentour. Quant aux étrangers, pour l’essentiel, c’était des Belges dont l’afflux, favorisé par la proximité de la frontière, a été provoqué par les crises successives du textile, d’abord de l’industrie cotonnière gantoise puis, après 1840, du travail à domicile dans les campagnes flamandes. L’immigration belge, d’ailleurs renforcée par une très forte fécondité, fut si considérable que, pendant longtemps, Roubaix fut davantage une ville belge que française : en effet, en 1881, à son maximum, la colonie belge formait 54,4 % de la population et, en 1906 encore, sa part dans la population s’élevait à 30,8 %. À Tourcoing, en revanche, l’immigration belge ne prit jamais une si grande importance – en 1896, la ville ne comptait que 36 % de Belges – parce que les immigrants ont pu y adopter la formule plus commode de la résidence temporaire et conserver leur domicile dans leur pays.

    99A partir des années 1890, la colonie belge a vu ses effectifs diminuer pour trois raisons principales : d’une part, la naturalisation d’un nombre croissant de Belges ayant leur résidence habituelle dans le Nord ; d’autre part, le départ de jeunes Belges pour qui l’acquisition de la nationalité française aurait entraîné l’obligation de faire le service militaire alors qu’il n’y avait pas de conscription dans leur pays d’origine ; enfin, le développement des moyens de transport (tramway, chemin de fer de banlieue, bicyclette) ainsi que les différences de coût de la vie (moins cher en Belgique) et de change (favorable au franc français) ont favorisé la métamorphose des immigrants en frontaliers. Si bien que si les ouvriers belges ont continué de venir travailler à Roubaix, ils ne s’y fixaient plus134.

    100Après avoir plafonné de 1896 à 1901, la population de Roubaix a commencé à diminuer sous l’effet de la réduction conjointe de la fécondité et de l’excédent migratoire. Elle n’était plus que de 121 115 habitants en 1906. Quant à Tourcoing (73 353 habitants en 1896), si la croissance de la population y a été moins vive qu’à Roubaix (+ 577,3 %), elle s’y est en revanche poursuivie jusqu’en 1911 (82 644 habitants, + 12,7 %), ce qui autorise à faire l’hypothèse d’un rééquilibrage de la population entre les deux villes sœurs.

    101La croissance de Roubaix-Tourcoing est d’autant plus remarquable qu’elle s’inscrit dans le processus de cristallisation d’une vaste agglomération, les communes limitrophes de Roubaix devenant de véritables villes-satellites (29 000 habitants à Wattrelos en 1911, 17 600 à Croix et 7 000 à Wasquehal), alors que l’aire d’attraction de Tourcoing (Neuville-en-Ferrain, Halluin, Bousbecque, Linselles, Roncq, Mouveaux et Marcq-en-Baroeul) passait de 10 360 habitants en 1856 à 27 500 en 1906 (+ 165,4 %). Au total, c’est une véritable nébuleuse urbaine de près de 300 000 habitants qui s’est formée autour de Roubaix-Tourcoing135.

    Croissance démographique et industrialisation

    102Que la croissance de l’industrie lainière et celle de la population de l’agglomération, toutes deux spectaculaires, aient été parallèles, suggère que l’abondance des réserves de main-d’œuvre a joué un rôle important dans l’essor de Roubaix. Les relations entre croissance démographique et industrialisation sont très complexes et ont suscité bien des discussions136. Pour David Landes, bien qu’elle ait fourni une force de travail accrue, l’augmentation de la population a été davantage « une réponse à la croissance qu’un préalable de celle-ci »137. Ce qui signifie que les immigrants ont été attirés par les emplois créés par la mécanisation de la production qui, plus que l’abondance du facteur travail, est la vraie cause de la croissance. Sans doute l’abondance de main-d’œuvre n’est-elle pas à l’origine de l’essor de l’industrie lainière mais au moins peut-on penser qu’elle l’a soutenu, voire stimulé. D’une part, en grossissant sans cesse la force de travail disponible, la croissance démographique a représenté une puissante incitation à investir, à innover, à multiplier et à agrandir les usines afin de donner du travail à tous ces bras innombrables. D’autre part, ces réserves presque illimitées de travailleurs ont exercé une influence décisive sur les salaires dont elle a provoqué de longues périodes de stagnation.

    103La liaison entre la pression constante de l’immigration et le niveau des salaires avait été reconnue par Frédéric Le Play dès 1858 :

    « Le voisinage de la Belgique est, pour la population ouvrière du Nord, une cause permanente de malaise. Des légions de pauvres éhontés, affamés, dangereux, parcourent incessamment les Flandres, comme autrefois les bandes de bohémiens parcouraient l’Europe. Parmi ces mendiants il s’en trouve de valides et de bonne volonté ; ils passent la frontière et viennent demander aux fabriques de Tourcoing, de Roubaix et de Lille, du travail à tout prix, du travail pour avoir du pain. (…) Ce flot d’humains qui marchent sans cesse de l’est vers l’ouest, est composé de gens peu exigeants sur les conditions de travail ; ils ne demandent qu’une chose, pouvoir subvenir à leurs premiers besoins. De là, une tendance des salaires, sinon à diminuer, du moins à ne pas s’élever au niveau du prix actuel de toutes les choses nécessaires à la vie. Mais, comme presque partout, c’est particulièrement le salaire des femmes qui présente sous ce rapport les faits les plus désolants »138.

    104L’évolution des salaires telle que permettent de la reconstituer les matériaux disponibles confirme cette analyse. Deux épisodes méritent une particulière attention. Considérons d’abord la période du Second Empire. D’après les indications fournies par Béchaux, les salaires dans le peignage roubaisien ont stagné entre 1853 et 1870139. De leur côté, les rapports de la municipalité de Roubaix font ressortir pour toutes les professions textiles (fileur, tisseur à la main et à la mécanique, rattacheur, soigneuse) une grande stabilité des salaires entre 1863 et 1870140. De plus, les données rassemblées par Louis Reybaud sur les salaires dans plusieurs villes lainières (Roubaix, Reims, Sedan, Elbeuf, Le Cateau) en 1863 montrent que les salaires roubaisiens étaient généralement inférieurs à ceux des villes concurrentes, aussi bien pour les fileurs que pour les tisseurs141.

    105Quant à la période qui va de 1890 à 1914, elle est marquée par « une quasi-stagnation sinon une baisse »142 (Tableau 16). Cette évolution n’avait d’ailleurs pas échappé aux syndicats ouvriers qui dénonçaient, cependant avec beaucoup d’exagération, une baisse de 50 % des salaires qui seraient tombés de 28/30F par semaine en 1885 à 15/16f en 1904143 ! Attribuant ce retournement de la conjoncture salariale qui se produit entre 1882 et 1900 à « la rupture de la croissance » qu’ils ont décelée pour l’industrie lainière du Nord au début des années 1890, Janine Levain, Jacques Rougerie et André Straus ont émis l’hypothèse que, face aux difficultés, les industriels ont tenté de défendre « (leurs) positions en abaissant leurs coûts salariaux plus qu’en modernisant (leur) appareil de production »144. Si ce point n’est pas contestable, en revanche le lien établi entre conjoncture économique et évolution salariale est trop mécaniste pour être convaincant. En effet, ne constate-t-on pas que, loin de baisser, les salaires progressent dans des villes lainières, Sedan et Elbeuf notamment, où l’activité économique se ralentit pourtant beaucoup plus fortement qu’à Roubaix ?

    Tableau 16. Évolution des salaires masculins à Roubaix (en Francs), 1882-1913

    1882

    1900

    1905

    1913

    Filature de laine

    5

    4,50

    4,60

    4,50

    Tissage de laine

    4

    4,25

    4,25

    4

    Source : A. Hennebicque, « A propos de la conjoncture économique… », p. 85.

    106La politique de compression des coûts salariaux menée par les patrons roubaisiens n’a pu aboutir que parce qu’elle a rencontré des conditions favorables qu’on ne retrouve pas ailleurs. Ils disposaient en effet d’une main-d’œuvre abondante en raison du dynamisme démographique de la population de la région et surtout de l’inépuisable réservoir de l’immigration belge. Cette situation a affaibli considérablement la capacité de résistance des travailleurs qui ont certes multiplié les grèves – à Tourcoing, le juge de paix estimait en 1904 qu’il y avait eu plus de 400 grèves en vingt ans, dont deux générales – mais leur action a été bien rarement couronnée de succès145. Au demeurant, l’échec des grèves de 1903 et 1904 s’explique essentiellement par le rôle de briseurs de grève joué par les frontaliers belges146.

    107Cette évolution originale des salaires a eu, pour l’industrie roubaisienne, deux conséquences non négligeables : d’une part, au moins sous le Second Empire, elle a contribué à gonfler les profits et a facilité ainsi l’investissement ; d’autre part, et notamment après 1890, elle a donné aux entreprises un avantage concurrentiel dont elles avaient bien besoin en réduisant leurs prix de revient.

    2. Un marché du travail dualiste

    108Le recours massif aux ouvriers belges n’a pas été limité à une phase particulière du développement de l’industrie lainière mais, au contraire, après 1840, a constitué un trait structurel du marché du travail de Roubaix-Tourcoing. En effet, sans l’apport de la Belgique, l’industrie lainière aurait souffert de pénurie de main-d’œuvre147. C’est pourquoi les porte-parole du patronat n’ont cessé de souligner avec force le rôle « indispensable » de l’immigration belge148. De son côté, observateur attentif, Ardouin-Dumazet voyait dans « l’inépuisable réservoir d’hommes » que la Belgique représentait pour l’industrie textile un facteur essentiel de son succès : sans les ouvriers belges, elle n’aurait pu se développer aussi vite149. Néanmoins, le problème n’était pas seulement quantitatif. La présence massive et permanente d’ouvriers belges a en effet imprimé au marché du travail des villes manufacturières du Nord une structure dualiste qui opposait ouvriers français et étrangers.

    La colonie belge : une communauté spécifique

    109Un certain nombre de caractères distinguaient profondément les ouvriers belges du reste de la population. D’abord, bien sûr, sur le plan démographique. La colonie belge comptait davantage d’hommes que de femmes (le ratio était de 112,1 en 1872 contre 98,8 pour la population autochtone) et moins d’enfants (28,8 % au lieu de 41,3 %) ; elle était plus jeune (42,2 % des immigrants avaient entre 20 et 39 ans contre 33,8 pour les Français) ; elle avait un taux de fécondité plus élevée ; et elle fournissait davantage de travailleurs à l’industrie (en 1872, 58,9 % des actifs belges avaient un emploi dans l’industrie au lieu de 57,8 %)150.

    110Par ailleurs, leur statut d’étrangers rendait les immigrants belges particulièrement vulnérables : ils devaient obtenir un permis de séjour, se faire enregistrer et, jusqu’en 1889, ne pouvaient aisément acquérir la nationalité française. Surtout, ils étaient constamment soumis à la menace d’expulsion, ce qui, pour eux, signifiait perte de l’emploi, séparation de la famille et sérieuses difficultés financières. La menace n’était pas, il faut le souligner, purement théorique : c’est ainsi qu’en octobre 1878 comme en mai 1880, de nombreux ouvriers belges ayant participé aux grèves du textile, la municipalité de Roubaix obtint une série de mesures d’expulsion destinées à briser un mouvement où la police croyait déceler l’influence du socialisme international151. Cependant, soucieux d’attiser la division et la concurrence dans les rangs ouvriers, le commissaire de police de Roubaix déconseillait au préfet l’adoption de mesures d’expulsion préventives destinées à faire face aux antagonismes entre ouvriers français et étrangers : « Elles pourraient faire croire aux ouvriers français qu’ils peuvent se débarrasser d’une concurrence étrangère et être considérées par les Belges comme une provocation à leur égard »152. Quant au patronat, c’est pour la même raison qu’il s’est opposé avec intransigeance à toute réglementation et à toute mesure discriminatoire à l’égard des ouvriers étrangers inspirées par la politique de protection du travail national153.

    111D’autre part, la population belge n’était pas homogène : les frontaliers formaient une catégorie à part qui se distinguait aussi bien de la population française que des immigrants permanents. Au nombre de 10 000 en 1901, soit 13 % de la population active, c’étaient surtout des hommes qui, séparés de leur famille, étaient mal intégrés dans la ville et avaient la réputation d’être turbulents154. En outre, sans doute parce qu’ils n’avaient pas de racines en France, ils étaient un facteur de division du mouvement ouvrier et jouaient souvent le rôle de briseurs de grèves155.

    112Sur le plan culturel, la colonie belge se distinguait par son particularisme linguistique et la vigueur de sa pratique religieuse, alors que la ségrégation dans l’habitat contribuait à renforcer son isolement. Cependant, son enracinement croissant – en 1886, la moitié des Belges étaient nés en France –, l’école primaire obligatoire et la poussée de l’anticléricalisme, ont contribué à modifier les rapports existant entre ouvriers français et belges et à faire reculer les sentiments de méfiance et d’hostilité, sans cependant que cessent les incidents qui les opposaient et qui ont été particulièrement nombreux entre 1881 et 1893156.

    113Enfin, les ouvriers belges avaient une réputation contradictoire. D’un côté, les autorités voyaient en eux des agitateurs, réputation que justifiait le rôle éminent que les socialistes flamands ont joué dans l’organisation du mouvement ouvrier roubaisien. De l’autre, ils étaient perçus comme résignés et dociles. Du reste, le consul de Belgique à Tourcoing était le premier à constater que cette population éprouvait une crainte « salutaire » de l’expulsion et ne participait guère à l’agitation sociale157. C’est d’ailleurs très consciemment que les patrons utilisaient sa présence pour s’opposer aux revendications ouvrières. La chambre de commerce de Lille ne notait-elle pas en novembre 1893 : « Notre population flottante renferme une nombreuse colonie de Belges attirés par des salaires plus élevés que dans leur pays et qui viennent faire obstacle aux prétentions exagérées de nos grévistes »158.

    La structure professionnelle de la colonie belge

    114Les patrons préféraient employer des ouvriers belges pour plusieurs raisons : leur statut légal les rendait plus vulnérables ; ils n’étaient pas soumis à la conscription ; la législation du travail leur était moins favorable ; ayant rarement sept ans de présence continue, ils ne pouvaient être secourus par le bureau de bienfaisance ; nombre d’entre eux avaient déjà l’expérience du travail industriel. Surtout, ils étaient très mobiles. La chambre de commerce de Lille signalait d’ailleurs en 1873, à l’occasion de l’enquête sur les conditions de travail, l’impossibilité d’établir des statistiques précises à propos d’une « classe ouvrière qui comprenait une bonne moitié de sujets belges, population flottante qui se déplaçait et se renouvelait constamment »159. Les mouvements de la colonie belge se modulaient en effet sur les variations de la conjoncture économique. Interrogée dans le cadre de l’enquête de 1904 sur l’état de l’industrie textile, la chambre de commerce de Roubaix analysait avec beaucoup de franchise les avantages de cette mobilité :

    « L’ouvrier étranger est pour notre région une main-d’œuvre indispensable, en même temps qu’il est pour l’industrie une facilité en temps de chômage ; l’ouvrier en s’en retournant alors dans son pays et n’étant pas de ce fait à la charge de la commune, il ne fait pas de concurrence à l’ouvrier à demeure fixe ; puis, quand le travail reprend, il revient à nouveau »160.

    115Qui plus est, sur le marché du travail où la nationalité déterminait la distribution des emplois, Belges et Français étaient à la fois concurrents et complémentaires. D’une part, les premiers qui « s’astreignaient sans murmurer aux besognes inférieures » que refusaient les travailleurs français, étaient plus nombreux à occuper les emplois sans qualification (manœuvre, homme de peine, journalier, bobineuse, chauffeur…)161. Ils étaient également très nombreux parmi les tisseurs, beaucoup d’entre eux exerçant déjà cette profession dans leur pays d’origine162, si bien que le tissage avait la réputation d’être un emploi pour immigrant. En revanche, les ouvriers français étaient concentrés en filature où les salaires étaient beaucoup plus élevés : en 1863, un tisseur sur métier mécanique gagnait entre 1,75 et 3F par jour, quand un fileur recevait entre 3,3 et 5F163 !

    116En somme, on pourrait décrire schématiquement la structure du personnel des entreprises lainières comme associant un noyau relativement stable d’ouvriers français, plus qualifiés et mieux payés, et une couronne d’ouvriers belges, moins exigeants en matière de salaire et de travail, plus mobiles aussi, dont l’emploi se modelait étroitement sur les fluctuations de l’activité économique. Cette structure dualiste du marché du travail offrait aux industriels de Roubaix-Tourcoing des facilités dont ne pouvaient pas même rêver ceux des autres villes lainières.

    3. Une gestion flexible de la force de travail

    La faiblesse des institutions paternalistes

    117À Roubaix, les entreprises ne cherchaient pas à s’attacher leur personnel en créant les conditions matérielles et morales qui feraient naître chez les salariés un fort sentiment d’appartenance qui les lierait à l’entreprise. En effet, les œuvres sociales d’entreprises y étaient, dans l’ensemble, peu répandues. On construisit bien sous le Second Empire des maisons pour les ouvriers164 et des mutuelles ou des caisses de retraite ont bien vu le jour ici ou là165, mais à la différence de ce qu’on observe ailleurs, les patrons n’ont pas créé dans leurs entreprises un réseau dense et cohérent d’institutions sociales afin de prendre en charge les dépenses de formation, d’entretien et de reproduction de la force de travail. Le fait avait d’ailleurs frappé les enquêteurs allemands qui ont noté : « Dans les fabriques récentes, il est tenu plus de compte des œuvres de prévoyance, mais dans les fabriques anciennes, ce chapitre est très négligé »166. Et d’expliquer que si les filateurs français pouvaient établir des prix moins élevés que les filateurs allemands, c’est parce qu’ils « sont loin d’avoir à supporter les mêmes charges en ce qui concerne la prévoyance sociale, les caisses de secours pour maladie, les assurances obligatoires »167. Du reste, de l’aveu même d’Alfred Motte, les patrons de Roubaix-Tourcoing ne se sont guère occupés de la question sociale :

    « Je ne me dissimule donc pas qu’il y a une question sociale, qui peut s’occuper de cette étude ? Hélas, tous ceux qui, comme nous, sont lancés dans les affaires, ne peuvent se consacrer à de telles recherches. C’est en vain que je voudrais distraire une partie de mon temps ; toujours ce qui m’intéresse personnellement me trotte par la tête. (…) L’égoïsme nous domine involontairement »168.

    118Il est toutefois difficile d’avoir une vue complète et précise des œuvres créées par les patrons dans leur usines. Interrogé lors de l’enquête de 1904, Georges Motte, président de la chambre de commerce de Roubaix, affirmait qu’il n’y avait pas de caisse de retraite dans les établissements mais que presque partout (?) les patrons avaient fondé des sociétés mutuelles, qu’il n’existait pas d’économats patronaux mais qu’il y avait plusieurs coopératives et que la participation aux bénéfices n’existait nulle part car elle était « impraticable »169. À Tourcoing, d’après une enquête de 1909, « plusieurs établissements ont des œuvres particulières » : sociétés de secours mutuels, caisses de retraite, allocations aux ouvriers qui se marient et aux femmes en couche, écoles ménagères et de couture, crèches, sociétés d’encouragement à l’épargne, jardins ouvriers170. Mais, dans l’une et dans l’autre ville, ces réalisations n’ont concerné qu’un petit nombre d’usines et, de surcroît, dans celles où elles existaient, elles étaient bien loin de toucher tous les aspects de la vie des ouvriers. D’où l’importance des politiques sociales municipales qui couvraient à la fois la bienfaisance, les soins médicaux, la maternité, l’encouragement à la natalité, les crèches, la distribution de repas chauds en hiver, et l’accueil des vieillards et des infirmes171.

    Le rôle de l’Association catholique des patrons du Nord

    119En définitive, les seules initiatives patronales de quelque envergure sont venues de l’Association catholique des patrons du Nord (ACPN), créée en 1884 et qui regroupait trente-six patrons, la plupart du textile, parmi lesquels des Tourquennois (Barrois-Lepers, Jules Leclercq, Louis Tiberghien-Motte) et des Roubaisiens (Henri Bayart, Eugène Ernoult). Persuadés que seule la restauration religieuse rétablirait l’ordre, le respect de la hiérarchie et la morale, ils entreprirent un vaste effort de rechristianisation : des statues de la Vierge et des saints furent établies dans les ateliers, les blasphèmes interdits, des offices célébrés à l’intérieur des usines, le journal La Croix distribué dans les ateliers, et les tâches disciplinaires, sociales et religieuses confiées à des religieuses172.

    120Dans le sillage de l’ACPN, on assista à tout un bouillonnement d’initiatives mais leur influence demeura toujours très limitée. C’est ainsi, par exemple, que Henri Bayart, séduit par le corporatisme, organisa à Roubaix et à Tourcoing la Confrérie Notre-Dame de l’Usine et la Confrérie de l’Atelier qui, à leur fondation en 1887, regroupaient 38 entreprises et 3 000 ouvriers. Désireux de combattre les progrès du socialisme et influencés par Harmel, les patrons de Roubaix et de Tourcoing créèrent des syndicats mixtes qui réunissaient ouvriers et patrons et avaient pour objectif de créer des œuvres de prévoyance, combattre les abus du cabaret et les ventes à crédit, former les jeunes ouvrières à leur mission de futures mères de famille, développer l’instruction professionnelle et ramener la moralité dans les usines. Doublé par une confrérie religieuse obligatoire, le syndicat mixte était pourvu d’institutions sociales communes à toutes les usines adhérentes. Les réalisations de ce syndicat qui, à Roubaix, réunissait vingt établissements et comptait dans ses rangs quelques uns des plus grands noms du patronat local (Wibaux, Toulemonde, Motte, Prouvost…), furent finalement assez minces : caisses de secours mutuels, caisse de maternité, société de consommation qui effectuait des achats groupés de charbon et de pommes de terre, construction de 49 maisons ouvrières, école de piqûrage, sociétés de loisirs (chorales, groupe dramatique, groupe d’archers), caisse de secours aux vieillards, boulangerie coopérative (l’Union) qui comptait 840 inscrits en 1895.

    121On est bien loin des vastes programmes réalisés dans d’autres centres textiles. C’est que, pour ce patronat catholique, le militantisme religieux comptait finalement plus que l’action sociale. Ce mouvement, qui fut le seul centre d’études et d’initiatives sociales dans les milieux patronaux de Roubaix-Tourcoing, ne prit d’ailleurs pas une bien grande extension. En 1897, le syndicat mixte de Roubaix comptait 28 patrons et 1 762 salariés, alors que les entreprises syndiquées occupaient 12 500 ouvriers. À Tourcoing, où il touchait 16 usines, 37 patrons en étaient membres ainsi que 1 542 salariés173. L’esprit de tutelle et le cléricalisme affiché expliquent très certainement la faiblesse de son audience parmi les ouvriers. Du reste, dans certaines usines (Wibaux-Motte, Wibaux-Florin, Motte-Bossut…), l’assistance à la messe était obligatoire et les récalcitrants renvoyés174. Ardouin-Dumazet qui visita Roubaix en 1913, portait d’ailleurs un jugement sévère sur la politique sociale du patronat local :

    « Cette inertie est la grosse faute du patronat roubaisien. Oh ! certes, il est généreux à sa façon ; mais sa générosité a presque toujours un caractère confessionnel, elle a le tort de se produire par l’intermédiaire des communautés ; en échange, elle demande des sacrifices d’opinion et des manifestations religieuses ; elle perd ainsi tout son prix. La bienfaisance laïque, large, tolérante, plus morale que matérielle, en un mot la fraternité, voilà le moyen de s’opposer au progrès des idées révolutionnaires »175.

    122L’hostilité sans faille que les patrons catholiques ont manifestée aux premiers syndicats ouvriers chrétiens comme le soutien actif qu’ils ont apporté à la création d’une multitude de syndicats « jaunes » (une centaine ont été créés à Tourcoing en 1901 et 1902) ne pouvaient bien sûr que limiter encore davantage leur influence en milieu ouvrier. D’autant plus qu’ils évoluaient vers des positions de plus en plus intransigeantes, n’hésitant pas à s’opposer ouvertement à l’encyclique Rerum Novarum qui en défendant la notion de juste salaire contre la théorie libérale de l’offre et de la demande, et en admettant l’existence de syndicats ouvriers séparés, sapait le fondement doctrinal de leurs positions. Dès 1877, Léon Harmel avait résumé avec sévérité leur orientation : « Les patrons sont de petits Louis XIV dans leurs usines ; dans leurs villes, leurs cercles ne sont que des patronages et l’émission nouvelle d’idées d’éducation du peuple, d’initiative populaire, de dévouement de l’ouvrier, leur apparaît comme une monstruosité »176.

    123À quoi attribuer cette passivité du patronat roubaisien en matière sociale ? Sans doute l’influence d’un catholicisme intransigeant et autoritaire, essentiellement préoccupé d’ordre et profondément ignorant des réalités de la condition ouvrière que seule l’emprise du vice était censée expliquer177, a-t-elle joué un rôle qui ne saurait être minoré. Plus fondamentalement, cependant, si les patrons n’ont pas développé de véritable politique des œuvres sociales, c’est parce qu’ils étaient avant tout soucieux de mobilité et de flexibilité de la main-d’œuvre. En effet, dans une industrie dispersée, à l’activité saisonnière et aux chômages fréquents, il importait d’abord aux entreprises de conserver toute sa mobilité à la main-d’œuvre et de ne pas en alourdir le prix. Du reste, la présence d’une main-d’œuvre nombreuse rendait inutile une politique sociale qui aurait eu pour objectif d’attirer et de fixer les ouvriers. Au demeurant, ce n’est qu’après la guerre, lorsque la pénurie de main-d’œuvre et la multiplication de grèves longues et dures sont devenus des problèmes préoccupants, que le patronat du Nord s’est résolu à prendre en charge les coûts sociaux de reproduction de la force de travail en développant une politique sociale de grande ampleur qui n’eut pas d’équivalent dans les autres centres textiles178.

    IV. Une place de négoce dynamique

    124En amont de la transformation de la laine se place le négoce qui importe les laines brutes. Parallèlement au développement de l’industrie, il a pris une extension considérable, si bien que, en 1872, la chambre de commerce de Roubaix notait que « la ville est en première ligne une place de production, mais elle tend à devenir autant ville d’entrepôt que de production », ajoutant même que, en vingt ans, elle était devenue « en dehors de son industrie, un marché européen, les transactions qui ont lieu entre négociants se font sur une grande échelle »179.

    1. Le développement des importations directes

    125Alimenté à l’origine par des laines françaises et continentales (espagnoles, allemandes, flamandes), le négoce est rapidement devenu tributaire du marché londonien où il achetait les laines coloniales (Australie, Le Cap) qui y aboutissaient tout naturellement, alors que celles de La Plata arrivaient au Havre et à Anvers. Cette organisation commerciale présentait le grave inconvénient de grever lourdement le prix de la laine. D’une part, la laine devait être acheminée des ports d’arrivée où elle était stockée vers Roubaix-Tourcoing où elle serait transformée ; d’autre part, l’obligation pour les producteurs d’acheminer leurs laines en Europe pour les y faire vendre introduisait dans le circuit les commissionnaires vendeurs qui prélevaient une commission180. Aussi, afin de diminuer leur prix de revient et de s’affranchir du monopole anglais, les négociants du Nord ont-ils établi des relations directes avec les grands pays producteurs de laine181.

    La Plata, Sydney, Le Cap

    126C’est en 1866 que la maison Veuve Jules Desurmont et fils, de Tourcoing, procéda aux premières importations directes de laines de La Plata. Elle fut bientôt imitée par d’autres sociétés et, en 1875, la maison Masurel fils fondait à Buenos Aires le premier comptoir roubaisien pour l’achat de laines. Jules Masurel qui fit de sa société la plus grosse firme française de négoce de laines, en créa par la suite dans tous les pays producteurs182. Des relations très étroites se sont nouées entre le Nord et l’Argentine où s’est installée une nombreuse colonie française qui avait également des intérêts dans la banque, la conserverie et l’élevage183.

    127Bientôt même, s’émancipant totalement de la tutelle londonienne, des négociants sont allés s’approvisionner en Australie. En 1892, quand la maison Dewavrin ouvrit un comptoir d’achats à Sydney, elle y avait été précédée par cinq ou six maisons françaises, notamment Masurel et Henri Wattinne184. L’installation d’un câble sous-marin, l’ouverture du canal de Suez qui réduisait la durée du voyage, la création d’une ligne maritime directe en 1882 et l’implantation à Sydney du Comptoir National d’Escompte de Paris ont constitué autant de facteurs favorables à l’expansion des achats de laine dans ce pays185 qui, insignifiants au début des années 1870, se sont développés jusqu’à représenter 33,8 % des importations françaises de laine en 1903186, chiffre autour duquel ils ont oscillé par la suite. Ce n’est qu’autour de 1905 que les négociants de Roubaix-Tourcoing ont entrepris de s’installer en Afrique du Sud où la maison Segard s’est aventurée la première, bientôt suivie par une dizaine d’autres maisons187.

    128Seuls les négociants les plus puissants avaient des maisons d’achat outre-mer et importaient directement, soit pour leur propre compte, soit pour celui d’autres maisons, les autres agissant par l’intermédiaire de maisons de commission d’outremer188. Seuls également les plus importants étaient présents dans plusieurs pays. C’est ainsi que la maison Charles Tiberghien et fils possédait plusieurs maisons d’achat à l’étranger – Buenos Aires, Melbourne, Sydney – et assurait grâce à ses deux navires – le Charles Tiberghien et l’Elisabeth – le transport de la laine entre les pays d’origine et Dunkerque189.

    Le rôle de l’acheteur

    129L’organisation du marché variait selon les pays190 mais, dans tous les cas, cependant, l’acheteur occupait une position-clé, obtenue au prix d’un long apprentissage. De nombreux stages dans des triages de laine étaient indispensables pour acquérir le toucher et le coup d’œil nécessaires pour savoir reconnaître immédiatement les différentes qualités de laine et en apprécier le rendement et la ressortie de finesse. Il devait également être mis à l’épreuve aux enchères de Londres pour apprendre à y acheter et à y jongler avec les taux de change. Mais il y fallait surtout de la pratique comme le souligne le beau portrait qu’en a tracé Eugène Motte :

    « Il faut pour l’acheteur estimer juste, distinguer promptement et ne pas barguigner, quand on offre 10 000 balles en une séance de quelques heures et qu’on en offre autant les jours suivants. Sang froid, promptitude de décision, s’éveiller frais tous les matins, ouvrir l’œil sans daltonisme toute la journée, telles sont les conditions de succès pour l’acheteur de laines. (…) C’est à l’estimation exacte du rendement d’un lot de laine que se reconnaît le talent de l’acheteur. Juger une bergerie d’Adélaïde chargée d’une terre rougeâtre couleur brique, qui rendra 33 à 38 % ; une bergerie de Nouvelle-Galles du Sud, à reflet bleuâtre, qui donnera 46 à 50 %, ou des balles dites « de ventres », provenant de ces mêmes bergeries, qui rendront 5 à 9 % de moins ; estimer le vrai rendement de laines du Cap qui varie de 8 à 10 % selon les terroirs ; interpréter la vraie finesse de ressortie de ces laines au peignage et à la filature, c’est tout un métier où l’on gagne l’expérience et ses brisques aux dépens de la maison d’importation. Les bons acheteurs touchent des appointements, indemnités de séjour et participations qui atteignent les émoluments des grands ténors italiens, et toute une jeunesse se forme à leur côté »191.

    130Au total, à la veille de la guerre, ce sont quelques 240 acheteurs qui étaient répartis dans tous les pays producteurs où, selon André Siegfried qui les avait observés pendant ces voyages, ils se distinguaient par leur position sociale, leur crédit, leur intelligence et leur sérieux192.

    131Les efforts déployés par le négoce de Roubaix-Tourcoing pour court-circuiter Londres ont finalement été couronnés de succès. Alors qu’en 1865 la plus grande partie de la laine que la France achetait au dehors lui venait d’outre-Manche, en 1883, les achats effectués sur le marché londonien n’en représentaient plus que 32,8 %, avant de tomber à 11,9 % en 1897, niveau auquel ils se sont maintenus jusqu’à la guerre193, si bien que le Nord « s’est rendu maître du marché des laines qu’il consomme »194. Cependant, l’activité du marché de Roubaix-Tourcoing n’était guère que nationale : hors de France, il ne vendait de la laine qu’en petite quantité à la Belgique et à la Suisse195.

    2. La puissance du négoce

    Des sociétés familiales aux moyens inégaux

    132Très nombreuses – 192 à Tourcoing et 109 à Roubaix vers 1900 –, les maisons de négoce avaient des dimensions très variables. Reprenant le classement esquissé par l’inspecteur de la Banque de France pour les années 1890, Jean-Pierre Daviet propose de distinguer quatre catégories en fonction de l’importance de l’activité : les grosses affaires de plus de 10 MF (Masurel fils, Wattinne-Bossut, Lorthiois), les affaires importantes qui faisaient de 3 à 10 MF de chiffre d’affaires (Desurmont, Dassonville), les affaires assez importantes dont le chiffre d’affaires était de 2 ou 3 MF (Flipo ou Segard) et, enfin, les petites affaires196.

    133Ces sociétés présentaient trois caractéristiques essentielles. En premier lieu, leur forte structure familiale, la famille leur fournissant capital et personnel. Grâce à la fortune des associés et à la solidarité familiale, le négoce avait des bases solides : « Un grand nombre de négociants de la place sont riches ; presque tous sont aisés ; ceux qui viennent à se trouver dans une situation difficile reçoivent le plus souvent de leurs parents un appui moral et matériel par suite du développement remarquable de l’esprit de famille et du sentiment de l’honneur commercial »197. De plus, le négoce ayant besoin pour prendre de l’extension d’un personnel nombreux dispersé dans de nombreux pays, digne de confiance et capable d’initiative, les négociants ont associé leurs fils et, plus largement, leur famille à leurs affaires et recruté en son sein représentants et fondés de pouvoir.

    134En second lieu, le rôle de transformateur que le négoce est amené à ajouter à sa fonction normale d’approvisionnement et de stockage : si, dans certains cas, la laine était vendue à l’état brut dès son arrivée en France, la plupart du temps, ni son rendement ni sa finesse n’étant connus avec exactitude, le négociant la faisait trier et peigner à façon afin de lui donner une forme plus facilement négociable.

    135En troisième lieu, les liens très étroits entre négoce et peignage. On rencontre cependant deux situations bien distinctes. Dans la première, l’accroissement de leur puissance a incité les plus grandes firmes manufacturières à se débarrasser de la tutelle du négoce : au lieu d’acheter de la laine déjà peignée, elles ont annexé des peignages et s’approvisionnaient en laine brute en la faisant acheter directement sur les grands marchés de production par l’intermédiaire de maisons de courtage qui étaient des filiales et agissaient pour leur compte uniquement à la commission198. La maison de négoce créée par le groupe Prouvost illustre bien ce type de rapports. Dans la seconde, les maisons de commission « participent par leurs capitaux » dans les peignages pour lesquels « elles font de grands achats de compte à demi », encaissant la commission sur l’achat de la laine brute alors que le peignage conserve le bénéfice de la fabrication199. Aux yeux des enquêteurs allemands, cette « union étroite » du négoce avec les peignages était une spécificité française et faisait la force des peignages200.

    Le financement du commerce des laines

    136Importer et porter le stock de laines nécessaires à l’industrie exige une masse de capitaux énorme et un bon crédit201. En effet, la laine est un produit cher dont les achats, concentrés sur une saison de quatre à cinq mois, sont toujours effectués au comptant. De plus, il s’écoule en moyenne deux mois (délais d’embarquement, voyage maritime, manipulations, transport par chemin de fer depuis Dunkerque) entre l’embarquement et le moment où elles sont disponibles dans les centres manufacturiers. Enfin, le champ d’action du négoce s’étend bien au-delà de l’importation seule, si bien qu’il doit, le plus souvent, porter son stock pendant un temps plus ou moins long et engager des frais industriels pour en assurer la transformation (triage et peignage). Si, au cours des années 1890, les importations de laine brute coûtaient de 250 à 350 MF selon les années202, en revanche, il est impossible d’évaluer, même de façon approximative, le montant des capitaux nécessaires pour financer l’ensemble de ces opérations qui dépassaient les disponibilités du négoce et l’obligeaient à avoir recours à la banque. Sans doute celle-ci intervenait-elle également en aval de la filière, dans le commerce de tissus, mais, d’après la Banque de France, « la première et la plus importante catégorie » de traites escomptées par les banques locales était « motivée par les achats de laine »203.

    3. Les institutions du commerce des laines

    137Place d’entrepôt autant que d’industrie, Roubaix a peu à peu mis en place les institutions indispensables pour assurer le fonctionnement et la régulation des marchés des produits lainiers : condition publique, magasins généraux, bourse du commerce, marché à terme et caisse de liquidation et de garantie.

    Condition publique et magasins généraux

    138Réclamée dès 1854 par la chambre consultative, la condition publique de Roubaix commença à fonctionner en 1858. Tourcoing dut attendre 1863 pour avoir la sienne. Le mouvement de celle de Roubaix suivit une progression continue qui s’accéléra à la fin du siècle : pour les peignés, son activité est passée de l’indice 100 en 1880 à 155 en 1885, puis 170 en 1895, avant d’osciller entre ces deux valeurs jusqu’à la guerre204. Cet indice reflète assez bien l’activité textile de l’agglomération, mais dans une certaine mesure seulement puisque le conditionnement est facultatif et n’a lieu qu’en cas de transfert de marchandises205. L’établissement primitif étant devenu trop petit, la chambre de commerce en créa un nouveau en 1899206.

    139La condition publique était un organisme destiné à régler les différentes transactions auxquelles les produits textiles – laines, peignés, fils et tissus – donnent lieu. Sa mission principale était de déterminer très exactement le pourcentage d’humidité contenu dans les laines et par conséquent la perte de poids ou la bonification qu’elles subiront afin d’établir un « prix loyal et marchand » : le conditionnement arbitrait la vente en indiquant aux parties le prix à facturer. À cette mission principale s’ajoutaient le pesage précis et contrôlé de tous les colis et paquets qui lui étaient présentés, la détermination du pourcentage de corps gras et de matières étrangères contenus dans tous les textiles, le titrage et le numérotage des fils, l’évaluation du nombre de torsions subies par les fils rapporté à la longueur, des essais dynamométriques sur la résistance et l’élasticité des fils et des tissus, et, enfin, le mesurage de tous les tissus. D’après le ministère du Commerce, « la condition publique est et doit demeurer un arbitre aussi sûr qu’impartial et pour cela doit être un service entièrement libre vis-à-vis des parties qui lui soumettent leurs marchandises »207.

    140C’est dans les années 1880 que furent créés les magasins généraux de Roubaix et de Tourcoing. Destinés à l’entrepôt des marchandises, ils offraient des avantages multiples. Ils permettaient d’abord aux industriels d’augmenter la surface utile de leurs usines en mettant à leur disposition des bâtiments où ils pouvaient stocker leurs marchandises. D’autre part, cette plus grande capacité de stockage autorisait des achats en plus grande quantité et donc moins coûteux. Par ailleurs, ces entrepôts permettaient aux industriels de profiter des fluctuations du marché, en augmentant leurs achats lorsque le prix de la matière première baissait et en retardant leurs ventes lorsque les prix pratiqués étaient trop bas. Enfin, grâce au warrant, ils offraient des facilités commerciales et financières très intéressantes : document indiquant la nature, le poids, la valeur et l’origine de la marchandise déposée dans les magasins, le warrant peut être utilisé dans les opérations bancaires puisque le banquier prête sur warrant. De plus, le négociant en laines peut vendre sa marchandise sur simple échantillon en transférant le warrant à l’acheteur, ce qui permet de limiter au maximum les transports208.

    Marché à terme et caisse de stabilisation

    141Rendue indispensable par le développement des affaires, une bourse de commerce a été créée en 1876. Ouverte en principe aux opérations sur toutes sortes de marchandises, il ne s’y traitait en réalité que des affaires sur matières textiles. Six fois par an, des courtiers assermentés y organisaient des ventes publiques au comptant de laines, déchets et filés qui attiraient des acheteurs venus de toute la France et de l’étranger209.

    142Enfin, à partir de 1888, des opérations à terme ont été effectuées sur les laines peignées à la bourse de commerce puisque, aussi bien, il est difficile d’organiser un marché sur une matière aussi hétérogène et irrégulière que la laine en suint, d’où l’échec du marché du Havre créé en 1887. Même si le marché à terme de Roubaix-Tourcoing est demeuré moins important que celui d’Anvers où les étrangers étaient plus actifs210, il a donné une forte impulsion au négoce lainier.

    143La création de ce marché, qui est l’innovation la plus importante de la période, avait pour objectif de fixer les prix, d’assurer un contrôle de leurs fluctuations et de permettre une gestion rationnelle des stocks en rendant possible l’échelonnement sur de nombreux mois des ventes des produits disponibles massivement à la suite de la campagne saisonnière. D’après M. Mussault, ses promoteurs n’espéraient pas en faire un marché de livraison effective mais « un marché d’assurances » pour les importateurs car les négociants qui sont contraints d’enlever en quelques semaines la tonte de toute l’année prennent de gros risques : en raison du décalage entre la tonte des moutons et l’activité de la fabrique, ils peuvent craindre en effet que les laines payées comptant en décembre et dont la consommation s’étale sur plus d’une année ne subissent une perte de valeur au fil des mois. En revanche, sur le marché à terme, le vendeur s’engage à livrer et le client à accepter et à payer une quantité et une qualité données de marchandises à un prix et à une échéance fixés à l’avance. De la sorte, le négociant se trouve couvert. Sans doute, en procédant ainsi, limite-t-il son bénéfice en cas de hausse des cours, mais il s’assure en même temps contre des fluctuations en sens contraire. En somme, le marché à terme visait à protéger les détenteurs de stocks, négociants et fabricants, contre les variations de cours. Il jouait un rôle de couverture et de régulateur des prix211. Quant à la Caisse de liquidation et de garantie, créée en 1892 et commune aux deux places, elle avait pour rôle de garantir la bonne exécution des opérations sur le marché à terme en se substituant à celui des contractants incapables de faire face à leurs engagements. De façon à empêcher la spéculation, la caisse avait édicté une réglementation très stricte : pour opérer sur le marché à terme par l’entremise de la caisse, il fallait une autorisation expresse de son conseil d’administration qui fixait la limite dans laquelle la caisse enregistrait ses contrats ; seuls les négociants domiciliés à Roubaix-Tourcoing ou y ayant une succursale pouvaient faire inscrire des affaires à terme ; les associés des maisons autorisées ne pouvaient opérer en leur nom personnel ; l’inscription d’une opération nécessitait le versement d’un déposit en espèces par chaque contractant. En somme, dans l’esprit de leurs promoteurs, l’interdépendance de la caisse et de la bourse devait apporter une parfaite sécurité au marché du peigné212. Toutefois, celle-ci était impossible à réaliser comme le montre la terrible crise de 1900 dont l’opinion comme une partie des lainiers ont attribué – à tort – la responsabilité au marché à terme dont l’existence aurait encouragé la spéculation213.

    V. Un outil de production puissant

    144Par sa puissance, le complexe de Roubaix-Tourcoing dominait l’ensemble de l’industrie lainière française. Il le devait évidemment à une diffusion précoce et très large du machinisme. Cependant, peignage, filature et tissage étaient très inégalement modernisés. Du reste, l’enquête réalisée en 1916 par l’état-major allemand en territoire occupé a beaucoup écorné l’image flatteuse de modernité que le Nord avait dans l’opinion et que l’Exposition internationale de Roubaix avait contribué à renforcer. Vue par les Allemands, l’industrie roubaisienne possédait certes d’incontestables avantages concurrentiels mais présentait également d’inquiétantes faiblesses structurelles.

    1. De la Fabrique au complexe industriel

    145Villes de fabrique, Roubaix et Tourcoing ne rassemblaient pas au début du xixe siècle la totalité des ouvriers qu’elles faisaient travailler car les entreprises qui y étaient installées donnaient l’impulsion à l’activité lainière dans une vaste zone alentour. Avec la mécanisation de la fabrication, la production a reflué progressivement des campagnes et s’est concentrée à la ville, Roubaix et Tourcoing cessant alors d’être des centres de fabrique pour se métamorphoser en villes industrielles.

    146Cependant, malgré la concentration usinière, une partie des ouvriers continuait d’habiter et même de travailler dans le reste de l’agglomération. C’est ce que montre clairement l’exemple de Wattrelos où, d’après une enquête de 1879, sur 6 214 ouvriers, 2 200 se rendaient tous les jours à Roubaix, 600 étaient employés par le tissage Leclercq-Dupire, firme roubaisienne installée à Wattrelos, et 3 200 travaillaient à façon à domicile, la plupart pour des fabricants roubaisiens214. L’aire d’attraction de Roubaix-Tourcoing est cependant difficile à déterminer : elle s’était élargie, après les années 1820, jusqu’en Picardie à l’ouest et en Champagne à l’est215, mais on ignore dans quelle mesure le reflux du tissage à bras a entraîné la contraction de la zone géographique dans laquelle ses fabricants distribuaient du travail. On sait seulement que des entreprises spécialisées de filature, de tissage et d’apprêts travaillaient à façon pour leur compte à Fourmies, Reims et Sedan.

    147Roubaix et Tourcoing formaient avec leurs banlieues un ensemble industriel aux activités étroitement enchevêtrées caractérisé par une concentration exceptionnelle d’entreprises et de main-d’œuvre industrielle. Trois traits en font l’originalité : l’étroite imbrication du négoce et de l’industrie, l’intégration complète de la fabrication du peignage aux apprêts et le développement par bourgeonnement d’industries en rapport avec le travail des fibres textiles : construction de matériel textile, savonnerie, industrie chimique…. Les contemporains étaient d’ailleurs parfaitement conscients de la synergie qui résultait de cette concentration. Ce qui faisait dire à Gaston Motte :

    « Toutes ces activités s’entrecroisent sans se gêner ; mieux encore : en s’entraidant, elles créent un monde de possibilités telles qu’aucune industrie n’est véritablement tributaire de l’extérieur, pour quelque transformation que ce soit, d’une matière première quelconque, certaine qu’elle est de trouver sur place tout ce dont elle a besoin »216.

    148Dans une région qui ne pouvait guère compter sur l’énergie hydraulique, le développement de l’industrie lainière a été puissamment stimulé par l’existence de réserves importantes de charbon de l’autre côté de la frontière. En effet, la Belgique dont les gisements ont été mis en exploitation plus tôt que ceux du Pas-de-Calais, contribua de manière substantielle à l’approvisionnement du Nord pendant tout le xixe siècle. Les chiffres fournis par Firmin Lentacker sont éloquents : en 1852, le France recevait 1 713 000 t de charbon de Belgique, dont 937 000 t destinées au seul département du Nord, quand le bassin du Nord produisait seulement 600 000 t en 1855. En 1859, les chiffres étaient respectivement de 3,3 Mt et de 1,5 Mt. C’est seulement après 1870, grâce à la mise en valeur intensive des gisements du Pas-de-Calais, que la production régionale a dépassé les importations en provenance de Belgique, et notamment des puits du Borinage tout proches, qui n’ont par la suite cessé de diminuer. En 1883, le Nord recevait 1,3 Mt de Belgique mais déjà 1,7 Mt du Pas-de-Calais. En 1902, les chiffres étaient respectivement de 1,2 Mt et 2,7 Mt. En 1912, avec 750 000 t, les arrivages par le canal de Condé ou le chemin de fer de Valenciennes étaient devenus tout à fait secondaires alors que, avec 5,3 Mt, les houilles du Pas-de-Calais tenaient désormais une place prépondérante dans l’approvisionnement du Nord217.

    149L’amélioration des voies de communication a joué un rôle essentiel dans l’approvisionnement de Roubaix en charbon. Au milieu du siècle, une ligne de chemin de fer relie Roubaix à la fois à la Belgique et à Lille, et par là aux bassins houillers et aux ports. Ce n’est toutefois qu’en 1878 que la mise en service de la nouvelle gare de Wattrelos et de la ligne allant de Roubaix à Somain a mis Roubaix en liaison directe avec les bassins houillers. Quant au canal de Roubaix qui joint l’Escaut à la Deule, il a fallu à la chambre de commerce soixante ans de démarches pour obtenir son achèvement, sa construction étant réalisée en quatre tronçons entre 1832 et 1892. Il permit surtout d’approvisionner Roubaix en charbon, lequel contribuait pour plus de 50 % à son trafic.

    150En tout cas, la proximité des gisements de charbon, belges puis français, n’a pas été un mince avantage. On peut le mesurer en comparant la situation de Roubaix à celle d’Elbeuf dont les fabricants se plaignaient beaucoup de la cherté des charbons qu’ils consommaient. D’après la Statistique de l’Industrie minérale218, les disparités de prix se sont sensiblement réduites après 1860, mais les industriels normands ont dû, en moyenne, supporter un écart de prix de l’ordre de 30 à 40 %, lequel s’est même fortement accru pendant les années 1880 où il a atteint 85 %. Même si l’industrie textile n’est pas une grosse consommatrice de combustible, la géographie du prix du charbon a évidemment avantagé Roubaix au détriment de tous les autres centres lainiers qui, comme Elbeuf, devaient faire venir leur charbon de loin.

    151Comment prendre mieux la mesure de la puissance et du dynamisme de ce complexe industriel sinon en reprenant la présentation qui en a été faite par la chambre de commerce de Roubaix à l’occasion de l’Exposition internationale du Nord de la France de 1911 ? Roubaix qui avait alors 125 000 habitants, comptait 267 établissements industriels équipés de 655 chaudières, 295 machines à vapeur et 519 moteurs à gaz, disposait d’une puissance installée de 55 000 chevaux-vapeur et consommait 720 000 t de charbon par an, occupait 60 000 ouvriers et réalisait pour 1 500 MF de transactions par an, chiffre qui réunissait en fait achats de matières premières et ventes de produits à l’extérieur. Ses usines produisaient 40 000 t de peignés, 10 000 t de fils de laine, 13 800 t de filés de coton et 42 000 t de tissus. D’après la chambre, il fallait augmenter ces chiffres de 50 à 75 % pour tenir compte de l’activité de Tourcoing219.

    152Enfin, une enquête réalisée en 1910-1912 par le ministère du Commerce permet d’évaluer la puissance relative de Roubaix-Tourcoing en termes de matériel et de production. En peignage, les deux villes possédaient 89,5 % du matériel et réalisaient 85,3 % de la production en volume ; en filature, leur activité représentait 39,3 % de la production en peigné et 15 % en cardé ; enfin, en tissage, elles contribuaient pour 41,6 % au chiffre d’affaires total qui s’élevait à 601 MF220. C’est dire que Roubaix-Tourcoing dominait largement l’ensemble de la branche, la prépondérance de ces villes jumelles étant d’ailleurs plus complète en amont.

    2. Des stades inégalement modernisés

    153Au milieu du xixe siècle, Roubaix et Tourcoing avaient des spécialisations opposées : étroitement lié au marché des laines brutes, le peignage était établi à Tourcoing, quand Roubaix qui était essentiellement une ville de tissage était le principal débouché de la production tourquennoise. C’est de la mécanisation du peignage que date le glissement d’une partie de cette activité à Roubaix qui, vers 1900, y occupait même une position dominante221.

    Un peignage puissant et moderne

    154Le remplacement du peignage à la main par le peignage mécanique s’est effectué entre 1847 et 1855. La première tentative de peignage mécanique a été faite en 1847 par la maison Dujardin-Colette, mais la première usine d’une réelle importance a été fondée en 1852 à Croix, dans les faubourgs de Roubaix, par Isaac Holden. Son succès suscita la création de plusieurs établissements de peignage mécanique dans les années suivantes. En 1869, on en comptait 9 qui employaient 1 800 ouvriers. Et 11 en 1872 avec 4 330 ouvriers222.

    155À cette date, la substitution du peignage mécanique au peignage à main était achevée et le marchand-peigneur qui achetait la laine pour la distribuer aux peigneurs des campagnes avait cédé la place au peigneur-transformateur qui était à la tête d’usines à l’outillage perfectionné223.

    156À Tourcoing, la progression du nombre d’établissements et de machines semble, pour l’essentiel, avoir été réalisée dans les années 1860 et 1870. Si le nombre d’établissements a diminué un peu à partir des années 1880, en revanche, celui des peigneuses a progressé légèrement (+6,3 %), si bien que, en 1896, on dénombrait 452 peigneuses pour 10 établissements (Tableau 17). À Roubaix, il est plus difficile de reconstituer le développement du peignage car les sources sont contradictoires. D’après Alfred Goblet, entre 1876 et 1896, le nombre de peignages mécaniques (de 7 à 10) et de peigneuses (de 384 à 716, soit + 86,4 %) s’est accru sensiblement, encore que de manière irrégulière224 (Tableau 18). Les statistiques de la chambre de commerce donnent une image quelque peu différente puisque si le nombre de peignages a évolué de manière très irrégulière, le nombre de broches a progressé jusqu’au début du siècle. Quant au nombre moyen de peigneuses par établissement, il a doublé entre le milieu des années 1870 et la fin des années 1880, avant de se stabiliser jusqu’à la guerre. Ce qui, toutefois, n’a pas grande signification étant donné le perfectionnement du matériel et son rendement plus élevé.

    Tableau 17. Évolution du peignage mécanique à Tourcoing, 1860-1896

    Peignages

    Peigneuses

    Ouvriers

    Nbre moyen de peigneuses par établissement

    1860

    6

    50

    8,3

    1886

    12

    425

    1965

    35,4

    1894

    9

    449

    4650

    50

    1896

    10

    452

    45,2

    Source : A. Goblet, Le peignage de la laine à Roubaix-Tourcoing, p. 72-77.

    Tableau 18. Évolution du peignage mécanique à Roubaix, 1876-1912

    Image 100000000000027A0000023C903900508B9C320D.jpg

    Sources : I. A. Goblet, Le peignage de la laine à Roubaix-Tourcoing, p. 71-77 ; II. ADN, BA 10740, ACCR de 1880 à 1912.

    157Grâce aux statistiques des conditions publiques, nous connaissons le poids total des laines peignées présentées au conditionnement mais il est fort probable que les peignages annexés à des filatures n’y faisaient pas passer leur production. À Roubaix, où on dispose d’une série plus longue, la production a été multipliée par 16 entre 1859 (146 649 kg) et 1869 (6 805 793 kg), puis encore par quatre entre 1869 et 1896 (28 298 769 kg). Quoique un peu en retrait, Tourcoing a sans doute rivalisé avec Roubaix, sa production s’accroissant parallèlement. En 1901, les deux villes réunies disposaient de 20 peignages équipés de 1 210 peigneuses et produisaient 50,7 M de kilogrammes de laine peignée, soit 82,2 % de la production française225 (Tableau 19). Roubaix-Tourcoing était donc le centre incontestable de toute l’industrie française du peignage.

    158L’enquête allemande fournit une vue globale de la situation à la veille de la guerre. Toutefois, la notion de « région de Roubaix-Tourcoing » qu’elle utilise ne correspond pas au ressort des chambres de commerce des deux villes mais recouvre l’aire d’influence de la Fabrique et embrasse donc des établissements situés à Fourmies, au Cateau, à Pont-Maugis (près de Sedan) et à Reims. Ce qui interdit évidemment toute comparaison puisque les données recueillies ne sont pas homogènes. D’après cette enquête, il y avait 21 peignages (dont dix annexés à une filature). Sur les 2 500 métiers existant dans toute la France, 1618 se trouvaient dans la région de Roubaix-Tourcoing, soit 64,7 %. Quant à la production (des seuls peignages à façon), elle s’élevait à environ 40 000 t, soit environ 57 % d’une production française qui, en moyenne, pour les années 1909-1913, était de 69 900 t226.

    Tableau 19. Production de laine peignée à Roubaix-Tourcoing (en kg), 1859-1901

    Roubaix

    Tourcoing

    1859
    1860
    1869
    1873
    1875
    1879
    1884
    1889
    1892
    1896
    1901

    416 649
    1 444 640
    6 805 793
    8 424 086
    10 241 613
    13 026 210
    14 137 386
    20 712 330
    19 427 141
    28 298 769
    26 498 429

    –
    –
    –
    –
    –
    11 469 412
    13 889 480
    18 997 410
    18 944 654
    22 478 140
    25 561 998

    Source : A. Goblet, Le peignage de la laine à Roubaix-Tourcoing, p. 74-77 et 109.

    159On remarquera que ces données ne concordent pas avec celles que nous procurent Sayet dans son rapport sur l’Exposition internationale de Roubaix en 1911 (Tableau 20) puisque si le nombre de peignages y est inférieur à celui de l’enquête allemande, au contraire, les chiffres concernant le matériel et la production sont très sensiblement supérieurs. Si la divergence concernant le nombre de peignages est inexplicable, on peut faire l’hypothèse, en revanche que, s’agissant du matériel et de la production, Sayet a tenu compte de peignages annexés aux filatures que les enquêteurs allemands avaient exclus de leur enquête. Au total, les 16 peignages de Roubaix-Tourcoing auraient disposé de 1 826 peigneuses, fait travaillé 11 à 13 000 ouvriers et produit 65 à 75 000 000 kg selon les années227.

    160Ces données sont d’ailleurs assez proches de celles fournies par le rapport sur l’Exposition de 1900 d’après lequel Roubaix possédait sept peignages en activité faisant marcher 800 unités peigneuses, occupant 8 000 ouvriers et produisant 24 800 t de peignés, quand Tourcoing en comptait 11 disposant de 460 machines peigneuses et de 4 800 ouvriers qui produisaient 33 000 000 kg de peignés228. Ces données, si elles sont exactes, soulignent la différence de niveau technique entre les établissements de peignage des deux villes.

    Tableau 20. Situation du peignage à Roubaix-Tourcoing en 1911

    Roubaix

    Tourcoing

    Total

    Peignages

    6

    10

    16

    Grandes peigneuses

    636

    350

    986

    Petites peigneuses

    370

    470

    840

    Ouvriers

    7/8 000

    4/5 000

    11/13 000

    Production

    40 M kg

    25/30M kg

    65/75 M kg

    Source : d’après G. Sayet, Exposition internationale du Nord de la France, p. 268.

    161Le peignage était dominé par trois établissements : Isaac Holden et fils, Amédée Prouvost et Cie et Alfred Motte et Cie. Fondé à Croix en 1852 et augmenté en 1860 du matériel transféré de l’usine que Isaac Holden avait créée à St-Denis et dont la production venait d’être arrêtée, le premier a connu une très forte croissance jusqu’à la fin des années 1870. De 175 salariés en 1855, les effectifs du personnel se sont élevés à 657 en 1861, puis 1 233 en 1872 et, enfin, 2 000 personnes en 1877, avant de se tasser pour retomber à 1 700 salariés en 1898. Quant à la production, elle a également suivi une courbe ascendante : de 227 293 kg en 1850-1854, elle est montée à 1 812 835 kg en 1860-1864 et, enfin, à 7 043 448 kg en 1875-1879, avant de régresser à 6 040 834 kg en 1890-1894. Au sommet de son expansion, Holden donnait du travail à 34,8 % de la population de Croix (1876) et assurait 16,3 % de la consommation française de laine peignée (1877). C’est aussi à ce moment qu’a culminé sa rentabilité : avec, en moyenne, un bénéfice annuel de 2 827 097 F pour les années 1875-1879, le taux de profit (bénéfice/capital) s’établissait à 27,9 %. Holden devait son succès à sa supériorité technique et à la solidité de son réseau de clients. D’une part, il avait réussi à s’assurer une place prédominante sur le marché de la laine peignée grâce au métier « Square motion » qu’il avait mis au point et dont il s’est efforcé de limiter la diffusion : il était ainsi en mesure de peigner toutes les sortes de laine et d’assurer la qualité du produit. D’autre part, travaillant à la commission (ce sont ses clients, les filateurs, qui achètent la laine), il n’avait pas le pouvoir de contrôler son approvisionnement et ses stocks mais, en revanche, sa puissance lui permettait, en période difficile, de baisser ses prix afin de garder sa clientèle. Si les bénéfices ont fortement baissé au cours des années 1880, pour s’effondrer pendant la décennie suivante (565 076 F en 1890-1894), le taux de profit étant bien sûr entraîné dans cette dégringolade (3,90 %), c’est parce que les prix de façon ont diminué plus vite que les coûts. Il est vrai que la productivité a baissé dés 1868 ; du reste, elle a toujours été plus faible à Croix que dans l’usine de Reims car, dans le Nord, l’activité était plus irrégulière et il était donc impossible de prévoir et de planifier. Par ailleurs, après 1870, d’autres machines de peignage que celle de Heilmann se sont diffusées à Roubaix, si bien que Holden dût travailler dans des conditions de concurrence plus vive, l’expiration en 1896 de la licence qu’il avait sur les métiers « Square motion » et Noble augmentant encore les difficultés rencontrées par son usine de Croix229.

    162Nous sommes beaucoup moins bien renseignés sur le peignage Amédée Prouvost et Cie. Créé en 1851 par Amédée Prouvost en association avec les trois frères Lefèbvre, avec un capital de 200 000 F et 21 machines à peigner, l’établissement a d’abord laissé un déficit d’exploitation. L’ère des bénéfices ne s’ouvrit qu’en 1855. Mis en confiance, les associés ont alors construit une seconde usine. Ils ont les premiers introduit en France la peigneuse Noble – que l’on pourrait décrire comme une version améliorée de celle d’Heilmann –, avant de prendre une licence pour la peigneuse Rawson de Leicester. Mis en route avec 117 peigneuses, l’établissement en comptait 200 au début du siècle suivant. En 1868, il occupait environ 700 salariés et produisait plus de 4 000 000 kg de peignés. En 1875, le rapport de la Banque de France disait que c’était une « maison excellente, la seconde après celle de Isaac Holden et fils » qui réalisait « de grandes affaires et de grands bénéfices »230. À cette date, le capital s’élevait à 4 MF, et l’établissement qui employait 1 500 ouvriers, possédait 150 peigneuses et une machine à vapeur de 1 500 CV231. Ayant apporté de nombreux perfectionnements à l’épaillage et à l’échardonnage des laines, il a dépassé son rival dans les années 1880. En 1911, il comptait 2 500 ouvriers et produisait 16 000 000 kg de peignés. Transformé en société anonyme en 1892 avec un capital de 12 MF, c’était le plus grand peignage mécanique du monde232.

    163Enfin, le plus récent des trois, le peignage Alfred Motte et Cie, avait été fondé en 1879 sous forme de commandite par actions au capital de 5,2 MF. Équipé de 263 peigneuses et employant 1 800 ouvriers, dont un tiers travaillait de nuit, il produisait environ 10 à 11 MF de peignés dans les années 1910233.

    Une filature trop peu modernisée

    164De la filature de coton où les « Jeannettes » ont commencé à se répandre dès 1800, la mécanisation a gagné la filature de laine qui a connu un grand développement dans le deuxième tiers du xixe siècle, l’adoption du peignage mécanique lui donnant une vive impulsion. À Roubaix, le nombre de broches a en effet été multiplié par presque cinq entre 1845 (103 004) et 1913 (478 930). D’après le rapport sur l’Exposition de Roubaix, il y avait 784 450 broches à Roubaix-Tourcoing en 1911234. De son côté, l’enquête allemande donne un chiffre un peu supérieur pour 1914 : 820 950 broches235. Il semble que cette discordance tienne moins au manque d’homogénéité des sources qu’à une augmentation sensible du matériel à la veille de la guerre, d’ailleurs plus importante en cardé (+16 %) qu’en peigné (+4 %)236.

    165Même si elle n’arrivait qu’au second rang derrière Fourmies pour la filature peignée, la position de Roubaix-Tourcoing, avec 39,28 % de l’équipement national, était néanmoins très forte. En cardé, où la filature était géographiquement plus dispersée, elle occupait la première place avec 20,45 % du matériel devant les centres spécialisés dans le travail de la laine cardée : Elbeuf (17 %), Mazamet (17 %) et Sedan (15,3 %)237.

    166La filature peignée l’emportait nettement sur la filature cardée, tant pour le nombre d’établissements (55 contre 16) que celui des broches installées (820 850 contre 162 450). De plus, les filatures peignées étaient plus grandes : en moyenne 249 ouvriers et 14 925 broches par établissement, au lieu de 141 ouvriers et 10 153 broches. Qui plus est, étant donné le coût supérieur des métiers à filer employés dans le peigné (une broche revenait à 86 F en peigné pour seulement 66 F en cardé), le capital investi en filature peignée (1 281 363 F) était deux fois plus important par établissement qu’en cardé (668 787 F). C’est ce qui explique la plus grande part du facteur capital dans les filatures de laine peignée où on compte un capital de 5 138 F par ouvrier contre seulement 4 196 F dans le cardé, alors que le nombre de broches par ouvrier est un peu supérieur dans le cardé (Tableau 21). Enfin, alors qu’en Angleterre, le continu avait connu une très large diffusion, le renvideur self-acting continuait de l’emporter à Roubaix-Tourcoing mais, d’après Sayet, les choses étaient en train de changer : « Le métier le plus employé est toujours le renvideur. Toutefois, dans ces dernières années, le continu a pris une place plus grande et semble devoir encore en prendre davantage »238.

    167D’après l’enquête allemande, en 1914, sur un total de 983 300 broches, il y en avait seulement 112 360 de continus, soit 11,42 %239. Ce n’était certes pas négligeable, mais la nouvelle technique demeurait très nettement minoritaire. Du reste la croyance dans la supériorité du renvideur était bien ancrée : au dire des filateurs, « les renvideurs restent toujours l’outil le meilleur de la filature »240. Si le peignage, qui était un des meilleurs du monde, avait un excellent niveau technique, en revanche, la filature était en retard d’une révolution ! Cependant, dans certains établissements, la productivité du travail avait fortement progressé. C’était le cas, par exemple, dans la filature Motte, « une des usines les plus perfectionnées », où alors qu’en 1885 six ouvriers conduisaient 800 à 1 000 broches, il n’en fallait plus que trois en 1904 pour conduire 1 200 broches dont la vitesse de rotation avait en outre été accrue, les ouvriers ayant été remplacés par des chargeuses automatiques241.

    Tableau 21. Situation de la filature à Roubaix-Tourcoing en 1914

    Image 1000000000000291000000CF5B09F76222EF66E7.jpg

    Source : d’après L’industrie en France occupée, p. 102.

    Le tissage : une modernisation précoce mais progressive

    168Le tissage a été le dernier stade du travail de la laine à se mécaniser. Il était devenu nécessaire d’accroître la productivité du tissage qui était saisonnier et très lent afin de pouvoir absorber les quantités accrues de matières que le peignage, mécanisé, mettait à la disposition de la filature. La mécanisation a été en quelque sorte préparée par le regroupement des métiers Jacquard, apparus vers 1830, dans des ateliers urbains surveillés par des contremaîtres alors que les vieux métiers à main continuaient d’être utilisés par les tisseurs à domicile dans les campagnes242. Le processus de mécanisation est difficile à reconstituer tant les données sont peu nombreuses, fragmentaires et incertaines.

    169À Roubaix, où le premier tissage mécanique a été introduit en 1842 par Achille Wibaux Florin, la mécanisation du tissage a été précoce puisque, dès 1856, on pouvait y dénombrer 19 tissages mécaniques équipés de 396 métiers. Réalisée avec des métiers importés d’Angleterre, la substitution du tissage mécanique au tissage à bras n’a donc pas attendu la levée des prohibitions puisque, à la veille de 1860, le tissage mécanique avait déjà pris une réelle importance ainsi qu’en témoigne un rapport daté du troisième trimestre 1859 :

    « Nous appelons l’attention de M. le Préfet sur l’accroissement des établissements de tissage mécanique et des ouvriers qui y sont occupés. (…) Le moment viendra où le tissage automatique remplacera exclusivement le tissage à la main ; alors et de nouveau encore on verra un grand nombre d’ouvriers forcés de quitter les campagnes pour venir travailler dans les villes et s’y fixer »243.

    170En 1866, la ville possédait 53 tissages mécaniques avec 8 680 métiers, pour 9 545 métiers à bras dont le nombre, dès l’année suivante, était tombé à 8 400244.

    171C’est entre 1856 et 1866 que se situe la première grande vague de mécanisation du tissage. Après cette date, on constate une stagnation qui s’explique à la fois par la dépression de 1867 et le recul des tissus mélangés au profit des étoffes pure laine essentiellement tissées au moyen de métiers à bras245. Ce n’est qu’après 1870 que la progression du métier mécanique reprit. En 1872, d’après l’inspecteur de la Banque de France, il y avait 12 000 métiers mécaniques à Roubaix et 3 000 à Tourcoing, alors que 25 000 tisserands étaient employés au tissage à la main246. La chambre de commerce de Roubaix donne, pour sa part, des chiffres assez proches puisque, à l’occasion de l’enquête de 1872 sur les conditions de travail en France, elle a recensé 61 tissages mécaniques disposant de 10 870 métiers mécaniques et 168 tissages à la main faisant battre 21 000 métiers247. Quant à Georges Teneul, qui a utilisé les archives de la Société d’Emulation de Roubaix, il dénombre 147 fabricants d’étoffes en 1873 qui font battre 23 333 métiers à bras (soit 72,2 % du total) et 8 960 métiers mécaniques, chiffre qui paraît quelque peu minoré248.

    172Un tisseur sur métier mécanique remplaçant deux à trois métiers à bras, on peut penser, sur la base des chiffres de la Banque de France, que le tissage sur machine contribuait pour 60 % à la production totale de tissus. C’est dire que, pour l’essentiel, le tissage mécanique l’a déjà emporté. La physionomie de l’industrie lainière s’en trouvait profondément transformée :

    « La production est en train d’abandonner la campagne pour s’établir dans des usines urbaines. Roubaix et Tourcoing cessent d’être des centres de « fabrique » pour devenir des centres de fabrication »249.

    173Cependant, jusqu’à la guerre, Roubaix a combiné de manière complexe et mouvante métiers mécaniques et métiers à bras, la part de ceux-ci diminuant néanmoins de manière irréversible.

    174Si le tissage à bras s’est maintenu aussi longtemps, c’est, d’une part, en raison de la résistance opiniâtre des tisseurs à domicile dans les campagnes qui s’efforçaient de préserver à n’importe quel prix un genre de vie et de travail autonome, et de l’autre, parce qu’il offrait de nombreux avantages : il permettait de différer de coûteux investissements, d’ailleurs difficiles à réaliser pour les petits fabricants ; les frais généraux (éclairage, chauffage, entretien du métier) étaient à la charge du tisserand à domicile qui, au surplus, n’était pas soumis à la législation sur la durée du travail ; et, enfin, il donnait beaucoup de souplesse à la gestion et permettait d’amortir les à-coups de la conjoncture, le fabricant, en période de crise, cessant de donner de l’ouvrage aux tisserands à domicile pour ne plus faire travailler que son atelier de tissage mécanique250.

    175Mais, peut-être davantage que la longue résistance du métier à bras, c’est la précocité de la mécanisation du tissage qu’il faut expliquer. Sous le Second Empire, lors de la première vague de diffusion des métiers mécaniques, les fabricants ont éprouvé de grandes difficultés de recrutement de la main-d’œuvre que Firmin Lentacker explique par « l’exiguïté de (leur) rayon traditionnel de distribution du travail » et l’attitude de « la population ouvrière à demeure (qui) tient à garder son emploi à domicile en petits ateliers traditionnels ; elle trouve au travail en usine de multiples inconvénients à la fois matériels et moraux et le considère un peu comme une déchéance »251. De son côté, Claude Fohlen souligne qu’« il n’y a pas forcément passage » entre le tissage à bras, souvent extra-muros, et le tissage mécanique dans des ateliers urbains, et que les nouveaux ouvriers qui se concentraient à Roubaix « venaient moins des campagnes où se pratiquait jusqu’alors le tissage à bras, que de Belgique »252. Si la multiplication des tissages mécaniques n’a pas entraîné la disparition immédiate des tisserands à domicile dans les campagnes du Cambrésis et du Saint-Quentinois où les fabricants roubaisiens donnaient traditionnellement des pièces à tisser, c’est parce que selon une logique que l’on retrouve ailleurs253, les tisserands ruraux, acculés à la défensive par la concurrence des mécaniques, ont préféré accepter des baisses de salaires plutôt que de quitter leurs villages pour aller travailler en usine254. Aussi bien est-ce parce que ces ouvriers-paysans s’acharnaient à préserver l’organisation familiale du travail et leur cadre de vie villageois que les fabricants ont dû chercher ailleurs la main-d’œuvre que les campagnes ne leur fournissaient pas en quantité suffisante. C’est cette situation qui, pendant une grande partie du siècle, a rendu le réservoir belge indispensable. Du reste, les périodes où la mécanisation du tissage a le plus progressé sont également celles qui ont été marquées par des apports importants de main-d’œuvre belge255. L’étude de l’origine géographique de la main-d’œuvre du tissage confirme cette analyse. Au début du xixe siècle, quatre tisseurs sur cinq étaient nés à Roubaix. Au contraire, en 1860-1899, ce n’était plus le cas que de un sur quatre alors que 55 % venaient de Belgique256. En somme, l’afflux massif d’ouvriers belges prêts à accepter un travail mal rémunéré a permis aux fabricants de surmonter la faiblesse de l’exode rural due à l’opiniâtre résistance des tisserands des campagnes.

    176Après 1870, le nombre de métiers n’est pas connu avec précision. En revanche, on peut suivre l’évolution des différents types de tissage selon la nature de leur matériel. En 1873, on comptait à Roubaix 94 tissages à bras, 45 à la mécanique et 8 utilisant concurremment les deux types de métiers. En 1880, il n’y avait plus que 55 tissages manuels pour 36 tissages mécaniques, 22 travaillant à la fois à la main et à la mécanique et 6 tissages mécaniques à façon. En 1884, il y avait 51 tissages à bras, 28 à la mécanique et 16 mixtes. Enfin, en 1892, le maire de Roubaix donne la statistique suivante : 59 tissages à la main, 57 tissages mécaniques, 20 faisant tisser à la main et à la mécanique et 5 tissages mécaniques travaillant à façon257. Malgré leurs divergences, au demeurant mineures, ces chiffres mettent en évidence l’accélération du processus de mécanisation mais, au milieu des années 1880, le tissage à bras, quoique définitivement battu par les mécaniques, n’a pas encore dit son dernier mot.

    177Son déclin se poursuit cependant. De 1900 à 1913, le nombre de tissages manuels a été divisé par quatre (de 37 à 10), alors que celui des tissages travaillant à la main et à la mécanique (de 15 à 20) et de ceux travaillant exclusivement à la mécanique (de 47 à 56) s’est sensiblement accru. Ce qui, au total, n’a pu que se traduire par une progression des métiers mécaniques aux dépens des métiers à la main qui, cependant, à la veille de la guerre n’avaient pas complètement disparu258 (Tableau 22). À Tourcoing, l’évolution a été parallèle. En 1889, la ville possédait six tissages mécaniques avec 3 730 métiers, 13 fabriques de tapis, avec 69 métiers, tant mécaniques qu’à la main, et 18 fabricants de tissus divers faisant battre 3 000 métiers dans la campagne environnante. En 1900, le tissage (de laine et de coton) alignait 4 000 métiers mécaniques et 1 000 métiers à bras259.

    Tableau 22. Évolution du tissage à Roubaix, 1900-1913

    Image 1000000000000179000000F640BC11E7FC3A1383.jpg

    Source : R. Pierreuse, La situation économique et sociale à Roubaix-Tourcoing de 1900 à 1914, Tableau no 27.

    178Enfin, l’enquête allemande fournit des données précises sur le tissage en 1914 mais elles concernent l’ensemble du département du Nord dont, bien sûr, seule une partie correspond à l’aire d’attraction de Roubaix-Tourcoing. Les enquêteurs ont dénombré au total 44 431 métiers se répartissant ainsi : 17 278 pour le coton, 26 844 pour la laine, 272 pour le jute et 37 pour la soie, soit 60,4 % pour la seule laine. Détaillons la situation du tissage de laine : 29 tissages (4 407 métiers) façonnaient des étoffes d’ameublement et des tapis, 64 (20 012) des tissus de laine et de demi-laine et 11 (2 425) étaient des tissages mixtes, c’est-à-dire « s’occupant simultanément de la fabrication de plusieurs produits différents ».

    179Pour les seuls tissages pour habillement (laine et demi-laine), les enquêteurs ont recensé 19 870 métiers mécaniques et 142 métiers manuels. Ce dernier chiffre paraît très fortement sous-évalué, à moins qu’il ne concerne que les seuls métiers à main montés en usine. D’ailleurs, les enquêteurs allemands reconnaissaient explicitement la difficulté qu’il y avait à dénombrer avec exactitude les métiers manuels battant au domicile des tisseurs et donc, dans ce domaine, le peu de fiabilité de leurs statistiques260. N’oublions pas, en effet, qu’en 1913, il y avait encore 10 tissages entièrement manuels et 20 qui utilisaient simultanément métiers mécaniques et métiers à bras. D’après Eugène Motte, le tissage à main avait survécu seulement pour « les articles les plus délicats comme les tissus d’ameublement, les velours, les tissus de gilet, les tissus de laine et soie »261. Enfin, l’emploi du métier à bras pouvait concerner des établissements importants qui y trouvaient un élément de souplesse. C’est ainsi que, en 1920 encore, la maison Vanoutryve et Cie utilisait 500 métiers à bras à côté de 1 400 métiers mécaniques262. Parallèlement à la diffusion du métier mécanique, le matériel a été beaucoup perfectionné, si bien que la vitesse des métiers aurait doublé en vingt ans263.

    180Pour comprimer leurs frais de main-d’œuvre et accroître leur production, les fabricants ne se sont pas bornés à remplacer le métier à bras par le métier mécanique, ils ont aussi cherché à tirer le meilleur parti du matériel existant en faisant travailler leurs tisseurs sur deux métiers à la fois. Malgré la résistance des ouvriers dont l’émeute de 1867 constitue l’expression la plus spectaculaire264, les patrons ont réussi, grâce à une augmentation des salaires de 25 %, à imposer peu à peu aux tisserands le travail sur deux métiers, non sans doute pour tous les types de tissus mais au moins pour les plus courants265. Georges Motte, lors de l’enquête de 1904, considérait d’ailleurs que la conduite de deux métiers par un seul ouvrier était un fait général266. Si en Angleterre, en Belgique et en Allemagne, le travail sur deux métiers était une pratique courante, en revanche, en France, Roubaix-Tourcoing en avait presque l’exclusivité – il s’était développé timidement à Reims –, les industriels des autres centres ayant renoncé devant le refus catégorique des ouvriers et la menace de grèves.

    181Trois faits majeurs caractérisent donc le tissage de Roubaix-Tourcoing. D’abord sa mécanisation précoce. Techniquement plus facile dans le peigné que dans le cardé, elle s’y est épanouie sous le Second Empire, l’adoption des mécaniques y étant stimulée par la concurrence de Bradford. Dès 1866, près de la moitié des métiers (47,6 %) étaient des mécaniques. Leur diffusion s’accélère dans les années 1870 et, dans la décennie suivante, le métier mécanique a partie gagnée. En second lieu, si le métier à bras n’en finit pas de décliner, à la veille de la guerre, il n’a cependant pas complètement disparu, mais les données disponibles ne permettent d’en évaluer avec précision ni le nombre ni la contribution à la production. Enfin, la concentration géographique du tissage a accompagné sa mécanisation : des 168 tissages à main qui faisaient travailler à la fois en ateliers urbains et dans les campagnes alentour recensés à Roubaix en 1872, il n’en restait plus que 10 en 1913, si bien que la plupart des tisseurs était désormais concentrée dans les tissages mécaniques regroupés dans l’agglomération.

    3. L’industrie roubaisienne vue d’Allemagne

    182L’intérêt de l’enquête allemande de 1916 vient de ce que, en procédant par comparaison avec l’industrie lainière allemande, elle met clairement en évidence les avantages concurrentiels de l’industrie du Nord par rapport à l’Allemagne ainsi que ses faiblesses structurelles.

    Des avantages concurrentiels

    183Les avantages dont bénéficie l’industrie lainière de Roubaix-Tourcoing y sont analysés pour chaque stade. En peignage, c’est parce que, en raison de leurs liens étroits avec le négoce, elles bénéficient d’un approvisionnement régulier en laine que les usines peuvent utiliser leurs machines à plein rendement et obtenir des prix inférieurs. De plus, la plus grande partie du peignage français étant concentrée dans l’agglomération de Roubaix-Tourcoing, l’utilisation des déchets était à la fois plus facile et plus économique, « ne fût-ce qu’en raison de l’économie qui en résulte sur les frais de transport ». En filature, « un plus grand choix dans l’achat des laines peignées », l’utilisation systématique du travail de nuit et l’amortissement à peu près complet d’installations anciennes dans la même famille depuis plusieurs générations sont autant de facteurs qui expliquent que, pour les fils, les prix français sont généralement moins élevés. Quant au tissage, la fabrication y est particulièrement soignée et cherche à suivre la mode :

    « On attache une importance particulière à l’assortiment. Les grandes maisons ont de bons dessinateurs ayant du goût et des idées heureuses. (…) C’est à leur riche assortiment, plein de goût, et tenant compte de la mode et du goût du jour, qu’est dû en grande partie le succès que les produits fabriqués par ces maisons ont sur tous les marchés. On attache une grande importance à une fabrication proprement travaillée et sans défauts. Même pour les qualités les moins chères, les défauts de tissage sont très rares. Le personnel ouvrier semble être laborieux et habile ».

    184Enfin, dernier avantage, le moindre coût de la main-d’œuvre :

    « Grâce à l’emploi de nombreux enfants, de treize ans et au-dessus, les frais de production sont également réduits, d’autant plus que les salaires en eux-mêmes, sauf pour Lille, sont très bas, si l’on considère la bonne qualité du travail »267.

    185De plus, et à tous les stades, la « prévoyance sociale » étant moins développée qu’en Allemagne, les charges sociales pesant sur les entreprises sont moins élevées.

    Des faiblesses structurelles

    186Autant d’avantages qui, aux yeux des enquêteurs allemands, compensent, au moins dans une certaine mesure, l’archaïsme des techniques d’exploitation dont ils font une analyse extrêmement sévère.

    187Ils soulignent d’abord fortement la dépendance étroite de l’étranger dans laquelle se trouve l’industrie de Roubaix-Tourcoing pour son équipement, dépendance d’ailleurs plus grande en amont qu’en aval, et évidemment renforcée par l’annexion de l’Alsace. Il faut cependant souligner que les relations qui se sont maintenues, après 1871, avec la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques de Mulhouse ne concernent pas seulement le Nord mais bien toute l’industrie textile française. Du reste, à elles seules, les ventes de matériel textile de la SACM en France représentaient le double de celles destinées à l’Allemagne (Alsace exclue) et plus de la moitié des exportations de la firme268.

    188Il faut d’ailleurs souligner que, de son côté, la direction de la SACM avait fait de gros efforts pour développer les ventes hors d’Allemagne et, afin de donner un nouvel élan à ses fabrications de matériels textiles, avait élargi sa gamme de fabrications, appliqué la commande individuelle aux métiers lourds, acquis la licence du métier américain Northrop et apporté de nombreux perfectionnements aux machines qu’elle construisait, en particulier, et c’était bien sûr important pour les industriels de Roubaix-Tourcoing, la peigneuse rectiligne système Hubner dont le rendement avait été beaucoup amélioré269.

    189Détaillons la situation. En ce qui concerne la force motrice, l’équipement apparaît très traditionnel. D’une part, les machines à vapeur sont à un ou deux cylindres, la plupart avec conduite Corliss, les enquêteurs n’ayant pas rencontré de machines à triple expansion. D’autre part, en filature comme en tissage, « la technique de l’exploitation est très démodée », le chargement à la pelle des machines à vapeur étant préféré au chargement automatique du charbon qui est « tout à fait isolé ». Enfin, les enquêteurs signalent le faible usage qui est fait de l’électricité comme force motrice. En peignage, la machine à vapeur est seule employée. En filature, l’électricité représente seulement 16,6 % de la force motrice utilisée. Il n’y a d’ailleurs que cinq établissements à utiliser exclusivement l’électricité pour actionner leurs machines (François Masurel frères, A. Lepoutre et Cie, Cordonnier, La Lainière de Roubaix, Caulliez et Delacoutre), quelques uns, généralement de petits établissements, utilisant simultanément la vapeur et l’électricité. En tissage, seuls 21 établissements sur 205 (toutes fibres confondues) emploient l’électricité comme force motrice270.

    190Cependant, si malgré ses avantages – en supplantant la vapeur, l’électricité réduit la consommation d’énergie et, en tissage, accroît la vitesse des métiers de 10 % –, son utilisation comme force motrice est loin d’être générale à la veille de la guerre, cela tient à la fois aux conditions d’électrification du Nord et à la faible efficacité du dispositif adopté dans les usines. Illustrons le premier point à partir du cas de Tourcoing : la distribution d’électricité n’y a commencé qu’en 1903 et l’usine construite par la ville avait une puissance trop faible pour répondre à la demande des industriels. Aussi fallut-il attendre 1908 pour que, la ville s’étant tournée vers un fournisseur extérieur, les établissements industriels puissent être électrifiés. Le nombre d’abonnés pour la petite force motrice s’éleva alors de 28 en 1908 à 86 en 1914271. Par ailleurs, les choix techniques opérés par les industriels du textile n’étaient pas les meilleurs : dans la majorité des cas, la transmission générale a été préférée à la commande individuelle des machines, pourtant adoptée en Saxe dès 1894, si bien que les gains de rendement autorisés par l’électricité étaient absorbés par les courroies272.

    191En peignage, les 673 métiers en place en 1914 avaient tous été fournis par des constructeurs alsaciens (Société Alsacienne de Constructions Mécaniques de Mulhouse, Schlumberger de Guebwiller, Société alsacienne de construction mécanique de Belfort). En filature, l’origine du matériel était plus diversifiée, une petite partie venant même de France. Mais, pour les renvideurs self-acting (69,6 %) comme pour les métiers à filer à anneaux (61,8 %), c’est encore l’Alsace qui était le principal fournisseur. En revanche, en tissage, deux tiers des métiers étaient d’origine française, le reste venant d’Angleterre273. Au total, cette situation de dépendance n’a pu que freiner la modernisation de l’équipement des usines étant donné le prix plus élevé des machines importées.

    192Il faut cependant souligner que c’était là une situation absolument inévitable en raison de la faiblesse de l’industrie des machines textiles dans le Nord et, plus généralement, en France. Sans doute le Nord comptait-il quelques fabricants réputés (Nuyts à Roubaix, Walker à Lille, Dubrule fils ou Francin à Tourcoing), mais les enquêteurs allemands ont été surpris de constater que cette industrie était essentiellement composée de petits établissements dont beaucoup se bornaient « à la réparation et à la fourniture de pièces détachées de modèle courant », alors que la seule maison importante, Walker et Cie (800 ouvriers), qui fabriquait des machines à filer, ne travaillait même pas pour l’industrie lainière274 !

    193Enfin, le tissage donne, sur le plan technique, l’impression d’une grande médiocrité. Les bâtiments sont presque toujours très rudimentaires : « Les bâtiments sont pour la plupart des hangars ordinaires à bon marché. Seules quelques usines nouvelles, en petit nombre, présentent des ateliers clairs et bien aérés, avec chauffage moderne, ventilation et humectation de l’air »275. Mais c’est évidemment sur le matériel de tissage que se concentrent les critiques des enquêteurs qui sont d’abord frappés du petit nombre de métiers automatiques en place en 1914 : environ 180 dans les tissages de laine et 150 dans les autres tissages, la plupart étant du type Northrop. Leur analyse est d’ailleurs confirmée par le rapport sur l’Exposition de Roubaix en 1911 où Sayet écrit : « Du point de vue technique, le tissage n’a guère fait de progrès. Les métiers automatiques sont surtout pratiques pour les tissus de coton ». Autre fait saisissant : l’extrême diversité du matériel (« Très peu d’usines ont l’avantage de posséder un outillage uniforme avec 1-2 sortes de métiers ») qui s’explique sans doute par l’absence de spécialisation des tissages : « Les articles les plus disparates sont fabriqués simultanément dans la même usine, et quand la mode change, on met sur le métier des produits entièrement différents ». Notons que c’était déjà la situation décrite par l’enquête de 1870 :

    « En France et surtout à Roubaix, nous sommes obligés de toucher à tout. Aussi, dans nos fabriques, les chômages arrivent fréquemment. Nous avons ce qu’on appelle l’intermittence de travail. Au lieu de produire une même chose, nous sommes obligés de faire trente articles différents. Nous faisons 500 pièces d’une sorte dans une semaine ; la semaine suivante, il nous faudra en faire 500 d’une autre sorte. L’intermittence de travail conduit à des façons plus chères. L’ouvrier n’a pas eu le temps de faire son apprentissage ; par conséquent, nous produisons plus chèrement »276.

    194Un exemple suffira pour illustrer ce fait : d’après un rapport de 1897, un fabricant possédant 400 métiers produisait de 100 à 150 articles différents277. Enfin, dernier trait structurel souligné par les enquêteurs allemands : la faiblesse du niveau technique des tissages du Nord :

    « Dans l’ensemble, la majorité des tissages est outillée d’une façon suffisante ou bonne, et il semble aussi que l’outillage soit en bon état d’entretien. Une série de quatorze usines, la plupart petites, avait un outillage tout à fait démodé ou délabré. On n’a constaté nulle part un niveau particulièrement élevé, ni une perfection particulière de l’outillage ; de même on n’a trouvé qu’un petit nombre d’établissements vraiment modernes et ayant un outillage abondant et de bonne qualité. Pour les lainages278, il n’y avait que 7 tissages qui fussent entièrement à la hauteur du progrès et pour les autres genres, 6 établissements »279.

    195Sans doute les enquêteurs allemands ont-ils clairement mis en évidence les faiblesses structurelles des entreprises lainières de Roubaix-Tourcoing sur le plan technique, mais « il ne faut cependant pas noircir à l’excès le tableau. (…) Même avec ses insuffisances, l’appareil lainier du Nord en 1913 apparaît encore fortement concurrentiel aux yeux des enquêteurs allemands »280. Dans cette perspective, trois éléments doivent être notamment retenus : 1. la puissance de l’outil de production, 2. la concentration géographique de firmes appartenant à tous les stades de la filière de transformation de la laine, ce qui entraîne des économies de proximité, et 3. une forme de gestion des entreprises qui compense l’archaïsme relatif de leurs conditions d’exploitation.

    VI. Un investissement insuffisant

    196C’est par la faiblesse de l’investissement que l’on a généralement cherché à expliquer le retard technique de l’industrie lainière281. D’après Jean-Pierre Daviet, en 1913, le total des actifs immobilisés dans les entreprises était seulement supérieur de 16 % à celui de 1890, alors qu’il était passé d’une trentaine de millions en 1865 à près de 200 MF en 1890282.

    1. Autofinancement et crédit bancaire

    197On a de nombreuses preuves de cet accroissement formidable du potentiel productif à partir du milieu du siècle. La plus saisissante est sans doute l’évolution du nombre de broches de filature qui, à Roubaix, passe de 145 000 en 1851 à 350 650 en 1890. La question essentielle est bien sûr de savoir comment les industriels l’ont financé. Il est évidemment impossible d’évaluer les contributions respectives du crédit bancaire et de l’autofinancement.

    Le rôle du crédit bancaire

    198Sans doute Claude Fohlen a-t-il eu raison de souligner que, pour la première moitié du xixe siècle, on constate « une divergence fondamentale entre les progrès rapides de la production industrielle et les lenteurs de l’organisation bancaire »283. Du reste, jusqu’au milieu du siècle, les opérations de banque inspirent une telle méfiance que « la plupart des contrats de société les interdisent expressément à tous ceux qui ont la signature sociale », si bien que, pour se procurer de l’argent, les entreprises ont essentiellement recours au crédit informel284. Mais le système bancaire local a commencé à s’organiser à partir de 1850-1855285 et on aurait tort de sous-estimer son rôle dans le financement des entreprises. Nombreuses et actives, les banques locales ont en effet pris une part importante à leur création :

    « Si l’habitant de la région du Nord témoigne une préférence envers les affaires de famille, c’est qu’il a l’esprit entreprenant. Il n’hésite pas à assumer, soit seul, soit avec quelques associés, le risque de l’entrepreneur. (…) De là, le grand nombre des entreprises personnelles, des commandites et des associations. Or, le banquier local du Nord joue un grand rôle dans leur création. Le plus souvent, elles ne se fondent qu’assurées à l’avance de son appui ; ou bien il les commandite directement, ou il y place une fraction de sa fortune personnelle. Les plus importantes sont presque toujours aux mains de ses amis ou de ses parents. Quelquefois il a été l’instigateur de l’entreprise, ou bien il a servi d’intermédiaire entre le capitaliste son client et l’entrepreneur »286.

    199D’ailleurs, la notice nécrologique du banquier tourquennois Jean Joire, décédé en 1865, ne signale-t-elle pas que « par son crédit, ses commandites et ses concours, il a été le promoteur d’un grand nombre d’entreprises et de créations commerciales »287 ? Quant à la banque Pollet, alliée aux plus riches manufacturiers, les Motte-Bossut ou les Masurel, elle avait avancé des fonds à plusieurs maisons de Roubaix et de Tourcoing, ainsi que le révéla sa faillite retentissante en 1867288.

    200Qui plus est, les banques ont également accompagné le développement des entreprises textiles :

    « Beaucoup de ces affaires privées se créent avec un fond de roulement calculé au plus juste et qui, dans maintes circonstances, doit être étendu au moyen d’avances à plus ou moins long terme. Et c’est à ces affaires personnelles que la banque locale, avant tout dispensatrice de crédit personnel, est surtout nécessaire »289.

    201Ces avances prenaient la forme d’avances en compte courant :

    « Les avances en compte courant étaient avant la guerre le principal objet de l’action des banques du Nord. La combinaison du compte courant avec une ouverture de crédit est un des procédés bancaires les plus usités dans les banques locales, c’est un de ceux qui rendent le plus de services au commerce et à l’industrie. Il donne, en effet, aux affaires une grande souplesse en permettant de proportionner avec la plus grande facilité les fonds de roulement aux besoins, de les adapter aux circonstances »290.

    202Au total, Claude Fohlen jugeait que cette « collaboration entre banque et industrie » était « propre à Roubaix »291. Il reste que, faute de disposer d’archives d’entreprises ou même de bilans suffisamment détaillés, il est absolument impossible d’évaluer l’importance du concours bancaire qui demeure mal connu, alors que le rôle de la famille et de l’autofinancement est beaucoup mieux documenté.

    L’autofinancement : ses différentes formes

    203La transformation technique du textile exigeait des capitaux importants. D’où provenaient-ils ? D’abord des bénéfices accumulés par les marchands-fabricants pendant la première moitié du siècle :

    « Ce qui avait manqué à l’industrialisation de Roubaix avant 1850, ce sont les capitaux. Dans ce domaine, les années 1850 marquent un changement radical (…). Dans le Nord, les sociétés sont avant tout familiales, ou bien les affaires sont individuelles : le secret des affaires est une condition de leur marche. Donc pas d’appels au crédit extérieur (…). Alors, où trouver les capitaux, sinon dans l’accumulation qui résulte de longues années de négoce ? Or tel était bien le cas de Roubaix : la plupart des entreprises des années 1850-1870 prolongent celles, artisanales, des fabricants de la Monarchie de Juillet. Or ces fabricants étaient plutôt des négociants dont la fortune personnelle n’était pas distincte de l’entreprise, et cette fortune était rarement immobilisée dans du matériel, puisqu’ils n’en avaient pas. Cet argent était donc frappé de stérilité (…). Mais la confiance renaissant avec la reprise foudroyante des affaires vers 1850, les capitaux immobilisés sont rentrés dans le circuit sous la forme d’investissements en bâtiments, machines et achats de matières premières. Entre temps, la technique avait fait des progrès, et pouvait offrir à ces capitaux un placement de choix. Il ne faut pas mésestimer le rôle de ces fabricants, agents de l’industrialisation de Roubaix »292.

    204D’autre part, les bénéfices mis en réserve pendant les années de prospérité sous le Second Empire, et notamment pendant la famine de coton, ont joué un rôle important. Certes, les bénéfices sont irréguliers d’une année à l’autre, mais ils sont toujours importants293. Aussi peut-on suivre Claude Fohlen quand il estime que, en cette période de rentabilité élevée, les profits épargnés ont constitué la plus grosse part du financement des entreprises294. Un train de vie assez frugal et un tempérament peu porté aux spéculations boursières (Roubaix et Tourcoing, contrairement à Lille, n’ont nullement participé aux premières sociétés minières) permirent de constituer des réserves qui trouvèrent à s’employer le moment venu.

    205Deux pratiques locales revêtent de ce point de vue une grande importance. La première est ce qu’on pourrait appeler l’essaimage familial. Au lieu de faire entrer les fils dans l’affaire familiale, on créait pour eux, le plus souvent sous forme de sociétés en nom collectif, de nouvelles entreprises dont on leur confiait la direction295. Le cas de Louis Leclercq éclaire bien cet état d’esprit et ses conséquences : lorsque, vers 1880, il accéda à l’âge de l’activité professionnelle, son père, Leclercq-Mulliez, fondateur de la maison Leclercq-Dupire, lui déclara : « Je n’ai pas besoin de toi, ou alors crée une nouvelle branche d’activité ». C’est ainsi que le jeune homme, sommé de faire ses preuves, adjoignit à la fabrication de doublures qui était la spécialité de la maison familiale un rayon de production de tissus pour hommes296. Cette pratique aboutissait tantôt à l’accroissement de la taille des firmes, tantôt à la formation de véritables groupes familiaux aux structures souvent très complexes. Le développement par scissiparité apparaît comme une variante de l’essaimage familial : en effet, lorsque les associés étaient trop nombreux, ils se séparaient, chacun fondant de son côté une nouvelle entreprise qu’il avait le souci de développer et de faire prospérer :

    « En 1894, comme il arrive bien souvent dans nos firmes, les associés étaient déjà nombreux, les branches Louis Tiberghien et Charles Tiberghien résolurent de se séparer et la raison sociale Tiberghien frères fut rachetée aux enchères par les fils de Louis. L’affaire comprenait alors 40 000 broches de filature et 1 000 métiers à tisser. La scission enleva à M. Charles Tiberghien la moitié de son matériel, et il n’eut de repos que lorsqu’il eut remonté ce qui lui manquait et dès 1900 (six ans après) il se retrouvait à la tête d’un peignage, de 50 000 broches à filer, 20 000 broches à retordre, 1 250 métiers à tisser, une teinture et apprêts, une fabrique de guipures et deux navires (…) »297.

    206Le second procédé de financement est la commandite. Son rôle est bien connu à Tourcoing où, sur les 122 sociétés créées dans l’industrie et le commerce textiles entre 1849 et 1870, un cinquième sont des commandites, ce type de société se développant surtout après 1856. La plupart des commanditaires étaient des négociants et des filateurs, leur objectif étant de consolider d’anciennes relations d’affaires ou d’étendre leurs débouchés, et leurs apports, quoique très variables, pouvaient être importants (en 1863, pour le peignage P. Dubrulle et Cie, les cinq commanditaires ont apporté 350 000 F)298. Ce mode de financement n’a pas été réservé à la première phase de l’industrialisation comme le souligne le rapport d’inspection de la Banque de France pour 1875 : sur les 50 sociétés textiles citées, huit sont des commandites mais le chiffre en était peut-être supérieur car il n’est pas sûr que toutes les notices étaient également renseignées. Quelques exemples montrent l’importance et les formes de ce phénomène. Funck Spies et Cie, commissionnaires à Roubaix, qui « ont commencé avec rien en 1866 (sont) commandités par Droulers de 600 000 F ». Morel et Cie, peigneur à Roubaix, est commandité pour 1 MF par Deregnancourt, lequel soutient aussi Merva, Marchand et Cie, en leur « souscrivant des valeurs de circulation ». On peut même observer des relations plus complexes : c’est ainsi que le fabricant Jean Bonnet, soutenu à ses débuts par P. Catteau, commandite à son tour un marchand en laines filées, Capron et Cie. Enfin, situation que l’on retrouve souvent dans le Nord où les industriels n’hésitent pas à soutenir les débuts en affaires de leurs anciens collaborateurs, Scorsery, marchand de laine à Roubaix et ancien employé de la maison Wattinne-Bossut, « commence les affaires avec un capital probablement très modique » mais jouit de « l’estime et du soutien » de Wattinne qui le commandite299.

    207En fin de compte, la question se pose de savoir si ces pratiques – autofinancement, commandite, essaimage, avances en prêts personnels consenties par les banques locales – qui avaient permis de financer l’énorme effort d’investissement réalisé par l’industrie lainière du Nord jusqu’en 1870, ont suffi, à la fin du siècle, pour assurer le financement de la modernisation et de l’expansion de l’outil de production.

    2. L’investissement sacrifié ?

    208Jean-Pierre Daviet propose l’explication suivante, qui mérite d’être discutée :

    « Il semble que la génération suivante ait voulu en quelque sorte récupérer sa mise et ainsi faire valoir des fonds en valeurs de placement plus diversifiées. L’investissement aurait sans doute continué si les bénéfices avaient été exceptionnellement élevés : il y aurait eu alors possibilité de combiner distribution et investissement industriel. Ce ne fut pas le cas, les bénéfices paraissant alors normaux, sans plus »300.

    209Cette explication articule en fait deux hypothèses distinctes qu’aucune preuve factuelle ne vient appuyer : d’une part, il y aurait eu réorientation de la gestion des entreprises au détriment de l’investissement industriel, et, de l’autre, la dégradation de la rentabilité n’aurait pas permis de faire face aux besoins de modernisation des entreprises.

    210Naturellement, pour vérifier ces hypothèses il faudrait disposer sur une longue période de ratios moyens de la branche du type de ceux élaborés aujourd’hui par la Centrale des Bilans de la Banque de France et connaître les écarts par rapport à la moyenne. Nous ne pouvons malheureusement raisonner qu’à partir de données sur un tout petit nombre de firmes, au surplus de tailles et de structures très différentes. Ce qui, évidemment, incite à la prudence.

    Un réinvestissement systématique des profits

    211Les bilans des Établissements François Masurel Frères pour les années 1903-1913 constituent un point de départ utile pour la réflexion301. Sans doute cette entreprise est-elle un peu exceptionnelle puisque c’est une des plus importantes de la place. Fondée en 1867, elle a été transformée en société anonyme avec un capital de 4 MF en 1903. En 1913, elle était équipée de 61 000 broches de renvideurs et de 1 600 de continus, employait 755 ouvriers et produisait 1 500 t de fils302. Impossible donc de considérer Masurel Frères comme un cas typique au sens de statistiquement le plus fréquent. Cela ne signifie pas cependant qu’il soit sans signification. Au contraire, puisque les structures de son bilan sont très proches de celles d’autres grandes sociétés de l’agglomération : Allart, Rousseau et Cie (peignage et filature de laine à Roubaix) (1910) et la Société anonyme de peignage Amédée Prouvost (1914)303. On peut donc penser que, grâce à cette étude de cas, il est possible d’identifier les caractéristiques de la gestion des grands établissements de l’agglomération, ceux qui avaient un rôle moteur sur le plan local et dont la gestion pouvait servir sinon de modèle, du moins de référence, à tous les autres.

    212L’analyse de la comptabilité de Masurel de 1903 à 1913 ne confirme pas l’hypothèse que l’investissement industriel a été sacrifié, puisque, en moyenne, les gérants ont conservé dans l’entreprise 60,9 % du profit de l’année. Ce qui est élevé, mais on ignore malheureusement comment le taux de rétention des profits a évolué par rapport à la première moitié du siècle. Sans doute la rigueur qui avait d’abord été de mise dans les familles patronales s’est-elle atténuée avec l’enrichissement, la transition vers un nouveau mode de vie s’accélérant après 1870 (demeures somptueuses édifiées au milieu de parcs dans des quartiers éloignés des usines, domesticités nombreuses, résidences campagnardes, réceptions mondaines, parties de chasse, mode du golf et de l’automobile, séjours dans les villes d’eaux, voyages à l’étranger…)304, mais si on en juge d’après l’exemple de Masurel, le réinvestissement systématique des profits a continué d’être la règle. Au-delà du cas Masurel, il semble d’ailleurs, d’après un rapport de la Banque de France, qu’on ait affaire à un comportement très général à Roubaix-Tourcoing : « Suivant les habitudes de la place, les bénéfices en excédent servent à amortir les usines ou à en créer de nouvelles, surtout à Tourcoing »305. Aussi est-ce moins l’autofinancement que le niveau de rentabilité de la société et les choix d’investissement qui sont en cause.

    La dégradation de la rentabilité

    213Plus on remonte dans le siècle, et plus les taux de profit semblent avoir été élevés. Pierre Deyon cite l’exemple d’une petite filature qui rapportait 33 % de bénéfice à ses propriétaires en 1842 et dont le comptable s’exclamait au bas de son inventaire : « Dieu soit béni et loué »306. Pour le Peignage Isaac Holden, en moyenne, le taux de profit s’élevait à 27,9 % en 1875-1879. Dans la petite filature de laine peignée Desurmont-Van den Berghe, le taux de profit s’établissait à 13,3 % en 1875307. Enfin, pour la maison Toulemonde-Destombe, le taux de profit moyen était de 11,4 % sur la période 1872-1875308. En revanche, les performances ont été beaucoup moins brillantes en fin de période. Chez Holden, le taux de profit n’était plus que de 3,9 % en 1890-1894. Quant à Masurel, la moyenne s’établissait à 5,2 % pour les années 1901-1913309.

    214Sans doute ne s’agit-il que d’exemples isolés mais ils semblent bien mettre en évidence une dégradation importante des résultats des entreprises. Comment l’expliquer ? Globalement, les conditions d’activité des entreprises se sont profondément transformées au cours du dernier tiers du siècle : si, jusque sous le Second Empire, les entreprises ont eu une profitabilité élevée grâce à la diffusion rapide du progrès technique et à l’extension des marchés permise par la baisse des prix, en revanche, les profits ont ensuite eu tendance à baisser « au fur et à mesure de la stabilisation du niveau technique, de la multiplication du nombre des producteurs dans le monde et de la progressive saturation du marché »310. Par contre, faute d’archives comptables accessibles, il est plus malaisé d’expliquer l’évolution au niveau des entreprises individuelles. Chez Holden, la chose est sans mystère : les prix de façon ont diminué plus vite que les coûts. Pour Masurel, où on ignore l’évolution antérieure de la rentabilité et où on ne possède pas les papiers de la direction, il est difficile d’expliquer son niveau dans les années 1900. Sans qu’on puisse aller plus loin, les données dont on dispose sur les conditions d’exploitation permettent toutefois de souligner que, même si la part des salaires dans la valeur de la production est restée stable, l’entreprise a subi une très nette dégradation de ses conditions d’exploitation. D’une part, elle a dû faire face à une augmentation sensible du prix de la laine qui est passé de 1,62 F le kg en 1903 à 2,45 F en 1913 (+51,2 %), si bien que la part de la matière dans le prix de vente a progressé de 21,6 % en 1903 à 31,9 % en 1913. D’autre part, du fait de conditions de marché vraisemblablement plus difficiles, elle a été contrainte d’accroître le crédit consenti à la clientèle. Enfin, le poids des frais financiers a augmenté en raison de l’accroissement des ressources empruntées à court terme.

    215Par ailleurs, il est possible que l’investissement ait été découragé par l’instabilité chronique des profits dans les années 1890 et 1900. Les rapports d’inspection de la Banque de France pour cette période signalent en effet des alternances de pertes énormes et de bénéfices considérables. C’est ainsi, par exemple, que Alphonse Six perd 2 MF en 1907-1908 que compensent, et au-delà, les beaux profits réalisés l’année suivante. Même scénario pour Léon Allard qui, après avoir perdu 3,5 MF en 1908-1909, en gagne 3,7 en 1909-1910311.

    216Cependant, à lui seul, le tassement de la rentabilité n’explique pas la réduction de l’investissement : en fait, la diminution des ressources disponibles pour l’investissement a été d’autant plus gênante que le renouvellement du matériel exigeait une plus forte dépense en raison de l’augmentation du prix des machines.

    217Malgré l’importance de la question, l’évolution du coût du matériel n’a pratiquement pas été étudiée. Il est vrai que l’absence de catalogues des fabricants de matériel textile et la très grande diversité des modèles rendent la recherche malaisée. Pour obvier à ces deux inconvénients, on a pris comme base documentaire la liste des achats de métiers à tisser de la firme lainière elbeuvienne Blin et Blin qui, pour les années 1870-1900, indique le prix de chaque type de métier312, et on a calculé un prix moyen par décennie. Quoique forcément schématique, le procédé fait apparaître un accroissement très marqué du prix des métiers qui, de 498 F en moyenne pour la période 1873-1880 est monté à 1 177 F dans les années 1881-1890, avant de grimper jusqu’à 1 908 F pour la dernière décennie du siècle. C’est dire que le prix d’un métier à tisser a été multiplié par quatre en trente ans ! Si bien que le financement de l’investissement a été pris en tenaille entre une rentabilité en baisse et des prix de machines en hausse. Ce qui, bien sûr, peut expliquer, au moins en partie, l’affaiblissement de l’investissement des entreprises après 1870.

    Un endettement important ?

    218Venons-en à la structure financière des grandes firmes lainières du Nord dont Jean-Pierre Daviet, s’appuyant sur des bilans simplifiés, souligne la fragilité : les fonds propres y sont insuffisants et l’endettement, important, leur est souvent supérieur313. Le montant des ressources propres s’élève en effet à 39,1 % chez Allart, 55,2 % chez Prouvost et 37,3 % chez Masurel. C’est dire que, dans deux cas sur trois, le développement de l’entreprise a été hors de proportion avec les ressources propres dont elle disposait et a été réalisé à crédit. Cette analyse appelle deux remarques. La première concerne la structure financière telle que le bilan la fait apparaître ; la seconde, plus radicale, la réalité même de l’endettement.

    219Les ratios de financement calculés à partir du bilan montrent que la situation de Masurel n’était pas si mauvaise, tant en ce qui concerne l’équilibre financier global que l’équilibre financier à court terme. D’une part, le ratio de financement des immobilisations (capitaux permanents/actif immobilisé) était très supérieur à 1 (2,7), ce qui signifie que le fonds de roulement était largement positif. D’autre part, le ratio de liquidité (actifs circulants/dettes à court terme) était relativement élevé (3,6), ce qui signifie que l’entreprise qui disposait de biens suffisants pour faire face à ses engagements à court terme avait une large marge de sécurité.

    220Par ailleurs, il n’est pas sûr que l’on puisse interpréter correctement la situation de l’entreprise à partir de bilans simplifiés. Le cas de Masurel sur lequel on possède des informations plus détaillées qui permettent de mettre en évidence la signification réelle des rubriques du bilan amène en effet à remettre en cause une analyse qui repose sur la distinction formelle, de nature juridique, entre fonds propres et ressources empruntées mais ne s’interroge pas sur l’origine de celles-ci, alors même que cela permettrait pourtant de dégager la logique réelle du financement de l’entreprise.

    Tableau 23. Bilan de F. Masurel Frères en 1903 (%)

    Immobilisations

    29,7

    Capital et réserves

    37,3

    Valeurs d’exploitation

    46,6

    Crédit long

    43,1

    Autres valeurs de roulement

    23,7

    Crédit court

    19,6

    Total

    11 701 225 F

    Total

    11 701 225 F

    Source : R. Clay, Structure économique et financière d’une filature, T. 1.

    221Décortiquons le cas de Masurel (Tableau 23). En 1903, la société a émis 4 580 obligations de 500 F au taux de 4 % remboursables en 50 ans (soit un montant total de 2 290 000 F). Curieusement, les souscripteurs sont peu nombreux : cinq, tous membres de la famille et déjà actionnaires. Ces obligations représentaient alors environ le quart des ressources disponibles314. Qui plus est, ainsi que le souligne la Banque de France, les ressources empruntées à court terme étaient constituées de « comptes créditeurs, dont la plus grande partie à des membres de la famille »315. C’était d’ailleurs une pratique générale : Jacques Toulemonde appelle également l’attention sur l’importance des comptes courants des associés dans l’entreprise familiale316. Ces comptes courants ont d’ailleurs un statut particulier qu’il faut souligner : certes, formellement, il ne s’agit pas de ressources propres de l’entreprise, mais ces dépôts n’ont pas non plus le caractère de volatilité qui est habituellement attaché au crédit par compte courant puisque les dépôts des associés sont alimentés notamment par leur part de bénéfices que les statuts leur font généralement obligation de laisser dans la caisse sociale et dont les gérants n’ont évidemment pas à redouter le retrait inopiné.

    222Au total, quoique sous des formes diverses (capital social et réserve, emprunt obligataire, dépôts en comptes courants), la plus grande partie des ressources mobilisées par Masurel est d’origine familiale, les capitaux extérieurs à la famille se réduisant en fait au crédit fournisseur (que les tableaux de Renée Clay ne permettent malheureusement pas de séparer des dépôts familiaux) puisque le crédit bancaire est pratiquement inexistant. Cette situation souligne assez que, même transformée en société anonyme, la société demeurait étroitement dépendante de la famille fondatrice pour son financement. La question se pose, évidemment, de la portée des leçons que l’on peut tirer de l’analyse du cas de Masurel. Cas d’espèce ou exemple représentatif ? Sans doute ni l’un ni l’autre, mais une entreprise qui, par ses structures, paraît caractéristique du peloton, il est vrai assez restreint, des très grandes entreprises locales. Aussi, et pour autant bien sûr que les conclusions tirées de l’analyse du cas de Masurel soient généralisables, c’est moins l’endettement des grandes sociétés lainières qui pose problème que la volonté de préserver leur caractère de sociétés familiales fermées alors que seul le recours à des capitaux extérieurs aurait permis de desserrer la contrainte de financement.

    Tableau 24. Évolution du nombre de sociétés anonymes à Roubaix, 1880-1913

    Image 10000000000001E4000000DC87777734F12705C9.jpg

    Source : A. Hennebicque, « A propos de la conjoncture économique dans l’arrondissement de Lille au début du xxe siècle », p. 79.

    223C’est également ce que suggère le tout petit nombre de sociétés anonymes que l’on rencontre à Roubaix317 (Tableau 24). Apparue seulement à la fin du siècle, la société anonyme ne s’est diffusée que lentement. En 1905, on n’en comptait encore que 12 pour 125 firmes. C’est dans le peignage, stade où les investissements sont les plus lourds, qu’elle semble avoir trouvé son terrain d’élection. En revanche, elle était peu présente au stade du tissage, beaucoup plus dispersé. De surcroît, dans bien des cas, la société anonyme n’était qu’un habillage des vieilles sociétés familiales qui n’avait d’autre objectif que de permettre une meilleure circulation du capital à l’intérieur de la famille en rendant plus faciles les cessions et les retraits. C’est le cas, par exemple, chez Masurel qui ne comptait que huit actionnaires, parmi lesquels cinq membres de la famille qui détenaient ensemble 3 940 actions sur 4 000 et 195 des 198 droits de vote aux assemblées générales318.

    224En somme, en refusant d’adopter la société anonyme ou en la vidant de sa substance, les industriels lainiers se sont privés d’un des moyens les plus efficaces de renforcement des fonds propres des entreprises, limitant par là-même leurs possibilités d’investissement.

    Modernisation ou expansion ?

    225L’insuffisance des ressources disponibles n’est peut-être pas la seule explication du retard technique, limité au demeurant, du matériel utilisé dans le Nord. On peut penser également que les choix des industriels n’y étaient pas pour rien. En effet, ils ont clairement préféré l’expansion de leur outil de production par la création d’usines en France ou à l’étranger à la modernisation des établissements existants – Eugène Motte ne déclarait-il pas lors de l’enquête de 1904 : « Nous avons les mêmes peigneuses qu’en 1872 et les mêmes cardes qu’en 1865 » –, le matériel n’étant pas remplacé tant qu’il était en bon état et fonctionnait correctement319. Les enquêteurs allemands ont clairement noté le fait mais considéraient que c’était la conséquence d’un type de gestion dans lequel ils voyaient un trait typiquement français :

    « La tendance propre aux entrepreneurs français d’utiliser les installations existantes tant qu’elles ne sont pas une cause de pertes, peut être constatée nettement dans la région occupée. Comme les installations d’usines existent depuis longtemps, et ont été transmises pour la plupart par héritage, toutes les recettes que fait le fabricant, déduction faite des frais d’achat des matières premières, des produits mi-fabriqués, des salaires, des appointements et des impôts, sont entièrement du bénéfice net. Les intérêts des frais de premier établissement et l’amortissement n’existent plus dans la plupart des établissements, qui, bien qu’ils aient en apparence la forme de sociétés, sont cependant plus ou moins entre les mains de quelques membres d’une même famille. Tandis qu’en Allemagne cette situation financière inciterait les établissements à améliorer sans cesse leur outillage, et que souvent l’on ne peut même attendre le moment d’avoir amorti entièrement une installation pour la remplacer par une installation nouvelle, d’un rendement encore plus économique, les Français, dans leur mentalité de rentiers, se cramponnent craintivement pendant des années à un outillage dont ils tirent pendant des années le même revenu, et ils conservent cet outillage comme un souvenir de famille précieux »320.

    226Au contraire, de 1890 à 1914, les patrons du textile ont multiplié les créations d’usines, et cela sur un rythme qui n’a rien à envier à la période précédente. Quelques exemples : la société Toulemonde-Destombes construit une filature de laine à Roubaix, une autre de coton à Tourcoing, une teinturerie à Louviers, alors que César Pollet crée une filature, une retorderie et un tissage, Masurel une filature à Fourmies, Paul Leurent une nouvelle filature à Tourcoing, Gavrois-Mathieu une teinturerie à Louviers, Louis Bonte une filature à Maufait, Georges Masurel un tissage au Cateau et un second à Tourcoing, la Filature du Nord une filature de peigné et une de cardé ainsi qu’un tissage, Charles Tiberghien sept usines après s’être séparé de Tiberghien frères en 1894, et André Lepoutre, lui aussi séparé de ses associés, le peignage de Beaurepaire et la filature de Kellerman, sans même parler bien sûr des nombreux établissements édifiés par les principaux industriels de la place (Tiberghien, Motte, Lepoutre, Roussel, Toulemonde, Six…) en Belgique, en Italie, aux États-Unis et en Europe de l’Est. Si les usines anciennes étaient rarement modernisées, en revanche, les usines nouvelles étaient équipées des machines les plus modernes. C’est ainsi que les continus à filer de la filature de l’Epinette ou de la nouvelle filature Caulliez-Delaoutre, toutes deux montées en 1911, ou les métiers à retordre du groupe Motte en Pologne étaient munis de moteurs électriques indépendants, alors que les usines anciennes n’étaient guère touchées par l’électrification de la fabrication321.

    227Au total, maintien en l’état du matériel ancien et création de nouvelles usines équipées de matériel moderne – telle semble avoir été la politique d’investissement des patrons de Roubaix-Tourcoing qui ont choisi de consacrer l’essentiel des ressources disponibles à l’accroissement de leur capacité de production en créant de nouvelles usines et à la conquête de nouvelles positions commerciales en s’implantant à l’étranger. Du reste, cette politique d’expansion n’était pas forcément irrationnelle dés lors que la technique textile ne faisait que des progrès limités.

    VII. Le processus de concentration

    228Faute de disposer de statistiques homogènes et continues sur le nombre et la taille des établissements textiles, il est difficile d’étudier l’évolution de la concentration sur l’ensemble de la période. Il est néanmoins possible, sur la base de données incomplètes – elles ne concernent ni tous les aspects du phénomène, ni tous les stades de la filière de production – de mettre en évidence à la fois les facteurs qui ont freiné le processus de concentration et les formes qu’il a prises.

    229L’absence de spécialisation et le recours très large au travail à façon ont bien sûr freiné le processus de concentration. En filature comme en tissage, les industriels proposaient la gamme de produits la plus large possible et cela, bien sûr, n’a pas été sans conséquences sur les structures des entreprises. Le fait a été noté par les enquêteurs allemands qui se sont étonnés, d’une part, que les filatures fabriquent un très grand nombre de numéros de finesse de fils et, de l’autre, que, au tissage, « les articles les plus disparates (soient) fabriqués simultanément dans une même usine », beaucoup d’établissements produisant d’ailleurs à la fois des étoffes bon marché et de bonne qualité. Par ailleurs, ils ont considéré comme « un fait frappant » qu’un « grand nombre de filatures et de carderies travaillent exclusivement à façon », mais naturellement l’observation peut-être étendue à l’ensemble des opérations de la fabrication du tissu.

    230L’enquête permet du reste de prendre la mesure de la faiblesse de l’intégration verticale : sans doute une retorderie était « presque toujours » annexée aux filatures, mais peignage et filature n’étaient associés que dans cinq établissements, alors que 14 tissages seulement possédaient une filature. De plus, il n’y avait qu’un tout petit nombre de maisons à réunir toutes les opérations de transformation de la laine en tissu : Charles Tiberghien et fils, Tiberghien frères, Auguste Lepoutre et Cie, et Leclercq-Dupire322. Les contemporains voyaient d’ailleurs dans la faiblesse de l’intégration verticale un des traits caractéristiques de l’industrie de Roubaix-Tourcoing :

    « Jusqu’en 1870, dans le département du Nord, (les) diverses branches d’activité étaient isolées les unes des autres. Depuis, les industries se sont plus ou moins agglomérées, surtout filature et tissage, filature et bonneterie. Même si l’on voit certaines organisations « verticales » comprenant les quatre stades de transformation, elles sont limitées aux affaires gérées par de très grandes familles, qui spécialisent leurs enfants dans l’une ou l’autre des branches suivant leurs aptitudes. Mais l’on peut dire que la division de l’industrie, la spécialisation dans les transformations, a fait la force de notre centre, a été la source de son succès et continue à s’affirmer comme la meilleure des conceptions »323.

    1. La prépondérance des établissements moyens

    Tableau 25. Répartition des filatures selon le nombre d’ouvriers, Roubaix-Tourcoing, 1914

    Nbre d’ouvriers

    Nbre de filatures

    En %

    Nbre d’ouvriers en %

    -100

    14

    20,0

    6,4

    100-200

    29

    41,4

    27,0

    200-300

    13

    18,6

    20,2

    300-500

    8

    11,4

    19,5

    500-1000

    6

    8,6

    26,9

    Total

    70

    –

    17 001

    Source : d’après L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    231C’est sans doute ce qui explique la structure dispersée des entreprises. Numériquement, les établissements petits et moyens prédominaient largement. En filature, le seul stade pour lequel on dispose de données précises et complètes en 1914, 43 établissements sur 70, soit 61,4 %, occupaient moins de 200 salariés, 14 même en ayant moins de 100 (Tableau 25) ; et 28 établissements, soit 40 %, disposaient de moins de 10 000 broches324 (Tableau 26).

    Tableau 26. selon le nombre de broches, Répartition des filatures Roubaix-Tourcoing, 1914

    Nbre de broches

    Nbre de filatures

    En %

    Nbre de broches en %

    -5 000
    5-10 000
    10 000-15 000
    15 000-20 000
    20 000-50 000
    + 50000

    7
    21
    16
    11
    12
    3

    40
    30
    22,8
    15,7
    16,9
    4,3

    2,3
    14,3
    18,6
    20,2
    26,3
    18,3

    Total

    70

    –

    1 052 790

    Source : d’après L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    232Il faut cependant souligner que, du point de vue de la répartition des effectifs, les établissements moyens, ceux occupant entre 100 et 300 ouvriers, l’emportaient nettement : au nombre de 42 sur 70, ils formaient 60% du nombre des établissements et faisaient travailler 47,2 % du personnel. En revanche, du point de vue de la répartition du matériel, la position des établissements moyens, ceux possédant entre 10 et 20 000 broches, était un peu moins favorable : au nombre de 27, ils représentaient seulement les deux cinquièmes des effectifs salariés (38,6 %) et des broches en activité (38,8 %).

    233Sauf en peignage, stade le plus capitalistique de la branche où les grands établissements l’emportaient nettement (l’établisse ment moyen comptait 779 ouvriers), l’industrie lainière s’organisait autour des établissements de taille moyenne. C’est ce que montre une statistique sur la structure de l’industrie textile à Roubaix en 1897 : la taille moyenne des établissements s’y établissait alors à 142 ouvriers en filature (avec 315 ouvriers par établissement, la filature de coton était nettement plus concentrée) et 239 en tissage325 (Tableau 27). Ces chiffres ne sont d’ailleurs pas très éloignés de ceux donnés par Paul Descamps en 1910 : d’après lui, l’usine moyenne comptait 900 ouvriers en peignage, 150 en filature et 250 en tissage326 (Tableau 28).

    Tableau 27. Structure de l’industrie textile à Roubaix, 1897

    Nbre d’ouvriers

    Nbre d’établissements

    Nbre d’ouvriers par établissement

    Peignage
    Filature laine
    Filature coton
    Tissage
    Total

    6 230
    4 270
    3 470
    15 561
    29 531

    8
    30
    11
    65
    114

    779
    142
    315
    239
    259

    Source : d’après ADN, M 572/21.

    Tableau 28. L’usine moyenne à Roubaix-Tourcoing, 1910

    Ouvriers

    Matériel

    Puissance (CV)

    Capital (MF)

    Peignage
    Filature
    Tissage

    900 150
    250

    –
    17 000 broches
    200 métiers

    1 500
    450
    260

    4
    1
    0,3

    Source : d’après P. Descamps, « La Flandre française : les patrons de l’industrie textile », p. 43.

    234Il reste qu’on aurait tort de noircir le tableau – les enquêteurs allemands se gardaient d’ailleurs bien de le faire – au risque, comme le font certains auteurs327, de sous-estimer l’importance de la concentration. Certes, les petits (moins de 10 000 broches et de 100 ouvriers) et moyens établissements (entre 10 et 20 000 broches et entre 100 et 300 salariés) dominaient nettement en nombre mais, en revanche, les grands établissements (plus de 20 000 broches et plus de 300 ouvriers) l’emportaient de manière incontestable pour l’importance tant du matériel que du personnel, alors qu’ils représentaient à peine le cinquième de l’effectif du groupe.

    235En effet, sur les 70 filatures de l’agglomération, 14 occupaient plus de 300 ouvriers, ce qui représentait 46,4 % du personnel total, alors que 6 en employaient entre 500 et 1 000, leur part s’élevant à 26,9 %. Les données concernant la répartition du matériel sont convergentes : les 15 filatures qui disposaient de plus de 20 000 broches (soit 21,2 % de l’effectif) contrôlaient 44,6 % du potentiel de production. Trois d’entre elles (4,3 %) se distinguaient même par leur puissance : avec de 60 à 70 000 broches chacune, elles possédaient 18,3 % du total des broches de l’agglomération. Ajoutons que 14 établissements avaient un capital investi égal ou supérieur à 2 MF, quatre dépassant même la barre des 3 MF (Masurel Frères, Charles Six, La Lainière de Roubaix, Tiberghien frères)328. C’est dire la puissance de ce petit groupe, d’ailleurs accrue par l’appartenance de certaines à des groupes familiaux qui détenaient plusieurs filatures, ce qui leur donnait la possibilité de spécialiser la production.

    236De surcroît, la taille moyenne des établissements roubaisiens a progressé tout au long de la période. En filature, le nombre moyen de broches par établissement a en effet presque triplé : 6 244 en 1873, 10 986 en 1897 et 15 964 en 1913329. Le nombre moyen de salariés s’est également accru : 50 en 1872, 142 en 1897 et 220 en 1914. À la veille de la guerre, avec 269 ouvriers, la taille moyenne des filatures était d’ailleurs un peu supérieure à Tourcoing où se trouvaient les établissements les plus importants330. Les indications que l’on possède sur le tissage donnent à penser que la situation y était comparable avec à la fois la prépondérance des établissements moyens et le renforcement de la concentration331.

    2. Grandes entreprises et groupes familiaux

    237Par ailleurs, et c’est un trait qui distingue Roubaix-Tourcoing de toutes les autres places lainières françaises, la concentration de l’industrie s’est réalisée à travers la formation de grands groupes familiaux, souvent polyvalents, réunissant plusieurs établissements et employant plusieurs milliers de salariés.

    238Même s’il est devenu courant – on le rencontre en effet chez Michel Battiau, Jean-Pierre Daviet ou Louis Bergeron –, l’emploi de la notion de « groupe » pour désigner ces constellations d’entreprises familiales doit être justifié tant le sens qui lui est prêté ici est éloigné de celui que lui donnent communément les économistes332. Introduit à la fin du xixe siècle, le concept de groupe désigne un ensemble de sociétés unies par des liens financiers complexes et relevant de la même autorité économique qui définit la politique générale du groupe et exerce un pouvoir de contrôle sur l’ensemble des sociétés qui le composent. Il est formé d’un ensemble hiérarchisé de sociétés juridiquement distinctes : société-mère, filiales et sous-filiales. Par groupe familial, on entendra, au contraire, un ensemble de sociétés dont l’unité résulte de la communauté de leurs dirigeants-propriétaires qui appartiennent à une même famille. Il n’y a donc pas, entre les sociétés du groupe, de système hiérarchisé de relations financières : autrement dit, il n’y a ni société-mère ni filiales. Ce sont des liaisons familiales qui servent de trait d’union entre des sociétés indépendantes du point de vue financier. La famille exerce son contrôle sur chaque société du groupe en détenant la totalité ou une partie importante de son capital et en en confiant la direction à un de ses membres. Malgré la multiplication et la dispersion des entreprises, l’unité du groupe est maintenue grâce, d’une part, à un fort sentiment de solidarité familiale qui subordonne les intérêts de chacun des associés à ceux de la famille qui apparaît comme une sorte de réalité transcendentale et, de l’autre, à la reconnaissance par tous les membres de la famille de l’autorité du « chef de maison », le plus souvent le fils aîné.

    239Parmi la douzaine d’entreprises qui dépassent nettement la barre des 1 000 ouvriers au début du xxe siècle333, seules six répondent précisément à cette définition : Eugène Motte (7 000 ouvriers, dont 70 % à Roubaix), Lepoutre (6 000, dont 87 % à Roubaix), Allart (3 500, dont 43 % à Roubaix), Prouvost (3 000, Roubaix), Charles Tiberghien (2 700, Tourcoing), et Tiberghien frères (2 200, Tourcoing). Etudions les mieux documentés.

    240Le groupe Motte, dont la première pierre a été posée par Alfred (1827-1887) en 1852, réunissait dans les années 1900 peignage, filature de laine et de coton, bonneterie, tissage de coton, teinturerie et apprêts. Dans son rapport pour 1911, l’inspecteur de la Banque de France évaluait à une vingtaine de millions de francs les capitaux mobilisés par ce groupe qui résulte d’une stratégie d’expansion continue, des sociétés étant créées dans tous les domaines d’activité textile en association tantôt avec des parents, tantôt avec des techniciens qui ont d’abord été de simples salariés (Delescluze, Meillassoux, Marquette, Blanchot…) que les Motte plaçaient à la tête de leurs usines. Organisé autour de trois entreprises principales – le peignage Albert Motte et Cie (1879), la filature de laine Motte, Meillassoux et Caulliez, et la société de filature et tissage de coton les Fils d’Alfred Motte (1893) –, le groupe comptait au moins 29 sociétés sur le territoire français dont plusieurs en dehors de l’agglomération roubaisienne (Fourmies, Corbie, St Fond). De surcroît, il avait essaimé en Belgique toute proche (quatre usines), et surtout en Russie et en Pologne où il a multiplié les usines à partir de 1889, avant, pour les gérer, de créer en 1900 une société anonyme au capital de 12,5 MF dans laquelle les Motte étaient associés à plusieurs industriels du Nord et au lyonnais Gillet qui avait été l’ami et le confident d’Alfred Motte334.

    241Le groupe Lepoutre dont les origines remontent au début des années 1850 ne prit réellement son essor que dans les années 1880, les trois frères (Augustin, Louis et André) multipliant dès lors créations et acquisitions. Le groupe s’articulait autour de deux ensembles principaux : d’une part, Lepoutre et Cie, société dans laquelle les trois frères étaient associés et qui coiffait huit établissements et, de l’autre, la société Lepoutre André qui en contrôlait six. À la veille de la guerre, le groupe rassemblait des usines de peignage, filature, tissage et teinturerie ainsi qu’une fonderie et des ateliers de construction mécanique. De plus, il possédait un tissage de draperie à Aix-la-Chapelle (300 ouvriers) et un peignage avec filature (600 ouvriers) à Woonsocket dans le Rhode Island, au nord-est des États-Unis. Très riches, les trois frères passaient pour avoir chacun plus de 4 MF, et on supposait qu’ils possédaient en outre d’importants intérêts dans des compagnies de transport maritime335.

    242Quant au groupe Prouvost, il s’est développé à partir du peignage Amédée Prouvost créé en 1851, transformé en société anonyme au capital de 12 MF, auquel sont venues s’ajouter une filature de coton, une filature de laine, La Lainière de Roubaix, créée en 1910, et une maison de négoce, Prouvost et Lefèbvre. La Lainière, notamment, où les Prouvost avaient investi 3,2 MF et faisaient travailler 800 ouvriers, impressionne par sa puissance : elle rassemblait une filature de laine peignée, une filature de laine cardée et une fabrique d’articles tricotés et brodés qui fabriquaient 100 t de produits de haute qualité par an336.

    243Enfin, le groupe Charles Tiberghien est né de la séparation, en 1894, des branches Louis et Charles. En quelque années, Charles fit mieux que reconstituer la puissance de son affaire. En 1900, il était à la tête d’un peignage, de 50 000 broches à filer, 20 000 broches à retordre, 1 250 métiers à tisser, une teinture et apprêts, une fabrique de guipures, plusieurs maisons d’achat de laines dans l’hémisphère sud et deux navires qui assuraient leur transport entre le pays d’origine (Argentine, Australie) et Dunkerque337.

    244Tous ces groupes se sont développés selon deux logiques bien distinctes : d’une part, ils réunissaient des établissements qui étaient techniquement complémentaires et géographiquement proches ; de l’autre, les sociétés créées dans des pays étrangers (Pologne, Russie, Allemagne, États-Unis…) ont permis l’implantation sur des marchés protégés par des barrières douanières élevées.

    245Deux traits essentiels caractérisent ces groupes qui constituent de véritables nébuleuses associant des entreprises juridiquement indépendantes : leur base familiale et une forme souple d’intégration. Parenté et liens financiers y sont étroitement confondus. En effet, dans tous les cas, la solidarité familiale a formé la base de leur développement : chez les Motte, les Prouvost, les Lepoutre ou les Tiberghien, ce sont les descendants directs du fondateur, associés entre eux, qui président aux diverses activités du groupe. Mais, dans certains cas, les unions matrimoniales sont venues consolider a posteriori les relations d’affaires. C’est le cas notamment du groupe Prouvost qu’il serait peut-être plus exact d’appeler Prouvost-Lefèbvre tant les intérêts des deux familles étaient étroitement imbriqués depuis leur association en 1851 dans la création du peignage Amédée Prouvost puisque, par « le jeu des alliances croisées (…), les solidarités familiales se (sont resserrées) à chaque génération »338.

    246Par ailleurs, ces groupes constituent des ensembles intégrés dont Paul de Rousiers a bien montré l’originalité du fonctionnement. Analysant le développement de l’industrie lainière avant la première guerre mondiale, de Rousiers a très justement souligné que la diversité et l’irrégularité de la fabrication ont constitué un « obstacle constant » à l’intégration qui n’a pu se maintenir que lorsque les entreprises étaient restées fidèles à la fabrication d’étoffes classiques ou produisaient des tissus communs à partir de laine renaissance, l’uniformité de la production permettant alors un équilibre constant entre les différents ateliers de l’usine, notamment entre la filature et le tissage. La diversification de la fabrication exigeait donc une forme plus souple d’intégration afin de libérer l’industriel « du constant souci d’un équilibre impossible à obtenir », dont de Rousiers fait l’analyse à partir de ce qu’il appelle le « système Motte ». C’est du reste après avoir échoué dans l’intégration complète de toute la production qu’Alfred Motte fonda toute une série d’usines qui étaient liées entre elles sur le plan financier et se complétaient mais qui, toutes, demeuraient indépendantes sur le plan productif et commercial, chacune étant maîtresse de ses approvisionnements, de ses fabrications et de ses ventes339. Paul Descamps caractérisait très justement ce type d’organisation comme « une déformation du système d’intégration due à la fabrication des lainages fantaisie et tissus mélangés, et cette déformation a consisté à réaliser l’intégration banquière plutôt que l’intégration industrielle »340.

    3. Une erreur de perspective

    247Au total, l’industrie de Roubaix-Tourcoing faisait coexister des établissements de tailles très différentes : à côté de petits établissements encore nombreux, mais qui ne représentaient qu’une faible part du potentiel productif local, on rencontre des établissements moyens qui rassemblaient entre 30 et 40 % du personnel et du matériel et, enfin, une poignée de grandes entreprises, certaines très grandes, qui dominaient l’activité de toute l’agglomération. La structure productive de l’industrie lainière du Nord est donc plus complexe que ne le donnent à croire les analyses d’auteurs qui se sont appuyés essentiellement sur l’enquête allemande sur l’industrie dans la France occupée qui, certes, constitue une source d’information irremplaçable, mais dont ils ont négligé les limites.

    248Sans doute la comparaison avec l’industrie allemande à laquelle procèdent systématiquement les enquêteurs permet-elle de faire ressortir les spécificités de l’industrie du Nord par rapport à sa rivale d’outre-Rhin. Toutefois, elle entraîne une sorte d’erreur de perspective puisqu’elle détourne d’observer les différences, pourtant profondes, entre le complexe de Roubaix-Tourcoing et les autres centres lainiers français où la taille moyenne des établissements était, à tous les stades, beaucoup plus faible et où, de surcroît, les entreprises de plus de 1 000 salariés étaient presque complètement absentes.

    249D’autre part, cette espèce de fascination pour le « modèle allemand » rend difficile l’explication de la situation de l’industrie nordiste et de son fonctionnement puisqu’elle conduit à juger du niveau de concentration dans l’abstrait, alors même qu’il dépendait à la fois de la technique utilisée et de la structure des marchés341. C’est ainsi que Janine Levain, Jacques Rougerie et André Straus peuvent écrire :

    « Dans quelle mesure la persistance du travail à façon a-t-elle nui à la mise en place de grosses unités de production usant d’un matériel moderne et pourquoi ce mode de production s’est-il maintenu si tard ? On peut envisager deux explications d’ailleurs non exclusives l’une de l’autre : l’une d’ordre psychologique mettant en avant le conservatisme d’un patronat textile peu apte à appréhender les conséquences de l’industrialisation ; l’autre d’ordre purement économique : les industriels de Roubaix-Tourcoing auraient fait de « pauvreté » vertu. Devant l’insuffisance du marché financier, ils auraient privilégié l’autofinancement de leurs firmes, le manque d’apport externe de capitaux limitant alors les possibilités de modernisation »342.

    250Ces deux facteurs ont vraisemblablement joué un rôle, mais certainement moins que la taille des marchés : à Roubaix comme dans tout le textile français, « cette structure dispersée correspondait à une stratégie qui tendait à diviser les risques dans le cadre d’un marché marqué par son incertitude »343. C’est dire qu’il existait une certaine cohérence entre le marché, le produit et l’organisation de la production. C’est que, comme l’a bien vu Paul de Rousiers, la production était trop diverse et changeante pour que la spécialisation et l’intégration fussent viables. Ce qui imposait tout à la fois des limites au processus de concentration et un large recours au travail à façon. La très nette préférence que l’on observe pour l’entreprise moyenne n’a sans doute pas d’autres raisons, mais aussi l’agglutination de quelques grandes groupes familiaux qui, en quelque sorte, conjuguaient les avantages de la dispersion et de l’intégration.

    Conclusion

    251À la veille de la première guerre mondiale, Roubaix-Tourcoing dominait de manière écrasante toute l’industrie lainière française, sa part tant dans le matériel et le personnel que dans le chiffre d’affaires de la branche n’ayant cessé en effet de s’accroître au cours du demi-siècle précédent. Sans doute depuis que Roubaix-Tourcoing était revenu à la laine, le terrain avait-il été préparé par de nombreuses innovations, mais c’est à la prospérité artificielle créée par la guerre de Sécession que Roubaix doit la transformation décisive de ses structures et son essor. Cependant, cette « chance habilement exploitée »344 n’explique pas tout puisque d’autres villes spécialisées dans le travail de la laine peignée, Reims notamment, ont également profité de cette conjoncture bénéfique pour faire évoluer leurs structures et conquérir de nouveaux marchés. Dans les deux cas, également, la croissance a été portée par l’orientation de la demande en faveur des tissus en laine peignée qui n’a cessé de s’affirmer. D’autres facteurs doivent donc être pris en considération pour expliquer pourquoi la sélection s’est finalement opérée en faveur de Roubaix.

    252Plusieurs éléments qu’il est difficile de hiérarchiser paraissent avoir joué un rôle décisif.

    253• Les patrons du Nord, d’ailleurs professionnellement mieux préparés à leur métier de chef d’entreprise que ceux des autres centres, étaient caractérisés par une volonté forte d’assurer la continuité de leurs affaires en réinvestissant systématiquement les profits, l’argent de l’industrie retournant ainsi à l’industrie.

    • La densité des relations familiales entrecroisées, la forte homogénéité sociale et culturelle du patronat et la proximité géographique sont au fondement de relations de confiance, de coopération et de solidarité qui ont facilité le fonctionnement du système des entreprises en lubrifiant les rapports de sous-traitance, en favorisant la circulation de l’information et de l’innovation, et en stimulant la cristallisation d’institutions de régulation du marché.

    • L’imbrication avec le négoce a permis à l’industrie de contrôler ses approvisionnements en procédant à des achats directs dans les pays producteurs et de bénéficier ainsi de l’évolution du cheptel des pays neufs en faveur des laines croisées que préférait la filature peignée.

    • Grâce à une forte croissance démographique auquel l’afflux de Belges n’a pas peu contribué, l’industrie nordiste a bénéficié d’une main-d’œuvre abondante, mobile et meilleur marché.

    • Des structures productives plus puissantes, plus concentrées, plus mécanisées et, l’effet de filière jouant à plein, plus cohérentes, ont donné au Nord la possibilité de produire davantage, dans des conditions plus avantageuses.

    • Roubaix-Tourcoing se distinguait par une bonne adaptation de ses produits à une demande croissante de tissus légers, souples et moins chers, ses entreprises faisant preuve de surcroît d’une grande capacité à innover pour s’adapter à l’évolution de la mode tout en préservant la réputation de qualité et de bon goût qui a fait le succès de « l’article de Roubaix ».

    • Enfin, le contrôle de la plus grande partie du commerce des laines, la fourniture de fils peignés aux centres où la filature de laine peignée était inexistante ou en déclin, le travail à façon au profit de ses fabricants de villes dont l’activité était incomplète et déséquilibrée, et la création ou le rachat d’entreprises dans la plupart des autres centres textiles, ont contribué à renforcer la domination de Roubaix-Tourcoing sur l’ensemble de la branche et, du même coup, à affermir les conditions de son expansion ultérieure.

    254Cependant, et même si elles sont passées inaperçues dans le climat d’autosatisfaction collective suscité par les succès remportés et l’Exposition de 1911, des faiblesses inquiétantes pour l’avenir sont apparues dans les années 1900 qui n’ont pas échappé à la curiosité des enquêteurs allemands. D’une part, dans beaucoup d’entreprises, le matériel n’était pas tenu à la pointe du progrès, la dégradation de la rentabilité freinant l’investissement et l’expansion de l’outil de production étant préférée à la modernisation des usines. D’autre part, du fait du manque d’ampleur des marchés, la concentration et la spécialisation des entreprises étaient insuffisantes. Enfin, sur le plan commercial, on constate une sorte d’essoufflement : sans doute, les ventes de Roubaix-Tourcoing ont-elles progressé aux dépens des autres villes lainières françaises qui ont vu, pour la plupart, leur chiffre d’affaires s’affaisser, mais sur les marchés étrangers les ventes sont devenues plus difficiles, non seulement en raison de la poussée généralisée du protectionnisme mais aussi de l’intensification de la concurrence et de la faiblesse des efforts consentis par les Nordistes pour développer leurs exportations.

    Notes de bas de page

    1 D. J. Leuridan, T. 5, 1863, p. 156. Cette formule ne signifie évidemment pas que Roubaix-Tourcoing a eu la même puissance que Manchester ou la même place dans la genèse du factory system, mais se situe sur un autre plan : celui des représentations et de la construction des identités. En s’autoproclamant le « Manchester français », Roubaix s’inscrivait dans un jeu croisé de revendications d’identité : à l’époque, Rouen a été comparé à Manchester, Elbeuf se faisait appeler le « Leeds français », Bischwiller rêvait d’être le « Mulhouse du Bas-Rhin » et Mazamet tirait sa fierté d’être « l’Elbeuf du Midi ». Ces quelques exemples, que l’on pourrait d’ailleurs multiplier, soulignent toute l’importance dans le processus de cristallisation de l’identité locale des références (auto-) légitimatrices à des villes manufacturières dont le succès et la réputation justifiaient qu’on les prît pour modèles à égaler ou à dépasser.

    2 M. Raman, 1973, p. 475.

    3 M. Raman, 1973, p. 476, 478 et 480.

    4 M. Lévy-Leboyer, 1964, p. 128-129.

    5 M. Lévy-Leboyer, 1964, p. 128.

    6 M. Raman, 1973, p. 484.

    7 ADN, BA 10740, ACCR, 1870-1914.

    8 P. Hilden, 1986, p. 72.

    9 M. Raman, 1973, p. 492 et 498.

    10 Exposition internationale universelle de 1900, 1902, p. 457-458. C’est ce qui ressort également de la répartition des 129 fabricants de tissus recensés en 1888 : 26 fabricants de draperies, gilets, pantalons, 18 fabricants de lainages, 9 fabricants de velours, 8 fabricants de tissus d’ameublement, 2 fabricants d’articles noirs, 1 fabricant d’articles en lin, et 65 fabricants de nouveautés. Cf. ADN, BA 10740, ACCR, 1888.

    11 AN, F 12/6886.

    12 G. Sayet, 1912, p. 294.

    13 Exposition internationale universelle de 1900, 1902, p. 463.

    14 AN, F 12/6886.

    15 J. P. Daviet, 1987, p. 786.

    16 J. Levain et alii, 1983, p. 79-85 ; J. P. Daviet, 1987, p. 786 ; C. Petillon, 1996, p. 80-81 ; G. Franchomme, 1969, p. 227.

    17 C. Petillon 1996, p. 781.

    18 ADN, BA 10740, ACCR, 1878 et 1880.

    19 Cité par G. Teneul, 1962, p. 139.

    20 Enquête, 1870, p. 313.

    21 ADN, BA 10740, ACCR, 1878. Réponse de la chambre de commerce de Roubaix à l’enquête sur le tarif général des douanes, juillet, 1878.

    22 Toutes les informations statistiques concernant les échanges de produits lainiers sont issues du Tableau général du commerce et de la navigation de la France dont la Direction des douanes publie une édition annuelle. La référence ne sera plus répétée.

    23 Shoddy : littéralement, camelote. Terme qui désigne les tissus fabriqués à partir de laine renaissance (effilochés).

    24 E. M. Sigsworth, 1990, p. 182-183.

    25 C. Fohlen, 1956, p. 392-393 et 407-409.

    26 Faute de disposer de statistiques sur l’évolution des ventes de tissus de Roubaix à l’étranger, on a raisonné sur les chiffres nationaux en volume fournis par la statistique douanière, en faisant l’hypothèse que, tant pour les étoffes mélangées que pour les tissus pure laine, les exportations de Roubaix ont, globalement, évolué comme au niveau national puisque, pour les deux types de tissus, les produits roubaisiens étaient majoritaires et entraînaient l’ensemble.

    27 C. Fohlen, 1956, p. 443.

    28 Contrairement à ce qu’affirme J. P. Daviet, 1987, p. 786, qui s’appuie sur le bulletin de la chambre de commerce de Tourcoing, la percée française aux États-Unis est moins imputable aux tissus pure laine (1 286,9 t, soit 16,6 % des exportations françaises de cette catégorie de tissus) qu’aux étoffes mélangées (2 242,7 t, soit 50,8 %).

    29 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 137.

    30 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 139.

    31 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 142 et 145.

    32 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 143-144.

    33 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 143-146.

    34 C. Petillon, 1996, p. 83.

    35 J. P. Daviet, 1987, p. 786.

    36 J. P. Daviet, 1987, p. 786.

    37 J. P. Daviet, 1987, p. 802.

    38 Sur le rôle des grands magasins, F. Faraut, 1987, p. 83-84, qui analyse notamment le rôle des comptoirs d’achat créés par la Belle Jardinière dans les centres de production (Elbeuf, Lyon, Vienne, Lille, Sedan). Pour les négociants parisiens, voir E. Thébault, 1999, p. 13-16, 70-75 et 229-230, qui analyse comment le travail à façon s’est développé à leur initiative dans les régions textiles.

    39 P. Descamps, 1910, p 81.

    40 P. Descamps, 1910, p. 61.

    41 P. Descamps, 1910, p. 64.

    42 Pour rendre compte de la complexité et de la diversité de ces relations, l’analyse doit en effet tenir compte de nombreux éléments : choix des modèles, volume des commandes, prix, versement d’avances, exclusivités, délais de livraison, répartition des commandes dans l’année, nature du produit fabriqué (uni ou fantaisie), coût du crédit clients… Cf. J. C. Daumas, 1999, p. 231-232 et 324-326.

    43 Calcul effectué par J. P. Daviet, 1987, à partir de données tirées de ADN, 79 J 560.

    44 G. Sayet, 1912, p. 98.

    45 L’industrie en France occupée, p. 111 ; Tableau général du commerce, 1913.

    46 Exposition universelle de 1900,1902, p. 458.

    47 J. P. Daviet, 1987, p. 786.

    48 Cf. infra, II/2 sur la formation des patrons.

    49 J. Bonte, 2002, p. 93.

    50 P. Prouvost, 1999, p. 66.

    51 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911.

    52 ADN, 79 J 555.

    53 ADN, 77 J 1836.

    54 ADN, 77 J 1775.

    55 En dehors de ces implantations textiles, les capitaux du Nord ont également participé à des opérations financières à finalité industrielle. Plusieurs grandes familles textiles du Nord (Motte, Pollet, Masurel, Toulemonde…) se sont en effet engagées à partir de 1911 dans des sociétés créées pour la prospection et l’exploitation pétrolières en Galicie. Cf. M. Mihout, 1993.

    56 ADN, BA 10740, ACCR, 1890.

    57 A. Demangeon, 1913, p. 232-233.

    58 A. Prouvost, 1992, p. 17-18 ; A. Demangeon, 1913, p. 234-235 ; P. Pouchain, 1998, p. 186-187 ; A. Prouvost, 1999, p. 66-69.

    59 N. Olivieri, 2001 et 2002.

    60 P. Pouchain, 1998, p. 188-189 ; A. Prouvost, 1999, p. 69-72.

    61 L. Reybaud, 1867.

    62 R. Gendarme, 1954, p. 72 ; M. Battiau, 1976, p. 176 ; C. Fohlen, 1956, p. 205-206.

    63 D. S. Landes, 1949, p. 45-61.

    64 D. S. Landes, 1976, p. 41-86.

    65 M. Hau, 1995, p. 53.

    66 C. Fohlen, 1956, p. 86.

    67 B. Smith, 1981, p. 58-59 et 181-182.

    68 G. Motte, 1952., p. 137. La répartition est la suivante : il y a eu 5 enfants en moyenne par foyer à la première génération, 7,8 à la seconde et 6 à la troisième comme à la quatrième.

    69 Sur cette question, M. Hau, 1985, p. 9-25, et N. Stoskopf, 1994.

    70 P. Descamps, 1910, p. 79.

    71 P. de Rousiers, 1925, p. 136-137 et 140-142.

    72 G. Motte, 1952, p. 65 et 135.

    73 Les alliances avec les Lillois étaient rares et moins fréquentes encore celles extérieures à la région.

    74 Des unions étaient cependant contractées avec des familles qui s’étaient illustrées dans la banque ou la sucrerie.

    75 Des hommes nouveaux – immigrés, parvenus ou techniciens – ont été intégrés dans les familles patronales mais les mariages dans les familles « établies » avaient bien sûr la préférence.

    76 J. Lambert-Dansette, J. A. Roy, 1959, p. 32.

    77 J. Lambert-Dansette, J. A. Roy, 1959, p. 39.

    78 Dès le début du xixe siècle, il existait à Roubaix-Tourcoing quatre foyers Wattine, deux Watine, quatre Motte, deux Réquillart, six Flipo. Cf. J. Lambert-Dansette, J. A. Roy, 1959, p. 35. Et dans ces familles pléthoriques, de nouveaux mariages ont inévitablement engendré tout au long du siècle de nouveaux rameaux étroitement entrecroisés.

    79 P. Pouchain, 1998, p. 82.

    80 P. Pouchain, 1998, p. 80.

    81 F. Barbier, 1989, p. 22.

    82 G. Motte, 1952, p. 131.

    83 P. Pouchain, 1998, p. 84-85.

    84 L’analyse qui suit s’appuie sur des informations dispersées dans P. Pouchain, 1998 ; J. Bonte, 2002 ; B. Dorgeville-Roux, 1997 ; I. Blaise, 1989 ; F. Barbier, 1989 ; J. Lambert-Dansette, J. A. Roy, 1955-1959.

    85 P. Pouchain, 1998, p. 59-60.

    86 P. Pouchain, 1998, p. 143-144.

    87 G. Motte, 1952, p. 138.

    88 AN, F12, 5218, cité d’après J. P. Hirsch, 1991, p. 73. « Faire Charlemagne » signifie se retirer après avoir gagné au jeu.

    89 Lettres d’Alfred Motte-Grimonprez, 1827-1887, sd, p. XXXVIII.

    90 Cité d’après S. Motte, 1992.

    91 E. Motte, 1930, p. 840.

    92 B. Dorgeville-Roux, 1997, p. 1-17, 22, 29-31.

    93 B. Dorgeville-Roux, 1997, p. 29 et 37.

    94 F. Barbier, 1989, p. 52.

    95 E. Motte, 1930, p. 840-841.

    96 Lettres, p. XLII.

    97 Motte-Bossut, un homme, une famille, une firme, 1843-1943, 1944.

    98 Il n’y a pas lieu d’opposer, dans ce milieu, les femmes qui feraient montre d’une piété fervente aux hommes qui seraient libres-penseurs, voire anticléricaux. La thèse de B. Smith, 1981, p. 78-101, est sur ce point absolument inconsistante, car elle repose sur quelques rares exceptions sans signification.

    99 Lettres d’Alfred Motte-Grimonprez, sd, p. 411 et 417.

    100 G. Motte, 1952, p. 91.

    101 G. Motte, 1952, p. 133.

    102 G. Motte, 1952, p. 137.

    103 P. Pouchain, 1998, p. 124-135.

    104 Lettres d’Alfred Motte-Grimonprez, sd, p. 330.

    105 D. S. Landes, 1976, p. 68-69.

    106 Y. M. Hilaire, 1984, p. 123.

    107 G. Motte, lettre du 31 janvier 1958.

    108 P. Pouchain, 1998, p. 88-90.

    109 E. Péronne, 1999, p. 32-33 et 36-37.

    110 Cité d’après E. Péronne, 1999, p. 42.

    111 E. Péronne, 1999, p. 58-90, et pour les filles, B. Smith, 1981, p. 133-150.

    112 E. Péronne, 1999, p. 56-58.

    113 AMT, 25 Z 1.

    114 AMT, 25 Z 55.

    115 A. Prouvost, 1999, p. 49-51.

    116 Cité d’après P. Pouchain, 1998, p. 90.

    117 A. Prouvost, 1992, p. 49.

    118 Cité par J. Toulemonde, 1966, p. 219.

    119 E. Péronne, 1999, p. 47.

    120 E. Péronne, 1999, p. 46.

    121 AMT, 25 Z 55.

    122 AMT, 25 Z 55.

    123 E. Péronne, 1999, p. 49-55.

    124 Cité d’après E. Péronne, 1999, p. 64.

    125 E. Péronne, 1999, p. 64-68 et 72-80.

    126 Lille et la région du Nord en 1909, p. 961.

    127 I. Brière, 1993, p. 37-50 ; E. Péronne, 1999, p. 80-98.

    128 A. Grelon, 1998, p. 238.

    129 P. Pouchain, 1998, p. 165 ; E. Péronne, 1999, p. 101-113.

    130 E. Péronne, 1999, p. 118-121.

    131 Bulletin de l’Association amicale des anciens de l’ITR, 1907, cité d’après E. Péronne, 1999, p. 130.

    132 Description détaillée et enthousiaste de l’enseignement à l’ITR dans E. Lefèvre, 1912, p. 333-335.

    133 E. Péronne, 1999, p. 126-146 ; P. Pouchain, 1998, p. 165.

    134 D’après une estimation de l’administration belge, en 1888, 6 000 ouvriers belges allaient travailler quotidiennement à Roubaix-Tourcoing alors que 4 000 autres s’y rendaient pour la semaine. Cf. C. Petillon, 1996, p. 123. Selon F. Lentacker, 1973, p. 465, qui fournit des données plus précises fondées sur l’étude des immatriculations et retrace l’évolution du phénomène, la part des immigrés définitifs parmi la population belge de Roubaix, Tourcoing et Halluin, est tombée de 52 % pour 1894-1904 à 29 % pour 1905-1914, alors que celle des frontaliers s’élevait dans le même temps de 22 % à 42 %, le reste revenant aux résidents temporaires dont la part a augmenté légèrement (de 26 % à 28 %).

    135 C. Petillon, 1996, p. 118-132 et 430 ; G. Franchomme, 1969, p. 202-213 ; J. A. Reardon, 1977, p. 64-91.

    136 Pour un aperçu commode, cf. P. Verley, 1997, p. 238-244.

    137 D. S. Landes, 1976, p. 49. Cf. la critique de son analyse par J. A. Reardon, 1977, p. 87-91.

    138 F. Le Play, 1983, p. 207.

    139 A. Béchaux, 1891, p. 13.

    140 J. A. Reardon, 1977, p. 89.

    141 L. Reybaud, 1867, p. 70, 151, 181, 328, 335, 348, 390, 393 ; J. A. Reardon, 1977, p. 90 et tableau p. 297.

    142 L’évolution salariale de Roubaix est originale, mais peut-être pas unique puisqu’on a également observé une baisse des salaires à la fin du siècle à Fourmies. Cependant, on ne sait rien de l’évolution ultérieure.

    143 G. Dron, Déposition de la chambre syndicale des ouvriers de l’industrie textile de Roubaix.

    144 J. Levain et alii, 1983, p. 112.

    145 Voir sur cette question les analyses très détaillées de R. Pierreuse, 1972.

    146 R. Pierreuse, 1972, p. 271-309 ; J. A. Reardon, 1977, p. 180-185.

    147 F. Lentacker, 1973, p. 453-464.

    148 Tout est dit, dès 1852, dans une lettre adressée par Motte-Bossut au préfet du Nord : « L’industrie manufacturière prend dans notre ville de tels développements que les bras pour soigner les nombreuses machines qui s’y montent font défaut. Nous venons d’ajouter à notre filature de coton un assortiment et n’avons pu trouver sur place assez de femmes pour les faire marcher, force nous fut donc d’en appeler de Gand (…). La pénurie d’ouvriers que nous éprouvons est déjà nuisible à nos intérêts que sera-ce donc dans six mois, quand les peignages, les tissages, les filatures en construction réclameront leur contingent de bras ? Il nous faudra 2000 ouvriers de plus (…). Il faut que nous les appelions de la Belgique par l’élévation de nos salaires ». (Lettre du 24 juillet 1852, ADN, M 176/1). Désormais, les arguments varieront avec la conjoncture, mais non pas le fond de l’argumentation !

    149 Ardouin-Dumazet, 1911, p. 11

    150 J. A. Reardon, 1977, p. 92-116.

    151 ADN, M 162/5 ; F. Lentacker, 1973, p. 473-475.

    152 ADN, M 510/16, cité d’après F. Lentacker, 1973, p. 464.

    153 F. Lentacker, 1973, p. 463-464.

    154 Une étude récente montre que cette réputation n’était pas imméritée puisque « la part prédominante des Belges dans tout ce qui relève de la violence physique et corporelle (…) ressort clairement des statistiques », N. Dordhain, D. Terrier, 2002, p. 706.

    155 J. A. Reardon, 1977, p. 104-106.

    156 F. Lentacker, 1973, p ; 459-469 ; J. A. Reardon, 1977, p.  214-219.

    157 F. Lentacker, 1973, p. 460.

    158 Cité d’après F. Lentacker, 1973, p. 463-464.

    159 Cité d’après F. Lentacker, 1973, p. 463.

    160 ADN, 79 J 66, F. 1

    161 G. Dron, 1906, Dépositions des syndicats patronaux et des juges de paix de Tourcoing.

    162 Les tisserands belges sont d’abord venus du Hainaut où le tissage était encore une activité proto-industrielle, avant que la Flandre ne devienne le principal pourvoyeur, à partir des années 1840, et notamment de Gand durement touchée par la crise du coton en 1862-1963, mais où le tissage était déjà largement mécanisé. Cf. C. Petillon, 2002, p. 687.

    163 J. A. Reardon, 1977, p. 234-239 et 297. Sans remettre en cause l’analyse de J. A. Reardon, C. Petillon la nuance en tenant compte de l’évolution dans le temps de la relation entre immigration et niveau de qualification puisque, dans le tissage, le poids des natifs a diminué, tombant de 83,6 % pour 1800-1829 à 25,9 % pour 1860-1889, alors que l’évolution est inverse dans la filature où la part des natifs s’est élevée de 13,3 % à 50,5 %. Cf. C. Petillon, 2002, p. 671.

    164 J. Toulemonde, 1966, p. 218.

    165 Le discours prononcé par Albert Prouvost à l’occasion du centenaire de la fondation du Peignage Amédée Prouvost signale, en passant, la création en 1896 d’une caisse des retraites. Cf. Peignage Amédée Prouvost.

    166 L’industrie en France occupée, p. 107.

    167 L’industrie en France occupée, p. 111.

    168 Cité d’après J. Toulemonde, 1966, p. 210-211.

    169 G. Dron, 1906, Déposition de G. Motte.

    170 Lille et la région du Nord en 1909, p. 1041.

    171 Lille et la région du Nord en 1909, p. 885-908 et 1028-1037.

    172 P. Hilden, 1986, p. 112-122 ; G. Lepoutre, 1991.

    173 H. Rollet, 1947, p. 313 et 315.

    174 G. Dron, 1906, Déposition des représentants de la chambre syndicale des ouvriers de l’industrie textile de Roubaix.

    175 Ardouin-Dumazet, 1913, p. 103.

    176 Les éléments qui précèdent ont été empruntés à H. Rollet, 1947, p. 292-322 ; R. Talmy, 1962, p. 85-90 ; A. Lottin, p. 194-195 ; J. Toulemonde, 1966, p. 97-101 et 172 ; R. Pierreuse, 1972, p. 51 et 93 ; P. Pouchain, 1998, p. 126-132 ; P. Trimouille, 1991, p. 272-274.

    177 C. Fohlen, 1956, p. 86-88 ; J. B. Duroselle, 1951, chap. 1er de la 3e partie.

    178 J. C. Daumas, 2002, p. 169-186.

    179 ADN, BA 10740, ACCR, 1872.

    180 R. Peyron, 1939, p. 65.

    181 ADN, BA 10740, ACCR, 1890

    182 A. Prouvost, 1992, p. 14.

    183 A. Demangeon, 1913, p. 230-231.

    184 C comme centenaires. Histoires d’entreprises centenaires de la Région Nord-Pas-de-Calais, 1992, p. 175 ; A. Prouvost, 1999, p. 18.

    185 A. Prouvost, 1999, p. 19.

    186 Tableau général du commerce de la France, 1904.

    187 A. Prouvost, 1999, p. 18 ; C comme centenaires, 1992, p. 175.

    188 L’industrie en France occupée, p. 97.

    189 B. Dorgeville-Roux, 1990, p. 30-31.

    190 F. Maurette, 1922, p. 75-83.

    191 E. Motte, 1930, p. 825 et 827-828.

    192 Témoignage cité par J. Bonte, 2002, p. 94.

    193 Tableau général du commerce de la France.

    194 A. Demangeon, 1913, p. 236.

    195 F. Maurette, 1922, p. 87.

    196 J. P. Daviet, 1987, p. 797-798.

    197 Banque de France, succursale de Roubaix, 1882.

    198 R. Peyron, 1939, p. 82.

    199 Enquête sur l’industrie en France occupée, p. 97.

    200 Enquête sur l’industrie en France occupée, p. 98.

    201 R. Delaby, 1942, p. 126 ; R. Peyron, 1939, p. 161-167.

    202 J. P. Daviet, 1987, p. 797.

    203 Banque de France, succursale de Roubaix, 1872.

    204 Indice élaboré par J. P. Daviet, 1987, p. 797.

    205 R. Bruynel, 1932, p. 18.

    206 ADN, M 571/48.

    207 ADN, M 571/48.

    208 G. Franchomme, 1969, p. 229-230.

    209 G. Franchomme, 1969, p. 230 ; A. Prouvost, 1999, p. 45.

    210 J. P. Daviet, 1987, p. 799.

    211 Ce qui précède s’appuie sur l’analyse très technique de M. Mussault, 1909.

    212 R. Peyron, 1939, p. 132-136 ; R. Pierreuse, 1972, p. 212.

    213 R. Pierreuse, 1972, p. 213-236.

    214 C. Petillon, 1996, p. 126.

    215 C. Fohlen, 1951, p. 94-95.

    216 G. Motte, 1946, p. 94.

    217 F. Lentacker, 1973, p. 192 et sq.

    218 Statistique de l’Industrie minérale, 1847-1908.

    219 ADN, 79 J 1681.

    220 Ministère du Commerce, Evaluation de la production, p. 409, 412 et 416.

    221 C. Fohlen, 1951, p. 96 et 99. Sur le peignage à la main, cf. A. Lottin, 1986, p. 141.

    222 ADN, BA 10740, ACCR, 1872-1875.

    223 C. Fohlen, 1951, p. 99.

    224 A. Goblet, 1903, p. 71-77.

    225 A. Goblet, 1903, p. 109.

    226 L’industrie en France occupée, p. 96-97.

    227 G. Sayet, 1911, p. 268.

    228 Exposition universelle de 1900, p. 458 et 462.

    229 K. Honeyman, 1985, p. 138-139, 142-143 et 145 ; K. Honeyman et Goodman, 1986, p. 57-65 et 88.

    230 Banque de France, succursale de Roubaix, 1875.

    231 L. Bergeron, 1983, p. 162.

    232 Peignage Amédée Prouvost et Cie, 1851-1951 ; G. Sayet, 1912, p. 266.

    233 G. Sayet, 1912, p. 265.

    234 G. Sayet, 1912, p. 102.

    235 L’industrie en France occupée, p. 102.

    236 G. Sayet, 1912, p. 280 ; L’industrie en France occupée, p. 102.

    237 J. Levain et alii, 1984, p. 88-89.

    238 G. Sayet, 1912, p. 280.

    239 L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    240 Lille et la région du Nord, p. 867.

    241 G. Dron, Déposition de la Chambre syndicale des ouvriers de l’industrie textile de Roubaix, 1906.

    242 G. Franchomme, 1969, p. 224-225 ; C. Fohlen, 1951, p. 94-95 ; J. P. Daviet, 1987, p. 785.

    243 Cité d’après C. Fohlen, 1951, p. 235.

    244 M. Raman, 1973, p. 484-489.

    245 C. Fohlen, 1956, p. 549-460.

    246 Banque de France, succursale de Roubaix, 1872.

    247 ADN, BA 10740, ACCR, 1872-1875.

    248 G. Teneul, 1962, p. 118.

    249 C. Fohlen, 1956, p. 343.

    250 L. Marty, 1982, p. 57-58 ; P. Deyon, 1981, p. 60.

    251 F. Lentacker, 1987, p. 767-768.

    252 C. Fohlen, 1956, p. 341.

    253 M. Perrot, 1978, p. 364-368.

    254 D. Terrier, 1996, p. 201-208, 253 et 170-179.

    255 C. Petillon, 1996, p. 120-121 ; C. Fohlen, 1956, p. 341.

    256 C. Petillon, 1996, p. 262.

    257 ADN, BA 10740, ACCR, 1880 ; C. Petillon, p. 83.

    258 R. Pierreuse, 1972.

    259 A. Lottin, 1986, p. 175 et 177.

    260 L’industrie en France occupée, p. 114 et 116-117.

    261 E. Motte, 1930, p. 833.

    262 L. Marty, 1980, p. 75.

    263 G. Dron, Déposition de la Chambre syndicale des ouvriers de l’industrie textile de Roubaix, 1906.

    264 C. Fohlen, 1956, p. 412-416 ; C. Petillon, 1996, p. 80.

    265 Enquête, 1870, p. 90-91 ; G. Franchomme, 1969, p. 242 ; L. Marty, 1982, p. 58 ; J. Toulemonde, 1966, p. 86-87.

    266 G. Dron, Déposition de Georges Motte.

    267 L’industrie en France occupée, p. 96-98, 107, 111 et 121.

    268 R. Poidevin, 1970, p. 369-376.

    269 F. Bernard, 1998, p. 111, 136, 139 et 150-151.

    270 L’industrie en France occupée, p. 96, 102 et 122.

    271 H. Flanquart, 1989, p. 31-36.

    272 E. Conxicoeur, 1999, p. 78, 86 et 92-93.

    273 L’industrie en France occupée, p. 96-97, 109 et 123.

    274 L’industrie en France occupée, p. 63.

    275 L’industrie en France occupée, p. 122.

    276 Enquête, 1870, p. 90. La même analyse s’applique à la filature : « En filature, nos voisins (anglais) produisent de même à meilleur marché que nous, parce qu’ils font toujours les mêmes numéros. Un filateur français fait 10 ou 15 numéros différents. On ne peut se figurer ce qu’entraîne de désavantages le défaut de spécialité et l’intermittence de travail ».

    277 Franchomme, p. 241.

    278 Le terme « lainage » désigne une étoffe de laine peignée par opposition à « draperie » qui est réservé aux tissus de laine cardée.

    279 L’industrie en France occupée, p. 119 et 122-123.

    280 Levain et alii, 2ème partie, p. 101.

    281 J. Levain et alii, 1984, p. 102-105, et J. P. Daviet, 1987, p. 805-811.

    282 J. P. Daviet, 1987, p. 806.

    283 C. Fohlen, 1954, p. 361.

    284 C. Fohlen, 1954, p. 128.

    285 C. Fohlen, 1954, p. 365 et sq. ; J. Laloux, 1924.

    286 J. Laloux, 1924, p. 45-46.

    287 L’indicateur de Tourcoing, 5 mars 1865, cité d’après J. Ameye, p. 205.

    288 C. Fohlen, 1956, p. 340 ; Enquête parlementaire, t. 2, p. 194 ; J. Toulemonde, 1966, p. 52-53.

    289 J. Laloux, 1924, p. 45.

    290 J. Laloux, 1924, p. 117.

    291 C. Fohlen, 1956, p. 340.

    292 C. Fohlen, 1951, p. 98-99.

    293 C. Fohlen, 1956, p. 338, qui indique les bénéfices de Toulemonde-Destombe de 1860 à 1866, et J. Toulemonde, 1966, p. 217, ceux du peignage Amédée Prouvost pour la même période.

    294 C. Fohlen, 1956, p. 339-340.

    295 P. Descamps, p. 79, décrit ainsi le phénomène : « Le but poursuivi est de fonder autant d’usines qu’il y a de fils. Dans la famille Motte, à Roubaix, il est de tradition de fonder un nouvel atelier quand un fils atteint la majorité, en l’associant à un directeur qui a fait ses preuves ». J. Toulemonde, 1966, p. 188 ; L. Bergeron, 1983, T. 2, p. 171-172 ; B. Dorgeville-Roux, 1990, p. 17-22 ; P. de Rousiers, 1925, p. 140-142.

    296 P. Pouchain, 1998, p. 164.

    297 J. Toulemonde, 1966, p. 188.

    298 J. Ameye, 1985, p. 203-205.

    299 Banque de France, succursale de Roubaix, 1875.

    300 J. P. Daviet, 1987, p. 806-807.

    301 R. Clay, 1967, 2 vol. Le premier volume, non paginé, contient les tableaux statistiques.

    302 L’industrie en France occupée, p. 103.

    303 Le bilan d’Allart est extrait du rapport d’inspection de la Banque de France de 1911, et celui de Prouvost du BALO, 7 juin 1920. Ils ont tous deux été reproduits et commentés par J. P. Daviet, 1987, p. 807-808, qui analyse également le bilan pour 1923 des Ets Charles Tiberghien que, pour ma part, je n’ai pas cru devoir retenir car la conjoncture de l’après-guerre est radicalement différente.

    304 P. Pouchain, 1998, p. 166-171.

    305 Banque de France, succursale de Roubaix, 1896.

    306 Y. M. Hilaire, 1984, p. 129.

    307 I. Blaise, 1989, p. 60.

    308 J. Toulemonde, 1966, p. 179.

    309 Clay, 1967, T. 1.

    310 P. Verley, 1994, p. 121.

    311 Banque de France, succursale de Roubaix, de 1890 à 1913.

    312 ADSM, 77 J 308.

    313 J. P. Daviet, 1987, p. 807.

    314 R. Clay, 1967, p. 52-53.

    315 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911.

    316 J. Toulemonde, 1966, p. 179.

    317 A. Hennebicque, 1969, p. 79.

    318 R. Clay, 1967, p. 24 et 45.

    319 Le matériel en place, même ancien, faisait l’objet d’incessantes transformations qui avaient pour but d’introduire des améliorations ou de l’adapter aux besoins de la fabrication. Ces transformations qui sortent du cadre de l’entretien courant n’étaient cependant pas comptabilisées comme des investissements : elles figuraient le plus souvent sur les livres des entreprises à la rubrique « réparations ».

    320 L’industrie en France occupée, p. 58.

    321 J. Bonte, 2002, p. 87-92.

    322 L’industrie en France occupée, p. 103-105, 119-120, 102, 119 et 117.

    323 E. Motte, 1930, p. 823.

    324 A. Hennebicque, 1968, p. 79 ; L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    325 ADN, M 572/21.

    326 P. Descamps, 1910, p. 43.

    327 A. Hennebicque, 1968, p. 78-80, ainsi que, quoique de manière plus nuancée, J. Levain et alii, 1984, p. 98-100.

    328 L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    329 M. Raman, 1973, p. 499.

    330 ADN, M 572/21 ; L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    331 A. Hennebicque, 1968, p. 79.

    332 Sur la notion de groupe, Y. Morvan,, 1972 ; F. Morin, 1974.

    333 J. P. Daviet, 1987, p. 809.

    334 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911 ; L. Bergeron, 1983, p. 167-171 ; Y. M. Hilaire, 1984, p. 179 ; J. P. Daviet, 1987, p. 810 ; R. Pierreuse, 1972, p. 23-25 ; P. Pouchain, 1998, p. 144, 178, 188-189 ; J. et F. Meillassoux, 1969, p. 291-305 ; G. Sayet, 1912, p. 347-353 ; P. Descamps, 1910, p. 82-85.

    335 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911 ; J. P. Daviet, 1987, p. 810 ; R. Pierreuse, 1972, p. 26-28 ; P. Pouchain, 1998, p. 84 et 186 ; L. Bergeron, 1983, p. 172.

    336 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911 ; P. Pouchain, 1998, p. 62, 92 et 150 ; R. Pierreuse, 1972, p. 28-29 et 36 ; Peignage Amédée Prouvost et Cie.

    337 J. Toulemonde, 1966, p. 188 ; B. Dorgeville-Roux, 1990, p. 30-31.

    338 P. Pouchain, 1998, p. 91-92 et 62.

    339 P. de Rousiers, 1925, p. 134, 136-137 et 140-142. ; G. Sayet, 1912, p. 347 ; P. Descamps, 1910, p. 82-85.

    340 P. Descamps, 1910, p. 85.

    341 F. Caron, 1995, p. 144-148.

    342 J. Levain et alii, 1984, p. 101.

    343 F. Caron, 1995, p. 147.

    344 C. Fohlen, 1956, p. 344.

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

    Voir plus de livres
    Les entrepreneurs du coton

    Les entrepreneurs du coton

    Innovation et développement économique (France du Nord, 1700-1830)

    Mohamed Kasdi

    2014

    Enkhuizen au xviiie siècle

    Enkhuizen au xviiie siècle

    Le déclin d'une ville maritime hollandaise

    Thierry Allain

    2015

    Les loteries royales dans l’Europe des Lumières

    Les loteries royales dans l’Europe des Lumières

    1680-1815

    Marie-Laure Legay

    2014

    Santé et travail à la mine

    Santé et travail à la mine

    xixe-xxie siècle

    Judith Rainhorn (dir.)

    2014

    La fabrique de l’urbanisme

    La fabrique de l’urbanisme

    Les cités-jardins, entre France et Allemagne 1900-1924

    Elsa Vonau

    2014

    Banque et identité commerciale. La Société générale (1864-2014)

    Banque et identité commerciale. La Société générale (1864-2014)

    Hubert Bonin

    2014

    Les Houillères entre l’État, le marché et la société

    Les Houillères entre l’État, le marché et la société

    Les territoires de la résilience (xviiie - xxie siècles)

    Sylvie Aprile, Matthieu de Oliveira, Béatrice Touchelay et al. (dir.)

    2015

    Les Écoles dans la guerre

    Les Écoles dans la guerre

    Acteurs et institutions éducatives dans les tourmentes guerrières (xviie-xxe siècles)

    Jean-François Condette (dir.)

    2014

    Bertha von Suttner 1843-1914

    Bertha von Suttner 1843-1914

    Amazone de la paix

    Marie-Claire Hoock-Demarle

    2014

    La guerre de 1940

    La guerre de 1940

    Se battre, subir, se souvenir

    Stefan Martens et Steffen Prauser (dir.)

    2014

    Histoire de Boulogne-sur-Mer

    Histoire de Boulogne-sur-Mer

    ville d’art et d’histoire

    Alain Lottin (dir.)

    2014

    Europe de papier

    Europe de papier

    Projets européens au xixe siècle

    Sylvie Aprile, Cristina Cassina, Philippe Darriulat et al. (dir.)

    2015

    Voir plus de livres
    1 / 12
    Les entrepreneurs du coton

    Les entrepreneurs du coton

    Innovation et développement économique (France du Nord, 1700-1830)

    Mohamed Kasdi

    2014

    Enkhuizen au xviiie siècle

    Enkhuizen au xviiie siècle

    Le déclin d'une ville maritime hollandaise

    Thierry Allain

    2015

    Les loteries royales dans l’Europe des Lumières

    Les loteries royales dans l’Europe des Lumières

    1680-1815

    Marie-Laure Legay

    2014

    Santé et travail à la mine

    Santé et travail à la mine

    xixe-xxie siècle

    Judith Rainhorn (dir.)

    2014

    La fabrique de l’urbanisme

    La fabrique de l’urbanisme

    Les cités-jardins, entre France et Allemagne 1900-1924

    Elsa Vonau

    2014

    Banque et identité commerciale. La Société générale (1864-2014)

    Banque et identité commerciale. La Société générale (1864-2014)

    Hubert Bonin

    2014

    Les Houillères entre l’État, le marché et la société

    Les Houillères entre l’État, le marché et la société

    Les territoires de la résilience (xviiie - xxie siècles)

    Sylvie Aprile, Matthieu de Oliveira, Béatrice Touchelay et al. (dir.)

    2015

    Les Écoles dans la guerre

    Les Écoles dans la guerre

    Acteurs et institutions éducatives dans les tourmentes guerrières (xviie-xxe siècles)

    Jean-François Condette (dir.)

    2014

    Bertha von Suttner 1843-1914

    Bertha von Suttner 1843-1914

    Amazone de la paix

    Marie-Claire Hoock-Demarle

    2014

    La guerre de 1940

    La guerre de 1940

    Se battre, subir, se souvenir

    Stefan Martens et Steffen Prauser (dir.)

    2014

    Histoire de Boulogne-sur-Mer

    Histoire de Boulogne-sur-Mer

    ville d’art et d’histoire

    Alain Lottin (dir.)

    2014

    Europe de papier

    Europe de papier

    Projets européens au xixe siècle

    Sylvie Aprile, Cristina Cassina, Philippe Darriulat et al. (dir.)

    2015

    Accès ouvert

    Accès ouvert freemium

    ePub

    PDF

    PDF du chapitre

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque

    Acheter

    Édition imprimée

    Presses universitaires du Septentrion
    • amazon.fr
    • decitre.fr
    • mollat.com
    • leslibraires.fr
    • placedeslibraires.fr
    • lcdpu.fr
    ePub / PDF

    1 D. J. Leuridan, T. 5, 1863, p. 156. Cette formule ne signifie évidemment pas que Roubaix-Tourcoing a eu la même puissance que Manchester ou la même place dans la genèse du factory system, mais se situe sur un autre plan : celui des représentations et de la construction des identités. En s’autoproclamant le « Manchester français », Roubaix s’inscrivait dans un jeu croisé de revendications d’identité : à l’époque, Rouen a été comparé à Manchester, Elbeuf se faisait appeler le « Leeds français », Bischwiller rêvait d’être le « Mulhouse du Bas-Rhin » et Mazamet tirait sa fierté d’être « l’Elbeuf du Midi ». Ces quelques exemples, que l’on pourrait d’ailleurs multiplier, soulignent toute l’importance dans le processus de cristallisation de l’identité locale des références (auto-) légitimatrices à des villes manufacturières dont le succès et la réputation justifiaient qu’on les prît pour modèles à égaler ou à dépasser.

    2 M. Raman, 1973, p. 475.

    3 M. Raman, 1973, p. 476, 478 et 480.

    4 M. Lévy-Leboyer, 1964, p. 128-129.

    5 M. Lévy-Leboyer, 1964, p. 128.

    6 M. Raman, 1973, p. 484.

    7 ADN, BA 10740, ACCR, 1870-1914.

    8 P. Hilden, 1986, p. 72.

    9 M. Raman, 1973, p. 492 et 498.

    10 Exposition internationale universelle de 1900, 1902, p. 457-458. C’est ce qui ressort également de la répartition des 129 fabricants de tissus recensés en 1888 : 26 fabricants de draperies, gilets, pantalons, 18 fabricants de lainages, 9 fabricants de velours, 8 fabricants de tissus d’ameublement, 2 fabricants d’articles noirs, 1 fabricant d’articles en lin, et 65 fabricants de nouveautés. Cf. ADN, BA 10740, ACCR, 1888.

    11 AN, F 12/6886.

    12 G. Sayet, 1912, p. 294.

    13 Exposition internationale universelle de 1900, 1902, p. 463.

    14 AN, F 12/6886.

    15 J. P. Daviet, 1987, p. 786.

    16 J. Levain et alii, 1983, p. 79-85 ; J. P. Daviet, 1987, p. 786 ; C. Petillon, 1996, p. 80-81 ; G. Franchomme, 1969, p. 227.

    17 C. Petillon 1996, p. 781.

    18 ADN, BA 10740, ACCR, 1878 et 1880.

    19 Cité par G. Teneul, 1962, p. 139.

    20 Enquête, 1870, p. 313.

    21 ADN, BA 10740, ACCR, 1878. Réponse de la chambre de commerce de Roubaix à l’enquête sur le tarif général des douanes, juillet, 1878.

    22 Toutes les informations statistiques concernant les échanges de produits lainiers sont issues du Tableau général du commerce et de la navigation de la France dont la Direction des douanes publie une édition annuelle. La référence ne sera plus répétée.

    23 Shoddy : littéralement, camelote. Terme qui désigne les tissus fabriqués à partir de laine renaissance (effilochés).

    24 E. M. Sigsworth, 1990, p. 182-183.

    25 C. Fohlen, 1956, p. 392-393 et 407-409.

    26 Faute de disposer de statistiques sur l’évolution des ventes de tissus de Roubaix à l’étranger, on a raisonné sur les chiffres nationaux en volume fournis par la statistique douanière, en faisant l’hypothèse que, tant pour les étoffes mélangées que pour les tissus pure laine, les exportations de Roubaix ont, globalement, évolué comme au niveau national puisque, pour les deux types de tissus, les produits roubaisiens étaient majoritaires et entraînaient l’ensemble.

    27 C. Fohlen, 1956, p. 443.

    28 Contrairement à ce qu’affirme J. P. Daviet, 1987, p. 786, qui s’appuie sur le bulletin de la chambre de commerce de Tourcoing, la percée française aux États-Unis est moins imputable aux tissus pure laine (1 286,9 t, soit 16,6 % des exportations françaises de cette catégorie de tissus) qu’aux étoffes mélangées (2 242,7 t, soit 50,8 %).

    29 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 137.

    30 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 139.

    31 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 142 et 145.

    32 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 143-144.

    33 E. M. Sigsworth, J. M. Blackman, 1968, p. 143-146.

    34 C. Petillon, 1996, p. 83.

    35 J. P. Daviet, 1987, p. 786.

    36 J. P. Daviet, 1987, p. 786.

    37 J. P. Daviet, 1987, p. 802.

    38 Sur le rôle des grands magasins, F. Faraut, 1987, p. 83-84, qui analyse notamment le rôle des comptoirs d’achat créés par la Belle Jardinière dans les centres de production (Elbeuf, Lyon, Vienne, Lille, Sedan). Pour les négociants parisiens, voir E. Thébault, 1999, p. 13-16, 70-75 et 229-230, qui analyse comment le travail à façon s’est développé à leur initiative dans les régions textiles.

    39 P. Descamps, 1910, p 81.

    40 P. Descamps, 1910, p. 61.

    41 P. Descamps, 1910, p. 64.

    42 Pour rendre compte de la complexité et de la diversité de ces relations, l’analyse doit en effet tenir compte de nombreux éléments : choix des modèles, volume des commandes, prix, versement d’avances, exclusivités, délais de livraison, répartition des commandes dans l’année, nature du produit fabriqué (uni ou fantaisie), coût du crédit clients… Cf. J. C. Daumas, 1999, p. 231-232 et 324-326.

    43 Calcul effectué par J. P. Daviet, 1987, à partir de données tirées de ADN, 79 J 560.

    44 G. Sayet, 1912, p. 98.

    45 L’industrie en France occupée, p. 111 ; Tableau général du commerce, 1913.

    46 Exposition universelle de 1900,1902, p. 458.

    47 J. P. Daviet, 1987, p. 786.

    48 Cf. infra, II/2 sur la formation des patrons.

    49 J. Bonte, 2002, p. 93.

    50 P. Prouvost, 1999, p. 66.

    51 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911.

    52 ADN, 79 J 555.

    53 ADN, 77 J 1836.

    54 ADN, 77 J 1775.

    55 En dehors de ces implantations textiles, les capitaux du Nord ont également participé à des opérations financières à finalité industrielle. Plusieurs grandes familles textiles du Nord (Motte, Pollet, Masurel, Toulemonde…) se sont en effet engagées à partir de 1911 dans des sociétés créées pour la prospection et l’exploitation pétrolières en Galicie. Cf. M. Mihout, 1993.

    56 ADN, BA 10740, ACCR, 1890.

    57 A. Demangeon, 1913, p. 232-233.

    58 A. Prouvost, 1992, p. 17-18 ; A. Demangeon, 1913, p. 234-235 ; P. Pouchain, 1998, p. 186-187 ; A. Prouvost, 1999, p. 66-69.

    59 N. Olivieri, 2001 et 2002.

    60 P. Pouchain, 1998, p. 188-189 ; A. Prouvost, 1999, p. 69-72.

    61 L. Reybaud, 1867.

    62 R. Gendarme, 1954, p. 72 ; M. Battiau, 1976, p. 176 ; C. Fohlen, 1956, p. 205-206.

    63 D. S. Landes, 1949, p. 45-61.

    64 D. S. Landes, 1976, p. 41-86.

    65 M. Hau, 1995, p. 53.

    66 C. Fohlen, 1956, p. 86.

    67 B. Smith, 1981, p. 58-59 et 181-182.

    68 G. Motte, 1952., p. 137. La répartition est la suivante : il y a eu 5 enfants en moyenne par foyer à la première génération, 7,8 à la seconde et 6 à la troisième comme à la quatrième.

    69 Sur cette question, M. Hau, 1985, p. 9-25, et N. Stoskopf, 1994.

    70 P. Descamps, 1910, p. 79.

    71 P. de Rousiers, 1925, p. 136-137 et 140-142.

    72 G. Motte, 1952, p. 65 et 135.

    73 Les alliances avec les Lillois étaient rares et moins fréquentes encore celles extérieures à la région.

    74 Des unions étaient cependant contractées avec des familles qui s’étaient illustrées dans la banque ou la sucrerie.

    75 Des hommes nouveaux – immigrés, parvenus ou techniciens – ont été intégrés dans les familles patronales mais les mariages dans les familles « établies » avaient bien sûr la préférence.

    76 J. Lambert-Dansette, J. A. Roy, 1959, p. 32.

    77 J. Lambert-Dansette, J. A. Roy, 1959, p. 39.

    78 Dès le début du xixe siècle, il existait à Roubaix-Tourcoing quatre foyers Wattine, deux Watine, quatre Motte, deux Réquillart, six Flipo. Cf. J. Lambert-Dansette, J. A. Roy, 1959, p. 35. Et dans ces familles pléthoriques, de nouveaux mariages ont inévitablement engendré tout au long du siècle de nouveaux rameaux étroitement entrecroisés.

    79 P. Pouchain, 1998, p. 82.

    80 P. Pouchain, 1998, p. 80.

    81 F. Barbier, 1989, p. 22.

    82 G. Motte, 1952, p. 131.

    83 P. Pouchain, 1998, p. 84-85.

    84 L’analyse qui suit s’appuie sur des informations dispersées dans P. Pouchain, 1998 ; J. Bonte, 2002 ; B. Dorgeville-Roux, 1997 ; I. Blaise, 1989 ; F. Barbier, 1989 ; J. Lambert-Dansette, J. A. Roy, 1955-1959.

    85 P. Pouchain, 1998, p. 59-60.

    86 P. Pouchain, 1998, p. 143-144.

    87 G. Motte, 1952, p. 138.

    88 AN, F12, 5218, cité d’après J. P. Hirsch, 1991, p. 73. « Faire Charlemagne » signifie se retirer après avoir gagné au jeu.

    89 Lettres d’Alfred Motte-Grimonprez, 1827-1887, sd, p. XXXVIII.

    90 Cité d’après S. Motte, 1992.

    91 E. Motte, 1930, p. 840.

    92 B. Dorgeville-Roux, 1997, p. 1-17, 22, 29-31.

    93 B. Dorgeville-Roux, 1997, p. 29 et 37.

    94 F. Barbier, 1989, p. 52.

    95 E. Motte, 1930, p. 840-841.

    96 Lettres, p. XLII.

    97 Motte-Bossut, un homme, une famille, une firme, 1843-1943, 1944.

    98 Il n’y a pas lieu d’opposer, dans ce milieu, les femmes qui feraient montre d’une piété fervente aux hommes qui seraient libres-penseurs, voire anticléricaux. La thèse de B. Smith, 1981, p. 78-101, est sur ce point absolument inconsistante, car elle repose sur quelques rares exceptions sans signification.

    99 Lettres d’Alfred Motte-Grimonprez, sd, p. 411 et 417.

    100 G. Motte, 1952, p. 91.

    101 G. Motte, 1952, p. 133.

    102 G. Motte, 1952, p. 137.

    103 P. Pouchain, 1998, p. 124-135.

    104 Lettres d’Alfred Motte-Grimonprez, sd, p. 330.

    105 D. S. Landes, 1976, p. 68-69.

    106 Y. M. Hilaire, 1984, p. 123.

    107 G. Motte, lettre du 31 janvier 1958.

    108 P. Pouchain, 1998, p. 88-90.

    109 E. Péronne, 1999, p. 32-33 et 36-37.

    110 Cité d’après E. Péronne, 1999, p. 42.

    111 E. Péronne, 1999, p. 58-90, et pour les filles, B. Smith, 1981, p. 133-150.

    112 E. Péronne, 1999, p. 56-58.

    113 AMT, 25 Z 1.

    114 AMT, 25 Z 55.

    115 A. Prouvost, 1999, p. 49-51.

    116 Cité d’après P. Pouchain, 1998, p. 90.

    117 A. Prouvost, 1992, p. 49.

    118 Cité par J. Toulemonde, 1966, p. 219.

    119 E. Péronne, 1999, p. 47.

    120 E. Péronne, 1999, p. 46.

    121 AMT, 25 Z 55.

    122 AMT, 25 Z 55.

    123 E. Péronne, 1999, p. 49-55.

    124 Cité d’après E. Péronne, 1999, p. 64.

    125 E. Péronne, 1999, p. 64-68 et 72-80.

    126 Lille et la région du Nord en 1909, p. 961.

    127 I. Brière, 1993, p. 37-50 ; E. Péronne, 1999, p. 80-98.

    128 A. Grelon, 1998, p. 238.

    129 P. Pouchain, 1998, p. 165 ; E. Péronne, 1999, p. 101-113.

    130 E. Péronne, 1999, p. 118-121.

    131 Bulletin de l’Association amicale des anciens de l’ITR, 1907, cité d’après E. Péronne, 1999, p. 130.

    132 Description détaillée et enthousiaste de l’enseignement à l’ITR dans E. Lefèvre, 1912, p. 333-335.

    133 E. Péronne, 1999, p. 126-146 ; P. Pouchain, 1998, p. 165.

    134 D’après une estimation de l’administration belge, en 1888, 6 000 ouvriers belges allaient travailler quotidiennement à Roubaix-Tourcoing alors que 4 000 autres s’y rendaient pour la semaine. Cf. C. Petillon, 1996, p. 123. Selon F. Lentacker, 1973, p. 465, qui fournit des données plus précises fondées sur l’étude des immatriculations et retrace l’évolution du phénomène, la part des immigrés définitifs parmi la population belge de Roubaix, Tourcoing et Halluin, est tombée de 52 % pour 1894-1904 à 29 % pour 1905-1914, alors que celle des frontaliers s’élevait dans le même temps de 22 % à 42 %, le reste revenant aux résidents temporaires dont la part a augmenté légèrement (de 26 % à 28 %).

    135 C. Petillon, 1996, p. 118-132 et 430 ; G. Franchomme, 1969, p. 202-213 ; J. A. Reardon, 1977, p. 64-91.

    136 Pour un aperçu commode, cf. P. Verley, 1997, p. 238-244.

    137 D. S. Landes, 1976, p. 49. Cf. la critique de son analyse par J. A. Reardon, 1977, p. 87-91.

    138 F. Le Play, 1983, p. 207.

    139 A. Béchaux, 1891, p. 13.

    140 J. A. Reardon, 1977, p. 89.

    141 L. Reybaud, 1867, p. 70, 151, 181, 328, 335, 348, 390, 393 ; J. A. Reardon, 1977, p. 90 et tableau p. 297.

    142 L’évolution salariale de Roubaix est originale, mais peut-être pas unique puisqu’on a également observé une baisse des salaires à la fin du siècle à Fourmies. Cependant, on ne sait rien de l’évolution ultérieure.

    143 G. Dron, Déposition de la chambre syndicale des ouvriers de l’industrie textile de Roubaix.

    144 J. Levain et alii, 1983, p. 112.

    145 Voir sur cette question les analyses très détaillées de R. Pierreuse, 1972.

    146 R. Pierreuse, 1972, p. 271-309 ; J. A. Reardon, 1977, p. 180-185.

    147 F. Lentacker, 1973, p. 453-464.

    148 Tout est dit, dès 1852, dans une lettre adressée par Motte-Bossut au préfet du Nord : « L’industrie manufacturière prend dans notre ville de tels développements que les bras pour soigner les nombreuses machines qui s’y montent font défaut. Nous venons d’ajouter à notre filature de coton un assortiment et n’avons pu trouver sur place assez de femmes pour les faire marcher, force nous fut donc d’en appeler de Gand (…). La pénurie d’ouvriers que nous éprouvons est déjà nuisible à nos intérêts que sera-ce donc dans six mois, quand les peignages, les tissages, les filatures en construction réclameront leur contingent de bras ? Il nous faudra 2000 ouvriers de plus (…). Il faut que nous les appelions de la Belgique par l’élévation de nos salaires ». (Lettre du 24 juillet 1852, ADN, M 176/1). Désormais, les arguments varieront avec la conjoncture, mais non pas le fond de l’argumentation !

    149 Ardouin-Dumazet, 1911, p. 11

    150 J. A. Reardon, 1977, p. 92-116.

    151 ADN, M 162/5 ; F. Lentacker, 1973, p. 473-475.

    152 ADN, M 510/16, cité d’après F. Lentacker, 1973, p. 464.

    153 F. Lentacker, 1973, p. 463-464.

    154 Une étude récente montre que cette réputation n’était pas imméritée puisque « la part prédominante des Belges dans tout ce qui relève de la violence physique et corporelle (…) ressort clairement des statistiques », N. Dordhain, D. Terrier, 2002, p. 706.

    155 J. A. Reardon, 1977, p. 104-106.

    156 F. Lentacker, 1973, p ; 459-469 ; J. A. Reardon, 1977, p.  214-219.

    157 F. Lentacker, 1973, p. 460.

    158 Cité d’après F. Lentacker, 1973, p. 463-464.

    159 Cité d’après F. Lentacker, 1973, p. 463.

    160 ADN, 79 J 66, F. 1

    161 G. Dron, 1906, Dépositions des syndicats patronaux et des juges de paix de Tourcoing.

    162 Les tisserands belges sont d’abord venus du Hainaut où le tissage était encore une activité proto-industrielle, avant que la Flandre ne devienne le principal pourvoyeur, à partir des années 1840, et notamment de Gand durement touchée par la crise du coton en 1862-1963, mais où le tissage était déjà largement mécanisé. Cf. C. Petillon, 2002, p. 687.

    163 J. A. Reardon, 1977, p. 234-239 et 297. Sans remettre en cause l’analyse de J. A. Reardon, C. Petillon la nuance en tenant compte de l’évolution dans le temps de la relation entre immigration et niveau de qualification puisque, dans le tissage, le poids des natifs a diminué, tombant de 83,6 % pour 1800-1829 à 25,9 % pour 1860-1889, alors que l’évolution est inverse dans la filature où la part des natifs s’est élevée de 13,3 % à 50,5 %. Cf. C. Petillon, 2002, p. 671.

    164 J. Toulemonde, 1966, p. 218.

    165 Le discours prononcé par Albert Prouvost à l’occasion du centenaire de la fondation du Peignage Amédée Prouvost signale, en passant, la création en 1896 d’une caisse des retraites. Cf. Peignage Amédée Prouvost.

    166 L’industrie en France occupée, p. 107.

    167 L’industrie en France occupée, p. 111.

    168 Cité d’après J. Toulemonde, 1966, p. 210-211.

    169 G. Dron, 1906, Déposition de G. Motte.

    170 Lille et la région du Nord en 1909, p. 1041.

    171 Lille et la région du Nord en 1909, p. 885-908 et 1028-1037.

    172 P. Hilden, 1986, p. 112-122 ; G. Lepoutre, 1991.

    173 H. Rollet, 1947, p. 313 et 315.

    174 G. Dron, 1906, Déposition des représentants de la chambre syndicale des ouvriers de l’industrie textile de Roubaix.

    175 Ardouin-Dumazet, 1913, p. 103.

    176 Les éléments qui précèdent ont été empruntés à H. Rollet, 1947, p. 292-322 ; R. Talmy, 1962, p. 85-90 ; A. Lottin, p. 194-195 ; J. Toulemonde, 1966, p. 97-101 et 172 ; R. Pierreuse, 1972, p. 51 et 93 ; P. Pouchain, 1998, p. 126-132 ; P. Trimouille, 1991, p. 272-274.

    177 C. Fohlen, 1956, p. 86-88 ; J. B. Duroselle, 1951, chap. 1er de la 3e partie.

    178 J. C. Daumas, 2002, p. 169-186.

    179 ADN, BA 10740, ACCR, 1872.

    180 R. Peyron, 1939, p. 65.

    181 ADN, BA 10740, ACCR, 1890

    182 A. Prouvost, 1992, p. 14.

    183 A. Demangeon, 1913, p. 230-231.

    184 C comme centenaires. Histoires d’entreprises centenaires de la Région Nord-Pas-de-Calais, 1992, p. 175 ; A. Prouvost, 1999, p. 18.

    185 A. Prouvost, 1999, p. 19.

    186 Tableau général du commerce de la France, 1904.

    187 A. Prouvost, 1999, p. 18 ; C comme centenaires, 1992, p. 175.

    188 L’industrie en France occupée, p. 97.

    189 B. Dorgeville-Roux, 1990, p. 30-31.

    190 F. Maurette, 1922, p. 75-83.

    191 E. Motte, 1930, p. 825 et 827-828.

    192 Témoignage cité par J. Bonte, 2002, p. 94.

    193 Tableau général du commerce de la France.

    194 A. Demangeon, 1913, p. 236.

    195 F. Maurette, 1922, p. 87.

    196 J. P. Daviet, 1987, p. 797-798.

    197 Banque de France, succursale de Roubaix, 1882.

    198 R. Peyron, 1939, p. 82.

    199 Enquête sur l’industrie en France occupée, p. 97.

    200 Enquête sur l’industrie en France occupée, p. 98.

    201 R. Delaby, 1942, p. 126 ; R. Peyron, 1939, p. 161-167.

    202 J. P. Daviet, 1987, p. 797.

    203 Banque de France, succursale de Roubaix, 1872.

    204 Indice élaboré par J. P. Daviet, 1987, p. 797.

    205 R. Bruynel, 1932, p. 18.

    206 ADN, M 571/48.

    207 ADN, M 571/48.

    208 G. Franchomme, 1969, p. 229-230.

    209 G. Franchomme, 1969, p. 230 ; A. Prouvost, 1999, p. 45.

    210 J. P. Daviet, 1987, p. 799.

    211 Ce qui précède s’appuie sur l’analyse très technique de M. Mussault, 1909.

    212 R. Peyron, 1939, p. 132-136 ; R. Pierreuse, 1972, p. 212.

    213 R. Pierreuse, 1972, p. 213-236.

    214 C. Petillon, 1996, p. 126.

    215 C. Fohlen, 1951, p. 94-95.

    216 G. Motte, 1946, p. 94.

    217 F. Lentacker, 1973, p. 192 et sq.

    218 Statistique de l’Industrie minérale, 1847-1908.

    219 ADN, 79 J 1681.

    220 Ministère du Commerce, Evaluation de la production, p. 409, 412 et 416.

    221 C. Fohlen, 1951, p. 96 et 99. Sur le peignage à la main, cf. A. Lottin, 1986, p. 141.

    222 ADN, BA 10740, ACCR, 1872-1875.

    223 C. Fohlen, 1951, p. 99.

    224 A. Goblet, 1903, p. 71-77.

    225 A. Goblet, 1903, p. 109.

    226 L’industrie en France occupée, p. 96-97.

    227 G. Sayet, 1911, p. 268.

    228 Exposition universelle de 1900, p. 458 et 462.

    229 K. Honeyman, 1985, p. 138-139, 142-143 et 145 ; K. Honeyman et Goodman, 1986, p. 57-65 et 88.

    230 Banque de France, succursale de Roubaix, 1875.

    231 L. Bergeron, 1983, p. 162.

    232 Peignage Amédée Prouvost et Cie, 1851-1951 ; G. Sayet, 1912, p. 266.

    233 G. Sayet, 1912, p. 265.

    234 G. Sayet, 1912, p. 102.

    235 L’industrie en France occupée, p. 102.

    236 G. Sayet, 1912, p. 280 ; L’industrie en France occupée, p. 102.

    237 J. Levain et alii, 1984, p. 88-89.

    238 G. Sayet, 1912, p. 280.

    239 L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    240 Lille et la région du Nord, p. 867.

    241 G. Dron, Déposition de la Chambre syndicale des ouvriers de l’industrie textile de Roubaix, 1906.

    242 G. Franchomme, 1969, p. 224-225 ; C. Fohlen, 1951, p. 94-95 ; J. P. Daviet, 1987, p. 785.

    243 Cité d’après C. Fohlen, 1951, p. 235.

    244 M. Raman, 1973, p. 484-489.

    245 C. Fohlen, 1956, p. 549-460.

    246 Banque de France, succursale de Roubaix, 1872.

    247 ADN, BA 10740, ACCR, 1872-1875.

    248 G. Teneul, 1962, p. 118.

    249 C. Fohlen, 1956, p. 343.

    250 L. Marty, 1982, p. 57-58 ; P. Deyon, 1981, p. 60.

    251 F. Lentacker, 1987, p. 767-768.

    252 C. Fohlen, 1956, p. 341.

    253 M. Perrot, 1978, p. 364-368.

    254 D. Terrier, 1996, p. 201-208, 253 et 170-179.

    255 C. Petillon, 1996, p. 120-121 ; C. Fohlen, 1956, p. 341.

    256 C. Petillon, 1996, p. 262.

    257 ADN, BA 10740, ACCR, 1880 ; C. Petillon, p. 83.

    258 R. Pierreuse, 1972.

    259 A. Lottin, 1986, p. 175 et 177.

    260 L’industrie en France occupée, p. 114 et 116-117.

    261 E. Motte, 1930, p. 833.

    262 L. Marty, 1980, p. 75.

    263 G. Dron, Déposition de la Chambre syndicale des ouvriers de l’industrie textile de Roubaix, 1906.

    264 C. Fohlen, 1956, p. 412-416 ; C. Petillon, 1996, p. 80.

    265 Enquête, 1870, p. 90-91 ; G. Franchomme, 1969, p. 242 ; L. Marty, 1982, p. 58 ; J. Toulemonde, 1966, p. 86-87.

    266 G. Dron, Déposition de Georges Motte.

    267 L’industrie en France occupée, p. 96-98, 107, 111 et 121.

    268 R. Poidevin, 1970, p. 369-376.

    269 F. Bernard, 1998, p. 111, 136, 139 et 150-151.

    270 L’industrie en France occupée, p. 96, 102 et 122.

    271 H. Flanquart, 1989, p. 31-36.

    272 E. Conxicoeur, 1999, p. 78, 86 et 92-93.

    273 L’industrie en France occupée, p. 96-97, 109 et 123.

    274 L’industrie en France occupée, p. 63.

    275 L’industrie en France occupée, p. 122.

    276 Enquête, 1870, p. 90. La même analyse s’applique à la filature : « En filature, nos voisins (anglais) produisent de même à meilleur marché que nous, parce qu’ils font toujours les mêmes numéros. Un filateur français fait 10 ou 15 numéros différents. On ne peut se figurer ce qu’entraîne de désavantages le défaut de spécialité et l’intermittence de travail ».

    277 Franchomme, p. 241.

    278 Le terme « lainage » désigne une étoffe de laine peignée par opposition à « draperie » qui est réservé aux tissus de laine cardée.

    279 L’industrie en France occupée, p. 119 et 122-123.

    280 Levain et alii, 2ème partie, p. 101.

    281 J. Levain et alii, 1984, p. 102-105, et J. P. Daviet, 1987, p. 805-811.

    282 J. P. Daviet, 1987, p. 806.

    283 C. Fohlen, 1954, p. 361.

    284 C. Fohlen, 1954, p. 128.

    285 C. Fohlen, 1954, p. 365 et sq. ; J. Laloux, 1924.

    286 J. Laloux, 1924, p. 45-46.

    287 L’indicateur de Tourcoing, 5 mars 1865, cité d’après J. Ameye, p. 205.

    288 C. Fohlen, 1956, p. 340 ; Enquête parlementaire, t. 2, p. 194 ; J. Toulemonde, 1966, p. 52-53.

    289 J. Laloux, 1924, p. 45.

    290 J. Laloux, 1924, p. 117.

    291 C. Fohlen, 1956, p. 340.

    292 C. Fohlen, 1951, p. 98-99.

    293 C. Fohlen, 1956, p. 338, qui indique les bénéfices de Toulemonde-Destombe de 1860 à 1866, et J. Toulemonde, 1966, p. 217, ceux du peignage Amédée Prouvost pour la même période.

    294 C. Fohlen, 1956, p. 339-340.

    295 P. Descamps, p. 79, décrit ainsi le phénomène : « Le but poursuivi est de fonder autant d’usines qu’il y a de fils. Dans la famille Motte, à Roubaix, il est de tradition de fonder un nouvel atelier quand un fils atteint la majorité, en l’associant à un directeur qui a fait ses preuves ». J. Toulemonde, 1966, p. 188 ; L. Bergeron, 1983, T. 2, p. 171-172 ; B. Dorgeville-Roux, 1990, p. 17-22 ; P. de Rousiers, 1925, p. 140-142.

    296 P. Pouchain, 1998, p. 164.

    297 J. Toulemonde, 1966, p. 188.

    298 J. Ameye, 1985, p. 203-205.

    299 Banque de France, succursale de Roubaix, 1875.

    300 J. P. Daviet, 1987, p. 806-807.

    301 R. Clay, 1967, 2 vol. Le premier volume, non paginé, contient les tableaux statistiques.

    302 L’industrie en France occupée, p. 103.

    303 Le bilan d’Allart est extrait du rapport d’inspection de la Banque de France de 1911, et celui de Prouvost du BALO, 7 juin 1920. Ils ont tous deux été reproduits et commentés par J. P. Daviet, 1987, p. 807-808, qui analyse également le bilan pour 1923 des Ets Charles Tiberghien que, pour ma part, je n’ai pas cru devoir retenir car la conjoncture de l’après-guerre est radicalement différente.

    304 P. Pouchain, 1998, p. 166-171.

    305 Banque de France, succursale de Roubaix, 1896.

    306 Y. M. Hilaire, 1984, p. 129.

    307 I. Blaise, 1989, p. 60.

    308 J. Toulemonde, 1966, p. 179.

    309 Clay, 1967, T. 1.

    310 P. Verley, 1994, p. 121.

    311 Banque de France, succursale de Roubaix, de 1890 à 1913.

    312 ADSM, 77 J 308.

    313 J. P. Daviet, 1987, p. 807.

    314 R. Clay, 1967, p. 52-53.

    315 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911.

    316 J. Toulemonde, 1966, p. 179.

    317 A. Hennebicque, 1969, p. 79.

    318 R. Clay, 1967, p. 24 et 45.

    319 Le matériel en place, même ancien, faisait l’objet d’incessantes transformations qui avaient pour but d’introduire des améliorations ou de l’adapter aux besoins de la fabrication. Ces transformations qui sortent du cadre de l’entretien courant n’étaient cependant pas comptabilisées comme des investissements : elles figuraient le plus souvent sur les livres des entreprises à la rubrique « réparations ».

    320 L’industrie en France occupée, p. 58.

    321 J. Bonte, 2002, p. 87-92.

    322 L’industrie en France occupée, p. 103-105, 119-120, 102, 119 et 117.

    323 E. Motte, 1930, p. 823.

    324 A. Hennebicque, 1968, p. 79 ; L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    325 ADN, M 572/21.

    326 P. Descamps, 1910, p. 43.

    327 A. Hennebicque, 1968, p. 78-80, ainsi que, quoique de manière plus nuancée, J. Levain et alii, 1984, p. 98-100.

    328 L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    329 M. Raman, 1973, p. 499.

    330 ADN, M 572/21 ; L’industrie en France occupée, p. 103-105.

    331 A. Hennebicque, 1968, p. 79.

    332 Sur la notion de groupe, Y. Morvan,, 1972 ; F. Morin, 1974.

    333 J. P. Daviet, 1987, p. 809.

    334 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911 ; L. Bergeron, 1983, p. 167-171 ; Y. M. Hilaire, 1984, p. 179 ; J. P. Daviet, 1987, p. 810 ; R. Pierreuse, 1972, p. 23-25 ; P. Pouchain, 1998, p. 144, 178, 188-189 ; J. et F. Meillassoux, 1969, p. 291-305 ; G. Sayet, 1912, p. 347-353 ; P. Descamps, 1910, p. 82-85.

    335 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911 ; J. P. Daviet, 1987, p. 810 ; R. Pierreuse, 1972, p. 26-28 ; P. Pouchain, 1998, p. 84 et 186 ; L. Bergeron, 1983, p. 172.

    336 Banque de France, succursale de Roubaix, 1911 ; P. Pouchain, 1998, p. 62, 92 et 150 ; R. Pierreuse, 1972, p. 28-29 et 36 ; Peignage Amédée Prouvost et Cie.

    337 J. Toulemonde, 1966, p. 188 ; B. Dorgeville-Roux, 1990, p. 30-31.

    338 P. Pouchain, 1998, p. 91-92 et 62.

    339 P. de Rousiers, 1925, p. 134, 136-137 et 140-142. ; G. Sayet, 1912, p. 347 ; P. Descamps, 1910, p. 82-85.

    340 P. Descamps, 1910, p. 85.

    341 F. Caron, 1995, p. 144-148.

    342 J. Levain et alii, 1984, p. 101.

    343 F. Caron, 1995, p. 147.

    344 C. Fohlen, 1956, p. 344.

    Les territoires de la laine

    X Facebook Email

    Les territoires de la laine

    Ce livre est cité par

    • Craig, Béatrice. (2020) Palgrave Studies in Economic History Female Entrepreneurs in the Long Nineteenth Century. DOI: 10.1007/978-3-030-33412-3_5
    • (2009) Jules Émile Scrive. Carnets d’un patron lillois 1879-1891. DOI: 10.4000/books.septentrion.71928
    • Guicheteau, Samuel. (2014) Les ouvriers en France. DOI: 10.3917/arco.guich.2014.01.0249
    • Gasnier, Marina. (2020) De nouveaux horizons pour l’archéologie industrielle. e-Phaïstos. DOI: 10.4000/ephaistos.7997
    • Minovez, Jean-Michel. (2017) Les interrelations des PME dans la structuration et la déstructuration des territoires de l’industrie. L’exemple de l’Ariège, vers 1800-2016. Marché et organisations, n° 30. DOI: 10.3917/maorg.030.0047
    • Lacombe, Nicolas. (2018) « Co-produire ». Repenser l’élevage par les interdépendances entre activités. Géocarrefour, 92. DOI: 10.4000/geocarrefour.11230

    Les territoires de la laine

    Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://freemium.openedition.org/oebooks

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque Acheter ce livre aux formats PDF et ePub

    Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org

    Les territoires de la laine

    Vérifiez si votre bibliothèque a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books.

    Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque d’acquérir un ou plusieurs livres publiés sur OpenEdition Books. N’hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées : access[at]openedition.org

    Vous pouvez également nous indiquer, à l’aide du formulaire suivant, les coordonnées de votre bibliothèque afin que nous la contactions pour lui suggérer l’achat de ce livre. Les champs suivis de (*) sont obligatoires.

    Veuillez, s’il vous plaît, remplir tous les champs.

    La syntaxe de l’email est incorrecte.

    Référence numérique du chapitre

    Format

    Daumas, J.-C. (2004). Chapitre 4. Roubaix-Tourcoing : le Manchester français. In Les territoires de la laine (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52986
    Daumas, Jean-Claude. « Chapitre 4. Roubaix-Tourcoing : le Manchester français ». In Les territoires de la laine. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2004. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52986.
    Daumas, Jean-Claude. « Chapitre 4. Roubaix-Tourcoing : le Manchester français ». Les territoires de la laine, Presses universitaires du Septentrion, 2004, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52986.

    Référence numérique du livre

    Format

    Daumas, J.-C. (2004). Les territoires de la laine (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52920
    Daumas, Jean-Claude. Les territoires de la laine. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2004. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52920.
    Daumas, Jean-Claude. Les territoires de la laine. Presses universitaires du Septentrion, 2004, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52920.
    Compatible avec Zotero Zotero

    1 / 3

    Presses universitaires du Septentrion

    Presses universitaires du Septentrion

    • Mentions légales
    • Plan du site
    • Se connecter

    Suivez-nous

    • Facebook
    • LinkedIn
    • Instagram
    • X
    • Flux RSS

    URL : http://www.septentrion.com

    Email : contact@septentrion.com

    Adresse :

    Université de Lille

    Rue du barreau

    BP 30199

    59654

    Villeneuve d’Ascq

    France

    OpenEdition
    • Candidater à OpenEdition Books
    • Connaître le programme OpenEdition Freemium
    • Commander des livres
    • S’abonner à la lettre d’OpenEdition
    • CGU d’OpenEdition Books
    • Accessibilité : partiellement conforme
    • Données personnelles
    • Gestion des cookies
    • Système de signalement