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    Plan détaillé Texte intégral De la confrérie de métier à l’association de dévotion Un glissement du dynamisme confraternel du Sud vers le Nord de la province Réseaux de confréries et réseaux de dévotion

    Confréries urbaines et dévotion en Champagne

    Ce livre est recensé par

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    Conclusion générale

    p. 333-340

    Texte intégral De la confrérie de métier à l’association de dévotion Un glissement du dynamisme confraternel du Sud vers le Nord de la province Réseaux de confréries et réseaux de dévotion

    Texte intégral

    1Le choix de mener une étude sur les confréries, dans trois villes d’importance nationale ou provinciale, sur une longue période de quatre siècles, a permis de dégager de précieuses leçons sur le rôle tenu par les associations de piété dans la vie religieuse urbaine. On peut les regrouper en trois points : la permanence du phénomène confraternel entre XVe et XIXe siècle s’est faite au prix de spectaculaires transformations de la confrérie elle-même, fruits d’une histoire propre se révélant toujours sensible aux enjeux, réformes et mouvements guidant l’histoire religieuse générale ; entre chacune des trois villes, la proximité géographique et des échanges aussi fréquents qu’anciens en de nombreux domaines n’empêchent pas des évolutions différenciées et de très fortes spécificités dès qu’il s’agit de confrérie ; enfin, la multiplicité des confréries créées dessine des réseaux dont les contours varient dans le temps et dans l’espace, avec cependant cette forte caractéristique d’être toujours au service de la dévotion et des dévotions qu’ils se donnent pour mission de diffuser.

    De la confrérie de métier à l’association de dévotion

    2La confrérie doit à une grande plasticité sa permanence comme élément de la vie religieuse des grandes villes champenoises. Au point de départ de ce travail (1450-1520), un premier réseau confraternel achève de se mettre en place dans les trois cités épiscopales. Il présente alors un caractère polymorphe tout à fait remarquable, dominé cependant par la confrérie de métier et celle rassemblant un groupe social organisé autour d’une intercession. C’est à l’action des bourgeoisies urbaines, qui ont découvert dans le cadre confraternel une manière d’exprimer sur le plan religieux leur influence croissante dans la vie économique et politique de la cité, que la confrérie semble devoir alors son essor et son succès. Rien ne le montre finalement mieux que la participation des confréries à l’embellissement des sanctuaires où elles ont trouvé asile. « Etre de confrérie » est alors majoritairement la recherche d’une structure communautaire qui garantit des suffrages et des bénéfices au moins une fois l’an à l’occasion de la fête et du banquet.

    3Si ce modèle est dominant, il n’a pourtant rien d’exclusif et il faut remarquer qu’une confrérie plus attentive aux aspirations religieuses des individus, ne se contentant plus des seuls suffrages communautaires, dépréciant également des modalités aussi traditionnelles que le banquet, est déjà présente dans la vie religieuse des cités au début du XVIe siècle. C’est le temps où les courants et les esprits réformateurs qui travaillent l’Eglise en profondeur se manifestent. Cette effervescence correspond d’ailleurs à l’arrêt des créations confraternelles. Remises en cause et semble-t-il incapables d’apporter des réponses aux questions du temps, les confréries traditionnelles s’essoufflent au cours du XVIe siècle, mais au même moment la confrérie de dévotion fait la conquête des villes. C’est en son sein en effet que les premiers réformateurs catholiques des trois communautés urbaines se sont souvent rassemblés, à l’image du Cordelier troyen Morel dont l’itinéraire personnel du catholicisme vers le protestantisme, puis son retour à la foi catholique se concrétise très significativement par la fondation d’une confrérie du Nom de Jésus. En s’affirmant comme un des remparts contre la Réformation en ville, la confrérie de dévotion contribue nettement à réorganiser et à faire renaître le catholicisme urbain. Une fois la paix revenue en Champagne, les confréries placées sous un vocable christique (Saint Sacrement, Saint Nom de Jésus) et marial (Rosaire, l’un des mystères, vierge de pèlerinage comme celle de Liesse), celles dédiées aux saints protecteurs locaux (tels Mathie et Loup à Troyes) s’installent durablement dans les couvents et les paroisses.

    4L’importance du renouveau confraternel des XVIIe et XVIIIe siècles nous fait entrer dans une nouvelle étape de l’histoire des groupements de piété, où la confrérie de dévotion est devenue le modèle que tentent d’imposer d’abord le clergé régulier et le milieu dévot, puis le clergé et les fidèles de la cellule paroissiale. Gardons-nous cependant d’utiliser de manière trop rigoureuse ce terme, car l’idée de « dévotion » entendue comme la volonté de manifester son attachement à Dieu par des gestes de piété sortant de l’ordinaire de la pratique, n’est étrangère à aucune confrérie, fut-elle de métier. La différence tient alors plus au degré et au nombre des obligations dévotes qu’à leur présence. Il demeure que les « bonnes » confréries tridentines entraînent de nombreuses confréries anciennes demeurées prospères à vivre une adaptation, à l’image de la vénérable confrérie de Dieu et de monsieur saint Pierre qui devient à son tour une association aussi dévote que les récentes créations du XVIIe siècle. Elles rendent marginales toutes celles conservant leur fonctionnement de « frairie » médiévale, comme la confrérie saint Gibrien de Reims. Plus encore, le modèle qui a grandi et s’est transformé dans le monde urbain est maintenant proposé aux campagnes vers lesquelles se tourne désormais la pastorale diocésaine par l’exercice de la mission et de la visite.

    5Une ultime étape dans l’évolution de la confrérie nous semble se mettre en place au cours du XVIIIe siècle. Elle nous apparaît comme l’effet conjugué et contrasté des différents courants d’opinion qui traversent l’Eglise gallicane et de l’émergence de nouvelles sociabilités non-confessionnelles. Tout comme la part de l’élément religieux dans l’identité des villes évolue très fortement au cours du siècle, celle de la confrérie se transforme également. Les réseaux dévots s’affaiblissant et la paroisse ayant trouvé son plein épanouissement, la confrérie semble partiellement s’effacer dans la cité. En réalité, le christianisme des Lumières facilite parallèlement sa simplification et son uniformisation autour d’une dévotion centrée sur le Christ (adorations, sacrements) et secondairement sur sa mère. La diversité des titulatures s’estompe alors inexorablement et jamais la confrérie traditionnelle n’a semblé plus fragilisée qu’entre 1750 et la Révolution. Cette nouvelle transformation de la confrérie dans un catholicisme lui-même en transition est cependant interrompue par le choc de la Révolution, notamment le décret du 18 août 1792. Elle n’est pas pour autant définitivement annulée. En effet, le mouvement interrompu pour un temps reprend après 1801, restaurant à Châlons et à Troyes bon nombre de confréries du Saint Sacrement ou de la Vierge – créant au passage quelques chapelets – qu’une partie des catholiques avaient tenté d’imposer avant 1792. A côté des refondations, le plus remarquable concerne les érections de confréries ou associations du Sacré Cœur ainsi que de sociétés chargées de prolonger les efforts accomplis par les missionnaires de la Restauration dans les deux villes de Champagne du Nord. Plus qu’aucune autre auparavant, ces dernières sont porteuses d’un projet religieux et social ambitieux, adapté à des villes où la Révolution a pu faire éclater les solidarités confessionnelles et sociales traditionnelles et dans lesquelles on fait le constat de la déprise religieuse parfois avancée chez une partie des élites sociales et économiques des cités ainsi que dans les milieux « ouvriers ». Dans un climat fortement marqué par le désir d’expier les faits jugés anti-chrétiens du dernier quart de siècle, elles sont mobilisées au service d’un projet de société nouvelle dont le fondement redeviendrait le christianisme catholique. L’Association du Sacré Cœur créée par l’évêque de Troyes Boulogne en 1821 est à cet égard significative du souci de rassembler sous un seul étendard les forces dispersées et isolées du catholicisme. Il y a déjà dans ces associations fondées à Troyes et à Reims comme une anticipation des grands projets de réévangélisation sous la protection du Sacré Cœur que tentera l’Eglise catholique sous Pie IX. Ainsi, l’entrée dans des confréries bien moins nombreuses qu’aux siècles précédents est-elle devenue un signe patent de catholicité. D’une certaine manière, la confrérie qui était un miroir de la société est devenue un miroir de l’Eglise.

    Un glissement du dynamisme confraternel du Sud vers le Nord de la province

    6Un second aspect marquant est le renversement géographique du dynamisme confraternel qui se résume par deux évolutions : Troyes, qui était à la pointe de l’essor confraternel aux XVe et XVIe siècles s’épuise puis décline de façon certaine, alors que, simultanément, les deux villes de Champagne du Nord enregistrent une poussée au XVIIe siècle et un meilleur maintien au XVIIIe siècle.

    7C’est à l’évolution troyenne qu’il faut s’intéresser tout d’abord. A un premier réseau qui est à la fois précoce, ample et original, plaçant la ville de Troyes parmi les plus dotées en confréries de même qu’elle est parmi les plus riches du royaume, succède un tissu relâché, simplifié et finalement sans surprise. Pour quelles raisons ? La chronologie fournit la clé essentielle, car c’est au cours du XVIe siècle que s’opère la mutation décisive, ce qui conduit à réfléchir sur le poids des causes religieuses et notamment sur l’importance prise par les idées nouvelles et réformées. Comme le révèle le bon accueil du protestantisme dans de nombreuses familles des élites politiques et économiques, une partie de la société troyenne était préparée à bien recevoir des formes religieuses différentes, issues de la Devotio Moderna. La ville de Troyes n’est pas devenue un foyer protestant durable, mais cette forte sensibilité aux différents courants réformateurs travaillant l’Eglise, les interrogations occasionnées par trois-quarts de siècle d’effervescence religieuse puis d’excès ligueurs (1520-1594) ont bouleversé en profondeur son climat religieux. Les effets se voient dès le début du XVIIe siècle. Non seulement les confréries issues du christianisme traditionnel ont disparu, mais le milieu dévot local, moins puissant que dans les deux villes du Nord de la Champagne, peine à leur substituer un nouveau réseau confraternel aussi influent. La ville de Troyes se forge alors une identité originale où se lisent, d’une part un esprit civique fort et, de l’autre, un caractère plus nettement gallican qu’à Châlons et surtout qu’à Reims. Parallèlement à l’explication religieuse, le poids de l’évolution socio-économique est considérable. Après ce qu’il est coutume d’appeler un « Beau XVIe siècle troyen », l’activité économique de la ville stagne, tout comme sa population. En perdant de son rayonnement industriel et commercial, Troyes est une cité en déclin. Sa bourgeoisie ouverte sur l’économie européenne et sensible aux expériences religieuses venues d’ailleurs, qui avait constitué ce réseau si dense de confréries, ne prend alors plus soin de développer et de soutenir la diversité traditionnelle ni de se rassembler dans des confréries particulières. Il en résulte un appauvrissement relatif qui semble se poursuivre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Néanmoins les Troyens retrouvent un certain dynamisme confraternel après 1804, qui s’explique avant tout par la chance de posséder un évêque bien plus tôt qu’ailleurs et par l’activité du réseau clérical local qui se tourne, comme à Châlons, vers l’autorité pontificale de Pie VII pour obtenir les précieux induits.

    8Au moment même où le formidable réseau troyen s’affaiblit, celui de Reims se consolide, les XVIIe et XVIIIe siècles représentant le véritable apogée des confréries de cette ville. Cela s’explique d’abord par l’histoire et l’importance d’un réseau médiéval certes incomparable en quantité et en qualité avec celui de Troyes, mais loin d’être négligeable. La raison est aussi d’ordre économique, car les activités restent prospères à Reims au cours du XVIIe siècle. Les confréries sont d’ailleurs construites à l’image de la société rémoise et les marchands, groupe social en pleine affirmation, se retrouvent sur presque toutes les listes des associations de piété. Une autre raison plus importante encore car elle différencie fortement Reims de Troyes, est le faible impact de la Réformation dans la ville du Cardinal de Lorraine. Foyer solide et actif de la première Contre-Réforme et de la Ligue, Reims reste marquée en profondeur par son identité fortement catholique. Contrairement à Troyes aussi, elle accueille les Jésuites qui, avec les quatre Ordres Mendiants qu’elle est seule à posséder, contribuent au renouveau des confréries de dévotion. Le succès de ces groupes sous la Réforme catholique, leur maintien après 1750, tout comme la flambée de la Restauration attestent de ce fort particularisme d’une cité à la fois catholique et royale.

    9Châlons présente des points communs avec la ville de Reims, notamment chronologiques et typologiques. Cependant, la comparaison s’arrête là et l’impression dominante est celle d’une remarquable continuité entre XVe et XIXe siècle. Le réseau de confréries châlonnaises n’a, en effet, jamais atteint la densité relevée pour ses deux voisines. Il apparaît toutefois adapté à la taille et à l’économie de la cité. Des confréries de plus de mille membres n’ont rien d’exceptionnel jusqu’au XVIIIe siècle à Châlons. Elles symbolisent à nos yeux une présence confraternelle originale qui recrute dans toutes les paroisses de la ville, dans l’ensemble des couches sociales également, contribuant ainsi à définir une identité châlonnaise faite d’une grande cohésion sociale et de liens forts de solidarité.

    Réseaux de confréries et réseaux de dévotion

    10Dans la définition de la confrérie donnée en introduction générale, nous insistions sur sa position charnière à la rencontre des aspirations des laïcs et des exigences des clercs. Ces deux groupes, présents au début de l’histoire confraternelle urbaine – qu’on songe simplement à la première confrérie rencontrée, celle de Dieu et de saint Pierre-aux-Clercs en 1172 – furent par la suite toujours associés à son évolution. La confrérie fut donc, pour les uns comme pour les autres, le résultat d’un choix, celui de se rapprocher. Cependant, il est vrai aussi que leurs rôles respectifs ont fortement évolué en quatre siècles. C’est cet aspect qu’il convient maintenant de préciser.

    11L’importante mutation que connaît la confrérie au long de ces quatre siècles résulte en grande partie d’un autre mouvement parfaitement parallèle, celui de sa cléricalisation. Il n’est pas besoin de revenir trop longuement sur la progressive mise sous contrôle clérical de la confrérie, en revanche il faut insister sur le poids des deux temps de transition que sont les XVIe et XVIIIe siècles dans ce processus. Au XVIe siècle, ce sont les réguliers qui donnent une nouvelle impulsion au mouvement confraternel, en proposant d’abord des voies plus conformes aux attentes spirituelles des laïcs, puis en participant à l’avènement de la confrérie de dévotion contre-réformatrice et réformatrice. Le premier XVIIe siècle est un temps de confirmation du rôle prépondérant des réguliers, mais aussi un temps de diversification du modèle confraternel avec l’apport des fondations issues des nouvelles communautés religieuses, Jésuites en tête. C’est au sein de leurs confréries que s’inaugurent des voies d’apostolat urbain originales, que les exigences spirituelles progressent et c’est souvent par elles aussi que les indulgences plénières s’implantent plus massivement dans la cité. Non sans que cela crée des tensions au XVIIe siècle avec le cadre paroissial. Pour des raisons différentes, ces confréries « régulières » déclinent dès le début du XVIIIe siècle. C’est alors que triomphe la confrérie paroissiale promue par les séculiers qui, d’une certaine façon, prend le relais. Si la simplification et la volonté d’uniformisation de la confrérie autour des grandes dévotions au Christ et à la Vierge qui se réalisent alors paraissent être l’œuvre des évêques et de leur clergé paroissial, elles ne font, d’une certaine manière, que prolonger un effort en cours depuis deux siècles, dans l’exact prolongement du Concile de Trente. Une preuve tardive de cette continuité est même donnée dans ce qui ressemble étrangement à un succès posthume des projets de congrégations mariales des Jésuites repérable dans les confréries post-révolutionnaires : un apostolat par milieu, significatif de la volonté de reforger une société catholique.

    12Au cours de cette longue histoire, la confrérie n’a cessé de s’ouvrir au plus grand nombre, éliminant progressivement les barrières financières que pouvaient constituer des droits d’entrée prohibitifs pour leur préférer des conditions morales accessibles à tous. Le passage de certaines confréries médiévales pratiquant le numerus clausus aux associations de mission précisant que le nombre de chrétiens à enrôler est illimité, rend compte à l’extrême de l’ampleur de la mutation accomplie. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’âge et le sexe ne sont plus des obstacles pour les postulants à l’entrée dans une confrérie et celle-ci est, de plus en plus, l’affaire de la famille entière, allant peut-être jusqu’à accueillir des enfants avant même la communion. Ainsi, les confréries ont constitué des réseaux solides, durables sur plusieurs générations et servant de base à la vie pastorale. Cette évolution en croise une autre tout aussi marquante : la féminisation de la vie confraternelle. Certainement minoritaires dans les confréries du XVe siècle, mais non pas absentes, les femmes sont devenues majoritaires au sein des grandes confréries mixtes des Temps modernes. On assiste même à la naissance de confréries qui leur sont réservées dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et surtout au début du XIXe siècle. Cela témoigne de la part grandissante des femmes qui, d’ailleurs, ne se limite pas à leur prépondérance en terme d’effectifs. Il ne faut pas hésiter à tracer franchement un parallèle entre le développement des exigences pieuses et la féminisation des confréries de dévotion. Après 1801, le cadre confraternel les forme aux fonctions de catéchistes dans et hors de leur foyer. La voie associative a ainsi grandement contribué à préparer ce « catholicisme au féminin » qui caractérise la vie ecclésiale et religieuse à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Mais il faut aussi nuancer cette conclusion, car cette promotion s’opère alors dans un contexte de détachement masculin.

    13S’il est indéniable que le souci de la dévotion a poussé des fidèles à s’unir en groupes de dévots autour de tel saint ou de tel mystère, il faut insister sur le fait que ces constitutions communautaires se nourrissent au fil des siècles d’adhésions toujours plus individuelles et particulières. On a pu voir comment l’entrée dans une confrérie de dévotion d’un homme ou d’une femme est aussi devenue une affaire strictement privée. De la sorte, le confrère pose librement un acte personnel fort, faisant la démonstration de la vive conscience qu’il a de sa singularité, animé d’une volonté propre d’œuvrer pour son salut et celui de ses proches. Sans que cela soit paradoxal, l’essor de la collectivité fraternelle accompagne et aide en parallèle l’affirmation de l’individu chrétien, ainsi que le montre clairement le passage s’opérant de la prière publique et liturgique vers celle privée et personnelle.

    14Mêmes spécifiques et portées par des conditions propres à chacune des trois cités épiscopales, les fluctuations des réseaux confraternels champenois font écho aux grandes évolutions qui jalonnent l’histoire générale des confréries urbaines entre XVe et XIXe siècle. L’influence des courants spirituels qui travaillent le christianisme urbain européen depuis les temps flamboyants et la floraison de dévotions qui le manifeste dans la vie religieuse des laïcs y ont souvent et parfois précocement trouvé une expression confraternelle. C’est tout particulièrement net entre 1450 et 1650 ainsi qu’en attestent les triomphes successifs de la piété du Corpus Christi, de l’immaculée Conception virginale, du Rosaire et du Saint Nom de Jésus, enfin de l’Adoration perpétuelle. Derrière chacune de ces confréries agissent des groupes fervents de chrétiens puis au XVIe siècle de catholiques qui, après la Ligue, tentent de se constituer en cercles chargés d’instaurer un « système dévot » dans les sociétés urbaines. Le réseau rémois du milieu XVIIe siècle correspond tout à fait à une telle ambition et constitue alors une composante majeure d’un plus vaste mouvement en grande partie impulsé de l’extérieur, depuis le centre parisien, les provinces voisines telle la Bourgogne (sainte Reine, association de l’Adoration perpétuelle inspirée notamment du succès de celle dressée en cette région) et depuis Rome. Avec l’essor des affiliations aux archiconfréries, l’implantation des congrégations mariales et les multiples bienfaits provenant d’outre-monts (indulgences, reliques, pèlerinage de Lorette), des unions spirituelles inédites sont proposées aux couches urbaines, élargissant leur espace de prière et unifiant plus nettement que jamais leurs aspirations à celles d’autres villes de la catholicité européenne. Le confrère champenois n’est plus seulement le membre d’un groupe local, mais par son engagement il contribue à l’édification d’une œuvre de piété bien plus ambitieuse et tissée à travers l’espace. L’évolution de la terminologie employée pour désigner la fraternité organisée éclaire d’ailleurs cette mutation. Au terme de confrérie universellement employé s’ajoute en effet celui d’association au cours du XVIIe siècle. Peut-être utilisé dans un même sens initialement – certains groupes hésitent et se qualifient par ces deux mots –, il devient rapidement significatif d’une autre manière d’être confrère, qui triomphe après la Révolution. Car autant le substantif « confrérie » conserve le caractère de relations étroites, celui « d’association » évoque une autre manière de vivre la charité fraternelle qui se contente de liens sociaux plus lâches.

    15Dans cette évolution d’ensemble, les années 1650-1700 constituent un tournant remarquable. En premier lieu parce que la construction du « système dévot » montre rapidement ses limites, y compris à Reims. Car, finalement, les grands projets associatifs des dévots restent confinés à des élites chrétiennes constituant certes des noyaux influents et modèles, mais ne parvenant pas pour autant à agir durablement dans l’espace social des cités. Plutôt que de favoriser le triomphe du militantisme fait d’actions extérieures, les confréries qui se développent à la fin du XVIIe siècle et dans la première moitié du XVIIIe siècle façonnent plutôt un bon chrétien, qui y trouve de quoi nourrir sa piété personnelle et celle de sa famille, toujours plus centrée sur le Christ et toujours plus intérieure. Invité à vivre une dévotion aux accents modérés et bien réglés, le confrère champenois des années 1700 n’est plus un dévot mais un bon paroissien qui au sens du temps « fait ses dévotions ».

    16Enfin, dans les villes du XVIIIe siècle où le besoin de sociabilité redevient essentiel, il n’est pourtant plus spécialement prioritaire dans les confréries. Médiocrement relayée par la vie associative catholique, au contraire de la Provence à même époque, cette forte aspiration se trouve en dehors d’elle, dans d’autre lieux de sociabilité. Mais, une fois passée la Révolution et ses prolongements immédiats, le renouveau de la sociabilité catholique figure parmi les objectifs fondamentaux du mouvement associatif de la Restauration. Cette double tentative, tardive et pour tout dire décalée, ne parvient cependant pas à se pérenniser au-delà de 1830 trop identifiée qu’elle fut à un courant politique et culturel contre-révolutionnaire

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    Confréries urbaines et dévotion en Champagne

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    Confréries urbaines et dévotion en Champagne

    Ce livre est cité par

    • Dompnier, Bernard. (2014) Histoire du christianisme en France. DOI: 10.3917/arco.vince.2014.01.0213
    • Garrioch, David. (2017) “Man Is Born for Society”: Confraternities and Civil Society in Eighteenth-Century Paris and Milan. Social Science History, 41. DOI: 10.1017/ssh.2016.40
    • Chaline, Olivier. (2017) Guerre(s) et religion(s). Communio, N° 251-252. DOI: 10.3917/commun.251.0061
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    • Dehoux, Esther. Vincent, Catherine. (2021) Compter et se mesurer dans les pratiques du christianisme latin au Moyen Âge. Archives de sciences sociales des religions. DOI: 10.4000/assr.59392

    Confréries urbaines et dévotion en Champagne

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    Simiz, S. (2002). Conclusion générale. In Confréries urbaines et dévotion en Champagne (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52185
    Simiz, Stefano. « Conclusion générale ». In Confréries urbaines et dévotion en Champagne. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2002. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52185.
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    Simiz, S. (2002). Confréries urbaines et dévotion en Champagne (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52095
    Simiz, Stefano. Confréries urbaines et dévotion en Champagne. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2002. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52095.
    Simiz, Stefano. Confréries urbaines et dévotion en Champagne. Presses universitaires du Septentrion, 2002, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52095.
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