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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral I. Les enjeux II. Bref historique de la désamortisation III. Le concordat de 1851. Les négociations Notes de bas de page

    Église et état en Espagne au XIXe siècle

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre I. Antécédents et négociations

    p. 13-43

    Texte intégral I. Les enjeux 1.Tradition et progrès ou la naissance des deux Espagnes 2.Un enjeu pour une papauté en péril 3.Les raisons d’un Concordat II. Bref historique de la désamortisation 1.Premières mesures de désamortisation 2.Le XVIIIe siècle 3.La guerre d’indépendance 4.La période libérale de 1820 à 1823 5.Isabelle II et les libéraux au pouvoir 6. Mendizábal 7.La « seconde loi de désamortisation de Mendizábal » et les biens du clergé séculier 8.Résistance des évêques 9. Une crise qui s’aggrave sous la régence du général Espartero (1840-43) 10.Les modérés au pouvoir. Premiers pas vers des négociations avec Rome III. Le concordat de 1851. Les négociations 1.Accepter ou refuser la désamortisation 2. Reconnaître ou non Isabelle II comme souveraine légitime 3. Un accord qui n’aboutit pas : le Convenio de 1845 4.Avènement de Pie IX. Nomination d’un nonce Notes de bas de page

    Texte intégral

    I. Les enjeux

    1. Tradition et progrès ou la naissance des deux Espagnes

    1L’histoire de l’Espagne au XIXe siècle est complexe en raison du grand nombre de pronunciamientos, de conflits politiques et même de guerres civiles. Il en résulte une impression d’agitation perpétuelle et d’anarchie et, paradoxalement, d’immobilisme. Aux yeux des étrangers, l’Espagne apparaît comme accusant un retard dans son évolution politique, économique et intellectuelle.

    2Depuis 1700, la dynastie des Bourbons a succédé à celle des Habsbourg en la personne du duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, qui devient Philippe V d’Espagne. Elle apporte une tradition de centralisme étatique. Chaque monarque aura sa personnalité, mais le plus marquant sera Charles III (1759-88) qui, en despote éclairé, favorisera le développement du pays. Déjà se manifeste l’opposition entre ceux qui adhèrent à l’esprit du Siècle des Lumières (la Ilustración), héritiers des philosophes et encyclopédistes français, et les partisans d’une tradition qui craint les idées de progrès venues de l’étranger, inséparables d’une nouvelle vision de la société et de la vie.

    3Une période clé est celle qui correspond à la Révolution française, c’est-à-dire au règne de Charles IV (1788-1808). Une guerre de courte durée contre la France de Robespierre sera suivie d’une alliance avec celle de Bonaparte, à l’instigation du ministre Godoy, mais elle se terminera, en 1808, par l’entrevue de Bayonne où l’Empereur, jouant des dissensions de la famille royale, obtiendra l’abdication de Charles IV et de son fils Ferdinand (VII) et la cession de leurs droits en sa faveur. Il nommera alors son frère aîné roi d’Espagne sous le nom de Joseph Ier. Un règne qui durera en principe jusqu’en 1814. Accepté par les afrancesados ou « francisés », héritiers de la pensée éclairée du XVIIIe siècle, membres surtout de la haute administration et de la noblesse cultivée, Joseph Bonaparte fut combattu les armes à la main par une majorité d’Espagnols, appartenant plus particulièrement aux milieux populaires et au clergé. Ce fut la guerre d’indépendance, où d’impitoyables guérillas mirent à mal les armées napoléoniennes, tout aussi impitoyables, comme en a témoigné Goya.

    4Dans les régions insoumises, les juntes locales organisèrent la résistance, déléguèrent des représentants à des juntes provinciales ; une junte centrale assuma le pouvoir. On passa ainsi, dans les faits, de l’Ancien Régime, celui de l’absolutisme royal, à un nouveau régime, où le pouvoir est délégué d’en-bas, et qui se concrétisera juridiquement à Cadix. Ayant réussi à se réunir dans cette ville méridionale, les représentants du pays en lutte contre Joseph Ier, y votèrent la première constitution espagnole, celle de 1812, la Constitution de Cadix, qui se fonde sur la souveraineté nationale et qui a un caractère libéral. Tout en restant fidèles à la personne du roi Ferdinand, retenu prisonnier au château de Valençay dans l’Indre, les députés limitaient les droits du monarque, jusqu’alors absolu, et traçaient ainsi pour l’Espagne un avenir constitutionnel. Cette assemblée des Cortès de Cadix ne fut cependant pas unanime, les libéraux, majoritaires, s’opposant à une minorité d’absolutistes ; mais surtout elle ne reflétait pas le pays réel, où les mentalités, très traditionalistes, n’étaient pas préparées à l’accepter. Cette constitution, œuvre d’esprits éclairés, devint la référence pour tout mouvement libéral au long du siècle.

    5Lorsqu’après la défaite napoléonienne, Ferdinand VII revint sur le trône, en 1814, il refusa la Constitution, régna en monarque absolu et persécuta tant les afrancesados, qui avaient collaboré avec Joseph Ier, que les libéraux, qui s’y étaient opposés, mais qui, à Cadix, avaient voulu mettre fin à l’Ancien Régime. Aussi ces derniers conspirèrent-ils. Le soulèvement du colonel Riego, en 1820, leur donna pour trois ans un pouvoir que le roi ne put faire autrement qu’accepter avec la constitution de 1812. Mais son appel à l’aide fut entendu par les puissances absolutistes qui confièrent à la France la mission de le rétablir dans ses prérogatives. Ce fut le but atteint par l’expédition du duc d’Angoulême, dite des « cent mille fils de Saint Louis », et par la prise du fort du Trocadéro, près de Cadix. De 1823 à 1833, une nouvelle période de règne absolu s’ouvrit, marquée à nouveau, surtout au début, par le refus des idées libérales et la persécution de ceux qui les professaient.

    6On a ainsi le schéma de ce qui devait se passer pendant des décennies : faire et défaire constitutions et lois, au gré des bouleversements politiques. Ce fut le fruit de l’opposition entre absolutisme et libéralisme, tradition et progrès.

    7À la mort de Ferdinand VII, en 1833, se produisit un conflit dynastique, qui se préparait déjà depuis quelques années. Le roi laissait pour héritière, une fille, Isabelle II, née en 1830. Les partisans de don Carlos, frère de Ferdinand VII, ne voulurent pas la reconnaître comme reine. Défenseurs d’une monarchie absolue de droit divin, ils rêvaient d’une théocratie où l’Église aurait un rôle prépondérant à la différence de ce qui s’était produit avec les Bourbons qui croyaient à la suprématie de l’État et avaient pratiqué une politique régaliste, ce que Ferdinand VII, lui-même, avait fait. De plus, à la fin de sa vie, par calcul politique, celui-ci avait esquissé un rapprochement avec des libéraux.

    8Don Carlos invoquait la loi salique, introduite par Philippe V. Les partisans d’Isabelle II rappelaient l’ancien usage de Castille et les dispositions en ce sens prises par Charles IV puis par Ferdinand VIL Il s’ensuivit une guerre civile, la guerre carliste (1833-39) qui ensanglanta surtout les provinces au nord de l’Espagne, pays basque, Navarre, Catalogne, et qui opposa les carlistes aux « isabelinos » ou « cristinos », du nom de la régente Marie-Christine, mère d’Isabelle II, mais en fait les carlistes aux libéraux, dont elle avait dû chercher l’appui. Les libéraux allaient exercer le pouvoir, à Madrid, de façon de plus en plus radicale, sans qu’elle pût arrêter l’évolution du régime. Partisans des libertés énoncées dans la Constitution de Cadix, ils prirent des mesures anticléricales, concernant principalement les biens fonciers de l’Église.

    9Désamortisation, libéralisme, anticléricalisme, vont être au cœur des conflits de l’Espagne du XIXe siècle, mais aussi d’un affrontement avec Rome qui couvre les pontificats de Grégoire XVI (1831-1846) et de Pie IX (1846-1878).

    10Le concordat espagnol verra le jour dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle qui l’a emporté sur la solution carliste. Il correspond à l’accession au pouvoir, à partir de 1844, du parti modéré qui, sans avoir eu l’initiative de la désamortisation, en a tiré parti et désire ensuite la réconciliation avec l’Église.

    2. Un enjeu pour une papauté en péril

    11On ne peut isoler le cas espagnol d’une situation plus générale où la papauté, après avoir subi les effets de la Révolution française et de la main-mise de Napoléon Ier sur la péninsule italienne, vit son pouvoir temporel ébranlé par les idées libérales. Il lui fallut défendre ensuite, jusqu’en 1870, la souveraineté des États pontificaux contre les ambitions piémontaises, faire appel à l’aide des nations catholiques, la France et l’Espagne, après la proclamation de la république romaine par Mazzini, en 1849, et supporter la tutelle, parfois pesante, de l’Autriche, lutter contre les sociétés secrètes. Elle vit aussi se fragiliser tout un équilibre de relations entre le Saint-Siège et les différents États et un système où étaient subtilement dosées ses prérogatives et les leurs, et dont dépendait la vie de l’Église. Elle s’inquiéta du progrès de l’irréligion et de l’indifférentisme.

    12Les ruptures diplomatiques furent nombreuses. Les similitudes de l’histoire en furent cause : révolutions, mises sous séquestre des biens d’Église, affrontement au libéralisme, principes régalistes dont s’inspiraient encore certains états de premier ordre, tels que l’Autriche, ou aux ambitions grandissantes, comme le Piémont, si impliqués tous deux dans les bouleversements de la péninsule italienne, ou les jeunes nations d’Amérique du Sud qui avaient proclamé leur indépendance. Les tentatives de rapprochement se soldèrent par de très nombreux concordats, qui constituent un aspect essentiel de la politique pontificale, au sens large du terme, au XIXe siècle. Il y eut tout d’abord le concordat français de 1801. D’autres suivirent : Bavière (1817), royaume de Naples (1818 et 1834), Prusse (1821), Pays-Bas (1827), Russie (1847), Toscane (1851), les concordats latino-américains. Le concordat de 1851, qui est étudié ici, pour lui-même, en rapport avec la situation espagnole, mais aussi en lien avec la diplomatie romaine, qu’on ne peut encore appeler vaticane, permet de comprendre les enjeux des affrontements, qui se reproduisaient ailleurs en Europe, et même en Amérique latine, où il servira de modèle.

    3. Les raisons d’un Concordat

    13Le 16 mars 1851, sous le pontificat de Pie IX et le règne d’Isabelle II, était signé un concordat entre le Saint-Siège et l’État espagnol. Après diverses modifications, il fut ratifié, le 11 mai, par le nonce, Mgr Brunelli, et le ministre d’État, Manuel Bertrán de Lis. Le 12, il paraissait prématurément dans la Gaceta de Madrid, contrairement à l’usage d’alors qui voulait que le pape l’annonçât solennellement auparavant devant le Consistoire réuni, ce qui n’eut lieu que le 5 septembre. Le 17 octobre, la gazette officielle de Madrid publiait enfin le décret royal le déclarant loi du royaume.

    14Le Concordat était l’aboutissement de longues négociations, d’abord officieuses, ensuite officielles, commencées sous le pontificat de Grégoire XVI en 1844, avec comme représentant à Rome à titre privé Castillo y Ayensa et, en 1847, successivement Joaquín Francisco Pacheco et Martinez de la Rosa.

    15La nomination d’un nonce à Madrid, Mgr Brunelli, cette même année, fit de la capitale espagnole le centre des négociations au moment où, Rome étant en proie à la révolution, le nouveau pape Pie IX devait fuir à Gaëte, dans le royaume de Naples. Mgr Brunelli restera le négociateur jusqu’à la fin et soumettra les différents projets au Saint-Siège, une fois le calme revenu dans les États pontificaux.

    16Du côté du gouvernement espagnol, le rôle le plus important fut tenu par le marquis de Pidal à partir de 1849. Cependant le ministère Narváez ayant été remplacé, le 16 janvier 1851, par celui de Bravo Murillo, le nom qui apparaît sur le document définitif est celui du ministre d’État, Manuel Bertrán de Lis.

    17Il s’agit donc d’une élaboration longue et difficile, à laquelle se sont appliqués différents personnages. Intransigeance des uns, intransigeance des autres, ou complexité des problèmes ? Si l’on veut bien entrer dans les vues des deux parties en présence, on peut dire que cette complexité existait. Il s’agissait de régler les rapports entre l’Église et l’État, dans une Espagne qui avait été déchirée par les luttes civiles où avaient eu leur part les sentiments cléricaux et anticléricaux, et qui, par la désamortisation ordonnée par Mendizábal, avait vu dépouiller des immenses biens qu’ils possédaient les ordres religieux masculins, dont la suppression avait été décrétée, les ordres féminins, et même le clergé séculier.

    18C’est presque toujours le désir de mettre fin à une situation de crise qui, lorsque les passions s’apaisent ou qu’un régime plus favorable s’établit, conduit à la révision d’un précédent concordat, né lui aussi dans une période de tension. Pour l’Espagne, celui du 11 janvier 1753, signé par Ferdinand VI et le pape Benoît XIV, dura près de cent ans. Celui de 1851 resta en vigueur, avec quelques interruptions dues à des changements de gouvernement (1854-56), ou de régime (1868 et 1931-39), jusqu’à ce que Pie XII et l’Espagne franquiste en ratifient un nouveau, le 27 août 1953. La révision de ce dernier commença dès l’avènement du roi Juan Carlos, sous la forme d’accords partiels, en date du 28 juillet 1976 et du 3 janvier 1979. Une réforme était souhaitée depuis longtemps par les milieux non-catholiques, en raison des privilèges que le Concordat accordait à l’Église, et elle le fut, mais plus tardivement, par des catholiques et des ecclésiastiques. Ces privilèges pouvaient, en effet, avoir leurs inconvénients en liant trop l’Église à l’État, en faisant rejaillir sur elle la condamnation d’un régime, tout en la privant d’une certaine liberté d’action et de critique à l’égard de celui-ci et en lui donnant un caractère « triomphaliste ».

    19Ces privilèges n’auraient pas fait peur aux négociateurs du XIXe siècle représentants du Saint-Siège, ni aux catholiques de l’époque, car l’idée d’une Église solidement établie dominait les esprits, et ce qu’ils tentaient d’obtenir c’était l’assurance d’un statut. Ils essayaient, non d’acquérir de nouveaux privilèges, mais de recouvrer quelques-uns de ceux dont ils avaient joui pendant des siècles et dont les bouleversements politiques les avaient privés depuis une quinzaine d’années, car ils leur semblaient la garantie de l’autonomie de l’Église et de sa survie matérielle.

    20La main-mise de l’État sur l’Église, ils la craignaient, d’autant plus qu’ils se méfiaient des intentions et de la sincérité du gouvernement, quel qu’il fût, progressiste ou modéré, comme le montre la correspondance échangée entre le nonce et le Saint-Siège. De son côté, le gouvernement espagnol craignait la trop grande puissance de l’Église et son indépendance par rapport à lui. Cette méfiance réciproque a toujours existé dans la catholique Espagne, où il semble, au cours de l’histoire, qu’il y ait eu une continuelle confusion entre le temporel et le spirituel.

    21L’Église a joué un rôle important dans ce pays, comme ce fut le sien dans beaucoup de nations occidentales au Moyen-Âge, mais là, plus qu’ailleurs peut-être, essentiel, par suite de l’affrontement à une autre civilisation, celle de l’Islam et, au XVIe siècle, par sa participation à l’aventure américaine. Mais l’Église et l’État n’ont pas été un. Les conflits n’ont pas manqué : du sac de Rome par les troupes de Charles-Quint, en 1527, à la condamnation de l’archevêque de Tolède, Carranza, par l’Inquisition espagnole, sous Philippe II, de la politique régaliste des Bourbons à celle, nettement anticléricale de certains gouvernements du XIXe siècle. On dira alors qu’il s’agissait moins de conflits entre l’État et l’Église espagnole qu’entre le roi et la papauté, à une époque où le pape était un souverain temporel, où l’on pouvait craindre qu’il s’imposât en tant que tel ou, en cas de désaccord, qu’il cherchât l’alliance d’autres nations. Au XIXe siècle, la puissance temporelle du Saint-Siège n’inquiète plus personne ; elle est plutôt en danger. Bientôt elle disparaîtra entièrement, encore qu’une lutte d’influences ait lieu entre certaines puissances, la France, l’Autriche, autour du pape, entre les années 1840-70, par conséquent dans cette période qui intéresse notre étude. C’est un point qu’il faut retenir, de même que cette opposition latente, évoquée plus haut, entre le gouvernement de la catholique Espagne et la papauté. L’Église et l’État cherchent à définir un peu partout en Europe leur identité et les limites de leur juridiction en ce XIXe siècle. L’Espagne a peut-être plus de difficultés que d’autres pays à se dégager de ses structures du Moyen-Âge.

     

    22Pour comprendre les raisons de ces négociations, il faut remonter le cours du temps d’une quarantaine d’années et prendre la mesure des bouleversements subis par l’Espagne. C’est l’invasion napoléonienne, en 1808, qui oblige chaque catégorie sociale et chaque Espagnol même à prendre parti. On voit le peuple et une part du clergé lutter contre l’envahisseur, qui représente à leurs yeux toutes les forces du mal. La noblesse, dans l’ensemble, et une fraction du haut clergé, accueillent sans trop de réticences le nouveau roi Joseph Ier, auquel certains savent gré d’apporter à l’Espagne un peu de ces « lumières » qui, selon eux, lui font tant défaut, tandis que d’autres le tiennent pour le frère du restaurateur de la religion en France, grâce au Concordat de 1801, opinion qui sera contredite par les mesures prises en Espagne contre les ordres religieux et par la captivité de Pie VII. Il existe donc une ambiguïté. On ne peut assigner une seule opinion à chaque classe de la société, pas même au clergé, et c’est ce que confirment la réunion des Cortès de Cadix et le vote de la Constitution de 1812, qui restera le point de référence de la fraction la plus avancée de la nation au cours du XIXe siècle. Déjà, dans cette assemblée, la question religieuse apparaît, mêlée aux débats sur la royauté de droit divin et la souveraineté du peuple.

    23Cependant les antécédents de la crise qui aboutit à la nécessité de négociations ne sont pas purement d’ordre philosophique, c’est-à-dire que cette crise ne naît pas seulement de l’opposition entre traditionalistes et afrancesados, puis libéraux, ou de l’idée qu’ils se font de la place de l’Église dans l’État. En 1851, ce sera la question économique qui constituera et la nécessité d’un accord et la difficulté d’y parvenir, et elle sera en relation avec la vente des biens des ordres religieux supprimés en 1837 et la dotation du clergé séculier, privé de ses biens par la deuxième loi de désamortisation de Mendizábal.

    24Il nous faut retracer l’historique de ces mesures de désamortisation. Seule la précision dans l’énoncé des décrets permet de suivre ensuite les difficultés des négociations pour parvenir à un accord, puis de comprendre les raisons d’une nouvelle rupture, en 1855-56, entre le gouvernement espagnol et le Saint-Siège.

    II. Bref historique de la désamortisation

    25Au début du XIXe siècle, l’Église apparaissait comme une grande propriétaire possédant une masse de biens inaliénables, qui échappaient à l’impôt dont tout le poids retombait sur une partie limitée de la population. Les domaines étaient insuffisamment cultivés, tandis que beaucoup de paysans étaient sans terre. Le clergé et les Ordres restaient très nombreux et, parmi ceux-ci, beaucoup n’avaient plus le rôle qui avait justifié leur création au Moyen Âge. Le relâchement de la discipline était souvent réel.

    1. Premières mesures de désamortisation1

    26Le danger est perçu dès le Moyen Âge, de ces ordres religieux riches et qui acquièrent constamment des biens par des legs ou donations selon un droit reconnu à l’Église déjà à l’époque des Wisigoths. Les rois, au XIIIe siècle, s’en préoccupent, après que leurs ancêtres aient contribué à créer cet état de choses. Ferdinand III interdit à la municipalité de Madrid la vente de propriétés aux ordres religieux, aux Juifs et aux Maures... Les Cortès, dès cette époque et particulièrement au XVIe siècle, s’adressent au monarque pour qu’on limite tout au moins le droit d’acquérir de l’Église.

    27Quelques mesures de désamortisation ou de taxation sur les propriétés ecclésiastiques datent du Moyen Âge et ont été prises en accord avec l’autorité religieuse, plus précisément avec le pape ; mais ce furent toujours des mesures limitées et qui n’empêchèrent pas l’Église d’acquérir davantage de terres. Quant à l’immunité à l’égard de l’impôt dont elle jouissait, elle était sinon compensée, au moins corrigée, par le fait que le pape accordait souvent des subsides sur les biens ecclésiastiques aux rois, quand leurs difficultés financières étaient trop grandes, ceux-ci étant censés mener une guerre de croisade. C’était cependant toujours une faveur de sa part que de les concéder. L’Église, qui assumait les fonctions de bienfaisance, la charge des hôpitaux, trouvait justifiées l’exemption d’impôts et les donations qui lui étaient faites. Et puis, donner à l’Église, c’était donner à Dieu.

    2. Le XVIIIe siècle

    28Au XVIIIe siècle, la question se posant de façon plus pressante, on essaya dans le concordat de 1737, par les articles 7 et 8, de limiter l’immunité des biens d’Église acquis dorénavant, mais cette disposition resta lettre morte. Bien que l’idée de désamortisation fût exprimée à partir du règne de Charles III, et d’ailleurs souvent combattue, elle ne trouva pas d’application dans les faits. Ainsi, lorsqu’en 1767 les Jésuites furent expulsés, leurs biens ne furent pas sécularisés : leurs résidences ou collèges firent souvent office de séminaires, leurs églises servirent de paroisses. Leurs biens figurèrent comme « temporalidades de los Jesuitas » dans les inventaires dressés en 1835 pour procéder à la sécularisation de ceux des ordres religieux. C’est donc qu’ils n’étaient pas encore vendus. Rien de ce qui leur appartenait ne semble l’avoir été avant la période libérale de 1821. Ceci est curieux, car en 1767 l’expulsion fut brutale et offrait l’occasion de limiter le patrimoine ecclésiastique dont l’accroissement avait été dénoncé comme extrêmement nuisible par Campomanes, en 1765, dans son traité Regalía de amortización eclesiástica. Cependant, il était encore dangereux d’exprimer de telles idées, comme Olavide en fit l’expérience en 1766 ; elles devaient trouver un défenseur, en 1794, en la personne de Jovellanos.

    29En 1825, le traité de Campomanes est combattu par le cardinal Inguanzo dans Dominio de la Iglesia en los bienes temporales et inclus dans l’index des livres interdits. Or, en 1765, Campomanes, prudent, n’avait pas proposé de séculariser les biens d’Église mais seulement de restreindre leur acquisition.

    30C’est seulement sous Charles IV, en 1796, que l’on peut parler de mesures de désamortisation. En effet, on ordonne la vente des biens fonds appartenant aux Colegios mayores, hôpitaux, hospices, asiles, confréries, memorias2 ou fondations pieuses, œuvres pies, patronats de laïcs, et ceux de la Compagnie de Jésus qui n’auraient pas trouvé d’affectation. Le produit de la vente devait être versé à la caisse d’amortissement contre un intérêt de 3 %. Une fois encore ces décrets n’eurent pas d’application sérieuse. En 1805, Charles IV sollicite de Pie VII l’autorisation de mettre en vente certains biens et, en 1806, le septième des propriétés appartenant aux églises, monastères, communautés, fondations et à toute autre personne ecclésiastique, y compris les biens patrimoniaux des quatre ordres militaires et de celui de St Jean de Jérusalem. Ce fut ce qu’on appela el séptimo eclesiástico. Mais Ferdinand VII, dans son court règne, de mars à mai 1808, suspendit ces mesures. Il est à remarquer que dans chaque cas, la décision avait été prise en accord avec l’autorité ecclésiastique, laquelle accordait une sorte de faveur.

    3. La guerre d’indépendance

    31Des mesures presque similaires sont à considérer dans les deux camps en présence, celui de Joseph Bonaparte et celui de la résistance à l’envahisseur français et au roi intrus.

    32D’une part, Napoléon établi à Chamartín, dans les environs de Madrid, réduisit au tiers le nombre des couvents et, un an plus tard, le 18 août 1809, son frère Joseph Ier supprima les ordres religieux d’hommes et s’empara de leurs biens là où s’étendait son autorité ; les trésors des églises, qui n’avaient pas été détruits ou pillés par ses soldats, furent réquisitionnés. Au retour de Ferdinand VII, les biens des couvents revinrent à leurs propriétaires.

    33D’autre part, les Cortès de Cadix, qui représentaient l’opposition au régime de Joseph Ier, en accord avec leur projet libéral, supprimèrent l’Inquisition et les couvents de moins de douze moines profès. Le décret du 13 septembre 1813 ordonna la vente des couvents abandonnés, qu’il était interdit de reconstruire, et celle des biens des Jésuites, des ordres militaires et de l’Inquisition. Le tout devait servir à amortir la dette publique, une fois payés les frais du culte et une petite pension au clergé régulier privé de ses biens. Ces mesures ne purent vraiment être suivies d’effet, vu le retour au pouvoir de Ferdinand VII en 1814, mais elles deviendront un modèle de référence pendant la période libérale de 1820-23.

    34Avec le retour de Ferdinand VII, toutes les décisions prises furent annulées. Les acquéreurs de biens d’Église (il y en eut malgré tout) durent les rendre, en y ajoutant les intérêts que leurs précédents propriétaires auraient perçus s’ils n’avaient été spoliés ; ils perdaient également toute mise en valeur effectuée et furent exclus des fonctions publiques pendant un certain temps.

    35La question des biens ecclésiastiques est donc une occasion de discorde. Elle ne se pose pas sur un plan théorique. Il y a une catégorie de citoyens qui s’estime lésée par le retour à la situation antérieure et qui n’aura de cesse que la richesse des ordres religieux ne disparaisse. Ces derniers retrouvent ce qu’ils possédaient avant la guerre d’indépendance, moins ce que les armées françaises avaient dévasté. Cependant, de nouvelles donations, autorisées, viendront compenser les pertes de la guerre.

    36La Compagnie de Jésus est rétablie en Espagne le 29 mai 1815.

    4. La période libérale de 1820 à 1823

    37Après le soulèvement de Riego et la défaite des absolutistes, on revient à la législation de 1813. Un décret des Cortès, le 9 août 1820, ordonne la vente immédiate aux enchères publiques des biens nationaux ainsi définis en 1813, de même que ceux de l’Inquisition : ils furent vendus à bas prix, en général à 15 % de leur valeur.

    38Par le décret du 1er Octobre 1820, les Cortès approuvent la Ley de reforma de regulares, appelée aussi Ley de monacales. Le roi, poussé par le nonce et par son confesseur, refuse de la signer, mais il finit par le faire. Une émeute n’est pas étrangère à cette capitulation.

    39Par cette loi, on supprimait tous les monastères d’ordres monastiques (monacales, c’est-à-dire, bénédictins, cisterciens, chartreux, hiéronymites, basiliens), les collèges réguliers et couvents des ordres militaires, ainsi que d’une façon générale les couvents de moins de vingt-quatre religieux profès, soit la moitié de ceux qui existaient. Toute nouvelle profession était interdite.

    40Une forte résistance fut opposée à ces décisions qui donnèrent lieu à de nombreuses fraudes. Les évêques de Tarragone, Oviedo, Barcelone, Tarazona, Ceuta, Minorque, Pampelune, furent exilés ; celui de Vich fut tué.

    41Enfin, la ley de desvinculaciones du 11 octobre 1820 supprimait, outre les majorats, les patronats et les chapellenies. La dîme, toujours existante, fut réduite de moitié, mais le contribuable versa finalement l’autre aux finances royales tandis que le clergé, privé d’une partie de ses ressources, se voyait imposé de cent-vingt millions de réaux.

    42En 1823, avec la fin du trienio liberal et le retour de l’absolutisme, les biens vendus durent être rendus aux ordres religieux, sans la moindre indemnisation pour ceux qui les avaient acquis. Ce fut la source d’un profond mécontentement et d’une aspiration au retour au pouvoir des libéraux. Quant à la dîme, elle fut rétablie dans sa totalité.

    43Ferdinand VII, redevenu souverain absolu depuis 1823, dut, vers la fin de son règne, chercher l’appui des libéraux. Alors se groupèrent autour de son frère Don Carlos, des Espagnols plus absolutistes que le roi, ces realistas puros ou apostólicos qui, lors de la crise dynastique qui éclata à sa mort en 1833, allaient être désignés comme carlistes. Don Carlos revendiquant alors le trône, ses partisans s’opposèrent aux « cristinos » ou « isabelinos » ou « liberales », en référence respectivement à la régente Marie-Christine, à la reine Isabelle II, qui n’avait que trois ans, et aux libéraux qui devinrent le soutien du régime, comme il a été vu plus haut. La guerre carliste fut un conflit non seulement dynastique mais où étaient confrontées deux idées de la monarchie, absolue pour les partisans de D. Carlos, constitutionnelle pour les libéraux, avec prédominance de l’Église sur l’État dans le premier cas et de l’État sur l’Église dans le deuxième.

    5. Isabelle II et les libéraux au pouvoir

    44L’existence de l’opposition carliste vint compliquer la question. Le phénomène carliste fut en général bien vu du clergé qui lui accorda son appui. Isabelle dut chercher celui des libéraux, qui, par doctrine ou pour affaiblir le parti de l’ennemi, prirent des mesures contre les Ordres réguliers et même contre le clergé séculier. Ils satisfirent ainsi une partie de l’opinion qui, en ces temps de guerre civile, était prête à accueillir tous les faux bruits. Ces mesures doivent être vues sur un fond d’agitation des esprits et un état de guerre latent.

    45C’est alors, en effet, que sous le gouvernement de Martinez de la Rosa, ont lieu à Madrid les tueries où périssent quinze jésuites de San Isidro, quarante-et-un frères à San Francisco el Grande et seize autres dans différents couvents de la capitale, en relation avec l’épidémie de choléra, le bruit ayant couru que les moines avaient empoisonné l’eau de certaines fontaines. Tueries accompagnées de pillage, puisqu’à San Francisco disparut un demi-million de réaux qu’y gardait la Obra pía de Jerusalén. L’armée les regarda sans intervenir. Des faits similaires se produisirent à Saragosse et à Murcie, les 3 et 6 avril 1835.

    46Le 15 juillet 1834, un décret supprime l’Inquisition, institution par ailleurs déclinante. Selon l’écrivain libéral Alcalá Galiano, « elle faisait preuve de tant de mansuétude que c’est à peine si on la craignait ».3

    47C’est sous le ministère du comte de Toreno (8 juin-14 septembre 1835), alors que le secrétaire des Finances est Mendizábal, que vont être prises diverses mesures pour répondre aux sollicitations des ex-acheteurs de biens ecclésiastiques qui avaient dû les rendre en 1823.

    48La suppression de la Compagnie de Jésus (4 juillet 1835) est suivie de celle des couvents et monastères de moins de douze membres profès (25 juillet 1835) et, dans les deux cas, les biens sont destinés à amortir la dette publique. Les Escuelas pías et les couvents de missionnaires pour les provinces d’Asie ne sont pas inquiétés.

    49Ce nombre de douze est curieusement fixé, comme en 1813, en accord avec « diverses constitutions apostoliques de plusieurs souverains pontifes ». En effet, la constitution « Nuper » d’innocent XII, en date du 23 décembre 1697, exigeait bien ce nombre pour l’établissement de tout monastère ou couvent et en outre des revenus et aumônes suffisants pour assurer les moyens d’existence. Or cette constitution, établie à son origine par l’Église dans son intérêt, se retourne contre elle dans le moment présent.

    50Ce sont neuf cents communautés appelées à disparaître selon le décret et dont les religieux doivent se rendre dans d’autres maisons de leur ordre désignées par les prélats supérieurs respectifs.

    51Cette mesure étant jugée insuffisante par une partie de l’opinion, le comte de Toreno donne sa démission.

    6. Mendizábal

    52Il y a un « crescendo » dans les mesures de désamortisation. Il faut, en effet, parmi ceux que l’on qualifie de « libéraux », distinguer les modérés et les progressistes, soit deux tendances parmi les partisans d’Isabelle II et d’une monarchie constitutionnelle. Ce seront les deux grandes forces politiques de la majeure partie du règne. Les progressistes sont au pouvoir de 1836 à 1843 et de 1854 à 1856. Les modérés, de 1844 à 1854. Les modérés s’inspiraient du libéralisme doctrinaire de Guizot. Pour eux, le roi partageait avec les Cortès la souveraineté. Ils représentaient l’aile droite du libéralisme et les progressistes l’aile gauche. Pour ceux-ci, la souveraineté était dans la Nation, c’est-à-dire les Cortès. Leur pensée politique s’exprima dans la Constitution de 1837. Celle des modérés dans la Constitution de 1845. Aussi bien les progressistes que les modérés étaient partisans du suffrage censitaire ayant pour base la richesse et la profession, mais les progressistes voulaient une base électorale plus large, une plus grande liberté de la presse et la création d’une milice nationale pour défendre les conquêtes libérales. Certains appartenaient à la franc-maçonnerie. Leur modèle politique était l’Angleterre, alors que celui des modérés était la France de Louis-Philippe.

    53Plus tard, vers 1848-49, un groupe se détachera du progressisme : les démocrates. Ils voudront aller jusqu’au bout du libéralisme et demanderont le suffrage universel, car, pour eux, la souveraineté était dans le peuple. Leur action sera essentielle à partir de 1868.

    54Martinez de la Rosa, connu comme dramaturge et pour avoir fréquenté les milieux parisiens en exil est un modéré, de même que le comte de Toreno.

    55Mendizábal est un progressiste. Il lui succède au gouvernement, du 15 septembre 1835 au 15 mai 1836. D’origine juive, né à Cadix, familier du commerce avec l’Angleterre et de la société de Londres où il vécut en exil, il avait été récemment agent de don Pedro du Brésil, qui défendait les droits de sa fille, Maria de la Gloria, au trône du Portugal, dans un conflit politico-dynastique similaire à celui qui secouait l’Espagne.

    56Il estime être l’homme de la situation. Sa politique est beaucoup plus rigoureuse que celle de Martinez de la Rosa. Il applique en fait le programme de désamortissement qu’il avait publié dans la Gaceta le 14 septembre 1835. Antérieurement, le 6 août, Rome avait rompu les relations diplomatiques avec l’Espagne. Mais ce que l’Eglise devait juger plus grave encore que toute mesure de désamortissement, ce fut, le 8 octobre, l’interdiction faite aux évêques de conférer les ordres majeurs à qui n’aurait pas une cure ou un bénéfice avec charge d’âmes (beneficio con cura de aimas). Le 11, un décret reprend celui du 1er octobre 1820 en augmentant le nombre des Ordres religieux supprimés, dont les biens sécularisés seront destinés à l’amortissement de la dette intérieure. Il concerne tous les monastères d’ordres monastiques, ceux de chanoines réguliers, ceux de Saint Benoît des congrégations de Saragosse et Tarragone qui étaient des bénédictins non réformés (Benitos), par exemple Ripoll, San Cugat del Valle, ceux de Saint Augustin, les Prémontrés, quel que soit le nombre de leurs religieux. Parmi les exceptions figurent Montserrat, San Juan de la Peña, San Benito de Valladolid, l’Escurial, Guadalupe, Poblet, la Chartreuse du Paular, San Basilio de Séville, mais avec l’interdiction d’accueillir de nouveaux membres et, pour les novices, de faire profession.

    57Tout cela se passe dans une atmosphère d’agitation, l’assassinat à Barcelone, le 11, de dix-huit moines, et à Reus, le 22, de plusieurs autres, cette fois en représailles de la mutilation de six habitants de la localité par les carlistes.

    58Le 8 mars 1836, on décrète la suppression de tous les couvents d’hommes, excepté ceux des Escolapios, qui se consacrent à l’instruction des enfants pauvres, et ceux de Saint Jean-de-Dieu, qui avaient le soin des hôpitaux et dont très peu étaient d’ailleurs encore ouverts ; à ces exceptions s’ajouteront plus tard celle concernant les missionnaires pour les Philippines.

    59Ce même décret indique que les biens des communautés supprimées ou non seront mis sous séquestre, transformés en biens nationaux et que, sur leur capital, une pension journalière sera attribuée aux religieux. Cette transformation des biens s’applique également aux communautés de femmes.

    60On cherche à obtenir un clergé docile, en décrétant que pour avoir tout bénéfice, toute cure, il sera indispensable de présenter un certificat du gouverneur civil prouvant l’adhésion du demandeur au régime d’Isabelle II (décret du 8 novembre 1835) et que doit être empêché de prêcher ou de confesser tout ecclésiastique dont les opinions politiques sont contraires à celui-ci (26 février 1836). Tout écrit des évêques en opposition avec les lois de la Couronne peut être saisi (22 décembre 1836).

    7. La « seconde loi de désamortisation de Mendizábal » et les biens du clergé séculier

    61Voici que Mendizábal revient au pouvoir : d’autres mesures vont, après les ordres religieux, frapper le clergé séculier. La « seconde loi de désamortisation de Mendizábal », celle du 29 juillet 1837, en déclare les biens fonds biens nationaux à l’exception de ceux dépendant des prébendes, chapellenies, bénéfices et autres fondations de patronato pasivo de sangre, ces derniers pouvant être considérés comme appartenant à des particuliers.

    62C’est la première fois que l’on s’attaque aux biens du clergé séculier. Cette loi, qui ne s’appliquait pas aux établissements de bienfaisance ou d’enseignement, aux résidences et huertas des évêques et des curés, c’est-à-dire aux palais épiscopaux et presbytères avec jardins attenants, supprimait également la dîme et les prémices, contribution complémentaire de celle-ci, destinée à l’entretien des curés et à des usages pieux.

    63Le clergé séculier était ainsi privé de ressources par l’abolition de la dîme et la sécularisation de ses biens. Il est vrai qu’on prévoyait de lui verser une pension sur le produit de la vente et même de créer un fonds complémentaire, une « contribution du culte », proportionnelle aux revenus des contribuables, qu’il serait possible de régler en nature. Cette part, destinée aux frais du culte serait remise à des commissions diocésaines. En réalité la majeure partie fut utilisée à l’amortissement de la dette publique, ce qui devait réduire le clergé à un état d’indigence comme le souligne Balmes, en 1840, dans ses Observaciones sociales, políticas y económicas sobre los bienes del clero.

    64Ce fut en réalité la loi du 2 septembre 1841, correspondant à la régence d’Espartero, qui fit passer cette législation à une réelle et rapide application. Elle fut en vigueur trois ans pendant lesquels on vendit de nombreuses propriétés. Les modérés, qui devaient arrêter ces ventes par décret lorsqu’ils prendront le pouvoir en 1844, manifestèrent leur opposition aux Cortès. Le marquis de Miraflores, en 1839, dans une lettre confidentielle à Pérez de Castro publiée dans ses Memorias4, relève comme une faute politique le fait de s’être aliéné le clergé « qui, en 1833, était sincèrement partisan de la reine » et qui risquait maintenant de se tourner vers son adversaire. Dans un discours au Sénat, du 8 mars 1838, il rappelle, à la suite du duc de Rivas, qu’il était injuste de priver les communautés de femmes de leurs biens et revenus provenant en général de leur dot personnelle et il préconise leur restitution. Selon lui, ils s’élevaient à cinq cent millions de réaux, et ceux qu’on avait vendus à deux-cent millions, mais ils avaient été sous-évalués à cent millions, payés en grande partie en coupons et seulement pour trente-six millions en numéraire, dont sept seulement l’avaient été comptant, le reste devant l’être sur huit ans. Autant dire que le simple produit des propriétés suffisait à les payer. Leur vente n’avait pas enrichi l’Etat. Alors pourquoi s’aliéner l’opinion par une mesure impopulaire ?

    65Le marquis de Miraflores, qui sera un homme politique important du parti modéré dans la décade 1844-54 et plusieurs fois chargé de former le gouvernement, exprime publiquement en 1838 un jugement qu’il ne semble pas avoir émis au moment où Mendizábal prenait ces mesures, mais qui reflète un sentiment assez général, même au-delà de son parti, fait de réticences à l’égard des deux dernières dispositions frappant le clergé séculier et les communautés de femmes et qui ne s’étaient pas exprimées lorsqu’il s’était agi du clergé régulier, véritable ennemi à abattre pour les progressistes.

    66Quant à la dîme, à peine abolie il fallut plus ou moins la rétablir entre 1837 et 1840. En 1837, la moitié alla à l’État, l’autre au clergé et aux laïcs qui avaient des droits sur elle. La loi du 30 juin 1838 changea cette proportion en un tiers et deux tiers, mais dans ces derniers étaient aussi compris les hôpitaux, les écoles et la moitié de la pension des religieux et des religieuses. Autant dire que cette contribution s’avérait nécessaire.

    67En 1839, il fallut encore décréter qu’on percevrait la moitié de la dîme. Ces mesures, contraires à l’esprit de la loi, rendirent encore plus impopulaire cet impôt. Prises tard dans la saison, alors que les récoltes étaient faites, elles permettaient les fraudes. Quant aux commissions diocésaines, formées de l’évêque et des représentants des chapitres des cathédrales et chargées de la répartition des sommes collectées, elles étaient mal vues du bas-clergé, défavorisé, qui les accusait de partialité et les taxait de « dioclétiennes ».

    68Selon Ramón de Santillán, la dîme, en 1837, au moment de son abolition, pouvait rapporter cent-quarante-cinq millions de réaux, dont cinquante allaient aux caisses de l’État et vingt aux laïcs qui avaient des droits la grevant.5

    69Conçue à l’origine comme la part faite à Dieu sur les biens confiés par lui à l’homme en usufruit et donc présentée comme un devoir de conscience, la dîme n’était plus ressentie que comme une imposition arbitraire, injuste car elle ne grevait que la propriété terrienne. Elle était appliquée avec une efficacité variable selon les régimes, mais les difficultés qui entravaient son recouvrement puis son utilisation à bon escient s’apparentaient à celles que présentait tout le système d’impôts civils de l’Espagne, dont la refonte totale s’imposait pour remédier au déficit continuel du pays et, par voie de conséquence, à la situation pécuniaire de l’Église. L’archaïsme du système fiscal de l’État avait maintenu la dîme, mais l’Église aurait vu s’instaurer, sans déplaisir, un autre moyen de pourvoir à l’entretien du clergé qui ne renforçât pas l’anticléricalisme existant. Ce dernier se manifestait de diverses façons.

    8. Résistance des évêques

    70Pendant ces trois années, de 1837 à 1840, la tension est grande. Un décret du 10 janvier 1837 interdit la nomination à tout bénéfice, même aux capellanías de sangre. On réquisitionne vases et objets sacrés (décret du 9 octobre 1837) et les cloches des églises conventuelles (9 juin 1837), le tout devant enrichir les finances royales. Les prélats excommunient les acheteurs de biens d’Église, qui de toute façon tombent sous le coup des sanctions canoniques prévues au chapitre 11 de la session 22 du concile de Trente. En retour, on intente un procès à ces évêques, on les met en résidence surveillée ou on les exile. C’est le cas de l’archevêque de Séville, le cardinal Cienfuegos, exilé à Carthagène en 1836, de celui de St Jacques-de-Compostelle, le P. Vélez, exilé à Minorque, de ceux de Saragosse, Mgr Francés y Caballero, et de Tarragone, Mgr Echanove, qui doivent se réfugier en France, comme les évêques de Barbastro et d’Albarracín, tandis que celui de Pampelune est en résidence forcée à Ariza et celui de Palencia prisonnier à Madrid.

    71De nombreux sièges épiscopaux seront donc vacants. Ils atteindront le total de vingt-deux en 1840. Bien entendu, ils ne peuvent recevoir de titulaire sans l’intervention de Rome : même si la désignation de l’évêque, sous forme de présentation, appartient au monarque, elle ne confère à la personne nommée aucun pouvoir. C’est du pape que dépend la collation des pouvoirs : celui de juridiction ou de gouvernement dans un diocèse précis et celui d’ordre que seul, dans la hiérarchie ecclésiastique, l’évêque possède en plénitude, qui lui est conféré par l’ordination épiscopale et par lequel il peut administrer tous les sacrements et procéder à toutes les consécrations. Or les relations entre Madrid et le Saint-Siège sont rompues depuis 1835 et le droit de présentation de la reine n’est même pas accepté puisqu’elle n’a pas été reconnue officiellement par lui comme légitime souveraine. Le gouvernement voudrait bien s’assurer la docilité de nouveaux prélats. En d’autres temps, dans d’autres lieux, on a usé d’artifices : on a utilisé des évêques, acquis au régime, qu’on a transférés d’un siège à l’autre, sans l’intervention de Rome, ou on leur a demandé de procéder à des consécrations épiscopales, créant ainsi une Eglise schismatique. Le gouvernement espagnol, en cette circonstance, essaie d’imposer les évêques qu’il veut nommer, mais dont il sait que Rome ne les confirmera pas, en suggérant aux chapitres de les élire comme gouverneurs ecclésiastiques. En effet, lors de la vacance d’un siège épiscopal, normalement le chapitre se réunit pour élire un vicaire capitulaire qui administre le diocèse avant qu’un nouvel évêque soit institué. En 1836, à la mort du cardinal Inguanzo, le type même des prélats d’Ancien Régime, le gouvernement tenta de faire élire à Tolède, comme gouverneur ecclésiastique, don Pedro Gonzalez Vallejo, ancien évêque de Majorque. Le chapitre refusa d’obtempérer, deux de ses membres furent exilés et quarante-trois prêtres du diocèse furent emprisonnés pour n’avoir pas voulu reconnaître « l’intrus », désapprouvé par un bref pontifical, un bref inexistant pour les autorités car n’ayant pas reçu « l’exequatur », c’est-à-dire le consentement du pouvoir civil à la promulgation ou à la publication des actes pontificaux.

    72Ce fait est significatif du conflit opposant le gouvernement et la majeure partie de l’Église espagnole, étroitement unie au Saint-Siège comme on pouvait s’y attendre : il s’agit du siège primatial, mais la situation se reproduit dans d’autres cas de vacances épiscopales.

    9. Une crise qui s’aggrave sous la régence du général Espartero (1840-43)

    73La scission avec Rome s’accentue sous la régence d’Espartero : le gouvernement suspend les fonctions de trois juges du tribunal de la Rote et du vice-gérant de la Nonciature. Le ministre de Grâce et de Justice, José Alonso en vient presque à la proclamation d’une Église schismatique, séparée de Rome. Il nomme ou essaye de faire élire des gouverneurs ecclésiastiques en accord avec ses idées. La réponse, ce sera, le 1er mars 1841, l’allocution consistoriale de Grégoire XVI, et le 22 janvier 1842, la lettre apostolique Afflictas in Hispania res, adressée à toute la chrétienté, dénonçant les décrets d’Espartero et regrettant la collusion de certains ecclésiastiques avec le gouvernement6. Entre les deux, un dernier pas avait été fait vers la désamortisation complète par la loi du 2 septembre 1841 déclarant biens nationaux tous ceux du clergé séculier, des églises et des confréries et ordonnant leur mise en vente. Ces biens étaient jusqu’alors donnés à bail à des fermiers. Or dès le 3 septembre tous les baux devenaient caducs, les fermiers devaient abandonner la culture de ces terres, ce qui en mécontenta plus d’un. On punit d’amendes la non-déclaration de propriétés ecclésiastiques et le clergé dut se faire instrument de délation.

    74La désamortisation atteignit ensuite tout objet de valeur appartenant aux églises. Bien des trésors furent réquisitionnés et des pièces d’orfèvrerie fondues pour être transformées en numéraire. Certains objets cependant furent soigneusement recensés et mis à l’abri par l’État. À Tolède, l’église de San Pedro Mártir fit office de musée improvisé.

     

    75Pendant ces dernières années, 76 734 propriétés urbaines ou rurales du clergé régulier et 69 539 du clergé séculier auraient été vendues. Il faut y ajouter celles qui le furent lors de précédentes désamortisations et l’on aura une idée, d’une part, de ce dont l’Église était propriétaire en Espagne, et d’autre part, de l’immense spoliation dont elle estimait être la victime. On peut aussi imaginer les fortunes qui s’édifièrent grâce à l’achat à bas prix de ces biens âprement convoités par d’habiles spéculateurs, puisqu’il est admis que la désamortisation ecclésiastique ne vint pas, comme prévu, renflouer les finances de l’État, mais enrichir une bourgeoisie déjà solidement assise et sans scrupule7 Le cas le plus caractéristique est celui du banquier Salamanca, qui devint par la suite ministre des Finances et amassa une grande fortune par des affaires de ce genre ; ruiné ensuite, en situation de banqueroutier frauduleux vers 1848, jouissant toujours de protection, et d’une habileté sans égale, il parvint à revenir au pouvoir.

    10. Les modérés au pouvoir. Premiers pas vers des négociations avec Rome

    76Après la chute d’Espartero, avec le gouvernement des modérés, le décret du 13 août 1844 met fin à la vente des biens sécularisés du clergé séculier et des communautés de religieuses et celui du 3 avril 1845 restitue au premier les propriétés non vendues, tandis que ce qui appartenait aux religieuses restait confié à l’administration des Finances. Il s’agissait surtout de maisons qui se trouvaient en ville, en mauvais état pour la plupart, étant restées inoccupées et non entretenues pendant de longues années et donc, qui n’avaient pas trouvé acquéreur à la différence des terres.

    77L’intérêt du clergé de rentrer en possession de ces biens n’était pas grand, si l’on considérait le profit ; mais pour le gouvernement, les lui rendre, c’était un gage donné à Rome de ses bonnes intentions et de son désir de parvenir à un accord ; cela montrait qu’on reconnaissait à l’Église le droit de posséder, qu’elle tenait essentiellement à conserver ; c’était également, croyait-il, un moyen d’attacher à la cause de la reine un clergé qui avait eu trop souvent tendance à soutenir celle de Don Carlos.

    78Certaines dispositions vinrent cependant par la suite contredire celles de 1844-45 : un décret du 23 septembre 1847, sous le gouvernement Salamanca, décidait la mise en vente des biens ecclésiastiques ; abrogé par Narváez, qui lui avait succédé, il fut repris six mois plus tard, le 7 avril 1848.

    79Le 25 mai 1845, les travaux de la commission des Finances constituée par Alejandro Mon et Ramón de Santillán aboutissaient à la réorganisation du système fiscal espagnol sur le modèle français, c’est-à-dire plus centralisé, ce qui permettait d’envisager une solution à l’aspect financier du problème des biens ecclésiastiques et de la dotation du clergé, qui eût quelque possibilité d’application pratique. En effet, des pourparlers avaient été entamés avec le Saint-Siège, et l’accord du 27 avril 1845 conclu entre lui et l’envoyé espagnol à Rome, Castillo y Ayensa, posait le problème de cette dotation qui devait être examiné par les Cortès.

    80Divers projets furent soumis à cette assemblée jusqu’à ce qu’on parvienne à une loi, celle du 20 avril 1849, promulguée le 2 mai, qui satisfasse le gouvernement et le clergé, pas décisif vers la conclusion d’un concordat. Ce fut le 3 mai 1851 enfin, que l’arrêt des ventes de biens ecclésiastiques fut étendu à ceux du clergé régulier et des confréries.

    81Ainsi s’achevait cette longue période de luttes et de désamortisation. A première vue, le bilan n’était guère positif. Beaucoup de destructions, de dilapidations, avaient accompagné l’appropriation par l’État et la vente à des particuliers du patrimoine ecclésiastique. Souvent des acquéreurs achetaient un lot, démolissaient les bâtiments, ne gardant que le terrain, car s’ils manifestaient cette intention, le lot leur était vendu moins cher8. Ainsi disparurent jusqu’à leurs fondations des monuments qui avaient conservé dans leurs murs ou dans leur sol des éléments d’autres civilisations, comme à Tolède le monastère des Carmes chaussés où il ne resta trace des murs de l’église mozarabe et antérieurement wisigothique de Sta María de Alficén ; on rasa le monastère de San Bartolomé de la Vega, et près de Santo Tomé, celui de San Agustín, si intimement lié à l’histoire du tableau de l’Enterrement du comte d’Orgaz, ce qui entraîna la perte des salons arabes qui existaient encore au XIXe siècle. Il s’en fallut de peu que San Juan de los Reyes ne subisse le même sort.

    82Il en fut de même dans d’autres villes d’Espagne. À la décharge des démolisseurs, disons que certains monuments avaient été déjà très endommagés par les soldats de Napoléon, mais à la destruction rapide et définitive, il faut ajouter la lente dégradation des bâtiments confisqués et non vendus, inhabités, où de ce fait aucune réparation ne fut effectuée pendant des années. Les étrangers le déplorent, comme Théophile Gautier, en 1843, dans Tra los montes, à propos de l’expulsion des moines de la chartreuse de Miraflores ou de St Jean-des-Rois, à Tolède :

    Nous entrâmes dans un cloître dévasté d’une élégance admirable... L’autel [...] a été impitoyablement renversé. Ces dévastations inutiles attristent l’âme et font douter de l’intelligence humaine : en quoi les anciennes pierres gênent-elles les idées nouvelles9 ?

    83Des voix espagnoles, comme celle de Larra10, se sont élevées aussi pour souligner les dangers d’une perte irréparable pour l’art et pour la culture.

    84Déjà des spéculateurs étrangers acquièrent à bas prix et emportent dans leur pays les plus belles œuvres que renferment ces édifices du passé. Pour mettre en sûreté ces trésors, Larra demande au gouvernement la création d’une commission, plusieurs mois avant la désamortisation, qu’il ne condamne pas puisqu’il est contre toute institution monacale. Pour lui, les besoins de la société ont changé ; il n’y aura plus de couvents, qui sont d’un autre siècle, mais « une religion grandiose et consolante, sans victimes fanatiques ». Un peu plus tard, Gil y Carrasco s’inquiète après avoir visité l’Escurial : l’eau pénètre par les toits, « la Cène du Titien se dessèche et s’écaille ». Le zèle de l’administrateur n’est pas en cause, dit-il, mais il est seul et la moindre réparation à engager entraîne une accumulation de paperasseries et une interminable attente. Le gouvernement ne pourrait-il pas y rétablir une communauté qui préserverait les richesses du passé national11 ?

    85L’État n’a pas complètement failli à son rôle : des commissions de monuments ont été créées. Par ailleurs, des monastères abandonnés accueillent de nouveaux hôtes épris de calme, sensibles à leur poésie : à Veruela, un Bécquer, qui y écrira ses Cartas desde mi celda ; à la chartreuse de Valldemosa à Majorque, Chopin qui, en 1838, y trouve refuge avec Georde Sand.

    86Il est des cas où l’on pouvait incriminer l’incurie des moines et les variations du goût, lorsque certains tableaux d’une valeur inestimable, tels plusieurs Greco, disparaissaient sous une couche de crasse tandis qu’on leur préférait un Luis Tristan ou un Mayno. Il n’en reste pas moins que le bilan des dommages causés au patrimoine artistique par les lois de désamortisation fut lourd.

    87Héritiers de la pensée d’Olavide et de Campomanes pour qui les biens de mainmorte étaient un mal, car ils échappaient à l’impôt et les rendements des terres y étaient médiocres, les instigateurs des lois de désamortisation, dès le début du XIXe siècle, voient en elles un moyen de renflouer les Finances de l’État et de rendre l’agriculture plus prospère. Dès l’époque de Godoy, il y a un rapport constant entre ces mesures et la Dette publique dont il s’agit d’amortir les titres grâce à la vente des biens confisqués12.

    88Mendizábal, d’autre part, exprime le désir de créer une nouvelle catégorie de partisans du régime, qui, enrichis par l’achat de ces biens vendus à bas prix, lui devront leur fortune et redouteront tout de sa chute. Cette catégorie ne fut autre que la bourgeoisie, les paysans pauvres ne pouvant réunir la somme nécessaire à l’acquisition de ces biens malgré la possibilité de paiement à long terme. Les plus capables de profiter de ces opérations furent les milieux d’affaires, usant au besoin « d’hommes de paille » pour acheter ces terres et les revendre beaucoup plus cher. Nombreuses furent les ventes « faites à X pour céder ». Il était facile aux plus riches de tourner la loi qui ordonnait une vente parcellaire : ils n’avaient qu’à acheter autant de parcelles qu’il leur en fallait pour composer un grand domaine. Espronceda, dans une brochure que présente Larra, El ministerio Mendizábal13, réprouve ces manœuvres et le fait qu’on n’ait en rien songé à améliorer la condition des plus pauvres.

    89Mendizábal ne retira pas tout le bénéfice financier escompté. Les propriétés avaient été évaluées à un prix inférieur à leur valeur, car on avait utilisé comme base de calcul le montant des loyers, généralement minimes. Les paiements s’échelonnèrent sur des années et furent réglés irrégulièrement. La désamortisation de Mendizábal ne fut une réussite ni sur le plan financier, ni sur le plan social ; les biens, arrachés à une catégorie de la société en enrichirent une autre, déjà pourvue de ressources, tandis que les paysans sans terre voyaient s’aggraver leur situation, les baux leur étant moins favorables.

    90S’il fallait en retenir les points positifs, ce serait la remise dans la circulation commune de biens qui en étaient sortis depuis longtemps, ainsi que l’amorce de simplification de l’impôt et des charges pesant sur les propriétés, qui s’étaient accumulées au cours des siècles. Il faut dans ces réformes faire, à côté de la théorie, la part du pragmatisme. Le climat des années qui les virent naître explique certaines dispositions ; le comte de Toreno en prit pour satisfaire une partie de l’opinion qui avait jugé les précédentes trop timides. Il fallait aussi donner des gages aux sociétés secrètes. L’état de guerre civile amena Mendizábal à accélérer les mesures de désamortisation et de réquisition des richesses des couvents, afin de financer les opérations militaires et d’éviter que les carlistes ne trouvent une aide auprès des moines qui leur étaient favorables.

    91Le fait carliste fut déterminant de 1833 à 1839, particulièrement en cette dernière année où les armées du prétendant menaçaient Madrid : tous les membres du clergé durent alors demander une autorisation du gouvernement pour se rendre dans la capitale, tant leur présence semblait comporter de risques. Tout ecclésiastique était souçonné de sympathie pour les carlistes, et non sans raison : quels que fussent les intérêts dynastiques, provinciaux ou autres en jeu, cette guerre fut faite au nom de Dieu et de la religion, comme le montrent les proclamations. Alors que Ferdinand VII vivait encore, l’évêque de Léon, Joaquín Abarca, s’était déclaré en faveur du prétendant Don Carlos et avait lancé une mise en garde contre les intrigues des libéraux « une secte de Maçons appelés modérés » mais qui trouvent un accueil favorable chez certains membres du clergé14. Il y avait de quoi jeter le trouble dans l’esprit des fidèles, d’autant plus qu’ils virent certains ecclésiastiques, tel le curé Merino, prendre la tête de partisans comme lors de la guerre d’indépendance, une minorité cependant. L’aide fut surtout fournie par les moines. Ils apparurent aux yeux des libéraux comme le symbole du pire conservatisme, un ennemi dans l’État ; leur suppression put être envisagée comme une mesure de salut public, tandis que des hommes politiques y voyaient l’occasion de se maintenir au pouvoir et de s’enrichir à leurs dépens15. Ce fut le cas, entre autres, du député Modesto Cortázar, qui, selon la rumeur publique, s’empara des objets précieux appartenant aux couvents de l’Escurial et du Paular, et du député Salustiano Olôzaga, progressiste, gouverneur civil de Madrid, puis président du Comité préposé à la vente des biens nationaux, charge dans laquelle il fit une fortune considérable16. En 1848, Mgr Brunelli laissera entendre que « trois ministres occupant une place importante parmi les acheteurs de biens d’Église, et le président du Conseil jouant à la Bourse..., ils ont intérêt à ce que la désamortisation soit totale »17.

    92Le danger carliste écarté, les ambitions et la cupidité d’hommes politiques, ainsi que l’obligation de défendre les positions acquises de leurs partisans, joueront dans les négociations.

    III. Le concordat de 1851. Les négociations

    1. Accepter ou refuser la désamortisation

    93Le concordat de 1851 est l’aboutissement d’un long processus. Lorsque les modérés succédèrent à Espartero, pour une période qui allait durer dix ans, de 1844 à 1854, le Saint-Siège se trouva devant un gouvernement plus favorable à un règlement de la situation créée par les mesures de désamortisation et l’abolition de la dîme décrétées par les progressistes. Il essaya d’entamer des négociations.

    94L’État ne cherchait pas, au début, à conclure un nouveau concordat qui soumît à une révision générale les rapports entre les deux sociétés, mais conservant celui de 1753, il voulait parvenir à un accord limité sur des questions politico-économiques : avant tout obtenir l’assurance que ceux qui avaient acquis des biens d’Église et leurs héritiers ne seraient pas inquiétés par les autorités ecclésiastiques, dans l’immédiat ou à l’avenir. Cela s’était déjà produit ailleurs, notamment dans la France post-révolutionnaire, par la sanación, sorte de pardon, d’acceptation d’une situation de fait, par laquelle l’Église s’engageait à ne pas revendiquer ces biens dont elle avait été dépouillée.

    95Pour l’État, qui ne voulait pas déposséder les acquéreurs et qui ne pouvait pas indemniser l’Église, par suite d’un budget toujours en déficit, obtenir cette sanación du Saint-Siège, c’était tranquilliser la conscience des scrupuleux et surtout donner une garantie aux Espagnols de tous partis qui craignaient de voir leurs titres de propriété, acquis dans d’excellentes conditions et souvent à vil prix, discutés ou déclarés nuls, au cas où un gouvernement conservateur-clérical accèderait au pouvoir, comme cela s’était passé en 1823 au retour de l’absolutisme. C’eût été un succès pour le régime de parvenir à calmer les inquiétudes. Il se fût attaché ainsi une fraction de la bourgeoisie, principale bénéficiaire de la désamortisation. S’il ne la gagnait pas à proprement parler à ses vues, car dans l’ensemble, bien que des carlistes eussent figuré parmi les acheteurs, il s’agissait d’une bourgeoisie déjà acquise à un gouvernement libéral, celle qui n’avait pas eu de scrupules à s’enrichir aux dépens des « moines », il évitait au moins de la décevoir, il l’empêchait de désirer un gouvernement plus progressiste.

    96Quant à l’Église, elle savait qu’elle ne pourrait retrouver ce qu’elle avait possédé ; mais elle savait aussi que la reconnaissance officielle de cette situation, que cette sanación, octroyée ou retardée, lui permettrait d’obtenir ce qui était pour elle l’essentiel dans le moment présent : assurer la subsistance du clergé et son indépendance spirituelle dont la condition était son indépendance matérielle ; ceci, en récupérant les biens mis sous séquestre et non encore vendus et en obtenant une dotation pour le clergé, convenable et durable. Il fallait d’autre part conserver à l’Église le droit d’acquérir et de posséder, qu’elle a toujours considéré comme essentiel.

    97Rome avait donc dans l’acceptation ou le refus de reconnaître la situation de fait, un moyen de pression. Mais il ne s’agissait pas là seulement d’une tactique diplomatique : elle avait toutes les raisons de se méfier des promesses de l’État qui étaient d’une extrême imprécision quant à la dotation du clergé, vu ses difficultés financières.

    2. Reconnaître ou non Isabelle II comme souveraine légitime

    98Au début, elle posséda une deuxième arme diplomatique dans la possibilité de reconnaître ou de ne pas reconnaître le régime d’Isabelle IL Son attitude fut liée à l’origine à celle de l’Autriche, soutien du Saint-Siège, et qui se trouvait être favorable à Don Carlos. Le pape, à deux reprises, avait dû demander l’aide de cette puissance pour rétablir la paix dans ses états en proie à des mouvements révolutionnaires, soit en février 1831 et en 1832. Le temps avait passé, mais l’influence de l’Autriche restait grande. D’autre part, jusqu’à la fin de la première guerre carliste, en 1839, la victoire du camp constitutionnel pouvait paraître incertaine, et les années qui suivirent, avec la régence d’Espartero et les mesures anticléricales, ne furent pas propices à un changement de position. Il semble que le pape n’ait pas voulu s’engager trop tôt dans cette question dynastique, faisant preuve de prudence. Peut-être se souvenait-il des difficultés causées presqu’un siècle et demi plus tôt, lors de la guerre de Succession, par la prise de parti de Clément XI en faveur de Charles d’Autriche, prétendant au trône d’Espagne et rival du duc d’Anjou, le futur Philippe V : c’était en 1709. L’Autriche menaçait les États romains ; il avait fallu s’incliner. Philippe V rompait alors les relations diplomatiques avec Rome, et c’était une longue suite de dissensions pendant le règne de ce Bourbon décidé à mener une politique régaliste.

    99Avec Isabelle II, la situation ressemblait à celle de la France de Louis-Philippe, le roi bourgeois qui, de 1830 à 1834, essaya de faire accepter son régime et eut besoin de la reconnaissance de Rome, car les catholiques restaient attachés à la branche légitimiste. Pie VIII, dès 1830, avait reconnu « le roi des Français », fils de Philippe-Égalité, autour duquel se groupait une bourgeoisie un peu voltairienne, peu favorable à l’Église, mais qui découvrit en elle, au fil des jours, un facteur d’ordre. Ne pouvait-on agir de même pour Isabelle II, malgré l’appui qu’elle trouvait chez les libéraux ?

    100La différence était qu’une guerre civile déchirait l’Espagne. En 1833, lorsque mourut Ferdinand VII, le pape, en raison de cet état de guerre, ne voulut pas s’engager davantage pour l’un ou l’autre prétendant, et la Congrégation des Affaires ecclésiastiques consultée, lui conseilla de ne pas reconnaître un régime qui s’appuyait sur l’irréligion. En réponse, le gouvernement espagnol refusa d’admettre le caractère de nonce apostolique à l’envoyé plénipotentiaire du Saint-Siège, nouvellement nommé, Mgr Amat, qui peu après reçut de Rome l’ordre de quitter l’Espagne en signe de protestation, à la suite de la publication du décret d’expulsion de la Compagnie de Jésus, le 4 juillet 1835. C’était la rupture totale des relations diplomatiques. Les choses s’étant aggravées par la suite avec les mesures de Mendizábal et d’Espartero, on s’explique que plus de dix ans après son avènement, Isabelle n’ait pas encore été reconnue reine d’Espagne. Or en 1844, grâce aux démarches de Castillo y Ayensa, chargé d’affaires auprès du Saint-Siège, le gouvernement espagnol fut averti que l’Autriche levait le veto qu’elle avait mis à la reconnaissance d’Isabelle II par Rome. Il n’y avait donc plus d’obstacle majeur à celle-ci, et c’était à la diplomatie d’entrer en jeu, puisque Rome avait là un atout dont elle ne se démettrait que contre certaines garanties.

    101Cette question avait été liée dès le début à celle de la nomination des évêques : en obtenant que soient pourvus les sièges vacants, on obtiendrait indirectement la reconnaissance de la reine. En effet, accorder l’institution canonique au candidat à l’épiscopat présenté par Isabelle II, c’était reconnaître à celle-ci le droit de présentation propre au souverain régnant, successeur légitime des monarques espagnols auxquels avait été accordé le privilège du patronat : c’était dire qu’elle était la seule habilitée à présider aux destinées de l’Espagne. Le problème des sièges vacants s’était déjà posé en 1833-34. Voulant dissocier le problème politique et le problème pastoral, le pape avait alors essayé de nommer les évêques motu proprio, c’est-à-dire par un rescrit de sa propre main et signé par lui, qui ainsi réservait éventuellement tous les droits du Patronat royal, sans mention de celui qui les détenait. Cette mesure n’avait pu aboutir. Le pape avait alors refusé de confirmer aussi bien les candidats présentés par Isabelle II que ceux présentés par don Carlos. Aussi, de 1833 à 1844, les vides s’étaient-ils faits nombreux dans l’épiscopat, avec des conséquences négatives pour l’état religieux du pays. Il était urgent d’y porter remède.

    102Le problème ne se posait pas seulement au niveau de l’épiscopat. Devant l’interdiction faite aux évêques de conférer l’ordination à qui ne faisait pas preuve d’adhésion au gouvernement, des clercs allaient la recevoir à Rome, produisant parfois une fausse recommandation de leur évêque, ce qui ne pouvait satisfaire l’Église. Quant à l’autorité civile, elle réclamait qu’on traitât avec rigueur les contrevenants à ses ordres. Après la signature du Concordat, cette habitude ne disparaîtra pas complètement et il faudra prendre des mesures à ce sujet.

    103Ainsi, le gouvernement savait que l’Église avait intérêt à parvenir à une solution. Il essaya de gagner la partie adverse à ses vues, voulant lui-même retrouver une situation plus normale et apparaître comme le garant de l’ordre, auréolé du prestige d’avoir obtenu la reconnaissance du régime par le pape.

    3. Un accord qui n’aboutit pas : le Convenio de 1845

    104Grâce aux démarches de Castillo y Ayensa18, un accord se fait : c’est le Convenio du 27 avril 1845. Par la décision prise au sujet des sièges épiscopaux vacants, le régime d’Isabelle II est implicitement reconnu, mais cet accord signé par Castillo y Ayensa sans qu’il ait pu au dernier moment en référer à Madrid, n’est pas ratifié par le gouvernement, car l’article 11 qui se rapporte à la sanación des biens ecclésiastiques vendus est subordonné à l’exécution de l’article 9 relatif à la dotation du clergé. Plus précisément, dans l’article 11, le pape promet que dès que sera assurée au clergé la dotation mentionnée à l’article 9, il fera un décret spécial par lequel il déclarera que les acheteurs de biens ecclésiastiques ne seront en aucune façon inquiétés par lui et par ses successeurs.

    105Or Madrid aurait voulu une déclaration dans le présent et non dans l’avenir. Mais la méfiance existe. Le pape craint que la promesse de dotation du clergé ne soit pas suivie d’effet ; sinon pourquoi tant d’insistance de la part de Madrid pour que les deux mesures soient simultanées, et les caisses sont vides, les nations européennes le savent à leurs dépens : l’Espagne n’arrive toujours pas à régler sa dette extérieure.

    106Pour cette même raison, le gouvernement espagnol pense que faire dépendre de cette dotation la sanación peut être un mauvais calcul de sa part, car même s’il veut honorer sa parole, il n’est pas sûr de pouvoir le faire. Pourtant il se dit offensé de la voir mise en doute.

    107C’est ainsi que l’accord n’étant pas ratifié, le problème resta entier.

    108Sur un point seulement, en janvier et février, des négociations aboutissent au sujet des sièges vacants d’Outre-mer : quatre évêques, présentés par la reine, acceptés par le Saint-Siège, sont institués. Ainsi, indirectement, le gouvernement obtient-il une satisfaction : la reconnaissance d’Isabelle II par le pape, ce que celui-ci souligne, sans qu’il s’agisse d’une déclaration solennelle.

    109Il reste à faire avancer les deux principales questions : la dotation du clergé, la sanación des biens, la solution apportée à l’une conditionnant celle de l’autre. En février 1846, le ministre, le comte de Miraflores, s’y montre disposé, mais on bute toujours sur les mêmes obstacles.

    110Le gouvernement s’étonne que l’on soit plus dur avec lui qu’avec la France de 1801, Naples ou la Bavière qui, dans les concordats respectifs de 1817 et 1818, avaient obtenu facilement l’assurance que les nouveaux propriétaires de biens d’Église sécularisés ne seraient pas inquiétés, cette assurance que lui réclamait en vain. Mais instruit justement par l’attitude de ces deux derniers pays qui, forts de ce qui leur avait été accordé, n’avaient pas honoré leurs promesses, le Saint-Siège maintient ses exigences.

    111En Espagne les ministères se succèdent. À partir de 1846, l’État essaye d’obtenir l’envoi d’un délégué apostolique, condition d’une reprise des pourparlers.

    4. Avènement de Pie IX. Nomination d’un nonce

    112Grégoire XVI étant mort en juin 1846, l’accession au pontificat de Pie IX offre de nouvelles perspectives. Un nonce, Mgr Brunelli, est nommé en janvier 1847. Il arrive en juin à Madrid, et c’est là qu’on débattra des éternelles questions en litige, principalement lorsque le pape, chassé de Rome en 1848 par la révolution, se réfugiera à Gaëte et y sera retenu par la proclamation de la république italienne, le 9 février 1849, jusqu’à ce que l’intervention de la France, et plus accessoirement de l’Espagne, le ramène au Quirinal en 1850.

    113En cette même année 1847 a lieu un autre changement dans l’ordre diplomatique : Castillo y Ayensa, le représentant de l’Espagne auprès du Saint-Siège, connaisseur de la question, bien vu de Rome, mais désavoué par son gouvernement, pour son action et pour être un proche de la reine Marie-Christine, est remplacé par Joaquín Francisco Pacheco, qui ne jouit pas des mêmes sympathies dans le milieu ecclésiastique romain, puis par Martinez de la Rosa, en novembre 1847. En réalité les négociations n’avancent pas en raison des spéculations du ministre des Finances Salamanca et de certains de ses collaborateurs sur la vente des biens ecclésiastiques, qui entraînent en 1847-48 des décrets contradictoires à ce sujet.

    114D’autre part, la cérémonie officielle de présentation des lettres de créance de Mgr Brunelli n’a toujours pas eu lieu. Désirée par l’Etat, elle est subordonnée pour Rome toujours aux mêmes garanties au sujet de la dotation du clergé et du droit d’acquérir de l’Église. De plus un nouvel obstacle naît de la mésentente des époux royaux : après de multiples intrigues, où chaque nation proposait un candidat à la main d’Isabelle, tandis que Balmes avait essayé d’unir le prétendant carliste, comte de Montemolín, à la fille de Ferdinand VII, on avait abouti au mariage de celle-ci avec celui qui était doublement son cousin, François d’Assise de Bourbon, fils de l’infant François de Paule (frère de Ferdinand VII) et de l’infante Louise-Charlotte (sœur de la reine Marie-Christine). Le mariage avait été célébré le 10 octobre 1846, en même temps que celui de l’infante Louise-Fernande, sœur de la jeune souveraine, avec le duc de Montpensier, fils de Louis-Philippe, mais les deux époux n’étaient guère faits pour s’entendre. Rome attend une réconciliation entre eux, elle se pose en autorité morale ; elle ne veut pas accorder la reconnaissance solennelle à une royauté qui tombe dans le discrédit ; plus encore, personnellement, Pie IX espère ramener dans le droit chemin la jeune Isabelle.

    115Enfin, la réconciliation entre les époux royaux ayant eu lieu, on arrive, après bien des tergiversations et sans avoir obtenu les garanties précédemment demandées, à un accord limité : Mgr Brunelli présente ses lettres de créance le 22 juillet 1848.

    116Il faut alors souligner le rôle joué par une Commission mixte (junta mixta), créée à l’instigation du nonce en 1847 et formée à partir de 1848 de huit membres, dont quatre représentent le gouvernement et quatre l’Église. Elle devait étudier le problème de la dotation du clergé et du culte, d’une réforme du clergé et d’une nouvelle délimitation des diocèses. Elle se mit sérieusement au travail et put présenter en novembre deux études importantes, l’une, Proyecto general sobre el arreglo del clero en España, l’autre, Memoria justificativa del proyecto general sobre el arreglo19. Ce fut Don Manuel Joaquín Tarancón qui mit la dernière main à la première, tandis que le Mémoire était rédigé par Ventura Gonzalez Romero. Ce projet, acceptable aux yeux du nonce, souleva des protestations chez le clergé espagnol.

    117Le gouvernement du duc de Sotomayor s’était montré hostile à tout accord. Le suivant accueille deux hommes qui auront une attitude totalement différente : Alejandro Mon et surtout le marquis de Pidal, ministre d’État, son beau-frère. Ils se montreront favorables à une loi de dotation du clergé, qui sera votée en avril 184920. C’est à ce moment-là qu’on ne pense plus à un accord partiel sur la question économique, mais qu’on envisage de substituer un nouveau concordat à celui de 1753, jusqu’alors jugé devant être conservé comme suffisant.

    118Différents projets sont échangés entre Pidal et le nonce, auquel est finalement remis, le 2 août 1850, un projet de Concordat en 44 articles, approuvé par le conseil des ministres. Le nonce rédige ses observations ; il ne manque plus que la sanction de Rome, mais le gouvernement espagnol doit céder la place à Bravo Murillo, dont le ministère n’admet plus certains points sur lesquels s’était fait l’accord. Après quelques modifications21, le 16 mars 1851, le Concordat était signé, mais comme il a été vu plus haut, ce n’est que le 5 septembre que Pie IX la publiait solennellement et le 17 octobre qu’il devenait loi du royaume.

    Notes de bas de page

    1 Selon Le Larousse du XIXe siècle : « désamortissement : action de désamortir : le désamortissement des biens de mains morte / On dit aussi désamortisation ». Ce dernier terme sera employé dans cet ouvrage en raison de sa ressemblance avec le terme espagnol « desamortización ».

    2 Le mot memoria qui apparaît souvent sous la forme de memorias de misas ou memorias pías est une sorte de fondation pieuse (legs pieux grevé de charges perpétuelles ou de longue durée, présentant un caractère religieux ou charitable) : il peut s'agir de faire mémoire au cours de la messe des personnes qui ont fait ce legs ou de faire dire des messes pour le repos de leur âme. Memorias, legs pieux, et patronats laïcs sont assimilés aux « chapellenies laïques », c.a.d. à des biens qui ne sont pas des bénéfices.

    3 Recuerdos de un anciano. Madrid, impr. de V. Saiz, 1879, p. 78.

    4 Memorias del reinado de Isabel II. Madrid, 1964, 3 vol. (BAE), Tome I, p. 156 et 280-285.

    5 Memorias, Pamplona, 1960, 2 vols. Tome I, p. 177-178.

    6 Acta Gregorii papae XVI, vol. 3 (109-112). On peut consulter cette allocution dans Historia eclesiâstica de España, de Vicente de La Fuente, Madrid, 1873-75, 6 vols., Tome VI, p. 226.

    7 Pour une appréciation du volume des ventes et du produit qu'en retira l'État, cf. F. Simón Segura : La desamortización española en el siglo XIX. Instituto de estudios fiscales. Ministerio de Hacienda, Madrid, 1973, p. 152-163.

    8 Porres Martín-Cleto, La desamortización del siglo XIX en Toledo, Tolède, C.S.I.C., 1966.

    9 Tra los montes, Paris, V. Magen, 1843, Tome I, p. 99.

    10 « Conventos españoles. Tesoros artísticos encerrados en ellos », Obras, Madrid, (BAE, vol. 128), 1960, Tome II, p. 117-118.

    11 « Una visita al Escorial » publié dans El Pensamiento, periódico de literatura, 1841, cf. Obras, Madrid, Aguado, 1883, p. 305 et ss.

    12 Cf. Tomás y Valiente, El marco político de la desamortización en España, Barcelona, Ariel, 1971.

    13 Cf. Larra, Obras, BAE, Tome II, p. 215.

    14 Archives du Ministère des Affaires étrangères, Paris, Mémoires et documents, Espagne, vol. 310. Lettres pastorale de l'évêque de León, 10 avril 1833.

    15 Bermejo, I.A., La estafeta de Palacio, Madrid, Labajos, 1873, Tome II, p. 148.

    16 Archives du Ministère des Affaires étrangères, Paris, Notes et documents, Espagne, vol. 366. (Notes de F. de Lesseps sur les personnages politiques espagnols).

    17 Pérez Alhama, La Iglesia y el Estado español. Madrid, Instituto de estudios políticos, 1967, p. 213, (dépêche chiffrée de Mgr Brunelli au cardinal Antonelli, 11 avril 1848).

    18 Cf. ses lettres au sujet de cette négociation aux Archives du Ministère de la Justice à Madrid. Leg. 4121. Il a lui-même publié : Historia crítica de las negociaciones con Roma desde la muerte del rey don Fernando VII. Madrid, 1859. Sur cette question des négociations, cf. Pérez Alhama, op. cit.

    19 Ventura Gonzalez Romero dans Memoria sobre complemento de la ejecución del Concordato y terminación de las cuestiones pendientes con la Santa Sede, manuscrit, 1867 (Arch. M. J. Leg. 4121).

    20 Diario de las sesiones de Cortes, Congreso, 1848-49, p. 397.

    21 Arch. M. J. Leg. 4121.

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    1 Selon Le Larousse du XIXe siècle : « désamortissement : action de désamortir : le désamortissement des biens de mains morte / On dit aussi désamortisation ». Ce dernier terme sera employé dans cet ouvrage en raison de sa ressemblance avec le terme espagnol « desamortización ».

    2 Le mot memoria qui apparaît souvent sous la forme de memorias de misas ou memorias pías est une sorte de fondation pieuse (legs pieux grevé de charges perpétuelles ou de longue durée, présentant un caractère religieux ou charitable) : il peut s'agir de faire mémoire au cours de la messe des personnes qui ont fait ce legs ou de faire dire des messes pour le repos de leur âme. Memorias, legs pieux, et patronats laïcs sont assimilés aux « chapellenies laïques », c.a.d. à des biens qui ne sont pas des bénéfices.

    3 Recuerdos de un anciano. Madrid, impr. de V. Saiz, 1879, p. 78.

    4 Memorias del reinado de Isabel II. Madrid, 1964, 3 vol. (BAE), Tome I, p. 156 et 280-285.

    5 Memorias, Pamplona, 1960, 2 vols. Tome I, p. 177-178.

    6 Acta Gregorii papae XVI, vol. 3 (109-112). On peut consulter cette allocution dans Historia eclesiâstica de España, de Vicente de La Fuente, Madrid, 1873-75, 6 vols., Tome VI, p. 226.

    7 Pour une appréciation du volume des ventes et du produit qu'en retira l'État, cf. F. Simón Segura : La desamortización española en el siglo XIX. Instituto de estudios fiscales. Ministerio de Hacienda, Madrid, 1973, p. 152-163.

    8 Porres Martín-Cleto, La desamortización del siglo XIX en Toledo, Tolède, C.S.I.C., 1966.

    9 Tra los montes, Paris, V. Magen, 1843, Tome I, p. 99.

    10 « Conventos españoles. Tesoros artísticos encerrados en ellos », Obras, Madrid, (BAE, vol. 128), 1960, Tome II, p. 117-118.

    11 « Una visita al Escorial » publié dans El Pensamiento, periódico de literatura, 1841, cf. Obras, Madrid, Aguado, 1883, p. 305 et ss.

    12 Cf. Tomás y Valiente, El marco político de la desamortización en España, Barcelona, Ariel, 1971.

    13 Cf. Larra, Obras, BAE, Tome II, p. 215.

    14 Archives du Ministère des Affaires étrangères, Paris, Mémoires et documents, Espagne, vol. 310. Lettres pastorale de l'évêque de León, 10 avril 1833.

    15 Bermejo, I.A., La estafeta de Palacio, Madrid, Labajos, 1873, Tome II, p. 148.

    16 Archives du Ministère des Affaires étrangères, Paris, Notes et documents, Espagne, vol. 366. (Notes de F. de Lesseps sur les personnages politiques espagnols).

    17 Pérez Alhama, La Iglesia y el Estado español. Madrid, Instituto de estudios políticos, 1967, p. 213, (dépêche chiffrée de Mgr Brunelli au cardinal Antonelli, 11 avril 1848).

    18 Cf. ses lettres au sujet de cette négociation aux Archives du Ministère de la Justice à Madrid. Leg. 4121. Il a lui-même publié : Historia crítica de las negociaciones con Roma desde la muerte del rey don Fernando VII. Madrid, 1859. Sur cette question des négociations, cf. Pérez Alhama, op. cit.

    19 Ventura Gonzalez Romero dans Memoria sobre complemento de la ejecución del Concordato y terminación de las cuestiones pendientes con la Santa Sede, manuscrit, 1867 (Arch. M. J. Leg. 4121).

    20 Diario de las sesiones de Cortes, Congreso, 1848-49, p. 397.

    21 Arch. M. J. Leg. 4121.

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